La spiritualité du martyre
4. Prisonnier avec l’Eucharistie

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Début de ce récit.

SEUL DANS LA CELLULE DE PRISON

Dimanche ! Quel triste dimanche : sans messe, sans communion, sans église, sans bréviaire. C’est aujourd’hui le dernier dimanche d’octobre, donc la fête du Christ-Roi. D’un seul coup, je suis debout, mais je tombe de nouveau sur mon bas lit de planches, titubant et affaibli par la faim. Avec peine, j’arrive à m’asseoir sur le bord de la planche, la tête dans mes mains.

Christ-Roi ! C’était vraiment notre “fête” chez les jeunes. Nous nommions Notre-Seigneur “le grand Roi”. Et moi-même, j’étais réellement nommé “roi” par eux. Ils m’avaient appelé ainsi parce que dans un amour de dévouement comme le Christ, je voulais toujours être auprès d’eux. De jour et de nuit, je n’avais pas une petite heure pour moi. J’étais toujours sur la route pour m’occuper d’eux. En plein hiver, par temps de neige et de pluie, je tirais le petit chariot pour leur procurer des vivres de régions lointaines. Quelles courses à pied ou à bicyclette pour leur donner le minimum nécessaire. Aucun travail ne m’aurait paru excessif ou trop sale : balayer, nettoyer, couper du bois, construire… Cela m’arrivait si souvent que je m’endormais presque debout quand j’avais donné au dernier groupe des jeunes une petite croix. À ce moment m’attendait encore tout le travail administratif. Et si souvent, quand les jeunes arrivaient le matin à la chapelle, ils m’y trouvaient endormi sur les marches de l’autel. Ils voyaient combien je luttais, combien je me fatiguais pour eux et c’est pour cela qu’ils m’appelaient leur père, leur ami, leur roi…

Soudain la porte de fer de ma cellule s’ouvrit.

“Vite ! Dépêchez-vous ! Allez cherchez votre nourriture !”

J’essayais péniblement quelques pas.

“Plus vite, plus vite !”, commanda le gardien avec impatience. Dans l’étroit couloir il y avait une marmite de soupe fumante. Le gardien en puisa un peu dans un bol et le plaça par terre.

“Prenez !” commanda-t-il.

Bien que j’eusse une faim de loup, ma première pensée fut que je n’avais pas communié.

— N’y a-t-il pas une possibilité pour aller à la messe ? demandai-je naïvement. Un rude juron fut la réponse. Avec peine je pus me baisser suffisamment pour prendre le bol dans mes mains tremblantes. Un morceau de pain me fut aussi attribué et la porte fut de nouveau fermée derrière moi.

Ce petit bol de soupe m’a fait revivre : une bienfaisante chaleur me pénétra partout. Du petit morceau de pain par contre j’ai fait de petites boulettes pour un chapelet.[1] Le soir, je fus de nouveau conduit dans le couloir pour un bol de soupe. Cette nuit-là, je dormis très bien, tout en me réveillant souvent à cause du froid.

C’étaient surtout mes pieds nus, qui étaient comme des blocs de glace. Au lever du soleil, je fus conduit à un bac d’eau et je pus m’y laver. Que cela me fit du bien ! Car depuis quatre jours, je n’avais vu ni eau, ni savon. Puis je reçus encore un peu de soupe et un morceau de pain.

Je ne savais pas quelle heure il était, mais par la relève de la garde, ce qui arrivait environ toutes les quatre heures, je pouvais tout de même suivre le temps.

L’emploi du temps était extrêmement simple. Le matin, vers six heures, c’était le lever, la toilette et la distribution de la soupe comme déjeuner. Vers midi, c’était une seconde distribution de soupe, plus nourrissante. Le soir, vers huit heures, il y avait encore un petit bol de soupe. Dans les couloirs se tenaient toujours deux gardiens : un homme de la police secrète en uniforme et un détective en costume civil. Dans la porte était creusé un petit trou pour regarder et les gardiens s’y relayaient très souvent. Je ne pouvais rien voir dans les cellules voisines, car celui qui était conduit dehors devait être tout seul et tenir la tête penchée.

Pendant toute la journée, je marchais en long et en large dans ma cellule ; je faisais beaucoup d’exercices de gymnastique pour me réchauffer ; je disais, 1e chapelet et je me promenais en rond dans ma cellule, pour faire le chemin de Croix, tout en méditant sur la Passion du Christ. Dans ce but, j’avais griffonné quatorze petites croix sur la paroi de la cellule.

C’était surtout la nuit que je souffrais du froid, sur le dur lit de planches, sans couverture et les pieds nus. Tous les jours je griffonnais un trait sur le mur pour compter les jours. Quand j’eus déjà griffonné le huitième trait, je pensai qu’ils m’avaient complètement oublié. Mais à ce moment-là, le gardien vint, me demanda mon nom et me conduisit en haut.


[1] C’est une des recommandations essentielles donnée par une religieuse prisonnière avec elle donnée à Rose Hu : se faire un chapelet et ne pas se contenter de réciter le chapelet sur ses doigts.