La spiritualité du martyre
2. Prisonnier avec l’Eucharistie chapitre 1

Vous trouverez ci-dessous un récit passionnant. Il est d’actualité, non pas en ce que nous sommes prisonniers comme ce prêtre, mais il nous brosse le tableau d’un prêtre fidèle et zélé face à des prêtres plus ou moins lâches. Dans les mêmes circonstances, de quel côté serions-nous ? C’est dès maintenant que nous devons tremper notre caractère et notre âme. Une telle énergie est le fruit de la grâce… liée à un travail exigeant de vie intérieure.

Subsidiairement, la tactique communiste est bien dévoilée. La parade mise en œuvre par ce prêtre est la seule efficace : aucune compromission quoi qu’il en coûte. (Il en coûterait beaucoup plus d’ailleurs à se compromettre).

Ce récit complète utilement celui, parallèle, du Cardinal Minsdzenty dans ses Mémoires que tout le monde devrait avoir lus, car il est très important de bien connaître la tactique communiste envers les catholiques. Il s’agit là d’un récit absolument authentique de la captivité d’un prêtre hongrois. Des raisons de sécurité obligent à garder secrète l’identité du prêtre, héros et auteur de ce récit. C’est ce que garantissent les traducteurs, dont l’un a rencontré personnellement l’auteur.

PREMIÈRE PARTIE
L’ARRESTATION

I
HAUT LES MAINS !
ARRÊTÉ AU NOM DE L’ÉTAT DÉMOCRATIQUE DE HONGRIE

Beaucoup de mes meilleurs amis et connaissances me demandaient et insistaient continuellement pour que je m’éloigne de X… Ainsi je pourrais libérer les communistes de leurs préoccupations à mon sujet.

“Si vous n’étiez plus dans leur chemin, ils vous laisseraient en paix !”

Oh oui ! je le savais bien, mais, ce ne serait pas loyal de fuir, de capituler.

“Si Notre-Seigneur me juge digne du grand sacrifice, Il me donnera aussi la force nécessaire, et II peut s’occuper de ceux dont je suis responsable, mieux que je ne peux le faire. Personne n’est indispensable”, répondais-je.

Le soir, quand tout le monde s’était couché, je priais encore longtemps dans ma petite église, auprès de la petite lumière du sanctuaire. Ce jeudi soir, je priai plus longtemps que d’habitude, comme si Notre-Seigneur voulait me retenir. Quand enfin je pénétrai dans la sacristie, je vis, plongés dans un profond sommeil, deux des jeunes dont je m’occupais et qui, afin de prévoir le pire (une arrestation toujours possible), y passaient la nuit. Nécessairement, je devais penser à Gethsémani et je murmurai doucement :

“Mes garçons, ne pouvez-vous pas veiller une petite heure ?”

Je m’assis sur le bord de mon lit, mais je n’avais pas envie de dormir, bien que je me sentisse tellement fatigué et las. Je retournai dans la chapelle, et, agenouillé devant l’autel de Notre-Seigneur, je priai :

“Seigneur, oh ! cette tension est si grande, l’incertitude si troublante ! Si c’est possible, écartez de moi ce calice ! Faites-moi voir ce que je dois faire, comment je dois agir. Volontiers je fais le sacrifice de ma vie, mais au moins épargnez tous ceux que vous m’avez confiés, Seigneur ! Cependant, non pas selon ma volonté, Seigneur, mais selon ce qu’il vous plaît.”

Je ne sais pas combien de fois j’ai soupiré cette prière du Seigneur, mais je me levai réconforté, et bien que je trébuchasse quelque peu, j’allai m’agenouiller auprès de l’autel de Notre-Dame de Banneux. L’autel avec la statue blanche et souriante de la Vierge des Pauvres se trouvait juste devant le grand autel. Le doux reflet de la lumière éternelle jouait sur la blanche image. Là, devant ma bonne Notre-Dame, oui là, près de ma Mère céleste, je donnai libre cours à mes larmes. Je sentais en effet, j’étais sûr, que c’était maintenant pour la dernière fois, et Dieu savait pour combien de temps, que je contemplais son visage souriant et compatissant.

“Mère des pauvres, Mère des orphelins, je confie à vos soins maternels, tous ceux dont je suis responsable et que j’aime, tous mes fidèles.”

Je retournai dans la sacristie et je regardai mes garçons, qui dormaient tranquillement. Avec un soupir, je m’écroulai sur mon lit. Tout était si calme ! Je n’entendais que la respiration calme et régulière de mes garçons : cela me plongea dans un léger assoupissement.

Tout d’un coup, ce fut comme si j’entendais maman m’appeler ; je fus aussitôt réveillé. Quelqu’un frappait doucement, en hésitant, à ma fenêtre. Je pensais inévitablement à maman.

“Qui frappe ?”

J’entendis une voix de femme répondre doucement :

— Ouvrez !

— Quelque chose de grave est-il arrivé ? demandais-je rapidement.

— Oui ! chuchota la même voix de femme.

Curieux ! De nouveau je pensai que quelque chose était arrivé à maman.

— Est-il arrivé quelque chose à maman ? demandai-je anxieusement, et, comme j’obtenais une réponse indistincte, je me hâtai à travers la chapelle pour ouvrir la porte. Je ne l’avais même pas tout à fait ouverte, quand elle fut enfoncée avec une grande brutalité et je me trouvai devant quelques formes obscures.

“Haut les mains !” crièrent-ils d’une façon désordonnée, et je sentis les revolvers appuyés sur ma poitrine. Automatiquement je levai les mains.

— Retournez-vous, commandèrent-ils, et en avant !

J’allai avec les mains levées à travers la petite église vers la sacristie. Devant le maître-autel, je voulus faire une génuflexion, mais d’un coup rude, ils me poussèrent en avant. L’un d’eux, qui était entré avec moi dans la sacristie se tourna vers moi en ricanant et me dit avec ironie :

“Au nom de l’État démocratique hongrois, j’arrête le roi des jeunes !”

Réveillés par le bruit, mes deux garçons regardaient stupéfaits. Ils comprenaient, en voyant les revolvers menaçants et les policiers brutaux, que le moment tant redouté était arrivé. Rapidement ils se levèrent, mais avant qu’ils ne puissent faire quelque chose ou donner un signal, ils furent empoignés.

— Ho ! Ho ! cria le même rude gaillard qui semblait être le chef des policiers, c’en est fini du règne des jeunes ! C’en est fini de votre roi !

— Non, cria A… sans crainte, c’est seulement à partir de maintenant que commence le règne de notre roi !

Ces mots me firent une forte impression. Oui, maintenant, je commence à prendre le chemin royal de la Croix, pour régner avec le Seigneur par des humiliations et des souffrances. Je laissai tomber mes mains et signifiai par un clin d’œil mon approbation aux garçons.

“Haut les mains !” me crièrent-ils plusieurs en même temps. Malgré le sérieux de la situation, je devais sourire. Que ces gens sont tout de même craintifs pour un simple pauvre prêtre et deux petits garçons !

“Remettez vos armes !”, grommela leur commandant.

— Je n’ai pas d’autres armes que mon crucifix, et je désignai mon grand crucifix sur le mur.

— Nous allons bien voir cela !

Ils fouillèrent tout. Tous mes livres et papiers furent jetés à terre.

Je regardais calmement. Même mon petit livre tomba en leurs mains, mais heureusement, ils ne le remarquèrent pas et il vola contre le mur. Cette perquisition brutale dura environ une heure et demie. Pendant tout ce temps, je devais rester, les mains levées, tourné vers le mur. Ce qu’ils trouvèrent de compromettant dans mes papiers fut fourré dans une grande valise. L’un d’eux s’approcha de moi et me commanda d’enlever ma soutane.

“Non ! refusai-je résolument et imperturbablement. Je n’enlève pas ma soutane, mon saint habit, mon uniforme.”

À trois ou quatre, ils sautèrent ensemble sur moi et tout en jurant et criant, ils m’enlevèrent de force ma soutane. Comme je n’avais pas de costume civil, ils cherchèrent dans l’armoire quelques effets des jeunes. Naturellement tout était trop étroit et la culotte trop courte. Ils avaient grand plaisir à voir mon allure pitoyable. Finalement ils m’enfoncèrent un petit chapeau sur la tête. Ils criaient :

“Maintenant le roi des jeunes, c’est le plus beau ! Donnons-lui aussi des bracelets”, et ils me ligotèrent avec une chaîne de fer.

Pendant cette pénible heure et demie, les jeunes se comportèrent noblement et courageusement. Mais quand je fus ligoté, ils ne purent retenir leurs larmes. Ils pleuraient si fort que je ne pus cacher ma peine de la pénible séparation. Le commandant ordonna de partir. Encore un regard plein de compassion pour mes jeunes désolés… puis ils me poussèrent à travers ma petite église. Le Seigneur me regardait du tabernacle avec beaucoup d’amour. J’étais maintenant son prisonnier, l’enchaîné du Seigneur. Bien qu’ils ne le permissent pas, je m’agenouillai cependant sur mes deux genoux et je baisai les marches de l’autel. Dehors l’aube commençait ; un coq chantait au loin. Il était grand temps de m’emmener. Avant que je ne pusse regarder autour de moi, ils m’avaient déjà poussé dans une voiture. Deux détectives vinrent s’asseoir à côté de moi, de telle façon que, coincé entre eux deux, je ne puisse pas remuer. Je ne pouvais non plus rien voir, je ne savais pas ce qui se passait autour de moi, mais j’entendais, d’après leurs commandements et leur conversation, qu’ils étaient fermement décidés à me garder prisonnier, même si c’était nécessaire, par la violence. Dans le silence, à l’abri de la lumière, sans bruit, sans que mes fidèles ou les jeunes aient remarqué quelque chose, ils m’enlevèrent du cercle chaleureux des derniers jeunes de mon groupe et de mes bons paroissiens. Rapidement nous roulions dans les rues tranquilles et solitaires. Tout d’un coup je sentis combien j’étais livré sans défense à la volonté arbitraire de mes ennemis et je priai avec ferveur pour obtenir de l’aide.