Mes bien chers Frères,
Je ne puis enregistrer mon sermon pour l’Ascension. Je vous donne à la place un sermon de saint Jean Chrysostome.
En cette belle fête de l’Ascension, je prie pour que vos préoccupations soient celles du Ciel et non celles de la terre, pour vous et vos enfants.
Analyse
Cette homélie fut prononcée hors de la ville d’Antioche, dans un lieu consacré aux martyrs. — Les martyrs avaient été enterrés sous le pavé de l’église, à côté des hérétiques ; l’évêque Flavien les avait tirés de ce voisinage pour les placer ailleurs et les exposer à la vénération des fidèles. – L’orateur commence par louer le saint évêque de cette attention. — 1° Il montre ensuite quel est l’objet de la fête présente ; 2° c’est la réconciliation de l’homme avec Dieu, réconciliation dont Jésus-Christ a été le médiateur, et qu’il a cimentée en offrant à Dieu son père, dans sa personne, les prémices de la nature humaine, qui ont été placées au plus haut des cieux. 3° Pour faire sentir quel est le bienfait d’avoir élevé si haut notre nature, il fait voir combien elle était avilie et dégradée. — 4° Il prouve que les anges ont été affligés de notre dégradation, par des conjectures, et parce qu’ils se sont réjouis avec nous, lorsque Jésus-Christ est né, lorsqu’il est ressuscité, enfin lorsqu’il est monté aux cieux. — 5° Deux anges se sont présentés pour consoler les disciples de la perte de leur maître qui s’élevait dans l’air et qui disparaissait à leur vue. Les fidèles, riches et pauvres, doivent tourner leurs regards vers le ciel, attendre le retour du Sauveur, et mériter par la pureté de leur vie d’être transportés avec Jésus-Christ quand il viendra juger les vivants et les morts.
Texte du sermon
1. Lorsque nous honorions la mémoire de la Croix, nous avons célébré cette fête hors de la ville ; et maintenant que nous nous occupons de l’Ascension de Jésus crucifié, jour brillant et glorieux, nous célébrons encore cette fête hors de nos murs. Ce n’est pas que nous voulions faire honte à la ville, mais nous voudrions faire honneur aux martyrs. C’est dans la crainte qu’ils ne nous fassent de vifs reproches et ne nous disent : Est-ce que nous ne sommes pas dignes de voir un seul jour de Notre-Seigneur célébré dans nos tentes ? nous avons répandu notre sang pour lui, nous lui avons fait le sacrifice de nos têtes ; et nous n’aurions pas l’avantage de voir le jour de sa gloire célébré dans le lieu où reposent nos cendres ! C’est dans la crainte d’entendre ces reproches, que nous courons aux pieds des martyrs, pour nous justifier en ce jour auprès d’eux de tout le temps qui a précédé ; car si nous devions courir à ces généreux athlètes de la religion, même lorsque leurs corps étaient cachés sous le pavé des temples, à plus forte raison devons-nous le faire aujourd’hui que ces pierres précieuses sont mises à part, que les brebis ne sont plus auprès des loups, et due les vivants sont séparés des morts. Quant à eux, ils ne recevaient aucun préjudice d’une sépulture commune avec les hérétiques. Non, un pareil voisinage ne pouvait faire tort aux corps de ceux dont les âmes sont dans le ciel ; les restes de ceux dont la plus noble portion est dans la main du Seigneur, ne pouvaient souffrir de telle ou de telle position. Mais s’ils ne recevaient même auparavant aucun préjudice, le peuple qui courait aux restes des martyrs, n’éprouvait pas un léger dommage du lieu où ces corps saints étaient placés. Il ne priait qu’avec embarras et inquiétude, parce qu’il ignorait quels étaient les tombeaux des saints, et où étaient déposés ces trésors véritables. En un mot, il arrivait le même inconvénient que si des troupeaux de brebis, conduits à des eaux pures et salutaires, en étaient repoussés par une odeur infecte qui s’exhalerait d’ailleurs : de même le peuple qui allait aux sources pures des martyrs, en était écarté, pour ainsi dire, par l’infection voisine de l’hérésie.
Frappé de cet inconvénient, notre sage pasteur, notre maître commun, qui règle tout pour l’édification de l’église, ne souffrit pas longtemps ce dommage causé à son peuple. Que fait-il donc ? Admirez la sagesse de cet ardent zélateur des martyrs de notre foi. Il fait combler les ruisseaux troubles et fétides, et place dans un lieu pur les sources pures des martyrs. Et voyez quelle attention il a montré pour les morts, quelle déférence pour les martyrs, et quels soins pour le peuple. Il a montré son attention pour les morts, en ne remuant pas leurs cendres, mais en les laissant dans le lieu où elles étaient déposées ; sa déférence pour les martyrs, en les délivrant d’un fâcheux voisinage ; ses soins pour le peuple, en ne permettant pas que les fidèles fussent inquiets et embarrassés dans leurs prières. Voilà pourquoi il vous amène ici, afin que le concours soit plus brillant et le spectacle plus magnifique, l’assemblée étant composée non seulement des hommes, mais encore des martyrs, non seulement des martyrs, mais encore des anges ; car les anges sont ici présents, et se joignent aujourd’hui aux martyrs pour embellir la fête. Que si vous voulez voir les martyrs et les anges réunis, ouvrez les yeux de la foi, et vous apercevrez ce spectacle. En effet, si l’air est rempli d’anges, à plus forte raison l’église, et principalement en ce jour consacré à l’Ascension glorieuse de leur Maître.
Mais pour preuve que l’air est rempli d’anges, écoutons ce que dit l’Apôtre en exhortant les femmes à se voiler la tête : Les femmes, dit-il, doivent avoir un voile sur la tête à cause des anges. (I Cor. 11, 10.) Ceux qui étaient renfermés avec les apôtres dans une maison, disaient à la servante Rhodé : C’est l’ange de Pierre. (Act. 12, 15.) L’ange, dit Jacob, qui m’a protégé dès ma jeunesse. (Gen. XLVIII, 16.) J’ai vu, dit ailleurs le même Jacob, j’ai vu des armées d’anges. (Gen. 32, 2.) Et pourquoi a-t-il vu des armées d’anges sur la terre ? De même qu’un prince place des troupes dans toutes les villes frontières, pour que ces villes ne soient pas assaillies par les incursions des barbares ; ainsi Dieu qui sait que les démons, ces êtres barbares et féroces, remplissent l’air qui nous environne, et qui voit ces ennemis de la paix toujours prêts à susciter la guerre ; Dieu, dis-je, leur a opposé des armées d’anges qui puissent les réprimer par leur seule vue, et nous ménager sans cesse les avantages de la paix. Et afin que vous appreniez que les anges sont des ministres de paix, écoutez les diacres qui tous les jours dans les prières publiques, répètent ces paroles : Supplier l’ange de paix (C’étaient les propres paroles de la liturgie). Vous voyez que les anges et les martyrs sont ici réunis. Que je plains donc les fidèles qui sont aujourd’hui absents, et que j’applaudis au bonheur de ceux qui sont présents, qui jouissent de cette solennité ! Mais réservons à un autre temps à parler des anges, et occupons-nous à expliquer le sujet de la fête présente.
2. Quelle est donc la fête que nous célébrons ? Elle est grande et auguste, mes très chers frères, elle est au-dessus de toutes les pensées des hommes, et vraiment digne de la munificence de Dieu, qui en est l’auteur. C’est aujourd’hui que Dieu s’est réconcilié avec le genre humain ; c’est aujourd’hui qu’une inimitié ancienne et une longue guerre ont été terminées ; c’est aujourd’hui qu’a été cimentée pour nous cette paix admirable que nous n’aurions jamais espérée. Eh ! qui jamais eût pensé qu’un Dieu dût se réconcilier avec l’homme ? Ce n’est pas que le Maître soit dur et cruel, mais c’est que le serviteur est lâche et rebelle. Voulez-vous savoir combien nous avons irrité un Maître plein de douceur et de bonté ; car il faut que vous appreniez le sujet d’une inimitié ancienne afin que, lorsque vous saurez les honneurs dont nous avons été comblés, quoique ennemis, et la grâce immense que le Seigneur vous a faite, vous ne cessiez de lui rendre des actions de grâces pour la grandeur de ses dons, vous admiriez la miséricorde du Dieu qui nous a honorés, sans attribuer un pareil changement à vos propres mérites ? Voulez-vous donc apprendre combien nous avions irrité un Maître bon, doux et miséricordieux, un Maître qui règle tout pour notre salut ? Il avait pris la résolution de détruire entièrement notre race, et il était si irrité contre nous, qu’il voulait nous perdre avec nos femmes, nos enfants, les bêtes sauvages, les animaux domestiques, en un mot, avec toute la terre. Mais si vous voulez, je vais vous rapporter la sentence même prononcée par Dieu contre le genre humain : J’exterminerai, dit le Seigneur, j’exterminerai de dessus la terre, l’homme que j’ai créé, j’exterminerai avec lui les bêtes sauvages et les animaux domestiques ; car je me repens d’avoir fait l’homme. (Gen. 6, 7.) Et afin que vous sachiez que ce n’était pas notre nature qu’il haïssait, mais notre perversité qu’il avait en horreur, après avoir prononcé cette sentence : J’exterminerai de dessus la terre l’homme que j’ai créé, il s’adresse à Noé et lui dit : La fin de tout homme est venue devant moi. (Gen. 6, 13.) Or, s’il eût haï la nature humaine, il ne se fût jamais expliqué avec un homme. Vous voyez donc que, loin de vouloir exécuter sa menace, le Seigneur se justifie lui-même devant son esclave, qu’il s’entretient avec lui comme avec un ami et un égal, et lui explique les raisons du châtiment sévère qu’il médite, non pour rendre compte à un homme de ses desseins, mais pour qu’avertissant les autres il les rende plus sages.
Mais, comme je le disais, notre race s’était trouvée d’abord dans un état si fâcheux, qu’elle courait même le risque d’être exterminée de dessus la terre. Nous, cependant, qui étions jugés indignes de la terre, nous avons été transportés aujourd’hui dans le ciel ; nous qui n’étions pas même dignes de la domination terrestre, nous avons été élevés au royaume céleste, nous avons pris place sur le trône du souverain Roi. Notre nature, à qui les chérubins avaient fermé l’entrée du paradis, est assise aujourd’hui au-dessus des chérubins. Mais comment s’est opéré ce merveilleux prodige ? Comment, nous qui avions offensé le Très-Haut, qui étions jugés indignes de la terre, qui étions déchus de la domination terrestre, sommes-nous montés à une si grande élévation ? Comment la guerre a-t-elle été terminée ? Comment la colère s’est-elle dissipée ? Comment ? Ce qu’il y a d’admirable, c’est que la paix s’est faite, non d’après les sollicitations de ceux qui s’étaient injustement soulevés contre le Seigneur, mais d’après les exhortations du Seigneur lui-même, qui était justement irrité. Nous remplissons, dit saint Paul, la fonction d’ambassadeur pour Jésus-Christ ; et c’est Dieu lui-même qui vous exhorte par notre bouche. (2 Cor. 5, 20.) Quoi donc ! c’est lui qui a été outragé, et c’est lui qui nous exhorte ! Oui, sans doute, parce qu’il est Dieu, et qu’en conséquence il nous exhorte comme un père tendre. Et voyez ce qui arrive ! C’est le Fils de celui qui nous exhorte, qui devient notre médiateur : ce n’est pas un homme, ni un ange, ni un archange, en un mot aucune créature. Et que fait le Médiateur ? l’office de médiateur. Lorsque deux personnes, animées l’une contre l’autre, refusent de se réconcilier, un tiers survient, qui, se plaçant entre les deux, apaise les deux parties irritées. Et c’est ce qu’a fait Jésus-Christ. Dieu était animé contre nous ; nous nous étions éloignés de Dieu, de ce Maître plein de bonté. Jésus-Christ, se plaçant entre deux, a réconcilié la créature avec le Créateur. Et comment s’est-il placé entre deux ? Il a subi, de la part de son Père, la peine qui nous était due, et a supporté les outrages de la part des hommes. Voulez-vous apprendre comment il a rempli l’une et l’autre fonction ? Jésus-Christ, dit l’Apôtre, nous a rachetés de la malédiction de la loi, en devenant pour nous malédiction. (Gal. 3, 13.) Vous voyez comme il a subi la peine de la part de son Père, voyons comme il a supporté les outrages de la part des hommes : Les outrages de ceux qui étaient soulevés contre vous, dit l’Écriture, sont tombés sur moi. (Ps. 68, 10.) Vous voyez comme il a dissipé toute inimitié, comme il n’a point cessé de tout faire et de tout souffrir, jusqu’à ce qu’il eût ramené à Dieu, et rendu ami de Dieu l’homme, qui était son ennemi déclaré.
Or, c’est le jour que nous célébrons, qui est le principe de tous ces biens ; c’est en ce jour que Jésus-Christ a remis à son Père les prémices de notre nature dont il s’était chargé. Et comme dans un champ couvert d’une riche moisson, on prend quelques épis, on en compose une gerbe qu’on offre à Dieu, et que par cette légère offrande on attire sa bénédiction sur le champ tout entier : de même Jésus-Christ, par la chair unique dont il s’était revêtu, et par les simples prémices de notre nature, a fait bénir toute notre race. Mais pourquoi n’a-t-il pas offert toute la nature humaine ? c’est que dans les prémices on n’offre pas le tout, mais qu’en offrant une petite partie, on fait bénir le tout par cette modique offrande. Mais, dira-t-on encore, si l’on offrait les prémices, il fallait offrir le premier homme lorsqu’il sortit des mains de Dieu ; car les prémices sont ce qui est produit le premier, ce qui germe le premier. Non, mes frères, les prémices ne consistent pas à offrir le premier fruit s’il est mauvais et corruptible, mais à offrir le meilleur. Or, comme le premier fruit de la nature humaine était sujet au péché, voilà pourquoi on ne l’a pas offert, quoiqu’il, fût le premier. C’est là, en effet, ce qui constitue les prémices.
3. Et afin que vous sachiez que les prémices ne sont pas le premier fruit, mais le fruit de la meilleure espèce, celui qui parvient à sa maturité, je vais vous citer en témoignage les Écritures : Lorsque vous serez entrés, dit Moïse au peuple, dans la terre de promission que Dieu vous donne, et que vous aurez planté des arbres fruitiers, les trois premières années vous regarderez le fruit comme impur, la quatrième année il sera sain et pourra être offert au Seigneur. (Lév. 19, 22 et 24.) Toutefois si les prémices étaient ce qui est produit le premier, on aurait dû offrir au Seigneur le fruit de la première année ; mais, dit Moïse : Les trois premières années, vous regarderez le fruit comme impur, vous le laisserez, parce que l’arbre est encore faible, et que son fruit est trop précoce ; celui de la quatrième année sera sain et pourra être offert au Seigneur. Et voyez la sagesse du législateur ! Il n’a permis ni de manger le premier fruit, pour que l’homme ne le prît pas avant Dieu ; ni de l’offrir au Seigneur, pour qu’on ne lui offrît pas un fruit vert et acide. Laissez-le, dit-il, parce qu’il est le premier ; ne l’offrez pas, parce qu’il n’est pas digne de la majesté de celui auquel il serait offert. Vous voyez que les prémices ne sont point ce qui est produit le premier, mais ce qui est le meilleur.
Appliquons ce que nous venons de dire à la chair dont Jésus-Christ s’est revêtu, et qu’il a offerte pour nous. Il a offert à son Père les prémices de notre nature ; et son Père a tellement approuvé cette offrande, tant par égard pour la dignité de celui qui la présentait, qu’en considération de la pureté de l’offrande elle-même, qu’il l’a reçue de ses propres mains, et l’a placée à ses côtés, en lui disant : Asseyez-vous à ma droite. (Ps. 109, 1.) À quelle nature Dieu a-t-il dit : Asseyez-vous à ma droite ? À celle qui avait entendu de sa bouche ces paroles : Vous êtes terre et vous retournerez en terre. (Gen. 3, 19.) Ce n’était pas assez pour elle de s’élever au-dessus des cieux, d’être reçue parmi les anges : cet honneur, quoique ineffable, n’était pas assez magnifique. Elle s’est élevée au-dessus des anges et des archanges, au-dessus des chérubins et des séraphins, et passant au milieu de toutes les puissances et de toutes les dominations, elle ne s’est arrêtée que lorsqu’elle s’est vue assise sur le trône du Maître suprême. Ne voyez-vous point l’espace immense qui sépare le ciel de la terre ? Ou plutôt commençons de plus bas. Ne voyez-vous point quelle distance infinie il y a de l’enfer à la terre, de la terre au ciel, du ciel au ciel supérieur, et de là jusqu’aux anges, aux archanges, à toutes les dominations célestes, jusqu’au trône du Roi de l’univers ? Jésus-Christ a fait franchir toute cette distance à notre nature, il l’a élevée à cette hauteur. Examinez dans quel abîme elle était descendue, et à quel comble de gloire elle est montée. Il est impossible de descendre plus bas qu’était descendu l’homme, ni de monter plus haut que Jésus-Christ l’a élevé. C’est ce que saint Paul voulait faire entendre en disant : Celui qui est descendu est le même qui est monté. (Eph. 4, 10.) Où est-il descendu ? Dans les lieux les plus bas de la terre, et il est monté au plus haut de tous les cieux.
Apprenez qui est-ce qui est monté avec Jésus-Christ, quelle est la nature qu’il a élevée si haut, et ce qu’elle était auparavant. Je m’arrête volontiers à considérer toute la bassesse de l’homme, afin de mieux connaître l’honneur dont il s’est vu comblé par la bonté du souverain Maître. Nous étions cendre et poussière ; mais ce reproche tombe moins sur nous que sur la faiblesse de notre nature. Nous étions plus insensés que les animaux déraisonnables : L’homme s’est rapproché de la brute et est devenu semblable à elle. (Ps. 48, 21.) Or, être devenu semblable aux animaux dépourvus de raison, c’est être devenu pire que ces animaux. En effet, qu’un être naturellement déraisonnable reste dans son état de stupidité, c’est l’ouvrage de la nature ; mais que celui qui a été doué d’intelligence se ravale jusqu’à la stupidité de la brute, c’est le crime de la volonté. Lors donc que le prophète dit que l’homme s’est rapproché des animaux déraisonnables, ne croyez pas qu’il dise simplement que l’homme est devenu l’égal de ces animaux, mais il veut faire voir qu’il est même devenu pire. Oui, nous sommes devenus plus stupides que la brute, non seulement parce qu’étant hommes nous nous sommes ravalés jusqu’à elle, mais encore parce que nous avons montré en effet plus d’insensibilité. Et c’est ce qu’Isaïe fait entendre dans ce passage : Le bœuf reconnaît son possesseur, le mulet reconnaît l’étable de son maître ; et Israël ne m’a point reconnu. (Is. 1, 3.) Mais ne rougissons, point de notre état précédent, puisque la grâce a surabondé où avait abondé le péché. (Rom. 5, 20.) Vous voyez comme nous sommes devenus plus déraisonnables que les bêtes de charges ; apprenez que nous le sommes devenus même plus que les oiseaux de l’air : La tourterelle, l’hirondelle, les passereaux des champs, ont connu le temps de leur arrivée, et mon peuple n’a point connu mes jugements. (Jér. 8, 7.) Nous sommes donc plus déraisonnables et plus stupides que le bœuf, que le mulet, que les oiseaux de l’air, l’hirondelle et la tourterelle. Voulez-vous apprendre, d’ailleurs, combien peu nous avons de raison ? L’Écriture nous envoie à l’école de la fourmi ; tant nous avons perdu notre sens naturel ! Allez, nous dit-elle, à la fourmi, et tâchez d’imiter sa prévoyance. (Prov. 6, 6.) Nous sommes devenus les disciples d’un vil insecte, nous qui sommes faits à l’image du Très-Haut. Mais ce n’est pas au Créateur que nous devons nous en prendre, c’est à nous-mêmes qui n’avons pas su conserver notre ressemblance divine. Et que parlé-je de la fourmi ? Nous sommes même devenus plus insensibles que les pierres, et je vais apporter en témoignage ces paroles d’un prophète : Écoutez, dit-il, écoutez, vallons et fondements de la terre, parce que le Seigneur va juger son peuple. (Mich. 6, 2.) Quoi donc ! vous allez juger les hommes, et vous invoquez les fondements de la terre ! Oui, sans doute, puisque les hommes sont plus insensibles que les fondements de la terre. Cherchez-vous encore des traits plus frappants de toute notre perversité, lorsque nous sommes plus stupides que le mulet, plus déraisonnables que le bœuf, plus ignorants que la tourterelle et l’hirondelle, plus imprudents que la fourmi, plus insensibles que la pierre ? Nous sommes même devenus semblables aux serpents. Leur fureur, dit l’Écriture, ressemble à celle du serpent ; le venin des aspics est sous leurs lèvres. (Ps. 57, 5 ; 129 4.) Et pourquoi parler de la stupidité de la brute, lorsque nous sommes appelés les enfants du démon ? Vous êtes, dit l’Évangile, les enfants du démon. (Jean, 8, 44.)
4. Nous, cependant, qui étions stupides, dépourvus de sens et de raison, plus insensibles que la pierre, nous qui étions vils et dégradés, au-dessous de toutes les créatures…. comment m’exprimerai-je ? comment rendrai-je ma pensée ? Notre nature qui était avilie et au-dessous de tous les êtres, par le défaut de raison et de sentiment, s’est élevée aujourd’hui au-dessus de tous. Les anges et les archanges ont vu aujourd’hui ce qu’ils désiraient de voir il y a longtemps : notre nature assise sur le trône du souverain Roi, resplendissante de gloire et brillante d’une beauté immortelle. C’est là, oui, c’est là le prodige après lequel les anges et les archanges soupiraient depuis tant de siècles. Et quoique nous fussions plus honorés qu’ils ne l’étaient eux-mêmes, cependant ils se réjouissaient de notre élévation, eux qui s’étaient affligés de notre châtiment ; car, lorsque les chérubins gardaient le paradis, ils ne le faisaient qu’à regret. Et de même qu’un esclave, chargé d’enfermer un de ses compagnons, le garde en prison par l’ordre de son maître, mais se sent touché du malheur de celui dont il partage la servitude : ainsi les chérubins, chargés de garder le paradis, remplissaient à regret ce ministère. Je vais prouver, par l’exemple des hommes, la peine qu’ils devaient ressentir. Lorsque vous voyez des hommes compatir aux maux de leurs semblables, pourriez-vous douter encore des sentiments des chérubins, de ces êtres supérieurs, qui sont beaucoup plus charitables que les hommes ? Qui des justes ne s’est pas affligé, lorsque les hommes étaient punis justement, après avoir commis une infinité de péchés ? Car, mes frères, ce qu’il y a de plus surprenant, c’est qu’ils ont témoigné leur sensibilité pour des serviteurs dont ils connaissaient les fautes, et qu’ils savaient avoir offensé grièvement leur Maître. Moïse, après l’idolâtrie du peuple, pénétré de tristesse, disait : Si vous leur pardonnez leur faute, laissez-moi vivre : si vous ne leur pardonnez pas, effacez-moi du livre que vous avez écrit. (Ex. 32, 32.) Quoi donc ? Vous voyez leur impiété, et vous vous affligez de ce qu’ils sont punis ! Oui, je m’afflige de cela même qu’ils sont punis, et qu’ils ont donné sujet à un juste châtiment. Ézéchiel voyant l’ange qui frappait le peuple, s’écriait d’une voix lamentable : Hélas ! Seigneur, allez-vous exterminer les restes d’Israël ? (Ez 9, 8.) Corrigez-nous, Seigneur, disait Jérémie, mais que ce soit dans votre justice, et non dans votre fureur, pour que vous ne nous réduisiez pas à un petit nombre. (Jér. 10, 24.) Comment, je vous prie, Moïse, Ézéchiel, Jérémie, se sont affligés pour leurs frères, et les puissances célestes n’auraient pris aucune part à nos maux ! Cela est-il croyable ? Pour vous convaincre que, nos infortunes leur sont propres, apprenez quelle joie ils ont témoignée lorsqu’ils ont vu notre Maître réconcilié avec nous. Mais s’ils ne s’étaient pas affligés de notre disgrâce, ils ne se seraient pas tant réjouis de notre réconciliation. Or, qu’ils se soient réjouis, j’en trouve la preuve dans ces paroles du Fils de Dieu : Il y aura une grande joie dans le ciel et sur la terre, pour un seul pécheur qui fait pénitence. (Luc. 15, 7.) Mais si les anges se réjouissent pour un seul pécheur qui fait pénitence, quelle vive satisfaction n’ont-ils pas dû éprouver, en voyant aujourd’hui notre nature placée au plus haut des cieux, dans la personne de celui qui en est les prémices ?
Apprenez, d’ailleurs, la joie qu’ont témoignée les troupes célestes pour notre réconciliation. Lorsque Notre-Seigneur naquit selon la chair, les anges voyant qu’il était réconcilié avec les hommes (car il ne serait jamais descendu si bas s’il n’eût été réconcilié), voyant, dis-je, cette œuvre consommée, ils formèrent des chœurs sur la terre, et ils s’écriaient dans leurs transports : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre, et bonne volonté aux hommes. (Luc, 2, 14.) Et afin que vous sachiez qu’ils glorifient Dieu pour les biens qu’a reçus la terre, ils ajoutent la raison en disant : Et paix sur la terre, et bonne volonté aux hommes, aux hommes qui s’étaient montrés ingrats envers le Créateur, qui étaient ses ennemis déclarés. Vous voyez comme ils glorifient Dieu pour le bonheur d’autrui, ou plutôt pour leur bonheur propre, puisqu’ils regardent ce qui nous arrive d’heureux, comme leur étant personnel. Voulez-vous apprendre qu’ils se réjouissaient et qu’ils triomphaient lorsqu’ils devaient voir Jésus-Christ monter au ciel, écoutons-le lui-même : Vous verrez bientôt, dit Jésus-Christ, les cieux ouverts, et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l’Homme. (Jean, 1, 51.) Les anges, dit-il, montaient et descendaient sans cesse ; ce qui annonce combien ils désiraient de voir un spectacle merveilleux. C’est l’usage de ceux qui aiment de ne pas attendre le moment où arrivera l’objet aimé, mais de le prévenir par les transports de leur joie. Les anges descendent, parce qu’ils sont empressés de voir un spectacle nouveau et extraordinaire, la nature humaine placée dans le ciel. Voilà pourquoi les anges paraissent, et lorsque Jésus-Christ vient au monde, et lorsqu’il ressuscite, et aujourd’hui qu’il monte au ciel : Deux hommes, dit l’Évangile, parurent vêtus de blanc, annonçant leur joie par la blancheur de leurs habits, et ils dirent aux disciples : Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? ce Jésus, qui, en vous quittant, s’est élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l’y avez vu monter. (Act. 1, 10 et 11.)
5. Suivez-moi, mes frères, avec attention Pourquoi tiennent-ils ce langage ? Est-ce que les disciples n’avaient pas d’yeux ? Est-ce qu’ils ne voyaient point ce qui se passait ? L’Évangéliste ne dit-il pas qu’ils le virent s’élever au ciel ? Pourquoi donc des anges viennent-ils leur apprendre qu’il est monté au ciel ? Pour deux raisons : la première, c’est que les disciples étaient continuellement affligés, quand ils pensaient qu’ils allaient être séparés de Jésus-Christ. Aucun, de vous, leur dit le Fils de Dieu dans l’Évangile (paroles qui confirment ce que j’avance), aucun de vous ne me demande ou Je vais ; mais parce que je vous ai dit ces choses, votre cœur s’est rempli de tristesse. (Jean, 16, 5 et 6.) Si nous ne nous séparons qu’avec peine de nos amis et de nos parents, comment les disciples, qui voyaient leur Sauveur, un Père doux et tendre, un Maître plein d’attention et de bonté, se séparer d’eux, comment n’auraient-ils pas été affligés, comment n’auraient-ils pas éprouvé la douleur la plus vive ? Des anges paraissent pour les consoler d’une séparation pénible, par l’espoir d’un retour agréable : Ce Jésus, leur disent-ils, qui en vous quittant s’est élevé ait ciel, viendra comme il y est monté. Vous vous affligez parce qu’il s’est élevé au ciel ; mais ne vous affligez plus, puisqu’il reviendra. Élisée voyant son maître quitter la terre, déchira ses vêtements, parce que, sans doute, il n’avait personne qui vînt lui dire qu’Élie reviendrait ; afin donc que les disciples de Jésus ne s’affligent pas, à l’exemple de celui d’Élie, des anges viennent les consoler dans leur tristesse. Telle est la première raison pour laquelle les anges paraissent. La seconde, et qui n’est pas moins forte, est celle qui leur fait ajouter : Ce Jésus qui s’est élevé au ciel. Expliquons un peu cette raison. Il s’est élevé au ciel, et la distance étant infinie, la portée de leur vue ne pouvait suffire pour voir un corps s’élever jusqu’aux cieux. Mais comme un aigle qui vole en haut, plus il s’élève, plus il se dérobe à nos regards : de même, plus le corps de Jésus-Christ s’élevait, plus il se dérobait aux, yeux de ses disciples, dont la faiblesse ne pouvait franchir un espace immense. Les anges qui paraissent, leur apprennent donc qu’il est monté au ciel, pour qu’ils sachent qu’il y est monté véritablement, et qu’ils ne s’imaginent pas qu’il n’y est monté que comme Élie. Voilà pourquoi ils ajoutent : Ce Jésus qui en vous quittant s’est élevé au ciel, paroles dont ils ne se servent point au hasard. Elie, comme serviteur, n’a paru que s’élever au ciel ; Jésus-Christ, comme Maître, s’y est élevé réellement. L’un est monté sur un char de feu, l’autre sur un nuage. Lorsqu’il fallait appeler le serviteur, on lui a envoyé un char ; lorsqu’il faut appeler le Fils, on lui envoie le trône royal, ou plutôt le trône même du Père ; car Isaïe dit du Père : Le Seigneur est assis sur un nuage léger. (Is. 19, 1.) Comme donc le Père est assis sur un nuage, c’est pourquoi il envoie un nuage à son Fils. Elie, en se retirant, a laissé tomber son manteau sur Élisée ; Jésus-Christ en montant aux cieux, envoie à ses disciples des dons spirituels, qui n’enfantent pas un seul prophète, mais des milliers d’Élisée, plus grands et plus illustres que le premier.
Élevons-nous donc, mes très chers frères, et tournons les yeux de notre esprit vers le retour de notre Sauveur : Dès que le signal aura été donné, dit saint Paul, par la voix de l’archange, le Seigneur lui-même descendra du ciel. Et nous autres, qui sommes vivants, qui serons demeurés ici-bas jusqu’alors, nous serons transportés dans les nues pour aller au-devant du Seigneur, au milieu des airs, mais non pas tous. Car, pour vous convaincre que nous ne serons pas tous transportés dans les nues, mais que les uns s’élèveront dans les airs, et que les autres resteront, écoutez ce que dit Jésus-Christ : Alors, de deux femmes qui moudront à un moulin, l’une sera prise et l’autre laissée ; de deux hommes qui seront dans un même lit, l’un sera pris et l’autre laissé. (Math. 29, 40 et 41.) Que signifie cette énigme ? Que veut dire ce mystère caché ? Par le moulin, Jésus-Christ nous désigne tous ceux qui vivent dans la pauvreté et dans la peine ; par le lit et le repos, il marque ceux qui sont dans les richesses et dans les honneurs : et voulant nous montrer que parmi les pauvres, les uns seront sauvés, les autres périront, il dit que de deux femmes qui moudront à un moulin, l’une sera prise et l’autre laissée. De deux hommes qui seront dans un même lit, l’un sera pris et l’autre laissé, dit-il encore, voulant faire entendre que les pécheurs seront laissés pour attendre leur punition, tandis que les justes seront transportés dans les nues. Lorsqu’un prince fait son entrée dans une ville, ceux qui sont constitués en honneurs et en dignités, ceux qui jouissent le plus de sa confiance, sortent de la ville pour aller à sa rencontre : tandis que les criminels, déjà condamnés par les tribunaux, restent enfermés dans les prisons publiques, pour attendre la sentence du prince : de même lorsque Jésus-Christ paraîtra, les justes qui ont sa confiance, iront au-devant de lui au milieu des airs ; tandis que les pécheurs qui ont commis une infinité de crimes, resteront en bas pour attendre le souverain Juge. Alors, nous serons transportés nous-mêmes dans les nues. Quand je dis nous, je ne me mets point au nombre de ceux qui jouiront de ce glorieux avantage : je ne suis pas assez dépourvu de sens et de raison pour ignorer mes propres fautes ; et si je ne craignais de troubler la joie de la fête présente, cette unique parole et le souvenir seul de mes péchés, me feraient verser un torrent de larmes. Mais comme je ne veux point mêler des idées tristes à la sainte allégresse que vous inspire cette fête, je termine ici mon instruction, en vous présentant une pensée qui rappellera sans cesse ce jour à votre mémoire.
Que le riche ne se réjouisse pas de ses richesses, que le pauvre ne s’afflige pas de sa pauvreté, mais que chacun s’afflige ou se réjouisse selon qu’il se sentira coupable ou innocent, car le riche n’est pas heureux, ni le pauvre misérable ; mais celui qui sera jugé digne d’être transporté dans les nues, fût-il le plus indigent des hommes, est heureux et trois fois heureux ; comme celui qui est déchu de la grâce, fût-il le plus opulent des mortels, en est aussi le plus misérable et le plus à plaindre. Je parle ainsi, afin que ceux qui vivent dans le péché se pleurent eux-mêmes, et que ceux qui sont pleins de bonnes œuvres, prennent de l’assurance ; ou plutôt, afin que les uns ne prennent pas seulement de l’assurance, mais qu’ils se confirment dans le bien ; et que les autres ne se contentent pas de pleurer, mais qu’ils changent, puisque celui qui a vécu dans le vice peut y renoncer, revenir à la vertu, et jouir des mêmes priviléges que ceux qui ont toujours mené une vie, sage. Soyons donc nous-mêmes empressés à agir d’après ces principes. Que ceux d’entre nous qui peuvent se rendre le témoignage d’avoir pratiqué la piété,. y restent fidèles, qu’ils augmentent sans cesse ce trésor précieux, et ajoutent continuellement à leur confiance. Que ceux qui sont dans la crainte, parce qu’ils se sentent coupables d’une infinité de péchés, se convertissent, afin qu’étant remplis de la confiance des justes, nous recevions tous, d’un commun accord, le Roi des anges, avec toute la gloire qui lui est due, et que nous goûtions une joie bienheureuse en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient la gloire et l’empire, avec le Père et l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.