4e dimanche après la Pentecôte

L’Année liturgique ~ Le quatrième dimanche après la Pentecôte

Le quatrième Dimanche après la Pentecôte fut longtemps appelé en Occident le Dimanche de la Miséricorde, parce qu’on y lisait autrefois le passage de saint Luc commençant par ces mots : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. » Mais cet Évangile ayant été depuis transféré à la Messe du premier Dimanche après la Pentecôte, on fit de l’Évangile du cinquième Dimanche celui du quatrième ; celui du sixième passa au cinquième, et ainsi de suite jusqu’au vingt-troisième. Le chan­gement dont nous parlons n’eut lieu toutefois qu’assez tard dans un certain nombre d’Églises[1], et ne fut même reçu universelle­ment qu’au 16ème siècle.

Pendant que la série des lectures évangéliques remontait ainsi d’un degré dans presque toute sa longueur, les Épîtres, Oraisons et parties chantées des anciennes Messes étaient, à peu d’exceptions près, maintenues en leurs places accoutumées. Le rapport que les liturgistes des 11ème, 12ème et 13ème siècles avaient cru trouver, pour chaque Dimanche, entre l’Évangile primitif et le reste de la Liturgie, ne pouvait donc plus se soutenir comme auparavant. L’Église, en écartant des rapprochements parfois trop subtils, n’entendait pas néanmoins condamner ces auteurs, ni détourner ses fils de rechercher dans leurs ouvrages une édifica­tion d’autant plus saine qu’elle est puisée souvent aux sources authentiques des anciennes Liturgies. Nous profiterons de leurs travaux, sans oublier que l’harmonie principale à chercher dans les Messes du Temps après la Pentecôte n’est autre que l’unité du Sacrifice même.

Chez les Grecs, l’absence de toute préoccupation d’agencement méthodique est plus sensible encore. Ils commencent au lende­main de la Pentecôte la lecture de saint Matthieu, et la conti­nuent, en suivant l’ordre de la narration du livre sacré, jusqu’à la fête de l’Exaltation de la sainte Croix en septembre. Saint Luc succède alors à saint Matthieu, et se lit de la même manière. Leurs semaines et Dimanches n’ont point, en ce temps, d’autre dénomination que celle de l’Évangile de chaque jour ou de l’Évangéliste en cours de lecture ; notre premier Dimanche après la Pentecôte est pour eux le premier Dimanche de saint Matthieu, celui auquel nous sommes arrivés le quatrième du même Évan­géliste.

Nous avons rappelé, au temps de Pâques, la majesté du huitième jour substitué au Sabbat des Juifs, et devenu le jour sacré du nouveau peuple. « La sainte Église, qui est l’Épouse, disions-nous (Mystique du Temps pascal), s’associe à l’œuvre même de l’Époux. Elle laisse s’écouler le samedi, ce jour que son Époux passa dans le lugubre repos du sépulcre ; mais, illuminée des splendeurs de la Résurrection, elle consacre désormais à la contemplation de l’œuvre divine le premier jour de la semaine, qui vit tour à tour sortir des ombres et la lumière matérielle, première manifestation de la vie sur le chaos, et celui-là même qui, étant la splendeur éternelle du Père, a daigné nous dire : « Je suis la lumière du monde (s. Jean 8, 12) ».

Telle est l’importance de la liturgie dominicale destinée à célébrer chaque semaine de si grands souvenirs, que les Pontifes romains se refusèrent longtemps à multiplier au calendrier les fêtes d’un degré supérieur à celui du Dimanche, afin de conserver à celui-ci sa prérogative légitime et ses droits séculaires. Leur réserve à cet égard ne s’était point démentie jusque dans la seconde moitié du 17ème siècle. Elle céda enfin devant la nécessité de répondre plus efficacement aux attaques dont le culte des Saints était devenu l’objet de la part des Protestants et des Jansénistes leurs frères. Il devenait urgent de rappeler aux fidèles que l’honneur rendu aux serviteurs n’enlève rien à la gloire du Maître, que le culte des Saints, membres du Christ, n’est que la suite et le développement de celui qui est dû au Christ leur Chef ; l’Église devait à son Époux une protestation contre les vues étroites de ces novateurs qui n’allaient à rien moins qu’à tronquer le dogme de la divine Incar­nation, en le séparant de ses ineffables conséquences. Ce ne fut donc point sans une influence particulière du divin Esprit que le Siège apostolique consentit alors à déclarer du rite double plusieurs fêtes anciennes ou nouvelles ; pour appuyer la solen­nelle condamnation des nouveaux hérétiques, il convenait en effet de rendre moins rare la célébration des vertus des Saints en ce jour du Dimanche, réservé tout spécialement aux solennelles démonstrations de la foi catholique et aux grandes réunions de la famille chrétienne.

La liturgie dominicale ne fut point d’ailleurs complètement déshéritée, dans les jours mêmes où elle dut céder le pas désor­mais à quelque fête particulière puisqu’on en fait mémoire. Rappelons aussi qu’après l’assistance à la Messe solennelle et aux Heures canoniales, l’un des meilleurs moyens d’accomplir le précepte de la sanctification du jour du Seigneur est de méditer et d’approfondir, en notre particulier, les enseignements contenus dans l’Épître et l’Évangile proposés chaque Dimanche à notre attention par la sainte Église.

(La réforme de Pie XII et Jean XXIII redonna aux dimanches leur place privilégiée. Note de l’éditeur.)

À la Messe

L’Église a commencé au lendemain de la Sainte-Trinité, dans l’Office de la nuit, la lecture des livres des Rois ; elle est entrée cette nuit même dans l’admirable récit du triomphe de David sur Goliath, le géant Philistin. Or quel est pour l’Église le vrai David, sinon le chef divin qui mène depuis dix-huit cents ans l’armée des saints à la victoire ? N’est-elle pas elle-même en toute vérité la fille du roi (1 Reg. 17, 25-27) promise au vainqueur de ce combat singulier du Christ et de Satan qui, au Calvaire, sauva le véritable Israël et vengea l’injure faite au Dieu des armées ? Toute pénétrée encore des sentiments que cet épisode de l’histoire sacrée a rani­més en son cœur d’Épouse, elle emprunte dans l’Introït les paro­les de David (Ps 26) pour chanter les hauts faits de l’Époux, et proclamer la confiance dans laquelle son triomphe l’a établie pour jamais.

Introït

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; qui craindrai-je ? Le Seigneur est le défenseur de ma vie ; qui me fera trem­bler ? Les ennemis qui me persécutent ont été affaiblis eux-mêmes et sont tombés. Ps. Quand des armées s’élèveraient contre moi, mon cœur serait sans crainte. Gloire au Père. Le Seigneur.

L’Église, malgré sa confiance dans le secours du ciel pour les jours mauvais, demande cependant toujours la paix du monde au Dieu très-haut. Si, en face du combat, l’Épouse tressaille à la pensée de pouvoir prouver son amour, la Mère commune craint pour ses fils dont plusieurs, qu’une vie tranquille eût sauvés, périront dans l’épreuve. Prions avec elle dans la Collecte.

Collecte

Faites, nous vous en supplions, Seigneur, que par votre Providence la marche du monde soit pour nous pacifique, et que votre Église se réjouisse dans les démonstrations d’une piété sans alarmes. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Épître
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Romains. Chap. 8.

Mes Frères, j’estime que les souffrances de la vie présente sont sans proportion avec la gloire future qui doit se mani­fester en nous. Car la création est en suspens dans l’attente de la manifestation des enfants de Dieu. La création en effet est soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de celui qui lui donne dans cette sujétion l’espérance. Un jour, elle aussi, la création sera délivrée de cet asservissement à la corruption, pour participer à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Car nous savons que jusqu’à présent toute créature est en travail et anxieuse. Et ce n’est pas elle seulement ; mais nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous soupirons nous aussi dans nos cœurs, attendant la pleine adoption des enfants de Dieu, la rédemption de nos corps dans le Christ Jésus notre Seigneur.

Les prémices de l’Esprit sont la grâce et les vertus qu’il a déposées dans nos âmes comme le gage du salut et le germe de la gloire future. Affermie par la foi dans la possession de ces arrhes divi­nes, l’humanité régénérée garde comme réconfort, au sein des misères dont sa vie est remplie, la conscience de ses nobles desti­nées. C’est en vain que Satan prétend reprendre sur elle de haute lutte les droits abolis de ses anciennes victoires : si laborieuse que puisse être la défense d’une terre une première fois saccagée par l’ennemi, l’espérance chrétienne revêt l’homme ici-bas d’une force céleste. Pénétrant pour lui jusqu’à l’intérieur du voile (Héb. 6, 19), elle lui rappelle sans cesse la disproportion signalée par l’Apôtre entre les fatigues de la route et la consommation des vrais biens qui l’attendent dans la lumière béatifique de la patrie. Les promesses de son Dieu, les merveilleuses avances du Paraclet dans le passé et le présent lui assurent l’avenir. Bien plus ; la terre qui le porte, cette terre fangeuse et obscure qui l’enchaîne aujourd’hui sous les sens, excite elle-même directement ses aspi­rations supérieures et les partage à sa manière. C’est la doctrine de saint Paul dans notre Épître : les changements désordonnés, les vicissitudes inquiètes de la création matérielle appellent, avec la destruction du péché, le triomphe final et universel sur la cor­ruption qui en fut la suite. L’état présent du monde fournit donc, lui aussi, son spécial et très sûr motif à la sainte vertu d’espérance. Ceux-là seuls pourraient s’en trouver étonnés qui ne sauraient pas jusqu’à quel point l’élévation de l’homme à l’état surnaturel a fait, dès le commencement, la vraie noblesse du monde soumis à son empire. Mais leur science incomplète prétendrait vainement chercher ailleurs l’explication de l’œuvre divine et la raison de toute chose. La vérité qui explique tout sur la terre et au ciel, l’axiome divin, principe et fondement des mondes, est que Dieu, qui nécessairement fait tout pour sa gloire, a librement placé la consommation de cette gloire souveraine dans le triomphe de son amour par l’ineffable mystère de l’union divine réalisé dans sa créature. L’union divine à conquérir étant donc par la volonté de Dieu le seul but, est aussi l’unique loi, la loi vraiment vitale et constitutive de la création. Lorsque l’Esprit, planant sur le chaos, adaptait aux vues de l’amour infini la matière informe, les éléments divers et les atomes sans nombre du monde en préparation puisaient donc bien réellement dans cet amour infini le principe de leurs développements et mouvements ultérieurs ; ils recevaient pour mission unique d’aider l’Esprit en leur mesure à conduire l’homme, l’élu de la Sagesse éternelle, au terme suprême des noces divines. Le péché, brisant l’alliance, eût du même coup détruit le monde en lui enlevant sa raison d’être, sans l’incompréhensible patience du Dieu outragé et les merveil­leuses retouches apportées au plan premier par l’Esprit d’amour. Mais l’état violent de la lutte et de l’expiation remplaçait désor­mais la marche sans contrainte du roi de la création, l’épanouissement spontané du dieu en fleurs ; l’union divine ne devait plus être pour le monde que le fruit d’un enfantement douloureux, où les gémissements et les pleurs allaient précéder longtemps les chants du triomphe et de l’épithalame.

Les hommes qui ne connaissent d’autre loi que celle de la chair auront beau néanmoins s’obstiner à fermer aux enseignements de la révélation positive leurs oreilles et leurs cœurs : la matière même condamnera toujours leur matérialisme ; la nature, qu’ils invoquent comme unique autorité, prêche par ses mille voix le surnaturel aux quatre vents du monde ; la création bouleversée, dévoyée par la chute, proclame plus haut que jamais, dans sa misère anxieuse, la fin sublime du roi tombé dont elle est l’apanage. Mystérieuses souffrances des éléments, gémissements ineffables dont parle l’Apôtre, larmes des choses, soupirs sans nom qu’ont chantés les poètes (Virg. En. 1, 462), vous êtes bien en effet la vraie poésie de cette terre de l’épreuve ; car vous ramenez qui sait vous comprendre et se laisse pénétrer de votre suave et douloureuse harmonie, jusqu’à la source même de toute beauté et de tout amour ! L’antiquité vous connut ; mais l’intelligence faussée de ses prétendus sages dénatura vos accents, et ne fit plus de vous que la voix stérile d’un hideux panthéisme. Le règne du Paraclet ne s’était point encore levé sur le monde ; lui seul devait donner à l’humanité, en même temps que la connaissance dis­tincte de l’Esprit créateur, la clef de cette langue mystérieuse de la nature, de ces aspirations puissantes et universelles dont le secret vient de lui tout entier. Mais nous le savons aujourd’hui : l’Esprit du Seigneur a rempli l’univers (Sap. 1, 7) ; le témoin divin qui atteste à nos âmes que nous sommes les fils de Dieu (Rom. 8, 16) a porté jusqu’aux extrémités de la création son précieux témoi­gnage, et la création entière tressaille, impatiente de voir se lever le grand jour qui montrera ces fils de Dieu dans leur gloire. Car ayant à cause d’eux partagé leurs souffrances, elle sera délivrée comme eux, et participera des splendeurs de leurs trônes. « Comme en effet, dit saint Jean Chrysostome, la nourrice d’un enfant royal, lorsqu’il entre en possession du royaume paternel, voit elle-même s’élever sa fortune, ainsi fera la création… Comme encore les hommes, lorsque leur fils doit paraître dans l’éclat d’une dignité nouvelle, revêtent en son honneur les serviteurs eux-mêmes d’une robe plus brillante, ainsi Dieu revêtira d’incorruption toute créature au jour de la délivrance et de la gloire de ses fils (In ép. ad Rom. Hom. 14, 5). »

Le Graduel fait monter jusqu’à Dieu la voix des chrétiens trop souvent pécheurs qui, se sentant indignes de secours, implorent néanmoins son intervention pour sa gloire à lui-même ; car ils n’en sont pas moins les soldats du Dieu des armées, et leur cause est la sienne. Le Verset alléluiatique nous montre l’Église, ici-bas pauvre et persécutée, dirigeant sa prière confiante vers le trône des justices de son Époux.

Graduel

Pardonnez nos péchés, Seigneur, de peur que les nations ne disent : Où est leur Dieu ? V/. Aidez-nous, ô Dieu notre Sauveur : et pour l’honneur de votre Nom, Seigneur, délivrez-nous. Alléluia, alléluia. V/. O Dieu assis sur votre trône et jugeant dans l’équité, soyez le refuge des pauvres en leur tribulation. Alléluia.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. 5.

En ce temps-là, il arriva que Jésus se tenant près du lac de Génézareth et la foule se précipitant vers lui pour entendre la parole de Dieu, il vit sur le bord deux barques dont les pêcheurs étaient descendus et lavaient leurs filets. Montant donc sur l’une d’elles qui était à Simon, il le pria de s’éloigner un peu de terre ; et s’étant assis, il enseignait la foule de dessus la barque. Lorsqu’il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en pleine mer, et jetez vos filets pour la pêche. Et Simon répondant, lui dit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre ; mais sur votre parole je jetterai le filet. Et l’ayant fait, ils prirent une quan­tité de poissons si grande que leur filet se rompait. Ils firent donc signe à leurs compagnons qui étaient dans l’autre bar­que de venir les aider ; ils y vinrent, et remplirent tellement les deux barques qu’elles étaient presque submergées. Ce que voyant Simon Pierre, il se précipita aux genoux de Jésus, disant : Retirez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un homme pécheur. Car il avait été saisi de stupeur ainsi que tous ceux qui étaient avec lui, à la vue de cette pêche qu’ils avaient faite ; et il en avait été de même pour Jacques et Jean fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon. Or, Jésus dit à Simon : Ne crains point, désormais tu seras pêcheur d’hommes. Ramenant donc leurs barques à terre et laissant tout, ils le suivirent.

La prophétie de Jésus à Simon fils de Jean est maintenant accomplie. Au jour où descendit l’Esprit-Saint, nous avons admiré la puissance des premiers coups de filet du pêcheur d’hommes amenant l’élite d’Israël aux pieds du Christ Sauveur. Mais la barque de Pierre ne devait pas rester longtemps confinée dans les eaux juives. L’humble nacelle a gagné la haute mer ; elle vogue désormais sur les eaux profondes qui sont, nous dit saint Jean, les nations et les peuples (Apoc. 17, 15). Le vent violent, les vagues houleuses et la tempête n’effraient plus le batelier de Tibériade ; il sait qu’il porte à son bord le maître des flots, celui dont l’abîme est comme le vêtement (Psalm. 103, 6). Pénétré de la force d’en haut (s. Luc 24, 49), il a jeté sur l’Océan immense le filet de la prédication apostolique, vaste comme le monde, et qui seul doit amener les fils du grand poisson (Titul. S. Abercii), de l’Ichthus céleste (Inscript. Augustod.), à la rive éternelle. Il est grand ce rôle de Pierre qui, encore bien qu’il ait des compagnons dans sa divine entreprise, les domine tous cependant comme leur chef incontesté, comme le maître de la barque où Jésus commande en sa personne et dirige les opérations du salut universel. L’Évangile d’aujourd’hui prépare donc ou résume très opportunément les enseignements de la fête du Prince des Apôtres, toujours voisine du quatrième Dimanche après la Pentecôte. Mais cette proximité même nous permet de laisser à ce grand jour la considération plus détaillée des gloires inhérentes au vicaire du Christ, et d’insister en ce moment sur les autres mystères contenus dans le récit qui nous est proposé par la sainte Église .

Les Évangélistes nous ont conservé le souvenir de deux pêches miraculeuses faites par les Apôtres en présence de leur Maître : l’une décrite par saint Luc, et qui vient de nous être rappelée ; l’autre dont le disciple bien-aimé nous invitait à scru­ter, au Mercredi de Pâques, le profond symbolisme. Dans la première, qui se rapporte au temps de la vie mortelle du Sauveur, le filet, jeté au hasard, se rompt sous la multitude des poissons captifs, sans que leur nombre ou leurs qualités soient marqués autrement par l’Évangéliste ; dans la seconde, le Seigneur ressus­cité indique aux disciples la droite de la barque, et, sans rompre le filet, cent cinquante-trois gros poissons abordent au rivage où Jésus les attend pour les joindre au pain et au poisson mystérieux d’un festin préparé par lui-même. Or, expliquent d’une commune voix tous les Pères, ces deux pêches figurent l’Église : l’Église dans le temps d’abord, et plus tard dans l’éternité. Maintenant l’Église est multitude, elle englobe sans compter bons et mauvais ; après la résurrection, les bons seuls formeront l’Église, et leur nombre sera précisé, fixé pour jamais. « Le royaume des cieux, nous dit le Sauveur, est semblable à un filet jeté dans la mer et rassemblant des poissons de toutes sortes ; lorsqu’il est plein, on le retire pour choisir les bons et rejeter les mauvais (s. Matth. 13, 47-48). »

Les pêcheurs d’hommes ont lancé leurs filets, dit saint Augustin ; ils ont pris cette multitude de chrétiens que nous contemplons dans l’admiration ; ils en ont rempli les deux barques, figures des deux peuples Juif et Gentil. Mais qu’avons-nous entendu ? La multitude surcharge les barques, et les met en danger de nau­frage : ainsi voyons-nous aujourd’hui que la foule hâtive et confuse des baptisés alourdit l’Église. Beaucoup de chrétiens vivent mal, et ils troublent, ils retardent les bons. Mais pire encore font ceux qui rompent le filet par leurs schismes ou leurs hérésies : poissons impatients du joug de l’unité qui ne veulent point venir au festin du Christ, ils se complaisent en eux-mêmes ; prétextant qu’ils ne peuvent vivre avec les méchants, ils brisent les mailles qui les retenaient dans le sillage apostolique et péris­sent loin du bord. En combien de lieux n’ont-ils pas brisé de la sorte l’immense filet du salut ? Les Donatistes en Afrique, les Ariens en Égypte, en Phrygie Montan, Manès en Perse, et depuis combien d’autres ont excellé dans l’œuvre de rupture ! N’imitons point leur démence orgueilleuse. Si la grâce nous fait bons, prenons en patience la compagnie des mauvais dans les eaux de ce siècle. Que leur vue ne nous pousse ni à vivre comme eux, ni à sortir de l’Église : la rive est proche où ceux de la droite, où les bons seuls seront admis, et d’où les méchants seront rejetés à l’abîme (Aug. Serm. 248-252, passim.).

Dans l’Offertoire, l’armée des chrétiens demande cette lumière de la foi qui seule peut lui assurer la victoire, en lui découvrant l’ennemi et ses multiples embûches. Pour le fidèle la nuit n’a point d’ombre, et la clarté du céleste flambeau chasse de ses yeux le sommeil funeste qui bientôt amènerait la défaite et la mort.

Offertoire

Illuminez mes yeux, de peur que je ne m’endorme dans la mort, de peur que mon ennemi ne dise un jour : J’ai prévalu contre lui.

Les dons offerts sur l’autel pour la transformation toute-puissante du Sacrifice sont la figure des fidèles eux-mêmes. C’est pourquoi l’Église, dans la Secrète, prie le Seigneur d’attirer et de changer en même temps que ces dons nos volontés indociles. Rappelons-nous que de tous les poissons rassemblés dans le filet mystique, ceux-là seuls, nous disent les Pères, seront les élus de la rive éter­nelle, « qui vivent de façon à mériter d’être présentés par les pêcheurs de l’Église au festin du Christ (Bruno Ast. Expos, in Gen. c. 1) ».

Secrète

Laissez-vous toucher par nos offrandes, nous vous en sup­plions, Seigneur ; et soumettez miséricordieusement à votre empire nos rebelles volontés. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Le Dieu qui fit triompher la faiblesse de David du géant philistin se donne à nous dans les sacrés Mystères. Chantons, avec le Psaume d’où l’Antienne de la Communion est tirée, sa force misé­ricordieuse qui se fait nôtre au Sacrement.

Communion

Le Seigneur est mon appui, mon refuge et mon libérateur ; mon Dieu est mon aide.

Saint Augustin (Contra Faust. L. 12, 20) donne le nom de Sacre­ment de l’espérance au mystère divin dans lequel l’Église pro­clame et restaure chaque jour ici-bas son unité sociale. L’union réelle, quoique voilée encore, du Chef et des membres au banquet de la Sagesse éternelle dépasse en effet de beaucoup, comme gage des gloires futures de l’humanité régénérée, cette attente doulou­reuse des éléments dont nous parlait l’Apôtre en l’Épître du jour. Demandons, dans la Postcommunion, que nos souillures soient effacées et n’empêchent point la plénitude de l’effet de ce Sacre­ment, dont la vertu peut nous conduire jusqu’à la perfection consommée du salut.

Postcommunion

Daignez faire, Seigneur, que ces Mystères nous purifient, et nous gardent par leur vertu. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Autres liturgies

L’Antienne et les Répons qui suivent, empruntés par l’Office de ce jour au premier Livre des Rois, nous aideront à pénétrer dans l’ordre de considérations où l’Église se plaît à voir entrer ses fils.

Antienne et répons

Ant. David l’emporta sur le Philistin avec une fronde et une pierre, au nom du Seigneur.

R/. Dieu exauce tous ceux qui l’invoquent ; c’est lui qui a envoyé son Ange et m’a pris du milieu des brebis de mon père : * Pour m’oindre de l’onction de sa miséricorde.

V/. C’est le Seigneur qui m’a délivré de la gueule du lion et de la griffe des fauves. * Pour m’oindre.

R/. Le Seigneur qui m’a délivré de la gueule du lion et de la griffe des fauves : * M’arrachera de même aux mains de mes ennemis.

V/. Dieu a envoyé sa miséricorde et sa vérité, il a arraché mon âme du milieu des petits du lion. * Il m’arrachera.

R/. Saül en a tué mille, et David dix mille : * Parce que la main du Seigneur était avec lui, il a frappé le Philistin et enlevé l’opprobre d’Israël.

V/. N’est-ce pas là ce David dont on chantait dans les chœurs : Saül en a tué mille, et David dix mille ? * Parce que.

Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit. * Parce que.

Ajoutons la Préface très ancienne de l’Église Romaine pour ce jour. On doit savoir en effet qu’autrefois les Préfaces étaient bien plus multipliées que de nos jours, et qu’en particulier chaque Dimanche avait la sienne.

Préface

C’est une chose vraiment digne de vous rendre grâces, Dieu éternel. Car voici que sont à nous ces jours solennels où notre mortalité se voit offrir un commerce immortel : à la vie du temps se substitue l’éternité, la peine du péché purifie les péchés, et, par un procédé merveilleux, de la perte sort le salut ; ainsi l’état de l’humaine condition qu’une arrogante félicité avait conduite à tristesse, est ramené dans une hum-ble retenue par la douleur aux joies éternelles.

Terminons par cette Oraison qui revient plus d’une fois dans les formules de la Liturgie ambrosienne à cette époque de l’année, et se retrouve aussi au Sacramentaire gélasien.

Oraison

Ô Dieu qui assurez demeurer dans les cœurs droits et sincères ; accordez-nous d’être tels par votre grâce, que vous daigniez habiter en nous. Par Jésus-Christ.

 

[1] Cf. cum Missali hodierno Bern. Aug. De offic. Mis. cap. 5 ; Microlog. De eccl. obs. cap. 61 ; Honor. Augustod. Gemma animas, 1. 4 ; Rupert. De div. Off. 1. 12 ; Durand. 1. 6 ; etc.