15 septembre
Les sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie

15 septembre
Les sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie

Ô vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est douleur pareille à ma douleur (Thren. 1, 12) ! Est-ce donc le premier cri de la douce Marie dont nous venons de fêter la nativité ? Fallait-il arborer si tôt le drapeau de la souffrance sur le berceau où repose tant d’innocence et d’amour ? Le cœur de l’Église pourtant ne l’a pas trompée ; cette fête, à cette date, est toujours la réponse à la question de l’humanité dans l’attente : Que sera cette enfant ?

Raison d’être de Marie, le Sauveur à venir doit en être en tout l’exemplaire. C’est à titre de Mère que fut annoncée, qu’est apparue la Vierge bénie, et dès lors à titre de Mère de douleurs, parce que le Dieu dont la naissance prochaine est le motif de sa propre naissance sera en ce monde l’homme des douleurs et de l’infirmité (Isaï. 53). À qui vous comparer ? chante le prophète des lamentations : ô Vierge, votre affliction est comme l’océan (Thren. 2, 13). Sur la montagne du Sacrifice, comme mère elle donna son fils, comme épouse elle s’offrit avec lui ; par ses souffrances d’épouse et de mère, elle fut la corédemptrice du genre humain. Une première fête des Douleurs de Marie, préludant aux récits de la grande Semaine, a gravé dans nos âmes cet enseignement et ces souvenirs.

Le Christ ne meurt plus (Rom. 6, 9) ; pour Notre-Dame, de même, toute souffrance a cessé. Néanmoins la passion du Christ se poursuit dans ses élus, dans son Église contre laquelle, à son défaut, se rue l’enfer. À cette passion du corps mystique dont elle est aussi mère, la compassion mystérieuse de Marie reste acquise ; que de fois ne l’ont pas attesté les larmes coulant des yeux de ses images les plus vénérées ! Là encore, là surtout, est aujourd’hui l’explication de cette reprise inaccoutumée par la Liturgie sainte d’une fête célébrée déjà dans une autre saison sous un titre identique.

Le lecteur qui compulse le recueil des ordonnances du Siège apostolique sur les Rites sacrés, s’étonne d’y rencontrer après le 20 mars 1809 une interruption prolongée ; lacune insolite, ne prenant fin que le 18 septembre 1814 par le décret qui institue une nouvelle commémoration des Douleurs de la Bienheureuse Vierge. 1809‑1814 : lustre fatal où le gouvernement de la chrétienté demeura suspendu ; années de sang qui revirent l’agonie de l’Homme-Dieu dans son Vicaire captif de Napoléon. Toujours debout près de la Croix cependant, la Mère des douleurs offrait à Dieu les souffrances de l’Église ; à la suite de l’épreuve, n’ignorant pas d’où lui venait la miséricorde reconquise, Pie VII dédiait ce jour à Marie comme mémorial nouveau de la journée du Calvaire.

Dès le 17e siècle, les Servites étaient par privilège en possession de cette seconde fête, qu’ils célèbrent solennellement avec vigile et octave. C’est d’eux que l’Église voulut en emprunter l’Office et la Messe. Honneur et privilège bien dus à cet Ordre, établi par Notre-Dame sur le culte de ses souffrances, et qui s’en était fait l’apôtre. Héritier des sept bienheureux fondateurs, Philippe Benizi propagea la flamme allumée par eux sur les hauteurs du mont Senario ; grâce au zèle de ses successeurs et fils, la dévotion des sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie, jadis pour eux patrimoine de famille, est aujourd’hui le trésor de la terre entière.

La prophétie du vieillard Siméon, la fuite en Égypte, la perte de l’Enfant divin dans Jérusalem, le portement de Croix, le crucifiement, la descente de Croix, la sépulture de Jésus : septuple mystère, autour duquel Notre-Dame aime à voir grouper les aspects quasi infinis des souffrances qui firent d’elle la Reine des Martyrs, la première rose et la plus belle du champ de Dieu. Ayons à cœur la recommandation du livre de Tobie, dont l’Église fait lecture cette semaine en l’Office du Temps : Honorez votre Mère, et n’oubliez jamais les douleurs qu’elle a endurées pour vous donner la vie (Tob. 4, 3-4).

À la Messe

Sous les magnificences de la sainte Liturgie, le Sacrifice quotidien n’est autre substantiellement que celui du Calvaire. Comme assistance au pied de la Croix dans la journée de la grande oblation, le chant d’entrée nous montre quelques femmes, un seul homme, faisant cortège en larmes à la Mère des douleurs. Nous retrouverons dans l’Évangile cet Introït et jusqu’à son Verset qui, contre l’usage, n’est pas emprunté des Psaumes.

Introït

Debout près de la Croix de Jésus, étaient sa Mère et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Salomé, et Marie‑Madeleine.V/. Femme, voilà votre fils, dit Jésus. Et au disciple : Voilà votre mère. Gloire au Père. Debout.

Le culte des Douleurs de Marie n’est point une distraction fâcheuse, détournant nos pensées de la victime unique du salut. Comme l’exprime la Collecte au contraire, son résultat direct est de faire fructifier en nous la passion du Sauveur.

Collecte

O Dieu en la passion duquel, comme Siméon l’avait prédit, un glaive de douleur transperça l’âme très douce de la glorieuse Marie Vierge et Mère ; accordez-nous, dans votre miséricorde, que le souvenir et le culte de ce qu’elle a ainsi souffert nous obtienne le fruit heureux de votre passion. Vous qui vivez.

Épître
Lecture du livre de Judith. Chap. 13

Le Seigneur vous a bénie dans sa force, réduisant par vous à néant nos ennemis. O fille de notre race, le Seigneur Dieu très haut vous a bénie plus que toutes les femmes qui sont sur la terre. Béni soit le Seigneur qui a créé le ciel et la terre ; car il a en ce jour exalté votre nom de telle sorte que votre louange ne cessera plus dans la bouche des humains : à jamais ils auront souvenir de la puissance du Seigneur, et comment, n’épargnant point votre âme en présence du malheur et de l’angoisse de votre peuple, vous êtes intervenue devant notre Dieu pour empêcher sa ruine.

O grandeur de notre Judith entre les créatures ! « Dieu, dit le pieux et profond Père Faber, Dieu semble choisir en lui les choses qui sont le plus incommunicables pour les communiquer à Marie d’une manière mystérieuse. Voyez comme il l’a déjà mêlée aux desseins éternels de l’univers dont il la rend presque cause et type partiel. La coopération de la sainte Vierge au salut du monde nous présente un nouvel aspect de sa magnificence. Ni l’Immaculée Conception, ni l’Assomption ne nous donnent une plus haute idée de Marie que le titre de corédemptrice. Ses douleurs n’étaient pas nécessaires à la rédemption, mais dans les conseils de Dieu elles en étaient inséparables. Elles appartiennent à l’intégrité du plan divin. Les mystères de Jésus ne sont-ils pas ceux de Marie, et les mystères de Marie ne sont-ils pas ceux de Jésus ? La vérité paraît être que tous les mystères de Jésus et ceux de Marie n’étaient pour Dieu qu’un seul mystère. Jésus lui-même est la douleur de Marie sept fois répétée, sept fois agrandie. Durant les heures de la Passion, l’offrande de Jésus et celle de Marie étaient réunies en une seule. Quoique de dignité, de valeur évidemment différentes, elles étaient offertes avec des dispositions semblables, allant du même pas, embaumées des mêmes parfums, consumées par le même feu ; oblation simultanée faite au Père par deux cœurs sans tache pour les péchés d’un monde coupable, dont ils avaient librement assumé les démérites (Faber, Le Pied de la Croix, 9, 1, 2). »

Aux tourments de la grande Victime, aux pleurs de Marie, sachons unir nos larmes. C’est dans la mesure où nous l’aurons fait en cette vie, que nous pourrons nous réjouir au ciel avec le Fils et la Mère ; si Notre-Dame, comme chante le Verset, est elle‑même aujourd’hui reine du ciel et souveraine du monde, il n’est personne parmi les élus dont les souvenirs de souffrance puissent être comparés aux siens.

À la suite du Graduel, la touchante complainte attribuée au bienheureux franciscain Jacopone de Todi, le Stabat Mater, nous donnera une belle formule de prière et d’hommage à la Mère des douleurs.

Graduel

Votre douleur attire les larmes, Vierge Marie, qui vous tenez debout près de la Croix du Seigneur Jésus votre Fils, le Rédempteur. V/. Vierge Mère de Dieu, celui que le monde entier ne saurait contenir, c’est lui l’auteur de la vie, s’étant fait homme, qui subit ce supplice de la croix.

Alleluia, alleluia. V/. Près de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ était debout, pleine de douleur, sainte Marie, la Reine du ciel et la souveraine du monde.

Séquence

Stabat Mater dolorosa
Juxta Crucem lacrymosa,
Dura pendebat filius.

Cujus animam gementem,
Contristatam, et dolentem,
Pertransivit gladius.

O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti !

Quae mœrebat, et dolebat,
Pia Mater dum videbat
Nati pœnas inclyti.

Quis est homo qui non fleret,
Matrem Christi si videret In tanto supplicio ?

Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio ?

Pro peccatis suae gentis
Vidit Jesum in tormentis,
Et flagellis subditum.

Vidit suum dulcem natum
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.

Eia, Mater, fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.

Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.

Sancta Mater, istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.

Tui nati vulnerati,
Tam dignati pro me pati,
Pœnas mecum divide.

Fac me tecum pie flere, Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.

Juxta crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.

Virgo virginum praeclara,
Mihi jam non sis amara :
Fac me tecum plangere.

Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.

Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore filii.

Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus,
In die judicii.

Christe, cum sit hinc exire,
Da per Matrem me venire
Ad palmam victoriae.

Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria.
Amen. Alleluia.

Debout au pied de la croix
à laquelle son fils était suspendu,
la Mère des douleurs pleurait.

Son âme, gémissante
et désolée,
fut transpercée d’un glaive.

Oh ! qu’elle fut triste et affligée,
cette Mère bénie
d’un fils unique !

Elle gémissait et soupirait,
cette tendre Mère, en voyant
les angoisses de son fils.

Qui pourrait retenir ses larmes,
en voyant la Mère du Christ
en proie à cet excès de douleur ?

Qui pourrait contempler,
sans tristesse profonde, la Mère du Christ souffrant avec son fils ?

Pour les péchés de ses frères
Elle vit Jésus dans les tourments,
déchiré par les fouets.

Elle vit ce tendre fils mourant,
et sans consolation,
jusqu’au dernier soupir.

O Mère, ô source d’amour,
faites que je sente votre douleur,
que je pleure avec vous.

Faites que mon cœur brûle
dans l’amour du Christ mon Dieu,
et ne songe qu’à lui plaire.

Mère sainte, faites-le,
imprimez fortement dans mon cœur
les plaies du Crucifié.

Donnez-moi part aux peines
que votre fils flagellé
a daigné endurer pour moi.

Faites que je pleure avec vous,
que je compatisse à votre Crucifié,
tous les jours de ma vie.

Demeurer avec vous près de la croix, m’associer à votre deuil
tel est mon désir.

Vierge, la plus noble des vierges,
ne me soyez pas sévère,
laissez-moi pleurer avec vous.

Que je porte la mort du Christ,
que je partage sa Passion
et me remémore ses plaies.
Faites que je sois blessé de ses plaies que je sois enivré de la croix
et du sang de votre fils.

Gardez-moi des feux dévorants
ô Vierge défendez‑moi vous-même
au jour du jugement.

O Christ, quand il faudra sortir de cette vie, accordez-moi, par votre Mère, la palme victorieuse.

Lorsque mon corps mourra,
daignez accorder à mon âme
la gloire du paradis.
Amen. Alleluia.

 

Évangile
Suite du saint Évangile selon saint Jean Chap. 19

En ce temps-là, debout près de la Croix de Jésus, étaient sa Mère et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. Jésus ayant vu sa Mère, et debout près d’elle, le disciple qu’il aimait, il dit à sa Mère : Femme, voilà votre fils. Et ensuite il dit au disciple : Voilà votre mère. Et depuis cette heure, le disciple la prit chez lui.

Femme, voilà votre fils. — Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Paroles de Jésus sur la Croix. N’a-t-il donc plus ni Père au ciel, ni Mère ici-bas ! Mystère de justice, et encore plus d’amour : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné pour lui son Fils (s. Jean 3, 16), jusqu’à le substituer aux hommes pécheurs dans la malédiction (Gal. 3, 13) due au péché (1 Cor. 5, 21) ; et Notre-Dame, dans son union sublime au Père, n’a pas épargné davantage, mais livré comme lui (Rom. 8, 32) pour nous tous ce même Fils de sa virginité. Si de ce chef nous appartenons au Père souverain, nous sommes bien aussi à Marie désormais ; nous avons été, des deux parts, achetés d’un grand prix (1 Cor. 6, 20) : le Fils unique, échangé pour les fils d’adoption.

C’est au pied de la Croix que Notre-Dame est devenue véritablement la Reine de la miséricorde. Au pied de l’autel où le renouvellement du grand Sacrifice se prépare, recommandons‑nous de sa toute-puissance sur le divin Cœur.

Offertoire

O Vierge Mère de Dieu, souvenez-vous, quand vous serez en présence du Seigneur, de parler en notre faveur et de faire qu’il détourne de nous sa colère.

Combien de saintes âmes ne sont pas venues, dans la suite des âges, tenir compagnie fidèle à la Mère des Douleurs ! Leur intercession, jointe à celle de Marie, est la force de l’Église ; c’est par elle que nous espérons obtenir l’effet des mérites de la mort du Sauveur.

Secrète

Nous vous offrons prières et dons, Seigneur Jésus-Christ ; écoutez notre humble supplication, au souvenir de la Transfixion de la très douce âme de la bienheureuse Marie votre Mère : que sa très pieuse intervention, accrue de celle de tous les saints qui l’accompagnent au pied de la Croix, nous obtienne d’avoir part avec les bienheureux, grâce aux mérites de votre mort. Vous qui vivez.

Si grande, a-t-on pu dire, fut la douleur de Marie au Calvaire, que, divisée entre toutes les créatures capables de souffrir, elle les ferait toutes subitement mourir (Bernardin. Sen. Pro festivit. V. M. Sermo 13. De exaltatione B. V. in gloria, art. 2, c. 2). C’est l’admirable paix de Notre-Dame, maintenue quand même dans l’acquiescement parfait, dans l’abandon total de son être au Seigneur, qui put seule alors soutenir en elle une vie que l’Esprit‑Saint gardait pour l’Église. Puisse la communion des Mystères sacrés nous donner cette paix de Dieu qui surpasse tout sentiment, qui garde les intelligences et les cœurs (Philip. 4, 7).

Communion

Fortunées puissances de la bienheureuse Vierge Marie qui, sans mourir, méritèrent la palme du martyre au pied de la Croix du Seigneur.

Comme l’indique la Postcommunion, la mémoire pieuse des Douleurs de la divine Mère nous est d’un grand secours pour trouver tous les biens dans le Sacrifice de l’autel.

Postcommunion

Seigneur Jésus-Christ, puisse le Sacrifice auquel nous venons de participer, célébrant pieusement la Transfixion de la Vierge votre Mère, nous obtenir de votre clémence la réalisation de tous biens dans l’ordre du salut. Vous qui vivez.

On ajoute la Postcommunion du Dimanche correspondant, et l’Évangile de ce même Dimanche tient lieu, à la fin de la Messe, de celui de saint Jean.

À Vêpres

Capitule (Thren. 2)

À qui vous comparerai-je ? À qui dirai-je que vous ressemblez, fille de Jérusalem ? Où trouverai-je quelque chose d’égal à vos maux ? Et comment pourrai-je vous consoler, ô Vierge fille de Sion ? Votre affliction est grande comme la mer.

Hymne

O pluie de larmes ! ô abîme de douleur ! Dans ses bras étendu, la Vierge Mère en deuil voit son fils détaché de l’arbre sanglant.

O bouche aimée, poitrine suave, côté percé malgré sa douceur ; et ses deux mains dont la droite est trouée et la gauche, elle aussi, blessée ; et ses pieds rouges de sang : de quels pleurs désolés elle vous arrose !

Cent fois, mille fois elle enlace, elle étreint cette poitrine et ces bras, elle met les lèvres à ces blessures ; elle se fond toute dans les baisers de la douleur.

O Mère, donc, nous vous en supplions par ces larmes de vos yeux, par le trépas si dur de votre fils, par la pourpre de ses blessures : faites régner dans nos cœurs à nous la douleur du vôtre.

Soit au Père, ainsi qu’au Fils, et à l’Esprit coéternel, soit à la Trinité souveraine gloire sans fin, louange incessante, honneur en ce siècle et toujours !

Amen.