LA PREMIÈRE MESSE EN PRISON
À la distribution de la soupe, le distributeur me donna furtivement un petit paquet :
— Ceci est pour vous, monsieur l’abbé. Cet objet vient d’un Jésuite de la chambre des prêtres, me souffla-t-il.
Je l’ouvris avec curiosité. D’abord je pus lire le billet suivant :
« Vous avez ici tout le nécessaire pour célébrer la messe. »
Tout content, je sursautai. Tous les trésors de la terre ne m’auraient pas rendu plus heureux à ce moment-là, que ne le faisait ce petit paquet. De mes mains tremblantes, je dépliai tout avec précaution. Je trouvai empaqueté dans une petite boîte : un missel peu épais, une bouteille de vin, quelques hosties et une toute petite boîte en aluminium qui devait servir de calice.
Je mis rapidement la soupe de côté, car maintenant je n’avais qu’une terrible faim : celle de l’Eucharistie ! Je calculai rapidement ; oui, il y avait six semaines que je n’avais pas célébré la messe, ce qui avait été la plus grande souffrance de ma captivité.
Je regardai un peu autour de moi : tous étaient occupés à manger. Rapidement je grimpai sur le lit, je m’agenouillai, je plaçai la petite boîte avec quelques gouttes de vin et une goutte d’eau devant moi et je me préparai au très saint sacrifice.
C’est ainsi que je célébrai ma première messe en prison. J’offris toute ma souffrance, toutes mes peines à Notre Père du ciel, en union avec la Passion du Christ. Je Le remerciai de pouvoir porter des liens pour Lui ; je L’implorai pour recevoir de la force et pour n’être plus jamais séparé de Lui. Je Lui demandai avec ferveur de pouvoir rester toujours en sa présence eucharistique et de plaire à Dieu pour toute l’éternité ! Ce souhait, qui était pour moi le plus grand, s’est réalisé. Pendant les quatre ans de ma captivité si longue, le Seigneur est resté toujours auprès de moi. Je pouvais tous les jours Le recevoir.
Je ne pourrai jamais oublier avec quelle joie j’ai célébré, là, sur mon lit, ma première messe de captif. Personne n’en remarqua quelque chose ; les gens continuaient de manger et de bavarder.
DANS LA CHAMBRE DES PRÊTRES
— Prenez vos paquets et suivez-moi !
Je reconnus avec surprise l’agent qui appelait mon nom.
— Oui, un peu plus vite. Vous devez aller dans l’autre bâtiment, dans la chambre des prêtres.
J’obéis rapidement. J’avais déjà été pendant 15 jours dans cette chambre et nous étions tous devenus de bons compagnons. Je m’occupais beaucoup de ces gens ; le résultat de mon apostolat était très encourageant. Mais justement, à cause de ces activités, j’étais souvent accusé auprès des autorités. J’avais été le premier prêtre qu’ils n’avaient pas placé, après délibération, auprès des autres prêtres, pour étudier mon comportement auprès des laïcs. Mais leur essai avait bien échoué ! Un prêtre auprès des laïcs a trop d’influence. Je fus donc envoyé, avec un mauvais rapport, dans la chambre des prêtres. Mes camarades étaient bien peinés, car je devais partir, et l’agent ne me permit même pas de leur serrer la main pour le départ.
Dans la chambre des prêtres, mon arrivée fut un grand événement. Ils m’avaient attendu depuis longtemps. Après s’être salué cordialement, on m’indiqua une petite place au deuxième lit, près de la porte. La première journée se passa à faire connaissance réciproque. Nous étions dans cette chambre vingt-quatre prêtres, appartenant à différents diocèses et communautés religieuses. Il y en avait trois de mon propre diocèse, ainsi qu’un Père Jésuite et neuf novices, qui avaient essayé de fuir au-delà de la frontière ; tous les autres avaient été arrêtés au moment de la nationalisation des écoles parce qu’ils ne voulaient pas accepter cette loi.
Notre chef de chambre était un jeune vicaire qui avait été convoqué par la police pour des renseignements sur son curé, arrêté à cause de la question scolaire. Le vicaire fut également arrêté. Il y avait aussi un chanoine qui avait refusé d’enterrer à l’église un homme du parti communiste… La chambre des prêtres avait quelques privilèges. Tous les matins, les prêtres pouvaient célébrer la messe dans cette chambre. Ils pouvaient aussi recevoir des livres de théologie, en sorte que les jeunes théologiens pouvaient continuer leurs études. Il existait aussi trois métiers à tisser dans la chambre et ceux qui tissaient pouvaient recevoir chaque semaine un paquet de huit kilos de vivres et il leur était permis d’écrire deux lettres. Ils avaient en outre le droit, le dimanche, à une demi-heure de parloir. La plupart des prêtres usaient de ces privilèges pour rendre la vie plus agréable. Je n’ai jamais voulu le faire. Je ne voulais pas m’acheter des privilèges, ni rendre ma vie de prison agréable à moi-même. Le premier soir, je racontai aux autres toute mon histoire,… les raisons de mon arrestation… mon traitement. Tout le monde écoutait avec intérêt.
Notre horaire était le suivant : lever à 6 heures, toilette et mise en ordre de la chambre ; puis, à deux tables, et quatre prêtres simultanément, chacun célébrait la sainte Messe. Après les messes, vers 8 heures environ, nous avions le déjeuner. Chacun sortait à ce moment-là le petit paquet, reçu de chez lui, car le matin, nous ne recevions qu’un peu de soupe ou une espèce de café noir très amer.
Avant midi, nous étudiions. Il y avait même des leçons et des études théologiques. À 12 heures nous recevions, en bas, dans la cour, encore de la soupe, mais elle était plus épaisse. Chacun devait apporter son bol personnel. L’après-midi avait lieu d’abord une heure de sieste. La plupart dormaient. Puis commençaient les études de l’après-midi et les prières. Vers 6 heures du soir, on consacrait du temps au repas du soir. Ensuite, chacun s’occupait en lisant ou en jouant. La lumière était éteinte à 9 heures.
De_ plus, on pouvait, tous les jours, se promener pendant une petite heure dans la cour. Le dimanche après-midi avait lieu une grand-messe en plein air par un Père Lazariste. Il était défendu d’écouter des confessions, mais nous pouvions y parvenir de façon que ce soit possible sans être vu. Je me tenais toujours prêt à écouter des confessions ou à distribuer la communion en cachette.
Les jours se déroulaient tranquillement et sans événements extraordinaires. Notre plus grande peine était la privation de liberté. Lors d’une visite, j’avais également vu K… et j’avais appris d’elle, qu’elle avait trouvé pour quelques-uns des jeunes, un refuge auprès de familles. A… était auprès de ses grands-parents, G… avait été accepté dans le séminaire de Budapest pour devenir prêtre. Je recevais aussi régulièrement des nouvelles de ma mère. Sa santé ne s’améliorait cependant pas, malheureusement ! Son cœur était très malade.
Vers Noël, les prêtres faisaient habituellement retraite tout seuls. Maintenant, ils me demandèrent de donner quelques sujets de méditation. Dans toutes mes causeries, je prenais pour thème, que nous devions accepter notre souffrance comme cadeau du Seigneur, car c’était seulement à peu de prêtres à travers le monde que ce grand honneur était accordé de pouvoir porter des chaînes ! Les apôtres s’étalent réjouis aussi de cela ! Mais je voyais bien que la plupart ne comprenaient pas cela ! Ils n’avaient qu’une seule préoccupation : devenir aussi vite que possible libres et entre temps se rendre la vie aussi agréable que possible.