La spiritualité du martyre
6. Prisonnier avec l’Eucharistie

BRULÉ, MAIS SAUVÉ !

La cellule souterraine était si fraîche que je frissonnais continuellement. J’essayais de me réchauffer par de nombreux mouvements du corps. Je priais beaucoup, car je n’avais rien d’autre à faire. Parfois je devais bien dire trente chapelets par jour et je faisais sept fois le chemin de la croix à l’intérieur de ma petite cellule. Le traitement de la part des gardiens était rude, mais celui des détectives était brutal.

Je pensais qu’on m’avait encore oublié quand on vint me rechercher une nouvelle fois après huit jours. Mon cœur battait fort. Mon protecteur serait-il revenu ? Oui, en effet, c’étaient les deux mêmes. Mon humeur était très éveillée et lucide, et dans son regard furtif, je pensais pouvoir y lire : Ne soyez pas effrayé.’

— Avez-vous déjà changé d’avis ? me demanda le gros.

— Je n’ai rien à changer !

— Reconnaissez-vous que vous avez espionne pour la Belgique ?

— Absolument pas ; je suis innocent en cela.

Je restais encore longtemps dans cette petite chambre. De temps en temps, venait encore un autre détective, qui posait également des questions. Il y faisait terriblement chaud. Dans le coin se trouvait un poêle chauffé à blanc. Ils essayaient de “m’avoir” par toutes sortes de questions insidieuses, pour que je me contredise. Mais j’étais sur mes gardes. Était-ce à cause de ce chassé-croisé ou à cause de la chaleur ; mais je perdais presque conscience. Quand, soudain, je vis de nouveau arriver le petit homme dans ma direction : je fus saisi de vertige à la tête. Mon pied glissa et je tombai sur le poêle brûlant. Une souffrance terrible traversa mon bras droit. Immédiatement je redevins pleinement conscient par la souffrance aiguë. L’homme grand affirmait qu’on ne pouvait rien faire pour mettre mes affaires en ordre et il me renvoya â la cellule. Lentement et titubant, je suis parti. Il me sembla qu’eux-mêmes n’avaient pas remarqué combien j’étais très brûlé ; ils n’en donnèrent tout au moins pas l’impression. Toute mon épaule et mon bras droit étaient brûlés. Cela me faisait très mal, mais il n’y avait pas possibilité d’être examiné par un médecin. Je ne pouvais pas non plus me soigner moi-même : je n’avais ni bandage, ni médicaments. Je ne pouvais ni m’étendre et m’asseoir sans ressentir de fortes douleurs. J’étais maintenant environ depuis trois semaines dans la cellule souterraine quand ils sont revenus me chercher. Titubant et branlant, je montai les escaliers. Les deux détectives m’attendaient déjà dans leur petite chambre.

— Aujourd’hui, ce doit en être fini avec ce jeu, commença aussitôt le petit homme trapu. Reconnaissez-vous ou non que vous espionniez pour la Belgique ?

— Je ne le reconnaîtrai jamais, car ce n’est pas vrai !

Le détective prit le téléphone.

— Apportez-moi un bâton de caoutchouc ! L’homme-grand se mit debout et commença à marcher en long et en large. Un gardien entra avec un bâton de caoutchouc. Le petit homme était rouge de colère : il ôta sa veste, roula les manches de sa chemise et demanda encore une fois de sa voix menaçante :

— Reconnaissez-vous ?

— Non ! dis-je en secouant la tête.

— Je vais maintenant frapper jusqu’à ce que vous le reconnaissiez et signiez, hurla-t-il, et dans un bond il fut juste en face de moi. D’un seul coup il retira ma petite veste. Je me recroquevillai de douleur ; les plaies enflammées s’ouvrirent.

— Halte ! cria l’autre tout en s’approchant de quelques pas.

Le bâton de caoutchouc retomba.

— Regardez par ici ! disait mon protecteur tout en me désignant. Cet homme a déjà eu sa part. Qui vous a fait cette plaie ? demanda-t-il.

— Oh ! ce n’est pas si grave, dis-je un peu embarrassé. Je suis seulement tombé sur le poêle et je me suis un peu brûlé.

Mon protecteur, sceptique, secoua la tête, prit le téléphone et demanda au médecin de venir soigner ma plaie. Et tandis que l’autre remettait sa veste, il demanda :

— Pourquoi n’avez-vous pas dit que vous aviez déjà été maltraité ?

Ce n’est que plus tard que j’ai compris ce qu’il entendait par là ; quand un prisonnier a été frappé à ce point, qu’il en a conservé des plaies sanglantes, on dit alors en langage de prison qu’on est tombé sur le poêle et qu’on s’est brûlé. Que je me sois réellement brûlé, cela m’a empêché d’être maltraité.

Quand le gardien vint me chercher, mon protecteur me dit :

— Vous pouvez bien parler de chance d’avoir eu affaire à nous ! Qui sait comment l’affaire aurait tourné autrement.

Doucement, je répondis :

— Il existe tout de même une merveilleuse Providence divine.

Et je le regardai. Il cligna un peu les yeux, semblant me dire :

— En cela vous avez bien raison !

En revenant à la cellule, le médecin m’y attendait déjà. Il secoua pensivement la tête, nettoya la plaie et la banda. Cela dura environ un mois avant que mon épaule et mon bras ne soient totalement guéris.

Mais le soir même, je fus amené dans une cellule qui était plus grande où il y avait trois lits et où, à ma grande joie, chacun disposait d’une couverture. De tout cela je pouvais déduire que du changement et de l’allègement étaient intervenus dans mon cas. Ils avaient peut-être laissé tomber l’accusation d’espionnage. Je ne fus plus convoqué pour être entendu. Je n’ai pas revu non plus mes deux détectives, mais j’ai bien compris que je devais beaucoup au fils de la vieille petite mère juive.