5e mystère glorieux
Le couronnement de Marie
Tirée de Les gloires de Marie
de saint Alphonse de Liguori
L’auguste Vierge Marie a été élevée à la dignité de Mère du Roi des rois ; dès lors et avec juste raison, la sainte Église lui décerne et demande à tous les fidèles de lui décerner le titre glorieux de Reine.
« Si le Fils qu’elle a mis au monde est roi, dit saint Athanase, la Vierge, sa Mère, doit, en toute rigueur de vérité, être tenue pour Reine et Souveraine et en porter le nom. » C’est, remarque saint Bernardin de Sienne, à partir du moment où elle consentit à devenir la Mère du Verbe éternel, que Marie mérita d’être constituée Reine du monde et de la création tout entière. « Son consentement, dit-il, lui valut le sceptre du monde, l’empire de l’univers et la souveraineté sur toutes les créatures. » Voici comment raisonne Arnauld de Chartres : « La chair de Jésus et celle de Marie sont une seule et même chair. Comment donc la Mère pourrait-elle ne point partager la souveraineté de son Fils ? Ce n’est point assez dire qu’elle la partage : la gloire royale du Fils et celle de la Mère sont une seule et même gloire. »
Jésus étant roi de l’univers, c’est de l’univers aussi que Marie est la reine. « Établie Reine, dit l’abbé Rupert, elle possède à bon droit tout le royaume de son Fils. » De là cette affirmation de saint Bernardin de Sienne : « Autant il y a de créatures au service de Dieu, autant Marie en compte à son service. Et les anges, et les hommes, et tout ce qui est au ciel et sur la terre, en un mot toute la création, par le fait qu’elle est soumise à Dieu, est soumise à la glorieuse Vierge. » Aussi l’abbé Guerric tient-il à la divine Mère ce langage : « Continuez, ô Marie, continuez avec assurance à exercer votre empire ; n’hésitez pas, agissez en Reine, disposant à votre gré des biens de votre Fils. Vous êtes la mère et l’épouse du Roi de l’univers, à vous le droit de régner, à vous la puissance souveraine sur toutes les créatures. »
Marie est donc Reine. Mais, sachons-le bien pour notre commune consolation, c’est une Reine toute bonne, toute clémente, toute inclinée à nous faire du bien, à nous si misérables. C’est pourquoi la sainte Église, dans le Salve Regina, nous invite à saluer Marie en la proclamant Reine de miséricorde.
Le nom même de reine, observe le bienheureux Albert le Grand, signifie compassion et sollicitude pour les pauvres. « Secourir les malheureux, dit Sénèque, c’est en quoi consiste la magnificence des rois » et des reines. Alors que les tyrans font servir leur pouvoir à leur intérêt personnel, les rois doivent avoir en vue le bien de leur peuple. Aussi, au sacre des rois, on leur verse sur la tête de l’huile, symbole de la miséricorde, pour leur rappeler qu’ils doivent garder sur le trône un cœur rempli, par-dessus tout, de compassion et de bienveillance à l’égard de leurs sujets.
Le premier devoir des rois est donc de s’employer aux œuvres de miséricorde, avec cette réserve, cependant, qu’il leur faut, au besoin, exercer la justice à l’égard des malfaiteurs. Il n’en est pas ainsi de Marie. Reine, elle ne tient pas le sceptre de la justice pour le châtiment des coupables, mais uniquement celui de la miséricorde, n’ayant d’autre ministère que celui de la grâce et du pardon. C’est la pensée de l’Église quand elle nous fait acclamer Marie comme Reine de miséricorde.
Dans sa Préface aux Épitres canoniques, saint Thomas confirme ce privilège de la sainte Vierge : « Quand, dans son sein, elle conçut le Fils de Dieu, quand, ensuite, elle le mit au monde, alors, dit-il, elle obtint la moitié du règne de Dieu : elle fut constituée reine de miséricorde, comme le Christ est roi de justice. »
C’est pour la constituer Reine de miséricorde que, selon la prophétie de David, Dieu lui-même conféra, en quelque sorte, l’onction royale à Marie, en répandant sur elle l’huile de l’allégresse. Grand sujet d’allégresse pour nous, pauvres enfants d’Adam, de penser que nous avons au ciel une si grande Reine qui laisse découler sur nous « l’onction de sa surabondante compassion et miséricorde », ainsi que le dit saint Bonaventure.
Ici vient à propos l’histoire de la reine Esther. Le bienheureux Albert le Grand en fait une heureuse application à notre Reine Marie, dont Esther d’ailleurs était une figure.
Voici ce que nous lisons au chapitre quatrième du Livre d’Esther. Sous le règne d’Assuérus, il fut publié dans ses états un édit ordonnant la mise à mort de tous les Juifs. Mardochée, l’un des condamnés, recommanda leur salut à Esther, la priant de s’interposer auprès du roi pour obtenir la révocation de la sentence. Esther s’y refusa d’abord, par crainte d’aviver encore le courroux d’Assuérus. Mais Mardochée la réprimanda et lui envoya dire : Ne vous imaginez point, parce que vous êtes de la maison du roi, que vous sauverez seule votre vie, à l’exclusion de tous les Juifs. Il ajouta que le Seigneur l’avait élevée au trône précisément pour qu’elle assurât le salut de sa nation. Ainsi parla Mardochée à la reine Esther. Pauvres pécheurs condamnés à un juste châtiment, si jamais notre Reine Marie hésitait à obtenir de Dieu notre délivrance, nous aurions lieu de lui tenir le même langage : Ô notre Souveraine, vous êtes dans la maison du Roi, Dieu vous ayant constituée Reine de l’univers ; ne pensez point pour autant à vous sauver seule, à l’exclusion de tous les autres hommes ; car, votre élévation n’a pas eu pour but votre seul avantage ; si Dieu vous a faite si grande, c’est pour vous mettre plus à même de compatir à notre misère et de la secourir.
Assuérus, quand il vit Esther en sa présence, s’informa avec amour de l’objet de sa visite. Quelle est votre demande ? lui dit-il. La reine répondit : Ô mon roi, si j’ai trouvé grâce à vos yeux, accordez-moi mon peuple, pour lequel je vous implore. Elle fut exaucée : un ordre du roi révoqua aussitôt la sentence de condamnation.
Or, si Assuérus accorda le salut des Juifs à Esther, parce qu’il l’aimait, comment Dieu, qui aime immensément Marie, pourra-t-Il ne pas l’exaucer, quand elle le prie pour les pauvres pécheurs qui se recommandent à elle ? Ô mon Roi et mon Dieu, dit-elle, si j’ai trouvé grâce devant vous… Mais elle sait bien, la divine Mère, qu’elle est la bénie, la bienheureuse, la seule, parmi tous les hommes, à trouver la grâce qu’ils ont perdue ; elle sait bien qu’elle est l’aimée de son Seigneur, plus chérie que tous les saints et les anges ensemble. Si donc vous m’aimez, continue-t-elle, donnez-moi mon peuple, donnez-moi ces pécheurs pour lesquels je vous supplie. Et il se pourrait que Dieu ne l’exauçât point ? Mais qui ne sait le pouvoir qu’ont auprès de Dieu les prières de Marie ? La loi de la clémence est sur sa langue. Chaque prière de Marie à force de loi, le Seigneur ayant décrété qu’il sera fait miséricorde à tous ceux pour qui elle intercède. Pourquoi, demande saint Bernard, l’Église appelle-t-elle Marie Reine de miséricorde ? « C’est, répond-il, afin de nous assurer qu’elle ouvre l’abîme insondable de la pitié divine à qui elle veut, quand elle veut et comme elle veut ; si bien qu’un pécheur ne périra pas, fût-il un monstre d’iniquité, dès lors que cette sainte des saints le prend sous sa protection. »
Mais peut-être craindrons-nous que Marie ne dédaigne d’intervenir en faveur de tel pécheur, le voyant trop chargé de crimes ? Ou encore n’y a-t-il pas lieu de nous laisser effrayer par la majesté et la sainteté de cette grande Reine ? Non, dit saint Grégoire VII, car « la grandeur et la sainteté de Marie ne la rendent que plus clémente et plus douce à l’égard des pécheurs désireux de se convertir » et qui recourent à elle. Rois et reines, avec l’apparat de leur majesté, répandent la terreur et font craindre à leurs sujets de paraître en leur présence. Mais, observe saint Bernard, « quelle crainte pourrait retenir » la misère et « la fragilité humaine loin de Marie », la Reine de la miséricorde ? Regardons-la bien : « en elle, rien de sévère, rien de terrible ; elle est toute suavité » et affabilité. Elle nous donne, bien plus, « elle nous offre d’elle-même à tous le lait et la laine » : le lait de sa miséricorde qui ranime notre confiance ; la laine, la douceur de sa protection qui nous abrite contre les rigueurs de la justice divine.
Écoutons saint Bernard : « Comment pourriez-vous, ô Marie, vous refuser à secourir les misérables, alors que vous êtes la Reine de la miséricorde ? Les sujets de la miséricorde ce sont précisément les misérables. Vous êtes la Reine de la miséricorde, et moi, étant le dernier des pécheurs, je suis le premier, le plus grand de vos sujets » et j’ai droit, par conséquent, de préférence à tout autre, à vos soins les plus assidus. « Régnez donc sur nous, ô Reine de miséricorde », prenez-nous en pitié, et chargez-vous de notre salut éternel.
Quelle grande confiance nous devons donc avoir en notre Reine ; connaissant sa puissance auprès de Dieu, et sachant, d’autre part que son cœur est rempli d’une telle et si surabondante plénitude de miséricorde, qu’il n’est personne sur la terre à n’avoir pas de part aux effets de sa bonté et à ses faveurs ! La sainte Vierge le révéla elle-même à sainte Brigitte : « Je suis, lui dit-elle, la Reine du ciel et la Mère de la miséricorde ; je suis l’allégresse des justes et la porte ouverte aux pécheurs pour aller à Dieu. Il n’y a pas sur la terre, de pécheur assez maudit pour ne point éprouver, tant qu’il respire, la miséricorde, tout au moins — à défaut d’autre faveur — en étant moins tenté par les démons qu’il ne le serait sans mon intercession. » « Personne, ajouta-t-elle, à moins d’être absolument maudit — ce qui s’entend de la malédiction finale et irrévocable réservée aux damnés — n’est tellement rejeté, qu’il ne revienne à Dieu et ne trouve miséricorde, s’il m’appelle à son secours. » Elle lui dit encore : « Mère de miséricorde, c’est le titre que tout le monde me donne ; et vraiment la miséricorde de Dieu envers les hommes a fait de moi la toute miséricordieuse. » Et elle conclut : « Ah ! malheureux celui qui, tandis qu’il le peut, ne recourt pas à moi ! » Oui, malheureux pour l’éternité celui, qui, en cette vie, pouvant m’invoquer, moi, si pleine de pitié pour tous et si désireuse d’aider les pécheurs, néglige de recourir à moi et ainsi lamentablement se damne !
Courons donc aux pieds de notre très douce Reine, et soyons toujours fidèles à la prier, si nous voulons mettre notre salut en assurance. Si la vue de nos péchés nous épouvante et nous décourage, rappelons-nous à quelle fin Marie a été constituée Reine de miséricorde : c’est pour qu’elle sauve, par sa protection, les pécheurs les plus coupables, les plus désespérés, dès qu’ils se recommandent à elle. Ne doivent-ils pas être sa couronne au ciel ? Son divin Époux le lui a dit : Viens du Liban, ô mon Épouse, viens du Liban… Tu recevras pour couronne les tanières des lions, les montagnes des léopards. Que peuvent bien être ces tanières de bêtes féroces et monstrueuses, sinon les pauvres âmes coupables, devenues le repaire des péchés, ces monstres les plus affreux que l’on puisse rencontrer ? Eh bien ! s’écrie l’abbé Rupert, en commentant ce texte, « voilà, ô Marie, les lions dont les tanières seront votre couronne : votre couronne sera leur salut. » Ces malheureux pécheurs, seule votre intercession les sauve, ô glorieuse Souveraine ; il est juste qu’au ciel ils soient votre diadème ; et c’est bien celui qui convient en propre à une Reine de miséricorde.
L’exemple qu’on va lire vient à l’appui de cette vérité.
Exemple
On lit dans la vie de Sœur Catherine de Saint-Augustin qu’au même endroit où vivait cette servante de Dieu se trouvait une femme nommée Marie, laquelle, après une jeunesse passée dans le vice, s’obstinait, jusque dans la vieillesse, à poursuivre le cours de ses désordres ; tellement que, chassée du pays par ses concitoyens, elle fut réduite à se réfugier dans une grotte, loin de toute habitation. C’est là que, tombant d’avance en pourriture, elle finit par mourir sans sacrements, abandonnée de tous. On l’enfouit en plein champ, comme on aurait fait d’un vil animal. Or Sœur Catherine avait coutume de recommander à Dieu avec une grande ferveur les âmes de tous ceux qui entraient dans leur éternité ; mais pour cette misérable vieille femmes quand elle apprit sa triste fin, elle ne songea pas à prier. Comme tout le monde, elle la tenait pour damnée.
Quatre ans s’étaient écoulés, quand un jour elle vit apparaître une âme du purgatoire qui lui dit : « Sœur Catherine, que je suis donc malheureuse Vous recommandez à Dieu les âmes de tous ceux qui meurent, et il n’y a que mon âme dont vous n’avez pas eu pitié ! — Et qui êtes-vous ? demande la servante de Dieu. — Je suis, répond l’apparition, cette pauvre Marie qui mourut dans la grotte. — Eh ! quoi ! vous êtes sauvée ? s’écrie alors Sœur Catherine. — Oui, je suis sauvée par la miséricorde de la sainte Vierge. — Et comment cela ? — Quand je me vis sur le point de mourir, me voyant si chargée de péchés et privée de tout secours, je me tournai vers la Mère de Dieu, et je lui dis : « Ô Notre-Dame vous êtes le refuge des abandonnés ; voyez, en ce moment tout le monde m’abandonne ; vous êtes mon unique espérance, vous seule pouvez me venir en aide, ayez pitié de moi ! » La sainte Vierge m’obtint de faire un acte de contrition, je mourus et je fus sauvée. Ma bonne Reine m’a obtenu une autre grâce : que l’intensité de mes souffrances abrégeât la durée de mon expiation, laquelle aurait dû se prolonger pendant bien des années encore. Il ne me faut plus maintenant que quelques messes pour être délivrée du purgatoire. Je vous prie de me les faire dire, et moi, en échange, je vous le promets, je ne cesserai pas de prier le bon Dieu et la sainte Vierge pour vous. » Sœur Catherine fit aussitôt célébrer les messes, et, peu de jours après, cette âme lui apparut de nouveau, plus brillante que le soleil, et lui. dit : « Je vous remercie, Sœur Catherine, je m’en vais au ciel chanter les miséricordes de mon Dieu et prier pour vous. »
Prière
Ô Marie, Mère de mon Dieu et ma Souveraine, tel se présente à une grande reine un pauvre couvert de plaies et repoussant, tel je me présente à vous qui êtes la Reine du ciel et de la terre. Du trône sublime où vous êtes assise, ne dédaignez pas, je vous en prie, d’abaisser vos regards jusqu’à moi, pauvre pécheur. Si Dieu vous a comblée de richesses, c’est pour subvenir à notre pauvreté ; s’il vous a établie Reine de miséricorde, c’est pour réconforter les misérables. Regardez-moi donc, et laissez-vous toucher. Regardez-moi et ne me laissez point aller que, du pécheur que je suis, vous n’ayez fait un saint.
Je m’en rends compte, je ne mérite rien ; ou plutôt je mériterais, à cause de mon ingratitude, d’être dépouillé de toutes les grâces que, par vos mains, j’ai reçues du Seigneur. Mais vous êtes la Reine de la miséricorde, et, dès lors, ce ne sont pas des mérites que vous cherchez, mais des misères : vous voulez secourir qui est dans le besoin. Eh bien ! qui est plus pauvre et plus besogneux que moi ?
Ô Vierge sublime ! Je sais bien que je suis votre sujet, puisque vous êtes la Reine de l’univers. Mais je veux me consacrer à votre service d’une manière plus spéciale, afin que vous disposiez de moi selon votre bon plaisir. Aussi je vous dis avec saint Bonaventure : « Ma Souveraine, je m’abandonne à votre domination ; que je sois régi et gouverné par vous en toutes choses. Ne me laissez pas me reprendre. » Donnez-moi vos ordres, servez-vous de moi à votre gré ; et même n’hésitez pas à me châtier, si je suis indocile ; combien ils me seront salutaires les châtiments qui me viendront de votre main !
Être votre serviteur, ô Marie, c’est pour moi bien plus que devenir le maître du monde. Je suis à vous, sauvez-moi ! Acceptez-moi pour vôtre, et, à ce titre, occupez-vous de mon salut. Je ne veux plus être mon maître : je vous fais don de moi-même. Sans doute, je vous ai bien, mal servie ; que de belles occasions j’ai perdues de vous honorer ! Mais à l’avenir, je veux égaler vos serviteurs les plus aimants, les plus fidèles. Non, je ne laisserai désormais personne l’emporter sur moi en ardeur à vous rendre hommage et à vous aimer, ô ma très aimable Reine. C’est à quoi je m’engage, et c’est ce que j’espère tenir, avec votre assistance. Ainsi soit-il.