2e mystère joyeux
La Visitation
Comment le Verbe incarné, encore dans le sein de sa mère, alla sanctifier Jean-Baptiste, son précurseur
Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable Père Du Pont, s. j.
I. — Désir du Messie de sanctifier son Précurseur
Considérons, en premier lieu, comment Notre-Seigneur, peu de temps après son Incarnation, possédé d’un ardent désir de sauver les hommes, jeta les yeux sur Jean-Baptiste, qui était encore dans les entrailles d’Élisabeth, et qu’il destinait à être son Précurseur. Le voyant souillé du péché originel, il en fut touché de compassion. Il résolut de purifier son âme de cette tache et de la sanctifier au plus tôt, voulant ainsi prendre possession de l’office de Rédempteur, dont son Père l’avait chargé. Il inspira donc efficacement à sa bienheureuse Mère la pensée d’aller en toute diligence visiter sa cousine Élisabeth, dans l’intention d’exécuter, à cette occasion, le pieux dessein qu’il avait formé.
Trois choses dignes de remarque se présentent à ce sujet. La première est le vif désir qu’éprouve le Verbe incarné d’opérer notre salut. Témoignons-en Lui notre reconnaissance, et confondons-nous nous-même de montrer si peu de zèle pour le nôtre. La seconde est le soin qu’il prend du bien de ses élus, et son empressement à exercer la fonction de Rédempteur, puisqu’il la commence dès le sein de sa Mère, tant il craint de rester un moment dans l’oisiveté. La troisième est la gravité du péché et la grandeur de la peine que ressent le Fils de Dieu lorsqu’il le voit, même un seul instant, dans ses élus. Pourquoi, en effet, presse-t-il si vivement sa Mère de partir pour les montagnes de la Judée ? C’est afin de délivrer plus promptement Jean-Baptiste son élu du plus grand des maux.
Ô Verbe divin, qui avez daigné vous faire homme afin de nous retirer de l’esclavage du péché et qui avez voulu exercer si tôt cet emploi, que le prophète Isaïe vous nomme pour cette raison : Celui qui se hâte d’arracher les dépouilles et d’enlever le butin, vous ne portez aucun nom qui ne soit significatif, et dont vous ne remplissiez toute la signification. Venez donc au plus tôt me purifier de mes péchés, hâtez-vous de me sanctifier par votre grâce ; emparez-vous de mon cœur et consacrez-le à votre service comme un trophée de votre victoire, afin que je commence sans délai à vous servir avec toute la ferveur dont je suis capable.
II. — Pourquoi le Sauveur voulut aller en personne sanctifier son Précurseur
Considérons, en second lieu, pourquoi Notre-Seigneur, qui pouvait sanctifier Jean-Baptiste sans quitter Nazareth, inspira néanmoins à sa sainte Mère la pensée de le transporter dans la maison d’Élisabeth, pour y opérer cette sanctification miraculeuse. Les raisons de cette conduite sont aussi dignes de sa divine sagesse qu’utiles à notre instruction.
1. Il voulut nous donner de nouvelles preuves de son humilité et de sa charité. Car, comme ces deux vertus l’avaient fait descendre du Ciel sur la terre pour visiter les hommes et les retirer des ténèbres et de l’ombre de la mort dans lesquelles ils étaient ensevelis, ainsi ces deux mêmes vertus l’obligent aujourd’hui à sortir de Nazareth pour visiter Jean-Baptiste et le purifier du péché originel. Le supérieur se rend auprès de son inférieur, pour l’honorer ; le médecin, auprès de son malade, pour le guérir.
2. C’était l’intention du Fils de Marie que sa très sainte Mère eût part à cette œuvre de charité. Il la choisit pour être l’instrument de la première œuvre de sanctification qu’il opère dans le monde, justifiant par son intermédiaire Jean-Baptiste, qui était pécheur, et remplissant du Saint-Esprit Élisabeth qui était juste. D’un côté, il veut que les pécheurs comprennent que la Vierge doit être leur médiatrice auprès de Dieu, s’ils désirent obtenir le pardon de leurs péchés ; de l’autre, il apprend aux justes que c’est par son moyen qu’ils obtiendront la plénitude du Saint-Esprit, la perfection des vertus et l’abondance des grâces et des dons qui viennent d’en haut, afin que les uns et les autres s’efforcent de l’aimer et de la servir avec une tendre dévotion.
Ô Vierge toute-puissante, qui commencez aujourd’hui, avec votre divin Fils, à remplir l’emploi qu’il vous a confié à notre grand avantage ; continuez maintenant à l’exercer en ma faveur, en m’obtenant le pardon de mes péchés, et l’abondance des grâces du ciel.
3. C’est le propre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’il entre dans une âme, de l’exciter à la pratique de la vertu et de lui inspirer des désirs fervents de la plus haute perfection. Tantôt Il la porte à l’exercice de l’oraison, de la contemplation et des autres œuvres de la vie intérieure, tantôt Il la persuade de quitter la solitude et de s’adonner aux fonctions de la vie active qui regardent le service du prochain. C’est ainsi qu’aussitôt après sa conception dans le sein de Marie, il lui fit prendre la résolution de partir pour les montagnes de la Judée, où elle rencontrerait l’occasion d’accomplir des œuvres insignes de charité, de miséricorde et d’obéissance. Il lui disait sans doute au fond du cœur ces paroles des Cantiques :
Levez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, ma toute belle, et venez. Ô colombe chaste et féconde, qui vous cachez dans le creux des rochers et dans les trous des masures, qui contemplez comme à découvert les plus profonds mystères de ma divinité et de mon humanité, et qui vivez toujours sous ma protection, levez-vous, hâtez-vous ; laissez le lieu secret de votre repos et allez au pays des montagnes pour y faire connaître mon Nom et me glorifier par des œuvres de charité en faveur des âmes que j’ai créées.
Concluons de là que c’est aussi le propre de notre divin Sauveur, lorsqu’Il vient dans une âme juste par la sainte communion, de lui inspirer une ardeur semblable pour la pratique de la vertu et un égal désir d’arriver au comble de la perfection, soit par les œuvres de la vie contemplative, soit par celles de la vie active, portant chacun en particulier aux exercices qui lui conviennent le plus. Et si nous ne recevons pas ces saintes inspirations lorsque nous communions, c’est à cause de notre tiédeur et de nos dispositions imparfaites qui nous rendent indigne de cette faveur. Nous devons donc nous en humilier sincèrement et supplier Notre-Seigneur d’user envers nous de sa miséricorde, en nous inspirant efficacement ce qui est conforme à sa très sainte volonté.
III. — Fidélité de Marie à l’inspiration divine
Considérons, en troisième lieu, l’obéissance parfaite de la Vierge à l’inspiration de son divin Fils. L’évangéliste la loue en ces termes : « Aussitôt après, Marie, se levant, partit en toute hâte et prit le chemin des montagnes de la Judée. »
1. Elle n’attendit pas un commandement formel : ce fut assez pour elle de savoir que Dieu désirait qu’elle allât visiter Élisabeth. L’homme parfaitement obéissant exécute tout ce qu’il sait être plus conforme au bon plaisir de Dieu et de son supérieur.
2. L’obéissance de Marie fut prompte et ponctuelle. Elle ne différa point de plusieurs jours sa visite : elle la rendit aussitôt qu’il lui fut possible et elle y mit une diligence extrême, parce que l’Esprit-Saint la pressait intérieurement et que la grâce divine est ennemie des lenteurs et des délais.
3. Elle obéit avec une intention très pure, n’ayant en vue que la gloire de Dieu et l’accomplissement de sa volonté, sans aucun mélange de ces motifs humains qui entrent le plus souvent pour beaucoup dans les visites du monde. Elle alla, dit saint Ambroise, dans la maison d’Élisabeth, non pour satisfaire sa curiosité, non pour s’assurer de la vérité des paroles de l’Ange relativement à la grossesse de sa parente, car elle n’en doutait nullement, mais pour glorifier le Seigneur en voyant de ses yeux cette œuvre miraculeuse.
4. Son obéissance fut accompagnée de beaucoup de charité, de patience et d’humilité. Sans tenir compte de sa nouvelle dignité de Mère de Dieu, elle s’empresse de visiter celle qui lui est inférieure, pour la servir et la féliciter de la grâce que le Seigneur lui a faite. Le chemin est long et difficile ; elle est encore jeune et peu accoutumée à la fatigue ; mais elle ne craint point de sortir de sa retraite et de paraître en public, car Dieu le veut ainsi.
5. Il nous reste à voir de quelle manière la Reine du ciel fit ce pénible voyage. Elle marchait avec une rare modestie, sans regarder avec curiosité les personnes qu’elle rencontrait dans le chemin. Si quelqu’un jetait les yeux sur elle, il sentait naître en lui le désir de la sainteté et de la pureté. Son cœur était attaché au fruit divin qu’elle portait dans son sein ; elle s’entretenait amoureusement avec Lui durant tout le voyage ; et la consolation qu’elle en recevait lui ôtait le sentiment de ses peines, de sa pauvreté et de la privation des choses les plus nécessaires.
Ô glorieuse Vierge, que vous êtes remplie de Dieu, et quel plaisir vous prenez à faire sa volonté ! Oh ! que l’on peut justement vous comparer au char magnifique du roi Salomon ! N’êtes-vous pas, en effet, ce char d’un travail exquis, que le vrai Salomon s’est lui-même préparé pour être transporté d’un lieu à un autre ? Les colonnes d’argent sont vos vertus ; le dossier d’or est votre contemplation ; le siège de pourpre, votre humilité et votre patience ; le milieu, qui est votre cœur, a pour ornement la charité ; car Dieu en personne est au-dedans de vous ; et Dieu, selon l’Écriture, est charité. Et comme tous ces avantages vous sont accordés en faveur des filles de Jérusalem, c’est-à-dire des âmes faibles et imparfaites, je vous supplie, ô Mère de miséricorde, de me les obtenir de votre Fils, afin qu’imitant vos vertus, mon âme soit comme un char sur lequel il repose, et d’où il se fasse connaître à tout le monde. Ainsi soit-il.