On s’étonne parfois, et même on se scandalise, de ces multiples et glorieuses défaites de la cause de Dieu dans le monde. C’est qu’on oublie trop que l’Église n’a pas reçu les promesses du temps, qui passe, mais celles de l’éternité, qui demeure. Elle n’a nullement mission d’assurer aux chrétiens une vie tranquille, confortable et heureuse, mais de les conduire au ciel. Là, seulement, est la lumière sans ombre, la paix sans trouble, la félicité sans mélange, et c’est pour toujours !
Cette vie éphémère a pour unique raison d’être, pour fin essentielle, le salut des âmes, dans la glorification de Dieu. Elle est le moyen donné à l’homme pour atteindre sa fin ; elle n’est que le moyen et non pas la fin. Or, c’est à la sagesse et à la miséricorde divines de déterminer les conditions qui donneront à ce moyen toute sa valeur et toute son efficacité, c’est-à-dire de faire que la vie présente soit vraiment le chemin du ciel.
Ces conditions, Notre-Seigneur les a clairement énoncées dans son Évangile : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !… Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le Royaume des cieux est à eux !… Vous serez heureux lorsque les hommes vous haïront, vous maudiront et vous persécuteront, lorsqu’ils vous sépareront de leur société et qu’ils vous chargeront d’opprobres, lorsqu’ils proscriront votre nom comme funeste à cause du Fils de l’homme, et qu’ils diront mensongèrement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, en ce jour, et tressaillez de joie : car votre récompense sera grande dans les cieux… Le disciple n’est pas au-dessus du Maître. Ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront. Quiconque ressemblera au Maître sera parfait… Ce n’est pas la tranquillité que je suis venu apporter, mais le glaive. » En maints endroits de l’Évangile, Jésus-Christ tient le même langage ; il ne cesse de nous montrer le ciel comme le but à poursuivre, et les tribulations de la vie comme le moyen ordinaire de l’atteindre.
Pouvait-il en être autrement, dès là que le Sauveur destinait ses disciples à vivre en perpétuel contact avec le monde ? L’Église est la sainteté, le monde est le vice ; l’Église est humilité, pureté, abnégation, amour, le monde est orgueil, souillure, égoïsme et haine ; l’Église est lumière et vérité, le monde est hypocrisie, mensonge et ténèbres. Fatalement il y a donc antagonisme entre l’Église et le monde. À raison même des grandes choses qu’elle représente, l’Église sera toujours, au milieu du monde, une étrangère et une ennemie, et, par conséquent, elle sera toujours combattue et persécutée. Pour elle, la vie présente est un champ de bataille, où sans cesse il lui faut soutenir le choc des puissances de l’enfer. Elle s’appelle l’Église militante, c’est-à-dire combattante.
Mais, par ailleurs, la gloire de ses triomphes est en proportion de la fureur des attaques qu’elle subit. C’est quand elle est élevée en croix, comme son adorable Fondateur, qu’elle attire invinciblement tout à elle ; c’est quand elle tombe meurtrie, broyée, anéantie, comme le grain de froment dans le sillon, qu’elle devient féconde, et le sang des martyrs sera toujours la semence des chrétiens.
Il a fallu trois siècles de catacombes, de bûchers et de chrétiens livrés aux bêtes dans les amphithéâtres pour amener la grande résurrection des peuples, sous Constantin. Les procédés divins seront toujours les mêmes : toute extension nouvelle du Royaume de Dieu sur la terre sera nécessairement préparée par l’épreuve. L’Église ne répandra le vin généreux de la vie chrétienne parmi les hommes, qu’à la condition de gémir et d’être écrasée sous le pressoir. Donc, plus l’enfer semble puissant plus il est près de sa ruine ; plus l’Église semble succomber, plus sa victoire est prochaine. Aussi, gardons-nous, en face des calamités présentes, de nous laisser abattre. Comme les Apôtres, comme les premiers chrétiens, élevons la vigueur de notre foi et la vaillance de notre vertu à la hauteur des méchancetés et des perfidies de l’église de Satan ; ne nous lassons pas de prier et d’espérer, et notre espérance ne sera pas confondue ; nous en avons pour garant la parole formelle de Jésus : « Le monde se réjouira et vous, vous pleurerez, mais votre tristesse se changera en joie. Ayez confiance, j’ai vaincu le monde ! »
Chanoine Weber
Commentaire sur les Actes des Apôtres