Mes bien chers Frères,
En raison de la session de préparation au mariage que je donne actuellement, je ne puis enregistrer de sermon pour demain. Voici donc une conférence de Mgr Lefebvre à ses séminaristes parfaitement en rapport avec le sujet de nos études. Nous étudions Dieu créateur et Monseigneur nous montre ce qu’est la créature devant Dieu.
Transcription de la conférence
Il y a une deuxième attitude nécessaire, absolument indispensable, pour notre progrès spirituel, après le désir, c’est l’humilité, la vertu d’humilité, car c’est une vertu qui nous prend tout entiers.
C’est une vertu qui, si elle est pratiquée, si elle est recherchée comme le demande saint Benoît à ses moines – car il est remarquable que pour saint Benoît, l’échelle de la perfection, comme il le dit : l’échelle de Jacob, pour lui les deux montants de l’échelle, ce sont le corps et l’âme ; les traverses, les échelons de l’échelle, ce sont les échelons de l’humilité. Saint Benoît estime donc qu’une âme qui progresse toujours davantage dans l’humilité, progresse toujours davantage dans la perfection. Il n’en demande pas d’autres. Il prétend que celle qui arrive au dernier, au degré le plus élevé de l’humilité, est celle qui se trouve dans le plus grand degré de la charité. Voilà comment saint Benoît concevait sa spiritualité. Donc il estimait que la vertu d’humilité était vraiment la vertu fondamentale de ses moines. Quand on sait l’influence qu’a pu avoir la spiritualité de saint Benoît sur toute la vie religieuse dans l’Église, on est obligé de penser qu’il faut réfléchir à cette règle de saint Benoît qui est si peu de choses, voilà toute la règle de saint Benoît, un tout petit livre. Quand on pense que c’est quelques considérations de saint Benoît qui ont suffi pour donner à des milliers et des milliers d’âmes religieuses. Et combien d’âmes ensuite ont profité de cette règle de saint Benoît pour s’établir dans la vie religieuse, même en dehors des bénédictins et des bénédictines, des cisterciens et que sais-je, que de moines ont profité de cette petite règle de saint Benoît. Alors il est tout de même intéressant pour nous, et instructif, de penser que saint Benoît base toute sa spiritualité pour ses moines sur l’humilité.
Alors il faut apprendre vraiment ce qu’est l’humilité. Ne pas en avoir une fausse notion. L’humilité n’est pas une vertu qui est simplement destinée à nous rabaisser en quelque sorte, à nous diminuer, à nous étouffer, à nous écraser. Pas du tout !
Voici comment on peut définir l’humilité : L’humilité est une vertu morale qui nous incline par révérence envers Dieu – c’est une vertu morale qui nous incline par révérence envers Dieu, et ceci est important, c’est la définition de saint Thomas – à nous abaisser et à nous tenir à la place que nous voyons nous être due.
Nous rabaisser, en ce sens que nous remettre à notre vraie place. Alors il faut donc conclure que, dans la mesure où nous n’avons pas l’humilité, dans cette mesure-là, nous ne sommes pas à notre vraie place, nous ne nous mettons pas à notre vraie place. Et c’est cela qu’il est important de savoir, qu’en fait nous vivons constamment dans une certaine illusion. Nous vivons dans une certaine illusion.
L’humilité est une vertu morale qui nous incline par révérence envers Dieu, à nous abaisser et à nous tenir à la place que nous voyons nous être due.
La place qui nous est due, c’est la place d’une créature et c’est la place d’une créature qui est rachetée, rachetée par le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Donc deux liens que nous avons profonds avec Dieu : créatures, nous sommes de pauvres créatures. Alors, dans la mesure où nous approfondissons la notion de créatures, dans cette mesure-là aussi nous nous mettrons à notre véritable place vis-à-vis de Dieu. Et dans le mesure où nous approfondirons le bienfait de la grâce que le Bon Dieu nous donne en nous rachetant et en nous faisant ses fils par le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous méditerons sur notre état de pécheur et sur la grande miséricorde de Dieu envers nous. Et cela nous mettra aussi à notre véritable place vis-à-vis de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Est-ce qu’il y a de plus important ici-bas que de nous mettre à notre véritable place vis-à-vis de Dieu. Nous n’avons pas le droit de ne pas être à notre place vis-à-vis de Dieu. Nous sommes donc dans une espèce de place fausse, erronée, illusoire, si nous ne sommes pas véritablement devant Dieu comme ses créatures.
On pourrait, je pense, résumer toute la théodicée [l’étude de Dieu créateur] par ces deux petits mots insignifiants, qui paraissent deux petits mots de rien du tout. Qu’est-ce que Dieu ? Dieu est l’ens a se [l’être qui est par lui-même]. – Qu’est-ce que la créature ? La créature est l’ens ab alio [l’être qui est par un autre]. C’est ça la théodicée. Et alors on approfondit, en théodicée, qu’est-ce que l’ens a se, l’être qui est par lui-même ? Et qu’est-ce que l’ens ab alio, l’être qui est par un autre ? C’est ce que nous sommes : ens ab alio.
Il suffit d’approfondir un peu cette notion. Qu’est-ce qu’un être qui n’est pas par lui-même, qui est tout entier par un autre ? Et qu’est-ce qu’un être qui est tout entier par lui-même ? C’est la différence du Tout au rien. Celui qui est par lui-même est Tout, parce qu’il a l’être en lui-même, toutes les ressources de l’être, quelque chose d’inimaginable, qui dépasse notre imagination, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Il a toutes les ressources de l’être en lui-même, tout. Rien ne lui échappe, rien de ce qui est être qui n’appartienne à Dieu. Rien, rien, rien. Dans tout le monde connaissable, dans tout le monde connu, dans tout le monde qui existe, rien qui existe qui n’appartienne à Dieu en propre. C’est à Lui, ça Lui appartient, parce qu’il est l’Être, parce qu’il est la source, qu’il maintient l’être dans son existence. Il ne peut pas y avoir d’être, en dehors de Dieu, qui ne soit pas ab alio, c’est-à-dire par Dieu. Nous sommes ens ab alio, donc nous n’avons rien par nous-mêmes, comme êtres, rien qui nous appartienne. Tout appartient à Dieu en nous, tout.
Alors vous voyez quelle attitude on devrait avoir. Déjà quelle attitude on a devant, je dirais, ses parents, ou devant des grands bienfaiteurs, ceux qui nous ont aidé dans notre existence, ceux qui nous ont donné quelque chose. Nous avons une attitude de respect, de révérence, de reconnaissance, de remerciement. Mais qu’est-ce que cela, par rapport à Dieu ?
Même cet être que nous avons maintenant en nous, même cet être que nous sommes, qui circule ; notre âme, notre corps, tout ce que nous avons… Rien n’est que par un autre : ab alio. Cet alio, c’est l’ens a se qui est Dieu.
Si on approfondit tant soit peu cette notion, ça c’est la vérité. Alors c’est cela l’humilité : on se remet dans la vérité parce que nous sommes des orgueilleux. Nous croyons avoir quelque chose par nous-mêmes. Nous croyons être quelque chose par nous-mêmes. Les hommes sont comme ça : nous sommes dans l’erreur, dans l’ignorance, dans l’aveuglement depuis le péché originel. Alors il faut nous remettre dans la vérité, dans la réalité. Il n’y a rien de plus affreux que de vivre toujours dans l’illusion. Or, c’est un fait, que voulez-vous ? Nous sommes malheureusement comme ça, nous sommes aveuglés.
Cette vertu d’humilité, précisément, a pour but de nous remettre à notre place. Ce n’est donc pas une humiliation, ce n’est pas un écrasement, c’est reconnaître exactement ce que nous sommes.
Et même tout ce que nous recevons par d’autres, ces autres le reçoivent de Dieu. Donc même nos parents qui nous ont donné la vie, qui ont donné la vie de notre corps – car notre âme est créée directement par Dieu, il ne faut pas l’oublier – nos parents qui nous ont donné notre corps et par l’intermédiaire de notre corps, notre âme, puisque le Bon Dieu donne l’âme au corps qui est préparé dans le sein de la mère, et bien cette existence que nous recevons, elle n’est que transmise. Nos parents ne nous donnent pas l’existence comme si, eux, avaient une existence et qu’ils la donnent. Ils ne font que transmettre, ça ne leur appartient pas. Leur propre existence ne leur appartenant pas, comment peuvent-ils donner une existence à d’autres, sinon que la communiquer, communiquer une existence qui ne leur appartient pas. Parce que aucune créature n’est par elle-même, aucune créature n’existe par elle-même, sinon elle existerait toujours. Elle ne pourrait pas ne pas exister puisqu’elle aurait l’être en elle-même, donc elle aurait l’existence par ses propres forces, par son propre être. Il n’y a que Dieu justement qui peut avoir l’être par Lui-même et ce qui fait qu’Il est éternel et qu’Il a toujours existé. Il ne peut pas se séparer de l’être : c’est Lui, l’être. Il est l’être.
Alors si l’on songe à tout cela, et à toutes les conséquences de ces quelques vérités simples : c’est que nous ne pouvons rien faire, rien penser, rien vouloir, rien désirer, rien agir… sans Dieu. Même les pécheurs. Aucune créature, aucun être, aucun ange, aucun élu du ciel, aucun animal ici sur terre, aucune créature ne peut agir, ne peut se mouvoir, ne peut se développer, de quelque manière que ce soit, même les plus petits insectes, les plus insignifiants, sans Dieu. Impossible !
Alors quand on pense qu’il y a des hommes qui vivent comme si Dieu n’existait pas ! Ils sont pourtant portés par Dieu tout le temps, à tout instant de leur vie. Depuis le premier souffle jusqu’au dernier souffle, ils sont portés par Dieu et ne peuvent pas respirer sans que Dieu leur en donne la possibilité, par son être, parce que tout être vient de Lui. Que ces gens-là vivent pendant toute leur vie sans même penser à Celui qui leur donne tout ce qu’ils ont et tout ce qu’ils peuvent faire, toute leur activité, c’est inouï ! Parce que l’homme se centre sur lui-même, ne pense plus qu’à lui-même, s’imagine que tout lui appartient ! Or, tous les jours, nous voyons bien que nous ne nous appartenons pas. Les gens vivent, meurent, disparaissent, ils n’ont pas l’être par eux-mêmes, sinon ils ne mourraient pas !
C’est donc là l’humilité. Et cette humilité doit nous donner justement cette révérence envers Dieu. Cette révérence qui doit, instinctivement, nous plonger dans l’adoration. Nous devrions être tout le temps, d’une manière habituelle, non pas d’une manière actuelle bien sûr, mais d’une manière habituelle, notre première attitude, native, qu’on devrait avoir avec notre premier souffle et notre première parole, devrait être une parole d’adoration de Dieu. On adore Celui qui nous donne tout, Celui par qui nous sommes tout et sans Lequel nous ne sommes rien.
Saint Paul le dit très bien, dans l’épître aux Galates, ch.6, verset 3e : Si quis existimat, se esse aliquid, cum nihil sit, ipse se seducit, si quelqu’un s’imagine qu’il est quelque chose, comme il n’est rien, il se trompe..
Une parole très brève, très concise, mais profonde. Si quelqu’un s’imagine qu’il est quelque chose, comme il n’est rien, il se trompe.
Et bien, il faut croire qu’il y a des millions d’hommes, des milliards d’hommes qui se trompent toujours. Et nous-mêmes nous nous trompons lorsque nous nous imaginons que nous sommes quelque chose et que nous valons quelque chose par nous-mêmes, sans Dieu. Parce que ce n’est pas vrai. Comme il n’est rien, c’est saint Paul qui dit ça.
Et il dit aux Corinthiens, la première aux Corinthiens, ch. 4, verset 7e : Quid abes quo non accepisti ? Qu’est-ce que tu as que tu n’as pas reçu ? Si autem accepisti, quid gloriaris quasi non acceperis ? Et si tu as reçu, pourquoi te glorifier, comme si tu n’avais pas reçu ? Voilà des paroles de saint Paul qui sont profondes, qu’il faut méditer et qui nous aident à acquérir cette vertu d’humilité dont nous avons tous tant besoin.