Note de lecture :
Le livre de chevet de saint Pie X

Dans cette époque de troubles de tout ordre, troubles politiques, économiques, sociaux et surtout spirituels qui nous accablent d’épreuves, nous pourrions céder soit à la tentation de l’activisme, soit à celle du désespoir.

L’Évangile de la Septuagésime nous a donné l’espérance du ciel, ce ciel (le denier) promis à tous les ouvriers que nous pourrons être à condition d’accomplir notre tâche, notre apostolat, fortifiés par une véritable vie intérieure, par la contemplation du Christ,

Dispersés, quelquefois isolés ou mal accompagnés, nous avons tous besoin de soutiens, de guides. M. l’abbé Pivert a créé un site qu’il enrichit de semaine en semaine et dans lequel il nous conseille, entre autre, de saines lectures. C’est dans ce cadre qu’il m’a demandé de présenter un ouvrage essentiel : L’Âme de tout apostolat de Dom Jean-Baptiste Chautard. Signe providentiel, vous allez comprendre pourquoi.

« Imprégnez vous bien de l’Esprit de Jésus-Christ en vous animant tous d’une vie intérieure intense. À cette fin, je ne puis vous indiquer de meilleur guide que L’âme de tout apostolat. » C’est ce qu’écrit saint Pie X qui en avait fait son « livre de chevet ».

Dom Chautard « a mis excellemment en lumière… la nécessité d’une vie intérieure chez les hommes d’œuvre[1] pour la vraie fécondité de leur [action], » écrit Benoît XV.

Le cardinal Amette, archevêque de Paris, le recommande aux « personnes zélées » qui se dévouent à nos œuvres qu’il importe d’animer toujours par cette vie intérieure qui seule peut en assurer la fécondité ».

C’est bien l’Église, corps mystique du Christ, tous ses membres, qui sont appelés à cette œuvre, pas seulement les ecclésiastiques et les religieux, mais aussi les « simples fidèles, fervents catholiques » qui étaient à l’époque « légion » : « personnes d’œuvres, cœurs ardents, pères et mères de famille, les époux chrétiens qui se considèrent comme obligés l’un envers l’autre à un apostolat qu’ils exercent en même temps sur leurs enfants ».

Après ces recommandations, mon expérience personnelle fera pâle figure, sauf à ajouter, par sa modestie, un nouvel intérêt pour ce livre.

*

En 2000, l’association Civitas démarchait les communautés « tradi » pour y susciter la création de cellules, dans une approche similaire à celle de la Cité catholique de Jean Ousset. Des responsables régionaux sont donc venus à Poitiers pour présenter leurs initiatives. Réunion assez nombreuse, patronnée par un prêtre, intéressé mais réservé comme il se doit. Les « recruteurs » sont motivés, leur passion est communicative. Il faut un volontaire pour animer cette cellule. Les regards se tournent vers moi. J’ai cédé en me faisant à peine prier.

Du reste, remarque finement Dom Chautard, songe-t-elle seulement à résister, cette âme à la piété superficielle, alors qu’elle est toute à la satisfaction déjà trop naturelle, de dépenser son activité et ses talents, au profit d’une cause excellente. N… sent s’éveiller en lui le désir de se consacrer aux œuvres. Il est d’ailleurs inexpérimenté. Ses goûts d’apôtre nous donnent le droit de lui croire de l’ardeur, quelque fougue dans le caractère, de l’imaginer se plaisant à l’action, peut-être au combat. Bientôt, en vertu même des circonstances que font naître ces nouvelles occupations (et toute personne habituée aux œuvres nous comprendra), bientôt, disons-nous, surgissent pour lui mille circonstances pour le faire vivre de plus en plus hors de lui, mille appâts pour sa naïve curiosité, mille occasions de chute.

N… mon frère, comme je te ressemblais.

De fait, déjà fortement engagé dans ma vie professionnelle, je me suis d’autant plus investi dans cette nouvelle mission que je n’avais pas la moindre idée des exigences d’un véritable apostolat.

Sans direction spirituelle, nous engagions des actions apparemment méritoires : dénonciation de publicités scandaleuses (affaire Beneton), action contre l’envahissement des horreurs d’Alloween, docte conférence sur l’obligation du paiement de l’impôt « rendez à César… » par un professeur de droit fiscal de l’Université, « tradi » comme nous, …, étude d’ouvrages de référence, vente de la revue Civitas à la sortie de la messe et même une quête fructueuse pur financer nos « combats ».

Que n’avions pas commencé par L’Âme de tout apostolat ! Qui nous l’aurait conseillé ? Qui nous aurait exhortés à réaliser l’union de la vie active et de la vie intérieure ? Cette union parfaite est bien rare. Elle exige, du reste, pour être réalisée, un ensemble de précautions fréquemment négligées. Ne rien entreprendre au-dessus de ses forces. Voir en tout habituellement, mais simplement, la volonté de Dieu. Ne s’engager dans les œuvres que lorsque Dieu le veut, et dans la mesure exacte où il lui plaît de nous y voir adonnés, et par le seul désir d’exercer la charité. Dès le début, Lui offrir notre travail et, dans le cours de nos labeurs, ranimer fréquemment par de saintes pensées, de brûlantes oraisons jaculatoires, notre résolution de n’agir que pour Lui et par Lui. Au demeurant, quelque attention que nous devions apporter à nos travaux, nous conserver toujours dans la paix, parfaitement maître de nous-mêmes. Pour le succès, nous en remettre uniquement à Dieu et n’aspirer à être délivrés de tout souci que pour nous retrouver seuls avec Jésus-Christ. Tels sont les conseils très sages des maîtres de la vie spirituelle pour arriver à cette union.

Nous étions à mille lieux de toutes ces idées cédant aux tentations de l’action pour l’action.

Et pourtant, dès les premières réunions des responsables régionaux, je montrais un désaccord sur la stratégie qui nous était proposée. Fallait-il vraiment rechercher des alliances avec d’autres mouvements quelle que soit leur philosophie pourvu qu’ils visent les mêmes cibles ? J’étais choqué par l’idée « qu’il n’était pas nécessaire de nous promener avec la bannière du Christ sur le front » !

Si tout en reconnaissant théoriquement que le Rédempteur est la cause primordiale de toute vie divine, l’apôtre dans son action oubliait cette vérité, et aveuglé par une folle présomption injurieuse pour Jésus-Christ, ne comptait guère que sur ses propres forces, ce serait un désordre moindre que le précédent mais tout aussi insupportable au regard divin.

L’américanisme[2], lui, se figure qu’il apporte une grande gloire à Dieu en visant principalement les résultats extérieurs.

Nos réunions après la messe des premiers samedis du mois n’apportaient plus d’enrichissement qu’au seul animateur qui se chargeait de la restitution de ses études du livre Le Libéralisme est un péché[3]. J’étais tenté de me retirer.

Que ces humbles pages aillent aux soldats, qui, tout zèle, tout ardeur pour leur noble mission, s’exposent, en vertu même de l’activité qu’ils déploient, au péril de n’être point, avant tout, des hommes de vie intérieure et qui, s’ils en étaient un jour punis par des insuccès en apparence inexplicables, autant que par de graves dommages spirituels, seraient alors tentés d’abandonner la lutte et de rentrer découragés sous la tente.

Mais, respect humain, lâcheté ? comment me sortir de là sans un soutien providentiel ?

Un jour pourtant arrive où l’on entrevoit le danger : l’Ange gardien a parlé, la conscience réclame. Il faudrait se ressaisir, s’examiner dans le calme d’une retraite, prendre la résolution de s’attacher énergiquement à un règlement qu’on ne quittera point, dût-on pour cela négliger des occupations devenues si chères.

Il se manifesta plus discrètement par une mutation professionnelle, et le combat cessa faute de combattant[4].

À quelques dix-sept ans de distances la lecture de L’âme de tout apostolat m’a permis cette « introspection ». Cet ouvrage apporte d’autres réponses à nos interrogations. Dieu veut-il que nous nous engagions dans les œuvres ? Qu’est-ce que la vie intérieure ? La vie intérieure répond-elle à l’exigence de charité ?

Peut-être trouverez-vous avantage à vous le procurer si vous ne l’avez déjà en tous cas j’espère que les pensées qui y sont développées nous aideront, comme elles ont aidées son auteur, à ne pas oublier que jamais le Dieu des œuvres ne doit être délaissé pour les œuvres de Dieu.

Serge Iciar

 

Ce livre est en vente à notre librairie, ici. Et le livre « Le libéralisme est un péché » est en vente ici.

 

[1] On parlait, à l’époque, des œuvres et des hommes d’œuvres, aujourd’hui on parle de l’action et des hommes d’action. C’est la même chose, d’un point de vue concret ou d’un point de vue théorique.

[2] Durant la seconde moitié du XXe siècle, plusieurs évêque américains, dont le cardinal James Gibbons, encouragent la participation des catholiques à la vie publique du pays (pour les réformes sociale et économique) et d’une manière générale mettent l’accent sur les aspects du catholicisme plus en harmonie directe avec la culture et la société américaine contemporaine : la pratique des vertus humaines et naturelles plutôt que les vœux de religion, la liberté de conscience, un regard positif et de nouveaux rapports avec les autres confessions chrétiennes, etc. Érigé en « doctrine » ce mouvement fut condamné par Léon XIII dans sa lettre apostolique Testem Benevolentiae du 22 janvier 1899.

[3] En vente à notre librairie, ici.

[4] Quant à Civitas sa transformation « de facto » en parti politique engagé dans les prochaines élections démocratiques » fait craindre qu’elle n’a pas échappé à l’ américanisme » de ses débuts.