Cette lettre fut écrite par un prêtre insermenté, c’est-à-dire ayant refusé le schisme révolutionnaire de 1790, prêtre du Doubs qui poursuivit son ministère de façon héroïque auprès de ses paroissiens et de bien d’autres catholiques. Deux-cent trente ans plus tard on peut la reprendre sans avoir quasiment rien à y changer. On peut surtout la mettre en application, c’est pourquoi je vous la publie. Je ne saurais mieux dire et je la prends à mon compte pour vous souhaiter une bonne et sainte année.
Abbé François Pivert
30 décembre 1793
Mes chers et bien chers Paroissiens
Je ne puis m’empêcher en finissant cette malheureuse année et sur le point d’en commencer une nouvelle de vous faire les souhaits ordinaires. Autrefois, je vous les faisais tranquillement au pied de nos autels, où tous assemblés nous faisions quelques réflexions sur l’année qui venait de finir et sur celle que nous avions commencée.
Nous trouvions de quoi nous humilier et souvent pour plusieurs raisons surtout pour le temps mal employé et l’abus de plusieurs grâces reçues, surtout de tant de confessions et de communions faites dans le cours de l’année, et dont nous n’avions pas tiré tout le parti que nous pouvions et devions en tirer. Malgré ces fautes, nous nous regardions comme heureux de ne pas les avoir profanés par des sacrilèges, d’avoir passé l’année sans nous être rendus coupables de quelque péchés mortels ; nous nous exhortions à mieux faire, à combattre plus directement la passion qui nous dominait. Nous faisions choix d’une vertu particulière à pratiquer, en un mot, nous recommencions l’année avec une nouvelle ferveur et une ferme résolution d’être plus parfaits.
D’autres fois encore, quelques uns ne voyant après nous qu’une année passée dans le péché, dans l’habitude quelquefois la plus honteuse, qui avait multiplié les péchés par dessus les cheveux de la tête, ou dans un oubli entier ou presque entier des choses de notre salut, uniquement occupés des affaires présentes, nous regrettions le temps perdu, profané par le crime, nous en faisions l’aveu sincère au tribunal de la pénitence en promettant de changer de vie et d’imiter les personnes qui pendant le cours de l’année nous avaient édifiés.
Mais hélas ! Plusieurs autres, aveuglés, dominés par des passions qu’ils n’avaient pas le courage de combattre, passaient ces saints jours de fête comme les autres de l’année, sans réflexion et sans rendre à Dieu aucun culte, si ce n’est un culte d’hypocrisie, plus propre à outrager Dieu qu’à l’honorer, abusant de toutes les grâces intérieures et extérieures, étouffant tout remords de conscience et n’écoutant aucune instruction. Aujourd’hui que je me trouve éloigné de vous, je ne puis que faiblement me faire entendre : je ne le puis que par lettre, où l’on n’ose parler qu’à demi. D’ailleurs, mes chers paroissiens, je ne connais plus votre situation, ni vos besoins spirituels.
Je pense qu’ils sont bien grands pour plusieurs. Avez-vous soutenu les intérêts de la religion comme vous y étiez obligés ? Les menaces ne vous ont-elles point fait communiquer dans les choses saintes avec les prêtres sacrilèges et schismatiques ? N’avez-vous point engagé les autres à le faire ? Ou, ce qui serait encore pis, n’avez-vous point persécuté les catholiques par vos discours, rapports, accusations ou par des vexations dans les biens ou le corps ? Combien de gens qui ont fait cela et qui croient se justifier quand ils ont dit : c’est la loi qui l’ordonne. Ah ! Pauvres malheureux, voyez l’état où vous avez réduit le plus beau des royaumes. Non ! La postérité aura peine à croire tout ce que l’histoire en racontera. Ce n’est pas ici le lieu de vous en faire le tableau : je vous contenterai de vous y faire remarquer le doigt de Dieu. Comment s’est-il pu faire que sept à huit cents hommes soient venus à bout de renverser le trône, les parlements, l’Église, en un mot tout ce qui était le plus fort et inspirait le plus de respect ? Comment peut-il se faire que presque les trois quarts des Français, qui abhorrent le gouvernement actuel, soit dans le temporel, soit dans le spirituel, comment toutes ces forces assemblées n’ont-elles encore pas et ne peuvent-elles renverser un ouvrage fondé sur l’hypocrisie et l’impiété, pour lequel l’univers n’a qu’une souveraine horreur, si vous en exceptez cette lie cette classe d’hommes passionnés qui n’ont ni foi ni loi et point d’autre Dieu que leur corps ? N’est-ce pas le Tout-Puissant, le Dieu juste qui se venge visiblement des outrages qu’il reçut dans le royaume, et qui se sert de la main de tous les scélérats qui s’y trouvent pour manier la verge dont il vous corrige ? Mais un moment de patience, et cette verge sera brisée avec ceux qui s’en seront servis, lorsque nous aurons apaisé par nos larmes le Dieu des miséricordes. Alors, Dieu nous donnera la paix, la religion ; il se servira des moyens faibles, du moins qui paraîtront tels, pour nous faire sentir que c’est lui qui fait tout et non le bras de l’homme, que par conséquent, c’est sur lui seul que nous devons compter.
Attendons, chers paroissiens, cet heureux moment et vivons d’une manière si chrétienne que nous forcions Dieu à l’accélérer. Je souhaite donc que cette année que nous allons commencer soit pour nous la dernière année de persécution, que ce soit celle où les autels seront relevés, le véritable culte rétabli sur les ruines du schisme et de l’impiété, où vous détestiez vos erreurs, votre aveuglement volontaire, vos calomnies contre le clergé, où vous fassiez la paix les uns envers les autres, en pardonnant les injures que nous ont faites les soi-disant patriotes qui sont peut être nos frères, nos parents et nos voisins. Et je ne vous souhaite pas des biens temporels qui vous seraient bientôt enlevés par des brigands, mais une vie chrétienne, l’exemption du péché, la paix de l’âme, une bonne conscience et s’il faut mourir, la mort des saints. Rien en ce monde ne sera capable de vous enlever des biens aussi précieux.
Il y a comme trois semaines que je vous ai écrit. Je vous y faisais un petit tableau des horreurs qui se commettent en France, le complot formé de détruire le christianisme, ce que les clubs et les prétendus patriotes surtout des villes avaient fait pour y réussir ; ils avaient cru que la nation entière allait embrasser leur système ; ils se sont trompés. Les schismatiques n’ont pu le goûter, ni leurs fêtes païennes ; les nations étrangères ont frémi. En conséquence, le patriotisme s’est ralenti, le nombre des aristocrates a augmenté. Nos philosophes s’en sont aperçus : pour ne pas indigner davantage le petit peuple, ils ont arrêté pour un moment leur fureur ; ils ont décrété que ni les autorités particulières, ni les armées ne se mêlaient du culte, que chacun serait libre de l’exercer comme il voudrait, sans néanmoins déroger aux lois portées contre les prêtres réfractaires.
Cela veut dire que le culte schismatique sera toléré, mais non le culte catholique, puisqu’on ne veut souffrir aucun ministre du culte (catholique). C’est un vrai malheur, parce que le culte schismatique en profitera pour s’enraciner. Du reste, leur intention est toujours de détruire le Christianisme, mais la difficulté est de trouver des moyens qui ne révolteront pas. La dernière Gazette de Paris disait ces paroles : « on parle de nommer des ministres du culte de la raison et de les salarier aux frais de l’État. C’est un moyen plus sûr de détruire le fanatisme que la persécution. »
Remarquons qu’ils donnent le nom de fanatisme à la religion chrétienne et qu’ils appellent « fanatiques » les catholiques.
Bénissons la Providence, mes chers paroissiens, bénissons-la de ce qu’elle a donné le temps à nos philosophes de manifester leur turpitude. Si les affaires s’étaient rétablies il y a un an comme nous le désirions, nous n’aurions eu qu’une partie de la mauvaise œuvre de l’Assemblée nationale. On aurait pu toujours dire que l’on n’avait en rien touché à la religion et que ce n’était pas l’intention de l’Assemblée d’y toucher ; toujours le peuple aurait jeté la faute sur les prêtres insermentés ; mais aujourd’hui qu’ils ont dévoilé si patiemment leur système impie ; aujourd’hui que leurs écrits parlent et leurs actions encore plus, voilà le clergé vengé de toutes les calomnies injustes lancées contre lui. Aussi toutes les nations rendent témoignage de notre zèle et nous donnent mille bénédictions en place d’une indifférence qu’on nous témoignait lorsque l’on ne nous connaissait que par des calomnies de nos ennemis. Je finis, mes chers paroissiens, c’en est assez pour les bons catholiques. Je désirerais bien faire quelque chose de plus pour votre bien : j’ai fait mille souhaits de me trouver au milieu de vous, mais toujours en vain, j’en suis toujours éloigné. Je vous visite souvent en esprit Si vous me voyiez toutes les fois que je pense à vous, je vous deviendrais ennuyeux. Les solennités me rendent plus inquiet que joyeux, par la raison que je vous vois sans autel, sans culte, etc. Ce qui me console, c’est que vous n’êtes pas sans Dieu. Il est plus près de vous que jamais il ne fut, si vous êtes demeurés fidèles.
(…) Ah ! Mes chers Paroissiens, ne perdez pas la foi, gémissez sur les scandales dont vous entendrez parler, faites des amendes honorables à Jésus-Christ pour les outrages qu’il reçoit chaque jour dans toute la France. Priez devant votre Crucifix, c’est là que Jésus-Christ veut recevoir vos hommages. Ne perdez pas patience, le règne des impies ne dure pas, dit l’Esprit-Saint. C’est peut être quand nous croirons tout désespéré que nous serons plus près de notre délivrance.
Je vous embrasse de tout mon cœur et me recommande plus que jamais à vos prières. Je ne signe pas, vu que vous connaissez mon écriture.
Cressier le 30 décembre 1793
Arrêté le 15 janvier 1794 chez son oncle Noroy à Mont de Vougney, l’abbé Robert fut guillotiné le 24 janvier à Belvoir.
Vie de l’abbé François-Joseph ROBERT
François Joseph Robert naît le 16 février 1761 à Mont de Vougney, petit village comtois, second fils de Jean-Baptiste Robert et de Jeanne Françoise Noroy, baptisé le même jour dans l’église locale.
Fils de paysan, il connaît très tôt les exigences de la vie saine et active à la campagne. Il est d’assez forte stature pour l’époque, détail qui aura son importance lors de son arrestation.
Ses études à Besançon
Les détails manquent sur sa petite enfance ; on sait qu’il fut élève au collège royal de Besançon, puis à la fin de ses études secondaires et avant d’entrer au séminaire, il suit les cours de « logique » dans un établissement tenu par des prêtres du diocèse.
Nous sommes à ce moment charnière des années qui précèdent le déclenchement de la Révolution ; les esprits s’échauffent et grâce à ses qualités intellectuelles et morales, le jeune Robert discerne déjà les signes qui affecteront quelques années plus tard la société civile et la religion catholique et entraîneront la défection d’une grande majorité de prêtres lorsque ces derniers seront amenés à choisir entre la fidélité à la religion de toujours et sa mise en conformité aux idées révolutionnaires.
Dans la biographie qu’il a consacrée à la vie et à la mort de l’abbé Robert, Mgr Panier note à son propos : « Pendant la fin de ses études théologiques, qu’il achève au Grand Séminaire, il n’ignore rien des événements graves et des discussions passionnées qui ont lieu autour de lui. Les idées nouvelles ont sur lui si peu d’attrait et si peu d’empire, que pendant cette même période, il met son nom au bas d’une adresse rédigée par les jeunes diacres ses confrères dans laquelle, à la veille de leur ordination sacerdotale, ils déclarent à Mgr Durfort qu’il est leur seul archevêque et qu’ils n’en reconnaîtront jamais d’autre. »
Cet épisode est révélateur de l’état d’esprit du jeune clergé franc-comtois et préfigure leur refus du serment qui leur sera prescrit plus tard par la Constitution civile.
Son caractère
Admis au séminaire en 1785 à l’âge de vingt quatre ans, les notes de l’abbé François Joseph Rober révèlent en lui un homme d’action plutôt qu’un intellectuel. L’énergie qui est la sienne a besoin de se dépenser ; il a plus l’âme d’un missionnaire, d’un conquérant, ce dont les temps agités du moment ont le plus besoin.
Ouvert et généreux, convaincu et passionné, aimable et sympathique, il exerce une influence prompte sur ceux qui l’entourent. On l’admire, on l’écoute, on le suit, on s’attache à sa personne ; il a une éloquence chaude, prenante, populaire.
Il n’a rien de violent, d’âpre ou d’acrimonieux. Sa belle humeur est constante, sa gaieté épanouie et une aptitude à deviner les intentions de ses ennemis et à se jouer d’eux. Prudent, il n’est cependant ni impulsif ni téméraire, La persécution sanglante qui se prépare le trouvera prêt à affronter toutes les épreuves, tous les dangers.
Il n’accordera qu’un intérêt limité aux débats politiques dans la mesure de leurs conséquences sur le domaine religieux qu’il place au-dessus de tout sans toutefois renier son attachement au pouvoir royal et à la monarchie. Le péril couru par l’Église lui parait supérieur à celui qui menace l’État parce que le péril de l’État est terrestre, passager et secondaire tandis que la valeur des âmes est d’un prix supérieur. Ses préoccupations vont d’abord aux populations catholiques des montagnes jurassiennes menacées dans leurs qualités morales par l’esprit de la Constitution civile du clergé avec le risque de perdre leur âme.
Il aurait été ordonné le 20 juillet 1788 (date et lieu incertains).
Guyans Vennes
Ce serait dans cette paroisse que l’abbé Robert aurait été envoyé comme vicaire dans la seconde moitié de l’année 1788. Le premier acte accompli par lui est un acte de baptême du 4 décembre 1788.
Cette paroisse comprenait plusieurs agglomérations dont Guyans avec son église était la plus importante, Vennes, Grandchaux, Consolation avec son couvent des Minimes au confluent du Dessoubre et du Lançot. C’est dans la chapelle du couvent que se trouvait l’image miraculeuse de la Vierge rappelant l’histoire du sire de Varembon tombé lors des croisades entre les mains des Musulmans. Au moment de subir le dernier supplice, il se retrouva sain et sauf dans son château de Castelneuf bâti au dessus de la source du Dessoubre et qu’en 1639, Bernard de Saxe Weimar brûla et détruisit de fond en comble.
Au moment de la Révolution, le couvent ne comprenait plus que quatre prêtres et deux religieux.
C’est avec le petit bourg voisin d’Orchamps-Vennes que le pays avait le plus de relations, étant un peu plus éloigné de Fuans sur la route de Besançon à Morteau.
Le pays est profondément catholique dans son immense majorité avec quelques partisans des idées nouvelles, jeunes pour la plupart, bruyants, de mœurs faciles, agités, habitués des cabarets, lecteurs de journaux révolutionnaires, peu considérés par les habitants
Pendant plus de soixante ans, deux prêtres avaient successivement dirigé la paroisse et y avaient fait œuvre durable. L’abbé Monnin avait été curé de 1730 à 1758, l’abbé Clerc, âgé et malade, était encore en poste à l’arrivée de l’abbé Robert. Le prédécesseur de l’abbé Robert avait été l’abbé Huot jusqu’en 1786 avant d’être nommé curé de La Grange. Après avoir vécu comme un saint, l’abbé Huot sera fusillé aux côtés de l’abbé Tournier à Besançon-Chamars en 1793.
Les débuts de l’apostolat de l’abbé Robert
Grand, fort, marcheur infatigable, il a tôt fait de connaître le village, ses hameaux, ses fermes, les sentiers, les couverts, les grottes. Il eut à cœur de prendre un contact direct et répété avec chaque famille, de se rendre un compte personnel et exact de l’état d’esprit et des âmes, toutes dispositions qui lui furent fort utiles par la suite.
La situation politico-religieuse
Le nouveau régime né des États Généraux, aux prises avec un déficit important s’était emparé des biens de l’Église et à les avait mis en vente pour guérir les finances malades. Bien que prétendant ne s’intéresser qu’aux biens matériels de l’Église, les détenteurs du pouvoir en vinrent vite à s’en prendre à son âme et à son organisation.
Dans de telles conditions, il est facile de peser sur les consciences en les privant des secours de la religion. La Constitution civile fut la grande faute criminelle et irréparable. Sous prétexte qu’ils ne touchaient ni au dogme, ni au Credo et imitaient disaient-ils, à la fois l’Église primitive et les rois chrétiens, les députés jansénistes, protestants, philosophes ou juifs se donnèrent la satisfaction de détruire ce grand corps ecclésiastique qui à tous avait été jadis plus ou moins hostile.
La Constitution civile du clergé
Votée le 12 juillet 1790, elle passa presque inaperçue, approuvée le 24 août par le Roi, elle ne fut publiée dans les départements que fin septembre. Les rédacteurs de la Constitution prétendirent alors faire œuvre « constructive » et voir, sur les ruines de l’ancienne Église, l’Église nouvelle sortir des limbes et devenir réalité.
Le 26 novembre, un décret obligeait les évêques et les prêtres, « fonctionnaires publics » à prêter serment et fidélité à la Constitution civile.
Chaque prêtre, sous peine de destitution, devait prononcer la formule : « je jure d’être fidèle à la nation et au roi, et de maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le Roi ».
Le décret fut voté le lendemain et le roi, en dépit de ses répugnances finit par l’approuver. La voie de la violence et de la persécution était ouverte.
La position de l’abbé Robert
Elle était déjà connue et il ne s’en cachait pas. Lors de son prône du 1er mai 1791, il commence : « la foi et la religion sont pour ainsi dire perdues en France » et il continue « ce ne peut être que des personnes livrées à toutes sortes d’abomination et de crimes, à l’ivrognerie, à l’impureté, à l’avarice, des personnes vendues depuis longtemps à l’iniquité, qui puissent soutenir la nouvelle Constitution et dire qu’elle ne blesse pas la religion. Et tous les bons prêtres, je dis, les bons, parce que dans tous les états il y a de mauvais sujets ; tous les bons prêtres, même ceux qui, dans le commencement étaient les plus constitutionnels, pensent à l’expliquer comme moi. »
Dès lors, l’abbé Robert va voir se lever contre lui des contradicteurs, la plupart procureur ou conseiller municipal. La masse, avec son bon sens rassis et lent de Comtois reste calme, voire défiante.
Jean-Pierre-Nicolas Buisson
À peine plus jeune que l’abbé Robert, il est son bras droit. II personnifie ces qualités de pondération, de mesure, de goût de l’équilibre. Il exerce la profession, mal rétribuée, de maître d’école, choisi par les parents en 1782. Intelligent, consciencieux, d’humeur paisible, il exerce une influence sur les enfants et sur leurs parents. Profondément chrétien, il préférera perdre sa place plutôt que de se rallier à l’Église constitutionnelle. Marié, père de 4 enfants, il est le sage conseiller auquel tous ont recours.
Il apportera à l’abbé Robert une aide importante. Sa grandeur d’âme lui vaudra de mourir à son tour sous le couperet de la guillotine à Maîche avec 12 autres paysans de la Petite Vendée à laquelle il était complètement étranger. Plus tard, trois de ses fils devinrent prêtres.
La position du clergé
À la veille de la Révolution, l’état de l’Église en France est mauvais et fragile. Le contraste est manifeste entre les évêques et les pauvres prêtres de campagne, qui aspirent à des réformes et à la suppression des abus. Leurs exigences, légitimes et raisonnables seront exploitées par les révolutionnaires. Ils crurent de bonne foi à la Constitution civile. Il est donc logique de les trouver dès 1790 dans l’administration des départements et des districts.
C’est ainsi qu’on trouve parmi eux les curés de Flangebouche, de Pierrefontaine, d’Orchamps-Vennes. Certains participèrent à l’élection de M. Seguin comme évêque du Doubs à la place de Mgr Durfort. (vote du l4 février l791).
Par la suite, le curé de Flangebouche revint sur ses positions et rejoignit les réfractaires.
La tension monte, les esprits s’échauffent. « les individus n’ont qu’à obéir quand la volonté publique s’est exprimée » devient la formule officielle.
Mgr Durfort, expulsé de son palais épiscopal, le 28 avril, prend le chemin de Pontarlier.
M. Seguin prend possession du palais Grammont en tant que nouvel évêque tout en conservant ses fonctions civiles de Président du Directoire.
Le samedi 30 avril suivant, l’abbé Robert fit de ce jour de joie demandé par M. Seguin, un jour de deuil en faisant prier le Miserere, le psaume de la pénitence.
Le lendemain, dimanche 1er mai, il annonça à la paroisse l’ouverture des classes le lendemain en précisant : « ayez bien soin d’envoyer vos enfants afin que nous puissions encore au moins leur apprendre ce qu’est la foi, ce qu’est la religion. Car l’une et Vautre sont perdues en France. Oui, je ne crains pas de le dire. »
Ces propos sont rapportés par l’accusateur Coste qui précise encore qu’aux Vêpres du même jour, « le sieur Robert lut une instruction qu’il dit adoptée par 42 évêques de France parmi lesquels le ci-devant métropolitain de ce département… il présente l’Église catholique comme persécutée et conseille l’administration secrète des sacrements, déclare l’Église gallicane schismatique, qu’assister à la messe d’un intrus, c’est coopérer au schisme, se confesser auprès d’eux, c’était se rendre plus coupable que l’on était auparavant… Tous ces actes, tous ces discours dudit sieur Robert sont autant de révoltes contre les lois, de désespect (sic) à la législation, de troubles excités, de séditions préparées qu’il est de notre devoir de réprimer ».
De tels récits ne pouvaient que susciter l’exaspération des ennemis de l’abbé Robert.
L’arrestation manquée
Elle est manigancée par des Jacobins d’Omans et d’Orchamps-Vennes qui se posent en gendarmes et policiers et prennent la route de Guyans-Vennes armés de piques et de fusils. Venant de Fuans et arrivés près de Guyans-Vennes ils sont abordés par un jeune paysan haletant, vêtu d’habits de travail qui venait les prévenir de ne pas aller plus loin, les habitants du village armés se préparaient à les accueillir. Les « patriotes » hésitent et font demi-tour. Le jeune paysan n’était autre que l’abbé Robert.
L’anecdote fit le tour de tout le village qui ne ménagea pas les moqueries et les sarcasmes envers les vaillants Jacobins. Furieux, ceux-ci décident de revenir le soir même plus discrètement, sûrs de surprendre leur proie. Ils envahissent le presbytère, fouillent partout et par une fenêtre encore ouverte aperçoivent l’abbé leur faire un grand signe et disparaître dans les bois tout proches.
L’abbé comprit qu’il devait quitter son presbytère et chercher refuge dans les fermes sûres des environs.
En rapport constant avec M. Buisson, il était tenu au courant et profitait de la nuit pour visiter les malades de Guyans-Vennes et des paroisses voisines.
Le 20 mai des poursuites étaient engagées à la demande du procureur général syndic et du juge audit auprès du tribunal, M. François Xavier Coste d’Omans.
Le curé constitutionnel de Guyans-Vennes
Les hostilités allaient être déclenchées par M. Seguin, évêque constitutionnel du Doubs et demeuré président du Directoire. Prévenu de la situation de Guyans-Vennes, il affecte un ancien religieux du nom de Baverel, sorti de son couvent, comme nouveau curé de Guyans-Vennes qui reçut l’accueil le plus détestable de la part de ses paroissiens le 27 mai, puis de façon plus marquée le lendemain et enfin placé dans l’impossibilité de célébrer la messe dominicale le 29. Baverel n’eut plus qu’à regagner Orchamps-Vennes pour y faire entendre ses plaintes, présentant son aventure comme une série d’agressions sur sa personne et une insurrection menée par l’abbé Robert. Celui-ci devenait l’ennemi public qu’il fallait mettre hors d’état de nuire par son arrestation dans les plus brefs délais.
Un nouveau mandat d’arrêt était lancé le 9 juin contre l’abbé Robert. Une fois de plus, les gendarmes venus l’arrêter en sont pour leurs frais.
Anecdote piquante, peu après l’installation de Baverel, dans le presbytère l’abbé Robert poussa l’audace jusqu’à s’installer dans le clocher de l’église de Guyans-Vennes. Il y resta six semaines, aidé par M. Buisson qui, officiellement chargé de la sonnerie des cloches, lui apportait sa nourriture, lui servait la messe la nuit, lui signalait les malades en danger.
La lettre pastorale de M. Seguin, évêque constitutionnel
Cette lettre du 13 juin 1791 devait être lue dans toutes les paroisses.
Elle précise : « Si, contre notre attente, il s’en trouvait (des curés et des vicaires) qui pussent s’oublier à ce point (le refus de lecture), les municipalités doivent les inviter de nouveau et, en cas de refus obstiné, en donner avis à leurs districts qui de leur côté auraient soin de nous en instruire ».
Cette menace était la déclaration de guerre des prêtres constitutionnels aux prêtres réfractaires.
Le 14 juin 1791, un mandat d’arrêt et une assignation à comparaître est lancée contre l’abbé Robert qui n’y répond pas. Une seconde assignation est lancée le 12 août suivant sans plus d’effet. Les gendarmes de Morteau sont alors chargés de se saisir du récalcitrant qui continuait à exercer clandestinement son ministère.
Nouvelle visite infructueuse des gendarmes le 11 septembre au moment où la Constituante, sur le point de se séparer décrète une amnistie générale pour les faits relatifs à la Révolution »
Ce décret annulait les poursuites contre l’abbé Robert qui put regagner son presbytère, reprendre au grand jour ses fonctions de vicaire, être aux côtés du vieux curé Clerc et l’assister lorsque celui-ci meurt le 17 octobre 1791.
La Législative
La nouvelle assemblée qui succède à la Constituante, se montre d’emblée hostile aux prêtres réfractaires et se propose de les exiler. Par la loi du 29 novembre, tous les prêtres devaient sous huit jours prêter le serment civique. En cas de refus, ils étaient privés de leurs traitements et déclarés « prévenus de révolte contre la loi, de mauvaise intentions contre la patrie et recommandés comme tels à la surveillance des autorités constituées. » Des peines de prison étaient prévues. L’abbé Robert avait évidemment refusé de prêter serment ce qui le privait de son traitement et le rendait à nouveau suspect.
Le décret du 26 août 1792
Poursuite du ministère clandestin
Le décret obligeait les prêtres insermentés à « se déporter », à sortir de France. L’abbé Robert annonça officiellement sa décision de s’installer en Suisse. Le 20 septembre, il arrivait à Cressier dans le canton de Neufchâtel, auprès de 95 prêtres originaires du diocèse de Besançon déjà installés.
En s’installant à Cressier, l’abbé Robert n’avait nullement l’intention d’abandonner ses fidèles paroissiens. C’est de là que commencèrent ses longues chevauchées clandestines dans cette partie du diocèse qu’il connaissait par cœur avec tous les risques que cela comportait
Les allées et venues de l’abbé Robert sont connues des autorités qui enragent de ne pas pouvoir mettre la main sur « l’infâme Robert ». Il est signalé partout, célèbre des messes, assiste les malades, procède aux baptêmes. Il lui faut une nuit de marche pour parcourir les 40 kilomètres qui l’amènent de Cressier à Guyans-Vennes ou dans toute autre paroisse des environs. Il sait où passer la frontière, auprès de quelle famille sûre il peut trouver asile, déjouer les pièges de ses ennemis.
Les municipalités et les directoires de district en étaient arrivés à voir en lui l’animateur de la résistance des populations, notamment celle qualifiée de « Petite Vendée ». La sanction contre tout contrevenant était simple : la guillotine. La mort de la religion catholique se faisait par la mort du culte et des cérémonies religieuses, plus de messe, plus de dimanche, plus d’instruction religieuse, plus de premières communions, plus d’emblèmes religieux. Les cloches étaient muettes, les églises fermées ou transformées pour des usages profanes.
Un moment vint où cette tyrannie parut insupportable. Traités comme un vil bétail, vexés, accablés de contributions et d’impôts, pillés, les populations s’apercevaient que la liberté, dont le nom s’étalait partout et remplissait tous les discours, n’avait jamais été aussi absente et que, même sous l’Ancien Régime, ils n’avaient à aucun moment été à ce point taillables et corvéables.
La Petite Vendée fut une révolte spontanée sans programme, ni organisation, sans direction ni ressources, condamnée à l’échec, offrant le prétexte au clan jacobin de représailles sanglantes.
L’aventure prit fin le 5 septembre 1792 après quelques échecs sévères pour les survivants essayant de gagner la Suisse. Il avait fallu la valeur d’un corps d’armée pour venir à bout de quelques centaines de personnes.
La répression
L’aventure de la Petite Vendée ne s’arrête pas là. Un certain Bassal, prêtre défroqué venu de Versailles, est en mission à Besançon. C’est lui qui va procéder avec ses forcenés à un véritable pillage des villages, des maisons, des fermes, se livrer à des atrocités sur les personnes, s’emparer des biens ou y mettre le feu, mettre en pièces ce qu’ils ne pouvaient emporter.
Mont de Vougney, le village natal de l’abbé Robert, n’échappa pas à cette opération. J.B. Robert, père de l’abbé reçut la visite du maire et du procureur de la commune venus lui demander « où étaient ses trois fils Jean-Baptiste, Jean-Joseph et André-Maurice. Il a répondu qu’ils étaient partis la veille… Nous l’avons requis de se rendre avec nous à Maîche. Il a répondu qu’il allait se préparer à nous suivre et au même instant, il s’est évadé ».
Dès lors, la guillotine entre en action à Ornans (12 condamnations), à Maîche (13), à Besançon (10). Aux yeux de la gente jacobine, l’abbé Robert est le principal responsable.
Pendant ce temps, l’abbé Robert continuait son ministère ainsi que le montrent des actes signés de sa main le 1er janvier 1793, le 21 février, le 15 mars, le 24 août sur le registre de Guyans.
Il avait été très affecté par l’exécution de M. Buisson à Maîche et il pressentait que sa fin était proche comme le laisse entendre un propos à un de ses paroissiens de Guyans : « Je crois que c’est la dernière fois que je vous vois : je me dispose à aller dans ma paroisse natale et je m’attends à y être arrêté ».
L’arrestation, 15 janvier 1794
Au début de la seconde quinzaine de janvier 1794, parti de Suisse à 4 heures du matin, l’abbé Robert mettait à exécution son projet de se rendre à Mont-de-Vougney, sa paroisse natale. Il avait pris toutes les précautions habituelles et n’avait communiqué son projet à personne. Par précaution, au lieu de se diriger vers la maison de son père sans doute surveillée ; il se rendit chez son oncle Noroy. À la vue de François-Joseph, le vieil homme comprit que son neveu était perdu.
Un détail allait perdre l’abbé Robert ; un dénommé Russe qui se rendait à une assemble découvre les traces laissées par ses souliers dans la neige et l’ampleur des pas. Le dénommé Russe connaissant la grande taille de l’abbé suivit la piste qui menait à la maison Noroy et comprit tout de suite que la personne arrivée depuis peu était l’abbé Robert. Notre homme se rend aussitôt à la réunion qui se tenait près de l’église et annonce que l’abbé Robert était chez son onde « que ses pas allaient contre cette maison, qu’il fallait l’arrêter. Ils s’armèrent et coururent aussitôt de la Chapelle où ils étaient assemblés, au village où était l’abbé, entourèrent la maison, et Théodore-Jean de Maîche, agent engagé de la commune, qui conduisait la bande, entra le premier dans la maison où il trouva l’abbé qui, au bruit s’était retiré dans un coin. Ledit Jean de Maîche se retira en lui disant : demeure là, je ne dirai rien, sortit et fit entrer sa bande. Ils se saisirent de l’abbé, le renversèrent sur son dos, en le frappant sur la bouche à coups de poing. Un nommé Péquignot défit la corde d’une scie, de laquelle ils se servirent pour lui attacher les mains avec tant de force que la corde se perdit dans l’enflure, et malgré les prières et les instances qu’il leur fit de le desserrer un peu, ils ne voulurent pas et l’emmenèrent dans cet état, sans lui permettre de remettre son habit malgré la rigueur de la saison, ils ne firent que le lui remettre sur ses épaules et le conduisirent dans cet état contre Saint-Hippolyte. Ayant trouvé une brigade de gendarmes au village de Mancenans, à qui ils remirent leur proie, les gendarmes, plus humains que ses compatriotes et parmi lesquels il y avait un de ses cousins, lui desserrèrent les mains. Il tomba comme en faiblesse, lorsque le sang reprit son cours, de là il fut conduit à Saint-Hippolyte. »
L’agent communal Théodore Jean de Maîche appartenait à une famille amie de la famille Robert. Enfant, Théodore Jean de Maîche connaissait l’abbé Robert et était avec lui en termes familiers.
Chez le maire de Mancenans, une pauvre servante, touchée de compassion, supplia son maître d’avoir pitié de l’abbé dont les poignets tuméfiés et la souffrance marquée sur son visage faisaient peine à voir. Indigné lui aussi, le maire s’écria « qu’on ne traitait pas ainsi les hommes ». Les cordes furent remplacées par des chaînes. C’est alors que l’abbé Robert s’évanouit.
Lorsqu’il eut reprit ses sens, les deux gendarmes et lui prirent le chemin de Saint-Hippolyte et le soir il était incarcéré à la prison de cette localité. Là il fut interrogé par le président du district, Paris, originaire de la Grand Combe-des-Bois.
Après avoir reconnut qu’il résidait à Cressier, l’abbé Robert déclara « qu’il était rentré plusieurs fois en France, depuis son expatriation, qu’il avait reçu de plusieurs personnes du pain et des assignats, mais qu’il ne lui était pas permis de divulguer leur nom ; qu’il ne se trouvait pas en France au moment de l’insurrection des montagnes, n’y étant pas rentré depuis près de huit mois et qu’il n’avait connu cette échauffourée qu’à Cressier par le récit de ses frères. Il ajouta que dans ses différents séjours en France, il avait célébré la messe, administré les sacrements de baptême, d’eucharistie et de pénitence en divers lieux et à diverses personnes qu’il ne devait pas nommer, mais que à sa connaissance, aucune loi de la République ne défendait d’administrer les sacrements. »
Mais Paris ne pouvait admettre son absence de la Petite Vendée. L’abbé protesta avec énergie.
Paris lui ayant demandé « pourquoi il s’était permis d’écrire à des Français des horreurs », l’abbé répondit que « le seul motif qui lui avait dicté cette lettre était d’éclairer les consciences ».
La municipalité de Saint-Hippolyte s’empressa d’informer le Directoire départemental par le message suivant du 27 nivôse de l’an II :
« Enfin, on vient de nous amener le fameux abbé Robert de Mont-de-Vougey, ce fameux rebelle, qui en a tant fait passer par la guillotine. Les papiers trouvés sur lui ne respirent que le fanatisme, le royalisme et la rébellion la plus prononcée. Il serait peut être utile que le tribunal révolutionnaire se transportât en ce lieu pour faire un exemple d’autant plus remarquable que le scélérat a été important. Cette arrestation est de la plus grande conséquence, quarante émigrés pris n’exalteraient pas mieux nos cœurs que la conquête de ce prêtre. »
Besançon fut informé aussitôt et la réponse ne tarda pas : « Écrit le 28 (nivôse) à Saint-Hippolyte de faire conduire sous bonne et sûre escorte à Belvoir parce que le Tribunal révolutionnaire y sera ».
Le lendemain, Roland, président de l’Administration départementale, écrivait à Saint-Hippolyte : « Nous accueillons avec bien de la satisfaction votre lettre qui nous annonce la capture de l’abbé Robert. Enfin, ce monstre subira la peine due à ses forfaits et le peuple sera vengé d’un scélérat qui à l’aide des impostures et du crime a si longtemps trompé les malheureuses victimes de ces montagnes. Le Tribunal révolutionnaire part lundi pour Belvoir. Faites en sorte que Robert lui soit conduit de suite afin qu’il soit expédié le premier. »
À cette lettre, il convient d’ajouter celle de Rambour, l’accusateur public : « Enfin, la tête du scélérat Robert va tomber sous le glaive de la loi… Nous sommes convenus que vous seriez invités à envoyer à Belvoir sous bonne et sûre escorte le monstre en soutane pour mercredi matin : le Tribunal y sera mardi soir et nous commencerons nos opérations par exterminer le chef des contre-révolutionnaires. »
Ainsi, il n’y aura pas de procès permettant à l’accusé de défendre sa cause. Le verdict est déjà prononcé, semblable en cela au procès de Jésus devant le Sanhédrin. L’abbé Robert aura l’honneur d’être le premier acteur des « opérations » de Rambour.
L’emprisonnement au château de Belvoir
Encadré par les deux gendarmes, l’abbé Robert fait le trajet de Saint-Hippolyte à Belvoir, la chaîne au cou et les mains liées derrière le dos, suscitant la compassion et la sympathie des populations qui connaissaient sa réputation. L’abbé Robert prie, s’entretient avec ses deux gardes tout en conservant courage, gaieté et bonne humeur.
Au soir du 20 janvier 1794, le cortège arrive au château de Belvoir pour être enfermé dans les sous-sols. Le château de Belvoir était devenu bien national depuis le départ de son dernier possesseur, Mme de Marsan.
L’abbé Robert est enfermé dans la tour Nord. Dès le mardi 22 au soir, la porte s’ouvrait pour accueillir de nouveaux prisonniers venant de Baume-les-Dames au nombre de cinquante sept pour y être jugés par le Tribunal révolutionnaire. Ils étaient coupables d’avoir assisté à une messe clandestine dans la nuit du 21 au 22 décembre à la ferme du Chatelard. Parmi les prisonniers se trouvait l’ancien maire de Sancey, Joseph Barret, dont trois enfants avaient assisté à la messe clandestine.
Il avait été dénoncé par une voisine qui avait deviné le motif d’absence du maire et de ses enfants et avait suivi sa femme.
Bien que dans un local voisin de celui de l’abbé Robert, ils pouvaient communiquer depuis leur étroite fenêtre avec l’abbé Robert à la sienne. Dès lors, l’abbé s’emploie à les préparer par des prières, le Miserere, les litanies de la Vierge Marie et des saints et des hymnes de l’Église. Les prisonniers venaient l’un après l’autre saluer l’abbé. Celui-ci les instruisait en attendant l’arrivée du Tribunal révolutionnaire prévue le mardi 23 au soir et composé de son président Melchior Nodier, de ses assesseurs Millot, Parguey et Violand, et de l’accusateur Rambour. Avec eux arrivaient la guillotine et ses valets.
Les conditions de détention étaient rudes en raison du froid ambiant, d’un vent glacial et d’une nourriture notoirement insuffisante et froide malgré quelques secours de la part des habitants de Sancey.
La nuit se passa à prier le chapelet et à chanter : Alléluia, Veni Creator, Veni Sancte Spiritus, Lauda Sion.
« Le matin du jeudi (23) étant arrivé, aussitôt qu’on eut fait les prières du matin, comme lesdits particuliers avaient « continué de les faire tous ensemble, un d’eux n’eut rien de plus pressant que de souhaiter le bonjour à M. l’abbé Robert par où ils commencèrent à se parler, l’ayant aperçu, et le saint abbé de même, ils se souhaitèrent le bonjour.
« Le prisonnier lui demanda s’il n’avait point froid. Il lui dit : pas beaucoup ; que quand on était en prison pour soutenir sa foi, on était réchauffé de l’amour de Dieu. Le prisonnier lui demanda s’il ne trouvait rien le temps long, il répondit que non, que le temps lui était court pour demander pardon à Dieu de ses péchés ; qu’il n’avait plus guère de temps à vivre, mais qu’il offrait sa vie à Dieu d’un grand cœur, qu’il était bien heureux de sacrifier sa vie pour « celui qui était mort pour lui.
« Un autre lui ayant demandé la manière de se conduire, il lui fit cette réponse : Esto fidelis et prudens ; Deus erit merces vestra, Sois fidèle et sage, Dieu sera votre récompense. Après quoi, il, dit qu’il avait été très édifié d’entendre comment les prisonniers avaient passé la nuit, en louant le Seigneur par des chants d’hymnes et de cantiques
« Un autre étant à la fenêtre pour parler à des gens qui leur apportaient le nécessaire un soldat lui dit qu’il ne savait pas comment des prisonniers pouvaient être si joyeux. Le prisonnier, inspiré par le Saint-Esprit, lui répondit qu’il n’y avait point d’endroit plus joyeux qu’en prison, que la prison c’est le chemin du Ciel, le faubourg du Paradis, qu’on était consolé quand on était semblable à Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il était venu au monde pour nous apprendre à souffrir : que les hommes ne pouvaient rien qu’à nos corps : que c’était un peu de terre, comme si on hachait un morceau de bois et qu’on le brûle : que nos corps étaient tous de même : que notre âme, quand notre conscience ne nous reproche rien était toujours contente : que la guillotine ce n’était rien. »
L’après-midi du 23 janvier se passa en entretien avec les autres prisonniers, en prières, en chants et en hymnes. Tous l’écoutaient exprimer sa joie : « Plus mon heure approche et plus je suis gai. Ah ! Mon Dieu ! Ah ! Mon Dieu ! Bientôt vous me tirerez des misères de ce monde, je vous fais le sacrifice de ma vie, de mon sang, de tous les biens de ce monde. Je meurs à la fleur de l’âge mais le sacrifice est d’autant plus grand, ô mon Dieu ! Ah ! Que le peu de vie qui me reste soit au moins employé à faire pénitence de mes péchés ! »
La nuit du 23 au 24 se passa comme la veille en prières et cantiques avec les autres prisonniers, l’abbé enchaînant le Miserere, l’Ave verum, l’Inviolata, le Sanctus repris par les prisonniers, puis l’abbé reprit : « Mon heure approche, avec une joie inexprimable et une figure admirable, répétant : Ah ! Mon Dieu, je vous fais le sacrifice de ma vie, de mes biens, de tout ce que j’ai au monde, parents, amis, père, mère, frère, sœurs, et de moi-même en particulier. Ah ! Si j’ai gagné le Ciel, j’ai plus gagné que si j’avais gagné tout l’univers.. Ah ! Puisse mon sang arrêter la colère de Dieu si justement irrité contre la France ! Ah ! Si j’avais mille vies, je les sacrifierais toute s’il était possible ! Ah ! Puisse mon sang arrêter tous les maux qui se commettent dans toute la France et remettre tous les pasteurs dans leurs troupeaux : quel bonheur pour moi, ô mon Dieu. »
Puis il continua les litanies du Saint Nom de Jésus et pendant qu’on l’emmenait pour son interrogatoire, les autres prisonniers prièrent pour lui.
L’interrogatoire et le verdict
L’interrogatoire à 9 heures du matin ne fut qu’un simulacre, le verdict étant connu d’avance. Ce fut l’occasion pour l’abbé Robert de saluer en Rambour un ancien condisciple du collège royal qui se permit par la suite de formuler des jugements scandaleux sur l’abbé Robert, tentant par des mensonges et des calomnies de salir la mémoire de l’abbé Robert. Celui-ci fut condamné à être exécuté le jour même à 3 heures de l’après-midi, puis il fut ramené dans sa prison vers midi et demi. Se rendant d’un air joyeux à sa fenêtre, il s’adressa aux prisonniers : « Paix, mes enfants, paix, ne soyez pas furieux : quoiqu’il arrive, pardonnons-nous les uns les autres. »
L’exécution
Les précautions les plus grandes furent prises tant les autorités craignaient une tentative de libération de l’abbé Robert. La guillotine avait été dressée au milieu du village, devant les halles. L’abbé Robert arrive, recueilli, priant puis lève les yeux sur la guillotine sans éprouver de répulsion. Il jette un dernier regard en haut et ses yeux rencontrent l’abbé Roussel, prêtre réfractaire qui lui envoie un dernier adieu et une dernière absolution. Il voulut parler et on l’entendit : « Ah ! Chrétiens, mes frères, qu’il fait bon avoir soutenu sa foi, quand on se trouve à l’heure où je suis ». Un gendarme alors le frappe du pommeau de son sabre. L’abbé Robert gravit les marches, donne sa montre au bourreau, passe la tête dans la lunette. Quelques secondes plus tard le couperet tombe au moment où l’abbé prononce ces derniers mots : « voila le bon Dieu ! »
Alors la haine se déchaîne. Un homme s’avance et frappe la tête que le bourreau montrait au peuple. Un autre s’empare de la tête, la fait rouler par terre et crève les yeux. Mais des enfants, encouragés par leurs mères, armés de mouchoirs les imbibent du sang frais du martyr.
Signalons enfin que rien n’avait été prévu pour l’inhumation de son corps, ni cercueil ni sépulture. Son corps fut transporté sur le chariot sale d’un paysan, sans cheval pour le tirer. La tombe fut creusée rapidement au cimetière de Sancey. La providence voulut qu’elle fut creusée hors de l’alignement des autres tombes ce qui permit en 1853 de retrouver facilement l’emplacement, de recueillir les ossements de l’abbé Robert et de les transporter dans une chapelle de l’église. En 1934, une commission procéda à une nouvelle reconnaissance des restes alors placés dans un cercueil décent en attendant la construction d’un monument à la gloire de l’abbé Robert.
Quand aux détenus, d’après leur témoignage, ils furent étreints d’une joie intérieure si intense et si vive que d’un commun accord ils reprirent le chant des cantiques. Cette joie était l’adieu joyeux de l’abbé Robert.
Comme si cela n’avait pas suffi, l’exécution de l’abbé Robert fut l’occasion de manifestations scandaleuses de la part des révolutionnaires et notamment de la part de Rambour qui se permit de salir la mémoire de l’abbé Robert, pensant ainsi donner plus de grandeur à son propre personnage. Les termes employés dans ses insultes répugnantes ne font que grandir la noblesse d’âme de l’abbé Robert.
« De Dieu, on ne se moque pas »
La justice de Dieu se manifesta à l’encontre de trois personne qui avaient gravement offensé le corps de l’abbé Robert. Le 24 janvier 1795, un an exactement après l’exécution, à la même heure, celui qui avait frappé à coups de bâton la tête de l’abbé, tomba du haut d’un toit à Belvoir sur la place où s’était dressé l’échafaud, se rompit les deux bras et ne s’en guérit jamais, vivant de mendicité, incapable de porter à sa bouche le pain dont on lui faisait l’aumône.
Celui qui avait crevé les yeux de l’abbé mourut peu après. Sa mort fut si imprévue et si lamentable que tous les assistants en furent saisis de crainte.
Le châtiment fut encore plus terrible pour Jean de Maîche, le camarade d’enfance de l’abbé Robert qui l’avait trouvé chez son oncle Noroy et livré le 15 janvier 1794. Après avoir dissipé sa fortune, demeuré seul, sans ressources, sans ami ni famille, il fut obligé lui aussi de tendre la main et de demander l’aumône. Ses jambes lui refusant tout servie, il tomba à la charge des habitants de Mancenans-les-Maîche qui refusèrent de le recevoir chez eux. Il était rongé par une vermine effroyable toujours renaissante. Une femme, Colombe Pierre eut pitié de lui et essaya de lutter contre cette vermine, sollicitant pour lui les aumônes des gens du village. L’âme du vieillard, vers 1840, ne s’était jamais ouverte au repentir. Lorsqu’on lui rappelait son passé, il répondait « qu’il n’avait jamais fait de mal et qu’il obéissait aux lois » ainsi que répondent ceux qui confondent la légalité avec la justice. La nuit précédant sa mort, il se mit à hurler de désespoir, disant qu’il voyait des démons autour de lui et aussi la Sainte Vierge. Une femme du village lui rappela sa culpabilité dans la mort de l’abbé Robert et l’incita à se repentir. Cette fois, il accepta et se confessa auprès du curé de Maîche. Il rendit l’âme le 22janvier 1842 à l’âge de 86 ans.
Laissons pour finir la parole à Mgr Panier :
On emporte à la lecture de la biographie de l’abbé Robert « l’impression que ce Comtois de race, fils de la montagne, courageux, énergique, réfléchi et prévoyant, plein de droiture et de loyauté, toujours de belle humeur, fut par dessus tout un homme de foi. C’est la foi qui l’inspire et l’explique, c’est la foi qui le soutient, c’est la foi qui se dégage de tous ses actes, de sa prison et de sa mort. Prêtre jusque dans ses dernières fibres, il pensa, agit, souffrit et mourut en homme de Dieu. À la distance où nous sommes, il nous apparaît comme un géant, dont la stature domine la nôtre. Honneur de sa race, de sons pays, de son diocèse et du clergé de France, sa vie et sa mort jettent sur cette période tragique et sur cette fin de régime un rayon de gloire qui éclaire le passé et illumine l’avenir. Il a été un des ouvriers u renouveau chrétien. Il a été l’un des saints qui ont refait et protègent la France nouvelle. Ne soyons ni oublieux, ni ingrats, et sachons maintenir son œuvre. »