Baptême et tentation de Jésus
par le Père Berthe

Mes bien chers Frères,
Voici la méditation pour sanctifier le 1er dimanche de Carême. Elle est tirée du livre du Père Berthe Jésus, sa vie, sa passion, son triomphe.

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Le baptême

Jean le Baptiste préparait de nombreux pénitents à recevoir le baptême, lorsque son regard s’arrêta sur un étranger, dont l’aspect le fit involontairement tressaillir. De même qu’il avait tressailli dans le sein de sa mère en présence de Jésus, une impression toute divine lui fit comprendre qu’il se trouvait en face du même Jésus. Un mouvement instinctif le porta vers lui, mais au moment où il allait se jeter à ses pieds, Jésus le prévint et, du ton d’un pécheur profondément humilié, lui demanda le baptême.

« Seigneur, s’écria Jean, d’une voix tremblante d’émotion, c’est à moi de vous demander le baptême, et vous voulez le recevoir de mes mains !

– Laisse-moi faire, lui répondit le Sauveur, il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. »

La justice exigeait que Jésus, ayant pris sur ses épaules les iniquités du monde entier, fût traité

comme un pécheur, un de ces Juifs qui descendaient dans le fleuve en se frappant la poitrine pour obtenir la rémission de leurs péchés. Jean comprit, et ne résista plus à la volonté du Maitre.

On vit alors le prophète plonger dans les eaux du Jourdain Celui qui venait effacer les péchés du monde ; mais l’œil humain ne perçut pas le mystère qui s’accomplissait en ce moment solennel. Au contact de Jésus, l’eau acquit la vertu de régénérer les âmes, de les purifier de toute tache, et de leur conférer une nouvelle vie, la vie des enfants de Dieu. Le baptême de feu, figuré par le baptême de Jean, venait d’être institué.

En sortant du fleuve, Jésus s’était mis à prier son Père, quand soudain les cieux, fermés depuis la faute du premier homme, s’ouvrirent devant le nouvel Adam ; une grande clarté illumina la nue, l’Esprit- Saint descendit sous la forme d’une colombe, et se reposa sur le nouveau baptisé. En même temps une voix d’en haut, la voix du Père céleste, fit entendre ces mémorables paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances. »

Le peuple n’entendit qu’un bruit semblable aux sourds grondements du tonnerre et ne pénétra pas le sens des grandes choses qui s’opéraient sous ses yeux ; mais le saint précurseur comprit qu’en figurant à cette scène, les trois personnes de l’auguste Trinité venaient de donner au Messie l’investiture de ses sublimes fonctions. Il pouvait désormais rendre à Jésus un nouveau témoignage et dire à ses disciples : « J’ai vu le Christ, l’oint du Seigneur, et ce Christ, c’est le Fils bien-aimé du Père qui est dans les cieux. »

Jésus au désert

Le soir même de ce grand jour, sous l’impulsion de l’Esprit divin, Jésus quitta le Jourdain pour se retirer au désert et s’y préparer, par la pénitence et la prière, à sa mission de salut. À deux lieues du fleuve, au milieu du désert de Jéricho, se dresse une montagne rocheuse, dépouillée de toute végétation. Elle porte sa tête lugubre, au-dessus des collines qui l’entourent, à douze cents pieds d’élévation. On ne peut la gravir que par d’étroits sentiers serpentant au-dessus d’affreux abîmes. Sur ses flancs, à mi-côte, on rencontre plusieurs grottes assez spacieuses dont les parois sont formées par d’énormes quartiers de rocher. C’est dans une de ces grottes que l’Esprit de Dieu conduisit le Sauveur.

Pendant quarante jours et quarante nuits, Jésus resta dans cette caverne sans prendre aucune nourriture. Il vivait loin des hommes, avec les animaux sauvages, les renards, les chacals, les léopards, les seuls êtres qui animent cette nature silencieuse et morte. Dominant tous les bruits du monde, il priait pour cette humanité dont il s’était constitué le rédempteur, quand tout à coup vint troubler sa retraite un ennemi qui le guettait depuis longtemps.

Satan

C’était Satan lui-même, le prince des déchus. Depuis la catastrophe du paradis terrestre, il régnait en maître sur l’humanité avilie et dégradée, mais il tremblait pour son empire toutes les fois qu’il se rappelait la fatale prédiction de Jéhovah : « Une femme et son fils t’écraseront la tête. » Inquiet et furibond, il ne cessait d’épier les enfants des hommes, afin de reconnaître ce fils d’Adam qui devait sauver sa race, et de le perdre comme il avait perdu Adam lui-même. En voyant l’Enfant de Bethléem, les miracles de son berceau, sa sagesse précoce, ses vertus surhumaines, il conjectura que cet Enfant pourrait bien être le Messie promis. Les scènes du Jourdain changèrent presque ses soupçons en certitude, et maintenant qu’au baptême de Jésus, une voix céleste l’avait proclamé Fils de Dieu, Satan résolut de soumettre ce personnage tout à fait extraordinaire à une épreuve décisive.

Il ne savait pas qu’en s’attaquant à Jésus, il entrait dans les desseins de Dieu. Il fallait que le Sauveur de l’humanité se mesurât avec son destructeur pour que Dieu eût sa revanche, et que son adversaire payât d’une honteuse défaite la victoire de l’Eden. De plus, le nouvel Adam devait montrer à sa postérité que désormais les portes du ciel sont rouvertes, mais que nul ne les franchira sans avoir vaillamment combattu.

Satan s’insinua dans la grotte du saint solitaire comme il s’était glissé tortueusement près d’Eve sous les ombrages du paradis. Il le trouva exténué par son jeûne de quarante jours et vivement aiguillonné par la faim. Tout en feignant de compatir à sa souffrance, il s’étonna que le Messie, puisqu’on lui donnait ce titre, pût manquer de vivres : « Si tu es le Fils de Dieu, dit-il, commande donc à ces pierres de se changer en pains. » Et il montrait à Jésus les pierres arrondies en forme de pain qui jonchaient la terrasse, comme autrefois il montrait à Ève le fruit défendu. Il se disait, à part lui, que si Jésus faisait un miracle pour apaiser sa faim, il faudrait en conclure qu’il ne sauverait pas la race déchue, car un chef vulnérable du côté des sens n’aurait jamais assez d’autorité pour arracher les voluptueux aux entraînements de la gourmandise et de luxure.

D’un mot le divin Maître déjoua les calculs de son ennemi. « L’homme ne vit pas seulement de pain, lui dit-il, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, » c’est-à-dire des moyens providentiels qu’une parole de Dieu peut faire naître, à défaut de pain, pour sustenter l’homme. Le pain manquait aux Israélites dans le désert, Jéhovah leur donna pendant quarante ans la manne du ciel pour les nourrir. Le Sauveur ne fera donc pas un miracle pour apaiser sa faim : il attendra de la bonté de Dieu les aliments dont il a besoin.

Cette réponse ne satisfaisait point la curiosité de Satan. Tout ce qu’il en put déduire, c’est que son antagoniste, qu’il fût ou non le Messie, paraissait inaccessible à toute tentation sensuelle, et qu’il fallait, pour le vaincre, des armes d’une autre nature. L’orgueil de l’esprit, pensa-t-il, perdra le solitaire comme il m’a perdu, et subitement il transporta Jésus sur le pinacle du temple, au-dessus d’une vallée tellement profonde qu’on ne pouvait y plonger le regard sans être pris de vertige : « Si tu es le Fils de Dieu, lui dit- il, précipite-toi dans cette vallée, car il est écrit : « Dieu enverra ses anges pour soutenir le Messie de leurs mains, de peur que son pied ne heurte contre quelque pierre. – Il est aussi écrit, lui répondit Jésus :

« Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu » en lui demandant de vous sauver la vie par un miracle, quand vous vous exposez de gaieté de cœur à périr. Encore une fois Satan se vit battu, sans pouvoir deviner le vrai nom de son humble mais terrible vainqueur.

À bout de subterfuges, l’esprit infemal jeta le masque et tenta de faire entrer Jésus dans un complot qui ruinerait de fond en comble le plan de la Rédemption. Il savait que le Messie ne rétablirait le règne de Dieu sur la terre qu’en détachant les âmes de tout ce que convoitent les passions : richesses, dignités, jouissances sensuelles ; mais il savait aussi que les Juifs feraient la guerre à quiconque leur prêcherait ce détachement. Pour entraîner les Juifs, au lieu de prêcher le royaume de Dieu, le Messie devait se déclarer roi temporel, armer la nation contre l’étranger, réduire les Gentils sous sa domination, et former de tous les peuples un empire universel dont Jérusalem serait la capitale. Israël acclamerait un libérateur

de ce genre, qui ouvrirait à ses partisans une source intarissable de richesses, de dignités et de plaisirs. Avec l’audace de l’ange qui osa lutter contre Dieu, Lucifer proposa au Messie d’abandonner l’idée d’un royaume spirituel pour réaliser l’idée juive.

Afin d’éblouir le saint solitaire, il le transporta sur une haute montagne et lui découvrit dans un immense panorama tous les royaumes de la terre et toutes leurs magnificences. Puis, croyant l’avoir réellement fasciné par ce tableau magique, il lui tînt ce langage : « Ce monde m’appartient, et je le donne à qui je veux. À toi toute cette puissance, à toi ces splendeurs, si tu consens à te prosterner devant moi et à m’adorer. » L’archange foudroyé invitait le Christ à se mettre à la tête des Juifs et à jouer avant le temps le rôle de l’antéchrist.

À cette horrible proposition, Jésus lança au tentateur un regard indigné, et d’un geste impérieux le chassa de sa présence. « Retire-toi, Satan, s’écria-t-il, car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et ne serviras que lui seul. »

Le prince du monde s’enfuit, épouvanté. Il avait devant lui, et il n’en pouvait plus douter, ce fils de la femme qui devait ruiner son empire. Le Juste qui, s’appuyant sur trois mots de l’Écriture, venait de résister, calme et impassible, aux appâts de la sensualité, aux enivrements de l’orgueil, aux fantasmagories de l’ambition à tous les prestiges diaboliques, se montrait trop supérieur aux enfants d’Adam pour appartenir simplement à cette race déchue. Était-ce le Fils de Dieu ? Satan ne pouvait que le conjecturer, mais il reconnaissait à coup sûr le Libérateur attendu depuis quatre mille ans. Il lui voua une haine implacable, et se promit d’armer contre lui et contre sa mission rédemptrice, non seulement les milices infernales, mais tous leurs suppôts en Judée. Avec de pareilles forces il arriverait à le vaincre. dût-il lui donner la mort.

Et pendant que le tentateur, furieux de sa défaite, allait cacher sa honte dans les enfers, la grotte de la montagne resplendissait soudain d’éblouissantes clartés. Les anges de Dieu descendaient du ciel, se rangeaient humblement autour de leur Seigneur, et lui servaient, après son long jeûne, le pain qu’il attendait de son Père. Vainqueurs de l’ennemi de Dieu comme Jésus, ils s’associaient à son triomphe et se promettaient de lui servir d’auxiliaires dans la lutte qu’il aurait à soutenir contre les esprits de l’abîme.