Sœur Caritas de Nuremberg face aux protestants

À partir du 31 octobre 1517, avec l’affichage des « 95 thèses » à Wittemberg, Luther déferla sur le nord de l’Europe avec sa terrible révolution : désormais, l’Église catholique, l’épiscopat, le sacerdoce, la Sainte Messe devaient être détruits. À sa suite se sont formés de petits et de grands hérétiques qui haïssent le catholicisme et veulent l’anéantir.

À Nuremberg, une religieuse eut le courage de se dresser contre Luther et ses partisans. Elle était abbesse des Clarisses et s’appelait Caritas Pirckheimer (1457–1532). Grâce à sa formation théologique et à son courage, elle sauva ses sœurs Clarisses et Dieu sait combien d’âmes de l’hérésie et de la perdition éternelle. Son monastère devint dans la ville le lieu d’une bataille acharnée entre la Vérité et l’erreur.

Grâce à leur amour sans bornes pour Jésus, Mère Caritas et ses sœurs purent aller à contre-courant de Luther et de ce monde putride d’hérésie, de schisme et de péchés graves de toute sorte que « le frère rebelle » avait répandus. De son travail, la mère abbesse rédigea une chronique précise intitulée « Faits mémorables », aujourd’hui publiée en 4 volumes, qui relate les événements de 1524 à 1528, visant à défendre la foi catholique, la Sainte Messe, Sacrifice du Christ rendu présent sur l’autel, et la vie consacrée.

L’abbesse écrit : « La doctrine de Luther fut la cause de bien des ruines. De cruelles discordes déchirèrent la chrétienté : les cérémonies dans les églises furent mutilées et, en plusieurs endroits, les prêtres abandonnèrent soudain leur état, parce qu’on disait que les lois de l’Église et les vœux n’obligeaient plus personne. Bon nombre de moines et de moniales sont donc sortis des cloîtres et ont déposé leur habit. Beaucoup de religieuses se sont mariées. Tous ont suivi leur fantaisie ».

Le monastère des Clarisses, connu pour sa vaste bibliothèque, comptait soixante religieuses issues des familles les plus en vue de Nuremberg, pour qui le seul trésor et le seul amour n’était pas la richesse, mais Jésus-Christ. De nombreux hommes de culture et de politique ont également connu Mère Caritas grâce à son frère, Willibald Pirckheimer (1470-1530), avocat et homme politique, l’un des humanistes les plus éminents d’Allemagne. Fin 1517, les idées révolutionnaires et subversives de Luther avaient déjà été discutées à Nuremberg. Willibald s’était révélé être un de ses admirateurs, mais Mère Caritas s’y opposa farouchement dès le début. En 1524, lorsque le Conseil de Nuremberg prit des mesures contre elle et ses Clarisses, Willibald, revenu à la raison, la défendit avec la force du droit et de la foi.

Caritas et ses compagnes étaient appelées « les rebelles » par les autorités désormais subordonnées à Luther, mais elles gagnaient en prestige : ainsi, chaque jour, des hommes puissants et terribles allaient leur rendre visite pour les « rééduquer » en leur inculquant le luthéranisme. Ces discours subversifs influencent cependant plusieurs familles qui tentent de faire sortir leurs filles, sœurs et petites-filles du monastère, mais n’y parviennent pas en raison de leur foi inébranlable. Pendant le carême 1525 les débats à Nuremberg sont incessants et les luthériens s’affirment de plus en plus.

Les dirigeants du conseil municipal font savoir qu’ils retireraient les « prêtres papistes » de leur ministère chez les Clarisses. Dans sa « chronique », Mère Caritas note : « Depuis ce jour, nous sommes privées de confession, de messe, de communion et de tous les sacrements, même à l’article de la mort ». Elle déclare au conseil municipal : « Nous vous avons toujours obéi dans les choses temporelles, mais dans ce qui touche à nos âmes et à la sainte loi de Dieu, nous n’obéissons qu’à Dieu seul ». Les disciples de Luther organisent alors un impitoyable « lavage de cerveau » des religieuses, une dure « rééducation » digne des dictatures les plus tyranniques pour enfermer les Clarisses dans la cage du luthéranisme, mais ces « dames de Dieu » ne cèdent pas d’un pouce dans leur foi.

Véritables « rebelles contre le monde » et « contre-révolutionnaires » pour Luther, par amour pour Jésus seul et pour l’Église catholique qui est la seule véritable Église de Jésus.

Les religieuses ont enduré cent onze sermons des « prédicateurs » luthériens, mais elles ne se sont pas effondrées. Alors le conseil municipal se lasse et n’envoie plus ses « formateurs » et passe aux menaces et aux lois « restrictives ». C’était la Semaine Sainte 1525 : « Quand le curateur Nutzel vit qu’il ne pourrait jamais vaincre ma résistance, il changea de tactique et me parla d’un grand soulèvement de paysans très nombreux en révolte pour piller les couvents et mettre à mort les religieux et religieuses… et que nous ne devions pas donner l’occasion d’un grand massacre ».

Le lendemain de Pâques, tout culte catholique est interdit dans la ville. Par la suite, de nombreux Augustins (anciens frères augustins de Luther), Carmes et Chartreux… quittent l’habit et la vie religieuse, célèbrent les offices à leur guise, beaucoup prendront femme. Les Clarisses sont menacées de pillage sous la menace d’un fusil : « Nous sommes devenues pour tous un objet de mépris, plus que des femmes de la rue… Il ne devait plus y avoir de différence entre les clercs et les laïcs ». Mère Caritas rapporte avec précision les disputes qu’elle a soutenues avec une préparation théologique exceptionnelle, témoignant de lucidité et d’héroïsme : « réfractaire » et « insurgée » contre toute hérésie.

En 1525, l’abbesse réunit le chapitre de toutes les moniales et leur demande ce qu’elles doivent faire : « Elles étaient toutes du même avis et me répondirent qu’elles ne se laisseraient jamais égarer par les nouvelles doctrines, au prix de n’importe quelle souffrance ; qu’elles ne se sépareraient jamais de notre sainte Église catholique ; qu’elles n’abandonneraient jamais la vie monastique. Elles refusèrent la direction de prêtres apostats, préférant rester sans confession et sans communion. Elles ont toutes signé le procès-verbal du chapitre afin de prendre chacune leur part de responsabilité pour les malheurs qui pourraient survenir plus tard à cause de leur choix ».

Même Philippe Melanchthon, le « bras droit » de Luther, rendit visite aux Clarisses de Nuremberg : il fut admiratif et prit congé d’elles avec respect et courtoisie. Le harcèlement dont elles font l’objet les laissait consternées, mais le monastère restait vivant. En 1530, Willibald, frère de l’abbesse, quitta ce monde. Mère Caritas mourut deux ans plus tard, en 1532. Sa sœur Claire, puis sa nièce Catherine lui succédèrent. Toutes sont restées stables comme un roc dans l’Église catholique. La dernière religieuse, Sœur Felicita, âgée de 91 ans, retourna à Dieu en 1591.

Mère Caritas écrivait dans sa « chronique » : « L’Église a été gouvernée jusqu’à présent par l’Esprit Saint. Rien ne nous en séparera. Nous souffrirons ce qu’il plaira à Dieu de nous envoyer. Il vaut mieux souffrir à cause du mal que de laisser faire le mal ».