Mes bien chers Frères,
Je ne peux vous laisser sur votre faim, sans vous donner la deuxième partie de l’hymne à la charité de Mgr Lefebvre. Il y avait bien des problèmes et des divisions au séminaire d’Écône à cette époque en 1976 comme d’ailleurs tout au long de mes années de séminaire : libéraux contre sédévacantistes. Ce fut la raison de ces deux conférences de Mgr Lefebvre qui nous marquèrent profondément. En outre, Monseigneur parlait tellement d’abondance de cœur qu’il faisait son propre portrait. Il ne s’en rendait pas compte, mais nous si.
À la suite de ce sermon audio, je vous donne la transcription de ces deux sermons capitaux.
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La charité
Conférences à Écône
24 février 1976
Je ne voudrais pas continuer à entrer dans les détails des petites difficultés qui peuvent exister ici au séminaire, parce que je pense qu’il ne faut pas les rendre plus graves qu’elles ne sont. Mais qu’il y ait des tendances diverses chez vous, parmi les élèves du séminaire et c’est assez normal. Votre milieu, votre formation antérieure, tout cela peut très bien expliquer les divergences de vue tout à fait légitimes, dans une certaine limite bien sûr. Mais je pense qu’il ne faut pas dramatiser les problèmes et ne pas les rendre tragiques. Et d’autre part, je ne pense pas non plus qu’il faille rendre tabou certains sujets, en évitant absolument d’en parler comme si c’était un péché que de prononcer des mots qui peuvent être sujets de discussion. Agissez en toute simplicité. Qu’au réfectoire, qu’en récréation vous ayez des conversations sur tous les sujets qui peuvent vous intéresser, qui peuvent intéresser vos amis, qui sont à l’ordre du jour, ma foi, c’est normal, il n’y a pas à s’étonner de cela. Le tout c’est de savoir en parler sans passion, sans aigreur sans vouloir absolument imposer ses idées aux autres, avec une intransigeance ou qui est pénible, qui rend pénible la conversation, et qui rend difficiles les relations amicales.
À ce point de vue je voudrais vous relire le chapitre unique en son genre de saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens au chapitre 13ème. Saint Paul décrit ce que doit être la charité. Car je crois que s’il y a une vertu que vous devez pratiquer, c’est la charité envers Dieu d’abord bien sûr, la charité par la prière, par la louange, l’offrande du saint sacrifice de la messe, par l’eucharistie, par les sacrements, et par l’union à Notre-Seigneur d’une manière habituelle.
Mais je pense que saint Paul dans cette description insiste surtout sur la charité fraternelle, et par conséquent cette description de la charité s’applique parfaitement à une communauté comme la vôtre, au séminaire. Et il va très loin. Si on appliquait réellement ce que saint Paul dit au sujet de cette vertu de la charité, eh bien, le séminaire serait un paradis !
On se trompe souvent au sujet de la notion de charité. On la prend facilement pour une vertu moins virile que la vertu de vérité, car il y a une vertu de vérité. Et c’est une erreur, d’abord parce que la charité, si on peut dire, si on peut l’exprimer ainsi, c’est en quelque sorte la vertu divine, la vertu de Dieu, la vertu essentielle de Dieu, l’essence même de Dieu, Dieu est charité. Alors est-ce que Dieu n’aurait pas cette vertu de force, cette vertu de virilité si on peut dire et serait faible parce qu’il est essentiellement charité ? La charité est une vertu excessivement exigeante. Ce n’est pas une vertu qui nous permet d’en prendre et d’en laisser. La meilleure preuve, c’est qu’elle consiste essentiellement dans la loi de charité, elle est la loi si l’on peut dire de la Trinité, et par conséquent la loi de tous les êtres quels qu’ils soient, parce que tous les êtres, même les êtres matériels sont une image de Dieu et si Dieu est charité, tout est charité.
Et cette charité s’exprime par les lois, par une loi qui est l’expression d’une tendance mise par Dieu dans les choses, dans les créatures. Saint Thomas définit l’homme dans les premières questions de la Somme théologique ; il dit que ce qui est l’essentiel de l’homme, c’est de « tendere in Deum, de tendre ver Dieu ». Donc cette loi profonde de tendre vers Dieu qui est inscrite dans le cœur de l’homme, inscrite dans la nature humaine, c’est précisément la charité. De même que les trois Personnes de la Trinité tendent, si l’on peut dire, l’une vers l’autre et cette tension est un tel détachement d’elles-mêmes et un tel renoncement à elles-mêmes qu’elles ne forment plus qu’une unité, une unité qui est la charité. La charité est le terme qui explique le mieux la Sainte Trinité.
Et donc, si nous voulons imiter la Très Sainte Trinité, si nous voulons être vraiment conformes à la nature, à la grâce que le Bon Dieu nous donne, nous devons nous efforcer d’entrer en plein dans la charité, mais pas d’une manière quelconque. Pas de la manière dont nous, nous voulons pratiquer la charité, mais de la manière dont le Bon Dieu nous demande de la pratiquer. Or, si on lit ce chapitre de saint Paul, on s’aperçoit alors qu’il faut faire vraiment beaucoup d’efforts pour pratiquer la charité telle que l’Écriture nous le demande. « Si je parle les langues des hommes et celles des anges mais que je n’ai pas la charité, je suis un airain qui sonne et une cymbale qui retentit. » Non seulement la langue des hommes mais celle des anges. Par conséquent ce n’est pas les belles paroles que l’on peut dire, les expressions que nous pouvons avoir, le langage que nous tenons qui est nécessairement l’expression de la charité, même si on arrive par là, je dirais, à colorer un peu notre égoïsme par des paroles charitables, par des paroles aimables, par des paroles louangeuses, que sais-je, moi…
« Si j’ai le don de prophétie et que je connaisse tous les mystères et toute la science et si j’ai toute la foi ». Même la foi. Énumérer cela, c’est énorme. « Si j’ai le don de prophétie, que je connaisse tous les mystères… » Dieu sait s’il y en a des mystères en Dieu, dans la nature, partout, en nous… « Et toute la science… » la science humaine et la science divine. « Et si j’ai toute la foi… » La foi c’est la science surnaturelle, c’est la science de Dieu, c’est la science théologique, c’est ce que vous apprenez dans vos études. Si vous avez toute la foi « au point de transporter les montagnes, mais que je n’ai pas la charité, je ne suis rien » ; je ne suis rien, rien. Si j’ai toute la foi, une foi à transporter les montagnes, je ne suis rien si je n’ai pas la charité. Ces affirmations de saint Paul sont très graves, parce qu’il montre que sans la grâce justement, sans la grâce, tout ce qu’on peut faire de bien, des choses extraordinaires, cela ne nous sert de rien, c’est infructueux, on n’a pas de mérites. Et c’est le cas de bien des gens qui sont dans les autres religions, les religions fausses, et qui peuvent éventuellement faire des actes de “charité”. On ne nie pas qu’il puisse y avoir quelque chose de bon de fait par ceux qui n’ont pas la grâce, mais cela ne vaut rien quant au mérite, absolument rien. Peut-être le Bon Dieu peut en tenir compte pour donner des grâces actuelles qui se transformeront ensuite et donneront la conversion et donneront ensuite la grâce, la grâce sanctifiante. Mais en soi cela ne donne rien, rien, rien, rien. « Je ne suis rien ». « Et si je distribue tout ce qui m’appartient et si je livre mon corps pour être brûlé, mais que je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » Donc si nous n’avons pas la grâce de Dieu en nous, si nous n’avons pas cette charité surnaturelle que le Bon Dieu nous donne par l’infusion de la grâce, tout cela ne nous sert de rien.
Qu’est-ce donc alors que la charité, comment s’exprime t-elle, quelles sont ses manifestations ? Comment peut-on savoir qu’on a la charité ?
« La charité est longanime » le latin dit « Caritas patiens est », la charité est patiente, « la charité est bénigne » on dirait, elle est condescendante. Tout cela pourrait paraître à première vue comme une espèce de faiblesse. Non, parce que la charité va loin, je dirai, elle voit les choses profondément, elle ne voit pas seulement les choses à la surface, à la superficie, mais profondément. Alors elle ne s’inquiète pas de difficultés passagères, elle est longanime, c’est à dire que, la longanimité est la patience dans l’effort, la patience dans les relations, dans les difficultés, elle reste égale à elle-même. Elle est bénigne, en ce sens je pense, qu’elle écoute volontiers tout ceux qui n’ont pas d’intérêt pour elle ou qui peuvent lui être désagréable, lui être pénibles. Elle est bénigne, elle a cette condescendance d’écouter, d’attendre en écoutant, de savoir écouter, de savoir recevoir les difficultés, les souffrances des autres, savoir les partager, elle est bénigne.
« La charité n’est pas envieuse ». Donc même si elle reconnaît que d’autres ont des qualités qu’elle n’a pas, eh bien, elle n’est pas jalouse de ces dons et elle ne les envie pas d’une manière désordonnée. Elle peut envier d’avoir la même vertu, mais des dons des personnes par exemple qui sont très intelligentes, des personnes très savantes, des personnes très éloquentes, que sais-je, moi… des dons qu’on peut ne pas avoir et qu’on n’aura probablement jamais, eh bien cela ne rend pas envieux, cela ne donne pas envie de critiquer ces personnes pour les diminuer en quelque sorte, parce qu’on éprouve un sentiment d’infériorité, et ce sentiment d’infériorité nous pousse à vouloir diminuer les autres pour les mettre à égalité, et même quelquefois pour les considérer comme inférieurs à nous. La charité n’est pas envieuse.
« Caritas non æmulatur ». « Non agit perperam ». On traduit « elle n’est pas fanfaronne » Elle ne s’agite pas, pas d’action extérieure pour de l’action, pour montrer qu’elle fait quelque chose, pour manifester une certaine activité, se faire voir, enfin quelque chose de vanité. La charité agit à bon escient quand le Bon Dieu le demande, quand elle se rend compte que c’est la volonté de Dieu d’agir, mais elle n’agit pas pour manifester, pour se manifester.
« Non agit perperam, non inflatur ». Elle n’est pas orgueilleuse… « Non inflatur », c’est encore plus expressif : elle ne s’enfle pas. Là encore elle ne cherche pas à en remontrer aux autres et à manifester inutilement les dons qu’elle peut avoir. Elle ne cherche pas à dominer les autres. « Non est ambitiosa », elle n’est pas ambitieuse. Donc elle ne recherche pas les postes élevés ou les distinctions particulières, même si en fait elle est capable de les recevoir, même s’il est juste qu’elle les reçoive, mais elle ne les recherche pas. Elle n’a pas d’ambition.
« Non quærit quæ sua sunt », elle est contraire à l’égoïsme, cela c’est vraiment la définition de la charité : « Non quærit quæ sua sunt », elle ne cherche pas son avantage, elle ne cherche pas son intérêt propre, elle ne cherche pas l’égoïsme, elle cherche l’intérêt de Dieu. Dans toute son activité elle cherche l’intérêt de Dieu, donc de Dieu ou de son prochain, mais pas son propre intérêt, purement son propre intérêt. C’est son intérêt de le faire, c’est son intérêt de chercher les intérêts de Dieu, c’est notre intérêt, c’est l’intérêt du salut de nos âmes et donc c’est notre intérêt de servir Dieu, mais elle ne le cherche pas comme son propre intérêt. La charité ne cherche pas uniquement pour son propre plaisir, pour son propre avantage, pour son propre égoïsme ou pour elle-même, cela parce que la charité, dit saint Thomas, est diffusivum sui, elle se diffuse. La charité a comme besoin de se donner. La charité, c’est synonyme dans une certaine manière de donner la vie. Quand saint Pierre parle aux Juifs après que ceux-ci ont crucifié Notre-Seigneur, il dit : « Auctor vitæ interfecistis », « vous avez tué l’auteur de la vie ». Évidemment, ils ont tué l’auteur de la vie, comment pouvaient-ils tuer l’auteur de la vie, ils l’ont tué apparemment et il est ressuscité, il ne pouvait pas perdre la vie, puisqu’il est l’auteur de la vie, auteur de toute vie et c’est précisément cela qui donne aussi l’autorité de Dieu. On a l’autorité dans la mesure où l’on donne la vie, que ce soit la vie naturelle ou la vie surnaturelle.Donc la charité ne cherche pas son propre bien mais cherche le bien des autres.
« Elle ne s’irrite pas » « non irritatur ». Bah, ce n’est pas toujours facile. Il y a tellement d’occasions de s’irriter et de se mettre en colère n’est-ce pas ou dans l’indignation. Il y a de bonnes indignations, il y a de bonnes colères. Notre-Seigneur s’est mis en colère, il y a de bonnes colères, de saintes colères contre les vendeurs du temple qui n’étaient pas à leur place… Autre chose est « non irritatur », c’est-à-dire ne s’irrite pas pour rien, n’est pas constamment dans une espèce d’état d’agacement et d’amertume et de colère intérieure envers tout ce qui se passe autour d’elle.
« Non cogitat malum, elle ne pense pas au mal », c’est encore une manifestation de la charité qui n’est pas facile parce que la charité « non cogitat malum », elle ne fait pas de jugement téméraire. Et cela c’est une des choses les plus graves dans la vie de communauté : les jugements téméraires, de prêter à ses confrères, de prêter à ceux avec qui l’on vit, des jugements qu’ils n’ont pas. Leur prêter des jugements qu’ils n’ont pas, c’est grave cela vous savez, c’est grave et c’est souvent la raison d’une froideur après, et même d’une inimitié qui se met parfois entre des gens qui vivent ensemble. Ils sont blessés profondément de penser qu’on a pu leur prêter telle ou telle idée, qu’ils n’avaient pas. Et cela, c’est toujours très grave. Alors « non cogitat malum », la charité ne pense pas à mal ; elle le constate après coup, alors elle est obligée de le voir, si c’est évident, si c’est clair par les actions. Mais elle n’aura pas l’idée avant de prêter aux autres le mal, de supposer qu’ils font le mal. Et ceci est très très important dans l’apostolat, très important. Cette qualité de la charité attire beaucoup les âmes et je dirais que, même à supposer que les âmes aient mal pensé et qu’on leur prête une bonne pensée, il n’y a rien de tel pour les convertir au bien. Rien de tel pour les convertir, et pour les attirer. Au contraire il n’y a rien de tel que le jugement téméraire pour éloigner les gens. On pourra dire que c’est de la naïveté quelquefois, on dira : il est bien naïf de croire que ces gens-là ne font etc… Mieux vaut être naïf que de penser à mal. Je me souviens qu’un jour j’étais dans les rues de Rennes et un brave homme, une personne m’accoste. J’avais bien vu qu’il y avait bien un petit quelque chose qui n’était pas tout à fait normal dans son attitude et dans sa manière de se présenter. Mais enfin… Il demande l’aumône, alors ma foi je cherche quelque chose, pas grand chose, je n’allais pas donner une fortune, mais enfin, j’ai sorti mon porte-monnaie pour lui faire l’aumône. Une personne se précipite sur moi : « Mais il ne faut pas lui donner, vous voyez bien, il va encore se précipiter pour boire avec cela ». J’ai dit : « Écoutez, cela ne dépend plus de moi ! Eh, eh, eh ! Moi je ne lui prête pas de mauvaises intentions. C’est possible qu’il se précipite au café pour aller boire encore un petit coup ! Cela ne fait rien, alors cela le regarde. »
« Non cogitat malum, non gaudet super iniquitatem » Elle ne se réjouit pas de voir quelqu’un qui tombe dans le péché ou qui fait quelque chose qui n’est pas bien. Cette manière de dire : Moi, je ne ferai pas cela, lui il tombe, bien fait pour lui. Il est beaucoup moins bien que moi, moi, je suis beaucoup plus fort que lui. On ne se réjouit pas sur le mal. La charité ne se réjouit pas du mal, elle compatit au mal et essaye de sortir l’âme du péché. Par conséquent on priera pour celui qui fait mal, pour celui qui tombe dans le péché, pour celui qui s’égare, mais elle ne se réjouit pas de quelqu’un qui s’égare, qui se trompe.
26 février 1976
Je termine la lecture de ce chapitre 13 de la 1ère épître aux Corinthiens de saint Paul sur la charité. Je pense que des journées comme celle que vous avez passée hier sont de bonnes occasions pour manifester la charité fraternelle qui existe entre vous. Car si il y a une vertu qui rend la vie de communauté agréable et réconfortante, c’est bien la vertu de charité.
Saint Paul nous dit en terminant les qualités qu’il énumère de cette vertu : « congaudet veritati ». « La charité ne se réjouit pas sur l’iniquité, mais au contraire pour la vérité ». Comme le désir de manifester l’amitié à quelqu’un est précisément de le mettre dans la vérité, de lui faire du bien, comme le dit saint Thomas. Saint Thomas, n’est-ce pas, exprime la définition de la charité, la définition de l’amitié, c’est de reconnaître ce qu’il y a de Dieu dans les autres, et les porter à Dieu. La double manifestation de l’amitié : reconnaître ce qu’il y a de Dieu en eux, donc tout ce qui est bien en eux, tout ce qui peut être bien en eux. Le péché ne venant pas de Dieu, donc ne pas aimer dans les autres ce qui les éloigne de Dieu, leurs péchés, et tout ce qu’il y a en eux qui ne vient pas de Dieu, qui les détourne de Dieu. Manifester l’amitié envers les autres c’est les porter à Dieu. Et donc encourager ce qui en eux vient de Dieu. Et je dirais, décourager ce qui ne vient pas de Dieu, et réprimander ce qui ne vient pas de Dieu. Or, précisément la vérité est bien Dieu lui-même, donc s’il y a une chose que nous devons souhaiter, c’est que les gens soient dans la vérité. Et se réjouir de voir ceux qui partagent la vérité, cette vérité qui consiste surtout dans la révélation que le Bon Dieu nous a faite, donc l’adhésion à la révélation de Dieu, adhésion de notre intelligence par la foi à tout ce que le Bon Dieu nous a révélé et par le fait même à tout ce que l’Église nous enseigne, donc au magistère de l’Église qui est concrétisé, si on peut dire, dans le catéchisme, dans le catéchisme du concile de Trente et tous les catéchismes qui ont suivi. Car ces catéchismes résument la révélation qui nous est donnée non seulement par la Sainte Écriture, car c’est une certaine déviation que de croire que toute la vérité nous est donnée par la Sainte Écriture. La vérité nous est donnée non seulement par la Sainte Écriture mais aussi par la Tradition. La Tradition nous vient des apôtres. Si la révélation est terminée avec le dernier des apôtres, cela ne veut pas dire que la révélation se trouve uniquement dans l’Évangile. Les apôtres ont enseigné, ont enseigné, et même des choses qu’ils n’ont pas nécessairement écrites, donc il y avait déjà une tradition jusqu’à la mort du dernier des apôtres. Et cette tradition, cet ensemble qui est formé par la tradition et la Sainte Écriture tout cela avec le magistère de l’Église qui a défini, exprimé d’une manière authentique ce qui était contenu dans la révélation, justement l’interprétation de l’Écriture et ce qui était contenu dans la Tradition finit par donner ce livre merveilleux qui est le catéchisme. Le catéchisme dans lequel se trouve résumée et exprimée la vérité, la vérité que le Bon Dieu nous enseigne. Dans la mesure où on s’éloigne de cet enseignement, l’enseignement du catéchisme, dans cette mesure là aussi on s’éloigne de Dieu.
« Omnia suffert, la charité supporte tout ». Bien sûr il faut toujours interpréter les choses telles que l’Église peut nous les enseigner. Si la charité supporte toute chose, elle supporte toute chose pour elle-même comme sacrifice, elle supporte tous les outrages, les humiliations, les contradictions, elle les supporte en union avec Notre-Seigneur et en union avec la croix de Notre-Seigneur. C’est dans ce sens là [qu’il faut le comprendre] comme Notre-Seigneur a tout souffert jusqu’à la mort pour donner son âme pour ceux qu’il aime. « Il n’y a pas de plus grand témoignage d’amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » a dit Notre-Seigneur, et je pense que c’est dans ce sens que saint Paul dit que la charité souffre tout, jusqu’à donner sa vie s’il le faut pour le salut des âmes et pour la gloire de Dieu.
« Omnia credit ». Je pense que saint Paul en disant cela veut dire que le premier mouvement de la charité est de croire à ce que l’on dit, à ce que disent les autres. Cela rejoint un peu ce que je vous disais du jugement téméraire. Le premier mouvement est de penser que ce que peuvent dire les autres est exact et véridique et qu’ils ne nous trompent pas. Mais cela ne veut pas dire qu’on va jusqu’à croire des choses contraires à la foi, puisque justement, une ligne avant, il vient de dire qu’on se réjouit pour la vérité. Donc on ne peut pas tout croire, même ce qui serait faux, bien sûr. Mais c’est la disposition, vous voyez, la disposition de l’âme, c’est cela, je crois, que décrit, que veut décrire saint Paul, la disposition intérieure, disposition de croire volontiers. Il ne s’agit pas de crédulité dans le mauvais sens du mot, cette crédulité des âmes simples qui s’attachent volontiers à ce que l’on dit, les prêtres peuvent les enseigner, mais qui alors parfois tombent dans une crédulité excessive pour tout ce qui leur est annoncé de droite de gauche par des messages, par des visions, que sais-je… Alors là on tombe dans une véritable fausse crédulité, n’est-ce pas, crédulité excessive. Là il faut être, évidemment, très très prudent.
« Omnia sperat », malgré toutes les difficultés, tous les obstacles, toutes les contradictions, la charité espère toujours. Pourquoi ? Parce que la vraie charité met son espoir en Dieu, met son espoir en celui en qui se trouve la source de tous les biens, et par conséquent d’une certaine manière, il dit que la charité ne peut pas être confondue. « In te speravi, non confundar in æternum » disons-nous dans le Te Deum. « En vous j’ai espéré, je ne serai jamais confondu, je ne serai jamais trompé. » Eh bien, c’est cela aussi, « omnia sperat » voulant le bien, voulant la vérité, voulant le bien des autres et le bien de Dieu, la gloire de Dieu, la charité espère et elle a raison d’espérer parce qu’elle est sûre, elle est certaine que son espérance sera accomplie, sinon immédiatement, au moins dans un temps futur. Mais cela viendra.
« Omnia sustinet ». Je crois que c’est dans le sens d’un certain optimisme si l’on peut dire, Elle encourage tout, la charité encourage tout – tout ce qui est bien, évidemment toujours, tout ce qui tend à la vérité au bien. Le premier mouvement de la charité, c’est d’encourager ; si on voit quelqu’un qui a de bons sentiments, qui a le désir de bien faire, le premier mouvement c’est d’encourager. Quitte, après, si on s’aperçoit que ce premier mouvement n’est pas toujours très bien orienté, essayer de l’orienter convenablement, mais le premier mouvement est non pas de décourager, mais au contraire d’encourager. On pourrait dire « la charité est toujours optimiste ». Elle n’est pas pessimiste, toujours pour la même raison : parce que la charité se fie en Dieu, c’est Dieu qui est sa force, c’est Dieu qui est son appui. Alors tout ce qu’elle trouve de bien, la charité l’encourage. Tout ce qu’elle trouve de bon, tout ce qu’elle trouve de conforme à la volonté de Dieu, à la bonté.
Toutes ces dispositions de la charité sont merveilleuses, sont excellentes, et facilitent énormément la vie de communauté et la vie en société. Mais il ne faut pas oublier que cette charité ne s’acquiert plus désormais sans sacrifice. Prêcher par exemple une retraite entièrement sur l’amour, sur la charité, sans donner, je dirai, l’aspect de sacrifice qui est nécessaire pour l’accomplissement de la charité, ce serait incomplet, ce serait inexact. On peut prêcher une retraite uniquement sur la charité, sur l’amour, mais il faudrait compléter cette vision de la charité par la voie, si on veut donner la voie qui mène à la charité. On ne peut pas, depuis le péché, depuis le péché originel, depuis que l’homme est pécheur et que le péché a été détruit, au moins en puissance, par la croix, on ne peut plus espérer retourner à la charité sans passer par le sacrifice, sans passer par la pénitence. Ce n’est pas une erreur de prêcher la charité, mais n’insister que sur la charité sans donner l’aspect de la pénitence ce serait incomplet, au moins incomplet. De même que de prêcher seulement sur la pénitence, sans montrer que la pénitence n’est pas recherchée pour elle-même. On ne recherche pas la pénitence pour elle-même, la pénitence n’est pas un but, c’est un moyen, tandis que la charité est un but, c’est donc tout autre chose. Mais la charité, encore une fois, ne peut plus s’acquérir sans ce moyen de la pénitence. Pourquoi ? Parce que pour que nous devenions charité, pour que nous nous transformions en charité qui est la vie de Dieu, qui est la vie divine puisque Dieu est charité, pour que nous nous transformions en cette charité qui est divine et qui nous est donnée par la grâce du Bon Dieu, nous devons nécessairement éloigner les obstacles qui sont en nous. Il y a en nous des obstacles qui existent, qui subsistent et nous avons beau faire, beau dire, ils existent, ils sont là depuis notre enfance, ils sont là depuis le péché originel. Donc il faut les écarter cela produit en nous une pénitence, produit en nous un sacrifice. C’est comme, je dirai, un abcès qu’il faut ouvrir pour que la santé revienne, pour que la guérison revienne et ce n’est pas possible autrement. Il nous est impossible de retourner à la charité sans pénitence, sans souffrance, sans mortification. C’est la voie par laquelle Notre-Seigneur a voulu que nous retrouvions la charité. Et ceci est d’une très grande importance parce que, évidemment, la pénitence n’attire pas. Si la charité attire par elle-même, la croix, la pénitence, la souffrance, la mortification, ce sont des thèmes qui ne sont pas agréables à entendre. Bien qu’une âme vraiment qui désire la charité, qui désire s’unir à Notre-Seigneur Jésus-Christ ait le désir de la souffrance aussi avec Notre-Seigneur. Je pense que toutes les âmes saintes ont toutes eu presque un amour de la souffrance, un amour de la pénitence, un amour de la croix, parce que Notre-Seigneur a souffert. Ne serait-ce que pour cette raison-là. Je pense cela a dû très certainement motiver les douleurs de la Sainte Vierge Marie qui, elle, n’avait pourtant pas de péché, qui était donc toute remplie du Saint-Esprit. Elle était pleine du Saint-Esprit, donc pleine de la charité. Pleine de charité et malgré tout la Sainte Vierge a voulu souffrir, souffrir par connaturalité si on peut dire avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour ressembler davantage à Notre-Seigneur, son Fils, son divin Fils. Donc elle a accepté, elle a même désiré certainement la souffrance et s’unir à lui. Or, toutes les âmes saintes ont eu ce désir. Il est certain que cela n’est pas pour autant agréable en soi ; ce n’est pas en soi qu’ils ont désiré la pénitence, mais c’est pour ressembler à Notre-Seigneur et pour arriver à laisser la place, à laisser en nous la place à la charité, c’est cela. Et ce mouvement est en nous, est absolument nécessaire. C’est l’histoire de toute notre vie spirituelle, vous savez, il ne faut pas se faire d’illusion.
Et au début du carême qui va commencer dans quelques jours, je pense qu’il est excellent pour chacun d’entre nous de se demander, pendant ces jours et particulièrement pendant l’adoration des Quarante-Heures que vous allez avoir comme chaque année, il faut vous demander justement où en est notre justification. Essayer de faire le point de notre vie spirituelle dans la mesure du possible. Tout cela est relatif, vous comprenez bien que tout cela est relatif. C’est Dieu qui peut faire le point exact de notre vie spirituelle, de notre vie surnaturelle, où en sommes-nous de notre justification ; c’est-à-dire de ce passage de notre état de pécheur, de ce passage de notre état de l’impiété si l’on peut dire, à la piété, de l’injustice à la justice, de la malice à la sainteté. Où en sommes-nous ? Est-ce que vraiment nous faisons des efforts ? Est-ce que vraiment nous recherchons à gravir les degrés de cette transformation qui s’appelle la justification. Justification : justum fieri, le juste c’est l’homme vrai, c’est l’homme simple, Joseph erat vir justus et saint Pierre aussi dit de Notre-Seigneur aux Juifs : « Vous avez tué le Juste ». Pourquoi le juste ? parce que le juste est celui qui rend à chacune ce qui lui est dû, c’est la définition de la justice : « Cuique suum, à chacun ce qui lui est dû ». Et donc à Dieu ce qui lui est dû, au prochain ce qui lui est dû, et à nous-mêmes, c’est-à-dire à notre propre âme, tout ce qui lui est dû pour la sauver. Alors, rendons-nous vraiment à Dieu tout ce qui est dû à Dieu ? Rendons-nous tous nos devoirs à Dieu, tous nos devoirs à notre prochain, tous nos devoirs à nous-mêmes pour sauver nos âmes ? Voilà ce que nous devons nous demander. Or il est bien certain que nous avons tous des imperfections, nous avons tous des défauts, des fautes et, dans la mesure où nous ferons des efforts pour enlever les obstacles, écarter les obstacles à la justice, à la charité, à la perfection, la grâce du Bon Dieu pourra agir davantage.
Car ce n’est pas nous qui sommes véritablement la cause de la grâce. Nous pouvons être cause des dispositions à la grâce, par la grâce de Dieu encore, mais nous ne sommes pas capables par nous-mêmes de nous donner un degré de vie surnaturelle de plus, par nous-mêmes, simplement par nous-mêmes. Il faut que cela vienne aussi de Dieu. Seul le Bon Dieu est cause véritablement de la vie surnaturelle. Mais le Bon Dieu voit nos efforts, voit nos dispositions et par là-même voit notre prière, voit notre demande, notre désir, notre vif désir, et alors nous accorde ces grâces dont nous avons besoin. Particulièrement par les deux sacrements de pénitence et de l’eucharistie qui sont, je dirais, les deux moyens pour nous d’avancer dans la perfection. Et vous voyez précisément pourquoi Notre-Seigneur a institué ces deux sacrements qui doivent être notre nourriture sur notre chemin. Nous avons principalement ces deux sacrements que nous pouvons répéter fréquemment et donc qui nous entretiennent dans la vie spirituelle et augmentent notre vie spirituelle. Il n’y en a pas qu’un seul qui serait l’eucharistie, l’union à Notre Seigneur, il y a aussi la pénitence qui écarte les obstacles et qui donne la grâce en même temps aussi. Car ce serait aussi une erreur de croire que le sacrement de pénitence ne donne, n’est nécessaire que lorsqu’on a des péchés graves, n’est-ce pas, c’est ce qu’on dit facilement actuellement. Vous vous confesserez, on donne une absolution collective, vous vous confesserez si vous avez des péchés graves, vous irez trouver le confesseur dans les six mois ou dans l’année qui vient. Eh, comme si le sacrement de pénitence n’était nécessaire que lorsqu’on avait des péchés graves ! Le sacrement a précisément pour but de nous donner la grâce d’éviter le péché et de nous donner des dispositions qui nous rendent forts, qui nous donnent une grâce de force contre les scandales, contre les tentations, contre tout ce qui peut nous éloigner du Bon Dieu. Donc le sacrement de pénitence a une vertu spéciale pour cela. Et il n’y a aucun doute que ceux qui se confessent régulièrement et qui se confessent avec ferveur, ont une facilité particulière à repousser les tentations, à repousser les obstacles à la vie intérieure, à la vie surnaturelle.
Ces deux sentiments se retrouvent tout le temps dans toute la spiritualité, en particulier la spiritualité de saint Paul. Dans les Romains au chapitre 6ème, par exemple, versets 18 à 22, saint Paul dit : « Vous êtes délivrés du péché et vous êtes devenus les serviteurs de la sainteté », « liberati a peccato servi facti estis justitiæ ». Je vous l’ai dit, la notion de justice dans la Sainte Ecriture est en général la sainteté, on voit assez rarement le mot sanctitas, mais beaucoup plus les mots justum, justitiæ, qui signifient la justice parfaite, la justification. C’est le terme théologique que vous avez dans vos livres de théologie. Vous ne rencontrerez pas de chapitre sur la sainteté, on ne parle pas de la sainteté, on parlera « de justificatione » du moyen de devenir juste, de devenir parfait, de devenir saint. Les termes sont synonymes évidemment. Pris d’une manière stricte ce n’est pas la même chose, mais pris à la manière dont l’entend la Sainte Écriture d’une manière générale, c’est la même chose. « Maintenant délivrés du péché, servi facti Deo » « Nunc liberati a peccato servi facti Deo, fructum vestrum in sanctificatione ». Saint Paul emploie le terme sanctification, « finem vero vitam æternam » la fin de votre sanctification c’est la vie éternelle. Vous voyez toujours ces deux volets, je veux dire ces deux aspects, « liberati a peccato » libérés du péché nous montons vers la justification, vers la sainteté, et c’est cela tout le drame de notre vie, de notre vie intérieure, de notre vie, drame auquel nous devons être intéressés tous les jours et pas seulement au moment du carême, pas seulement au moment des retraites, mais nous devons nous poser ce problème-là constamment et chercher aussi constamment à accepter les souffrances, les difficultés de la vie, les contradictions, les humiliations, les peines, toutes les peines que nous pouvons avoir, que tout cela serve, serve à nous délivrer du péché.