Mes bien chers Frères,
Nous ne poursuivons pas la diffusion de la sanctification du dimanche, je vous en donnerai les raisons une autre fois. Mais si vous avez des désirs à m’exposer, ne vous gênez pas !
La Passion est la raison de la venue du Christ sur la terre, elle est sa plus grande œuvre, tant envers son Père qu’envers nous. Voilà pourquoi je voudrais vous en donner la connaissance intime, autant qu’il est possible.
Voici quelques notes et extraits de saint Thomas d’Aquin qui m’ont servi à préparer ce sermon.
Comment la Passion du Christ a-t-elle produit ses effets
La passion du Christ a causé notre salut par mode de mérite, de satisfaction, de sacrifice et de rachat. Elle faut l’instrument par lequel Jésus-Christ nous sauve.
Conséquences. Mérite : être uni à Jésus-Christ comme membres de son corps mystique. Satisfaction : être uni à Jésus-Christ dans la charité. Sacrifice : être uni à la Très Ste Trinité. Rachat : vivre dans la vraie liberté des enfants de Dieu.
a. 1 La passion du Christ a causé notre salut par mode de mérite
Le Christ a reçu la grâce non seulement à titre individuel, mais aussi comme tête de l’Église, de telle façon que sa grâce rejaillisse de lui sur ses membres. Voilà pourquoi les actions du Christ ont pour ses membres aussi bien que pour lui les mêmes effets que les actions d’un homme en état de grâce en ont pour lui-même.
Saint Thomas d’Aquin Quodlibet II, 2 :
« Si nous parlons du rachat du genre humain, au point de vue du prix exact, n’importe quelle souffrance du Christ, même sans la mort, aurait suffi pour ce rachat de l’humanité, à cause de l’infinie dignité de la personne.
« Mais si nous parlons de l’intention d’achat, il faut dire que les autres souffrances du Christ n’ont pas été destinées sans la mort par Dieu le Père et le Christ au rachat du genre humain. On peut en donner trois raisons : 1° Le prix du rachat de l’humanité devait être non seulement infini en valeur, mais de même genre, afin qu’il pût nous racheter de la mort par la mort. 2° La mort du Christ devait être non seulement le prix de notre rachat, mais aussi un exemple de vertu, afin que les hommes ne craignissent pas de mourir pour la vérité. L’Apôtre assigne ces deux causes dans son Épître aux Hébreux (II, 14-15) : « Il voulait, écrit-il, réduire à l’impuissance par sa mort celui qui avait l’empire de la mort », voilà pour la première raison ; « et affranchir tous ceux que la crainte de la mort tenait en servitude toute leur vie », voilà pour la seconde raison. 3° La mort du Christ devait être aussi le symbole du salut, puisque, par la vertu de cette mort ; nous devons mourir au péché, aux désirs charnels et à notre égoïsme. Cette cause se retrouve dans la première Épître de s. Pierre (III, 18) : « Le Christ a souffert une fois la mort pour nos péchés, lui juste pour des injustes, afin de nous ramener à Dieu, ayant été mis à mort selon la chair, mais rendu à la vie selon l’esprit ». C’est pourquoi le genre humain n’a pas été racheté par n’importe quelle souffrance du Christ sans sa mort. »
a. 2 La passion du Christ a causé notre salut par mode de satisfaction
« Corpus. On satisfait évidemment pour une offense, si l’on offre à l’offensé ce que celui-ci aime autant ou davantage qu’il n’a détesté l’offense. Or le Christ, en souffrant par charité et par obéissance, a offert à Dieu quelque chose de plus grand que ne l’exigeait la compensation de toutes les offenses du genre humain : 1° à cause de la grandeur de la charité en vertu de laquelle il souffrait ; 2° à cause de la dignité de la vie qu’il donnait comme satisfaction, parce que c’était la vie de celui qui était Dieu et homme ; 3° à cause de l’universalité de ses souffrances et de l’acuité de sa douleur, nous l’avons dit plus haut. Et c’est pourquoi la passion du Christ a été une satisfaction non seulement suffisante, mais surabondante pour les péchés du genre humain, selon S. Jean (1 Jn 2, 2) : “Il est lui-même propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier”. »
« ad 1. La tête et les membres forment comme une seule personne mystique ; aussi la satisfaction du Christ s’étend-elle à tous les fidèles, comme à ses membres. De plus, en tant que deux hommes sont unis dans la charité, l’un d’eux peut aussi satisfaire pour l’autre, nous le dirons plus loin.
a. 3 La passion du Christ a causé notre salut par mode de sacrifice
Corpus. Le sacrifice, au sens propre, désigne ce que l’on offre à Dieu pour lui rendre l’honneur qui lui est dû, en vue de l’apaiser. De là vient cette définition de S. Augustin : “Le vrai sacrifice est toute œuvre qui contribue à nous unir à Dieu dans une sainte société, c’est-à-dire rapportée à ce bien suprême grâce auquel nous pouvons être véritablement heureux.” Or le Christ “s’est offert lui-même pour nous dans sa passion” ; et cette œuvre : supporter volontairement sa passion, fut souverainement agréable à Dieu, comme provenant de la charité. Il est donc évident que la passion du Christ fut un véritable sacrifice. Et comme S. Augustin le remarque un peu plus loin : “De ce vrai sacrifice les anciens sacrifices des saints étaient les signes multiples et variés, ne figurant que lui sous des formes nombreuses, de même qu’une seule chose se dit en beaucoup de mots pour la faire valoir au maximum et sans ennui.” Il note aussi : [60.49] “Il y a quatre choses à considérer en tout sacrifice : celui à qui on l’offre, celui qui l’offre, ce qu’on offre, ceux pour qui on l’offre. Or le seul, unique et véritable médiateur, qui nous réconcilie avec Dieu par le sacrifice de paix devait demeurer un avec celui à qui il offrait ce sacrifice, faire un en lui ceux pour qui il l’offrait, être le seul et le même qui offrait, et ce qu’il offrait.”
La chair du Christ est le sacrifice le plus parfait. Voici pourquoi.
1° Appartenant à la nature humaine, elle est offerte à juste titre pour des hommes, et elle est consommée par eux sacramentellement. 2° Passible et mortelle, elle se prêtait à l’immolation. 3° Sans péché, elle était efficace pour purifier les péchés. 4° Étant la chair de l’offrant lui-même, elle était agréée de Dieu à cause de la charité de celui qui offrait sa chair. C’est l’avis de S. Augustin : “Qu’est-ce que les hommes pouvaient prendre et offrir pour eux-mêmes, de plus adapté qu’une chair humaine ? Quoi de plus apte à l’immolation qu’une chair mortelle ? Quoi d’aussi pur pour purifier les vices des mortels qu’une chair née sans la corruption de la convoitise charnelle, dans un sein et d’un sein virginal ? Qu’est-ce qui pouvait être offert et accepté avec plus de grâce que la chair de notre sacrifice, devenu le corps de notre prêtre ?”
a. 4 La passion du Christ a causé notre salut par mode de rachat
Par le péché l’homme avait contracté une double obligation.
1° Celle de l’esclavage du péché, car “celui qui pèche est esclave du péché” (Jn 8, 35), et “on est esclave de celui par qui on s’est laissé vaincre” (2 P 2, 19). Donc, parce que le démon avait vaincu l’homme en l’induisant à pécher, l’homme était soumis à l’esclavage du démon.
2° Quant à la responsabilité de la peine, l’homme était débiteur envers la justice divine. Et c’est là aussi un esclavage, car c’est un esclavage, que de subir ce qu’on ne veut pas, alors que l’homme libre dispose de lui-même comme il veut.
Donc, parce que la passion du Christ a été une satisfaction adéquate et surabondante pour le péché et pour la peine due par le genre humain, sa passion a été comme une rançon par laquelle nous avons été libérés de cette double obligation. Car la satisfaction offerte pour soi ou pour autrui, est comme une rançon par laquelle on rachète soi-même ou autrui du péché et de la peine, selon cette parole de Daniel (4, 24) : “Rachète tes péchés par des aumônes.” Or, si le Christ a satisfait, ce n’est évidemment pas en donnant de l’argent ou quelque chose de semblable, mais en donnant pour nous ce qui était le plus précieux, c’est-à-dire lui-même. Et voilà pourquoi on dit que la passion du Christ est notre rachat et notre rédemption.
La satisfaction est par rapport à la faute qu’il faut réparer, le rachat par rapport à la peine qui en est la conséquence et qu’il faut payer.
a. 6 La passion du Christ a produit les effets de notre salut par mode d’efficience
Corpus. La cause efficiente principale du salut des hommes est Dieu. Mais l’humanité du Christ, étant l’instrument de sa divinité, comme on l’a dit précédemment il s’ensuit que toutes les actions et souffrances du Christ agissent instrumentalement, en vertu de la divinité, pour le salut des hommes. À ce titre, la passion du Christ cause le salut des hommes par efficience.
2. Quoique corporelle, la passion du Christ est dotée cependant d’une puissance spirituelle en raison de la divinité qui se l’est unie. Aussi obtient-elle son efficacité par un contact spirituel c’est-à-dire par la foi et les sacrements de la foi, selon la parole de S. Paul (Rm 3, 25) : “Dieu a destiné le Christ à servir de propitiation par la foi en son sang.”
3. Par rapport à sa divinité, la passion du Christ agit par mode de cause efficiente ; par rapport à la volonté de l’âme du Christ, elle agit par mode de mérite ; par rapport à la chair même du Christ, elle agit par mode de satisfaction, en tant que par elle nous sommes délivrés de l’obligation de la peine ; par mode de rachat ou rédemption, en tant que par elle nous sommes délivrés de l’esclavage de la faute ; par mode de sacrifice, en tant que par elle nous sommes réconciliés avec Dieu, comme on le dira à la question suivante.
Commentaires :
A plusieurs reprises déjà, nous avons dit que ces points du vue n’étaient pas à prendre en toute rigueur, comme s’ils étaient exclusifs l’un de l’autre ; la Passion est satisfaction, parce qu’elle nous libère à la fois de la faute et de la peine ; et elle est aussi un rachat au même titre (qu. 48, a. 4).