Les traditionalistes se plaignent de n’avoir pas de livres à distribuer aux jeunes militants pour leur formation doctrinale. En effet, les ouvrages où s’exprime la pensée traditionnelle sont matériellement rares parce qu’ils ne sont jamais réédités. Ils ont contre eux les puissances du jour qui les étouffent. Leur pénurie est réelle. Et c’est un des objectifs de la Diffusion de la Pensée Française que de procéder aux rééditions nécessaires. Mais il est au moins un écrivain de la ligne traditionnelle dont les ouvrages sont faciles à se procurer : c’est Dom de Monléon. Ils ont en outre l’avantage de traiter de l’exégèse biblique qui est l’une des disciplines les plus importantes de la formation religieuse. Ce moine bénédictin apporte aux âmes, par sa science et par sa fidélité, un puissant réconfort. Ses livres sont parmi les plus nourrissants que l’on puisse lire aujourd’hui.
Tout d’abord, le style. Il est d’une clarté lumineuse. Rien de flou. Rien de romantique. Point d’expressions outrées. Point d’effets creux. Au contraire, des termes justes, mais sans banalité. Des phrases simples, mais sans aridité. Et dans tout cela, beaucoup d’aisance. C’est la vieille souche avec une sève nouvelle. C’est la résurrection du classicisme. Un régal ! Le raisonnement est aussi clair que le style. Et cette clarté est victorieuse. Car Dom de Monléon, on s’en doute, a des adversaires puisqu’il n’est ni rationaliste, ni évolutionniste, ni moderniste, à aucun degré. Il n’use envers eux d’aucun sarcasme ; encore moins d’aucune invective. Seulement, lorsque, dans ses préfaces devenues célèbres il examine leurs thèses en projetant son investigation intelligente sur leurs obscurités et qu’il les prend à leurs propres pièges, il en résulte une ironie souvent féroce. Ils sont lessivés. C’est une joie ! Dom de Monléon retrace, dans une collection maintenant très étoffée, la biographie des plus grands personnages de l’Ancien Testament : Abraham, les douze Patriarches. Moïse, Josué et les Juges, Jonas, Daniel… Il les fait revivre avec une précision et un relief étonnants. Il nous rend sensible leur formidable labeur. La partie anecdotique de ses ouvrages, à elle seule, serait suffisante pour en faire un grand écrivain. Quant aux commentaires mystiques qu’il intercale entre les chapitres narratifs, ils font de ce grand bénédictin un grand exégète.
Dom de Monléon procure à l’Écriture Sainte une double réhabilitation. Il réhabilite la lettre de la Vulgate (on appelle ainsi la traduction latine de saint Jérôme qui est devenue officielle, canonique, courante, commune. « vulgaire »). Et il réhabilite l’interprétation patristique qui est l’esprit de l’Écriture. La lettre d’abord. Dans ses exposés et ses commentaires, il utilise exclusivement la version officielle de l’Église, la Vulgate de saint Jérôme, la seule qui soit garantie contre toute erreur et qui, par l’onction dont elle est pénétrée, par la connaturalité que les siècles lui ont donné avec l’âme chrétienne, reste l’expression la plus sûre, la plus authentique de la Révélation — (Préface- du Cantique des Cantiques », page 9 — Nouvelles Éditions Latines).
Écoutons-le préciser cette affirmation dans un article d’Itinéraires :
Sans doute, il est de bon ton aujourd’hui d’afficher pour la Vulgate le plus profond mépris et d’invoquer à tout propos contre elle — Veritatem Hebraïquam — la vérité du texte hébreux.
– En appeler de la Vulgate à la vérité hébraïque est une de ces vastes duperies dont la “haute critique” est coutumière. Car c’est justement cette vérité hébraïque que saint Jérôme a entendu rétablir dans sa version latine, au-dessus de toutes les traductions de la Bible plus ou moins altérées qui circulaient de son temps.
-Génie littéraire hors classe, saint Jérôme a employé toutes les ressources de son intelligence et de sa volonté à restituer la parole de Dieu dans sa teneur authentique.
-Il avait à sa disposition des documents de première valeur, QUI ONT DISPARU DEPUIS, en particulier :
— le rouleau de la Synagogue de Bethléem qu’il avait copié de sa main.
— et les célèbres EXAPLES où Origène avait reproduit, sur six colonnes parallèles, le texte hébreux et les cinq principales traductions grecques qui en existaient alors, œuvre gigantesque de critique et d’érudition dont la perte est considérée par les vrais savants comme irréparable.
-Ceux qui invoquent la “vérité hébraïque” raisonnent comme si nous possédions encore aujourd’hui les manuscrits originaux de Moise et des Prophètes. Mais il n’est pas permis d’ignorer que la seule version de l’Écriture conservée par les juifs est celle dite “des Massorètes” qui ne remonte pas au-delà du VIe siècle après Jésus-Christ. »
“Suite à l’histoire de Jonas” dans Itinéraires, N° 90, de Février 1965.
La transcription massorétique se recommande-t-elle au moins par son exactitude ? Il n’en est rien. Les rédacteurs juifs qui l’ont établie, aux environs du VIe siècle de l’ère chrétienne, se sont appliqués, chaque fois qu’ils l’ont pu sans trahir visiblement le texte original, à effacer tout ce qui apportait la preuve de la messianité de Notre-Seigneur, à laquelle ils ne voulaient pas croire. Victoire reste à la Vulgate par son ancienneté et par sa rigueur scientifique. Que Dom de Monléon soit chaleureusement remercié de nous en avoir administré la preuve. Mais il a fait plus. Il réhabilite aussi l’exégèse patristique, c’est-à-dire l’Esprit de l’Écriture, son sens spirituel.
L’Écriture Sainte, en effet, requiert absolument d’être expliquée, parce qu’elle n’a pas seulement un sens littéral, immédiatement intelligible, mais encore un sens spirituel qui est le plus souvent mystérieux. Le sens spirituel ne peut être saisi que moyennant l’inspiration du Saint-Esprit. Et c’est le magistère ecclésiastique qui définit l’interprétation adéquate, après avoir éliminé toutes celles qui sont inspirées par le mauvais esprit ou tout simplement par le propre esprit. C’est toujours par de fausses interprétations des Écritures que les hérésiarques entraînent les fidèles hors de l’Église. C’était déjà par de fausses interprétations que le démon avait essayé de tenter Notre-Seigneur pendant les quarante jours au désert. La fréquentation de la Bible, en dehors des explications correctes qu’elle postule, est plus nuisible qu’utile. Il faut être d’autant plus sur ses gardes aujourd’hui que de grandes maisons d’édition répandent des documents bibliques de vulgarisation, inspirés par la “haute critique” naturaliste, rationaliste et moderniste, et donc très éloignée de l’exégèse traditionnelle.
Le sens spirituel de l’Écriture — explique Dom de Monléon dans la préface du “Cantique des Cantiques”, à la page 8, n’est en aucune façon le fruit de l’imagination des Pères de l’Église, comme on le croit et l’écrit trop souvent. Il dépasse la capacité de la raison humaine, il ressortit de la révélation, il est l’œuvre du Saint-Esprit. Il fut enseigné aux Apôtres, d’abord par Notre-Seigneur, lorsqu’après Sa Résurrection, Il leur ouvrit l’esprit, pour qu’ils comprissent les Écritures, et confirmé ensuite à la Pentecôte, quand ils reçurent le don de l’intelligence. Précieusement conservé par la tradition orale durant les premiers siècles, il fut consigné peu à peu dans les écrits des Pères de l’Église. Et c’est là l’unique source où nous pouvons le trouver. Rien n’est plus insensé que de prétendre l’expliquer sans recourir à eux.
Le déferlement massif de la littérature pseudo-religieuse et pseudo-savante a pour but de nous faire douter de la sublimité de notre foi et de nous forger mauvaise conscience. Les ouvrages de Dom de Monléon viennent précisément nous redonner confiance dans la valeur scientifique de nos bases scripturaires et dans l’authenticité de l’inspiration divine qui a élaboré l’exégèse traditionnelle.
Jean Vaquié, Lecture et Tradition, n° 36, juin 1972