Sermon sur Dieu ~ 4 Le magistère de l’Église

Mes bien chers Frères,

Qu’il est bon le Bon Dieu de nous donner si simplement des certitudes infaillibles !

Je vous donne après le sermon des documents importants. Je cite notamment le Commonitorium, c’est-à-dire les instructions de saint Vincent de Lérins. Je ne saurai trop vous en recommander la lecture, qui n’est pas bien longue, mais très rassurante en nos temps troublés. Commonitorium de saint Vincent de Lérins

Que Dieu vous bénisse !

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Le magistère de l’Église
Concile Vatican I
Commonitorium de saint Vincent de Lérins

Résumé du sermon

Fides ex auditu auditus autem per verbum Christi, la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole de Christ.

Rm 10, 14 « Comment croire en celui dont on n’a pas entendu parler ? Comment en entendra-t-on parler s’il n’y a personne pour prêcher ? Comment ira-t-on prêcher, si l’on n’y est envoyé ? La foi vient de la prédication, et la prédication se fait en raison de la parole du Christ. Je demande maintenant : « Ne l’ont-ils peut-être pas entendue ? » Mais si ! Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde (Ps 18.5).

Pour que la foi soit reçue, il faut qu’elle soit prêchée de façon authentique

C’est-à-dire il faut qu’on puisse reconnaître avec certitude ce qui est la foi et ce qui ne l’est pas.

C’est l’Église qui est investie de cette mission : « qui vous écoute m’écoute, qui vous reçoit me reçoit, qui vous méprise me méprise » dit Jésus-Christ le soir du Jeudi saint après le lavement des pieds.

Elle donne son enseignement soit par son magistère ordinaire universel, soit par un jugement solennel.

« On doit croire d’une foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans les saintes Écri­tures et dans la Tradition, et tout ce qui est proposé par l’Église comme vérité divinement révélée, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel. » Concile Vatican I

N. B. nous avons vu que l’Écriture Sainte ne peut être comprise qu’à la lumière de la Tradition, car « la lettre tue, c’est l’esprit qui vivifie » enseigne saint Paul.

Magistère = enseignement, mais aussi fonction de censeur.

Le magistère

Le magistère ordinaire est celui de tous les jours : catéchismes, enseignement des évêques, encycliques, etc.

Il doit être universel pour être une règle de la foi. Un magistère particulier peut être vrai, mais il n’engage pas l’Église. En effet, le Christ a promis l’infaillibilité à son Église : « Qui vous écoute m’écoute, etc. » et « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».

Le magistère par jugement solennel

Ces jugements sont portés par les papes, ou par les papes en concile.

Pour que ces jugements engagent l’Église, il faut quatre conditions énumérées par le conciel Vatican I dans la constitution Pastor Aeternus : Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, 1. remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, 2. il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, 3. qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs 4. doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.

Il ne s’agit donc pas de suivre le pape en toute circonstance, mais de savoir quand il engage l’Église ou non.

Les erreurs des “papolâtres” et des “sédévacantistes”

Suite à Vatican I, les catholiques ont accordé au pape une sorte d’infaillibilité personnelle dans tous ses actes. Cela s’est fait sous une double influence : la paresse, une fausse notion de l’autorité et de la société.

Le concile Vatican I a clairement rappelé les limites du magistère solennel.
Il rappelle que le Saint-Esprit n’a pas été donné à Pierre pour enseigner une nouvelle doctrine, mais pour garder saintement et exposer fidèlement.
Il a rappelé les quatre conditions

Surtout il dit que l’infaillibilité n’est pas personnelle au pape, mais qu’il jouit de l’infaillibilité donnée par Jésus-Christ à son Église. Il ne s’agit pas de suivre le pape en tout, mais de savoir quand il engage l’Église et, donc, quand on peut le suivre.

Les papolâtres abandonnent la foi pour ne pas se séparer du pape.

Les « sédévacantistes » ne comprennent pas et ne veulent pas admettre le mystère de la passion de l’Église.

Les sédévacantistes affirment que tout le magistère du pape est infaillible. Or, depuis Paul VI, les pape errent dans la foi. Donc, ces prétendus papes ne sont pas papes. Mais c’est un grossier contresens. Certes, Vatican I énonce que la foi de Rome et des successeurs de Pierre ne peut défaillir, mais aussitôt il définit ce qu’il entend par là : elle ne peut défaillir que dans les jugements solennels.

Les sédévacantistes affirment que l’enseignement du concile Vatican II fut un magistère universel. Or, le magistère universel ne peut errer. Donc Vatican II ne fut pas un concile.

À quoi il faut répondre que l’enseignement de Vatican II ne fut pas universel puisque des voix puissantes s’y sont opposées. Puisque l’universalité englobe la suite des temps et non un moment unique.

Les sédévacantistes affirment qu’on n’a jamais le droit de désobéir au pape. Or, ce pape est mauvais, donc il ne peut être pape.

À quoi il faut répondre de ne pas mélanger magistère et obéissance, c’est-à-dire foi et obéissance. Le Christ n’a jamais garanti l’infaillibilité au pape dans son gouvernement, mais seulement dans son magistère solennel.

Il est donc important pour ne pas tomber dans le schisme d’affirmer que les papes modernistes furent – hélas ! – vraiment papes et, pour ne pas tomber dans l’hérésie, d’adhérer fermement à tout le magistère traditionnel de l’Église.

Conclusion

Commonitorium de saint Vincent de Lérins : « Dans l’Église catholique, il faut veiller soigneusement à s’en tenir à ce qui a été cru partout, toujours, et par tous, car est véritablement et proprement catholique l’universalité des choses. »

Concile Vatican I

Constitution Dei Filius sur la foi.

« Or, on doit croire d’une foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans les saintes Écritures et dans la Tradition, et tout ce qui est proposé par l’Église comme vérité divinement révélée, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel.

« Mais, parce qu’il est impossible sans la foi de plaire à Dieu et d’être compté au nombre de ses enfants, personne ne se trouve justifié sans elle, et ne parvient à la vie éternelle s’il n’y a persévéré jusqu’à la fin. Et pour que nous puissions satisfaire au devoir d’embrasser la vraie foi et d’y demeurer constamment attachés, Dieu, par son Fils unique, a institué l’Église et l’a pourvue de marques visibles de son institution, afin qu’elle puisse être reconnue de tous comme la gardienne et la maîtresse de la parole révélée. Car à l’Église catholique seule appartiennent tous ces caractères si nombreux et si admirables établis par Dieu pour rendre évidente la crédibilité de la foi chrétienne. Bien plus, l’Église, par elle-même, avec son admirable propagation, sa sainteté éminente et son inépuisable fécondité pour tout bien, avec son unité catholique et son immuable stabilité, est un grand et perpétuel argument de crédibilité, un témoignage irréfragable de sa mission divine. Et par là, il se fait que, comme un signe dressé au milieu des nations (Is. XI. 12), elle attire à elle ceux qui n’ont pas encore cru, et elle donne à ses enfants la certitude que la foi qu’ils professent repose sur un très solide fondement.

« À ce témoignage s’ajoute le secours efficace de la vertu d’en-haut. Car le Seigneur très miséricordieux excite et aide par sa grâce les errants, afin qu’ils puissent arriver à la connaissance de la vérité, et ceux qu’il a tirés des ténèbres à son admirable lumière, il les confirme par sa grâce afin qu’ils demeurent dans cette même lumière, n’abandonnant personne, à moins d’être abandonné. Aussi la condition de ceux qui ont adhéré à la vérité catholique par le don divin de la foi n’est nullement la même que celle de ceux qui, conduits par les opinions humaines, suivent une fausse religion ; car ceux qui ont embrassé la foi sous le ministère de l’Église ne peuvent jamais avoir un juste motif de l’abandonner et de révoquer en doute cette foi. C’est pourquoi, rendant grâces à Dieu le Père, qui nous a fait dignes de participer au sort des saints dans la lumière, ne négligeons pas le salut qui est d’un si grand prix ; mais plutôt, les yeux attachés sur Jésus, l’auteur et le consommateur de la foi, gardons le témoignage inébranlable de notre espérance.

Constitution Pastor Aeternus sur le Pontife Romain

Car le Saint Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les Apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi.

Leur doctrine apostolique a été reçue par tous les Pères vénérés, révérée et suivie par les saints docteurs orthodoxes. Ils savaient parfaitement que ce siège de Pierre demeurait pur de toute erreur, aux termes de la promesse divine de notre Seigneur et Sauveur au chef de ses disciples : «  J’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas ; et quand tu seras revenu, affermis tes frères «  [Lc 22, 32].

Ce charisme de vérité et de foi à jamais indéfectible a été accordé par Dieu à Pierre et à ses successeurs en cette chaire, afin qu’ils remplissent leur haute charge pour le salut de tous, afin que le troupeau universel du Christ, écarté des nourritures empoisonnées de l’erreur, soit nourri de l’aliment de la doctrine céleste, afin que, toute occasion de schisme étant supprimée, l’Église soit conservée tout entière dans l’unité et qu’établie sur son fondement elle tienne ferme contre les portes de l’enfer.

Mais comme en ce temps, qui exige au plus haut point l’efficacité salutaire de la charge apostolique, il ne manque pas d’hommes qui en contestent l’autorité, Nous avons jugé absolument nécessaire d’affirmer solennellement la prérogative que le Fils unique de Dieu a daigné joindre à la fonction pastorale suprême.

C’est pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition reçue dès l’origine de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l’exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec l’approbation du saint concile, nous enseignons et définissons comme un dogme révélé de Dieu :

Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.

Si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, avait la présomption de contredire notre définition, qu’il soit anathème.

Commonitorium de saint Vincent de Lérins

Voir le texte complet ici Commonitorium de saint Vincent de Lérins.

Comment distinguer la vérité de l’erreur ?

Souvent je me suis enquis avec beaucoup de zèle et d’attention, auprès de nombre d’hommes éminents par leur sainteté et leur savoir. Je leur ai posé la question : « Existe-t-il une méthode sûre, générale pour ainsi dire, et constante, au moyen de laquelle je puisse discerner la véritable foi catholique d’avec les mensonges de l’hérésie ? »

Et de tous j’ai toujours reçu cette réponse : « Que si moi ou tout autre, nous voulions dépister la fourberie des hérétiques, éviter de tomber dans leurs pièges, et demeurer dans une foi saine (avec l’aide de Dieu) sains nous-mêmes et inentamés, il nous fallait abriter cette foi derrière un double rempart : d’abord l’autorité de la loi divine, ensuite la tradition de l’Église catholique. »

Quelqu’un dira peut-être ici : « Puisque le Canon des Écritures est parfait et qu’il se suffit amplement et surabondamment pour tous les cas, quel besoin y a-t-il d’y joindre l’interprétation de l’Église ? » Précisément la profondeur de l’Écriture sainte fait que tous ne l’entendent pas dans un seul et même sens. Les mêmes paroles sont interprétées par l’un d’une façon, par l’autre d’une autre, et on pourrait dire : autant il y a de commentateurs, autant d’opinions. Novatien l’explique d’une façon, Sabellius d’une autre façon, Donat d’une autre encore ; Eunomius, Arius, Macedonius ont leur opinion ; Photin, Apollinaire, Priscillien ont la leur ; la leur encore Jovinien, Pélage, Caelestius ; la sienne enfin Nestorius. Et c’est pourquoi il est bien nécessaire en présence de tant d’erreurs aux multiples replis, que la ligne de l’interprétation des livres prophétiques et apostoliques soit dirigée conformément à la règle du sens ecclésiastique et catholique.

Dans l’Église catholique elle-même, il faut veiller soigneusement à s’en tenir à ce qui a été cru partout, toujours, et par tous. car est véritablement et proprement catholique, comme le montrent la force et l’étymologie du mot lui-même, l’universalité des choses. Et il en sera ainsi si nous suivons l’universalité, l’antiquité, le consentement général.

Nous suivrons l’universalité, si nous confessons comme uniquement vraie la foi que confesse l’Église entière répandue dans l’univers ; — antiquité, si nous ne nous écartons en aucun point des sentiments manifestement partagés par nos saints aïeux et par nos pères ; — le consentement enfin si, dans cette antiquité même, nous adoptons les définitions et les doctrines de tous, ou du moins de presque tous les évêques et les docteurs.

Application pratique du critère

– Que fera donc le chrétien catholique, si quelque parcelle de l’Église vient à se détacher de la communion de la foi universelle ? – Quel autre parti prendre, sinon de préférer au membre gangrené et corrompu le corps dans son ensemble, qui est sain ?

– Et si quelque contagion nouvelle s’efforce d’empoisonner, non plus seulement une petite partie de l’Église, mais l’Église tout entière à la fois ? – Alors encore, son grand souci sera de s’attacher à l’antiquité, qui, évidemment, ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère.

– Et si, dans l’antiquité même, une erreur se rencontre qui soit celle de deux ou trois hommes, ou d’une ville, ou même d’une province ? – Alors, il aura grand soin de préférer à la témérité ou à l’ignorance d’un petit nombre les décrets (s’il en existe) d’un concile universel tenu anciennement au nom de l’ensemble des fidèles.

– Et si quelque opinion vient enfin à surgir qu’aucun concile n’ait examiné ? – C’est alors qu’il s’occupera de consulter, d’interroger, en les confrontant, les opinions des ancêtres, de ceux d’entre eux notamment qui vivant en des temps et des lieux différents sont demeurés fermes dans la communion et dans la foi de la seule Église catholique et y sont devenus des maîtres autorisés ; et tout ce qu’ils auront soutenu, écrit, enseigné non pas individuellement, ou à deux, mais tous ensemble, d’un seul et même accord, ouvertement, fréquemment, constamment, un catholique se rendra compte qu’il doit lui-même y adhérer sans hésitation. (…)

L’arianisme

De même, quand le venin de l’arianisme eut infecté, non plus une faible partie, mais la presque totalité de l’univers, alors que tous les évêques de langue latine s’étaient laissés séduire, les uns par la violence, les autres par la ruse, et qu’une sorte de nuage obscurcissait les esprits et leur dérobait, en un si grand trouble, la véritable route à suivre, tout ce qu’il y avait de vrais disciples et de vrais adorateurs du Christ préférèrent la foi antique à de perfides innovations et se préservèrent ainsi de la contagion du fléau.

Les malheurs de ce temps démontrèrent surabondamment quelles calamités apporte à sa suite l’introduction d’un dogme nouveau. Car ce ne furent pas seulement les petites choses, mais aussi les plus grandes qui furent bouleversées. Alliances, parentés naturelles ; amitiés, familles ; bien plus encore, les villes, les peuples, les provinces, les nations, enfin l’Empire romain tout entier, furent agités et ébranlés jusque dans leurs fondements.

Lorsque cette nouveauté profane de l’arianisme, comme une Bellonel ou une Furie, eut conquis l’Empereur tout le premier, puis eut courbé sous le joug des lois nouvelles toutes les autorités du palais, elle ne cessa plus dès lors de troubler tout et de nuire à tout, aux intérêts privés et publics, aux choses sacrées et aux choses profanes. Le bien et le vrai ne bénéficiaient d’aucun privilège : tous ceux que lui désignait son caprice, elle les frappait comme d’en haut. L’on vit alors des épouses déshonorées, des veuves dévoilées, des vierges profanées, des monastères démolis, des clercs dispersés, des lévites frappés, des prêtres envoyés en exil. Les prisons, les cachots, les mines regorgèrent de saints personnages. La plupart de ceux-ci, ayant reçu défense d’entrer dans les villes, chassés et bannis, se consumèrent au milieu des déserts, des cavernes, des bêtes féroces et des rochers, dans les souffrances exténuantes de la nudité, de la faim et de la soif.

Et de tous ces maux quelle fut la cause, sinon qu’à la place d’un dogme venu de Dieu, toutes les fois qu’on met des superstitions purement humaines, on ruine par de criminelles nouveautés une antiquité si bien assise ; on voile l’enseignement des âges antérieurs ; on déchire les décisions des Pères ; on anéantit les définitions des ancêtres ; et la curiosité profane, passionnée de nouveautés, refuse de se contenir dans les limites d’une antiquité sainte et incorruptible ?

Autorité de saint Paul

Nous devons donc grandement redouter le sacrilège qui consiste à altérer la doctrine et à profaner la religion. Ce n’est pas seulement la discipline de la constitution de l’Église, c’est aussi la censure portée par l’autorité apostolique, qui nous l’interdit. Tout le monde sait avec quelle force, quelle sévérité, quelle véhémence, le bienheureux apôtre Paul s’élève contre certains hommes qui, avec une étrange légèreté, « avaient abandonné trop vite celui qui les avait appelés à la grâce du Christ, pour passer à un autre Évangile, quoiqu’il n’y en ait point d’autre (Ga 6, 7), « qui s’étaient donné en foule des maîtres selon leur convoitise ; qui détournaient leurs oreilles de la vérité et se tournaient vers les fables (2 Tm 4, 3-4 ), « attirant la condamnation parce qu’ils avaient rendue vaine leur première foi » (1 Tm 5, 12).

Ils s’étaient laissé tromper par ceux dont le même apôtre écrit dans l’Épître aux Romains : « Je vous en prie, mes frères, surveillez ceux qui créent des dissensions et des scandales, contrairement à la doctrine que vous avez apprise. Détournez-vous d’eux. Ces gens-là ne servent point le Christ notre Seigneur, mais leur propre ventre ; et par de douces paroles et des bénédictions, ils séduisent les âmes simples (Rm 16, 17-18) ». « Ils entrent dans les maisons et traînent captive des femmelettes chargées de péchés et mues par toutes sortes de désirs, apprenant toujours et n’arrivant jamais à la connaissance de la vérité » (2 Tm 3, 6-7). « Vains en paroles et séducteurs, qui bouleversent toutes les maisons et enseignent ce qu’ils ne devraient pas, pour un gain honteux (Tm 1, 10-11) ».

« Hommes à l’esprit corrompu, que la foi condamne, orgueilleux qui ne savent rien, mais qui languissent sur des questions et des disputes de mots. Ils sont privés de la vérité et ils estiment que la piété est une source de vil profit (1 Tm 6, 4-5) ». « Et de plus, oisifs, ils s’habituent à courir les maisons, et ils sont non seulement oisifs, mais verbeux et curieux, et ils disent ce qu’il ne faut pas (Ibid. 5, 13) ». « Repoussant la bonne conscience, ils ont fait naufrage dans la foi (Ibid., 1, 19) ». « Leurs profanes et vains discours profitent puissamment à l’impiété, et leur parole s’insinue comme la gangrène (2 Tm 2, 16-17) ».

C’est à juste titre qu’il est écrit de ces mêmes hommes : « Ils ne feront pas d’autres progrès, car leur folie sera connue de tout le monde, comme celle de ces hommes le fut aussi (2 Tm 3, 9) ».

Commentaire de l’Épître aux Galates, 1, 8-9

Quelques hommes de ce genre parcouraient les provinces et les cités, et, tout en colportant leurs erreurs comme une pacotille, étaient parvenus jusqu’aux Galates. À les écouter, ceux-ci éprouvèrent comme la nausée de la vérité. Ils rejetèrent la manne de la doctrine apostolique et catholique, et ils trouvèrent un charme aux méprisables nouveautés de l’hérésie.

Alors se manifesta l’autorité de la puissance apostolique : « Même si nous-mêmes ou un ange du ciel vous évangélisait autrement que nous ne vous avons évangélisés, qu’il soit anathème (Ga 1, 8) ». Pourquoi dit-il, « Même si nous-mêmes ? Pourquoi pas « Même si moi… » ? C’est qu’il veut dire : lors même que Pierre, lors même qu’André, lors même que Jean, lors même enfin que tout le chœur des apôtres vous évangéliserait autrement que nous ne vous avons évangélisés, qu’il soit anathème. Rigueur qui fait trembler ! pour confirmer l’attachement à la foi première, il ne s’épargne pas lui-même, ni ses collègues dans l’apostolat.

C’est encore trop peu : « Même si un ange du ciel, dit-il, vous évangélise autrement que nous ne vous avons évangélisés, qu’il soit anathème. » Il ne lui a pas suffi, pour défendre la foi traditionnelle, de mentionner la nature de l’humaine condition ; il a voulu y joindre aussi l’éminente nature des anges.

« Même si nous-mêmes, dit-il, ou un ange du ciel… » Non que les saints anges du ciel puissent encore pécher ; mais il veut dire : « S’il arrivait même ce qui ne peut arriver, quel que soit celui qui tente de modifier la foi traditionnelle, qu’il soit anathème. »

Mais ces paroles, les a-t-il dites en passant et les a-t-il jetées avec une passion toute humaine, plutôt que par inspiration divine ? Loin de là. Car il poursuit, et il insiste sur cet avertissement en redoublant d’effort pour le faire entrer dans les esprits : « Je l’ai déjà dit et je le répète : si quelqu’un vous prêche un autre évangile que celui que vous avez appris, qu’il soit anathème ». Il ne dit pas : « Si quelqu’un vous annonce autre chose que ce que vous avez appris, qu’il soit béni, loué, accueilli », mais « qu’il soit anathème », c’est-à-dire séparé, rejeté du troupeau, exclu, afin que la redoutable contagion d’une seule brebis n’infecte pas de son poison l’innocent troupeau du Christ.

Portée universelle et permanente des préceptes de saint Paul

Mais peut-être ce précepte n’a-t-il été donné qu’aux Galates ? À ce prix, c’est donc aux seuls Galates que seraient prescrits les devoirs rappelés dans la suite de cette même lettre, ceux-ci par exemple : « Si nous vivons par l’esprit, marchons aussi selon l’esprit. Ne devenons pas avides d’une vaine gloire, en nous provoquant les uns les autres, en nous jalousant les uns les autres (Ga 5, 25-26) » et le reste. Si cette hypothèse est absurde et que ces prescriptions s’adressent à tous également, il en résulte que les dispositions doctrinales tout comme les préceptes purement moraux atteignent tous les hommes indistinctement. Et, comme il n’est permis à personne de provoquer autrui ni de jalouser autrui, qu’il ne soit permis à personne de recevoir un autre évangile que celui que l’Église catholique enseigne en tous lieux.

Peut-être encore ordonnait-il d’anathématiser quiconque prêchait une doctrine différente de celle qui avait été prêchée, sans que cela continue d’être encore ordonné présentement ? — Alors ce que l’apôtre déclare dans la même lettre : « Je vous dis : marchez selon l’esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair (Ga 5, 16) » était prescrit pour ce moment-là seulement, mais ne l’est plus maintenant. S’il est tout à la fois impie et désastreux de penser ainsi, il s’ensuit nécessairement que, de même que ces préceptes s’appliquent à tous les âges, les lois qui défendent de rien changer à la foi s’imposent également à tous les âges.

Il n’a donc jamais été permis, il n’est pas permis, et il ne sera jamais permis de prêcher aux chrétiens catholiques une autre doctrine que celle qu’ils ont reçue ; et jamais il n’a fallu, jamais il ne faut, jamais il ne faudra omettre d’anathématiser ceux qui annoncent autre chose que la doctrine une fois reçue.

Dans ces conditions, est-il quelqu’un d’assez audacieux pour prêcher autre chose que ce qui a été prêché dans l’Église, ou d’assez léger pour accepter autre chose que ce que l’Église accepte ? Il crie et crie encore, à tous et toujours et partout, dans ses lettres, il crie, ce « vase d’élection (Ac 9, 15) », ce « docteur des Gentils (1 Tm 2, 7) », cette trompette des Apôtres, ce héraut de l’univers, ce confident des cieux, que si quelqu’un annonce un nouveau dogme, il faut l’anathématiser. Et voici d’autre part que réclament certaines grenouilles, moucherons et mouches, créatures d’un jour. Je parle des pélagiens, qui s’en vont dire aux catholiques : « Prenez-nous pour guides, pour chefs, pour interprètes ; condamnez ce à quoi vous adhériez, adhérez à ce que vous condamniez, rejetez l’ancienne foi, les institutions de vos pères, le dépôt des ancêtres, et recevez… » Quoi ? Je frémis de le dire : car leurs propos dénotent un tel orgueil qu’il me semble que je ne pourrais, sans une sorte de sacrilège, je ne dis pas les approuver, mais les réfuter même.

Pourquoi Dieu permet-il l’hérésie dans l’Église ?

Mais, dira-t-on, pourquoi donc Dieu permet-il que des personnages éminents, occupant un rang dans l’Église, annoncent aux catholiques des doctrines nouvelles ? La question est normale, et mérite d’être examinée avec plus de soin et de développement : nous allons essayer de le faire, non d’après nos idées personnelles, mais d’après l’autorité de la loi divine et l’enseignement du magistère de l’Église.

Écoutons donc le vénérable Moïse ; qu’il nous apprenne lui même pourquoi des gens savants, et qui, en raison de leur science, sont même appelés prophètes par l’Apôtre, ont parfois licence d’introduire de nouveaux dogmes que l’Ancien Testament, en son langage allégorique, est accoutumé d’appeler « des dieux étrangers » — parce qu’en effet les hérétiques ont pour leurs propres opinions la même vénération que les païens pour leurs dieux.

Le bienheureux Moise écrit donc dans le Deutéronome (Dt 13, 1-3) : « S’il s’élève au milieu de vous un prophète ou quelqu’un qui prétende avoir eu une vision… » — c’est-à-dire un docteur établi dans l’Église, dont les enseignements paraissent à ses disciples ou ses auditeurs sortir de quelque révélation ; — et ensuite ? « … et qu’il prédise un signe et un prodige, et que ce qu’il annonce arrive… » : c’est évidemment un maître illustre qu’il désigne ainsi, un maître d’une science telle qu’il semble à ses propres fidèles capable non seulement de connaître les choses humaines, mais encore de prévoir celles qui dépassent l’homme. Tels furent, d’après la façon dont leurs disciples les vantent, Valentin, Donat, Photin, Apollinaire, et autres du même genre. Moise poursuit : « S’il te dit alors : Allons suivre d’autres dieux que tu ignores et servons-les… » Qui sont ces « autres dieux », sinon les opinions erronées et hérétiques ? « Que tu ignores »… c’est-à-dire des opinions nouvelles et jamais entendues.

« Servons-les », c’est-à-dire croyons-y, suivons-les. Et comment conclut Moise ? « … Vous n’écouterez point les paroles de ce prophète ni de ce visionnaire. » Et pourquoi, je vous prie, Dieu n’empêche-t-il pas d’enseigner ce qu’il défend d’écouter ? « Parce que, répond Moise, le Seigneur votre Dieu vous tente, pour qu’il apparaisse si vous l’aimez ou non, de tout votre cœur et de toute votre âme. »

On voit donc plus clair que le jour pourquoi, de temps à autre, la divine Providence souffre que certains docteurs des églises prêchent de nouveaux dogmes : « C’est, dit-il, afin que le Seigneur votre Dieu vous tente (Dt 13, 3). » Et à coup sûr c’est une grande tentation de voir un homme qu’on regarde comme un prophète, comme un disciple des prophètes, comme un docteur, comme un champion de la vérité, qu’on environne de respect et d’amour, se mettre tout d’un coup à introduire sourdement de dangereuses erreurs. On ne le découvre pas tout de suite, parce que l’on conserve envers lui le préjugé favorable, à cause de son enseignement antérieur. On hésite à condamner un ancien maître auquel on reste lié par une réelle affection.

Le vrai catholique et l’hérétique

Ainsi est catholique véritable et authentique, qui chérit la vérité de Dieu, l’Église, « le corps du Christ (Ep 1, 23) » ; qui ne met rien au-dessus de la foi catholique : ni l’autorité, ni l’affection, ni le génie, ni l’éloquence, ni la philosophie d’un homme, quel qu’il soit : qui, méprisant tout cela, fermement et inébranlablement attaché à la foi, est résolu à n’admettre et à ne croire que les vérités universellement admises par l’Église catholique depuis les temps anciens ; et qui comprend enfin que toute doctrine nouvelle et inouïe, insinuée par un seul homme en dehors de l’avis général des saints ou contre cet avis, n’a rien de commun avec la religion : Elle constitue bien plutôt une tentation, selon l’enseignement du bienheureux apôtre Paul.

Voici ce que Paul écrit dans la première épître aux Corinthiens : « Il faut qu’il y ait des hérésies, afin qu’on découvre ceux qui, parmi vous, sont d’une vertu éprouvée (1 Co 11, 19). » Cela revient à dire : Dieu n’extirpe pas immédiatement les hérésiarques, afin qu’on découvre parmi vous les chrétiens qui sont d’une vertu éprouvée, c’est-à-dire afin qu’on voie en quelle mesure chacun est constant, fidèle, inébranlable dans son amour pour la foi catholique.

En fait, dès que quelque nouveauté fermente, les grains de blé se séparent tout de suite, grâce à leur pesanteur, d’avec la légèreté des brins de paille (Mt 3, 12) : sans grand effort est projeté hors de l’aire tout ce qui n’y est point retenu par son poids. Les uns s’envolent aussitôt, les autres, agités seulement, craignent de périr, rougissent de revenir. Blessés, à demi morts et à demi vivants, ils ont avalé une dose de poison qui ne tue pas, mais ne peut être éliminé ; elle n’entraîne pas nécessairement la mort et pourtant ne permet plus de vivre.

Quelle pitoyable situation ! Quelles angoisses les agitent ! Quels tourbillons les assaillent ! Tantôt ils sont le jouet du vent : emportés par l’erreur. Tantôt ils se replient sur eux-mêmes, et comme des corps ils sont rejetés par les vagues sur la grève. Ils accueillent parfois ce qui est incertain avec une audace téméraire, à d’autres moments, une peur irraisonnée les fait douter des vérités les plus sûres. Ils ne savent où aller, par où revenir, que souhaiter, que fuir, que soutenir, que rejeter.

Ces tracas d’un cœur hésitant et mal affermi sont le remède que la divine miséricorde réserve à leur sagesse. Si, loin du port assuré de la foi catholique, ils sont ainsi secoués, battus, menacés dans leur vie par les multiples orages de leurs pensées, c’est pour qu’ils carguent ces voiles, frissonnantes au vent du large, que leur orgueil laissait coupablement se gonfler du vent des nouveautés ; c’est pour qu’ils reviennent et demeurent à l’abri si fidèle que leur offre leur paisible et bonne mère et pour qu’ils rejettent le flot amer et trouble de l’erreur, afin de s’abreuver désormais à la source « d’eau vive et jaillissante (Jn 4, 10, 14) ». Qu’ils désapprennent pour leur bien ce qu’ils avaient appris contre leur bien, et que, de l’ensemble du dogme de l’Église, ils comprennent ce que l’intelligence peut comprendre, et croient ce qui n’est point susceptible d’être compris !

Commentaire de I Timothée, 6, 20-21

Plus je réfléchis à tout cela, plus je m’étonne de la folie de certains, de l’impiété de leur âme aveugle, de leur passion pour l’erreur.

Au lieu de se contenter de la règle de foi traditionnelle, admise une fois pour toutes dès l’antiquité, il leur faut chaque jour du nouveau et encore du nouveau ; ils sont toujours impatients d’ajouter quelque chose à la religion, d’y changer, d’en retrancher ; comme s’il ne s’agissait pas d’un dogme céleste, une fois pour toutes révélé mais d’une institution purement humaine, qui ne peut être conduite à sa perfection que par de continuels amendements ou plutôt par de continuelles corrections.

Les oracles divins ne crient-ils pas : « Ne déplace point les bornes qu’ont posées tes pères » (Pr 22, 28) ; « Ne juge point quand le juge a jugé. » (Si 8, 17) « Celui qui coupe la haie sera mordu par le serpent » (Qo 10, 8) ; ou encore cette parole apostolique qui, tel un glaive spirituel, frappe à la tête et frappera toujours les nouveautés scélérates de l’hérésie : « O Timothée, garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles et les objections d’une prétendue science. Quelques-uns, pour s’y être attachés, se sont égarés loin de la foi (I Tm 6, 20). »

Et après cela, il y aura des gens assez entêtés, d’une impudence assez vigoureuse, d’une obstination assez invincible pour ne pas céder au poids de ces divines paroles, pour ne pas fléchir sous une masse pareille, pour ne pas être ébranlés par de tels coups de maillet, enfin pour n’être pas pulvérisés par de pareilles foudres ?

« Evite, dit-il, les profanes nouveautés de paroles. » Il n’a pas dit « les antiquités » ; il n’a pas dit « les choses anciennes ». Non, mais il montre au contraire ce qu’il préfère : car si l’on doit éviter la nouveauté, c’est donc qu’il faut s’en tenir à l’antiquité ; et si la nouveauté est profane, c’est donc que l’antiquité est sacrée. « Les objections, ajoute-t-il, d’une prétendue science. » Car on ne peut appeler science les doctrines hérétiques : ils fardent leur ignorance en l’appelant science, clartés leurs obscurités, lumière leurs ténèbres. « Quelques-uns, pour s’y être attachés, se sont égarés loin de la foi. » Que promettaient-ils quand ils sont tombés, sinon je ne sais quelle doctrine nouvelle et ignorée ?

On entend dire à certains d’entre eux : « Venez, pauvres ignorants, que l’on appelle communément catholiques ; apprenez la vraie foi, que personne, sauf nous, ne comprend. Elle est demeurée cachée pendant nombre de siècles, et vient seulement d’être révélée et produite au jour. Mais apprenez-la furtivement, en secret ; elle vous charmera ; et quand vous l’aurez apprise, enseignez-la à la dérobée, afin que le monde ne l’entende pas et que l’Église l’ignore ; car il n’est permis qu’au petit nombre de pénétrer le secret d’un si grand mystère. »

Ne sont-ce pas là les propos de cette courtisane qui, dans les Proverbes de Salomon, appelle à soi les passants qui vont leur chemin (Pr 9, 15-18) ? « Que le plus insensé d’entre vous se détourne vers moi. » Elle invite les pauvres d’esprit en leur disant : « Prenez volontiers d’un pain caché ; buvez furtivement l’eau savoureuse. » Et que dit ensuite l’auteur sacré ? « Celui-là ignore que les fils de la terre périssent auprès d’elle. » Qui sont ces fils de la terre ? L’apôtre le montre : ce sont ceux qui, dit-il, « se sont égarés loin de la foi ».

Mais tout ce passage de l’Apôtre vaut la peine d’être expliqué de plus près. « O Timothée, dit-il, garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles. » — « O Timothée », exclamation dictée tout à la fois par la prescience et par la charité. Paul prévoyait les erreurs à venir et il s’en affligeait d’avance. Qui est aujourd’hui Timothée, sinon l’Église universelle, en général, et spécialement le corps tout entier des chefs de l’Église qui doivent posséder eux-mêmes et verser aux autres la science complète du culte divin il ?

— Qu’est-ce à dire : « Garde le dépôt. » Garde-le, dit-il, à cause des voleurs, à cause des ennemis, de peur que, pendant que les gens dorment, ils ne viennent semer l’ivraie par dessus le bon grain de froment que le Fils de l’homme a semé dans son champ (Cf. Mt 13, 24 et suiv.). — « Garde le dépôt », dit-il. Qu’est-ce que le dépôt ? Un dépôt, c’est ce qu’on vous a confié, non ce que vous avez découvert ; ce que vous avez reçu et non ce que vous avez inventé ; une chose qui ne provient pas de notre intelligence mais de la doctrine ; qui n’est pas d’usage privé, mais de tradition publique ; une chose qui vous est venue et qui n’a pas été créée par vous ; dont vous n’êtes point l’auteur, mais dont vous devez être le simple gardien ; dont vous n’êtes pas l’initiateur, mais le sectateur ; une chose que vous ne réglez pas, mais sur laquelle vous vous réglez.

« Garde le dépôt », dit-il : conserve à l’abri de toute violation et de tout attentat le « talent (Mt 25, 15) » de la foi catholique. Que ce qui vous a été confié reste chez vous pour être transmis par vous. Vous avez reçu de l’or ; c’est de l’or qu’il faut restituer. Je ne veux pas que vous substituiez une chose à une autre : je ne veux pas qu’au lieu d’or vous me présentiez impudemment du plomb ou frauduleusement du cuivre ; je ne veux pas ce qui ressemble à l’or, mais de l’or authentique.

O Timothée, ô prêtre, ô interprète, ô docteur, si la faveur divine t’a accordé le talent, l’expérience, la science, sois le Béséléel du tabernacle spirituel (Cf. Ex 31, 2 et suiv.), taille les pierres précieuses du dogme divin ; sertis-les fidèlement, orne-les sagement, ajoutes-y de l’éclat, de la grâce, de la beauté ; que par tes explications on comprenne plus clairement ce qui auparavant était cru plus obscurément. Que grâce à toi la postérité se félicite d’avoir compris ce que l’antiquité vénérait sans le comprendre. Mais enseigne les mêmes choses que tu as apprises ; dis les choses d’une manière nouvelle sans dire pourtant des choses nouvelles.

Existe-t-il un progrès du dogme ?

Mais peut-être dira-t-on : « La doctrine chrétienne n’est donc susceptible d’aucun progrès dans l’Église du Christ ? » Certes, il faut qu’il y en ait un, et considérable ! Qui serait assez ennemi de l’humanité, assez hostile à Dieu pour essayer de s’y opposer ? Mais sous cette réserve, que ce progrès constitue vraiment pour la foi un progrès et non une altération : le propre du progrès étant que chaque chose s’accroît en demeurant elle-même, le propre de l’altération qu’une chose se transforme en une autre.

Donc, que croissent et que progressent largement l’intelligence, la science, la sagesse, tant celle des individus que celle de la collectivité, tant celle d’un seul homme que celle de l’Église tout entière, selon les âges et selon les siècles ! — mais à condition que ce soit exactement selon leur nature particulière, c’est-à-dire dans le même dogme, dans le même sens, dans la même pensée.

Qu’il en soit de la religion des âmes comme du développement des corps. Ceux-ci déploient et étendent leurs proportions avec les années, et pourtant ils restent constamment les mêmes.

Quelque différence qu’il y ait entre l’enfance dans sa fleur et la vieillesse en son arrière-saison, c’est un même homme qui a été adolescent et qui devient vieillard ; c’est un seul et même homme dont la taille et l’extérieur se modifient, tandis que subsiste en lui une seule et même nature, une seule et même personne. Les membres des enfants à la mamelle sont petits, ceux des jeunes gens sont grands : ce sont pourtant les mêmes. Les tout petits en ont le même nombre que les hommes faits, et s’il y en a qui naissent en un âge plus mûr, déjà ils existaient virtuellement en germe, en sorte que rien de nouveau n’apparaît chez l’homme âgé qui auparavant déjà n’ait été caché dans l’enfant.

Il n’est donc pas douteux que la règle légitime et normale du progrès, l’ordre précis et magnifique de la croissance sont observés lorsque le nombre des années découvre chez l’homme, à mesure que celui-ci grandit, les virtualités d’une morphologie déjà ébauchées, par la sagesse du Créateur, chez l’enfant. Si la forme humaine prenait ultérieurement une forme tout à fait étrangère à son espèce, si tel membre était, soit retranché, soit ajouté, fatalement le corps entier périrait ou deviendrait monstrueux ou, en tous cas, serait gravement débilité.

Ces lois du progrès doivent s’appliquer également au dogme chrétien : les années le consolident, le temps le développe, l’âge le rende plus vénérable : mais qu’il demeure sans corruption et inentamé, qu’il soit complet et parfait dans toutes les dimensions de ses parties et, pour ainsi parler, dans tous les membres et dans tous les sens qui lui sont propres. Il n’admet aucune altération, aucune atteinte à ses caractères spécifiques, aucune variation dans ce qu’il a de défini.

Un exemple : nos ancêtres ont jeté autrefois dans ce champ de l’Église le froment de la foi. Il serait tout à fait injuste et inconvenant que nous, leurs descendants, nous recueillions au lieu du froment de la vérité authentique l’ivraie de l’erreur semée en fraude. Au contraire, il est juste, il est logique que — la fin répondant pleinement au début — nous moissonnions, maintenant que le froment de la doctrine vient à maturité les épis du dogrne, parfaitement pur lui aussi. Si la semence première s’est développée avec le temps, s’est épanouie en mûrissant, rien n’est changé dans les propriétés intrinsèques de cette graine. Il peut s’y ajouter un aspect, une forme plus précise, mais la nature propre de l’espère demeure inchangée.

Plaise à Dieu que les rosiers de l’Église ne se changent pas en chardons épineux. Plaise à Dieu que dans ce paradis spirituel, l’ivraie et l’aconit n’éclosent des bourgeons du cinnamome et du baumier.

Tout ce qui a été semé par la foi de nos pères, dans l’Église, qui est le champ de Dieu, nous devons le cultiver avec zèle, le surveiller, le faire fleurir et mûrir pour qu’il progresse et par vienne à sa plénitude.

Il est légitime que les anciens dogmes de la philosophie céleste se dégrossissent, se liment, se polissent avec le développement des temps : ce qui est criminel, c’est de les altérer, de les tronquer, de les mutiler. Ils peuvent recevoir plus d’évidence, plus de lumière et de précision, oui : mais il est indispensable qu’ils gardent leur plénitude, leur intégrité, leur propriété.

Car si l’on tolérait une seule fois cette licence de l’erreur impie, je tremble de dire toute l’étendue des dangers qui en résulteraient et qui n’iraient à rien moins qu’à détruire, à anéantir, à abolir la religion. Sitôt qu’on aura cédé sur un point quelconque du dogme catholique, un autre suivra, puis un autre encore, puis d’autres et d’autres encore. Ces abdications deviendront en quelque sorte normales et habituelles. À abandonner le dogme, morceau par morceau, vous serez amené à la rejeter dans sa totalité. Et d’autre part, si l’on commence à mêler le nouveau et l’ancien, les idées étrangères à ce qui est authentique, le profane et le sacré, nécessairement cette habitude se propagera au point de tout envahir. Bientôt rien dans l’Église ne demeurera plus intact, inentamé, inviolé et immaculé : le sanctuaire de la chaste et incorruptible vérité se transformera en un mauvais lieu, rendez-vous des erreurs impies et honteuses. Puisse la piété divine détourner un pareil forfait de la pensée des fidèles et laisser plutôt ce délire aux impies !

L’Église du Christ, elle, gardienne attentive et prudente des dogmes qui lui ont été donnés en dépôt, n’y change rien jamais ; elle ne diminue point, elle n’ajoute point ; ni elle ne retranche les choses nécessaires, ni elle n’adjoint de choses superflues ; ni elle ne laisse perdre ce qui est à elle, ni elle n’usurpe le bien d’autrui. Dans sa fidélité sage à l’égard des doctrines anciennes, elle met tout son zèle à ce seul point : perfectionner et polir ce qui, dès l’antiquité, a reçu sa première forme et sa première ébauche ; consolider, affermir ce qui a déjà son relief et son évidence ; garder ce qui a été déjà confirmé et défini.

De fait qu’a tenté l’Église dans ses décrets conciliaires, sinon d’enseigner avec plus de précision ce qui était cru auparavant en toute simplicité, de prêcher avec plus d’insistance les vérités prêchées jusque là plus mollement, enfin d’honorer avec plus de soin ce qu’auparavant on honorait avec une tranquille sécurité.

Voici ce que, provoquée par les nouveautés des hérétiques, l’Église catholique a toujours fait par les décrets de ses conciles, et rien de plus : ce qu’elle avait reçu des ancêtres par l’intermédiaire de la seule tradition, elle a voulu le remettre aussi en des documents écrits à la postérité, elle a résumé en quelques mots quantité de choses, et — le plus souvent pour en éclaircir l’intelligence — elle a caractérisé par des termes nouveaux et appropriés tel article de foi qui n’avait rien de nouveau.

Nouveau commentaire de I Timothée, VI, 20

Revenons à l’apôtre : « O Timothée, dit-il, garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles (1 Tm 6, 20). » « Evite les », dit-il, comme la vipère, comme le scorpion, comme le basilic, de peur qu’ils ne t’atteignent de leur contact, ou même de leur vue et de leur souffle. Qu’est-ce à dire : éviter ? c’est « ne pas même prendre de nourriture avec les gens de cette sorte (I Co 5, 11). » Que signifie cet « évite » ? « Si quelqu’un vient à vous, est-il écrit, et n’apporte pas cette doctrine… (2 Jn 10) ». Quelle doctrine, sinon la doctrine catholique, universelle, qui subsiste une et identique à travers la succession des âges par l’incorruptible tradition de la vérité, et qui demeurera toujours et sans fin ?

— Que faire alors ? « Ne le recevez pas dans votre maison, ne lui dites pas : Bonjour ! Car celui qui le salue, participe à ses œuvres mauvaises (2 Jn 11). »

« (Evite) les profanes nouveautés de paroles. » Que signifie « profanes » ? Ce sont celles qui n’ont rien de saint, rien de religieux, qui sont complètement étrangères au sanctuaire de l’Église qui est le temple de Dieu (I Co 3, 16).

« Les profanes nouveautés de paroles. » « De paroles » : c’est-à-dire les nouveautés de dogmes, de sujets, d’opinions, qui sont contraires au passé, à l’antiquité, et qui, une fois admises, nécessitent, en tout ou en partie, une violation de la foi de nos bienheureux pères. Nouveautés qui veulent que tous les fidèles de tous les âges, tous les saints, tous ceux qui ont gardé la chasteté la continence ou la virginité, tous les clercs, les lévites et les prêtres, tant de milliers de confesseurs, tant de légions de martyrs, tant de villes fréquentées et de nations populeuses, tant d’îles, de provinces, de rois, de races, de royaumes, de nations, en un mot l’univers presque entier, incorporé par la foi catholique au Christ son chef, aient ignoré, erré, blasphémé et, durant tant de siècles, n’aient point su ce qu’il fallait croire.

« Évite, dit-il, les impies nouveautés de paroles. » Ce n’est point aux catholiques, mais aux hérétiques qu’il a toujours appartenu de les admettre et de les suivre. En fait, quelle est l’hérésie qui n’ait surgi sous un nom déterminé, en un lieu déterminé, en un temps déterminé ? Qui a jamais établi une hérésie sans s’être auparavant séparé du sentiment commun adopté par l’Église universellement et dès l’antiquité ?

C’est ce que démontrent des exemples plus clairs que le jour. Qui avant cet impie Pélage, a jamais eu la présomption d’attribuer tant d’efficacité au libre arbitre que de juger qu’il n’est point nécessaire que la grâce divine l’aide dans les bonnes actions pour chaque acte particulier ? Qui, avant Caelestius, son monstrueux disciple, a nié que le genre humain ait été lié à la culpabilité d’Adam pécheur ?

Qui, avant le sacrilège Arius, a osé déchirer l’unité de la Trinité ? Qui, avant ce scélérat de Sabellius, a osé confondre la Trinité de l’Unité ? Qui, avant l’impitoyable Novatien, a osé dire que Dieu était cruel et préférait la mort du mourant à son retour à la vie (cf. Ez 18, 23) ? Qui, avant le mage Simon — que frappa la rigueur de l’apôtre (Ac 8, 9-24) et de qui, par une infiltration continue et secrète, a découlé jusqu’à Priscillien, dernier venu, ce vieux limon de turpitudes — a osé dire que le Dieu Créateur est responsable du mal, autrement dit des crimes, des impiétés, des actions honteuses ?

Ce Simon prétend que Dieu crée de ses propres mains une nature telle que, de son propre mouvement et par l’impulsion d’une volonté fatalement déterminée, elle ne peut ni ne veut rien d’autre que pécher. Agitée, enflammée des fureurs de tous les vices, elle est entraînée par sa passion inassouvie au fond de l’abîme de toutes les infamies ?

Innombrables sont les exemples de ce genre. Passons-les sous silence pour faire court. Ils démontrent clairement et avec évidence, que l’habitude et la loi de presque toutes les hérésies, c’est d’aimer « les nouveautés impies », de mépriser les maximes de l’antiquité, et, par « les objections d’une prétendue science, de faire naufrage loin de la foi. » Au contraire, le propre des catholiques est de garder le dépôt confié par les saints Pères, de condamner les nouveautés impies, et comme l’a dit et répété l’Apôtre, de crier « anathème » à « quiconque annonce une doctrine différente de celle qui a été reçue ».

De l’usage hérétique de l’Écriture

Les hérétiques ne se servent-ils pas aussi des témoignages de l’Écriture ? Oui, ils s’en servent, et avec grande ardeur. On peut les voir courir à travers les volumes de la Loi sainte, à travers les livres de Moïse et des Rois, à travers les Psaumes, les Apôtres, les Évangiles, les Prophètes. Que ce soit auprès des leurs ou auprès des étrangers, dans le privé ou en public, dans leurs propos ou dans leurs livres, dans les repas ou sur les places publiques, ils n’allèguent presque rien de leur cru qu’ils ne s’efforcent de l’obscurcir avec des paroles de l’Écriture.

Lisez les opuscules de Paul de Samosate, de Priscillien, d’Eunomius, de Jovinien, et de toutes les autres pestes : vous verrez quel prodigieux amas d’exemples. Il n’est presque pas de pages qui ne soit comme fardée et colorée de sentences du Nouveau ou de l’Ancien Testament. Il faut d’autant plus s’en garer et les craindre qu’i1s se dissimulent plus secrètement à 1’ombre de la Loi divine. Ils savent bien que leur pestilence ferait fuir tout le monde, si elle s’exhalait naturelle et sans mélange. Aussi la parfument-ils de paroles divines, afin que tel, qui rejetterait volontiers une erreur purement humaine, hésite à mépriser les oracles divins. Ils font donc comme ceux qui, pour adoucir aux enfants l’amertume de certains remèdes, enduisent préalablement de miel les bords de la coupe, afin que cet âge imprévoyant, sentant d’abord le goût agréable, n’ait plus peur du goût amer. Même souci chez ceux qui déguisent sous des noms de médicaments les mauvaises graines et les sucs nuisibles, afin que presque personne, en lisant l’étiquette d’un remède, ne soupçonne le poison.

Voilà pourquoi enfin le Seigneur criait : « Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous sous des peaux de brebis, mais qui, au dedans, sont des loups ravisseurs (Mt 7, 15) ». Que signifie cette « peau de brebis », sinon les paroles dont les Apôtres et les Prophètes, dans leur sincérité de brebis, ont tissé comme une toison à cet « agneau immaculé (1 P 1, 19) qui ôte les péchés du monde (Jn 1, 29) » ?

Qui sont les loups ravisseurs, sinon les doctrines des hérétiques furieux et enragés qui toujours infestent les bergeries de l’Église et, toutes les fois qu’ils le peuvent, déchirent le troupeau du Christ ? Pour s’approcher plus insidieusement des brebis sans défiance, ils dépouillent l’extérieur du loup tout en en gardant la férocité ; ils s’enveloppent dans les maximes de la loi divine comme dans une toison, afin que, à sentir d’abord la douceur de la laine, nul ne redoute la pointe de leurs dents.

Mais que dit le Sauveur ? « Vous les connaîtrez à leurs fruits (Mt 7, 16) », ce qui signifie : dès qu’ils se mettront, non plus seulement à citer ces divines paroles, mais aussi à les expliquer, non plus seulement à en s’en couvrir, mais aussi à les interpréter ; alors cette amertume, cette âpreté, cette rage se feront connaître ; alors ce poison tout récent encore s’exhalera ; alors les « nouveautés impies » se découvriront ; alors pour la première fois vous verrez que « la haie est coupée en deux (Ro 10, 8) », que « les bornes établies par nos pères sont déplacées (Pr 22, 28) », que la foi catholique est entamée et que l’on déchire le dogme ecclésiastique.

Tels étaient ceux que frappe l’apôtre Paul dans la seconde aux Corinthiens, quand il dit : « Ces sortes de faux apôtres sont des ouvriers trompeurs qui se déguisent en apôtres du Christ (2 Co 11, 13) ». Qu’est-ce à dire « qui se déguisent en apôtres du Christ » ? Les apôtres invoquaient les exemples de la Loi divine : ceux-là les invoquaient aussi. Les apôtres alléguaient les passages probants des Psaumes : ceux-là les alléguaient également. Les apôtres apportaient les sentences des Prophètes : ceux-là les apportaient tout comme eux. Mais, quand après les avoir cités de même, ils se mettaient à les interpréter tout différemment, alors on discernait les sincères d’avec les fourbes, les esprits loyaux d’avec les esprits de mensonge, les cœurs droits d’avec les cœurs pervers, en un mot les vrais apôtres d’avec les faux apôtres.

« Il n’y a là rien de surprenant, ajoute Paul, car Satan lui même prend les dehors d’un ange de lumière. Il n’est donc pas étonnant que ses ministres se donnent les apparences de ministres de justice (2 Co 11, 14). » Donc, d’après les leçons de l’apôtre Paul, toutes les fois que de faux prophètes ou de faux docteurs citent des passages de la Loi divine, pour essayer d’étayer leurs erreurs sur de fausses interprétations, il n’est pas douteux qu’ils ne suivent la perfide tactique de leur Maître. Et Satan ne l’aurait jamais inventée, assurément, s’il ne savait très bien qu’il n’y a pas de moyen plus sûr pour tromper que d’insinuer le venin de l’erreur sous le couvert et comme à la faveur de l’autorité de la parole divine.

Satan, patron des hérétiques

« Mais, dira-t-on, qu’est-ce qui prouve que le diable ait l’habitude d’user des exemples de l’Écriture. » Lisez l’Évangile. Il y est écrit : « Alors le diable l’enleva (il s’agit du Seigneur, notre Sauveur) et le plaça sur le pinacle du Temple, et il lui dit : « Si tu es le fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit qu’il t’a confié à ses anges pour qu’ils te gardent partout où tu iras et qu’ils te portent dans leurs mains, de peur que tu ne heurtes du pied quel que pierre (Mt 4, 5). » Que fera-t-il donc aux pauvres hommes celui qui s’est servi du témoignage de l’Écriture pour essayer de tenter « le Seigneur de majesté (1 Co 2, 8) » ? « Si tu es fils de Dieu, dit-il, jette-toi en bas. » Pourquoi ? « Il est écrit, dit il… » Il nous faut prêter une scrupuleuse attention à la doctrine incluse en ce passage et la bien retenir. Avertis par le grand exemple de l’autorité évangélique, nous ne douterons plus, quand nous verrons certaines gens alléguer contre la foi catholique des paroles tirées des apôtres ou des prophètes, que le diable parle par leur bouche. Autrefois la tête parlait à la tête, maintenant les membres parlent aux membres, je veux dire les membres du diable aux membres du Christ, les perfides aux fidèles, les sacrilèges aux hommes religieux, en un mot les hérétiques aux catholiques.

Mais enfin que disent-ils ? « Si tu es fils de Dieu, jette-toi en bas. » Cela s’entend ; « Si tu veux être fils de Dieu et recevoir en héritage le royaume céleste, jette-toi en bas, c’est-à-dire précipite-toi du haut de la doctrine et de la tradition de cette Église sublime, qui est regardée comme le temple de Dieu. » Et si quelqu’un demande à un hérétique qui veut le persuader : « Sur quoi t’appuies-tu pour prouver, pour enseigner, que je doive renoncer à la foi antique et universelle de l’Église catholique ? » Aussitôt, il répondra : « Il est écrit. » Et immédiatement il met en ligne mille témoignages, mille exemples, mille passages significatifs, tirés de la Loi, des Psaumes, des Apôtres, des Prophètes ; et, grâce à des interprétations nouvelles et mauvaises, il précipite la pauvre âme, de la citadelle catholique, dans l’abîme de l’hérésie.

Par des promesses les hérétiques ont l’habitude de duper étrangement ceux qui ne se tiennent pas sur leurs gardes. Ils osent promettre et enseigner que, dans leur Église, c’est-à-dire dans leur petite chapelle, on trouve une grâce divine considérable, spéciale, tout à fait personnelle ; en sorte que, sans aucun travail, sans aucun effort, sans aucune peine et quand bien même ils ne demanderaient, ni ne chercheraient, ni ne frapperaient », tous ceux qui sont des leurs reçoivent de Dieu une telle assistance que, soutenus par la main des anges, autrement dit couverts de la protection des anges, ils ne peuvent jamais « heurter du pied contre une pierre », c’est-à-dire être jamais victimes d’un scandale.

Rappel de la règle de foi

« Mais, observe-t-on, si le diable et ses disciples — faux apôtres, faux prophètes, faux docteurs, tous hérétiques caractérisés — usent ainsi des paroles, des sentences et des promesses divines, que feront les catholiques, les enfants de notre mère l’Église ? Comment distingueront-ils la vérité d’avec l’erreur, dans l’Écriture sainte ?

Ils auront grand soin de se conformer à la règle qui, comme nous l’avons écrit au début de ce Commonitorium, nous est venue d’hommes saints et savants ; ils interpréteront le canon divin d’après les traditions de l’Église universelle et selon les règles du dogme catholique.

Dans cette Église catholique et apostolique, il faut nécessairement qu’ils suivent l’universalité, l’antiquité, le consentement général. Si parfois la fraction se révolte contre l’ensemble, la nouveauté contre l’ancienneté, l’opinion particulière d’un seul ou de quelques-uns contre l’opinion unanime de tous les catholiques ou de la grande majorité, qu’ils préfèrent à la corruption de la fraction l’intégrité de l’universalité.

Dans cette même universalité, qu’ils mettent la religion antique au-dessus de la nouveauté impie, et dans cette antiquité même qu’ils fassent passer avant la témérité d’un seul homme, ou du très petit nombre, d’abord les décrets généraux d’un concile universel, s’il en existe un ; et, s’il n’en existe pas, qu’ils suivent ce qui s’en rapproche davantage, à savoir les opinions concordantes de nombreux et éminents docteurs. En nous conformant à cette règle, Dieu aidant, avec fidélité, prudence et zèle, nous prendrons sur le fait sans grande difficulté toutes les erreurs pernicieuses des hérétiques qui surgissent.