Voici un des sermons de Mgr Lefebvre les plus clairs sur la fonction essentielle du prêtre : la Croix et le sacrifice eucharistique. Je vous le donne en complément de mon dernier sermon sur les pouvoirs du prêtre. Monseigneur le prononça lors de la cérémonie de mon dixième anniversaire de sacerdoce, le 1er Mai 1990
Plan
La croix lumière du prêtre
La messe : un seul Dieu
La messe est hiérarchique
La messe nous marque du sacrifice
L’exemple des saints
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ainsi soit-il.
Bien cher Monsieur l’abbé Pivert,
Toutes les personnes qui vous entourent ici, les prêtres : M. l’abbé Montgomery-Wright, M. l’abbé Boubée, et tous les fidèles sont heureux de participer à cette messe d’action de grâces pour vos dix années de sacerdoce. Oui, nous rendons grâce à Dieu avec vous. Nous rendons grâce à Dieu pour toutes ces messes célébrées, pour toutes les grâces répandues par vos mains sur les fidèles qui vous ont été confiés, que de grâces de sanctifications, que de bénédictions, que de consolations ont été apportées par votre ministère !
Certes, votre reconnaissance va d’abord vers le Bon Dieu. C’est lui qui vous a fait prêtre, c’est lui qui vous a choisi : « Ego elegi vos, c’est moi qui vous ai choisi, » dit Notre Seigneur. Il vous a donc choisi pour être son prêtre. Et voilà que depuis dix ans vous avez accompli son saint ministère, que vous l’avez remplacé auprès des âmes.
En cette occasion il est difficile de ne pas remonter un peu aux sources de toutes les bénédictions qui vous ont été données, particulièrement par le choix que le Bon Dieu a fait de votre famille profondément catholique et profondément attachée à sa foi, pour vous faire naître et grandir par sa grâce, dans un climat de charité, de prière et dans la foi catholique.
Et le Bon Dieu vous a conduit, par des chemins que vous connaissez mieux que moi, vers Écône, ce séminaire où vous avez trouvé la continuation de la lumière de la foi que vos parents vous avaient donnée. Cette lumière qui rayonne sur le visage de tous les séminaristes d’Écône, vous l’avez partagée, vous avez partagé les études qui approfondissent la foi catholique, et vous l’avez fait avec une grande générosité : vous avez aimé ce climat d’étude, de foi et de sanctification de ce séminaire d’Écône et de tous les professeurs.
Puis la grâce du sacerdoce est venue, et c’est Bordeaux qui vous a reçu pour vos premières années de sacerdoce, où vous vous êtes dépensé de tout votre cœur. Ensuite ce fut Saint Joseph des Carmes à Montréal, Saint Nicolas du Chardonnet, et vous voici maintenant à Romagne où vous vous dépensez pour la sanctification de cette institution des dominicaines de Fanjeaux. Vous vous dévouez en même temps pour tout le District de France, et même au delà parce que votre science de la morale fait que vos confrères vous consultent pour demeurer dans la morale catholique et dans le droit catholique. Et vous leur rendez cet immense service de les éclairer dans les cas difficiles, dans les situations et les circonstances difficiles dans lesquels on peut se trouver aujourd’hui à cause de la confusion des idées qui règne à l’intérieur de l’Église. C’est là un grand service que vous rendez à la Fraternité, aux fidèles et à l’Église, car nous ne travaillons que pour le bien de l’Église catholique.
La croix lumière du prêtre
Je voudrais, en quelques mots, montrer que la lumière de cette foi qui a rayonné dans votre esprit, et qui rayonne d’une manière si particulière dans votre âme depuis que vous êtes prêtre, c’est avant tout la lumière de la Croix de Notre Seigneur Jésus Christ. Oui, c’est dans le rayonnement de Jésus crucifié qu’est la foi catholique. Et c’est pourquoi c’est dans le grand et céleste mystère du sacrifice de la messe que la foi du prêtre s’épanouit, et qu’il peut vous éclairer, vous, bien chers fidèles, et vous conduire sur le vrai chemin de la foi. Car le sacrifice de la Croix n’est autre que le sacrifice de la messe catholique, et c’est pourquoi nous sommes si attachés à ce sacrifice de la messe traditionnelle. Or c’est l’essence même du sacrifice de la messe d’être un sacrifice, et non pas simplement, comme on le dit aujourd’hui en des termes progressistes, une communion, un partage, une réunion ou une assemblée eucharistique. Non, elle est le sacrifice de la Croix continué sur l’autel. Et la grâce du sacerdoce qui est donnée au prêtre dans le sacrement qu’il reçoit, c’est précisément un pouvoir extraordinaire et divin qui n’était donné qu’à Notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et qu’il a voulu partager avec ses apôtres, avec ses prêtres, pour continuer le sacrifice de la Croix, afin qu’il persévère à travers les années et les générations, jusqu’à la fin des temps, jusqu’au moment où nous verrons dans le ciel la Croix mystérieuse, la Croix triomphante, Jésus, avec sa Croix chemin du salut, cause de la résurrection et de toute la gloire du ciel. C’est pour cela que le prêtre a été fait : pour continuer le sacrifice de la Croix, et répandre dans les âmes toutes les grâces qui descendent du cœur de Jésus transpercé, du sang qui coule de sa couronne d’épines, qui coule de ses mains et de ses pieds, de sa chair toute lacérée par la flagellation. C’est de ce corps sacré que descendent toutes les grâces de rédemption, d’où l’importance de la continuation du sacrifice de la Croix, d’où l’importance du vrai sacerdoce catholique.
Qui a dénaturé tout cela, qui a dénaturé cette Croix, qui a nié que le sacrifice de la messe soit un vrai sacrifice ? Les protestants ! Luther qui a blasphémé contre le sacrifice de la messe, disant qu’il n’y avait pas de sacrifice, que c’était une communion, mais pas un sacrifice ! Par conséquent ils n’avaient pas de prêtre pour offrir le sacrifice : ils n’en avaient pas besoin puisqu’il n’y avait plus de sacrifice. Ils ruinaient par là tout le sacerdoce catholique et toute la messe catholique.
Eh bien, malheureusement, le concile de Vatican II et les conséquences de ce concile ont fait que, voulant se rapprocher du protestantisme par un mauvais œcuménisme ils ont aussi, sans le dire d’une manière explicite, mais dans les faits, fait disparaître la notion du sacrifice de la messe, et par le fait même dénaturé le sacerdoce catholique. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner qu’il n’y ait plus de vocations aujourd’hui. La grandeur et la beauté du prêtre, les motifs pour se faire prêtre, c’est d’offrir le sacrifice de Notre Seigneur. Si cela disparaît inutile d’être prêtre. Continuer le sacrifice de Notre Seigneur Jésus Christ oui. Être prêt à continuer le sacrifice de la Croix sur nos autels, par les paroles que nous prononçons à la consécration, et en même temps constituer le sacrement de l’Eucharistie pour nourrir les fidèles de la victime offerte sur la Croix, afin qu’ils s’unissent à la Croix de Notre Seigneur Jésus Christ …
Tout cela a une importance considérable aujourd’hui, et trois vérités s’y rattachent, sur lesquelles on peut particulièrement insister.
La messe : un seul Dieu
Le sacrifice de la messe, tel que l’Église l’a enseigné et célébré pendant vingt siècles, nous enseigne qu’il n’y a qu’un seul Dieu, auquel s’adresse le sacrifice de la Croix. Il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : Notre Seigneur Jésus Christ crucifié. Et cette médiation il l’a exercée par sa Croix. Un seul Dieu, un seul médiateur, un seul pape, un seul évêque avec lequel nous célébrons et un seul prêtre qui célèbre la sainte messe, d’où il n’y a qu’une seule religion. Il ne peut pas y en avoir deux, ou alors le sacrifice de la messe n’a plus aucun sens et le sacrifice de Notre Seigneur offert sur sa croix n’a plus aucune valeur. « Tu devicto mortis aculeo, aperuisti credentibus regna cœlorum ; vous, Seigneur, en brisant les chaînes de la mort vous nous avez ouvert les portes du ciel ». Oui, en montant sur sa Croix pour y être crucifié, Notre Seigneur nous a ouvert les portes du Paradis. Il n’y en a pas d’autre qui nous ait ouvert les portes du Paradis ! Nous pouvons chercher partout, les inventions humaines de toutes ces fausses religions ne valent rien parce qu’il n’y a qu’un seul médiateur : celui qui a ouvert les portes du ciel, c’est Notre Seigneur Jésus Christ avec sa Croix. Nous n’avons pas le choix : ceux qui ne passent pas par la Croix de Notre Seigneur, ne passent pas par la porte de la bergerie, comme Notre Seigneur l’a dit lui-même : « Ego sum ostium, je suis la porte ». Nous sommes donc obligés de passer par cette porte pour entrer au Ciel. Donc il n’y a qu’une seule religion, une seule voie pour aller au Ciel. Donc nous n’avons pas cette fameuse liberté religieuse inventée au Concile, selon laquelle chacun pourrait avoir la religion de sa conscience. C’est faux ! Il n’y a pas de religion de la conscience, il y a la religion de Notre Seigneur Jésus Christ à laquelle nous devons adhérer, il y a le chemin que Notre Seigneur Jésus Christ a ouvert pour aller au Ciel, et il n’y en a pas d’autre. Et Notre Seigneur lui-même a dit : « La voie est étroite. Prenez votre croix et suivez moi si vous voulez entrer dans le ciel, si vous voulez être mes disciples. »
Voilà la première vérité fondamentale que nous enseigne le saint sacrifice de la messe. Il nous met en présence de Dieu, en présence du Ciel, il nous fait communier avec le Ciel et avec tous les élus qui y sont déjà et que l’on nomme au cours de la Sainte messe : la Vierge Marie, les martyrs, les Saints anges, et nous devons suivre le chemin qu’ils ont suivi pour arriver.
La messe est hiérarchique
Deuxième vérité : la messe est essentiellement une messe hiérarchique, et c’est pourquoi le prêtre se tourne vers Dieu, vers le Crucifix, et non pas vers l’assemblée. Se tourner vers l’assemblée donnerait l’impression que c’est elle qui est essentielle dans le sacrifice de la messe ou dans la communion. Mais c’est une erreur, car ce n’est pas l’assemblée qui compte, mais Dieu à qui nous offrons le sacrifice. Ce qui compte c’est le sacrifice de la Croix, c’est Notre Seigneur Jésus Christ, c’est pourquoi le prêtre se tourne vers la Croix et vers Dieu : il offre le sacrifice à Dieu, suivi des fidèles, car le pasteur marche devant son troupeau pour l’amener vers Notre Seigneur Jésus Christ, vers Dieu et vers le Ciel. Il y a donc une hiérarchie dans le sacrifice de la messe. Ce n’est pas une messe collégiale, il n’y a pas de collégialité dans l’Église. Dans la messe on ne dit pas qu’on offre le sacrifice avec la collégialité des évêques. Au début du canon on dit que l’on offre le sacrifice de la messe avec celui qui remplit la fonction du Pape, et celui qui remplit la fonction de l’évêque. Qu’il le fasse bien ou mal, c’est autre chose et c’est le Bon Dieu qui le jugera. Mais, c’est un fait, on a d’abord la hiérarchie, puis le prêtre, puis les fidèles, et pas seulement quelques uns ou quelques familles, mais toute la société des fidèles. Car toute la société doit être représentée auprès du sacrifice de la Croix : les rois, les princes, les magistrats, les militaires, toutes les fonctions et professions, tous doivent s’unir auprès de Notre Seigneur Jésus Christ puisqu’il est l’unique chemin pour aller au ciel. C’est ce qui sanctifiait la société et c’est pourquoi l’Église se trouve au cœur du village, au cœur de nos cités, représentant la maison de Dieu vers laquelle toute la population chrétienne se rassemble pour monter au ciel. Tout cela a une signification merveilleuse, et c’est la signification du vrai sacrifice de la messe.
La messe nous marque du sacrifice
La dernière vérité, capitale et essentielle, c’est que la messe étant un sacrifice, toute la religion catholique est marquée par le sacrifice, par la Croix de Jésus Christ. Et c’est pourquoi nous devons avoir la Croix de Jésus Christ partout : dans nos chambres, dans nos maisons, à la croisée de nos chemins, pour nous rappeler ce qu’est Notre Seigneur Jésus Christ, Dieu Crucifié, la leçon de sacrifice qu’il nous donne.
Pourquoi se sacrifier ? Pour aimer, pour la charité ! Et vous le comprenez bien : que font un père et une mère de famille, sinon se sacrifier par amour de leur famille, et l’un de l’autre ? Il faut se sacrifier, sinon il n’y a pas d’amour. Le sacrifice est une condition de l’amour, et Notre Seigneur nous l’a bien montré, les bras étendus sur la Croix, les mains et les pieds transpercés, le cœur transpercé. Voilà le sacrifice de Notre Seigneur par amour pour Dieu son Père et pour son prochain, pour sauver les âmes. Grande leçon d’amour par le sacrifice ! Du fait que depuis le Concile on ne veut plus parler de sacrifice de la messe, l’esprit de sacrifice disparaît, plus personne ne comprend. Nous avons la liberté, la vie pour en profiter par les biens et les amusements ! Il faudrait que tout le monde ait autant de biens, de plaisir et de possibilité de joie, et dans tout cela la notion de sacrifice est évacuée. C’est pourquoi les mariages ne tiennent plus : pourquoi se sacrifier ? Si on ne s’entend plus on se sépare ! Les enfants sont une charge, on ne va pas se sacrifier pour eux et donc on n’en aura pas, on tuera par l’avortement ces pauvres enfants innocents. Voilà le monde moderne : pas de sacrifice.
Et c’est pourquoi la notion du sacrifice de la messe est si essentielle à la vie catholique : si nous voulons demeurer catholiques il faut nous sacrifier ; si nous voulons aimer Dieu et notre prochain il faut nous sacrifier, c’est indispensable. Il faut accepter les épreuves que le Bon Dieu nous donne par amour pour Lui, en union avec Notre Seigneur Jésus Christ. Et c’est dans cette atmosphère divine que doit s’accomplir la messe. C’est pourquoi l’atmosphère de la messe catholique est silencieuse, beaucoup plus que celle de la messe moderne dans laquelle on parle sans cesse sans pouvoir se recueillir. Mais à la messe on doit se recueillir, car on se détache des choses du monde. Nous faisons le silence sur ce qui nous entoure, pour nous attacher à Dieu, et pour nous attacher aux vraies valeurs spirituelles, celles vers lesquelles nous marchons, celles de notre esprit et de notre âme. Et alors dans ce silence la grâce de Dieu pénètre en nous, la grâce de la foi et les grâces du cœur de Jésus pénètrent dans nos cœurs, et nous nous transformons en Notre Seigneur Jésus Christ. Et lorsque nous recevons la communion, Jésus Christ lui-même dans nos cœurs, alors c’est la joie presque céleste, c’est déjà un avant goût du ciel, et nous nous sentons prêts à souffrir avec Notre Seigneur, à nous sacrifier pour aimer, pour réaliser le devoir d’état que le Bon Dieu nous demande d’accomplir selon sa loi, qui est une loi d’amour. « Aime Dieu, aime ton prochain », voilà la loi de Notre Seigneur Jésus Christ.
Voilà la vie chrétienne, c’est très simple, mais une fois qu’on dénature les choses essentielles de la vie catholique, alors c’est la ruine totale que nous voyons maintenant autour de nous. C’est pourquoi nous ne remercierons jamais assez le Bon Dieu d’être catholique et d’avoir gardé la foi, c’est une grâce extraordinaire dans ces temps-ci. Beaucoup ont perdu déjà la foi, même en se disant encore catholiques, et beaucoup l’ont perdue réellement en adhérant à des sectes comme le font des millions et des millions de catholiques. Alors remercions infiniment Dieu d’être demeurés catholiques, et demandons Lui de nous donner des prêtres. C’est pourquoi nous prierons spécialement au cours de cette sainte messe, à l’occasion du dixième anniversaire de sacerdoce de Monsieur l’abbé Pivert, devant les enfants de cette ville, nous demanderons de bonnes et saintes vocations afin que vos enfants et les générations qui viennent aient encore des prêtres parmi eux, que par ces prêtres ils aient la vraie messe, et que par cette vraie messe ils gardent la foi catholique et la mettent en pratique.
L’exemple des saints
Ces jours derniers nous avons fêté deux saints qui nous rappellent ces choses là. Nous avons fêté saint Paul de la Croix passionniste dont la congrégation a été fondée spécialement pour méditer la passion de Notre Seigneur. On les appelait ainsi ‘passionnistes’, car ils passaient leur vie à méditer la passion de Notre Seigneur Jésus Christ. C’est beau, c’est profond, on n’y imagine pas que l’on puisse fonder une congrégation spécialement pour méditer sur la Sainte Croix, la Passion du Seigneur, l’amour de Notre Seigneur Jésus Christ. Et puis nous avons fêté sainte Catherine de Sienne qui a été stigmatisée. Elle disait elle-même que si Notre Seigneur n’avait pas cessé les douleurs qu’il lui causait elle serait morte. Elle eut les mains, les pieds et le cœur transpercés, mais elle demanda au Bon Dieu que ses plaies n’apparaissent pas, mais qu’elles soient imprimées dans son cœur et dans son âme pour rester profondément attachée à Notre Seigneur Jésus Christ. Voilà la vie catholique, voilà le Saint Sacrifice, et c’est cela que nous devons continuer. C’est pour cela que le Bon Dieu vous donne les bénédictions que vous recevez : pour continuer l’Église catholique. Demandons surtout que les prêtres de la Fraternité sacerdotale et ceux qui ont gardé la Tradition, demeurent bien dans ces pensées.
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi soit-il.
+ Marcel LEFEBVRE