Chers Amis,
Je vous propose un devoir de vacances. Voici une encyclique dans laquelle saint Pie X profite du centenaire de saint Charles Borromée (1538 – 1584), grand restaurateur de la chrétienté face au protestantisme qui avait gangréné l’Église de son époque, pour faire le parallèle avec la nôtre.
C’est une encyclique très riche de contenu, il ne s’agit pas seulement d’une louange convenue à un grand saint, mais d’une analyse profonde et concrète. Elle est précise, les termes sont choisis, elle nécessite donc une lecture attentive, crayon en main. Elle est pastorale et donne les moyens de la restauration.
Voici les questions auxquelles je vous propose de répondre. Je donnerai un corrigé par la suite. Réponses à m’envoyer avant la fin du mois d’août. Un livre à gagner pour les meilleures réponses.
Vous pouvez soumettre cette encyclique à vos grands enfants et leur demander de répondre à ces questions. Bonne occasion d’aborder avec eux des sujets importants.
Questions :
- Quels sont les dangers dénoncés par le pape ? En quoi se trouve leur caractère dangereux ?
- Quelles solutions donne-t-il ? Quelles remarques ces solutions vous inspirent-elles ?
- Ces solutions sont-elles toujours d’actualité ? Mériteraient-elles d’être remplacées par d’autres, réformées, corrigées, adaptées, modernisées ? Si oui, en quoi ?
- En quoi les fidèles laïcs, qui ne sont ni évêques ni prêtres, sont-ils concernés par cette encyclique ? Comment peuvent-ils – ou doivent-ils – répondre aux attentes du pape ? Directement ? Indirectement ?
- Quelles observations vous inspire le paragraphe 36 sur la communion sacramentelle fréquente ?
- Comment comptez-vous mettre en œuvre concrètement l’enseignement et les recommandations du pape ?
Editae Saepe
Saint Pie X
26 mai 1910
Aux patriarches, primats, Archevêques, Évêques, et autres ordinaires en paix et en communion avec le siège apostolique
1. …
2. Vénérables Frères, aussitôt après Notre élévation au Souverain Pontificat, Nous avons déclaré dans Notre première encyclique que Nous travaillerions sans cesse « à rétablir toutes choses dans le Christ » ; Nous avons supplié tous les hommes de tourner avec Nous leurs regards vers Jésus, « l’apôtre et le grand prêtre de notre confession… l’auteur et le finisseur de la foi » ; comme la majesté de ce Modèle peut être trop grande pour la nature humaine déchue, Dieu Nous a miséricordieusement donné un autre modèle à proposer à votre imitation, la glorieuse Vierge Mère de Dieu. Tout en étant aussi proche du Christ que le permet la nature humaine, elle est mieux adaptée aux besoins de notre faible nature. En outre, Nous avons profité de plusieurs autres occasions pour rappeler la mémoire des saints. Nous avons imité ces fidèles serviteurs et ministres de la maison de Dieu (chacun à sa manière jouissant de l’amitié de Dieu), « qui par la foi ont conquis des royaumes, exercé la justice, obtenu des promesses ». Ainsi encouragés par leur exemple, nous ne serions « plus des enfants, ballottés et emportés par tout vent de doctrine conçu par la méchanceté des hommes, par la ruse, selon les ruses de l’erreur. Nous devons plutôt mettre en pratique la vérité dans l’amour, afin de croître à tous égards en celui qui est le chef, le Christ ».
3. …
4. Comme Nous l’avons déjà mentionné, Nous sommes d’avis que le brillant exemple des soldats du Christ a beaucoup plus de valeur pour gagner et sanctifier les âmes que les paroles de profonds traités. C’est pourquoi nous saisissons volontiers l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui de tirer quelques leçons très utiles de la considération de la vie d’un autre saint pasteur que Dieu a suscité en des temps plus récents et au milieu d’épreuves très semblables à celles que nous vivons aujourd’hui. Il s’agit de saint Charles Borromée, cardinal de la Sainte Église romaine et archevêque de Milan, que Paul V, de sainte mémoire, a élevé à l’autel des saints moins de trente ans après sa mort. Les paroles de Notre Prédécesseur sont pertinentes : « Le Seigneur seul fait de grands prodiges et, ces derniers temps, il a accompli des choses merveilleuses parmi nous. Dans sa merveilleuse dispensation, il a mis une grande lumière sur le rocher apostolique lorsqu’il a choisi Charles au cœur de l’Église romaine comme prêtre fidèle et bon serviteur pour servir de modèle aux pasteurs et à leur troupeau. Il a éclairé toute l’Église de la lumière diffusée par ses saintes œuvres. Il brilla devant les prêtres et le peuple comme innocent comme Abel, pur comme Hénoch, infatigable comme Jacob, doux comme Moïse et zélé comme Elias. Entouré de luxe, il montrait l’austérité de Jérôme, l’humilité de Martin, le zèle pastoral de Grégoire, la liberté d’Ambroise et la charité de Paulin. En un mot, c’était un homme que l’on pouvait voir de ses yeux et toucher de ses mains. Il foulait aux pieds les choses terrestres et vivait la vie de l’esprit. Bien que le monde ait essayé de le séduire, il a vécu crucifié au monde. Il recherchait constamment les choses célestes, non seulement parce qu’il occupait la fonction d’ange, mais aussi parce que, même sur terre, il s’efforçait de penser et d’agir comme un ange ».
5. Telles sont les paroles de louange que Notre Prédécesseur a écrites vingt-cinq ans après la mort de Charles. Aujourd’hui, trois siècles après sa canonisation, « nous pouvons à juste titre nous réjouir en ce jour où Nous conférons solennellement, au nom du Seigneur, les honneurs sacrés à Charles, cardinal prêtre, couronnant ainsi sa propre Épouse d’un diadème de toute pierre précieuse ». Nous sommes d’accord avec Notre Prédécesseur pour dire que la contemplation de la gloire, et plus encore, l’exemple et l’enseignement des saints, humiliera l’ennemi et jettera dans la confusion tous ceux qui « se glorifient de leurs erreurs spécieuses ». Il a été l’avocat et le défenseur infatigable de la véritable réforme catholique, s’opposant aux novateurs dont le but n’était pas la restauration, mais l’effacement et la destruction de la foi et des mœurs. Cette célébration du troisième centenaire de sa canonisation devrait s’avérer non seulement une consolation et une leçon pour chaque catholique, mais aussi un noble encouragement pour tous à coopérer de tout cœur à cette œuvre si chère à notre cœur de restaurer toutes choses dans le Christ.
6. Vous savez très bien, Vénérables Frères, que même lorsqu’elle est entourée de tribulations, l’Église jouit toujours d’une certaine consolation de la part de Dieu. « Le Christ aussi a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier pour se présenter à lui-même l’Église dans toute sa gloire, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans tache. » Quand le vice se déchaîne, quand la persécution pèse, quand l’erreur est si rusée qu’elle menace de la détruire en arrachant de nombreux enfants à son sein (pour les plonger dans le tourbillon du péché et de l’impiété), alors, plus que jamais, l’Église est fortifiée du Très-Haut. Que les méchants le veuillent ou non, Dieu fait en sorte que même l’erreur aboutisse au triomphe de la Vérité dont l’Église est la gardienne attentive. Il met la corruption au service de la sainteté, dont l’Église est la mère et la nourrice. Par la persécution, Il accroît notre salut et nous libère merveilleusement de nos ennemis. C’est pourquoi, lorsque les hommes du monde croient voir l’Église furieusement battue et presque chavirée dans la tempête, elle en ressort en réalité plus belle, plus forte, plus pure et plus brillante par l’éclat des vertus les plus hautes.
7. Ainsi, la bonté de Dieu témoigne de la divinité de l’Église. Il la rend victorieuse dans ce combat douloureux contre les erreurs et les péchés qui se glissent dans ses rangs. Par cette victoire, il confirme les paroles du Christ : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » ; dans les événements, il accomplit la promesse : « Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation du monde » ; enfin, il est le témoin de la puissance mystérieuse de l’autre Paraclet – que le Christ a promis de faire venir immédiatement après son ascension au ciel – qui lui prodigue continuellement ses dons et lui sert de défenseur et de consolateur dans toutes ses douleurs. C’est l’Esprit qui « habitera avec elle pour toujours, l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas, car Il habitera avec vous et sera en vous ». Comme l’enseigne le premier Concile œcuménique du Vatican, cette puissance divine place l’Église au-dessus de toute autre société par ces notes évidentes qui la marquent « comme une bannière levée parmi les nations ».
8. En effet, seul un miracle de cette puissance divine pourra préserver l’Église, Corps mystique du Christ, sans tache dans la sainteté de sa doctrine, de sa loi et de sa fin, au milieu du flot de corruption et de déchéance de ses membres. Sa doctrine, sa loi et sa fin ont produit une récolte abondante. La foi et la sainteté de ses enfants ont produit les fruits les plus salutaires. Voici une autre preuve de sa vie divine : en dépit d’un grand nombre d’opinions pernicieuses et d’une grande variété d’erreurs, ainsi que de la vaste armée des rebelles, l’Église reste immuable et constante, « comme la colonne et le fondement de la vérité », en professant une doctrine identique, en recevant les mêmes sacrements, dans sa constitution divine, son gouvernement et sa discipline des mœurs. Cela est d’autant plus merveilleux si l’on considère que l’Église non seulement résiste au mal, mais même « vainc le mal en faisant le bien ». Elle bénit constamment ses amis et ses ennemis. Elle s’efforce continuellement et désire ardemment réaliser la restauration chrétienne sociale et individuelle qui est sa mission particulière dans le monde. D’ailleurs, même ses ennemis en bénéficient.
9. Ce merveilleux travail de la Divine Providence dans le programme de restauration de l’Église a été vu avec la plus grande clarté et a été donné comme une consolation pour le bien surtout au siècle de saint Charles Borromée. À cette époque, les passions se déchaînaient et la connaissance de la vérité était presque complètement déformée et confuse. Une lutte continuelle était menée contre les erreurs. La société humaine, allant de mal en pis, se précipitait dans l’abîme. C’est alors qu’entrèrent en scène ces hommes orgueilleux et rebelles qui sont « ennemis de la croix du Christ… Leur dieu est le ventre… ils s’occupent des choses de la terre » Ces hommes ne se préoccupaient pas de corriger les mœurs, mais seulement de nier les dogmes. Ils augmentèrent ainsi le chaos. Ils lâchèrent les rênes de la loi, et la licence débridée se déchaîna. Ils méprisèrent l’autorité et les directives de l’Église pour se soumettre aux caprices des princes et du peuple dissolus. Ils essayaient de détruire la doctrine, la constitution et la discipline de l’Église. Ils étaient semblables à ces pécheurs concernés par cette menace : « Malheur à vous qui appelez le mal bien, et le bien mal. » Ils appelaient cette émeute rebelle et cette perversion de la foi et des mœurs une réforme, et eux-mêmes des réformateurs. En réalité, ils étaient des corrupteurs. En sapant la force de l’Europe par des guerres et des dissensions, ils ont ouvert la voie à ces rébellions et apostasies modernes. Cette guerre moderne a réuni et renouvelé en une seule attaque les trois sortes d’attaques qui avaient été jusqu’ici séparées, à savoir les conflits sanglants des premiers âges, les ravages internes des hérésies, et enfin, au nom de la liberté évangélique, la corruption vicieuse et la perversion de la discipline telles qu’elles étaient inconnues, peut-être, même à l’époque médiévale. Pourtant, dans chacun de ces combats, l’Église est toujours sortie victorieuse.
10. Dieu, cependant, fit surgir de vrais réformateurs et de saints hommes pour arrêter le courant, éteindre la conflagration et réparer le mal causé par cette foule de séducteurs. Leur zèle multiforme pour réformer la discipline a été d’autant plus consolant pour l’Église que la tribulation qui l’affligeait était grande. Leur travail prouve également la vérité que « Dieu est fidèle et… avec la tentation, il vous donnera aussi une issue…. ». Dans ces circonstances, Dieu a fourni une agréable consolation à l’Église dans le zèle exceptionnel et la sainteté de Charles Borromée.
11. Dieu a ordonné que son ministère soit le moyen efficace et spécial de contrôler l’audace des rebelles et d’enseigner et d’inspirer les enfants de l’Église. Il a réfréné les folles extravagances des premiers par l’exemple de sa vie et de son travail, et a répondu à leurs vaines accusations par l’éloquence la plus puissante. Il attisait les espoirs des seconds et enflammait leur zèle. Dès sa jeunesse, il cultiva d’une manière remarquable toutes les vertus du vrai réformateur que d’autres ne possédaient qu’à des degrés divers. Ces vertus sont la force d’âme, le conseil, la doctrine, l’autorité, la capacité et l’empressement. Il les mit toutes au service de la vérité catholique contre les attaques de l’erreur (ce qui est précisément la mission de l’Église). Il ranima la foi qui s’était assoupie ou presque éteinte chez beaucoup, en la fortifiant par de nombreuses lois et pratiques sages. Il restaura la discipline qui avait été renversée en ramenant les mœurs du clergé et du peuple aux idéaux de la vie chrétienne. En accomplissant tous les devoirs d’un réformateur, il a également rempli les fonctions du « bon et fidèle serviteur ». Plus tard, il a accompli les œuvres du grand prêtre qui « a plu à Dieu en ses jours et a été trouvé juste. » Il est donc un digne exemple pour le clergé et les laïcs, les riches et les pauvres. Il peut être compté parmi ceux dont l’apôtre Pierre loue l’excellence en tant qu’évêque et prélat, lorsqu’il dit qu’il est devenu « de cœur un modèle pour le troupeau ». Avant même d’avoir atteint l’âge de vingt-trois ans, et bien qu’il ait été élevé aux plus hauts honneurs et chargé d’affaires ecclésiastiques très importantes et difficiles, Charles faisait chaque jour des progrès vraiment merveilleux dans la pratique de la vertu par la contemplation des choses divines. Cette retraite sacrée le perfectionna, le prépara pour les jours à venir et le fit briller comme « un spectacle pour le monde, les anges et les hommes ».
12. Ensuite (en empruntant à nouveau les mots de Notre Prédécesseur Paul V), le Seigneur commença à faire ses merveilles en Charles. Il le remplit d’une sagesse, d’une justice et d’un zèle ardent pour promouvoir sa gloire et la cause catholique. Par-dessus tout, le Seigneur l’a rempli d’un grand souci de restaurer la foi dans l’Église universelle, conformément aux décrets du célèbre Concile de Trente. Ce Pontife lui-même, ainsi que toutes les générations futures, attribuèrent le succès du Concile à Charles, car avant même de mettre en œuvre ses décrets, il en fut le plus ardent promoteur. En effet, c’est grâce à ses nombreuses veilles, ses épreuves et ses travaux que l’œuvre a été menée à son terme.
13. Toutes ces choses, cependant, n’étaient qu’une préparation ou une sorte de noviciat où il formait son cœur à la piété, son esprit à l’étude et son corps au travail (en restant toujours un jeune modeste et humble) pour cette vie où il serait comme de l’argile entre les mains de Dieu et de son Vicaire sur terre. Les novateurs de l’époque méprisaient justement ce genre de vie de préparation. La même folie conduit les innovateurs modernes à la mépriser également. Ils ne voient pas que les œuvres merveilleuses de Dieu mûrissent dans l’obscurité et le silence d’une âme consacrée à l’obéissance et à la contemplation. Ils ne voient pas que, de même que l’espoir de la récolte réside dans les semailles, de même cette préparation est le germe du progrès futur.
14. Comme nous l’avons déjà laissé entendre, cette sainteté et cette industrie préparées dans de telles conditions finirent par produire, en temps voulu, un fruit vraiment merveilleux. Lorsque Charles, « bon ouvrier qu’il était, quitta les commodités et la splendeur de la ville pour le champ (Milan) qu’il devait cultiver, il s’acquitta de ses fonctions de mieux en mieux de jour en jour. Bien que la méchanceté de l’époque ait fait que ce champ soit envahi par les mauvaises herbes et les ronces, il lui rendit sa beauté originelle. Avec le temps, l’Église milanaise devint un exemple de discipline ecclésiastique ». Il obtint tous ces résultats remarquables dans son œuvre de réforme en adoptant les règles que le Concile de Trente venait de promulguer.
15. L’Église sait très bien que « l’imagination et la pensée du cœur de l’homme sont enclines au mal » ; c’est pourquoi elle mène une lutte continuelle contre le vice et l’erreur « afin que le corps du péché soit détruit, afin que nous ne soyons plus esclaves du péché ». « Comme elle est sa propre maîtresse et qu’elle est guidée par la grâce qui « est répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint », elle est dirigée dans ce conflit de pensée et d’action par le Docteur des Gentils, qui dit : « Soyez renouvelés dans l’esprit de votre intelligence… Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés dans la nouveauté de votre intelligence, afin de discerner quelle est la volonté bonne, agréable et parfaite de Dieu ». Au contraire, avec l’Apôtre, il reconnaît qu’il ne fait qu’y tendre : « Oubliant ce qui est en arrière, je tends vers ce qui est en avant, je me hâte vers le but, vers le prix de l’appel céleste de Dieu dans le Christ Jésus ».
16. Par notre union avec le Christ dans l’Église, nous grandissons « en toutes choses en celui qui est la tête, le Christ. Car c’est de lui que le corps entier… tire son accroissement pour s’édifier lui-même dans l’amour…. ». C’est pourquoi la Mère Église accomplit quotidiennement le mystère de la volonté divine qui doit « être dispensé dans la plénitude des temps : rétablir toutes choses dans le Christ ».
17. Les réformateurs auxquels Borromée s’est opposé n’ont même pas pensé à cela. Ils ont essayé de réformer la foi et la discipline selon leurs propres caprices. Vénérables Frères, ce n’est pas mieux compris par ceux que Nous devons supporter aujourd’hui. Ces modernes, qui ne cessent de jacasser sur la culture et la civilisation, sapent la doctrine, les lois et les pratiques de l’Église. Ils ne se préoccupent pas beaucoup de la culture et de la civilisation. En employant des mots qui sonnent bien, ils pensent pouvoir dissimuler la méchanceté de leurs projets.
18. Vous connaissez tous leur but, leurs subterfuges et leurs méthodes. De notre côté, Nous avons dénoncé et condamné leurs manigances. Ils proposent un rejet universel de la foi et de la discipline de l’Église encore pire que celle qui a menacé l’âge de Charles. Elle est pire, disons-nous, parce qu’elle s’insinue furtivement dans les veines mêmes de l’Église, s’y cache et pousse astucieusement des principes erronés jusqu’à leurs ultimes conclusions.
19. Ces deux pestes ont la même origine : « l’ennemi » qui « sème l’ivraie parmi le bon grain » afin de provoquer la chute de l’humanité. Elles suivent les mêmes voies cachées et ténébreuses, elles se développent sur la même ligne, et se terminent de la même manière fatale. Dans le passé, la première apostasie porta ses efforts sur ce qui lui était favorable, elle opposait les gouvernants aux peuples, ou les peuples aux gouvernants, pour conduire ces deux classes à la destruction. Aujourd’hui, cette apostasie moderne suscite la haine entre les pauvres et les riches, jusqu’à ce que, mécontents de leur condition, ils tombent peu à peu dans des voies si misérables qu’ils doivent subir la peine infligée à ceux qui, absorbés par les choses mondaines et temporelles, oublient « le royaume de Dieu et sa justice ». En fait, le conflit actuel est encore plus grave que les autres. Si les novateurs sauvages des temps passés ont généralement conservé quelques fragments du trésor de la doctrine révélée, ces modernes agissent comme s’ils ne voulaient pas se reposer avant de le détruire complètement. Lorsque les fondements de la religion sont renversés, les contraintes de la société civile sont aussi nécessairement brisées. Voyez le triste spectacle de notre époque ! Voyez le danger imminent de l’avenir ! Mais ce n’est pas un danger pour l’Église, car la promesse divine ne laisse pas de place au doute. Cette révolution menace plutôt la famille et les nations, en particulier ceux qui attisent activement ou tolèrent avec indifférence cette atmosphère malsaine d’irréligion.
20. Cette guerre impie et insensée est menée et parfois soutenue par ceux qui devraient être les premiers à venir à Notre secours. Les erreurs se présentent sous de multiples formes et les attraits du vice portent des vêtements différents. L’une et l’autre font que beaucoup, même dans nos propres rangs, se laissent prendre au piège, séduits par l’apparence de la nouveauté et de la doctrine, ou par l’illusion que l’Église acceptera les maximes de l’époque. Vénérables Frères, vous savez bien que nous devons résister vigoureusement et repousser les attaques de l’ennemi avec les armes mêmes que Borromée utilisait en son temps.
21. Puisqu’ils attaquent la racine même de la foi, soit en niant ouvertement, soit en sapant hypocritement, soit en déformant la doctrine révélée, nous devons avant tout nous rappeler la vérité que Charles a souvent enseignée. « Le premier et le plus important devoir des pasteurs est de veiller à tout ce qui a trait au maintien intégral et inviolable de la foi catholique, la foi que la Sainte Église romaine professe et enseigne, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu » Encore : « Nous devons donc utiliser la saine doctrine pour résister au « levain de la dépravation hérétique » qui, s’il n’est pas réprimé, corrompt l’ensemble. C’est-à-dire qu’il faut s’opposer à ces opinions erronées qui se répandent aujourd’hui de façon trompeuse, et qui, toutes ensemble, sont appelées Modernisme. Avec Charles, nous devons nous souvenir « du zèle suprême et de l’excellente diligence que l’évêque doit exercer pour combattre le crime d’hérésie ».
22. Nous n’avons pas besoin de mentionner les autres paroles du Saint qui font écho aux sanctions, aux lois et aux peines établies les Pontifes romains contre les prélats qui négligent de purifier leur diocèse du ferment de l’hérésie. Il convient cependant de méditer sur les conclusions qu’il tire de ces décrets pontificaux. « Par-dessus tout, dit-il, l’évêque doit être éternellement sur ses gardes et continuellement vigilant pour empêcher la maladie contagieuse de l’hérésie de pénétrer dans son troupeau et pour en écarter le moindre soupçon. S’il arrivait qu’elle s’introduise – que le Christ Seigneur, bon et miséricordieux fasse que cela n’arrive pas ! –, il doit utiliser tous les moyens à sa disposition pour l’expulser immédiatement. En outre, il doit veiller à ce que les personnes infectées ou suspectées soient traitées selon les canons et les sanctions pontificales ».
23. La libération ou l’immunité contre cette maladie qu’est l’hérésie n’est possible que lorsque le clergé est correctement instruit, car « la foi. En effet, « la foi dépend de l’écoute et l’écoute de la parole du Christ ». Nous voyons ce poison pénétrer dans toutes les veines de l’État (à partir de sources où on s’y attendrait le moins) à tel point que les causes sont les mêmes que celles que Charles enregistre dans les mots suivants : « Si ceux qui fréquentent les hérétiques ne sont pas fermement enracinés dans la Foi, il y a lieu de craindre qu’ils ne soient facilement séduits par les hérétiques dans le piège de l’impiété et de la fausse doctrine. » De nos jours, la facilité des voyages et des communications s’est révélée aussi avantageuse pour l’erreur que pour les autres choses. Nous vivons dans une société perverse, où la licence des passions est débridée, où « il n’y a pas de vérité… et il n’y a pas de connaissance de Dieu », dans « toute la terre désolée, parce qu’il n’y a personne qui réfléchisse dans le cœur ». « C’est pourquoi, pour reprendre les paroles de Charles, « nous avons déjà souligné l’importance de bien instruire tous les fidèles du Christ dans les rudiments de la doctrine chrétienne » et nous avons écrit une lettre encyclique spéciale sur ce sujet extrêmement important. Bien que Nous ne voulions pas reprendre à notre compte la lamentation que Borromée a été poussé à prononcer à cause de son zèle ardent, à savoir que « jusqu’à présent, Nous avons obtenu très peu de succès dans une affaire de cette importance », cependant, poussé comme lui « par l’énormité et le danger de la tâche », Nous exhortons une fois de plus chacun à faire de Charles son modèle de zèle, afin qu’il contribue à cette œuvre de restauration chrétienne selon sa position et ses capacités. Les pères et les patrons doivent se rappeler que le saint évêque a souvent enseigné avec ferveur qu’ils devaient non seulement donner l’occasion, mais même considérer comme un devoir de veiller à ce que leurs enfants, leurs serviteurs et leurs employés étudient la doctrine chrétienne. Les ecclésiastiques doivent se rappeler qu’ils doivent aider les curés dans l’enseignement de la doctrine chrétienne. Les curés devraient ériger autant d’écoles dans ce même but que le nombre et les besoins de la population l’exigent. Ils doivent en outre veiller à ce qu’il y ait des maîtres intègres, qui seront assistés par des hommes et des femmes de bonnes mœurs, selon la manière prescrite par le saint archevêque Milan.
24. Il est évident que le besoin de cette instruction chrétienne est accentué par la décadence de notre temps et de nos mœurs. Elle est encore plus exigée par l’existence de ces écoles publiques, dépourvues de toute religion, où tout ce qui est saint est ridiculisé et méprisé. Là, les lèvres des maîtres et les oreilles des élèves sont portées à l’impiété. Nous faisons allusion à ces écoles que l’on appelle injustement neutres ou laïques alors qu’elles ne sont rien d’autre que le bastion des puissances des ténèbres. Cette liberté qui n’est qu’un joug, vous l’avez déjà condamnée sans crainte, Vénérables Frères, surtout dans les pays où les droits de la religion et de la famille ont été honteusement ignorés et où a été étouffée la voix de la nature qui exige le respect de la foi et de l’innocence de la jeunesse. Fermement résolu à ne ménager aucun effort pour remédier à ce mal causé par ceux qui attendent des autres qu’ils leur obéissent (alors qu’ils refusent eux-mêmes d’obéir au Maître suprême de toutes choses), Nous avons recommandé que des écoles de doctrine chrétienne soient érigées dans les villes où cela est possible. Grâce à vos efforts, cette œuvre a déjà bien progressé. Il est cependant très souhaitable que cette œuvre s’étende encore plus largement, que de nombreuses écoles religieuses de ce genre soient établies partout et que des professeurs de saine doctrine et de bonnes mœurs soient fournis.
25. Le prédicateur, dont le devoir est étroitement lié à celui d’enseigner les principes fondamentaux de la religion, doit également posséder les mêmes qualités de saine doctrine et de bonnes mœurs. C’est pourquoi, en rédigeant les statuts des synodes provinciaux et diocésains, Charles a eu le plus grand soin de fournir des prédicateurs pleins de zèle et de sainteté pour exercer « le ministère de la parole. » Nous sommes convaincus que ce soin est encore plus urgent à notre époque où tant d’hommes vacillent dans la Foi et où certains vaniteux, bienveillants envers l’esprit du temps, « adultèrent la parole de Dieu » et privent les fidèles de la nourriture de la vie.
26. Nous ne devons pas ménager nos efforts, Vénérables Frères, pour que le troupeau ne se nourrisse pas de cet air d’hommes insensés et vides de sens. Il doit plutôt être nourri de la nourriture vivifiante des « ministres de la parole ». Ceux-ci peuvent vraiment dire : « Au nom du Christ nous accomplissons notre devoir d’ambassadeurs, par nous Dieu vous exhorte : réconciliez-vous avec Dieu. Comme ministres et envoyés, nous marchons sans ruse, nous ne corrompons pas la parole de Dieu mais, faisant connaître la vérité, nous nous recommandons à la conscience de chacun devant Dieu ». Nous sommes des ouvriers « qui ne peuvent rougir, maniant avec justesse la parole de la vérité » Ces règles très saintes et fructueuses que l’évêque de Milan a souvent édictées pour son peuple ont une valeur similaire pour nous. Elles peuvent être résumées au mieux dans ces paroles de saint Paul : « Lorsque vous avez entendu et reçu de nous la parole de Dieu, vous l’avez accueillie non comme une parole d’homme, mais, car elle l’est vraiment, comme la parole de Dieu, qui agit en vous qui avez cru ».
27. « La parole de Dieu est vivante, efficace et plus tranchante qu’aucune épée à deux tranchants » Elle va non seulement préserver et défendre la foi mais aussi nous motiver efficacement à faire de bonnes œuvres puisque « la foi sans les œuvres est morte » « Car ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes aux yeux de Dieu, mais ce sont ceux qui suivent la loi qui seront justifiés ».
28. En ceci aussi nous voyons l’immense différence entre la vraie et la fausse réforme. Les partisans de la fausse réforme, imitant l’inconstance des insensés, se précipitent généralement dans les extrêmes. Ou bien ils mettent l’accent sur la foi au point de négliger les bonnes œuvres, ou bien ils canonisent la nature avec l’excellence de la vertu en négligeant l’aide de la foi et de la grâce divine. En fait, les actes naturellement bons ne sont qu’une contrefaçon de la vertu, car ils ne sont ni permanents ni suffisants pour le salut. L’œuvre de ce type de réformateur ne peut pas rétablir la discipline. Au contraire, elle ruine la foi et les mœurs.
29. D’autre part, le réformateur sincère et zélé évitera, comme Charles, les extrêmes et ne dépassera jamais les limites de la vraie réforme. Il sera toujours uni par les liens les plus étroits à l’Église et au Christ, son chef. Il y trouvera non seulement la force pour sa vie intérieure, mais aussi les directives dont il a besoin pour mener à bien son œuvre de guérison de la société humaine. La fonction de cette mission divine, qui a été transmise depuis des temps immémoriaux aux ambassadeurs du Christ, est de « faire de toutes les nations des disciples », tant pour ce qu’ils doivent croire que pour ce qu’ils doivent faire, puisque le Christ lui-même a dit : « Observez tout ce que je vous ai prescrit ». Il est « le chemin, la vérité et la vie », venu dans le monde pour que l’homme « ait la vie et qu’il l’ait en abondance », mais l’accomplissement de ces devoirs dépasse de beaucoup les forces naturelles de l’homme. L’Église seule possède, avec son magistère, le pouvoir de gouverner et de sanctifier la société humaine. Par l’intermédiaire de ses ministres et de ses serviteurs (chacun dans sa propre station et fonction), elle confère à l’humanité les moyens de salut appropriés et nécessaires.
Les vrais réformateurs le comprennent très bien. Ils ne tuent pas la fleur pour sauver la racine. C’est-à-dire qu’ils ne séparent pas la foi de la sainteté. Ils les cultivent l’une et l’autre, en les enflammant du feu de la charité, « qui est le lien de la perfection » ; en obéissant à l’Apôtre, ils « gardent le dépôt » ; ils n’en obscurcissent ni n’en tamisent la lumière devant les nations, mais ils répandent au loin les eaux les plus salutaires de la vérité et de la vie qui jaillissent de cette source. Ils combinent la théorie et la pratique. Par la première, ils sont préparés à résister à la « mascarade de l’erreur » et par la seconde, ils appliquent les commandements à l’activité morale. C’est ainsi qu’ils emploient tous les moyens appropriés et nécessaires pour atteindre le but, à savoir l’anéantissement du péché et le perfectionnement « des saints pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps de Christ ». En un mot, c’est le but ultime de toute discipline et de toute action de l’Église. Lorsque le vrai fils de l’Église entreprend de se réformer lui-même et de réformer les autres, il fixe ses yeux et son cœur sur les questions de foi et de morale. C’est sur ces questions que Borromée a fondé sa réforme de la discipline ecclésiastique. Il s’y réfère souvent dans ses écrits, comme par exemple lorsqu’il dit : « Suivant l’ancienne coutume des saints Pères et des conciles sacrés, en particulier du synode œcuménique de Trente, nous avons décrété de nombreux règlements sur ces questions dans nos précédents conciles provinciaux ». De même, lorsqu’il prévoit la suppression des scandales publics, il déclare suivre « la loi et les sanctions sacrées des canons sacrés, et en particulier les décrets du concile de Trente ».
30. Cependant, il ne s’est pas arrêté là. Afin de s’assurer autant que possible qu’il ne dérogerait jamais à cette règle, il avait coutume de conclure les statuts de ses synodes provinciaux par les mots suivants : « Nous sommes toujours prêts à soumettre tout ce que nous avons fait et décrété dans ce Synode provincial à l’autorité et au jugement de l’Église romaine, la Mère et Maîtresse de toutes les Églises » Plus il avançait dans la perfection du ministère actif, plus il était fermement enraciné dans cette résolution, non seulement lorsque la Chaire de Pierre était occupée par son oncle, mais aussi pendant les Pontificats de ses successeurs, Pie V et Grégoire XIII. Il a exercé son influence pour faire élire ces derniers, il a soutenu sans relâche leurs grandes entreprises, et il a accompli de façon parfaite tout ce qu’ils attendaient de lui.
31. En outre, il a appuyé chacun de leurs actes sur les moyens pratiques nécessaires à la réalisation du but recherché, à savoir la véritable réforme de la discipline sacrée. À cet égard aussi, il prouva qu’il ne ressemblait en rien à ces faux réformateurs qui dissimulaient leur désobéissance obstinée sous le manteau du zèle. Il commença « le jugement par la maison de Dieu ». Il rétablit d’abord la discipline parmi le clergé en le faisant se conformer à certaines lois précises. Dans ce même but, il construisit des séminaires, fonda une congrégation de prêtres connue sous le nom d’Oblats, unifia les familles religieuses anciennes et modernes et convoqua des conciles. Par ces dispositions et d’autres encore, il assura et développa l’œuvre de la réforme. Puis il s’attaqua immédiatement et vigoureusement à la réforme des mœurs du peuple. Il considérait que les paroles adressées au Prophète s’adressaient à lui-même : « Voici, je t’ai établi aujourd’hui… pour déraciner et abattre, pour détruire et gaspiller, pour bâtir et planter ». Comme le divin Maître, « il allait de lieu en lieu en faisant du bien et en guérissant ». Il ne ménageait pas ses efforts pour réprimer et déraciner les abus qu’il rencontrait partout, soit par ignorance, soit par négligence des lois. Il lutta contre la perversion des idées et la corruption des mœurs en fondant des écoles pour les enfants et des collèges pour la jeunesse. Après avoir vu leurs premiers balbutiements à Rome, il encourage les sociétés mariales. Il fonda des orphelinats pour les orphelins, des refuges pour les jeunes filles en danger, les veuves, les mendiants, les hommes et les femmes rendus indigents par la maladie ou la vieillesse. Il a ouvert des institutions pour protéger les pauvres contre les maîtres tyranniques, les usuriers et l’asservissement des enfants. Il a accompli toutes ces choses en ignorant complètement les méthodes de ceux qui pensent que la société humaine ne peut être restaurée que par la destruction totale, la révolution et les slogans bruyants. Ces personnes ont oublié les paroles divines : « Le Seigneur n’est pas dans le tremblement de terre. »
32. Voici une autre différence entre les vrais et les faux réformateurs que vous avez souvent rencontrée, Vénérables Frères. Les seconds « cherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ » Ils écoutent l’invitation trompeuse adressée jadis au divin Maître : « Manifeste-toi au monde » Ils répètent les paroles ambitieuses : « Faisons-nous aussi un nom « et dans leur témérité (que Nous avons malheureusement à déplorer de nos jours) « quelques prêtres sont tombés dans la bataille, tandis que voulant faire virilement, ils sont allés combattre inconsidérément ».
33. En revanche, le vrai réformateur « ne cherche pas sa propre gloire, mais la gloire de celui qui l’a envoyé ». Comme le Christ, son Modèle, « il ne se disputera pas, il ne criera pas à haute voix, et personne n’entendra sa voix dans les rues… Il ne sera pas triste ni pénible », mais il sera « doux et humble de cœur ».
34. Ils se distinguent l’un de l’autre d’une autre manière encore. Le faux réformateur « se fie à l’homme et fait de la chair son bras » ; le vrai réformateur se fie à Dieu et cherche dans son aide surnaturelle toute sa force et sa vertu, faisant sienne la parole de l’Apôtre : « Je puis tout en lui » « Je puis tout en celui qui me fortifie ».
35. Le Christ communique généreusement ces aides, parmi lesquelles figurent surtout la prière, le sacrifice et les sacrements, qui « deviennent… une source d’eau jaillissant dans la vie éternelle ». Puisque l’Église en a été dotée pour le salut de tous les hommes, l’homme fidèle les cherchera en elle. Les faux réformateurs, cependant, méprisent ces moyens. Ils rendent la route tortueuse et, si absorbés à réformer qu’ils en oublient Dieu, ils s’efforcent toujours de rendre ces sources de cristal si troubles ou si arides que le troupeau du Christ sera privé de leurs eaux. À cet égard, les faux réformateurs d’autrefois sont même surpassés par leurs disciples modernes. Ces derniers, sous le masque de la religiosité, discréditent et méprisent ces moyens de salut, en particulier les deux sacrements qui purifient l’âme pénitente du péché et la nourrissent de la nourriture céleste. Que tout pasteur fidèle déploie donc le plus grand zèle pour que des bienfaits d’une si grande valeur soient tenus en haute estime. Qu’ils ne permettent jamais que ces deux œuvres de l’amour divin se refroidissent dans le cœur des hommes.
36. Charles Borromée se conduisait précisément de cette manière. Ainsi, nous lisons dans ses écrits : « Puisque le fruit des sacrements est si abondamment riche, pour que son efficacité se développe pleinement il faut les traiter et les recevoir avec la plus grande préparation, le plus profond respect, la plus grande pompe extérieure et la plus grande vénération ». Les exhortations (que Nous avons également faites dans Notre décret, Tridentina Synodus ) par lesquelles il exhorte les pasteurs et les prédicateurs à revenir à la première pratique de la communion fréquente sont des plus dignes d’attention. « Les pasteurs et les prédicateurs, écrit le saint évêque, doivent saisir toutes les occasions possibles pour exhorter le peuple à cultiver la pratique de recevoir fréquemment la sainte communion. Ils suivent en cela l’exemple de l’Église primitive, les recommandations des Pères les plus autorisés, la doctrine du Catéchisme romain qui traite cette question en détail et, enfin, l’enseignement du Concile de Trente, lequel souhaitait que les fidèles reçoivent la Communion à chaque Messe, non seulement spirituellement, mais sacramentellement ». Il décrit l’intention et l’affection que l’on doit avoir en s’approchant du Banquet Sacré dans les termes suivants : « Il faut non seulement exhorter le peuple à recevoir fréquemment la Sainte Communion, mais aussi lui faire comprendre combien il serait dangereux et fatal de s’approcher indignement de la Table sacrée de la Nourriture divine » Il semblerait que nos jours de foi vacillante et de froideur aient particulièrement besoin de cette même ferveur, afin que la réception fréquente de la Sainte Communion ne s’accompagne pas d’une diminution de la révérence envers ce grand mystère. Au contraire, que cela soit la raison pour l’homme « de s’éprouver : c’est ainsi qu’il faut manger ce pain et boire à cette coupe ».
37. De ces sources jaillira un courant abondant de grâce, qui renforcera et nourrira même les moyens naturels et humains. Le chrétien ne doit en aucun cas négliger les choses utiles et réconfortantes de cette vie, car elles viennent aussi des mains de Dieu, l’auteur de la grâce et de la nature. Cependant, en recherchant et en appréciant ces choses matérielles et physiques, il veillera à ne pas en faire la fin et la quasi-béatitude de cette vie. Il les utilisera à bon escient et avec modération lorsqu’il les subordonnera au salut des âmes, selon les paroles du Christ : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ».
38. Cette sage évaluation et utilisation des moyens ne s’oppose pas le moins du monde au bien de l’ordre inférieur, c’est-à-dire de la société civile, cela tournera au contraire, à son avantage – non pas, bien sûr, par le bavardage insensé de réformateurs querelleurs, mais par des actes et des efforts héroïques, jusqu’au sacrifice des biens matériels, des forces et de la vie elle-même. Nous avons de nombreux exemples de cette force d’âme durant les pires jours de l’Église dans la vie de nombreux évêques qui, égalant le zèle de Charles, ont mis en pratique les paroles du divin Maître : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Ni la vanité, ni l’esprit de parti, ni l’intérêt privé ne sont leurs motifs. Ils sont poussés à se dépenser pour le bien commun par cette charité « qui ne manque jamais ». Cette flamme d’amour ne peut être vue par les yeux du monde. Mais elle enflamme Borromée au point qu’après avoir mis sa propre vie en danger en s’occupant des victimes de la peste, il ne se contente pas de conjurer les maux du présent, mais commence à prévoir les dangers que l’avenir pourrait lui réserver. « Il n’est que juste qu’un père bon et aimant pourvoit à l’avenir de ses enfants aussi bien qu’à leur présent en leur réservant les choses nécessaires à la vie. En vertu de notre devoir d’amour paternel, nous pourvoyons aussi prudemment aux fidèles de notre province en mettant de côté les aides pour l’avenir dont l’expérience de la peste nous a appris qu’elles étaient les plus efficaces. »
39. Ces mêmes plans et considérations d’amour peuvent être mis en pratique, Vénérables Frères, dans cette action catholique que Nous avons si souvent recommandée. Les chefs du peuple sont appelés à s’engager dans ce très noble apostolat qui comprend toutes les œuvres de miséricorde ; ils seront préparés et prêts à sacrifier tout ce qu’ils ont et sont pour la cause. Ils devront supporter l’envie, la contradiction, et même la haine de beaucoup de gens qui rendront leurs travaux avec ingratitude. Ils doivent se conduire en « bons soldats de Jésus-Christ » et « courir avec persévérance au combat qui nous est proposé, en regardant vers l’auteur et le finisseur de la foi, Jésus-Christ ». Néanmoins, même si une victoire totale sera lente à venir, c’est un concours qui sert le bien-être de la société civile d’une manière très digne.
40. Dans cette œuvre, nous avons le splendide exemple de saint Charles. Chacun de nous peut trouver dans son exemple matière à imitation et à consolation. Bien que sa vertu exceptionnelle, son activité merveilleuse, sa charité jamais démentie lui aient valu beaucoup de respect, il n’en a pas moins été soumis à cette loi qui dit : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus souffriront la persécution. » Sa vie austère, sa défense de la droiture et de l’honnêteté, sa protection du droit et de la justice ne lui valurent que la haine des souverains et la ruse des diplomates, puis la méfiance de la noblesse, du clergé et du peuple, jusqu’à ce que les méchants le haïssent au point d’attenter à sa vie. Malgré son tempérament doux et agréable, il résista à toutes ces attaques avec un courage inébranlable.
41. Il n’a cédé aucun terrain sur toute question qui aurait pu mettre en danger la foi et les mœurs. Il n’admettait aucune revendication qui fût contraire à la discipline ou pesante pour les fidèles, même si elle émanait d’un puissant monarque et, d’ailleurs, catholique. Il avait toujours à l’esprit les paroles du Christ : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il n’a jamais oublié la déclaration des Apôtres : « Nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». A son époque, la société civile payait le prix d’une destruction presque certaine à cause de sa prudence mondaine. Elle faisait pratiquement naufrage dans les tempêtes séditieuses qu’elle avait suscitées.
42. Les catholiques de nos jours, ainsi que leurs zélés dirigeants, les évêques, mériteront les mêmes éloges et la même gratitude que Charles tant qu’ils seront fidèles à leurs devoirs de bons citoyens. Ils doivent être aussi fidèles dans leur loyauté et leur respect envers les « méchants gouvernants » quand leurs ordres sont justes, qu’ils sont inflexibles dans leur résistance à leurs ordres quand ils sont injustes. Ils doivent rester aussi éloignés de la rébellion impie de ceux qui prônent la sédition et la révolte que de la servilité de ceux qui acceptent comme sacrées les lois manifestement mauvaises d’hommes pervers. Ces derniers déracinent tout au nom d’une liberté trompeuse, et oppriment ensuite leurs sujets par la tyrannie la plus abjecte.
43. C’est précisément ce qui se passe aujourd’hui à la vue du monde entier et dans la pleine lumière du monde moderne. C’est particulièrement le cas dans certains pays où les « puissances des ténèbres » semblent avoir établi leur quartier général. Cette tyrannie dominatrice a supprimé tous les droits des enfants de l’Église. Le cœur de ces gouvernants s’est fermé à tous les sentiments de générosité, de courtoisie et de foi que leurs ancêtres, qui se glorifiaient du nom de chrétiens, ont manifestés pendant si longtemps. Il est évident que tout retombe rapidement dans l’antique barbarie de la licence dès que Dieu et l’Église sont haïs. Il serait plus juste de dire que tout tombe sous ce joug le plus cruel dont seule la famille du Christ et l’éducation qu’elle a introduite nous a libérés. Borromée a exprimé la même pensée dans les termes suivants : « C’est un fait certain et bien établi qu’aucun autre crime n’offense Dieu aussi gravement et ne provoque sa plus grande colère que le vice de l’hérésie. Rien ne contribue plus à la chute des provinces et des royaumes que cet effroyable fléau ». Bien que les ennemis de l’Église soient en complet désaccord entre eux dans la pensée et dans l’action, ce qui est un indice certain d’erreur, ils sont néanmoins unis dans leurs attaques obstinées contre la vérité et la justice. Comme l’Église est la gardienne et la défenseuse de ces deux vertus, ils resserrent leurs rangs dans une attaque unifiée contre elle. Bien sûr, ils proclament haut et fort (comme c’est la coutume) leur impartialité et affirment fermement qu’ils ne font que promouvoir la cause de la paix. Mais en réalité, leurs mots doux et leurs intentions avouées ne sont que les pièges qu’ils tendent, ajoutant ainsi l’insulte à la blessure, la trahison à la violence. Il est donc évident qu’une guerre d’un genre nouveau est actuellement menée contre le christianisme. Sans aucun doute, elle est beaucoup plus dangereuse que les anciens conflits qui ont couronné Borromée de tant de gloire.
44. Son exemple et son enseignement nous aideront beaucoup à mener un combat vaillant en faveur de la noble cause qui sauvera l’individu et la société, la foi, la religion, l’inviolabilité de l’ordre public. Notre combat, il est vrai, sera stimulé par l’amère nécessité. Mais en même temps, nous serons encouragés par l’espoir que le Dieu tout-puissant hâtera la victoire en faveur de ceux qui livrent un si glorieux combat. Cette espérance s’accroît par la fécondité de l’œuvre de saint Charles jusqu’à nos jours. Son œuvre humilie les orgueilleux et nous fortifie dans la sainte résolution de restaurer toutes choses dans le Christ.
45. Nous pouvons maintenant conclure, Vénérables Frères, avec les mêmes mots avec lesquels Notre Prédécesseur, Paul V (que Nous avons déjà mentionné plusieurs fois), a conclu la lettre conférant les plus grands honneurs à Charles. « En attendant, écrivait-il, il est juste que nous rendions honneur, gloire et bénédiction à Celui qui vit pour tous les siècles, car Il a béni Notre compagnon de service de tous les dons spirituels afin de le rendre saint et sans tache à Ses yeux. Le Seigneur nous l’a donné comme une étoile qui brille dans les ténèbres de ces péchés qui sont notre malheur. Supplions la divine bonté, en paroles et en actes, de faire en sorte que Charles assiste maintenant par son patronage l’Église qu’il a tant aimée et qu’il a tant aidée par ses mérites et ses exemples, et qu’il nous donne ainsi la paix au jour de la colère, par le Christ Notre Seigneur ».
46. Que l’accomplissement de notre espérance mutuelle soit accordé par cette prière. En gage de cet accomplissement, Vénérables Frères, du fond de Notre cœur, Nous vous donnons, ainsi qu’au clergé et au peuple confiés à vos soins, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Saint-Pierre de Rome, le 26 mai 1910,
en la septième année de Notre Pontificat.