Nous sommes très peinés d’entendre des critiques sur le sacre de Mgr Ballini par Mgr Williamson, d’autant plus que ces critiques portent sur des détails qui n’ont aucune gravité, aucune conséquence néfaste et que cela ne vaudrait même pas la peine de s’y arrêter. Quelle est l’importance que Mgr Ballini ait été sacré en privé ou en public, que la révélation du sacre ait été faite plus ou moins tôt ? Critiquer ces détails, c’est oublier la nuisance perverse du monde hostile à l’Église et à ses serviteurs. Nous avons un nouvel évêque, défenseur de la foi, zélé, ami des prêtres, dévoué aux fidèles, qui, en Irlande, fut le seul prêtre à poursuivre et à étendre le soin des âmes par des déplacements aussi courageux que nombreux alors que pas un prêtre de l’Église moderne, pas un prêtre de la Fraternité Saint Pie X, à notre connaissance, n’osait sortir. Ceux qui ne s’en réjouissent pas ont vraiment un grave problème et font le jeu de l’adversaire de l’Église.
Nous avons donc interrogé le principal intéressé ainsi que l’Église. Voici leurs réponses.
Mgr Williamson
J’ai consacré Mgr Ballini en privé à cause de la crise du Covid en Irlande qui battait son plein a ce moment-là. Il était en visite courte à Broadstairs, et tout passage d’Irlande en Angleterre ou l’inverse semblait à tout moment menacé de coupure. Comme cela les Catholiques en Irlande auraient au moins de quoi protéger la Foi. De fait, les contacts ne furent pas coupés alors, mais à l’avenir…?
La liturgie des sacres
L’étude des sacres est intéressante aussi pour l’histoire de la liturgie. Accoutumés que nous sommes à de grandioses et solennelles cérémonies, on a peine à imaginer aujourd’hui que dans les siècles passés les sacres épiscopaux s’opéraient sans aucun faste ni apparat. C’étaient des « messes basses », comme on disait autrefois. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle, quand les sacres commencèrent à se faire en province, qu’on leur donna quelque éclat. En Italie, il faut attendre le début du XXe siècle pour voir les sacres se multiplier en dehors de Rome.
Voici comment les choses se passaient dans la Ville éternelle à partir du concile de Trente. Les consistoires se tenaient d’ordinaire le lundi ; les évêques d’Italie préconisés étaient sacrés le dimanche suivant dans différentes églises de Rome, et très souvent par groupes de deux, trois ou quatre. Le très court délai qui séparait la nomination du sacre empêchait de donner beaucoup de lustre à la cérémonie.
Pour bien comprendre les sacres en France, il faut se remémorer la procédure concordataire, quel que soit le concordat. Les bulles pontificales d’institution canonique ne sont pas envoyées à l’élu mais au chef de l’État qui a nommé. Les bulles sont examinées par les instances juridictionnelles du moment qui, lors des périodes de tension, en profitent pour ergoter ou contester le texte. Il faut ensuite un acte royal ou présidentiel qui déclare les bulles recevables. L’élu peut alors les retirer ; il doit donc venir à Paris, d’autant plus qu’après son sacre il devra prêter serment au chef de l’État. Il se met en retraite préparatoire et se fait sacrer sans cérémonie dans une chapelle de séminaire ou de communauté, devant quelques amis et parents. Ceux qui connaissent par exemple la chapelle de Lorette à Issy, qui fut très à la mode sous la Restauration, auront une idée de ce qu’a pu être une cérémonie de sacre lorsque trois évêques s’avisaient d’être ordonnés ensemble dans ladite chapelle.
Voici à cet égard un témoignage inédit et particulièrement intéressant, resté ignoré des nombreux biographes de Talleyrand, sur son sacre épiscopal. La cérémonie eut lieu dans la chapelle Saint-Sauveur, dans le jardin d’Issy, aujourd’hui démolie. Son déroulement nous est connu par le manuscrit du cérémoniaire de Saint-Sulpice (p. 71). La simplicité du décor semble avoir été poussée à l’extrême. (…) « En 1789, le 4 janvier, le sacre de Mgr l’évêque d’Autun dans la chapelle de Saint-Sauveur à Issy. Cette chapelle est étroite et plus gênante qu’à Laurette même pour un sacre à deux évêques. Le froid était au 14e degré du thermomètre. On ôta de la chapelle les prie-Dieu, les coffres, chaises et fauteuils. Les deux crédences furent placées dans les coins du mur, le petit autel dans le coin gauche. Il tenoit une partie de la fenêtre. On ne put enlever les portes, ce qui est un inconvénient considérable, elles ne tiennent qu’avec des clous et il était à craindre qu’on ne casse le bois. Le poëlle avait été allumé la veille, on y avait mis du bois pour l’entretenir la nuit. On y mit encore du bois le matin. On avait laissé les portes de la chapelle ouvertes afin que la chaleur se communique partout. On mit une tapisserie dans le corridor sur la porte qui donne dans la chapelle. Le maître des cérémonies fit de son mieux pour éviter la confusion, en quoy il ne réussit pas toujours. À la fin de la cérémonie, il engagea toutes les personnes qui étoient et dans la chapelle et à la porte de se ranger tout autour de la salle pour la procession, afin que le prélat eût quelqu’un à qui il pût donner la bénédiction. Messieurs les solitaires firent seuls les cérémonies et furent régalés. »
Sacres secrets ou discrets
Compte tenu du nombre des années et des sacres, il était inévitable que certaines consécrations se signalent par une particularité quelconque. Dans les siècles passés et dans tous les pays, il y eut des sacres que nous pourrions appeler discrets, opérés la nuit pour diverses raisons. Pour n’en citer qu’un, l’un des plus connus en France fut celui du premier vicaire apostolique du Canada, le bienheureux François de Laval-Montigny, sacré dans la nuit du 8 décembre 1658 à Saint-Germain-des-Prés par le nonce, toutes portes closes. La raison en était que l’archevêque de Rouen, François de Harlay de Champvallon, estimait avoir la juridiction sur les terres du Canada parce que les bateaux qui s’y rendaient partaient de son diocèse. Il s’était violemment opposé à la nomination d’un vicaire apostolique. Ajoutons que ce même Harlay, devenu archevêque de Paris, sera le plus ferme partisan de l’érection de Québec en diocèse en 1674 ! En 1831, en raison de la situation politique et de la position précaire de l’archevêque de Paris qui consacrait, Romain Gallard, évêque de Meaux, fut sacré nuitamment le 17 avril, chez les dames de Saint-Thomas de Villeneuve.
Mais notre siècle allait voir naître une nouvelle sorte de sacres, le sacre secret dans les pays communistes. Le premier semble avoir été celui du Père Neveu en 1926 à Moscou. Pie XI décida en effet que le Père d’Herbigny passerait à Berlin se faire sacrer secrètement par le nonce Pacelli et irait à Moscou sacrer non moins secrètement le Père Neveu qui s’occuperait des catholiques latins de Russie. La cérémonie ne fut pas très solennelle, elle n’eut pour témoin que la sacristine, l’éteignoir servit de bâton pastoral. Depuis, dans certains pays de l’Est, les sacres secrets se sont multipliés, opérés souvent dans des conditions incroyables, une chambre d’hôtel, une arrière-cuisine, un camp de travail, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, chez les Ukrainiens rattachés de force à l’Église orthodoxe par Staline. Les noms de ces évêques ne sont jamais publiés dans l’Annuario pontificio.
André Chapeau. Les ordinations épiscopales dans l’Église catholique du XVIe siècle à nos jours. In : Revue d’histoire de l’Église de France, tome 76, n°196, 1990. pp. 73-84 ; doi : https ://doi.org/10.3406/rhef.1990.3486 https ://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1990_num_76_196_3486
Les sacres dans le Goulag
Outre le cas, ancien, de saint Eusèbe, il nous paraît utile de rapporter ceux des consécrations épiscopales secrètes, et même à l’insu de Rome, dans le Goulag. Nous avons pour cela consulté un éminent spécialiste de ces questions : M. Maurice de Nessy dont nous reproduisons ci-dessous la réponse, pour laquelle nous le remercions chaleureusement. À titre de remarque préalable, ce qui est valable pour la sauvegarde d’une portion limitée de l’Église, où les catholiques se trouvent malgré tout en nombre limité, doit être a fortiori valable lorsqu’il s’agit, comme nous l’avons dit, de la survie de la Tradition, et de la vie spirituelle de l’ensemble des catholiques fidèles de toute l’Église.
Les ordinations et les sacres ont été nombreux en secret dans le Goulag, selon la longue tradition de l’Église. Les évêques en perdition dans le Goulag illimité n’ont donc fait que leur devoir de créateurs de sacerdoce et d’épiscopat sans pourparlers avec Rome… Par la suite il a pu y avoir communication de ces cérémonies aux congrégations romaines, comme ce fut le cas pour les ordinations secrètes faites à Dachau par Mgr Piguet, évêque déporté de Clermont-Ferrand. De pareils faits se sont passés en Albanie, selon ce qui m’a été dit (en cachette) surplace. De toutes façons, il y a sur ces cas dramatiques des clartés que l’horizon libère, mais, Ostpolitik oblige, Rome est en mutité sur ce sujet.
En Roumanie, j’ai pu avoir contact (discret) avec un évêque uniate, Mgr Gorcea (est-ce son vrai nom ?) sacré en secret au camp par le métropolite-cardinal Hossiu. Libérés ensemble, ils sont décédés ce jour tous les deux.
En U.R.S.S., il y a eu les sacres par Mgr d’Herbigny : N.N.S.S. Neveu, Sloskans, Frison, Malecki. Celui-là sacra en prison, avant le poteau, les évêques Matulonis et Amoudrou.
En Ukraine, j’ai eu la certitude d’ordinations secrètes, ainsi que de sacres clandestins : Mgr Alexandre Chira, par Mgr Ronya (disparu au Goulag) ; Mgr Vassil Welytchkovski (treize ans de prison puis expulsé, mort au Canada en 1973) ; Mgr Pavlo Vassilik, Mgr Ivan Sémédé, sortis des forêts pour signer avec vingt-trois prêtres, douze religieux et cent soixante quatorze laïcs, une pétition remise le 2 août 1987 à Gorbatchev pour la reconnaissance de leur Église. Ces quatre évêques ont donc reçu leurs pouvoirs au Goulag ou “en forêt’de la main d’évêques incarcérés ou fugitifs, sans lien physique ni postal avec Rome et pour cause, car il fallait absolument pour la permanence de l’Église uniate, un sacerdoce et surtout un épiscopat : il semble que le patriarche Slipyi l’a réalisé au moins cinq fois. Pour cela ilfaut vous adresser (mais il sera peut-être très prudent) au Père… à…
in Abbé François Pivert, Des sacres par Mgr Lefebvre, un schisme ?