Textes de Mère Thérèse de Saint Augustin
Au fil de l’année liturgique
Réflexions générales
Exercice intérieur pour la Fête des cinq plaies de Notre-Seigneur
Conduite pour le saint temps de Carême
Exercice pour la Communion dans la neuvaine de Saint François-Xavier
Exercice pour la Fête de Saint joseph
Exercice pour la Communion pascale
Prière à Jésus crucifié
Exercice pour le temps d’après la Communion
Exercice pour la Communion d’une Fête d’Apôtre
Exercice pour la Fête de l’Exaltation de la Sainte Croix
Prière à la Croix
Exercice pour la fête de l’Ascension de Notre-Seigneur
Exercice pour la Fête de la Pentecôte et pendant l’octave
Après la Pentecôte
Fête-Dieu
Neuvaine à sainte Thérèse de Jésus
Testaments spirituels
Tout au long de son séjour à Versailles, Madame Louise a rédigé au jour le jour ses pensées en suivant le fil de l’année liturgique. Après sa mort, juste avant que n’éclate la Révolution, son confesseur en publia le recueil qu’il dédia à Madame Adélaïde. En 1878, une seconde édition en fut faite, dans le cadre du procès de béatification. Enfin, en 1988 fut adjoint à ces « Méditations eucharistiques » un florilège de conseils et maximes notés par Mère Thérèse de Saint-Augustin à l’intention de ses novices et de ses filles. Retrouvées dans ses papiers après sa mort, ces pensées furent réunies puis classées et publiées sous le titre de « Testaments spirituels ».
Voir aussi la vie de Louise de France, Mère Thérèse de Saint-Augustin
Au fil de l’année liturgique
Que chacune des solennités établies par l’Église pour être des époques plus particulières de sanctification, excite ma ferveur et me suggère de pieuses résolutions ; […] que chaque année soit une suite renouvelée d’exercices et de méditations inspirées et dirigées par Vous-même, pour la gloire de Votre Nom et le salut de mon âme.
Réflexions générales
Il dépendait, Seigneur, de votre volonté souveraine de me laisser pour jamais ensevelie dans les abîmes du néant, plutôt que de m’élever à l’existence, comme vous l’avez fait. Après le bienfait de la vie, vous étiez libre de m’abandonner, comme tant d’autres, aux ténèbres d’une de ces conditions obscures et nulles, selon les préjugés du monde. Eh ! que serait-ce encore de la grâce d’être née, que serait-ce des avantages divers dont il vous a plu de gratifier tous les temps de ma vie, que serait-ce du privilège d’une naissance qui semble me transporter dans une sphère étrangère à la plupart des hommes, si vous n’eussiez placé mon berceau dans un Royaume qui s’honore plus encore du titre de Royaume très-chrétien, que du nom antique et célèbre qui le distingue des autres Empires du monde, où votre nom est adoré,où votre culte est béni, où votre religion sainte compte dans tous les ordres de citoyens, des sanctuaires vivants, et des temples aussi augustes que ceux que vous élève la main des hommes ?
Mais, Seigneur, en me rappelant vos bienfaits, quels souvenirs affligeants viennent en même temps se retracer à mon esprit ! Vous ne m’avez placée dans ce monde que pour être chrétienne ; et j’ai à peine commencé à l’être. À cette vocation générale qui m’est commune avec tout ce qui reconnaît ici la religion de Charlemagne et de saint Louis, vous en avez ajouté une particulière pour moi, celle du haut rang où vous m’avez fait naître : et le dernier peut-être des citoyens qui forment ce vaste Empire, est plus grand à vos yeux que moi. Au milieu des exemples pieux qui m’environnent, au milieu des pièges et des dangers dont je suis investie de toutes parts, quels motifs d’émulation auxquels je me suis trop souvent dérobée ! que d’obstacles à la fois arrêtent encore les saints désirs que vous m’inspirez sans cesse ! Si quelquefois des affections célestes m’élancent vers vous, comme à l’instant les inquiétudes d’un rang qui ne fait pas le bonheur me font retomber au-dessous des résolutions que je prends, et des promesses que je vous fais. D’où me viennent, Ô mon Dieu ! ces agitations pénibles et redoutables pour ma faiblesse : car je le sens trop, je n’ai pas encore mérité de souffrir. Eh, que je suis loin d’apprendre à la mériter ! Ce ne sont pas des épreuves qu’il faut à mon âme : et quoique vous soyez le Dieu de force et de vertu, quoique vos serviteurs ne soient jamais plus puissants, que quand ils sont dans le creuset de la tribulation, ah ! j’ai besoin de ne goûter de votre joug que ses douceurs.
Vous m’avez fait, Seigneur, une âme sensible, et dont l’activité ne peut se reposer que dans votre sein. Tout ce qui est autour de moi semble m’inviter à m’arrêter sur cette terre, en apparence, riante et heureuse : tout ce qui est dans moi me crie qu’elle n’est en effet qu’une terre d’exil et de pèlerinage, et qu’il est ailleurs une patrie qui seule peut être l’asile de la paix, l’image de la félicité. Seigneur, mon âme vous interroge et vous écoute. Venez fixer ses irrésolutions, dissiper ses tristesses et ses langueurs ; venez y assurer à jamais votre empire. Dès mes plus tendres années, mon cœur déjà prévenu par votre grâce, déjà détrompé sur l’éclat trop souvent perfide de ces honneurs, de ces distinctions qui font les grands de la terre, cherchait dans vos tabernacles le calme et la félicité qu’il ne trouvait pas encore la terre. Détachez-le de plus en plus de tous les liens qui pourraient l’y retenir. Dieu, qui commandez aux orages et aux tempêtes, apaisez les troubles intérieurs qui pourraient empêcher votre voix de se faire entendre toute seule au-dedans de moi ; calmez, s’il le faut, jusqu’à mes espérances ; anéantissez en moi jusqu’aux regrets ; remplissez mon âme de cette sérénité pure qui fait le vœu de toutes ses puissances, et qui surpasse tout sentiment. Dieu d’amour et de paix, paraissez pour toujours au milieu de moi ; régnez sur tout mon cœur, et rendez-le digne de vous posséder dans le mystère de votre amour. Que chacune des solennités établies par l’Église pour être des époques plus particulières de sanctification, soit pour moi une occasion de ferveur et de pieuses résolutions : que chacun des intervalles qui les séparent, soit un cercle perpétuel de préparation et d’actions de grâces, pour la participation aux saints mystères : que chaque année soit une suite toujours renouvelée d’exercices et de Méditations, inspirées et dirigées par vous-même, pour la gloire de votre nom, et pour ma sanctification.
Toute ma vie j’aurai donc le bonheur de m’entretenir avec vous, ô mon Dieu ! de converser avec votre grâce qui parlera à mon cœur : bonheur ineffable, dont j’anticipe les jouissances par les vœux les plus ardents ! Esprit saint ! apprenez à mon cœur la science du salut, la science qui fait les Saints, et que vous seul pouvez faire descendre sur la terre ; ramenez à vous le désordre de mes idées, mais surtout renversez l’idole de la vanité ; consumez toute flamme qui n’est pas celle de la charité ; disposez-moi à la célébration des mystères et de l’avènement de notre Rédempteur, en m’inspirant vous-même les obligations que je dois me prescrire, et surtout, en me donnant la grâce de les accomplir. Ah ! si mon cœur venait à oublier ces saintes résolutions, ce papier tout muet qu’il est, s’élèvera contre moi, il m’accusera hautement de mes prévarications, et si je puis devenir un jour infidèle, au moins ne serai-je point parjure au serment que je fais de ne l’être qu’un moment.
Exercice intérieur pour la Fête des cinq plaies de Notre-Seigneur
L’Église nous propose cette dévotion, presqu’à l’entrée du temps qu’elle prescrit plus particulièrement à la pénitence de ses enfants ; et elle le fait pour nous disposer au grand ouvrage de notre réconciliation, par les mérites de Jésus souffrant.
Deux objets d’instruction s’offrent à moi dans la vénération que je dois rendre aux plaies sacrées de mon Dieu et mon divin Rédempteur. J’y apprends d’abord la nécessité d’une vie pénitente à son exemple. J’y découvre ensuite les plus légitimes motifs de ma confiance dans les situations diverses qui pourraient l’ébranler. Leçons de pénitence que me fournissent les cinq plaies de Jésus. IL me les présente comme un maître qui exige toute ma docilité aux lois rigoureuses qu’il a bien voulu s’imposer à lui-même, et comme un modèle qui demande ma plus exacte imitation.
1° La qualité de chrétienne, dont j’ai l’honneur d’être revêtue, me retrace l’obligation la plus pressante de suivre Jésus dans cette voie étroite où il a marché lui-même ; qu’il me l’ouvre par les épreuves qu’il m’enverra, ou par la violence que je ferai à mes inclinations naturelles, ce sera toujours pour moi un devoir indispensable, et auquel me rappellera le spectacle adorable de ces plaies.
2° J’ai péché, et en manquant de fidélité à la grâce, et en négligeant les moyens qu’elle m’offrait pour remplir mes résolutions : une vie sans trouble, sans combats et sans efforts, quand il s’agissait de vaincre mes lâchetés, les a fait souvent succéder à mes plus ferventes promesses. Par ce seul motif, quelle réparation ne suis-je pas obligée d’accepter, et combien la loi en est-elle intime pour moi, quand je contemple les plaies, dont le Saint des Saints est couvert pour mes péchés ?
3° Menacée, comme je le suis, des plus extrêmes dangers, moins peut-être au-dehors qu’au-dedans de moi-même, où pourrais-je trouver un plus sûr préservatif à opposer aux ennemis de mon salut, que dans cet esprit de pénitence qui en a soutenu tant d’autres dans des conditions aussi critiques que la mienne ? Avec ce bouclier, je me tiendrai en garde contre l’orgueil, le poison de toute élévation ; contre l’indolence et la mollesse que suggère une situation sans contrainte ; contre la vivacité des désirs, qui naît du pouvoir attaché à mon rang ; contre une dissipation à laquelle me porterait une imagination difficile à se fixer ; contre une multitude d’autres penchants, dont Dieu a daigné me préserver jusqu’ici, mais que je n’ai pas moins à craindre dans un séjour où tout les flatte, et où tout peut me les rendre funestes. Un regard fréquent sur les plaies de Jésus innocent et inaccessible à tout désordre des passions, m’animera à prévenir et à dompter les miennes, par la conformité à sa pénitence.
4° Les grandeurs de ce monde ne sont pas à l’abri des souffrances. Enfant d’Adam, j’y suis condamnée comme ceux qui naissent dans les plus abjectes conditions ; l’esprit, le cœur, le corps, rien dans moi qui ne soit exposé à ce sort douloureux. Les plaies de l’Homme-Dieu souffrant me feront connaître tout le prix d’une situation si peu au goût de la nature, mais si estimable dans l’ordre de la religion. Je ne me plaindrai point de tout ce qui m’en coûtera dans un état que mon Sauveur s’est choisi par préférence ; j’y mettrai ma gloire par ma soumission, et j’en ferai mes délices par mon amour : que de trésors ne m’attirera point une pénitence volontaire ?
5° Enfin, si les plaies de Jésus ont dû précéder son retour dans sa gloire, je dois être convaincue que, sans les œuvres d’une vie pénitente et mortifiée, je ne puis entrer dans le ciel ; c’est donc par cette vue que je vais, en ce saint temps, accomplir tout ce que l’Église me prescrira d’austères devoirs, au moins y suppléer par la générosité de mes sacrifices intérieurs, par une plus exacte pureté de conscience, par un plus constant recueillement, et par un usage plus fréquent de la prière.
Avec ces dispositions de pénitence, que m’enseignent les plaies de Jésus, et qui m’apprennent dans quel esprit je dois les révérer, je suis autorisée à y placer ma plus tendre confiance.
1° dans mes craintes, dans mes inquiétudes et dans mes perplexités, au milieu des troubles que l’esprit des ténèbres pourrait quelquefois jeter dans mon âme, je réclamerai les mérites du Sang adorable de mon Sauveur, je le conjurerai de me les appliquer pour relever mon courage abattu, pour écarter mes ténèbres, et pour me redonner cette paix, cette force, et cette sévérité, qui sont les fruits de tout ce qu’il a souffert pour moi.
2° Si j’ai à combattre les répugnances de la nature, à porter le joug de l’Évangile, et à remplir les devoirs gênants pour mon amour-propre, je présenterai mes vœux de mon Dieu souffrant ; j’attacherai mes regards à ses plaies et, animée par cette douce contemplation, je prendrai les armes contre moi-même ; j’embrasserai avec ardeur ce qui me sera le plus mortifiant, et j’y éprouverai une onction secrète, qui tempérera toute l’amertume du calice que j’avais tout d’abord tant de peine à goûter.
3° Mes chutes ne doivent jamais être pour moi une occasion de découragement ; je retrouverai toujours, quand je voudrai recourir aux plaies de mon Sauveur, tout ce qui pourra m’aider à fermer les miennes, je m’humilierai en sa présence, je lui avouerai avec douleur mon péché, et je me hâterai de puiser dans son Sang précieux tous les biens de la grâce, de la pureté, de la sainteté, et des autres vertus qui peuvent réparer mes pertes.
4° Trop faible, par moi-même, pour soutenir la durée et les travaux d’une conduite fidèle et persévérante, je ne cesserai aucun jour d’en demander la grâce, par la voix de ces plaies sacrées, qui parlent si constamment et si éloquemment pour moi. Quelle médiation plus propice pourrais-je désirer auprès du cœur dont j’ai à solliciter les miséricordes, et à conserver les faveurs ?
5° L’humiliation, les traverses, et toute autre semblable mortification qui pourrait heurter ou barrer ma propre volonté, ne doivent plus me paraître un fardeau trop pesant à l’amour de moi-même ; qu’il me sera aisé de l’adoucir, quand je rapprocherai ces légères atteintes des plaies qui ont défiguré le corps de l’Homme-Dieu ! Quelle ressource ne trouverai-je pas dans ces divines plaies, pour sanctifier celles qui n’affecteraient que mon orgueil ?
6° L’état éblouissant des plus flatteuses grandeurs de la terre n’aura rien qui puisse repaître ma vanité, dès que je serai attentive à y opposer les dehors ensanglantés sous lesquels la foi me représente mon Roi, mon Dieu. Dans ses plaies, je retrouve tout ce que peut faire la solide grandeur d’une âme chrétienne, son espérance et sa dignité. Non, il n’y aura rien de grand dans moi, que ce qui m’apetissera avec mon Jésus, ce qui me rendra l’imitatrice de l’état humiliant et douloureux, qu’il expose à ma vénération dans ces cinq principales plaies.
7° Ainsi dois-je le penser pendant ma vie. Ainsi me disposerai-je à le penser à la mort. Honneurs, distinctions, rang supérieur, auguste naissance, prééminences, prérogatives glorieuses, tout m’échappera à ce dernier moment. Jésus crucifié seul me restera, et dans ces plaies sacrées, je retrouverai mon unique richesse. Je les reverrai avec confiance, mille fois j’y appliquerai mes lèvres et mon cœur ; je m’y retirerai, m’y cacherai, je m’y défendrai contre tous les traits de sa justice, et j’y lirai tout ce que j’aurai à espérer de sa miséricorde ; il les conserve au ciel pour la consolation et la gloire des Saints. Puissent-elles un jour y devenir pour moi les mêmes sources de bonheur, et dès ce moment, préparer, par leurs puissants mérites, mon âme à cette béatitude éternelle et ineffable !
Antienne. Il est véritablement chargé de nos maux, et il a essuyé toutes nos douleurs.
Verset. Et ils ont percé mes mains et pieds.
Répons. Et ils ont compté tout mes os.
ORAISON
Ô mon Dieu ! qui par la passion de Notre-Seigneur, votre Fils unique, et par le Sang qui a coulé de ses cinq plaies, avez racheté les hommes perdus par le péché ; accordez-nous, nous vous en supplions, qu’après avoir révéré sur la terre les plaies qu’il a acceptées, nous puissions recueillir au ciel les fruits de ce Sang adorable, qu’il a versé pour nous. Ainsi soit-il.
Conduite pour le saint temps de Carême
Les six semaines de pratiques intérieures auront pour objet les circonstances principales de la passion de Notre Seigneur. Ainsi partagées dans diverses considérations, elles fourniront une matière d’exercices, propres à nourrir la piété, et à sanctifier même l’extérieur.
Première Semaine. Jésus pénitent au jardin des olives.
Pratique Prières accompagnées de la contrition
Deuxième Semaine. Jésus trahi par un de ses Disciples.
Pratique. Sentiments de défiance de soi-même.
Troisième Semaine. Jésus accusé devant les tribunaux.
Pratique. Silence sur ce qui n’intéresse que l’amour-propre.
Quatrième Semaine. Jésus essuyant la flagellation.
Pratique. Mortification des sensualités corporelles.
Cinquième Semaine Jésus couronné d’épines.
Pratique. Acceptation de tout ce qui affligera l’âme ou le corps.
Sixième Semaine. Jésus portant sa croix.
Pratique. Soumission dans le cœur, et réserve dans les plaintes.
Vendredi Saint. Jésus attaché à la croix.
Pratique. Sacrifice de la propre volonté.
Samedi Saint. Jésus dans le tombeau.
Pratique. Retranchement de tout éclat qui n’est pas le devoir. Tous les vendredis une amende honorable aux pieds de Jésus crucifié, en réparation de tous les abus de grâces.
Adoration à la Croix tous les vendredis de Carême
Antienne. Nous vous adorons Ô Jésus ! et nous vous bénissons, parce que vous nous avez rachetés par votre Sainte Croix.
Verset. Ô vous qui avez souffert pour nous !
Répons. Seigneur, ayez pitié de nous.
ORAISON
Regardez, nous vous en prions, Seigneur, regardez dans votre miséricorde, cette famille qui vous appartient, et pour laquelle notre Sauveur Jésus-Christ a bien voulu s’abandonner à la cruauté des méchants, et subir le tourment de la Croix. Ainsi soit-il. Antienne. Ô Marie ! montrez-vous toujours à nous comme une tendre mère ; présentez pour nous nos prières à celui qui, en devenant votre fils, s’est rendu notre Sauveur.
Verset. Seigneur, remplissez des grâces du salut
Répons. Votre Servante qui espère en vous.
Oraison
Préservez, ô mon Dieu ! nous vous en supplions, par l’intercession de Marie toujours Vierge, votre Servante LOUISE-MARIE, de toute adversité, et que celle qui vous est dévouée de tout son cœur, soit à l’abri de toutes les embûches des ennemis de son salut. Ainsi soit-il.
Exercice pour la Communion dans la neuvaine de Saint François-Xavier
Je me préparerai à cette sainte action, en demandant à notre Seigneur la grâce de profiter des leçons et des exemples de ce grand Saint ; c’est un des appuis les plus nécessaires à ma confiance et à ma dévotion. L’imitation des Saints assure le succès des prières, qu’ils portent pour nous au trône de la miséricorde.
1° Je réfléchirai d’abord sur ces importantes paroles de Jésus-Christ, qui décidèrent la conversion de Saint Xavier : Que sert à l’homme de gagner l’univers entier, s’il vient à perdre son âme ? De cette vérité bien méditée, je conclurai qu’il n’y a rien de précieux et d’estimable pour moi dans ce monde, qu’autant que j’y trouverai un moyen de salut ; que la plus haute élévation est indigne de fixer mes regards, si elle m’écarte de ce que je dois au plus cher de mes intérêts ; et que tout est condamnable dans mes sentiments et dans mes actions, si je ne les rapproche de cette fin principale que j’ai à remplir sur la terre, en aimant et en servant Dieu de tout mon cœur et au-dessus de tout.
2° Je me rappellerai ensuite avec quelle fidélité le Saint s’applique à suivre l’oracle du Sauveur, et quel divorce il fit avec le monde et tout ce qui pouvait y flatter sa vanité. Si je ne suis pas appelée à un genre de sacrifice aussi éclatant, je tâcherai de me bien con vaincre de l’obligation où je suis de combattre cet ennemi secret dont les artifices semblent plus inévitables dans le centre des grandeurs, cet amour-propre que tout y flatte et y nourrit. Je me dirai souvent à moi-même que rien n’est bon dans moi que ce que Dieu y peut aimer.
3° Ce ne fut point dans le nouveau pénitent un de ces accès passagers de ferveur qui se borne à ne rompre qu’en partie avec le péché, ou à conserver, jusque dans la pénitence, les restes d’une vie molle et paresseuse. Il se sépare sans réserve de tout ce qui a été dans lui l’occasion et l’amorce de ses infidélités, et pour mieux s’assurer du changement parfait de son cœur, il embrasse tout ce que l’humilité et la mortification ont de plus opposé à son ancien orgueil, et à son attachement déréglé pour son corps… Je reconnaîtrai sur ce modèle combien j’ai à me défier de toutes mes dispositions de constance dans le bien, lorsque je ménage quelqu’une des sources ordinaires de mes fautes, ou quand je n’y applique point les remèdes qui peuvent les guérir, les affaiblir au moins, et toujours les prévenir.
4° De tous les prodiges du zèle de Saint Xavier pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, je choisirai ceux qui me conviennent le plus dans l’état distingué où le Ciel m’a fait naître. Je me fixerai aux enseignements qu’il a adressés dans les cours d’Europe et d’Asie ; avec quelle vertu divine ne s’y est-il pas élevé contre les vices qui y régnaient ? Et avec quel succès n’y a-t-il pas fait succéder la pureté chrétienne, le détachement des grandeurs, la bonne foi, la sévérité évangélique, les œuvres de miséricorde, l’assiduité à la prière et aux Sacrements ? Il n’y a aucun de ces devoirs que je ne puisse m’approprier, ou faire passer au prochain par mes exemples et par l’ardeur de mes demandes auprès de Dieu. Toujours ce dernier moyen peut m’être aussi familier qu’il l’a été pour tant d’autres placés dans la même situation que moi.
5° Lorsque je ferai attention aux immenses travaux, aux fatigues, aux contradictions et aux souffrances que Saint Xavier a essuyé pour convertir les pécheurs, les hérétiques et les idolâtres, que ne dois-je pas penser du prix des âmes ? Ce qu’il en pensait sans doute, quand il considérait chacune d’elle comme la conquête du sang d’un Dieu. Quelle estime n’en dois-je pas faire moi-même à l’égard du prochain, d’abord en l’édifiant, en le ramenant à Dieu par l’usage de mon autorité, de mes conseils, et de tout autre secours de ma charité, quand la Providence m’en offre la vue et les moyens ; et toujours ensuite à l’égard de moi-même, en ne souffrant jamais que mon âme s’avilisse, ni se dégrade par aucun péché volontaire, et en travaillant à la purifier par la grâce des Sacrements autant que par l’exercice des vertus.
6° La tendre dévotion du Saint pour J.C crucifié réveillera la mienne. Comme lui, j’en ferai le devoir le plus cher à ma conscience, un moyen de courage contre les assauts et les tentations, un objet de consolation dans les peines, une ressource d’abandon et de résignation dans les sacrifices, une instruction continuelle de reconnaissance et d’amour dans les sécheresses et les langueurs de ma piété.
7° Enfin, en m’attachant au souvenir de tant de faveurs de toute espèce, obtenues du Ciel par l’intercession d’un médiateur si chéri de Dieu, que de motifs ne sentirai-je pas de le choisir pour un de mes anges tutélaires auprès du Seigneur ? Aussi chaque jour, et spécialement pendant cette neuvaine, je lui adresserai mes hommages, je lui représenterai mes besoins, je le conjurerai d’être l’interprète aux pieds du Sauveur, de tous les désirs que je forme, d’être toute à lui pour le temps et pour l’éternité.
PRIÈRE
Divin Jésus qui nous avez aimés jusqu’à mourir pour nous sur la croix, et qui ne cessez encore de nous appliquer les effets de cette miséricorde bienfaisante, soyez béni de toutes les grâces que vous avez communiquées au Saint qui fait aujourd’hui l’objet de notre confiance auprès de vous, aussi bien que de celles que vous avez daigné nous départir par son intercession. Vous avez glorifié ce serviteur fidèle aux yeux des hommes ; il est devenu l’homme de votre droite par le don des miracles qui l’a honoré pendant sa vie et après sa mort ; vous continuez d’écouter la voix de ses mérites, en faveur de tous ceux qui les réclament ; voilà, Seigneur, les titres sur lesquels j’ose établir tous les vœux que je viens répandre devant vous dans cette neuvaine. Votre amour y sera sensible, parce que vous ne désirez que de les exaucer.
J’ai besoin, et je le reconnais, d’une médiation puissante qui supplée à toute mon indignité, et je l’emploie en vous offrant vos propres bienfaits, tous ces prodiges que vous avez opérés par le ministère de Saint François Xavier. Ne refusez pas, ô mon Dieu ! de reproduire, en ma faveur, quelques-uns de ces présents de votre bonté ; je vous demande moins encore ce qui a été salutaire pour le corps, que ce qui a procuré la guérison des âmes. Donnez à la mienne une vertu nouvelle qui l’affermisse dans votre amour, qui la précautionne contre tous les dangers de perdre votre grâce, qui la rende sensible à cette clémence dont elle éprouve sans cesse les fruits divins, qui la dispose en ce moment à une digne participation de votre corps et de votre sang. Vous connaissez, ô mon Dieu ! tout ce qui doit encore intéresser les désirs de mon cœur ; il me suffit de les exposer au vôtre ; vous daignerez les couronner de toutes les bénédictions que sollicite mon ardente confiance, et qu’implore pour moi mon saint intercesseur, sous les auspices de la plus pure des Vierges, et des neuf chœurs des Anges.
Exercice pour la Fête de Saint joseph
Je considérerai dans Saint Joseph un homme juste sur lequel la Providence s’est reposée, et un homme fidèle qui s’est reposé sur la Providence.
1° La Providence s’est reposée sur Saint Joseph en lui confiant le plus glorieux ministère. Quel trésor confié à ses soins ! un Dieu même sous le voile de l’enfance ! Quelle vigilance aussi, quelle tendresse attentive à la conservation de l’inestimable dépôt dont il est chargé ! Que ne dois-je pas moi-même de circonspection pour défendre contre les ennemis du salut, Jésus, ses grâces, et son amour, lorsque je l’ai recouvré dans le tribunal de la pénitence, ou que je le possède dans la communion ?
2° La Providence instruit Saint Joseph des voies qui doivent disposer Marie à la maternité divine et des hautes vertus qui font déjà d’elle un objet de complaisance aux yeux de Dieu. Quel respect le chaste époux de la Sainte-Vierge n’a-t-il pas pour les vues du ciel, et pour celle qui y servira de coopératrice ? C’est la loi que m’impose mon rang à l’égard de toute personne qui fait profession de piété. Plus j’y reconnais les bienfaits de Dieu, plus je dois y placer mon estime et ma protection.
3° La Providence annonce à Saint Joseph, par la voix d’une Ange, ces grands mystères, il les garde dans un profond secret ; son silence dans ces conjonctures, fait l’éloge de sa sagesse. Je me repentirai rarement d’avoir parlé peu, et presque toujours d’avoir trop parlé.
L’indiscrétion ou l’excès des paroles n’est point d’ordinaire un mal indifférent dans ceux qui sont élevés au-dessus du commun des hommes. Je m’attacherai à considérer l’abandon de Saint Joseph à la Providence ; et j’en découvrirai plus particulièrement les traits marqués, lorsqu’il reçut l’ordre de dérober l’Enfant Jésus et sa Sainte Mère à la persécution d’Hérode. Dans cette circonstance combien se présente-t-il d’instructions pour l’obéissance que je dois à la voix de Dieu !
La soumission de l’homme fidèle est prompte, généreuse et entière.
1° Soumission prompte. Le Ciel s’explique par l’organe de l’Ange ; Joseph ne réplique point, il impose silence à tous les préjugés de sa raison, il ne met aucun délai entre l’ordre qui lui est donné, et l’obéissance qu’il lui doit. Dieu lui parle : c’en est assez, il se détermine aussitôt à obéir et il s’abandonne sans prétexte, comme sans réserve, à la conduite de la Providence. Telle doit être mon obéissance à la voix de Dieu : qu’il me parle par ses avertissements intérieurs, ou par le ministère de ceux qui tiennent sa place auprès de moi ; par l’autorité de sa loi, ou par les lumières de ma conscience, il ne m’est pas permis de différer à suivre sa voix : tout refus d’une correspondance aussi prompte qu’universelle, ne serait qu’illusion d’une préférence dangereuse que je donnerais à ma volonté propre, aux dépens de celle de Dieu. De ces délais naîtraient mon indécision pour le bien, et peut-être hélas ! une facilité à tomber dans le mal.
2° Soumission généreuse. Que de difficultés s’offraient à Saint Joseph pour prendre le parti de la retraite qui lui était ordonné ! Ne pouvait-il pas craindre la fureur d’un ennemi obstiné à découvrir, par toutes sortes de voies, le trésor qu’il devait dérober à ses recherches ? Que de risques dans la nouvelle route ! Quels moyens d’y parvenir ? Quelles ressources pour s’y fixer, pour s’y cacher ? Tous ces obstacles ne l’épouvantent point ; son obéissance, sans lui en dissimuler aucun, lui donne la force de les surmonter tous… Dans la suite des sacrifices, qu’une conduite décidée pour la piété pourra m’imposer, je dois m’attendre à essuyer au-dedans et au-dehors de moi des difficultés capables de m’effrayer.
Comment dois-je me comporter dans ces circonstances critiques ? Avec une résolution et un courage qui, sans me déguiser ma faiblesse, me fasse tout attendre de Dieu… La vue d’un Maître qui ne me demande rien d’impossible, qui m’aime, et qui est toujours prêt à me secourir, me soutiendra ; et avec cette conviction de ma force, que n’aurai-je pas droit d’espérer de son secours ? Que n’entreprendrai-je point malgré toutes les oppositions du monde, malgré les résistances, plus fortes peut-être encore, de mon propre cœur ?
3° Soumission entière. Fidèle dépositaire du plus précieux de tous les biens, Joseph ne pense qu’à le conserver. Qu’on lui ordonne de s’expatrier, de sacrifier toutes les ressources d’une occupation, qui, toute vile et obscure qu’elle est, fournissait à ses besoins, de s’éloigner de ses proches et de ses amis, d’exposer à une marche pénible un tendre Enfant, et une Mère dont il connaissait tout le mérite aux yeux de Dieu ; qu’on lui demande d’accepter tant d’épreuves, toutes si sensibles, il s’y soumettra avec respect ; il y adorera les desseins de la Providence, sans vouloir les pénétrer ; et il n’omettra aucun des devoirs que le Ciel lui prescrira… Ah ! que j’aime Dieu au-dessus de tout ce qui peut le plus m’attacher sur la terre, et je ne mettrai plus de réserve dans les démarches que son service exigera de ma fidélité ; je ne me donnerai point à lui avec partage ; celui qui s’est donné tout entier à moi, mérite bien que je sois tout entière à lui ! Une considération humaine, un timide regard sur le monde et ses décisions, m’exposeraient bientôt au sort des lâches disciples de Jésus-Christ. Je ne le conserverai dans mon cœur, qu’autant que mon amour ne refusera rien à celui qu’il a pour moi-même. Je le conserverai donc toujours puisque désormais mon amour tâchera d’être égal au sien.
Prière à Saint Joseph
Ô vous que la Providence favorisa des plus glorieuses prérogatives, grand Saint, qui sûtes répondre avec tant de fidélité aux desseins de sa profonde sagesse, vous, le tuteur et le dépositaire de l’enfance de mon divin Sauveur, chaste époux de la plus pure des Vierges, serviteur vigilant, nommé par Dieu même, pour être la protecteur et le guide de la plus auguste famille ; vous que le Très-Haut initia à la connaissance de ses mystères le plus intimement reculés dans son essence infinie, digne, autant qu’une créature peut l’être, des révélations qu’il plut à la Majesté suprême de vous communiquer : oh ! que de droits vous donnent à ma confiance et à mes respects ces titres puissants et multipliés, auxquels je reconnais l’effusion et l’abondance des grâces de l’Esprit-Saint envers vous ! Oui, chacune de ces faveurs qui vous furent dispensées par l’Eternel doit être pour moi autant d’appuis aux vœux que j’adresserai au trône de la divine miséricorde. Quelque multipliées que puissent être mes misères, j’en espérerai la guérison du moment où vous daignerez me servir de Patron.
Ce Jésus, votre Fils sur la terre, pourrait-il se refuser à vos demandes ? Il vous aima comme son Père, il vous couronne aujourd’hui dans les Cieux d’un diadème immortel : il ne mettra de bornes à ses dons, que celles que vous-même vous aurez mises à votre intercession. Dans le jour consacré à la mémoire de vos triomphes, attendez tout de l’affection éternelle que promit à vos tendres soins l’Enfant auguste, échappé, sous votre conduite, à la barbarie d’Hérode. Prêtez pour organe à mes besoins, comme à mes désirs, prêtez cette voix qui le guida dans les premières années de sa vie cachée, et dont, au milieu de ses ineffables splendeurs, il agréera pour moi les vives sollicitations : unissez, puissant Médiateur, votre zèle pour mon salut à celui de votre miséricordieuse épouse. Obtenez-moi l’une et l’autre quelque légère participation au trésors de grâces dont vous fûtes enrichis, et le bonheur d’y correspondre, autant par la pureté de mon cœur, que par la sainteté de mes actions, qui sera pour vous-mêmes un surcroît à la félicité dont vous jouissez au sein des chastes embrassements de votre Fils.
Présidez à tous les événements que la Providence me ménagera dans la suite d’une vie dont je commence à redouter les grandeurs et les écueils, à toutes les situations où m’appellera sa volonté sainte, à tous les desseins qu’elle aura sur moi. Puissé-je, à votre exemple, ne cesser jamais de la glorifier par ma soumission, par tous les efforts de l’amour et de la vertu ! Puissé-je et vivre et mourir comme vous, entre les bras de Jésus et de Marie !
Exercice pour la Communion pascale
Je viens de lire encore les terribles anathèmes que profère le grand Apôtre contre les Chrétiens indignes d’un nom aussi saint, profanateurs sacrilèges du plus redoutable des mystères, et qui changent le pain de vie en un pain de malédiction et de mort. Grand Dieu, terrible dans vos châtiments, comme vous êtes infini dans vos miséricordes ! Qui suis-je pour oser m’approcher de cette table auguste que les Chérubins, accoutumés à contempler vos perfections, n’envisagent qu’avec un religieux tremblement ? Est-ce pour moi que vous avez préparé le banquet, destiné à nourrir vos élus ? Ou ne serai-je qu’un de ces conviés, exclus de la salle du festin, pour y être entrés sans la robe nuptiale et précipités, au sortir de là, dans ces lieux de ténèbres et d’horreurs où le plus grand supplice est celui d’être condamné à ne vous voir jamais.
Alternative effrayante ! Tant de trésors d’un côté, tant de nudité de l’autre, tant de communions, et si peu de réforme ! Tant de grâces et si peu de correspondance aux insignes faveurs dont vous me prévenez, dont vous daignez combler, ô mon Dieu ! la plus indigente de vos servantes ! Ah ! pour réparer, dans une seule, le défaut de toutes mes communions précédentes, (car qui pourrait prescrire des limites à la miséricorde d’un Dieu mort pour mon salut ?) je vais m’appliquer à rentrer au fond de mon âme, pour interroger et juger toutes ses dispositions : présidez vous-même, ô divin Sauveur ! à cet examen, éloignez-en l’amour-propre, la vaine complaisance pour moi-même, l’indifférence ou la tiédeur dans l’exécution du ferme propos que vous m’aurez inspiré. Combien n’ai-je pas reçu de grâces depuis ma dernière Communion Pascale ? De quelle manière y ai-je répondu ? Que dois-je faire pour en réparer ou pour en prévenir les abus ? Chacune de ces réflexions porte l’effroi dans mon cœur : mais ne crains pas, ô mon âme ! de les approfondir ! Et vous, ô Dieu sévère, mais toujours bon ! vous qui sondez les reins et les cœurs, daignez compter pour quelque chose l’épouvante, dont elles me pénètrent, afin que les impressions ne m’en soient point inutiles.
- Avec quelle prédilection la bonté de Dieu n’a-t-elle pas continué à manifester ses dons sur moi! Tout ce qu’elle m’inspire de courage pour soutenir le plan de conduire que j’ai eu le bonheur d’embrasser; la force dont elle m’anime pour résister aux assauts du dehors autant qu’aux dégoûts et aux aridités intérieures ; les lumières qu’elle a versées dans mon âme, pour m’éclairer dans certaines circonstances critiques et délicates, où ne pouvait manquer d’échouer ma malheureuse nature abandonnée à sa propre faiblesse ; les réflexions salutaires que la grâce m’a inculquées avec une éloquence si vive sur la brièveté de la vie, sur les difficultés du salut, dans un monde où la corruption se masque sous les dehors de la simplicité, où le crime se déguise sous les attraits naïfs de l’innocence, et où la vertu même est un danger, sur la vanité des jouissances humaines, le néant de toutes ces grandeurs importunes qui m’environnent ; les spectacles successifs, si variés et si frappants, qui m’ont été offerts par la Providence, comme un cours d’instructions les plus pressantes, les plus efficaces ; une suite d’événements de toute espèce, qui, depuis ma première éducation, ont été autant de voies, ménagées par la miséricorde divine, pour me tenir sans cesse en garde contre les illusions de la prospérité, et me fixer dans la route glissante du bien ; une fermeté de caractère qui ne m’a été donnée du Ciel que pour me rendre plus inexcusable dans mes inconstances ; une conscience qui ne tarde point à se faire entendre à mon cœur aussitôt que je cesse d’être docile à la loi ; tant de secours précieux, puisés dans la prière ou dans mes méditations, dans les revers journaliers de ma vie, dans les lectures pieuses, dans les instructions secrètes ou publiques, dans les exemples religieux, dans les Communions fréquentes, et dans la sainte ardeur qui m’y portait ou m’y accompagnait par intervalles, dans la dispensation des trésors de l’Église au Jubilé ; ces affections tendres, ces délices ravissantes, joies ineffables auxquelles mon âme ne pouvait suffire, et que votre main libérale versait avec profusion dans le calice des amertumes et des douleurs ; voilà un détail abrégé des faveurs que j’ai reçues, et dont je suis comptable.
- Que d’humiliants retours sur moi-même m’offre la vue et le souvenir des abus que j’ai si souvent eu le malheur d’opposer à tant de grâces! Hélas! je ne vois en général dans toute ma conduite spirituelle qu’une suite coupable d’indifférences et d’infidélités. Ai-je respecté tant de biens et de richesses intérieures comme les fruits de son Sang adorable ? Les ai-je chéris comme les gages de son amour ? Me suis-je appliquée à les conserver comme des trésors confiés à mes soins pour les faire valoir, ou du moins pour ne les point condamner aux ténèbres ? Quels ont été mon exactitude et mon empressement à acquitter les sacrifices qu’ils m’imposaient ? Comment ai-je apprécié des ressources qui devaient être pour moi des moyens de victoire et salut ? Loin d’en profiter, ne les ai-je pas combattues ces grâces précieuses, lorsqu’elles me rappelaient à des devoirs gênants pour mon indolence, contraires aux intérêts de ma vanité ?
Je crains de m’étudier encore, je rougis de me connaître ; mais coupez, tranchez, ô médecin charitable, parce que vous êtes sévère d’un cœur que vous voulez guérir en le blessant ! N’ai-je pas préféré de temps en temps la vivacité de mes désirs naturels au langage secret de justice, de charité, d’humilité, de mortification qui exigeait de ma part des efforts et des combats ? Quelle attention ai-je apportée à solliciter ces secours puissants, les seuls suppléments capables d’aider ma faiblesse, et de remplacer mon impuissance ? Que de dettes nouvelles ajoutées à des obligations contractées si solennellement ! que de tiédeur, que de légèretés, d’irrévérences, de distractions trop volontaires dans la prière, jusqu’aux pieds des autels, jusqu’à l’ombre du sanctuaire ! Au lieu d’y trouver les forces qui m’étaient nécessaires, et que la grâce me présentait, j’allais trop souvent n’y chercher que des titres nouveaux de condamnation.
Le récit, la lecture de la divine parole n’ont-ils pas été pour moi des exercices sans fruit, par les inattentions de l’esprit, ou par la langueur des affections, par l’absence du cœur ? Me suis-je toujours sérieusement attachée à’examiner, à me suivre de près, à développer tous les motifs habituels qui dirigent mes actions, à peser dans la balance du sanctuaire mes iniquités, à les détester toutes, à les prévenir par des préservatifs nécessaires, à les réparer par les saintes mortifications de la pénitence, par les humiliations et les douleurs d’un repentir sincère ? N’ai-je point eu peut-être plus de répugnance à les accuser, que de contrition en les pleurant ? Et mes communions… Oh ! serais-je du nombre, du grand nombre des profanes, qui, en recevant le Corps du Sauveur, ne font que manger et boire leur propre jugement et leur condamnation ? Mes confessions m’ont-elles rendue plus humble, plus patiente, plus détachée de moi-même ; moins esclave du respect humain, moins sévère à l’égard du prochain ?
Quand il serait vrai, comme l’amour-propre est si empressé de me le persuader, que je ne trouvasse en moi que peu de mal, quel bien puis-je me répondre d’avoir fait ? s’il n’y a point d’écart sensible, quels progrès aussi y a-t-il dans la vertu ? Quels rapports y a-t-il entre ce que je suis et ce que la grâce devrait m’avoir fait ?
III. Touchée et confuse comme je dois l’être à la vue de ce que je suis devant Dieu, je m’appliquerai désormais à réparer l’abus de tant de grâces, par le saint usage de celles que va me procurer de nouveau la communion pascale. La confession qui la précédera servira d’abord à corriger tout ce qu’il y a eu d’imparfait dans mes préparations, soit éloignées, soit prochaines, dans l’accusation et la douleur du péché, dans la résolution et la satisfaction qui doivent justifier la sincérité de mes regrets ; tant d’autres défauts qui ont donné lieu habituellement aux rechutes dans les mêmes infidélités.
Après quoi je consacrerai ma communion à venger Notre Seigneur de toutes les participations infructueuses que j’aurais eu le malheur de faire de son Corps adorable. Je le conjurerai de ranimer ma foi, mes désirs, ma confiance, mon amour et ma reconnaissance ; j’abjurerai, à ses pieds, toutes mes misères passées : je les détesterai de nouveau ; mille fois je lui protesterai que je craindrai mille fois plus qu’aucun des maux de ce monde, que tous les maux de ce monde à la fois, la résistance à ses grâces, l’abus de ses grâces, la perte de ses grâces.
Pour effectuer ces projets, heureux fruits d’une Pâque chrétienne, je m’armerai contre moi-même d’une sage défiance ; en me rappelant ma faiblesse, je sentirai plus vivement le besoin de m’appuyer sur un cœur le plus miséricordieux, le plus compatissant, toujours ouvert, comme il nous en assure lui-même, pour recevoir dans ses immenses plaies l’âme pécheresse qui vient y chercher le remède à ses infirmités. Fidèle à me mettre sous sa sainte présence, à l’invoquer par de tendres aspirations, à lui dévouer mes affections les plus sensibles, à lui faire hommage de mes pensées, de mes sentiments, de mon existence tout entière, je trouverai dans son indulgente charité, et dans l’ardeur de mes efforts le secret de cimenter mon union avec lui, de la rendre inébranlable.
Oh ! Dans quel délicieux avenir j’aime à me porter ! Mes prières toujours préparées par l’exercice de la présence de Dieu, à laquelle je m’élèverai par intervalles, ne souffriront plus ou de la vivacité de mon imagination, ou de la malheureuse dissipation qu’entraînent presque nécessairement des rapports étendus avec le monde, ou de la trop grande occupation de moi-même. Cette pratique du recueillement, devenue ainsi habituelle, me rendra chers tous mes devoirs de religion, elle en fera les premiers de mes besoins, mes seuls besoins. Nulle atteinte de dégoût et de paresse ne m’exposera plus à la funeste ressource de les abréger pour les trouver moins longs, moins pénibles. Je saurai remplir avec une humble condescendance tous les engagements de sujette, d’enfant, de maîtresse, de chrétienne. La plus sévère circonspection veillera sur tout mon extérieur, présidera à mes conversations, à mes loisirs, à mes occupations diverses, aux détails de mes affaires, à l’usage de ma protection, à mes devoirs de charité, aux entreprises de zèle que Dieu me suggérera pour sa gloire et pour le salut du prochain ; elle me consolera de la supériorité de mon rang. Etre avec Jésus ! Etre toujours avec Jésus ! Une simple mortelle est-elle capable de ce bonheur ?
Prière à Jésus crucifié
Vous m’avez, aimée, divin Jésus. Les plaies dont votre Corps sacré est couvert ; ce sang qui coule en abondance de vos membres défaillants ; cette Croix où vous expirez, cette Croix, au pied de laquelle je vous adore, tout m’annonce les sacrifices, les miracles de l’amour ; ce n’est pas sur le Calvaire seul que vous avez consenti à perdre la vie ; hélas ! mes péchés ont plus d’une fois renouvelé dans mon cœur vos supplices et votre mort. Victime éternelle du genre humain, votre amour renaît sans cesse, inépuisable, immortel.
Toutes ces grâces qui n’ont cessé jusqu’ici de m’inviter, de m’appeler, d’une manière si pressante, à votre service, ce sont les fruits de tant d’humiliations et de douleurs auxquelles vous avez bien voulu vous soumettre pour moi. Les mérites infinis de votre Sang sollicitent à chaque instant en ma faveur, et font découler sur moi les richesses de votre sacrifice. Voilà ce que je dois me rappeler en parcourant toute la suite de mes années ; chacune d’elles est marquée par un trait distinctif d’une prédilection particulière pour moi. Déjà la plus ingrate de vos créatures, si je venais à oublier vos bienfaits passés, de quelles expressions pourrais-je peindre et caractériser l’indifférence ou l’oubli de ceux que vous daignez m’accorder aujourd’hui ? Depuis ma dernière Pâque, que de saints retours ! Que de généreux sentiments ! Que de dispositions aux vertus chrétiennes ont accompagné mon union avec vous, Seigneur, dans la prière et dans les sacrements ! Que de reproches affectueux vous m’avez fait entendre sur mes infidélités anciennes ! Combien d’impulsions secrètes m’ont animée, agrandie ! Il semble que vous m’ayez donné un cœur de plus, pour vous l’offrir tout entier, et vous aimer encore davantage. Oubliez, oubliez vous-même, ô mon Jésus ! que j’ai pu cesser un moment d’être à vous. Je me trouverais trop vile, trop malheureuse d’y penser, et je ne veux pas que rien trouble à présent la joie d’être à vous.
Exercice pour le temps d’après la Communion
Me bornerai-je à de simples actions de grâces pour exprimer les bienfaits dont Jésus-Christ m’a comblée, en daignant s’incorporer à moi ! La reconnaissance la plus vraie que je puisse lui promettre, c’est l’obéissance à sa voix qui se fait entendre si puissamment dans mon cœur. Ma conduite intérieure et extérieure doit donc être l’image de ces bienfaits, et l’imitation, autant qu’elle dépend de moi, des prodiges au milieu desquels il s’est donné à mon cœur. Le plus grand, le plus glorieux de ces prodiges, celui qui les couronne tous, est sans doute le miracle de sa résurrection. Comme la sienne, ma résurrection à la grâce doit être vraie et durable.
1° Je dois appréhender d’abord de m’être fait illusion à moi-même, si je me suis bornée dans les temps du deuil et de la pénitence aux dehors de la régularité qu’elle impose alors plus spécialement à ses enfants. Oui, peut-être ai-je donné plus de suite et de loisir à la prière, à la retraite, à la méditation des douleurs de Jésus souffrant ; à l’examen secret de mes imperfections, à la fréquentation des Temples, à l’assiduité aux pieds des Autels, aux sentiments affectueux qu’opèrent nécessairement, dans une âme sensible, les grands spectacles offerts par la religion. Mais, hélas ! combien ignorerais-je mes vrais intérêts, si je réduisais à ces uniques témoignages la garantie de ma résurrection spirituelle !
2° Elle demande de moi des effets, et non plus seulement des préparations ; une réforme véritable, et non plus des résolutions, un passage réel à un état de vie, et non plus de simples moyens pour sortir d’un état de mort.
3° Les réflexions que j’ai faites sur tant de grâces passées, dont la bonté divine m’a prévenue, et sur les grâces actuelles, dont il vient de me gratifier, ne me permettent plus de me dissimuler la prédilection de son amour, et les obligations nouvelles qu’elle m’impose. Or, une vertu commune qui consisterait à écarter quelques fautes plus marquées et plus habituelles, ce n’en est point assez pour répondre aux vues du Seigneur sur moi. Je le sens : il m’appelle à quelque chose de plus élevé, et qui m’attache plus particulièrement à son service. Ce qu’il veut, ce qu’il exige de moi, c’est une conformité plus exacte à la morale de l’Évangile qui a dit : que celui qui veut être à moi porte sa croix et qu’il me suivre. Votre croix ! ô divin Jésus ! époux désiré, époux adoré de toutes les puissances de mon âme ! Ah ! faites-la paraître à mes regards ! que je l’embrasse, que je m’y tienne attachée, oui, et pour ne la quitter jamais ; est-ce sur le Calvaire que vous m’attendez ? Indiquez-moi la route qui y conduit, et vous allez m’y voir à vos côtés.
4° Mais, hélas ! si vous ne m’avez point honorée d’une vocation aussi sublime, j’ai toujours à remplir d’importantes obligations. La solidarité de ma dévotion exige que j’obéisse à tous les devoirs de ma religion et de mon rang, avec toute la ferveur, toute l’exactitude, tout l’amour et toute la pureté d’intention qui peuvent en rehausser le prix aux yeux de Dieu. C’est à quoi m’aideront une délicatesse de conscience, qui me fera craindre jusqu’à l’ombre du péché ; une sévérité qui m’empêchera d’en commettre un seul de propos délibéré, une attention prompte à m’humilier devant Dieu, aussitôt que j’aurai le malheur d’en commettre quelqu’un, une vigilance exacte à en prévenir, à en éloigner toute occasion.
5° Un autre moyen que vous m’inspirez, ô mon Dieu ! pour acquérir cette piété solide, c’est le soin que j’aurai de m’unir plus fréquemment à Dieu dans la Méditation, dans les Sacrements, dans l’exercice de sa présence. Par là, j’apprendrai à le connaître, et à me connaître moi-même. J’y trouverai tous les secours nécessaires pour travailler à un plus grand détachement de moi-même, au renoncement, à tout ce qui flatte d’ordinaire ma vanité et mon amour-propre, cet ennemi si dangereux et si commun de la piété ; à la mortification de ma paresse et de mon indolence ; à l’humilité qui, par la vue de mes faiblesses, m’apprendra à compatir à celles du prochain, à l’indifférence pour toutes les grandeurs qui m’environnent, dès qu’elles me feraient oublier Celui auquel elles doivent essentiellement se rapporter !
6° En agissant par cet esprit de Dieu, je n’en serai pas moins attentive à remplir tout ce que je dois à l’Autorité, à la tendresse, aux bienséances, à la société, à la charité. Tous ces différents rapports ne laisseront jamais entrevoir, dans ma conduite, ni humeur, ni hauteur, ni caprices, ni vivacité, qui ne soient au moins réprimés aussitôt par un secret retour vers Jésus crucifié, et souffrant sans se plaindre. Jamais surtout, je ne me permettrai le sombre ou le rebutant d’une piété qui ne sait point s’accommoder aux personnes et aux circonstances ; plier à propos, se relâcher pour maintenir la subordination et l’union, quand d’ailleurs il n’y va ni de la gloire de Dieu, ni du salut.
7° Lorsque je m’étudierai ainsi à rapprocher mes vues et mes actions de cette intention habituelle, soit d’éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu, soit de pratiquer tout ce qui peut lui être agréable, je me précautionnerai contre tous les assauts du respect humain. Je craindrai également ou l’excès de ma timidité dans mes égards illégitimes pour le monde, ou l’empressement de ma satisfaction dans mes complaisances pour moi-même. Souvent ce n’est pas tant la crainte de déplaire que le désir de plaire, qui est le ressort de ces frivoles considérations. Appliquée plus constamment à me garantir de ce double écueil, je consulterai uniquement devant Dieu ce qui est de sa gloire et de ma sanctification, et avec cette règle essentielle, je redresserai tout ce qui peut se trouver d’imparfait, de lâche, d’humain dans mes motifs, dans mes paroles, dans mes projets, dans mes actions.
8° Ma vie nouvelle ainsi appuyée sur les fondements d’une piété solide, je dois m’appliquer à lui donner une base solide, inattaquable. Des promesses réitérées, et presqu’aussitôt démenties, des lumières multipliées, et plus souvent éteintes, des désirs formés en foule, mais sans fruits, sans exécution, ne pourraient avoir d’autre terme qu’une vie au moins très tiède et très languissante dans le bien. Pour prévenir cet affreux malheur, le plus redoutable après l’état du péché mortel, et qui y conduit insensiblement ; je considérerai, d’une confession à l’autre, les grâces reçues dans la communion précédente, les moyens de me conserver dans les saintes résolutions que j’y aurai prises ; les promesses faites à Dieu, les causes ou les occasions de mes chutes, les précautions que je dois opposer à de nouvelles infidélités et surtout les progrès que Dieu, et le monde, toujours plus sévère encore que Dieu, demandent de ma fréquente réception des Sacrements. Ces engagements, que je renouvelle à vos pieds, adorable Jésus ! seront-ils encore infructueux ? Une seule goutte de votre Sang suffisait pour changer le monde, et vous l’avez répandu tout entier. Quels motifs d’espérance pour moi ! Dieu de toute force, venez au secours de ma faiblesse, et je n’aurai plus rien à redouter de moi.
RÉFLEXIONS
Heureuse l’âme, ô mon Jésus ! qui a recueilli ces fruits de votre sainte résurrection, et dont la vie nouvelle ne retrace aucun des caractères de son ancien état de mort. Mais, moi ! puis-je me comparer à tant de félicité ? Le temps des délices est-il passé ? La pierre qui couvrait le tombeau où je languissais se serait-elle refermée sur moi pour m’ensevelir de nouveau dans les ombres du trépas ? L’aurai-je trouvée trop pesante pour pouvoir la lever, et franchir les obstacles qu’elle opposait à mes efforts, pour aller me réunir à vous ? Non, Seigneur : votre grâce victorieuse animera mon courage, elle me fera triompher de toutes ces frivoles alarmes. Je vous ai confessé ma faiblesse, j’ai demandé avec confiance, au pied de votre croix, et baignée du Sang que vous y avez répandu pour moi, les forces qui pourraient m’aider à vaincre le monde, la nature et moi-même ; je vous ai renouvelé les assurances, tant de fois répétées, de ma fidélité ; et mon cœur répondait aux promesses que ma bouche vous adressait ; mon cœur enchérissait sur elle.
Sur le point de m’unir encore à vous dans le Sacrement de votre amour, je les confirme encore devant vous ces promesses sacrées pour moi, j’ajoute toutes celles que vous désirez de moi : tout ce que votre miséricorde me prescrit de devoirs, je veux m’y soumettre, je veux ne vivre plus que pour vous. Mes vues, mes empressements, mes affections, tout le plan de ma conduite seront dirigés vers ce désir constant de vous plaire, que vous avez si puissamment suscité dans mon âme ; enflammez-les encore, prêtez-lui tous les feux de cet amour que vous êtes venu allumer sur la terre, et dont une étincelle suffit pour l’embraser, et la rendre digne de vous. Tracez vous-même, tracez-moi la règle de mes actions : que je puisse redoubler sans cesse de fidélité et d’amour dans votre service ; que sans cesse je me reproche de n’en point avoir assez. Prévenez, déracinez dans un cœur qui doit être tout entier à vous, les malheureuses inclinations qui m’entraînent vers la vanité, la tiédeur, la dissipation : que votre esprit sanctificateur domine et règne sur tous mes sens. Accordez-moi, divin Jésus ! ce gage inestimable de votre vie nouvelle dans moi. Que je vous cherche en tout avec ardeur, que je m’occupe de vous, et de vous seul ; que je vive en vous, que je persévère en vous, que je meure en vous.
Exercice pour la Communion d’une Fête d’Apôtre
Ce n’est pas, je le sais bien, aux seuls Ministres de l’Évangile qu’appartiennent les fonctions de l’apostolat. Il y a pour chaque Chrétien un ministère particulier qu’il est chargé d’exercer pour la gloire de Dieu, et pour le salut du prochain. Jésus-Christ nous l’a enseigné lui-même : nous sommes tous obligés de contribuer à glorifier son Saint Nom. Tous, nous devons nous intéresser au bien spirituel de nos frères. Le Saint-Esprit n’a point fait d’exception à cette loi : générale à tout ce qui est Chrétien, elle s’étend donc aussi sur moi.
Les personnes d’un rang supérieur à celui de la multitude ont, à cet égard, des obligations plus essentielles encore, plus pressantes, et tout à la fois plus faciles : c’est ce que je dois souvent considérer comme une des prérogatives attachées à l’élévation du rang où la Providence m’a placée. Ma naissance, en me distinguant de la foule des sujets, loin de m’affranchir de la nécessité d’être plus singulièrement appliquée au service de Dieu, et à l’intérêt de mes frères et sœurs en Jésus-Christ, achève de rendre pour moi cette obligation inviolable, en multipliant autour de moi les occasions d’être utile. N’être grande que pour mieux m’occuper de mes intérêts humains, et les servir avec plus de pouvoir et d’autorité, ce serait méconnaître, ce serait oublier les desseins de Dieu sur moi, ce serait dégrader les privilèges de mon rang. Ici, l’exemple ne peut prescrire, et la religion m’avertit que cet abus, aussi coupable qu’il est commun, ne sera pas un des moindres titres de l’accusation et de la condamnation d’une foule de grands.
Et, si non contente de négliger les secours de ma condition, pour édifier les autres, et servir à l’intérêt de leur salut, si j’allais être pour eux un sujet de scandale ! Ah ! Seigneur ! prévenez, je vous en conjure, prévenez ce malheur en m’inspirant fortement ces pensées salutaires : que je ne puis plus utilement illustrer les grandeurs que je tiens de vous, qu’en consacrant leur usage, et contribuant, de tout mon pouvoir, à vous faire connaître, aimer et servir ! Ô vous ! le premier et le meilleur de tous les Maîtres ! Les plus glorieux éloges qu’aient mérités et reçus les saint Louis, les saint Casimir, les saintes Clotilde, Elisabeth, et tant d’autres Princes ou Princesses chrétiennes, ne sont appuyés que sur cette fidélité confiante à faire régner Jésus-Christ sur leur trône, ou sur celui dont ils approchaient.
Eloignée par mon sexe, par mon incapacité, du ministère de la parole, heureuse de l’entendre, si je ne puis la porter de vive voix, au moins puis-je l’annoncer par l’exemple. Je l’éprouve par ma propre expérience : on ne résiste guère à l’exemple. C’est là une sorte d’éloquence qui ne rebute personne ; c’est celle que Dieu me permet et me commande : au défaut de toute autre mission, voilà celle qui m’est confiée, et que je ferai valoir, si vous daignez, ô mon Dieu, m’animer de la force nécessaire, pour profiter de tous les bons exemples que je reçois et n’en donner moi-même que de bons.
Lorsque ma conduite laissera voir à ce qui m’environne, un esprit d’ordre, qui ne se démentira point, soit pour les pratiques communes de la piété, soit pour les bienséances et les devoirs qui me sont indispensables ; lorsque je paraîtrai toujours égale dans mes humeurs, toujours patiente dans les contradictions, toujours modérée dans la poursuite de mes volontés et de mes désirs ; affable et populaire, sans hauteur dans mes manières comme dans mes paroles, toujours réservée à l’égard du secret qui m’aura été confié ; indifférente, et sans curiosité, pour celui des autres ; toujours déclarée pour la piété, et pour les personnes qui en font profession ; toujours respectueuses dans les hommages publics que je rends à Dieu ; toujours soumise et tendrement attachée à un père mon souverain, dont la grâce et la majesté me retracent, sous les plus aimables traits, le Dieu du Ciel que j’adore et que je chéris ; toujours également empressée dans les témoignages de l’affection si vive que je dois à l’auguste mère que le Ciel m’a donnée pour modèle ; toujours inviolablement unie à une famille que j’aime, par sentiment autant que par devoir ; lorsque je n’offrirai aux yeux du monde que des exemples irréprochables ; alors, quel crédit n’assurerai-je pas à la vertu ? et de quel mérite ne sera point pour moi, devant le Seigneur, cette espèce d’apostolat, si capable d’ennoblir la grandeur chrétienne ?
Le désir de ma sanctification ne sera point alors le seul motif qui animera mes sentiments et mes actions. Quel bonheur pour moi, ô mon Jésus ! d’imiter, quoique de si loin, les vues d’un Dieu Rédempteur, à qui les sacrifices les plus douloureux n’ont point coûté pour le salut des hommes. Appliquée à lui demander, dans des prières fréquentes, quelque communication de son zèle divin pour mon âme, et pour toutes celles qu’il a sauvées au prix de son Sang ; je consacrerai tous les soins de l’amour que je lui dois à conserver ou à lui ramener des adorateurs, des serviteurs, des enfants qui le connaissent et le glorifient. C’est à cette fin, la seule digne de mon élévation que se portera, exclusivement à toute autre, l’usage de mon autorité.
Oui, le cœur qu’il m’a donné, ce Dieu miséricordieux, ce cœur qu’il a rempli d’une sensibilité quelquefois malheureuse pour des infortunes temporelles sera plus sensible encore aux misères spirituelles du prochain. Un zèle attentif m’engagera à les prévenir, ou à les réparer. Conseils, remontrances, instructions, vigilance, fermeté même, si les conjonctures l’exigeaient et que j’en eusse l’autorité, tout sera de ma part une barrière au vice, à l’irréligion, à la licence des mœurs, tout sera protection pour la vertu et pour la loi sainte du seigneur. Dans ces circonstances, si elles viennent à se rencontrer, donnez-moi, ô mon Dieu ! l’art d’étudier les caractères et de les connaître, de peur d’irriter le mal en voulant le guérir ! Je vous entends, Seigneur : c’est votre voix qui me parle à mon cœur, en m’inspirant de commencer alors par recommander à votre infinie miséricorde, les personnes que vous m’aurez indiquées pour être les objets de mon zèle. Les difficultés qui s’opposeront au succès de mes entreprises, je les regarderai comme autant d’épreuves suscitées par votre permission pour me purifier : si les obstacles se multiplient, et devenaient insurmontables, je me soumettrai à votre volonté sainte, je garderai le silence, je gémirai en secret, je m’humilierai en secret, et j’adorerai vos redoutables jugements sur le pécheur qui s’éloigne de vous.
PRIÈRE
Ô vous, qu’un Dieu-Sauveur appela à sa suite, vous, qu’il associa au plus glorieux ministère, aux travaux de la mission divine, dont il avait daigné se charger pour procurer la gloire de son père, et la rédemption des hommes ; vous, qui embrasé d’un zèle saint, puisé dans le cœur et dans les exemples de Jésus-Christ, consacrates votre vie tout entière à la glorieuse fonction de lui conquérir des âmes, déjà les fruits de son Sang adorable, et à embellir la céleste Jérusalem des dépouilles enlevées à l’enfer ; grand Apôtre que l’Église révère dans ce jour solennel, obtenez-moi cet amour ardent, qui, en vous attachant à votre divin Maître, vous rendit si zélé à étendre son Royaume et son Évangile ; qu’à votre exemple je m’applique à le faire connaître, et à le faire aimer ; que j’y emploie le langage et le crédit persuasif de la vertu, auxquels j’ajouterai les secours que pourra me suggérer un zèle courageux, mais toujours accompagné de sagesse ; un zèle éclairé, mais toujours charitable, un zèle actif, mais toujours proportionné aux circonstances des besoins et des caractères ; un zèle constant, mais toujours soumis aux ordres de Dieu.
Qu’inaccessible à ces indignes complaisances sous lesquelles se masque le respect humain, j’oppose une fermeté inaltérable aux pièges de l’intrigue, aux illusions de la sensibilité, aux assauts de l’importunité ; que je préfère hautement à tout intérêt humain, celui de la gloire de Dieu ou du salut des âmes ; que tout ce qui m’approche, que tout ce qui dépend de moi reconnaisse qu’on ne saurait me plaire, qu’autant qu’on respecte la religion et la vertu ; qu’un des objets les plus ordinaires de mes oraisons et de mes bonnes œuvres, soit d’attirer des grâces de conversion aux pécheurs : quelle demande plus agréable au cœur de celui qui a donné sa vie pour eux ? Enfin, que je consacre tout l’emploi de la grandeur que Dieu m’a confiée à l’honorer par ma fidélité, et à protéger sa loi par mon zèle !…
Heureux favori d’un Dieu Sauveur, voilà ce que me retracent les glorieux caractères de votre apostolat. Je vais plus que jamais m’approprier vos exemples dans tout ce qu’ils ont de proportionné à mon état. Puisse le Dieu Rédempteur que je me dispose à recevoir, accepter et bénir tous les désirs de mon zèle pour sa gloire ; les animer par de nouvelles grâces, les récompenser un jour en me plaçant aux pieds du trône que vous occupez. Portez, grand Saint, les mêmes vœux auprès du Rémunérateur suprême pour ces sœurs chéries [1], si dignes de toute ma tendresse, dont les exemples vertueux semblent me rendre plus doux encore le joug du Seigneur. Quand le sort m’eût fait naître loin d’elles, j’eusse voulu franchir l’intervalle du rang et de l’opulence, pour mériter de les admirer de près ; mon ambition eût été de former mon âme sur le modèle de la leur ; mes vœux, toujours ardents, toujours empressés, auraient oublié mes propres besoins pour ne présenter au Ciel que leurs désirs ; ma vie eût été mille fois offerte à l’Eternel dispensateur de nos destinées, pour ajouter à la durée de leurs jours, et mon bonheur eût été parfait, s’il m’eût été possible de leur offrir les hommages d’un respect et d’une confiance que le cœur acquitte si volontiers quand c’est l’estime qui les commande.
[1] ses sœurs, Madame Adélaïde, Madame Victoire et Madame Sophie, peut être même Mesdames Henriette (1752+) et Elisabeth ( 1759+) sont-elles ici comprises dans la pensée de Madame Louise.
Exercice pour la Fête de l’Exaltation de la Sainte Croix
1° Le monde, idolâtre des honneurs et des plaisirs, ne connaît point le prix de la Croix, il la fuit ; il la fuit, il la méprise dans ceux qui la portent. Il lui substitue tout ce qui flatte l’ambition et la sensualité… L’âme, solidement chrétienne, jette les yeux sur le Dieu-Sauveur que son amour attache à cette Croix : c’en est assez pour qu’elle s’y condamne elle-même, pour qu’elle s’y soumette, pour qu’elle se trouve heureuse s’y participer. Une contradiction qui heurte la volonté propre, un sacrifice aux dépens de la vanité, un refus, un oubli qui confondent l’orgueil, un écart qui humilie l’amour de soi-même, une contrainte qui gêne les sens, tout est précieux à son courage, parce qu’il y découvre de quoi se rapprocher de la Croix, et de celui qui a établi le trône de ses grandeurs sur le théâtre de ses divines abjections.
2° Le monde, ennemi de la Croix, force les mérites de la Croix d’être stériles et infructueux pour lui. Elle ne sera pour lui qu’un témoin accusateur, qu’un juge sévère, qu’un organe de mort… Le péché qu’ils aiment, et dans lequel ils s’obstinent, est un obstacle aux fruits de pardon qu’elle leur procurerait…
L’âme chrétienne ne se pardonne point tout état de péché qui lui ravirait la grâce de son Dieu ; elle le déteste au plutôt, elle se hâte de s’en purifier, elle réclame les richesses de la Croix, pour obtenir la réconciliation, et bientôt le calme succède aux agitations, aux angoisses du remords, l’amour de Dieu, à son insensibilité, la force, à ses faiblesses, la pureté de l’âme, aux taches qui la souillent. À l’ombre de la Croix, elle se soutient dans ses combats, dans ses infirmités, dans ses craintes. Pendant la vie, à l’heure de la mort, la Croix est son bouclier et son refuge.
Autant le monde ennemi de Jésus-Christ s’estime malheureux de porter sa croix, autant le vrai chrétien s’y attache avec l’ardeur que lui inspire une foi dégagée, affranchie de tous les préjugés de la nature et de l’amour-propre. Perçant les nuages d’une orgueilleuse sensibilité, il reconnaît tous les avantages que lui procure cette humiliation, ce mépris, cet abandon de la part de ceux sur lesquels il comptait le plus. Il apprend à supporter avec joie jusqu’aux coups qui attaquent le plus vivement son cœur. Il embrasse la Croix, il s’unit à la croix du Sauveur, et trouve dans cette douce union tout ce qui peut lui rendre chères les épreuves et les souffrances toujours si pénibles à l’humanité abandonnée à sa propre faiblesse. Les plaintes, les murmures, les révoltes secrètes, les dépits d’une délicatesse offensée, tout cède aux impressions que fait sur son âme le spectacle de la Croix, ce symbole glorieux et consolant que la religion ne cesse de lui offrir.
Aussi est-ce sur cette règle qu’il s’applique à diriger ses sentiments et ses mœurs. Il ne mesure, comme les Louis et les Edouard, sa véritable grandeur, que sur sa conformité avec Jésus crucifié. Une situation brillante et élevée, loin de captiver son cœur, n’est pour lui qu’un fardeau pesant. Il ne fait que se prêter aux égards que son rang exige de lui, et ses moments les plus doux sont ceux où on paraît l’oublier et le méconnaître. Dans cet esprit, il fait mille fois hommage à la Croix de toutes ses grandeurs, il se fait un devoir de lui offrir le tribut d’une prière fervente, il y colle ses lèvres enflammées, souvent il en réitère le signe adorable sur lui-même, sans cesse il en porte avec soi l’image. Telle est la conduite du vrai chrétien. Et voilà le modèle que j’ai à suivre pour honorer la Croix ; elle doit être pour moi une source de grandeur, un motif de confiance, un objet d’amour, une règle de conduite.
Croix adorable, autel sacré sur lequel mon Sauveur m’a donné les témoignages les plus incontestables de son amour miséricordieux, recevez en ce jour les hommages profonds de ma vénération et de ma reconnaissance. Que ne dois-je point aux mérites infinis de la victime qui expira entre vos bras. Que ne me rappelez-vous point des trésors de sa charité pour moi, lorsque je viens déposer à vos pieds le poids immense de dettes que j’ai contractées et que je contracte encore tous les jours à son égard ? Mais, ô Croix précieuse ! vous serez toujours ma défense au tribunal de sa justice ; vous ne lui présenterez que de nouveaux motifs de me pardonner en lui présentant dans vous-même le trône des anciennes richesses de son cœur pour tous les hommes. Si vous m’instruisez des objections qu’il embrassa pour me sauver, et des grandeurs qui accompagnèrent son dernier sacrifice, c’est pour m’apprendre que la gloire véritable pour une âme chrétienne consiste dans l’imitation fidèle de ses humiliations. Si vous étalez aux yeux de ma foi les trésors de grâce dont vous fûtes l’heureuse dépositaire, j’y découvre les motifs les plus puissants d’animer ma confiance. Si je considère l’amour extrême qui vous attacha le Dieu mourant pour mon salut ; ah ! de quel amour ne dois-je pas être pénétrée moi-même, lorsque je vous contemple et que je vous adore ? Si je médite les grandes leçons dont vous fûtes l’Ecole dans les derniers moments de la vie de Jésus expirant, puis-je n’y pas découvrir toute la science qui doit m’être la plus chère, celle qui me porte sans cesse à être humble, mortifiée, patiente, détachée de moi-même ; généreuse à sacrifier mes ressentiments, attentive à appuyer ma faiblesse du secours de la prière. Obtenez-moi, ô Croix de mon Jésus, ces fruits abondants si nécessaires à mes besoins ; protégez-moi contre tous les ennemis de mon salut : régnez sur mon cœur et sur mes désirs. Purifiez, sanctifiez, animez, occupez toute mon âme ; portez au moment de ma mort tous mes désirs, toutes mes affections au séjour des miséricordes éternelles !
Exercice pour la fête de l’Ascension de Notre-Seigneur
Le Seigneur va-t-il donc quitter la terre pour toujours ? Non. Bientôt il s’y rendra présent par son Esprit-Saint, qu’il a promis à ses Apôtres de leur envoyer sous une forme sensible. En attendant cet heureux jour, parmi les grandes leçons que me donne le mystère de son Ascension, il est, surtout, deux vérités qui méritent particulièrement de fixer mon attention. L’une et l’autre m’est présentée dans les paroles que le Sauveur adresse à ses disciples bien aimés, au moment où il allait s’élever au Ciel en leur présence. « Je quitte le monde, leur dit-il, et je retourne vers mon père » ; paroles courtes, mais bien éloquentes, qui me prescriront d’être détachée du monde, au milieu du monde même, et de m’y occuper souvent de la pensée du Ciel.
Tant que Jésus-Christ est resté sur la terre, il a daigné se condamner aux humiliations et aux souffrances ; c’est l’apanage de ce monde. C’est donc en vain que je prétendrais moi-même y trouver le vrai bonheur. Que je réfléchisse sur tout ce qui m’environne : y trouverai-je la plus légère trace d’une véritable félicité ? Est-ce dans cet assemblage tumultueux de passions et d’intrigues qui se heurtent sans cesse sur le théâtre du monde ? Les passions faire le bonheur ! Ah, je n’y vois que des victimes qu’elles minent et qu’elles dévorent. Se trouve-t-il dans l’élévation et dans le haut rang qui nous décore ? il faudrait pour cela que nous y vécussions sans inquiétude. Hélas ! que de mécontentements, que de contradictions, que d’importunités et d’humeurs nous avons à essuyer ! Les peines arrivées aux personnes qui nous touchent nous deviennent personnelles par contre-coup. Est-ce dans le zèle de ceux qui nous approchent et qui nous servent ? Tous les livres, tous les siècles passés me crient que l’intérêt est souvent l’unique ressort qui les fasse agir. Dans la douceur du commerce et de la société ? Il ne m’est pas permis de former d’autres attachements que ceux que me prescrivent ma naissance, la nature et le devoir. Quelqu’agrément que j’y trouve, ne peut-il pas quelquefois m’en coûter pour plier mon humeur, et l’assortir à celle d’autrui ? La sérénité des plus douces unions est-elle toujours inaccessible aux nuages des inégalités ? – Est-ce dans certains moments où, rendue à moi-même, je cherche à goûter quelques courtes impressions de tranquillité ? La retraite et la prière ont été pour moi la source de mille douceurs ; mais les bienséances que j’ai à remplir les abrègent ; mais un cercle de distractions inévitables ne cesse de les troubler, mais une foule d’événements inattendus m’égare et m’agite.
Que de motifs pour moi de me détacher de toute affection pour ce monde ! Je dois m’y regarder comme étrangère, comme captive : le bonheur le plus apparent, qu’il puisse offrir à mes yeux, n’est qu’une surface trompeuse et sans réalité : pour peu qu’on y creuse, on n’aperçoit plus qu’un flux et reflux d’espérances chimériques. Un coup d’œil sur les diverses prétentions des personnes attachées à ma fortune me convaincra de tout ce que la religion m’en apprend d ailleurs.
Que je vienne à considérer ce que l’amour du monde pourrait avoir de dangereux ; que de raisons pour m’en détacher entièrement ! Comme chrétienne, je dois renoncer au monde, à ses pompes, à ses œuvres ; voilà l’engagement sacré que j’ai contracté sur les fonds baptismaux. Princesse, puisque la Providence a voulu que j’en eusse les titres dans le monde ; investie de ses biens, de ses honneurs, de ses vanités, attirée par ses fausses vertus ; quelle sainte et courageuse résistance ne dois-je pas opposer à ses perfides caresses ? Quels préservatifs ne m’offre pas aujourd’hui ce Dieu triomphant, qui se détache de la terre pour s’élever au Ciel ! Dans lui seul, dans son service, dans son amour, se trouve le vrai bonheur du chrétien, et c’est où je dois, où je veux le chercher…
Qu’il est instructif et consolant à la fois, le spectacle que l’Ascension de Jésus-Christ offre aux yeux de ma foi ! Je ne dois pas me borner à admirer les glorieux dédommagements qu’il accorde à son humanité sainte, après tous les supplices qu’il a endurés pour moi. Je lis encore dans ce mystère tout ce qui peut servir à appuyer ma plus vive confiance. Il m’apprend qu’il ne monte au Ciel que pour m’y assurer une place, pour animer le désir que j’ai de la mériter, pour seconder mes travaux dans cette importante acquisition, pour couronner les saintes œuvres qui doivent m’y conduire, pour être lui-même ma récompense au terme de mes combats, pour me réunir éternellement à lui dans le séjour glorieux où il s’élève aujourd’hui.
Combien ces promesses d’un Dieu glorifié doivent me rendre méprisable tout ce qu’un monde flatteur m’étalerait de séductions et d’enchantements ! Oui, la céleste demeure, dont Jésus prend possession, m’est destinée à moi-même ; il m’y invite, il m’y appelle. Son cœur me répond de la vive impatience où il est de m’admettre à la participation de ce bonheur ineffable. Juge, Médiateur, Pontife, Sauveur, voilà les titres qu’il a empruntés en ma faveur, et dont il est toujours disposé à suivre les miséricordieuses impressions. Juge, il m’absout. Médiateur, il parle pour moi. Pontife et victime, il s’immole lui-même à son père pour moi. Sauveur, il rouvre, il étend pour moi ses plaies sacrées.
Telles sont les assurances du bonheur auquel le mystère de l’Ascension me donne lieu d’aspirer. Cependant, qu’ai-je fait jusqu’ici pour m’en rendre digne ? Cette vue de la gloire, qui m’est réservée, ne m’a-t-elle pas souvent échappé, lorsqu’elle aurait dû ranimer mon courage et ma fidélité ? Que de langueurs dans mes désirs ! que de réserves dans mes efforts ! que de pusillanimité dans mes sentiments ! C’est ce que je ne puis assez déplorer, ni assez promptement réparer : et qui peut m’offrir plus efficacement les moyens d’y parvenir que ce Dieu triomphant, qui ne monte au Ciel que pour y préparer le rang qu’il m’y destine ?
Prière
Ô Dieu glorifié, qui abandonnez un séjour de crimes, un monde ingrat et si peu digne de vous, pour vous rendre au séjour de votre suprême béatitude, Dieu de bonté, qui nous invitez à partager ce bonheur parfait dont vous devez être l’objet unique, Dieu Sauveur qui voulûtes nous l’obtenir au prix de votre Sang, accordez-moi la grâce de me détacher du monde, d’y habiter et d’y vivre sans me rendre l’esclave de son esprit, de me défier de ses charmes trompeurs, de les craindre, d’y résister, de n’y paraître que pour y respecter votre loi et pour l’appuyer de mon zèle, de mon autorité et de mes exemples ; que jamais je n’y cherche un bonheur qu’il ne peut me donner, ni conserver ; qu’il n’y ait désormais pour moi d’autre félicité que celle pour laquelle je suis créée, et dont vous prenez possession dans cet heureux jour… Rien de ce que j’exécuterai, de ce que je désirerai, ne me paraîtra bon, juste, raisonnable, s’il n’est marqué du sceau des vertus que vous adoptez et que vous récompensez. Remplie de cette douce pensée du ciel, je m’écrierai dans les transports de mon admiration : ô gloire, ô repos, ô vie que j’attends avec confiance selon la promesse de mon Dieu ! Augustes assurances que ma religion me confirme, lumières si favorables, si consolantes de l’Évangile, ravissante majesté des espérances chrétiennes, ah ! vous faites disparaître tout le faux brillant de la grandeur qui m’environne sur la terre. Le Ciel réunit seul les vrais biens. Je soupire après le moment où j’y entrerai à votre suite, divin Jésus, où je vous y posséderai, où je vous y aimerai sans que mon cœur puisse craindre jamais de vous perdre. Devenez dès aujourd’hui pour moi le gage de cette éternelle félicité. Rendez mon âme dépositaire de ce bonheur et de ces richesses que les habitants du Ciel goûtent dans leur union avec nous ; que j’en reçoive quelques effets dans ma communion, et qu’en me renouvelant en pureté, en ferveur et en amour, ils me disposent à obtenir, à remplir la place que vous me promettez dans votre Gloire.
Exercice pour la Fête de la Pentecôte et pendant l’octave
Le Sauveur avait promis à ses Apôtres de leur communiquer les grâces de son Esprit sanctificateur. C’était le plus riche dédommagement à son absence ; et il les en avait assurés en les quittant pour monter au Ciel. Accablés de tristesse, lorsqu’ils le virent près de se séparer d’eux, ils ne pouvaient trouver de consolation plus propre à leur adoucir cette perte, que l’espérance du trésor qui leur était annoncé par leur divin maître. Ils ne tardèrent pas à goûter les fruits de leur confiance en sa parole. Mais ils se disposèrent au bienfait promis conformément aux instructions que Jésus lui-même leur avait tracées. C’est la conduite que j’ai à tenir pour participer aux même avantages.
1° Retirés dans un asile écarté de Jérusalem, les Apôtres préparent dans le silence de la retraite leurs âmes aux saintes impressions des grâces multipliées dont ils vont être enrichis…
Pour mettre à profit la descente du Saint-Esprit en moi, surtout dans la communion, je dois me dégager de ce tourbillon bruyant dans lequel le monde et ses dissipations essaieraient de m’envelopper. L’esprit de sainteté n’entre et n’habite point dans un cœur ouvert au tumulte des distractions. Il n’est qu’un moyen de le recevoir et de le conserver cet esprit pacifique ; c’est le recueillement, l’attention à prévenir, à éloigner, à combattre, à sacrifier tout ce qu’il y aurait d’inutile, de léger au-dedans, comme au-dehors de moi.
2° Occupés de la prière, de la méditation, du souvenir des promesses de Jésus-Christ, les Apôtres offrent en particulier et en commun les vœux les plus ardents ; et chacun réunissant en soi la ferveur de tous les autres, tous s’empressent unanimement à obtenir les biens célestes, qui vont découler sur eux avec tant d’abondance…
Pourrais-je sentir combien les dons du Saint-Esprit me sont nécessaires, et ne pas reconnaître qu’ils ne me sont accordés, qu’à proportion qu’une prière fervente, humble et assidue me les ménagera. Si la fréquentation des Sacrements a été jusqu’ici presque infructueuse pour moi, c’est ma froideur, ma dissipation, mes dégoûts qu’il faut en accuser. Dois-je compter sur une dévotion fervente dans les moments où Jésus m’honore de sa visite, tandis que l’état de tiédeur et d’indifférence, dont je ne puis dissimuler ou éviter le reproche, dégrade la plupart des hommages que je lui rends à l’ombre de l’oratoire et des saints Autels ?
3° Unis par les doux liens d’une charité mutuelle, les Apôtres en consacrent tous les sentiments à solliciter les uns pour les autres l’accomplissement des promesses qui leur répondent de la venue prochaine du Saint-Esprit. Sainte occupation, digne de ces cœurs que l’amour divin doit bientôt embraser pour la sanctification de l’univers. Le Saint-Esprit est le principe de l’amour et de la charité. Si je suis infidèle à la loi de l’amour, qu’il est venu apporter sur la terre, puis-je espérer qu’il veuille choisir et maintenir sa demeure au-dedans de moi ? Chaque fois que je me disposerai à lui donner entrée dans mon âme, je dois donc ajouter à mes autres préparations la détestation, le sacrifice de tout ce qui pourrait blesser le précepte divin de la charité.
4° Soutenue de la présence de la Sainte Vierge et enrichie de la participation de ses mérites, les Apôtres fondent sur elle le principal appui de leur confiance.
Ce sera donc également par la voie des mérites de Marie que je conjurerai mon Jésus de m’ouvrir son cœur et de m’associer à la participation des biens célestes. Cette intercession, ces vertus, qui, dans le cénacle, furent si puissantes pour accélérer et pour obtenir aux Apôtres la plénitude des dons de l’Esprit-Saint pourraient-elles être aujourd’hui moins efficaces ? Non, sans doute. Aussi vais-je les présenter avec confiance au trône des miséricordes : je les regarderai comme un précieux supplément à l’insuffisance de mes vœux. La plus tendre des mères ne cessera pas de l’être pour moi seule. Et que pourrait alors lui refuser ce Fils bien-aimé, dont la félicité semble se confondre avec celle de sa Mère, tant leur amour réciproque a de force et d’énergie !…
En approfondissant ce mystère, et méditant ces circonstances les plus caractéristiques, mon esprit s’arrête à quatre objets tous également frappants qui doivent être pour moi autant de témoignages du plus ou moins de fruits, que la descente du Saint Esprit aura produits dans mon âme.
D’abord un bruit éclatant se fait entendre dans la retraite où les Apôtres étaient rassemblés. Un vent impétueux y souffle et agite l’auguste demeure qui renfermait ces prémices de l’Église naissante. C’étaient autant de présages qui, dans l’ordre des desseins du Ciel, annonçaient les triomphes futurs de ces premiers héros de la religion, la destruction de l’idolâtrie, leurs exploits contre le péché, la rapidité de leurs succès évangéliques, leurs prédications dans toutes les parties du monde…
Mon zèle pour glorifier Dieu et pour édifier le prochain doit avoir cet éclat. La grâce du Saint-Esprit ne doit pas être cachée dans le secret de mon cœur. Il y a des conjectures où le silence serait une espèce d’apostasie, et s’il en est où la prudence chrétienne me fait un devoir de me taire, il en est aussi où cette même prudence me donne le droit d’user des privilèges de mon rang, pour réprimer les efforts du libertinage ou de l’irréligion.
En second lieu, tout le cénacle se ressent de cette subite commotion… Mon âme, devenue le sanctuaire de l’Esprit Saint, doit, dans toute elle-même, éprouver les mêmes impressions. Elles se manifesteront par l’ardeur de mon amour pour Dieu, par la fidélité à pratiquer mes obligations dans toute leur étendue, par la générosité de mes sacrifices, par la plénitude de mon dévouement au service de la religion.
Troisièmement, des langues de feu se dispersent et se reposent sur chacun de ceux qui étaient réunis dans le cénacle… Oh ! qui me donnera de désirer avec autant de vivacité que je le voudrais le bonheur de cette sainte assemblée ! Qui me donnera d’être embrasée de cette divine flamme, et de ne jamais l’éteindre par le souffle d’aucune passion, par les atteintes de la froideur et de l’indifférence dans le service de mon Dieu !
Enfin, les divines écritures me font observer que tous furent remplis de l’Esprit Saint, et commencèrent à parler diverses langues. C’était l’Esprit de Dieu qui leur communiquait ce don, relativement aux diverses nations où ils devaient porter la parole de vérité.
Un des gages les plus assurés que j’aurais reçu, le Saint-Esprit, sera toujours attaché aux conversations que je tiendrai. Quand mon cœur sera pénétré d’un amour sincère pour Dieu, et d’un vrai désir de le faire aimer aux autres, ma langue sera l’interprète de ces sentiments. Ils s’épancheront d’eux-mêmes du fond de mon âme ; ma bouche pourra les exprimer diversement, avec moins d’éloquence sans doute, que n’en avaient les Apôtres, mais avec une affection égale à la leur. Je ne convertirai point le monde : non. Ma mission ne sera jamais aussi relevée, aussi sublime, mais je me sauverai moi-même ; j’aurai du moins rempli la tâche principale pour laquelle Dieu m’a mise au monde : et je pourrai offrir au Seigneur mes regrets de ne présenter au trône de sa justice qu’une seule âme !
Après la Pentecôte
PARAPHRASE
De la Prose Veni Sancte Spiritus
Divin Auteur de tous les dons, bien qui surpassez tous les biens et qui les répandez dans l’âme que vous enrichissez, Esprit Saint, communiquez à la mienne en ce jour, toutes les grâces qui peuvent remédier à ses misères. Le nombre en est effrayant ; mais, le fût-il davantage, elle ne sont point au-dessus de vos compatissantes miséricordes. La gloire du médecin est de guérir les plaies qui sont dangereuses ou invétérées. Venez, céleste Médecin des âmes : la mienne a besoin de tout votre secours.
Venez, descendez sur moi, Esprit sanctificateur : faites briller en moi un rayon de votre lumière, allumez en mon cœur une étincelle de vos feux sacrés ; c’en sera assez pour m’éclairer, pour me purifier, pour m’embraser. Venez, mon cœur est ouvert pour vous recevoir ; c’est vous qui m’en avez inspiré le désir. Couronnez-le, exaucez-le. Détruisez, réformez, remplacez en moi tout autre esprit ; l’esprit du monde, cet esprit d’orgueil, cet esprit de sensualité, cet esprit de dissipation, cet esprit d’amour propre, cet esprit de délicatesse pour tout ce qui me flatte, ou ce qui m’offense, cet esprit de mollesse et de lâcheté pour les devoirs qui me gênent ou me contrarient, cet esprit d’affection aux vanités et aux pompes de la terre. Venez, sanctifiez mon âme et toutes ses affections, mes pensées, mes paroles et mes actions ; que tout ce qui est en moi porte, désormais, l’empreinte de votre sainteté.
Je suis dans une indigence bien humiliante ; mais vous êtes le Père des pauvres. Riche des biens de ce monde, je suis dépourvue des biens du Ciel, des seuls biens véritables ; mais vous êtes le Dispensateur de tous les trésors.
Je ne suis que ténèbres et aveuglement ; mais vous êtes la source des lumières.
Divin consolateur ! mon âme languit sous le poids de son affliction ! Mon cœur incertain et volage s’égare sur les objets divers qui paraissent vouloir lui offrir le bonheur. Illusion funeste ! c’est en vous seul qu’il réside : il n’y a d’heureux que le cœur où vous régnez : possédez le mien : la plus douce paix accompagnera l’onction que vous y verserez : elle sera le baume qui adoucira mes plaies, et mes peines intérieures.
Lumière éternelle et vivifiante, guidez-moi, soyez toujours ma véritable vie, fixez-moi dans les sentiers de votre loi, et ne permettez pas que je m’en écarte jamais, pour marcher dans les voies qui conduisent à la perdition.
Que votre grâce, semblable à une eau purifiante, me lave de toutes mes souillures. Telle qu’une rosée salutaire, elle me pénétrera dans mes langueurs, elle m’enivrera des plus pures délices. Qu’elle touche mon cœur, qu’elle l’échauffe, qu’elle se l’attache par des liens que le péché ne puisse plus rompre.
Esprit de sainteté, accordez-moi tous les dons que vous répandîtes avec tant d’abondance sur les Apôtres et sur les premiers fidèles. Les dons de sagesse et d’intelligence, les dons de science, de conseil, de force, de piété et de crainte. Ils me soutiendront dans les routes glissantes de la grandeur. Ils me détacheront de moi-même : ils m’enchaîneront à Dieu pour tous les jours de ma vie, pour tous les instants du jour.
Couronnez ces faveurs que je sollicite avec toute l’ardeur de mes désirs, par la grâce qui met le comble à toutes les autres, celle de vivre saintement, de mourir saintement, de régner éternellement avec vous ; c’est le vœu de mon cœur, dans ces moments heureux où il s’apprête à vous posséder : et que son dernier soupir sur la terre soit un désir nouveau de vous aimer toujours.
Paraphrase
De l’Hymne Veni Creator Spiritus
Divin Esprit, créateur de l’univers, venez descendez sur moi, répandez abondamment vos grâces dans cette âme qui fut l’ouvrage de votre puissance miséricordieuse. Vos propres bienfaits parlent en sa faveur. Si elle a eu le malheur d’en abuser, ou de n’en pas profiter, ils n’en sont pas moins un témoignage que vous l’avez aimée, et que vous êtes disposé à l’aimer toujours.
Condamnée à couler mes jours dans cette vallée de larmes, en butte à toutes les misères qui en sont l’apanage inséparable, je trouverai dans vous ma solide consolation, celle que le monde et tout ce qu’il a de plus flatteur ne saurait me procurer. Vous êtes au-dessus de tous les biens ; vous êtes le seul bien que je doive ambitionner ici-bas : le seul bien qui doit suffire à mon bonheur dans le ciel. Vous êtes le don par excellence du Très Haut ; la source de la vie, le feu pur qui consume toute affection terrestre, la charité par essence, l’onction qui par sa douceur pénètre, inonde, comble tous les cœurs. Le mien pourrait-il être heureux, lorsque vous n’y fixerez pas votre demeure, lorsque vous n’en ferez pas votre sanctuaire ?
De vous seul émanent les trésors qui doivent enrichir l’âme chrétienne ; dans les différents dons que vous lui communiquez, éclate cette divine bonté avec laquelle vous daignez pourvoir à ses divers besoins. Oui, j’y reconnais la magnificence du Père Eternel envers chacun de ses enfants ; et l’accomplissement des promesses que son Fils lui a adressées avant de monter au ciel. Vrai Dieu, je vous adore, je révère tous les prodiges que vous opérez en ce jour ; je ne désire autre chose que d’y participer moi-même, en devenant cette créature nouvelle que vous formez et que vous confirmez par votre grâce.
Dissipez par vos lumières toutes les ténèbres qui m’environnent : faites luire au milieu des nuages terrestres qui couvrent mon entendement le beau jour des vérités éternelles : que du fond de mes sens grossiers, il ne s’élève plus d’obscurités qui me dérobent vos pures clartés. Que ma volonté n’ait plus d’autre inclination ni d’autre ardeur que celles d’être occupées de vous et de votre amour.
Eloignez de moi tous les assauts de l’ennemi du salut : donnez-moi la grâce de triompher de ses attaques, et cette heureuse et inaltérable paix qui est le fruit de la victoire. Que toujours protégée par votre invincible défense, je me garantisse de tous les pièges que j’aurais à redouter de la part du monde, et de moi-même : vivez, régnez, présidez au milieu de mon cœur, et il n’est plus d’ennemi qui puisse jamais me paraître redoutable.
Ranimez ma foi, dirigez-la dans tous les hommages qu’elle doit rendre au Père Tout-Puissant, à Jésus son Fils unique, à vous-même, Esprit sanctificateur, à l’adorable Trinité, Dieu seul en trois personnes : que cette foi soit également efficace et soumise : qu’elle m’attache inviolablement à l’Église, infaillible dépositaire de la vérité ; que j’honore cette foi par mes œuvres ; que je la soutienne par ma protection ; que je la conserve par ma vigilance.
Aidez-moi dans tous les temps à glorifier Dieu le Père, mon Sauveur ressuscité ; et vous, notre puissant consolateur, pardonnez-moi toutes mes désobéissances à vos divines inspirations, mes résistances, mes réserves et tout ce qui a pu vous contrister dans les délais et dans les refus de ma correspondance. Je vous écouterai désormais avec docilité, je vous suivrai avec promptitude, je vous obéirai avec la résignation la plus dévouée, avec la reconnaissance la plus fidèle, avec l’amour le plus vif, le plus constant. Puissent les fruits ineffables de votre présence, puissent-ils en ce moment et toujours, se répandre, et persévérer dans mon cœur et dans mes œuvres. Ainsi soit-il.
Fête-Dieu
ENTRETIEN
Avec Notre Seigneur au Saint Sacrement pour l’octave de la Fête-Dieu
Quelle est intéressante pour la piété de vos disciples, ô divin Jésus ! cette solennité que votre Église consacre à la gloire de votre chair adorable ! Que j’y découvre de pressants motifs, d’utiles moyens d’accroître ma vénération pour cet ineffable Sacrement !
Ce n’est plus comme autrefois au milieu des éclairs et des tonnerres que vous annoncez votre redoutable présence, ce n’est plus un tribut, accompagné de frayeur et de tremblement, que vous imposez à vos adorateurs : vous vous montrez à nous dans cette sainte célébrité avec une pompe et un éclat dont les dehors n’ont rien qui ne doive nous rassurer. Oui, peu content de nous avoir laissé, en quittant la terre, le gage le plus sensible de votre libéralité dans l’institution de ce Sacrement, où vous résidez réellement et corporellement au milieu de nous jusqu’à la consommation des siècles, de nous y servir d’aliment, d’avoir multiplié les sanctuaires, pour vous y rendre présent à nous, sans vous permettre un seul moment d’absence ; vous couronnez chaque année dans les jours propices cette suite de faveurs qui nous sont offertes à l’ombre de vos Tabernacles ; vous en sortez aujourd’hui, vous les abandonnez pour quelques heures ces demeures augustes qui vous renferment avec toutes les richesses de votre divinité : vous vous faites porter par les mains de vos ministres au milieu de nos villes et de nos habitations : vous agréez les cantiques d’allégresse dont retentissent tous les lieux que vous parcourez ; vous daignez accepter cet hommage unanime de toutes nos langues et de tous nos cœurs ; et par un excès de bonté qui mérite toute notre reconnaissance en vous confondant avec le peuple de fidèles qui vous environne, vous sanctifiez la réparation solennelle qu’ils s’empressent de rendre à votre gloire tant de fois et si criminellement outragée.
J’adore, ô mon divin Sauveur ! ce prodige nouveau de l’amour qui vous rapproche de vos enfants, d’une manière aussi sensible, aussi honorable pour eux. C’est vous-même, et vous seul qui l’avez inspirée à votre Église, pour augmenter en nous la confiance, en vous montrant accessible à ceux que le sentiment de leurs misères semble devoir éloigner de vous.
Ah ! que ne suis-je pénétrée en ce moment de ces sentiments religieux, dont sont embrasées tant d’âmes ferventes, dont votre Cour est composée ! Qui me donnera de participer à la vivacité de leur foi, à l’étendue de leur reconnaissance, à la profondeur de leur anéantissement, à la tendresse de leur dévotion, à tous ces épanchements affectueux, langage éloquent, lors même que la langue est muette, d’un cœur vivement touché, d’un cœur qui brûle d’amour pour vous !
Que j’aime, ô Dieu de charité ! que j’aime à vous considérer ainsi régnant dans tous les cœurs, les ayant pour escorte, et leur faisant sentir que ces pieux hommages sont pour vous la plus chère portion du triomphe qu’ils vous décernent. C’est dans ces dispositions que je désire moi-même de le célébrer, soit en m’unissant à cette troupe fidèle qui accompagnera votre marche triomphante au sortir de vos Temples, soit en vous adorant dans le Sanctuaire où vous êtes exposé à la vénération publique. Chaque jour de la durée de cette Octave solennelle sera pour moi un jour d’empressement, d’assiduité, de respect, de gratitude, de tendresse, d’offrande de tout moi-même.
Dès ce moment, à l’exemple du Saint Roi dont le sang coule dans mes veines, et dont je vous conjure, ô Dieu Protecteur de cette monarchie et de la famille de Saint Louis, dont je vous conjure, de faire passer dans mon âme la foi vivifiante, l’active charité, et l’ardent amour pour vous ! Je dépose aux pieds de votre trône tous les biens que je tiens de votre main libérale ; grandeurs, distinctions du rang et de la naissance, avantages de l’esprit, qualités du cœur, tout ce qui peut me relever aux yeux du monde ; je vous le consacre par devoir et par affection. Je ne reconnais plus d’autre grandeur, d’autre prérogative, que celle d’être votre enfant.
Agréez, ô mon bien-aimé ! ô le plus aimable des Epoux ! agréez ce cœur qui brûle d’être à vous. Vous avez tant de droits à sa possession ! Régnez seul, et régnez pour jamais sur mon âme et sur toutes ses facultés, sur ma volonté et sur toutes ses affections, sur mon corps et sur tous ses sens.
Que ma mémoire ne soit plus occupée que du souvenir de vos bienfaits ; que mon esprit fasse ses occupations les plus chères de la méditation de vos qualités aimables ; que mon cœur ne soit rempli que des ardeurs ineffables dont vous brûlez ici pour moi. Que tout mon corps soit purifié aux approches de votre chair adorable ; qu’il se sacrifie pour votre gloire, par le travail et l’infirmité, et que ses efforts uniques, ses vœux les plus habituels soient de vous imiter et de devenir semblable à vous.
Combien je m’estimerais heureuse, ô mon Jésus ! de pouvoir entraîner et fixer ici toutes les vertus, réparer dignement tous les outrages que vous recevez dans le Sacrement de nos Autels ; vous venger de l’incrédulité, des hérétiques, des irrévérences de tant de mauvais Chrétiens, des attentats de tant de profanateurs, de l’insensibilité même et de l’indifférence de mes propres tiédeurs, si souvent, hélas ! réitérées en votre présence.
Du moins désormais m’appliquerai-je à expier, à prévenir tout ce que je me reproche aujourd’hui ; s’il ne m’est pas permis, ô mon Dieu ! de perpétuer, comme les esprits bienheureux, mon séjour à l’ombre de votre Sanctuaire, de vous y offrir sans cesse mes adorations ; au moins m’y rendrai-je le plus assidue qu’il me sera possible ; au moins tâcherai-je de répondre, par l’ardeur de mes empressements, à l’honneur que vous nous faites, de placer vos délices au milieu de nous.
Eloignée par l’ordre de votre volonté sainte, du Temple de votre gloire, je m’y transporterai souvent en esprit ; je vous y contemplerai avec les lumières de la foi ; je vous y adorerai dans le plus profond de mon cœur ; je m’occuperai de cette admirable charité que vous nous y témoignez ; je m’y entretiendrai avec vous de vos miséricordes et de mes besoins. Je vous présenterai mes aspirations, mes actions de grâce, mes désirs, mes affections. Je m’unirai d’intention avec ces saintes âmes, qui nuit et jour vous offrent l’hommage d’une perpétuelle adoration.
Tandis que les esprits célestes, prosternés devant votre trône, s’écrieront d’un concert unanime et continuel : Saint, Saint, Saint est le Dieu que nous adorons ; mille fois je répéterai dans le secret de mon cœur : Loué soit et adoré à jamais, le Très Saint-Sacrement de l’Autel !
Divin Jésus, aimable Sauveur, accordez-moi la grâce de prononcer toujours ces paroles salutaires, avec toute la foi, tout le respect, tout l’amour dont je suis capable. Qu’elles soient gravées profondément dans mon cœur, et qu’elles animent tous mes sentiments, soit que je vienne vous adorer dans l’Eucharistie, soit que j’aie le bonheur de vous y posséder.
Neuvaine à sainte Thérèse de Jésus
Premier jour
Me voici encore à vos pieds, ô ma Mère ; et toujours pour obtenir la grâce que je sollicite depuis tant d’années ; mes espérances sont augmentées, mais, hélas ! ce ne sont que des espérances, je suis toujours dans le monde, toujours loin de vos saints asiles, et je ne vois pas même de route certaine pour y arriver.
Je persiste, ô mon Dieu, à me soumettre sans réserve à votre sainte volonté ; je ne demandais que de la connaître. Eût-elle été opposée à mes vœux, sur le champ je m’y serais soumise, j’aurais renoncé à mes plus chers desseins, et je me serais fixée dans l’état où votre adorable Providence m’aurait retenue. Mais soyez-en loué à jamais, ô mon Dieu, votre miséricorde n’a point rejeté mes vœux ; votre oracle a parlé ; vous avez agréé mon sacrifice ; et il ne me reste qu’à attendre le moment que vous avez marqué. Je l’attends ô mon Dieu, et c’est avec autant de soumission que d’empressement : mais vous nous permettez de vous prier, et vous ne prenez point mes sollicitations pour des révoltes. Hâtez donc, ô mon Dieu, hâtez, précipitez cet heureux moment.
Deuxième jour
Ô ma bonne Mère, joignez vos instances à celles d’un enfant que vous ne pouvez plus désavouer : jetez les yeux sur moi, voyez l’esclavage où je suis, l’agitation où je vis ; mes prières gênées, mes méditations coupées, mes dévotions contrariées ; voyez les affaires temporelles dont je suis assaillie ; voyez le monde, qui sème sous mes pas ses pompes, ses jeux, ses spectacles, ses conversations, ses délices, ses vanités, ses méchancetés, ses tentations, sans que je puisse ni fuir ni me détourner ; voyez les dangers que je cours, les épines sur lesquelles je marche, mes fautes, le peu de bien que je fais ; voyez mes désolations, mes tristesses, mes ennuis ; ayez pitié de moi ; obtenez-moi, enfin la sainte liberté des enfants de Dieu.
Troisième jour
Ne suis-je pas assez éprouvée, ne connaissez-vous pas à fond le vœu de mon cœur ; après tant d’années de constance ? Doutez-vous de ma résolution, m’avez-vous vue varier un seul instant, ne m’avez-vous pas toujours aperçue toute tournée vers la voix qui m’appelle, tendant à elle de toutes mes pensées, de tous mes désirs et de toutes mes forces ; soupirant sans cesse après le bonheur de la suivre ; fondant en larmes de me voir ainsi renvoyée d’année en année ; conjurant Dieu de toute la ferveur, et dans toute la sincérité de mon âme, de briser, enfin, mes liens ; vous pressant, vous sollicitant de m’aider à les rompre, employant pour vous y engager, l’intercession de vos plus chères filles ? N’ai-je pas connu assez le monde pour le détester à jamais, pour ne jamais le regretter ? J’ai considéré tant de fois, une à une, toutes les douceurs de cet état, auquel je veux renoncer ! Vous m’êtes témoin, ô mon Jésus, qu’il n’en est point que j’aie balancé à vous sacrifier. Vaines douceurs, douceurs pleines d’amertume, fussent-elles mille fois plus pures, je préfère le Calice de mon Sauveur. Ne me dites point, ma Sainte Mère, que je ne connais pas encore assez votre règle. Ah ! ne m’avez-vous pas vu la lire sans cesse, la méditer, la porter toujours sur moi, en faire mes délices ? Je ne me suis rien déguisé, abaissements, pauvreté, austérités de toutes espèces, privations de toutes sortes, solitude, délaissements, contradictions, humiliations, mépris, mauvais traitements, j’ai mis tout au pis ; rien ne m’a effrayée, j’ai comparé l’état de Princesse et l’état de Carmélite, et toujours j’ai prononcé que celui de Carmélite valait mieux que celui de Princesse ; et jamais ce jugement ne s’effacera de mon cœur ; j’ai vu, ô mon Jésus, j’ai soupesé la croix, dont je, vous prie de me charger. Ah ! que n’est-elle aussi pesante que la vôtre !
Quatrième jour
Ô ma bonne Mère, que faut-il donc de plus ? Mes jours se dissipent, mes années s’écoulent ; hélas ! que me restera-t-il à donner à Dieu ? Vos filles elles-mêmes ne me trouveront-elles pas trop âgée ? Ouvrez-moi donc enfin, ô ma Mère, ouvrez-moi la porte de votre maison, tracez-moi la route, frayez-moi le chemin, aplanissez-moi tout obstacle ; dès le premier pas, j’ai besoin de tous vos secours pour me déclarer à celui dont le consentement m’est nécessaire ; faites-moi naître une occasion favorable, préparez-moi son cœur, disposez-le à m’écouter, défendez-moi de sa tendresse, défendez-moi de la mienne, donnez-moi avec le courage de lui parler, des paroles persuasives qui vainquent toutes ses répugnances ; mettez-moi sur les lèvres ce que je dois lui dire, ce que je dois lui répondre ; parlez-lui vous-même pour moi, et répondez-moi pour lui. Vous obtîntes autrefois tant de grâces pour rompre les liens qui vous retenaient dans le monde ; vous en obtenez tant de pareilles pour vos filles ; intercédez donc aussi pour moi, ô ma Mère, et dites à mon cœur, avant que je sorte d’ici, que je puis parler quand je voudrai et que le cœur du Roi est incliné à mes vœux ; mais, ma sainte Mère, comment apprendra-t-il ma résolution ? Y consentira-t-il ? La verra-t-il s’exécuter sans être touché de Dieu, et sans retourner entièrement vers lui. Moi Carmélite et le Roi tout à Dieu. Quel bonheur ! Dieu le peut, Dieu le fera, ô ma sainte Mère, si vous le lui demandez. Hélas ! il le ferait même pour moi, si j’avais autant de foi que de désir ; ah ! je crois, ô mon Dieu, je crois, ô ma bonne Mère, présentez ma foi aux pieds de votre divin Epoux ; qu’elle croisse, qu’elle s’augmente entre vos mains, et qu’elle égale la vôtre ; et comme elle a mérité des miracles, après cela qu’aurais-je à désirer ? Mourir, et mourir Carmélite ; et laisser ici-bas toute ma famille dans le chemin du Ciel.
Cinquième jour
Mais s’il faut encore par quelque délai acheter de si grandes grâces ; ah ! du moins, ma sainte Mère, augmentez-en le pressentiment dans mon cœur ; faites-y luire le plein jour de la volonté de Dieu ; daignez sans cesse m’y certifier ma vocation, mais surtout ne me laissez pas perdre cet intervalle, quelqu’encore qu’il puisse être, aidez-moi à me défaire dès aujourd’hui de tous les attachements contraires à ma vocation. Hélas ! à quoi ne s’attache pas notre cœur, et presque toujours sans que nous nous doutions de l’attachement. Parents, amis, honneurs, richesses, appartements, meubles, habits, bijoux, bonne chère, commodités, habitudes, consolations humaines : que sais-je ? Voyez, faites moi voir, arrachez-y tout ce que je ne dois pas porter chez vous. Ah ! n’épargnez rien au-dedans de moi ; mais au dehors, ma bonne Mère, retenez par vos instances les plus vives, ce bras terrible qui a déchiré mon âme par tant de funestes coups. Ô mon Dieu, conservez la Reine ; donnez-lui la consolation de me voir au nombre de ses chères Carmélites ; conservez toute ma famille, conservez tous ceux que j’aime, ne m’en détachez que par votre grâce. Non, je ne serai pas rebelle, et je foulerai aux pieds toutes mes inclinations pour suivre votre voix. Mais, ô ma sainte Mère, pendant que je travaille à déraciner toutes mes anciennes attaches, ne permettez pas que j’en contracte de nouvelles ; protégez-moi contre toutes les occasions, contre tous les pièges qu’on me tend.
Sixième jour
À mesure que mon cœur se videra de toutes les pensées de la terre, il se remplira de celles de ma vocation, de celles du Ciel. Ô ma Mère, dilatez, étendez dans mon âme toutes les vertus religieuses ; que dès à présent j’en pratique tout ce qu’il m’est possible de pratiquer dans le monde ; donnez-moi des occasions fréquentes d’obéir, de me mortifier, de m’humilier, de me confondre avec mes inférieurs, de descendre au-dessous d’eux, de fouler aux pieds le monde et ses vanités, de glorifier Dieu sans respect humain, d’embrasser, sans honte, la croix de Jésus, de confesser hautement sa Religion et son Église, de renoncer à moi-même et à toutes mes affections, de goûter les contradictions, les délaissements, le défaut de consolations humaines ; de sentir le froid, le chaud, la faim, la lassitude, de me dépouiller de ma propre volonté, de me résigner à celle de Dieu ; de m’élever à lui ; de le prier, de converser avec lui, de l’aller visiter au pieds de ses autels ; de participer à sa Sainte-Table, d’entendre sa Parole, d’assister à ses saints offices. Multipliez toutes les occasions pareilles, et que je n’en perde pas une ; que partout, et dans les lieux les plus consacrés au monde, je porte un cœur crucifié, un cœur de Carmélite ; que toutes mes pensées soient dignes de vous.
Septième jour
Soyez sans cesse à mes côtés, ô ma sainte Mère, pour me dire, sans relâche, songez à votre vocation, il vous reste peu de temps, songez à former une Carmélite ; une Carmélite ne penserait pas, ne dirait pas, ne ferait pas cela. Ah ! qu’avec cette assistance, j’espérerais former en moi dès à présent, et au milieu même du monde, une parfaite Carmélite, à qui il ne manquerait que le cloître et l’habit. Daignez donc, ma sainte Mère, si vous voulez encore me laisser dans le monde, daignez ne me pas perdre un moment de vue ; veillez sur moi comme sur une de vos filles, soyez mon soutien, soyez ma sûre garde, soyez mon conseil assidu.
Huitième jour
Je vous recommande non seulement mon cœur pour y former toutes les vertus et toutes la perfection de votre règle, mais encore mon corps pour le mettre en état d’en soutenir les austérités ; je ne demande pas une santé parfaite, je veux ô ma sainte Mère, vous ressembler en tout point, je veux ressembler à Jésus-Christ, mon divin modèle, et porter sa croix en mon cœur et en mon corps jusqu’au dernier soupir. Ou souffrir ou mourir, sera ma devise, comme ce fut la vôtre ; mais qu’au milieu des douleurs et des infirmités, mon tempérament se fortifie, afin que sa faiblesse ne soit pas un obstacle à ma vocation, quand par la miséricorde de Dieu, tous les autres obstacles seront levés.
Neuvième jour
Mais tandis que je m’occupe de mon cœur, que je m’en propose les vertus, et que je m’y exerce, ne me laissez pas non plus, ô ma sainte Mère, négliger l’état où la Providence me retient encore, quelque court que doive être le temps qu’elle m’y retiendra. Suggérez-moi aussi tous les devoirs, obtenez-moi de les remplir ponctuellement avec autant d’exactitude, d’émulation, et de perfection, que si je devais être toute ma vie ce que je suis à présent ; multipliez aussi, sous mes mains, les occasions de faire le bien propre de cet état, le bien que je ne pourrai plus faire dans le cloître. Hélas ! qu’ai-je fait jusqu’ici pour répondre à la Providence, et la justifier de m’avoir placée, et de m’avoir tenue plus de trente ans dans ce rang d’élévation ? Ô mon Dieu ! Remplissez le peu de jours qui me restent de cette grandeur, et que de leur plénitude soient comblés tous les vides de ma vie passée. Donnez-moi dans ce court espace de temps de servir la Religion, l’Église et l’État ; de tirer de la misère tous les malheureux, de soutenir, de ranimer, d’encourager la piété, de protéger l’innocence opprimée, d’imposer un silence éternel à la calomnie et à la médisance, de vous gagner toute ma maison, d’édifier toute la Cour ; et avant de m’enfermer pour travailler uniquement à mon salut, d’avoir procuré celui de tous ceux à qui l’élévation dont je descends m’aura donnée en spectacle. Ainsi soit-il.
Testaments spirituels
Testaments spirituels
I
Ma fille, c’est l’amour qui élargit le chemin de la pénitence et qui nous le fait paraître uni et spacieux ; et, par un effet tout contraire, la grâce qui poursuit le pécheur remplit de gênes, d’épines, de montuosités, le chemin où il marche. Telle est cette miséricorde adorable, soit qu’elle coure après nous pour nous regagner, soit qu’elle se montre à côté de nous pour nous soutenir. Ah ! ne nous lassons jamais de la bénir, de la louer, de l’invoquer, d’avoir les yeux sur elle, de nous y confier, de nous y appuyer, de prêter l’oreille à sa voix, de suivre son attrait sans balancer, avec courage, amour, ferveur et dévotion.
AVIS
Faisons toutes nos actions pour Dieu seul et de notre mieux, avec une grande confiance et un grand amour. Qui méritera jamais mieux d’être aimé ?…
II
Ma fille, les miséricordes de Dieu toutes nombreuses, toutes infinies qu’elles aient été pour nous jusqu’ici, ne sont pas épuisées ; il nous reste encore à les éprouver avec la même abondance, si nous le voulons. Oui, si nous le voulons, quelque grands, quelque multipliés qu’aient été nos égarements, il suffit que nous revenions à Dieu sincèrement, de tout notre cœur, pour qu’aussitôt il pardonne tout, il oublie tout, il se livre à nous comme si jamais nous n’avions été ses ennemis. Ô bonté ! ô miséricorde ! Quand on l’a médité, peut-on aimer autre chose que lui ? Peut-on ne pas mourir de regret de l’avoir offensé ? Peut-on en même temps ne pas mourir de joie de se sentir bien avec lui ?
SENTIMENT
Toutes mes sœurs ont plus sacrifié à Dieu que moi, car elles lui ont fait le sacrifice de leur liberté, au lieu que j’étais esclave à la Cour, et mes chaînes, pour être plus brillantes, n’en étaient pas moins des chaînes.
III
Ma fille regardons la Sainte Vierge se reconnaître pauvre, et attribuer à l’aveu que son cœur en faisait sans cesse, toutes les grâces dont elle est comblée. Qui pourrait ne pas s’anéantir en considérant l’humilité d’une créature si parfaite ? Mais aussi, qui pourrait n’être pas rempli de confiance au milieu même de son anéantissement, en considérant dans un si bel exemple, la récompense de l’humilité ?
SENTIMENT
Je redoute tout ce qui tient à mon ancien rang, et je fuis même les bonnes choses qui pourraient m’en faire souvenir et en faire souvenir les autres.
IV
Ma fille, lorsque, pour désarmer le Seigneur, nous nous armons contre nous-mêmes, il faut que la vue de nos péchés nous anéantisse en présence de ce Dieu si grand, si terrible, que nous avons eu le malheur d’offenser ; il faut qu’elle brise notre cœur de crainte et de regret ; il faut qu’elle nous pénètre d’une sainte haine contre nous-mêmes. Cependant, il ne faut pas que la vue des miséricordes de Dieu nous abandonne, que le souvenir du sang précieux qui a coulé pour effacer ces péchés que nous détestons nous échappe. C’est du fond de l’accablement où David était plongé par la vive image de ses péchés, c’est en se repliant sur la contrition même dont son cœur était déchiré, et sur la profonde humiliation où il était, qu’il s’écrie avec la plus ferme et la plus douce confiance : Mon Dieu, vous ne rejetterez pas un cœur contrit et humilié !
SENTIMENT
Tout mon but, dans ce que j’ai fait pour l’Ordre, a été de sauver des âmes, pour lesquelles je donnerais jusqu’à la dernière goutte de mon sang, à l’imitation de notre divin Epoux.
V
Ma fille, Dieu demande de nous la plus grande fidélité plutôt que les austérités, et en cela il ne nous traite pas plus doucement que ceux à qui il demande des choses extraordinaires. Non, les haires, les cilices, les ceintures de fer, les bracelets, les disciplines n’ont rien de plus difficile, rien même de si difficile que l’exactitude, la ponctualité constante et soutenue dans cette suite continuelle d’exercices qui ne finissent point, qui renaissent toujours, et qui ne laissent pas un moment pour reprendre haleine. Il n’est pas douteux que c’est à cette fidélité que Dieu a attaché les consolations que nous désirons tant ; elles en sont, dans l’ordre de la grâce, comme l’effet naturel. Dieu est fidèle à ceux qui le sont.
AVIS
Quand vous vivriez cent ans, souvenez-vous, jusqu’au dernier jour de votre vie, que votre maîtresse vous recommandait la fidélité aux petites choses.
VI
Ma fille, armons-nous de courage et de constance, suivons Jésus-Christ que nous avons toujours sur les lèvres, toujours dans le cœur ; suivons-le pas à pas ; ne le laissons jamais lorsqu’il nous appelle à l’oraison, à l’office, à quelque devoir de charité ; ne tergiversons jamais avec lui, ne lui disputons rien, ne le contristons pas. Faisons sa volonté franchement, entièrement ; sacrifions-lui toute la nôtre sans réserve ; n’ayons qu’un cœur avec lui, et ne craignons pas de tomber dans son esclavage, car son joug est doux et léger, et là où il y a de l’amour il n’y a point de peine.
SENTIMENT
Je voudrais écrire partout la formule de mes vœux, afin, si cela se pouvait, de rendre mon engagement plus étroit. Il n’y a pas de couronne qui vaille le contentement que j’éprouve même dès cette vie de les avoir faits.
VII
Ma fille, ne nous alarmons pas si, d’après la faiblesse dont nous ne saurions nous dépouiller tant que nous porterons ce corps mortel, nous nous apercevons de quelque manquement, ou même si nous sentons notre dévotion se refroidir. Ce n’est qu’un avertissement que Dieu nous donne pour nous réveiller, pour nous renouveler. Il faut partir de là pour faire une autre course, avec un nouveau courage, une nouvelle ferveur, reconnaissant que c’est avec justice que Dieu nous prive de ses consolations. Demandons-les-lui humblement pour nous aider à le mieux servir, nous soumettant cependant, si c’est sa volonté, à en être privées toute notre vie, nous réduisant alors à lui demander la force dont nous avons besoin pour persévérer.
MAXIME
Un grand sacrifice qui nous arrache au monde peut bien prouver notre crainte de nous damner avec le monde ; mais ce sont les souffrances journalières qui prouvent la pureté du désir que nous avons de plaire à notre divin Epoux.
VIII
Ma fille, bannissons de notre esprit tous les scrupules et demandons à Dieu la paix et la joie d’une bonne conscience, sans que cela affaiblisse en nous les sentiments de pénitence auxquels nous sommes obligées. Nos propres forces ne sont rien ; nous sommes des enfants que leur ombre effraie ; mais avec Dieu nous sommes des braves que le fer, la mort et l’enfer même ne feraient pas reculer
MAXIME
Qu’est tout ce que nous pouvons souffrir, pour marquer notre amour à celui auquel notre âme a coûté tout son sang ?
IX
Ma fille, lorsque nous avons été touchées des bontés de Dieu, prions-le de conserver ces sentiments dans notre cœur, et d’y graver en traits ineffaçables le souvenir de ses miséricordes, afin qu’elles se représentent continuellement à nos yeux, qu’elles soient notre consolation, notre force, notre unique appui. Hélas ! dans notre faiblesse, dans notre misère, où trouverions-nous un autre soutien ? Mais d’ailleurs, quel soutien que celui de la fidélité d’un Dieu, de la toute puissance, de la bonté de Dieu même ! Appuyées sur ce roc inébranlable, quel est l’ennemi que nous ne devions braver ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Que ce soit notre devise ; opposons-la à tous les obstacles qui se rencontreront sur notre chemin, et nous les verrons tous s’aplanir et nous livrer un passage aisé.
MAXIME
Aucune de nos paroles, aucun de nos soupirs ne doit être sans mérite pour l’éternité.
X
Ma fille, ne nous confions point dans nos propres forces ; mais uniquement en celles de Dieu. Le manque de cette confiance est un outrage à Celui auquel nous devons nous confier. Nous éprouvons chaque jour ce que l’on gagne à n’aimer rien que Dieu et pour Dieu. Autant d’affections naturelles que nous retournons vers lui, autant d’épines que nous arrachons de notre cœur. L’épreuve que nous en ferons nous animera à travailler de plus en plus sur nous-mêmes. Quelle paix, quelle joie nous goûterons lorsque notre conscience nous rendra ce témoignage consolant, qu’il n’y a plus rien du tout dans notre cœur qui ne soit à Dieu, qui ne vienne de Dieu, qui n’appartienne à Dieu ; que surtout Dieu vit en nous et que nous vivons en Dieu.
SENTIMENT
Toute la joie que j’ai pu ressentir dans les fêtes du monde ne m’est rien pour le ciel, au lieu qu’au Carmel tout, jusqu’à la moindre poussière, peut me valoir des diamants pour l’éternité.
XI
Ma fille, l’état de sécheresse où nous nous trouvons quelquefois est peut-être de la part de Dieu une grande miséricorde. Si notre vanité nous porte à nous complaire dans les louanges des hommes, que ferions-nous des louanges de Dieu même ? Et ces grâces sensibles dont nous sommes privées, ces douceurs, ces consolations, ne sont-ce pas des signes que Dieu est content de nous ? Ne sont-ce pas de véritables louanges de la part de Dieu ? Mais qu’elles sont flatteuses ! Il faut être bien fort pour les soutenir ; Saint Paul lui-même aurait pu craindre d’y succomber, et elles ne lui furent données qu’avec un terrible contre-poids qui l’avertissait sans cesse de s’humilier. Bénissons donc la miséricorde de Dieu quand elle nous épargne cette tentation, en nous conduisant par des voies plus pénibles, mais peut-être plus sûres, et beaucoup moins dangereuses.
MAXIME
Les bonnes religieuses se piquent moins d’intelligence dans les bienséances de la société, que de ponctualité au service de Dieu.
XII
Ma fille, un temps viendra où Dieu, nous ayant fortifiés contre toutes sortes d’épreuves, se livrera à nous avec toutes ses douceurs ; mais il faut attendre ce temps avec patience, avec résignation, avec constance. Prions-le, sollicitons-le, exposons-lui nos peines ; mais sans murmurer, sans nous rebuter, sans nous décourager. Soyons toujours soumises, toujours humbles, toujours reconnaissantes, toujours résolues de le servir à quelque prix que ce soit, et ce jusqu’à la mort. Et après tout, quand cela durerait jusque-là, serait-ce trop pour mériter le ciel ? Serait-ce trop pour faire pénitence ? La vie est-elle donc si longue ? L’éternité est-elle si peu de choses ? Jésus-Christ, notre chef, notre modèle, a-t-il été traité autrement ?
SENTIMENT
Tout dans le monde m’est indifférent, et par la grâce de Dieu je ne me sens de désirs que pour l’éternité et ce qui peut m’y conduire.
XIII
Ma fille, nous avons à faire à un Dieu fidèle qui ne permettra pas que nous soyons tentées au-dessus de nos forces. Aimons la pénitence, non seulement parce qu’elle nous obtient le pardon de nos fautes, mais encore l’amitié de Dieu que nous avons offensé. Notre pénitence, c’est l’état que nous avons embrassé ; elle est du choix de Celui à qui nous voulons la faire agréer, ce qui doit nous porter à l’accomplir avec joie, comme la meilleure que nous puissions faire.
SENTIMENT
Il faut que le monde me croie impropre au royaume des cieux, puisqu’il est si émerveillé de me voir faire, pour y parvenir, ce que tant d’autres font chaque jour sans qu’on s’en aperçoive.
XIV
Ma fille, lorsque nous avons quelque chose de plus pénible à soutenir qu’à l’ordinaire, soit du genre de vie que nous avons embrassé, soit de l’influence des saisons, souvenons-nous de ce que Jésus-Christ a souffert pour nous ; représentons-nous ce poids immense de gloire auquel il veut nous faire participer, et dont la comparaison, avec le poids le plus lourd que nous ayons à supporter dans ce monde, est si propre à le faire disparaître.
SENTIMENT
Je désirerais qu’il n’y eût pas dans l’Ordre de monastère plus simplement bâti que le nôtre, et qu’on pût toujours le citer comme un modèle de l’esprit de notre sainte Mère.
XV
Ma fille, le Seigneur se plaît à exercer ses élus, tantôt au-dehors, tantôt au-dedans, et en cela il agit envers nous avec miséricorde ; s’il nous laissait tranquilles ici-bas, nous nous y établirions, nous ne songerions point au ciel, et lorsque pourtant il faudrait y partir, nous regretterions la terre. Ces épreuves dont nous nous plaignons sont donc propres à nous détacher de ce monde et à nous élever vers les cieux. C’est pourquoi laissons les vents gronder, la mer s’agiter ; allons à Jésus-Christ avec confiance ; sa main, quelque invisible qu’elle soit, nous soutient. Tâchons de ne pas mériter le reproche qu’il fit à Saint Pierre : « Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? »
MAXIME
À Dieu ne plaise que je me permette jamais en présence du ciel une action pour laquelle je craindrais les regards de la terre ! Soyons partout ce que nous devons être, nous ne craindrons nulle part de paraître ce que nous sommes.
XVI
Ma fille, dans le ciel nous serons à Dieu sans peine, sans travail, sans contention d’esprit, sans tiédeur ; plus de corps qui nous affaisse, plus de besoins qui nous occupent, plus de peines qui nous distraient ; point de sommeil, point de maladies, point de froid, point de chaud, point de faim, point de gênes, point de souffrances. Soutenons donc nos misères avec courage, avec patience, avec résignation, en vue de cette bienheureuse éternité ; secouons de nos faiblesses ce que nous pouvons, mais ne nous décourageons pas par ce qui nous en reste ; si nous ne courons pas, si nous ne volons pas, du moins traînons-nous toujours vers le ciel.
MAXIME
Une religieuse ne doit pas trop facilement se croire malade, et lorsqu’elle n’est qu’incommodée, elle doit se réjouir d’avoir quelque chose de plus que ses sœurs à offrir au divin Epoux.
XVII
Ma fille, il faut se faire tout à tous comme l’Apôtre : rire avec ceux qui rient, pleurer avec ceux qui pleurent, être malade avec ceux qui le sont ; mais il faut néanmoins tenir son cœur dans la dépendance de Dieu seul, et ne jamais le tirer de ce centre de notre repos.
SENTIMENT
Si j’ai joui du bonheur de faire du bien aux malheureux, en me consacrant à Dieu je lui ai sacrifié jusqu’à cette douceur.
XVIII
Ma fille, la science des saints consiste à n’aimer que Dieu, à n’avoir de véritable estime que pour lui. Puisse cet amour s’accroître en notre cœur de plus en plus, et remplir tellement toutes nos facultés, qu’immuables comme son appui, la paix de notre âme soit à toute épreuve et ne reçoive plus aucune altération dans les vicissitudes des objets qui nous environnent, et qui ne sont que des ombres sans réalité.
MAXIME
Que faisons-nous en ce monde si nous n’y retraçons la mortification de notre divin Maître ?
XIX
Ma fille, lorsqu’il plaît à Dieu de nous envoyer des croix, il faut adorer l’usage qu’il fait de son souverain domaine sur nous ; nous savons qu’il n’en use que dans sa miséricorde, et pour notre bien ; que c’est par les épreuves, les contradictions qu’il a conduit tous les saints, et le premier de tous, Jésus-Christ, son Fils bien-aimé, notre Sauveur, notre modèle, notre divin Epoux. Et nous n’embrasserions pas notre croix avec des transports d’amour, de joie, et de reconnaissance ! Et nous nous plaindrions d’être traitées comme Jésus-Christ.
MAXIME
Ceux qui nous calomnient nous font plus de bien que ceux qui nous flattent, et lorsque nous prions pour nos bienfaiteurs, nous devons les avoir particulièrement en vue.
XX
Ma fille, il est difficile qu’à l’aspect d’une croix qui se présente, le premier mouvement ne soit de tristesse et d’affliction ; la nature est si prompte à se révolter contre ce qui lui répugne, et la raison si lente à venir à son secours ! Mais au moins le second mouvement, le mouvement de la réflexion, doit être tout d’allégresse et de joie. Laissons faire le Seigneur, ne nous occupons qu’à le suivre, il nous conduira bien ; c’est lui-même qui nous en assure.
MAXIME
Le Dieu du Paradis vaut bien nos sacrifices. Je n’ai pas payé trop cher par douze ans complets de peine le commencement de tranquillité dont je jouis.
XXI
Ma fille, à la suite de Jésus-Christ, point de ténèbres ; elles ne surviennent que lorsque, loin de le suivre, nous prétendons le mener ; alors, n’ayant pas de lumière devant nous et nous écartant d’elle à chaque pas, nous tombons dans une nuit profonde où nous nous égarons de plus en plus. Tout ce que Dieu voudra, quand il voudra, comme il voudra : telle doit être notre constante disposition ; et c’est là cette simplicité chrétienne qu’il faut nous proposer de pratiquer.
MAXIME
Le joug d’une Carmélite est léger ou pesant, selon le courage ou la pusillanimité de celle qui le porte.
XXII
Ma fille, confions-nous en Dieu et il subviendra à tous nos besoins. La seule perte de Dieu serait pour nous déplorable, rien ne pourrait nous en dédommager. Rien, rien au monde ne serait capable de remplacer celui qui est notre tout. C’est donc sur lui seul que nous devons arrêter nos regards. Qu’il nous reste et que toutes les créatures s’évanouissent devant nous, rien ne nous manquera. Ce n’est que dans le ciel que nous sentirons bien cette vérité ; mais il faut cependant en cette vie la méditer, la goûter, nous en nourrir et nous en convaincre de plus en plus.
AVIS
Conservons notre vocation au prix de tous les sacrifices. Pour moi, j’aimerais mieux être Carmélite à Constantinople que de retourner au château de Versailles.
XXIII
Ma fille, nos peines et nos épreuves sont-elles donc si grandes que nous ne puissions suffisamment les exprimer en disant avec notre divin maître : Mon Dieu, pourquoi m’avez vous abandonnée ? Et, vous le savez, notre divin Epoux est mort ayant encore pour ainsi dire ces paroles sur les lèvres. Pourrions-nous donc nous plaindre de vivre comme il a vécu, et de mourir avec lui dans les rigueurs et sur la croix du Calvaire ?
AVIS
Ce qui doit nous soutenir dans notre solitude, lorsque nous sommes privées de la lumière divine, c’est que du moins nous habitons une terre sainte, et que si Dieu se dérobe à nos regards, il ne peut jamais être bien loin de nous.
XXIV
Ma fille, si tout à coup Jésus-Christ, levant le voile qui le cache à nos yeux dans le Saint-Sacrement, nous apparaissait comme aux disciples sur le Thabor ; si la divinité, sortant du nuage qui la couvre, se communiquait face à face à notre âme, de cette manière ineffable qui fait le bonheur des saints dans le ciel, sans doute toutes les glaces de notre cœur seraient fondues à l’instant, et nous serions embrasées de l’amour le plus vif et le plus pur pour cet aimable objet ; toutes les autres affections, tous nos attachements disparaîtraient en un clin d’œil. Que manque-t-il à la sainte Eucharistie pour opérer en nous ces merveilleux effets ?…
MAXIME
La présence réelle de notre divin Epoux au Saint-Sacrement éclaire et épure la conscience, élargit le cœur, en bannit l’ennui, la tristesse et les vains scrupules, pour n’y laisser régner que la confiance et l’amour.
XXV
Ma fille, Dieu seul est notre bien et notre tout. C’est avec cette conviction que nous devons approcher de la sainte Table, en nous pénétrant, par de vives considérations, du don que renferme pour nous ce grand mystère. Faudrait-il, parce qu’un voile léger le cache à nos regards, manquer de recueillir les fruits précieux qu’il renferme pour nous ? et notre foi ne saurait-elle percer ce voile ? Prions le Seigneur d’augmenter de plus en plus notre foi ; il ne faut que cela pour nous faire jouir sans mesure du bienfait inestimable que Jésus-Christ nous a préparé dans la sainte Eucharistie.
MAXIME
Toute la force d’une épouse de Jésus-Christ est dans la communion ; le moyen le plus sûr pour elle d’avancer dans la perfection, c’est la communion ; le secours le plus puissant contre ses ennemis, c’est encore la communion. Une Carmélite doit être toujours prête à se confesser, à communier et à mourir.