Le miracle de Fatima et la dévotion au Cœur Immaculé de Marie

Fatima : une pluie de grâces sur le monde (1942-1948)
Chapitre 3 du Troisième secret de Fatima
par le Frère Michel de la Trinité

« La Vierge Marie, constatait l’abbé Laurentin en 1963, a pris dans l’Église catholique d’aujourd’hui un extraordinaire relief qui a culminé avec les années mariales de la fin du pontificat de Pie XII : définition du dogme de l’Assomption en 1950, centenaire du dogme de l’immaculée Conception en 1954, centenaire de Lourdes en 1958.1 » Voilà un fait incontestable ! Mais ce que notre auteur ne dit pas, c’est que cet incomparable élan de dévotion envers la Sainte Vierge a pris naissance et s’est développé en relation étroite avec le message de Fatima, plus spécialement de 1942 à 1948.

En effet, bien que la plupart des historiens de Pie XII passent l’événement sous silence, ou ne lui accordent qu’une place dérisoire dans l’histoire du pontificat, ce fut la consécration de l’Église et du monde au Cœur Immaculé de Marie, le 31 octobre 1942, qui fut à l’origine de ce grand mouvement de dévotion mariale qui allait, d’année en année, continuer à s’accroître presque jusqu’à la fin du pontificat, allant de pair avec une merveilleuse expansion de la foi catholique.

1942 L’AUBE D’UNE ÈRE MARIALE

Faut-il rappeler, très brièvement, les plus notables événements qui marquèrent l’année du jubilé de Fatima ?

8-13 avril : Congrès marial à Lisbonne avec la première “route de Notre-Dame” dont la statue est transportée triomphalement de la Cova da Iria à la capitale de l’Empire. [1]

18 avril : Le cardinal Schuster divulgue les thèmes majeurs du grand Secret.

Avril – mai : Parution à Rome des ouvrages des PP. da Fonseca et Moresco qui vont d’un seul coup, faire connaître dans le monde entier le message de Fatima.

13 mai : À Fatima, grandioses cérémonies du vingt-cinquième anniversaire de la première apparition. À Rome, jubilé épiscopal de Pie XII.

13 octobre : Bénédiction de la couronne d’or offerte à Notre- Dame de Fatima. Parution de “Jacinta” du Ch. Galamba qui fait connaître le texte exact des deux premières parties du Secret.

31 octobre : Clôture du jubilé de Fatima. Radiomessage de Pie XII à la nation portugaise et consécration de l’Église et du monde au Cœur Immaculé de Marie1.

Cette consécration, il est bon de le préciser, n’eut rien d’une formalité sans conséquence, à laquelle le Pape se serait résigné pour satisfaire les trop pressantes instances du peuple fidèle. Dans l’esprit de Pie XII, cet acte, qui était une première réponse officielle aux demandes de Fatima, devrait à l’avenir orienter et inspirer la dévotion de toute l’Église. Aussi s’appliqua-t-il désormais à en rappeler et à en souligner l’importance[2] [3].

LA CÉRÉMONIE DU 8 DÉCEMBRE. Pour en marquer la relation avec Fatima, le Pape avait tenu à accomplir cette consécration au Cœur Immaculé de Marie à l’occasion de la clôture du jubilé des apparitions de 1917. Mais ayant été prononcée en portugais, elle risquait de passer presque inaperçue dans le reste du monde. Aussi Pie XII décida-t-il de la renouveler sans tarder afin de lui donner un plus grand retentissement Le 8 décembre, en la fête de l’immaculée Conception, « une cérémonie d’expiation et de supplication » eut lieu à la basilique Saint-Pierre. En présence de quarante cardinaux, de nombreux évêques, du corps diplomatique, du clergé de Rome et d une grande foule de pèlerins, le Saint-Père lut de nouveau la formule de consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie.

Répondant à la volonté divine la plus formelle révélée à Fatima, — « Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé » —, il invita instamment tout le peuple chrétien à s’unir à l’acte de dévotion qu’il venait d’accomplir envers la Vierge Marie : les évêques en lui consacrant leurs diocèses, les curés leurs paroisses, les fidèles en se consacrant eux-mêmes à elle[4].

Cette simple invitation du Saint-Père ne resta pas lettre morte. Avec un bel empressement, dès les derniers jours de 1942, de nombreuses paroisses d’Italie se consacrèrent au Cœur Immaculé de Marie. Des diocèses de France suivirent cet exemple : Annecy le 13 décembre, Gap et Arras le jour de Noël, Tulle le 27, etc. En Espagne également, les diocèses de Cordoue, Coria, Astorga, Avila et Séville furent consacrés au Cœur Immaculé de Marie avant la fin de 1942. Des ordres religieux firent de même : les franciscains, les capucins, les servites[5].

VERS LA DÉFINITION DU DOGME DE L’ASSOMPTION. 1942 avait vu aussi la première décision publique du Souverain Pontife en vue de la proclamation du dogme de l’Assomption de la très Sainte Vierge. Pour manifester le consensus de l’Église, Pie XII confia à deux jésuites, les PP. Hentrich et de Moos, la tâche de recenser et de publier toutes les suppliques relatives à l’Assomption de la Vierge adressées depuis un siècle au Saint-Siège.

L’APÔTRE DE MARIE À L’HONNEUR. Autre décision importante pour l’accroissement de la dévotion à la Vierge : le 11 janvier 1942, Pie XII avait signé le décret “De miraculis” relançant le procès de canonisation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. De plus, à l’occasion du centenaire de la découverte du manuscrit du “Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge”, les montfortains en publiaient une édition photographique. Pie XII leur accorda la faveur d’une présentation manuscrite du document3.

Autant d’actes, autant de gestes qui engageaient l’Église dans la voie d’une réponse plus parfaite aux demandes de la Vierge de Fatima. Le fait est remarquable : à partir de 1942 jusqu’en 1948, — pour nous en tenir à la période dont nous traitons ici —, aucune année qui ne se soit signalée par plusieurs événements décisifs pour le développement de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.

1943 : LES DÉBUTS DU “GRAND RETOUR”

Le 12 février, Pie XII publie le décret d’introduction de la cause de béatification du pape Pie X. Décision d’une efficacité incomparable pour la défense de la foi catholique.

LES PROGRÈS DE LA DÉVOTION AU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE

Le 15 avril, une fois de plus, le Pape prescrit des prières publiques à la très Sainte Vierge pour obtenir la paix. Reprenant à son compte l’un des thèmes du Secret de Fatima, il invite avant tout les fidèles à tirer les leçons de la guerre :

« Il est tout d’abord nécessaire que tous réfléchissent et reconnaissent qu’une telle guerre, la plus grande peut-être depuis la création du monde, n’est, en définitive, que le châtiment bien mérité de la justice divine outragée…1 »

Et de rappeler alors l’acte solennel accompli quelques mois plus tôt :

« Au mois d’octobre dernier, nous avons voué, confié et consacré au Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge la sainte Église, Corps mystique de Jésus-Christ, déchiré par tant de blessures, et en même temps l’univers entier qui, consumé par la haine et aigri par les divisions, expie la peine de ses propres iniquités. Nous avons appris avec une très grande consolation pour notre cœur paternel que cet acte de dévotion avait été presque partout renouvelé par les évêques, les prêtres, et la multitude du peuple chrétien. Mais si presque tous les chrétiens se sont voués spontanément et volontiers au Cœur Immaculé de la Vierge Marie, il faut aussi que volontiers et résolument ils se conforment à lui, s’ils désirent réellement que la Mère de Dieu reçoive leurs prières avec bonté.[6] [7] »

Tandis qu’à Rome et dans toute l’Italie les récents ouvrages du P. da Fonseca et du P. Luigi Moresco, faisant connaître le message de Fatima, se répandaient avec une rapidité merveilleuse[8], Pie XII multipliait les gestes qui manifestaient sa dévotion personnelle. En mars 1943, il bénissait lui-même une reproduction de Notre-Dame de Fatima destinée à l’église Saint-Jacques de Udine. En juin, il« acceptait la demande que le Portugal lui avait adressée officiellement de construire à ses frais une chapelle dédiée à Notre-Dame de Fatima dans la nouvelle église Saint-Eugène, bâtie à Rome en souvenir de son jubilé épiscopal. Cette chapelle sera toute en marbre du Portugal.[9] »

Le 29 juin, dans son encyclique “Mystici Corporis”, dont l’épilogue était tout entier consacré à « la Vierge Marie, Mère des membres du Christ », le Pape terminait en rappelant de nouveau l’acte de consécration à son Cœur Immaculé[10]. Le 25 novembre enfin, il prescrivait que le 8 décembre suivant, pour le premier anniversaire de cette consécration dans la basilique Saint-Pierre, des prières publiques soient de nouveau adressées à la Vierge Marie, accompagnées d’œuvres de pénitence accomplies en esprit d’expiation[11].

Durant toute l’année, le mouvement des consécrations au Cœur Immaculé de Marie avait continué à s’amplifier. En Espagne, par exemple, où non seulement les diocèses, mais aussi les paroisses et toutes sortes d’associations religieuses, civiles ou militaires, avaient accompli cet acte de dévotion envers la Vierge. Le P. Alonso donne la liste de 41 diocèses espagnols qui firent leur consécration au Cœur Immaculé de Marie en 1943, le plus souvent après la publication d’une lettre pastorale où l’évêque en avait expliqué le sens et la relation étroite avec le message de Fatima[12].

En France aussi, la consécration réalisée par Pie XII allait porter de merveilleux fruits de grâce : elle allait inspirer “le Grand Retour”, « cet événement mystique extraordinaire, sans doute le plus vaste hommage rendu à la Mère de Dieu sur notre terre de France », pour reprendre les expressions du P. Devineau qui, après en avoir été l’un des principaux organisateurs, s’en est fait l’historien enthousiaste[13].

LE GRAND RETOUR DANS LE SILLAGE DE LA VIERGE

Tout avait commencé en 1938, à l’occasion du tricentenaire de la consécration de la France à Notre-Dame par le roi Louis XIII. Quatre reproductions de la statue de Notre-Dame de Boulogne, siégeant sur sa barque, avaient alors visité plusieurs centaines de paroisses du nord de la France. Quatre ans plus tard, le 15 août 1942, l’une de ces statues se trouvait au Puy-en-Velay pour le pèlerinage qui regroupait 60 000 jeunes aux pieds des “Vierges de France”. Le 7 septembre, elle était reçue à Lourdes avec honneur. Puis Notre-Dame de Boulogne avait été de nouveau reléguée à l’écart et tout semblait fini.

Peu après le 8 décembre 1942, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, fit sa visite ad limina. Pie XII l’entretint sûrement de la consécration au Cœur Immaculé de Marie qu’il venait d’accomplir. Dès son retour, l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France fixait au dimanche 28 mars 1943 la consécration de tous les diocèses de France au Cœur Immaculé de Marie. Le Père Ranson, s.j., qui avait été déjà l’animateur de la première mission itinérante de Notre- Dame de Boulogne, se décida alors à reprendre la route.

« Cette consécration, écrit le Père Devineau, fut la charte du Grand Retour. Lorsque le 28 mars 1943, l’Église de France, par la bouche de ses chefs spirituels, faisait sien cet acte du Pape, Notre-Dame de Boulogne, — que l’on allait désormais appeler Notre-Dame du Grand Retour —, quittait le rocher de Massabielle pour sa première étape sur les routes de France : Lourdes – Bartrès. La prodigieuse randonnée commençait. Elle allait durer soixante mois, gagner par osmose nombre de pays d’Europe, et de là, le reste du monde.[14] »

J’ai sous les yeux l’une des images-souvenirs qui furent alors distribuées par milliers. C’est cette date du 28 mars 1943 qui figure en gros caractères, rappelant le point de départ du Grand Retour. Au dos, se trouve la consécration au Cœur Immaculé de Marie prononcée par Pie XII dans son radiomessage au peuple portugais pour la clôture du jubilé de Fatima, suivie d’une brève formule d’engagement personnel.

Cette mission mariale d’un genre nouveau, toute centrée sur la consécration au Cœur Immaculé de Marie, allait, en cinq ans, visiter plus de 16 000 paroisses, dans 83 diocèses de France. Le programme en était simple :

« Le jour, c’étaient les longues marches à pied d’une paroisse à l’autre, drainant souvent des cortèges immenses, par tous les temps, été comme hiver, sous le soleil, sur le verglas, la neige… La nuit se passait en chaire et au confessionnal. Quelques heures de sommeil, et, le lendemain, on repartait C’était Lourdes tous les jours dans plusieurs paroisses de France : la grâce coulait à flots.[15] »

Sur la route, pendant des heures, on ne cessait de chanter et de prier. Beaucoup marchaient pieds nus.

Le soir, « vers 22 h 30, grande veillée de prière dans une église archi- comble, dans une ferveur profonde. On méditait les mystères du Rosaire, surtout les mystères douloureux… À minuit, messe de communion avec consécration au Cœur Immaculé de Marie »[16]. « Et les formules de consécration à la Vierge s’accumulaient, signées, dans la barque : “Pour bien montrer ma volonté d’être de plus en plus fidèle à mon Dieu et à ma Patrie, je me suis consacré au Cœur Immaculé de Marie”…[17] »

Après la messe, des groupes compacts restaient à l’église pour une veillée d’adoration qui durait toute la nuit, se prolongeant jusqu’au départ du lendemain pour une autre paroisse.

Partout, les foules accouraient pour accueillir la Vierge pèlerine « dans un élan de ferveur et une démonstration de foi qu’il est difficile aujourd’hui d’imaginer. Pendant soixante mois, de 40 à 50 missionnaires accompagnèrent le quadruple cheminement marial qui remontait des bords du Gave aux côtes boulonnaises.[18] »

« Il est difficile, après vingt ans, écrit le P. Devineau en 1963, de réaliser jusqu’à quel point tout un peuple a été soulevé par l’enthousiasme et la ferveur […]. Sous les apparences fragiles de statues qui passaient, se cachait la présence de la Mère de Dieu. C’était Elle la grande convertisseuse, la grande missionnaire.[19] »

« Du 26 avril au 4 juillet 1943, écrivait Mgr Théas, la statue de Notre- Dame de Boulogne parcourut en tous sens le petit diocèse de Montauban. Nuit et jour, la Vierge du Grand Retour fut honorée et acclamée de la manière la plus inattendue et la plus bienfaisante […]. Les confessionnaux et les tables de communion furent assiégés pendant ces nocturnes sacrés, tandis que la récitation des mystères du Rosaire retenait dans les églises les multitudes priantes. Dans certaines paroisses, il y eut des conversions retentissantes qui n’avaient pas été opérées au cours des missions. [20] »

L’efficacité inattendue de cette mission mariale surprenait surtout les responsables de l’Action catholique : « Le Grand Retour à Reims, écrivait le Directeur des œuvres, a atteint des couches que jamais l’Action catholique n’avait encore atteintes. Il pose pour nous bien des problèmes [sic !] [21] »

En effet, « Le grand voyage de Marie, Reine et Patronne de la France à travers son beau domaine », comme dira bientôt Pie XII, était aussi et surtout le grand retour des âmes à Jésus, par Marie, au moyen de la consécration à son Cœur Immaculé. « Les missionnaires qui ont suivi Notre-Dame sur les routes de France, écrit le P. Devineau, peuvent témoigner que c’est sur les voies mariales qu’ils ont entendu les aveux les plus sincères et les plus loyaux. »

Dans l’atmosphère de la “Révolution nationale” du maréchal Pétain, le succès du Grand Retour fut total. Les autorités civiles se montraient franchement favorables et, malgré le caractère patriotique de ce grand mouvement de piété populaire, les occupants allemands n’y faisaient pas obstacle.

L’une des images du Grand Retour, très largement diffusée, portait au dos la célèbre prophétie de saint Pie X lors du consistoire du 29 novembre 1911 :

« Un jour viendra, et nous espérons qu’il n’est pas très éloigné, où la France, comme Saul sur le chemin de Damas, etc. » « Ce jour-là, poursuivait le texte, il est en notre pouvoir d’en accélérer l’avènement, en faisant ce que la Sainte Vierge a si expressément demandé : 1° en changeant de vie ; 2° en récitant le chapelet ; 3° en nous consacrant au Cœur Immaculé de Marie. »

C’était, en quelques mots, l’essentiel du message de Fatima qui était proposé comme le moyen de hâter cette heure de la conversion complète de la France. C’était aussi l’époque où les événements de Fatima, jusqu’alors presque totalement ignorés en France, suscitaient soudain « une pieuse et avide curiosité » dans le peuple chrétien. La presse rompait son silence obstiné. Les prédicateurs en parlaient. En quelques mois, le très important tirage du beau livre du Ch. Barthas, “Fatima, merveille inouïe” était épuisé1.

Bientôt, avec la “Libération”, le Grand Retour va rencontrer de farouches oppositions, celle des communistes et des francs-maçons, revenus en force au pouvoir, mais aussi, nous en donnerons des preuves, celle de leurs complices démocrates-chrétiens, exaspérés par cette religion populaire et ce nationalisme catholique, perçu par eux, à juste titre, comme une sourde menace pour la sacro-sainte démocratie laïque… Mais n’anticipons pas.

Il n’empêche que le Grand Retour contribua puissamment à la très réelle renaissance catholique qui s’opéra sous le gouvernement du Maréchal, avec son aide bienveillante et efficace. Si ce mouvement n’aboutit pas, du moins préserva-t-il la France des années 1944-1947 d’une totale emprise communiste qui fut, de fait, à deux doigts de faire basculer notre pays dans le camp bolchevique… Et puis surtout, pour les âmes, les innombrables grâces de conversion, tous les mérites alors obtenus, sont des trésors surnaturels qui ont valeur éternelle.

1944 : LA FÊTE DU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE

Dans sa lettre au pape Pie XII, le 2 décembre 1940, au terme de son exposé, sœur Lucie écrivait :

« Maintenant, Très Saint Père, permettez-moi de faire encore une demande. C’est là seulement un désir ardent de mon pauvre cœur : que la fête en l’honneur du Cœur Immaculé de Marie soit étendue au monde entier comme l’une des principales fêtes de la sainte Église.[22] »

Au P. Aparicio, elle confiait ce même désir véhément :

« Ah ! qui me donnera… que sa Sainteté élève pour l’Église universelle la fête en l’honneur du Cœur Immaculé de Marie au rang de fête principale de première classe ! Priez pour cela, pour la gloire de notre bon Dieu et de notre bonne Mère du Ciel.[23] »

Le 27 mai 1943, elle insistait encore, dans une lettre à l’évêque de Gurza : « À la vérité, ce désir [d’une fête du Cœur Immaculé de Marie] n’est pas seulement mien. Quelqu’un l’a déposé en moi. Il provient des très Saints Cœurs de Jésus et de Marie.[24] »

Eh bien ! le 4 mai 1944, ce vœu était partiellement exaucé : Le Pape instaurait la fête du Cœur Immaculé de Marie, afin, précisait-il, que l’on conservât le souvenir de la consécration du genre humain à ce même cœur, accomplie par lui le 8 décembre 1942.

Voici le texte du décret de la Sacrée Congrégation des rites, publié dans les Acta apostolicæ Sedis :

« Le culte liturgique envers le Cœur de la Bienheureuse Vierge Marie, dont les commentaires des Pères au sujet de l’Époux du Cantique des cantiques montrent de lointains vestiges et auquel de plus nombreux et saints personnages, hommes et femmes du Moyen Age et de l’époque moderne, ont préparé la voie de façon plus immédiate, fut approuvé pour la première fois par le Siège apostolique à l’aube du XIXe siècle, lorsque le pape Pie VII établit que la fete du Cœur très pur de Marie devrait être célébrée pieusement et saintement le dimanche après l’octave de l’Assomption, par tous les diocèses et les familles religieuses qui auraient demandé la faculté de célébrer cette fête.

« Mais au milieu de ce même siècle, la fête du Cœur très pur de la Bienheureuse Vierge Marie, — qui au long des ans se propageait plus largement à travers le monde catholique —, a été enrichie d’un Office et d’une Messe propres par l’ordre de Pie IX et le soin de la Sacrée congrégation des rites.

« L’Église, par ce culte, rend l’honneur qui est dû au Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie. Sous le symbole de ce Cœur, elle vénère en effet très dévotement la sainteté éminente et singulière de l’âme de la Mère de Dieu, surtout son amour très ardent envers son Dieu et Fils Jésus- Christ, et sa tendresse maternelle envers les hommes rachetés par son Sang divin.

« Pendant ce temps, se fortifiaient dans les âmes, tant des Pasteurs que des fidèles, le zèle et le désir ardents que la fête du Cœur très pur de la Bienheureuse Vierge Marie>fût étendue à toute l’Église.

« C’est pourquoi, compatissant aux épreuves si pénibles qui affligent les peuples chrétiens à cause de la guerre cruelle qui les accable, notre Très Saint Père le pape Pie XII, en l’année 1942, le jour béni de l’immaculée Conception, consacra pour toujours au Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie la sainte Église universelle et le genre humain tout entier, qu’autrefois le pape Léon XIII avait voués au Cœur très Sacré de Jésus.

« Et afin que l’on conservât le souvenir de cette consécration (conse- crationis) il décida d’étendre à l’Église universelle la fête du Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie. Elle devra être célébrée chaque année, avec Office et Messe propres, le 22 août, à la place du jour octave de l’Assomption de cette même Bienheureuse Vierge, sous le rite double de seconde classe : afin qu’avec l’aide de la Bienheureuse Mère de Dieu, soient accordées la paix à toutes les nations et la liberté à l’Église du Christ, que les pécheurs, libérés de leurs fautes, et enfin tous les fidèles soient fortifiés dans l’amour de la pureté et dans la pratique des vertus […]. Le 4 mai 1944. Cardinal Salotti, préfet.[25] »

« Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. » L’instauration de cette fête marquait un nouveau progrès dans la réalisation de ses desseins de miséricorde pour notre siècle.

L’AVERTISSEMENT AUX ÉVÊQUES D’ESPAGNE

Ce fut aussi en 1944 que le message du 12 juin 1941 fut enfin transmis à de nombreux évêques d’Espagne. Les premières initiatives de don Antonio Garcia y Garcia en 1943 avaient été plutôt mal accueillies, surtout de la part des cardinaux de Tolède et de Séville.

Devant cet échec du prélat espagnol, ce fut Mgr da Silva qui se décida à agir. Le 10 février 1944, il rédigea la lettre suivante à l’intention de chacun des évêques d’Espagne :

« Je suis l’indigne évêque du plus petit diocèse du Portugal, mais le diocèse choisi par Notre-Dame pour les apparitions de Fatima.

« Sœur Lucie, l’une des voyantes, vit encore dans une maison religieuse en Espagne. Je lui ai parlé et j’ai correspondu souvent avec elle. Il y a peu de temps, celle-ci a écrit à l’excellentissime Seigneur Manuel, évêque de Gurza, supérieur de la société des missions catholiques portugaises, son ancien directeur spirituel, une lettre dont je vous communique le contenu[26].

« Le P. Moran, s. j., qui est venu plusieurs fois à Fatima pour prêcher les Exercices spirituels présidés par son Éminence le cardinal Cerejeira, patriarche de Lisbonne, a insisté auprès de moi, pour que je fasse connaître à votre Excellence ces paroles de sœur Lucie.[27] »

Cette intervention, si surprenante de la part de l’évêque de Leiria, allait avoir très vite les plus heureux résultats.

LA REPONSEDES ÉVÊQUES. L’évêque de Badajoz, en répondant le premier à cette lettre circulaire, disait à don José :

« Les paroles de Notre-Seigneur à sœur Lucie, la voyante de Fatima, ne peuvent être plus expressives et expriment en toute exactitude ce qui se produit parmi nous. Par conséquent, dans la mesure de mes faibles forces, j’essaierai de suivre l’avis de Notre-Seigneur afin d’apaiser sa justice si offensée par tant d’âmes qui vivent sans accomplir sa sainte loi. »

Le cardinal Segura, archevêque de Séville, se ravisait :

« Que de vérités contiennent ces affirmations ! Nous le voyons tous les jours et nous ne cessons de le répéter à nos fidèles. Veuille le Seigneur, par la médiation de Notre-Dame de Fatima envers laquelle on professe en Espagne une si tendre dévotion, nous accorder le changement de mœurs indispensable pour que se réalisent sur notre peuple les desseins divins ! D’ici quelques mois, sera érigé, près du monument diocésain du Sacré- Cœur, une chapelle spéciale à Notre-Dame de Fatima, en réponse aux désirs de la piété sévillane. Je remercie beaucoup le P. Moran de son intervention à ce sujet, je le connais depuis mon enfance et j’estime beaucoup ses vertus et ses bonnes qualités, son talent, sa science et sa prudence.[28] »

Le cardinal était désormais si convaincu de l’origine surnaturelle du message transmis par Lucie qu’il osa le lire publiquement dans sa cathédrale, au cours de l’une de ses célèbres conférences de Carême qui avaient une résonance dans toute l’Espagne[29].

Le texte en fut également publié dans l’édition hispano-anglaise de la “Voz da Fatima”, puis reproduit par de nombreuses revues populaires. Quelques évêques manifestèrent une certaine irritation, mais la plupart accueillirent ce sévère avertissement avec le plus grand respect Si quelques oppositions firent obstacle aux réunions épiscopales demandées, le message de Notre-Seigneur fut largement diffusé et, dans leur ensemble, les évêques s’efforcèrent d’en tenir compte. Si bien qu’en 1947-1948, lorsque la Vierge de la Cova da Iria commencera à parcourir le monde, en missionnaire, ce sera dans la catholique Espagne qu’elle connaîtra son plus beau triomphe, et ce sera là aussi qu’elle répandra, avec le plus de largesse, ses merveilles de grâce, ses miracles de guérison et de conversion.

1945 LES PROGRÈS DE LA DÉVOTION AU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE

Le 2 mars 1945, sœur Lucie écrivait au P. Aparicio : « Je me réjouis des progrès que la dévotion au Cœur Immaculé de Marie est en train de faire de toutes parts. Dans les temps actuels, c est cette dévotion qui nous sauvera. [30] » Le Pape, quant à lui, ne manquait aucune occasion d’inviter le peuple chrétien à marcher dans cette voie.

Le 21 janvier, pour le cinquantenaire de sa « consécration à la très Sainte Vierge dans la congrégation mariale du collège Capranica, il expose aux membres des congrégations mariales de Rome quel est leur rôle et quelle est là nature de la véritable consécration à Marie[31].

Le 8 avril, il fait de nouveau allusion au Cœur Immaculé de Marie. Le 15 avril, il publie l’encyclique “Communium interpretes” prescrivant des prières publiques à la Vierge pour obtenir la paix. Et d’insister une fois de plus sur la réforme nécessaire des mœurs publiques et privées qui doit accompagner les actes de dévotion, rejoignant ainsi l’avertissement de Notre-Seigneur aux évêques d’Espagne :

« Puisque ce sont les péchés que nous commettons devant Dieu (Baruch 6,1) qui nous détournent de lui et nous précipitent dans le malheur et la ruine, il ne suffit pas, comme vous le savez bien, vénérables frères, d’adresser au Ciel des prières ardentes ; il ne suffit pas de venir en très grand nombre au pied de l’autel de la bienheureuse Vierge Marie pour y apporter des offrandes, des fleurs, des supplications ; mais il est absolument nécessaire de renouveler la vie tant privée que publique par des mœurs chrétiennes…[32] »

Le 8 octobre, Pie XII écrit au R. P. Cruvillier, Supérieur général des missionnaires de La Salette, à l’occasion du prochain centenaire de l’apparition de Notre-Dame :

« Notre dévotion envers la très Sainte Vierge, au Cœur Immaculé de laquelle nous avons consacré l’Église et le monde, ne peut que se dilater devant les douces perspectives, que votre lettre nous laisse entrevoir, du prochain centenaire de l’apparition de Notre-Dame de La Salette, dont le procès canonique, institué en son temps par l’autorité diocésaine, s’avéra favorable. [33] »

Le 8 décembre, dans son allocution pour la clôture des Exercices spirituels au Vatican, il faisait cette confidence :

« Que si, parfois, nous nous sentons fléchir sous le poids de la croix, si les incompréhensions ou les injustices du monde emplissent d’amertume notre cœur, si les assauts des ennemis de Dieu soumettent à une dure épreuve notre courage et notre persévérance, nous savons, en ce jour consacré à la Vierge Immaculée, où trouver la consolation et la sécurité : dans notre dévotion envers Marie, la céleste Reine, Mère de Dieu et notre Mère. Confiants en son intercession, nous cheminerons d’un pas assuré sous la protection divine.[34] »

1946 LES BLANCHES COLOMBES DE L’IMMACULÉE, REINE DU PORTUGAL

Après l’année jubilaire de 1942, nous atteignons, en 1946, un nouveau sommet de la dévotion envers la très Sainte Vierge, et tout particulièrement envers la Vierge de Fatima.

VERS LA DÉFINITION DU DOGME DE L’ASSOMPTION. Le 1er mai 1946, le pape envoie à tous les évêques du monde, de manière confidentielle, l’encyclique “Deiparæ Virginis” dans laquelle il demande à chacun de donner son avis sur la définition du dogme de l’Assomption de la très Sainte Vierge et sur son opportunité[35].

Le 30 juin, s’adressant aux fidèles de Belgique, il évoque « le Cœur Immaculé de Marie, Mère et Médiatrice »2. Le 16 juillet, il adresse un magnifique Radiomessage aux fidèles de Colombie, à l’occasion de leur Congrès marial national. C’est l’intense dévotion à la Vierge Marie, explique-t-il, qui a préservé la foi « dans les contrées colonisées par la mère Espagne ». Et comme, au cours du Congrès, Notre-Dame du Carmel doit être couronnée, le Pape développe, pour conclure, un thème qui est l’essence même du message de Fatima : C’est la Vierge Marie, et elle seule, qui pourra remporter la victoire décisive sur les forces du Mal déchaînées :

« La Vierge du Carmel, patronne des gens de mer qui, tous les jours, risquent leur vie au gré des vagues et du vent instable ! De notre poste de pilote de la barque de Pierre, lorsque nous entendons rugir la tempête et voyons bondir sous nos yeux la mer en furie qui voudrait engloutir notre bateau, nous levons notre regard confiant et serein vers la Vierge du Carmel – Respice stellam, voca Mariam – et nous la prions de ne pas nous abandonner. Et, bien que l’enfer ne cesse de nous assaillir et que la fureur des forces du mal s’accroisse toujours, comptant sur sa puissante protection, jamais nous ne douterons de la victoire.[36] »

Le 31 juillet, le Pape écrit une lettre sur le Rosaire à l’archevêque de Manille pour le Congrès marial des Philippines. Le 30 août, le 4 septembre, il fait de nouveau allusion au Cœur Immaculé de Marie[37]. Le 22 novembre, il adresse une allocution à un groupe de dirigeants du Grand Retour[38]. Il les encourage à poursuivre leur œuvre : « Marchez toujours, mais par la voie où vous vous êtes engagés : cette voie est la bonne. C’est la voie de la prière et de la pénitence, la voie royale de la croix. » Et de préciser :

« Le plus difficile n’est pas l’élan de ferveur des veillées nocturnes, des processions pieds nus sur le sol brûlant ou glacé, s’il ne constitue qu un épisode passager. Le plus difficile est la fidélité constante aux devoirs, même gênants, du chrétien, aux pratiques pieuses, aux menus sacrifices de la vie quotidienne en esprit de réparation, d’humilité, d’amour. »

Après avoir rappelé la consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie et les quelques millions de consécrations individuelles accomplies sur les routes du Grand Retour, le Pape en rappelle le sérieux et l’importance :

« Nous ne pouvons ici que rappeler ce que nous disions sur ce sujet en un anniversaire bien cher à notre cœur : “ La consécration à la Mère de Dieu… est un don total de soi, pour toute la vie et pour l’éternité ; non pas un don de pure forme ou de pur sentiment, mais un don effectif, réalisé dans l’intensité de la vie chrétienne et mariale.” (Discours du 21 janvier 1945 aux Congréganistes de la Sainte Vierge).[39] »

1946, c’est encore l’année où la Pologne se consacre au Cœur Immaculé de Marie[40]. Mais c’est aussi, et surtout, la grande année du triomphe de Notre-Dame de Fatima dans la “Terre de Sainte Marie”.

13 MAI 1946 : LE COURONNEMENT DE LA VIERGE DE FATIMA

Nous avons raconté comment, pour le jubilé des apparitions, les femmes portugaises avaient offert à la Vierge de Fatima une couronne d’or massif, ornée de perles et de pierres précieuses, que le cardinal Cerejeira avait bénie solennellement le 13 octobre 1942. Mais la cérémonie du couronnement avait été réservée pour des jours meilleurs.

Comme le troisième centenaire de la consécration du Portugal à la Vierge Immaculée approchait, les évêques du pays décidèrent de solenniser cet anniversaire national par le couronnement de la statue de Notre-Dame de Fatima. Ils s’adressèrent au Pape et lui demandèrent l’envoi d’un légat pontifical. Cette faveur accordée, le 18 janvier une lettre pastorale collective annonçait le programme des fêtes du tricentenaire et invitait tout le Portugal au grand pèlerinage national du 13 mai.

Le soir du 10 mai, avant de prendre l’avion mis à sa disposition par le gouvernement portugais, le cardinal Aloisi Masella, légat a latere, était allé demander une ultime bénédiction au Saint-Père : « Pensez à la grandeur de la mission que vous allez remplir, lui déclara Pie XII, vous allez couronner Notre-Dame Reine du monde. »

L’accueil du légat à Lisbonne, puis à Batalha par tous les évêques du pays fut déjà l’occasion de grandioses manifestations. Le 13 mai, après la messe de communion, eut lieu le défilé des drapeaux, puis la solennelle procession de la statue, portée de la Capelinha sur le parvis de la basilique où elle serait couronnée. Malgré le vent et la pluie, 800 000 pèlerins étaient là, acclamant leur Reine avec un enthousiasme indescriptible. Toute la nation était organiquement représentée. Le brancard de procession était porté par les cadets de l’École militaire accompagnés de leurs officiers. Pour le couronne­ment, au nom des femmes portugaises qui l’avaient offerte, la présidente de la Ligue des femmes catholiques présenta la couronne d’or au ministre de 1’Intérieur, délégué du général Carmona, chef de l’État, et celui-ci la tendit à son tour au légat qui, au nom du Souverain Pontife, la déposa sur le front de l’Image vénérée.

« Alors, raconte le P. da Fonseca, ce fut un débordement irrépressible des sentiments qui inondaient les cœurs : applaudissements, vivats, hosannas, supplica­tions, larmes d’amour, de dévotion, d’enthousiasme… Seul celui qui a vu et a vécu ces minutes si exceptionnelles dans l’histoire du Portugal et du monde peut s’en faire une idée[41]. La consécration du Portugal au Cœur Immaculé de Marie est renouvelée. Alors, les chants, les hosannas, les invocations à la Reine et Patronne retentissent de nouveau… Mais bientôt, à 11 h 30 précises, comme par enchantement, un silence profond se rétablit dans toute la vaste enceinte et la voix du Pape se met à résonner.[42] »

RADIOMESSAGE AUX FIDÈLES DU PORTUGAL À L’OCCASION DU COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE F ATIMA [43]

« Vénérables Frères et chers Fils !

« “Béni soit le Seigneur, Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, qui nous console dans toutes nos tribulations ![44]” Et avec le Seigneur, bénie soit Celle qu’il a établie Mère de miséricorde, notre Reine et notre Avocate très aimante, la Médiatrice de ses grâces, la Dispensatrice de ses trésors ! »

DE LA CONSÉCRATION DU 31 OCTOBRE 1942 AU COURONNEMENT DU 13 MAI 1946

« Lorsque, il y a quatre ans, au milieu du fracas de la plus funeste guerre qu’ait connue l’histoire, nous nous trouvions pour la première fois au milieu de vous, montant en esprit jusqu’à cette sainte montagne, pour remercier avec vous Notre-Dame de Fatima des immenses bienfaits dont elle vous avait récemment gratifiés, au “Magnificat” de tous les cœurs, nous avions joint un cri de filiale confiance, afin que l’immaculée Reine et Patronne du Portugal complétât l’œuvre qu’elle avait si merveilleusement commencée

« Votre présence aujourd’hui dans ce sanctuaire, en une multitude si immense que personne ne peut la compter, atteste que la Vierge souveraine, la Reine Immaculée dont le Cœur maternel et compatissant a réalisé le prodige de Fatima, a exaucé vos supplications d’une manière surabondante. Un amour ardent et reconnaissant vous a amenés ici, et vous avez voulu lui donner une expression sensible, en le concrétisant, en le symbolisant, par cette couronne précieuse, fruit de tant de générosités et de sacrifices, dont, par la main de notre cardinal légat, nous venons de couronner l’Image thaumaturge de Notre- Dame de Fatima. »

LA VIERGE IMMACULÉE, REINE DU PORTUGAL

« Si, aux yeux de la céleste Reine, ce symbole expressif témoigne de votre amour filial et de votre gratitude, il vous rappelle d’abord l’immense amour manifesté par les bienfaits sans nombre que la Vierge Mère a répandus sur sa “Terre de Sainte Marie”. »

DE LA FONDATION DU ROYAUME À SA CONSÉCRATION SOLENNELLE À L’IMMACULÉE

« Huit siècles de bienfaits ! Les cinq premiers se sont écoulés sous le signe de Sainte Marie d’Alcobaça, de Sainte Marie de la Victoire, de Sainte Marie de Belem, dans les luttes épiques contre le Croissant pour la fondation de la Nation, et dans celles qui ont été nécessaires pour consolider son indépendance ; dans toutes les aventures héroïques, enfin, des découvertes de nouvelles îles et de nouveaux continents, par lesquelles vos ancêtres se sont illustrés, plantant partout la Croix du Christ avec le blason national.2 »

« Les trois derniers siècles se sont passés sous la protection spéciale de l’immaculée que le monarque, restaurateur [de l’indépendance du Portugal]3, avec toute la nation réunie en Cortès, proclama Patronne de ses royaumes et domaines, lui consacrant sa couronne en tribut de vassalité et faisant le serment de défendre jusqu’à la mort le privilège de son Immaculée Conception4. “Avec une grande confiance dans l’infinie miséricorde de Notre-Seigneur, déclarait-il, et par la médiation de Notre-Dame, Patronne et Protectrice de nos royaumes et domaines, dont nous avons l’honneur de nous déclarer vassaux et tributaires, nous espérons être soutenu et défendu contre nos ennemis, et obtenir un grand accroissement de nos royaumes, pour la gloire du Christ notre Dieu, l’exaltation des hérétiques. ”5 » [45]

LE MIRACLE DE FATIMA

« Et la Vierge très fidèle n’a pas déçu l’espérance qui avait été mise en elle. Il suffit de considérer les trois dernières décennies écoulées[46], qui, par les crises traversées et par les bienfaits reçus, équivalent à des siècles. Il suffit d’ouvrir les yeux et de voir cette Cova da Iria, transformée en source jaillissante de grâces, de prodiges physiques, et plus encore de miracles d’ordre moral, qui, par torrents, se répandent sur tout le Portugal, et, de là, franchissant les frontières, s’étendent sur toute l’Église et sur le monde entier.

« Comment ne pas remercier ? Ou, plutôt, comment remercier dignement ?

« Il y a trois cents ans, le monarque de la restauration nationale, en signe d’amour et de reconnaissance pour lui et pour son peuple, déposait sa couronne royale aux pieds de l’immaculée, proclamée Reine et Patronne de son royaume. Aujourd’hui, c’est vous tous, tout le peuple de la “Terre de Sainte Marie’, avec les Pasteurs de vos âmes et votre Gouvernement qui, aux prières ardentes, aux sacrifices généreux, aux solennités eucharistiques, aux mille formes d’hommage que vous a dictées l’amour filial et reconnaissant avez voulu joindre cette précieuse couronne pour ceindre le front de Notre-Dame de Fatima, ici, dans cette oasis bénie, imprégnée de surnaturel, où l’on éprouve de manière plus sensible sa merveilleuse protection, et où, tous, vous vous sentez plus près de son Cœur Immaculé, qui palpite d’une immense tendresse, d’une sollicitude maternelle, pour vous et pour le monde entier.

« Qu’elle est précieuse, cette couronne, symbole expressif d’amour et de gratitude ! »

LA VIERGE IMMACULÉE, REINE DE L’UNIVERS

L’ASSOMPTION ET LE COURONNEMENT DE LA VIERGE DANS LE CIEL

« Cependant, cet immense concours de peuple, la ferveur de vos prières, le retentissement de vos acclamations, tout le saint enthousiasme qui vibre en vous, et aussi le rite sacré qui vient de s’accomplir en cette heure d’incomparable triomphe de la Mère Très Sainte, évoque à notre esprit d’autres multitudes bien plus innombrables, d’autres acclamations bien plus ardentes, d’autres triomphes encore plus divins : l’heure éternellement solennelle, au jour sans déclin de l’éternité, où la Vierge glorieuse, entrant triomphalement dans la Patrie céleste fut élevée, à travers les hiérarchies bienheureuses des chœurs des anges, jusqu’au trône de la Trinité bienheureuse, qui ceignit son front d’un triple diadème de gloire, et la présenta à la cour céleste, assise à la droite du Roi immortel des siècles, et couronnée Reine de l’univers. »

LES TITRES DE L’IMMACULÉE À LA ROYAUTÉ UNIVERSELLE

« Et l’Empyrée vit qu’Elle était réellement digne de recevoir l’honneur, la gloire et l’empire ; parce que plus pleine de grâce, plus sainte, plus belle, plus divinisée, incomparablement plus, que les plus grands saints et les anges les plus sublimes, pns séparément ou réunis tous ensemble ; parce que mystérieusement apparentée, dans l’ordre de l’union hypostatique, avec toute la Trinité bienheureuse, avec Celui qui seul est, par essence, la Majesté infinie, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, comme Fille aînée du Père et Mère très tendre du Verbe, Epouse de prédilection du Saint-Esprit ; parce que Mère du Roi divin, de Celui à qui, dès le sein maternel, le Seigneur Dieu a donné le trône de David et la royauté étemelle dans la maison de Jacob ; parce que Celui qui a proclamé que tout pouvoir Lui a été donné au Ciel et sur la terre, Lui, le Fils de Dieu, fait rejaillir sur sa céleste Mère la gloire, la majesté, l’empire de sa propre Royauté ; parce que, associée comme Mère et Assistante du Roi des martyrs, dans l’œuvre ineffable de la Rédemption des hommes, elle lui reste associée pour toujours, avec un pouvoir presque infini, dans la distribution des grâces qui découlent de la Rédemption[47]

« Jésus est le Roi des siècles éternels, par nature et par conquête. Par Lui, avec Lui, en dépendance de Lui, Marie est Reine, par grâce, par parenté divine, par conquête, par élection singulière. Et son Royaume est aussi vaste que celui de son Fils, qui est Dieu, puisque rien n’est exclu de son domaine.

« C’est pourquoi l’Église la salue comme Souveraine et Reine des anges et des saints, des patriarches et des prophètes, des apôtres et des martyrs des confesseurs et des vierges. C’est pourquoi elle la proclame “Reine du Ciel et de la terre”, “glorieuse et très digne Reine de l’univers”, “Regina cœlorum”, gloriosa Regina mundi”, “Regina mundi dignissima”. C’est pourquoi elle nous enseigne à l’invoquer, jour et nuit, au milieu des gémissements et des larmes de notre exil ; “Salve Regina, Mater misericordiæ, vita, dulcedo et spes nostra !” Car sa Royauté est essentiellement maternelle, exclusivement bienfaisante. »

REINE DE LA PAIX. PROTECTRICE DU PORTUGAL ET REINE DU MONDE

« N’est-ce pas cette Royauté que vous avez précisément expérimentée ? Ne venez-vous pas aujourd’hui proclamer et reconnaître les bienfaits insignes les innombrables témoignages de tendresse dont vous a gratifiés le Cœur maternel de votre auguste Reine ?

« La plus terrible guerre qui ait jamais désolé le monde, pendant quatre longues années, a rôdé autour de vos frontières, mais jamais elle ne les a franchies, grâce surtout à Notre-Dame, qui, de son trône de miséricorde, dressé ici comme une sublime tour de garde au centre du pays, veillait sur vous et sur vos gouvernants ; elle ne permit pas que la guerre vous touchât, vous faisant seulement soupçonner les calamités inouïes dont sa protection vous préservait.

« Qui, couronnez-la Reine de la paix- et du monde, pour qu’elle aide le monde à retrouver la paix et à se relever de ses ruines ! Ainsi cette couronne, symbole d’amour et de gratitude pour le passé, de foi et de vassalité pour le présent, sera encore, pour l’avenir, couronne de fidélité et d’espérance. »

L’ENGAGEMENT AU SERVICE DE LA REINE DU MONDE…

« En couronnant l’Image de Notre-Dame, vous avez signé et attesté votre foi en sa Royauté, votre soumission loyale à son autorité, votre correspondance filiale et constante à son amour. Vous avez fait plus : vous vous êtes engagés, comme Croisés, pour la conquête ou la reconquête de son Royaume, qui est le Royaume de Dieu ; c’est-à-dire, vous vous êtes obligés, à la face du Ciel et de la terre, à l’aimer, à la vénérer, à la servir, à l’imiter, afin de mieux servir le divin Roi ; et, en même temps, vous vous êtes obligés à travailler afin qu elle soit aimée, vénérée, servie autour de vous, dans la famille, dans la société, dans le monde entier. »

… DANS UN COMBAT D’APOCALYPSE

« En cette heure décisive de l’histoire, de même que le royaume du mal, déployant une infernale stratégie use de tous les moyens et déchaîne toutes ses forces pour détruire la foi, la morale, le Règne de Dieu, de même les fils de lumière, les enfants de Dieu, doivent tout employer, et s’employer tous a es défendre, si l’on ne veut pas assister à une ruine infiniment plus grave et plus désastreuse que toutes les ruines matérielles accumulées par la guerre.

« Dans cette lutte, il ne peut y avoir de neutres ni d’indécis. Ce qu il faut, c’est un catholicisme éclairé, convaincu, sans peur, de foi et d’action, de sentiments et d’œuvres, en privé comme en public, qui peut se résumer dans la formule proclamée il y a quatre ans à Fatima par la vaillante Jeunesse catholique : “Catholiques cent pour cent !” »

« Dans l’espérance que nos vœux seront favorablement accueillis par le Cœur Immaculé de Marie, et hâteront l’heure de son triomphe et du triomphe du Règne de Dieu, comme gage des grâces célestes, à vous, Vénérables Freres, et à tout votre clergé, à l’excellentiSsime Président de la République, à l’illustre Chef et aux membres du gouvernement, aux autres autorités civiles et militaires, à vous tous, chers fils et chères filles, pieux pèlerins de Notre-Dame de Fatima, et à tous ceux qui vous sont unis en esprit dans le Portugal continental, insulaire et d’outre-mer, nous donnons avec tout notre amour et toute notre affection paternelle, la Bénédiction apostolique. »

 

Après le discours du 31 octobre 1942, ce radiomessage marquait un nouveau progrès dans la reconnaissance officielle des apparitions de la Reine du Ciel à Fatima. Pie XII, en effet, n’avait pas craint d’utiliser les expressions les plus fortes qui ne laissaient plus aucune place au doute ; il osait parler du « prodige de Fatima » et attribuer à la Vierge de Fatima le miracle de la paix dont venait de bénéficier le Portugal. Il évoquait avec enthousiasme^ le lieu des apparitions : « Cette oasis bénie, imprégnée de surnaturel », où l’on éprouve de manière plus sensible la merveilleuse protection du Cœur Immaculé de Marie, « cette Cova da Iria transformée en source jaillissante de grâces, de prodiges physiques, et plus encore de miracles d’ordre moral », non seulement pour le Portugal, mais pour toute l’Église et pour le monde entier.

LES COLOMBES DE LA VIERGE   22 NOVEMBRE – 25 DÉCEMBRE 1946

Pour la clôture officielle du tricentenaire, prévue à Lisbonne le 8 décembre, en la fête de l’immaculée Conception, une procession de plus de 400 km fut organisée. Partie le 22 novembre de la Capelinha, la statue de la Vierge de Fatima n’y rentrera solennellement qu’un mois plus tard, en la nuit de Noël.

Pendant tout ce voyage triomphal, des hommes se disputèrent l’honneur de porter le lourd pavillon ainsi que le dais de l’évêque accompagnant la statue. « La foule occupait plusieurs kilomètres de route. Il n y eut jamais moins de deux mille pèlerins priant et chantant ; on atteignit les 15 mille. » Les rues étaient jonchées de fleurs, ornées d arcs de triomphe, d’oriflammes, et la nuit de lanternes vénitiennes « Dans les églises, adoration nocturne du Saint-Sacrement, messes matinales de communion, en attendant la messe sur la place publique ou au stade, devant des foules immenses présidées par les autorités locales. Ainsi en fut-il à Leiria, Batalha, Porto de Mos, Caldas da Rainha, Peniche, Bombarral…[48] »

C est durant ce voyage triomphal vers la capitale, pour le tricentenaire de la consécration du Portugal à la Vierge Immaculée par le roi Jean IV et pour son renouvellement solennel, que se produisit pour la première fois le fameux “miracle des colombes”.

L’événement merveilleux connut bientôt un tel retentissement que le patriarche de Lisbonne y fit allusion dans son homélie du 8 décembre 1946 et qu’il consacra cette année-là « aux colombes de Sainte Marie » toute son allocution radiophonique de Noël. Plus tard il fit mener une enquête minutieuse par le R. P. Domingos Fernandes dont le compte rendu figure en annexe dans la collection de ses Œuvres pastorales”. C’est à ce document que nous empruntons les lignes suivantes :

« Le 1er décembre 1946, dans la ville de Bombarral, au moment où la statue de Notre-Dame de Fatima partait pour Cadaval, six colombes furent mises en liberté par deux jeunes filles.

« Elles avaient été achetées sur la place du Figuier, à Lisbonne, le 28 novembre, par Mme Candida Ponces de Carvalho, habitant rue Braancamp n° 84, a la requête de Mme Maria Emilia Martins Coimbra, de Bombarral.’Le 29, elles furent transportées à Bombarral parlecamion de l’entreprise Capristano.

« Des six colombes qui furent libérées par les jeunes filles, cinq vinrent se poser sur le pavois de Notre-Dame, et y restèrent. À la sortie de la ville, trois y demeurèrent, cependant que les deux autres s’envolèrent. Rattrapées, elles furent remises sur le pavois, d’où elles ne bougèrent pas jusqu’à Lousa. Là, elles battirent des ailes, et allèrent chercher refuge sous l’auvent d un toit.

« Les autres furent vues par plusieurs milliers de personnes, pendant les 2, 3, 4 et 5 décembre, à Cadaval, à Torres Vedras, à Mafra, et à Lourés. Chaque jour, à la tombée de la nuit, une procession aux flambeaux s’organisait pour accompagner la statue à son entrée dans les localités. Pendant la nuit, l’Image demeurait à l’église, toujours accompagnée d une multitude de croyants. Les colombes se maintenaient sur le pavois, toujours blotties contre la statue.

« Dans la nuit du 4 décembre, la procession qui conduisait la statue de Notre-Dame arriva sous la pluie à l’église de Loures. Bien que mouillées, et toujours blotties contre l’Image, les colombes ne bougèrent pas.[49] »

Voici le beau commentaire du Cardinal Cerejeira :

« Cas étrange pour notre regard myope de créatures charnelles que celui des colombes qui, récemment, ont établi leur séjour aux pieds de la blanche image de Notre Dame de Fatima, presque cachées sous sa robe, parmi les fleurs. Plusieurs dizaines de milliers de gens les ont vues là, presdsées les unes contre les autres, tournées vers la douce Image, avec leurs petits becs touchant le bas de la robe, comme si elles voulaient baidser les pieds de la Modane. Parfois, elles s’éloignaient pour un court envol. Mais elles se plaisaient tellement à giter en ce lieu que ni le bruit de la multitude, ni le son des musiques, ni le fracas des feux d’artifice, ni la pluie, ni le vent , ni le froid, ni le jour, ni la nuit, ni le jet des pétales ou des bouquets, rien ne les faisait descendre de là.[50] »

« À Lisbonne, raconte le chanoine Barthas, la Vierge devait séjourner trois jours, du 5 au 7 décembre, dans l’église très vaste et récemment construite sous le vocable de Notre-Dame de Fatima.

« Sur le parvis, avant d’entrer, comme pour prouver à l’immense foule qu’elles n’étaient pas attachées, les colombes s’élevèrent dans les airs, puis revinrent à leur poste. Tournées vers le cardinal Cerejeira, elles parurent écouter l’allocution de bienvenue qu’il prononça sur le seuil de 1’église. Puis, pour entrer, elles se retournèrent comme pour ne pas tourner le dos à 1’autel.

« Le lendemain, qui était le premier vendredi du mois, l’une d’entre elles alla se percher également sur la couronne, et là, tournée vers la sainte Table, elle tint ses ailes ouvertes tant que dura la communion de 3 000 fidèles. »

Dans la soirée du 7 décembre, la statue devait rejoindre la cathédrale. Deux colombes restèrent dans l’église, et une seule suivit la Madone. Une immense procession aux flambeaux s’organisa, où seuls les hommes étaient admis. Ils étaient 100 000 ! Pour un parcours de 6 kilomètres.

Le 8 décembre, eut lieu à la cathédrale la messe pontificale Puis l’après-midi, « la consécration officielle du pays au Cœur Immaculé de Marie », en présence du chef de l’État, le maréchal Carmona, de Salazar et de tous les membres du gouvernement Enfin, un “Te Deum” solennel.

« Le 10, à Seixal, on lâcha d’autres colombes, dont l’une alla se poser sur le pavois. La procession de la statue de Notre-Dame se poursuivit par Barreiro Moita, Setubal, Montijo, Alcochete, Benavente, Salvaterra, les 11, 12, 13 14, 15, 16 et 17 décembre. Tous ces jours, et toutes les nuits là cofombe put être vue par des milliers de personnes, se tenant blottie aux pieds de Notre-Dame. Le 17, à la tombée de la nuit, à Benfica, près d Almeinm, la colombe s’enfuit.

« Pendant le parcours de la procession à travers Alpiarça, Chamusca et Colega, les 19, 20 et 21, nul n’entendit plus parler de colombes, jusqu’à la fin de l’après-midi du 21.

« Le 21, à l’entrée du district de Torres Novas, devant la “quinta” de Carvalhais, de la paroisse de Riachos, le petit Bemardino, le plus jeune fils de José Raposo, lança quatre colombes en direction du pavois ; trois étaient blanches, et une noire. Cette dernière s’enfuit, tandis que les blanches se nichèrent aux pieds de la statue. Et c’est ainsi qu’à la surprise générale l’Image fit son entrée a Torres Novas, s’ornant de trois colombes.[51] »

Le 24 décembre, vers le milieu de l’après-midi, on se mit en route en direction de la Cova da Iria. Il était 11 heures du soir quand la procession entra dans la basilique de Fatima pour la messe de Noël Les trois colombes, toujours fidèles depuis le 21 décembre, demeurèrent aux pieds de Notre-Dame jusqu’à 3 heures du matin, heure à laquelle la statue fut retirée du pavois pour reprendre sa place à la Capelinha[52].

1947 : La « Route mondiale » L’immaculée médiatrice missionnaire à travers le monde

LE « GRAND RETOUR » DES ÂMES À JESUS PAR MARIE

Le « Grand Retour » avait connu en France un si beau succès que ses méthodes allaient bientôt être adoptées par toute l’Europe et dans le monde entier.

EN ITALIE : LA “ PEREGRINATIO MARIAE”. Ce fut le cardinal Schuster, que nous avons vu déjà si empressé de faire connaître le message de la Vierge de Fatima[53], qui eut le mérite d’organiser le premier des routes mariales dans la péninsule. Une plaquette intitulée “Peregrinado Mariæ”, bientôt tirée à des millions d’exemplaires, en définissait l’esprit :

« C’est le passage triomphal de paroisse en paroisse d’une image de la Madone, en une succession ininterrompue de manifestations religieuses, dans le but de remuer salutairement la masse des fidèles et de les conduire à travers les voies lumineuses d’un réveil de piété eucharistique et mariale, à une sincère et ouverte pratique d’une vraie vie chrétienne. Plus brièvement : c’est un mouvement spirituel de masses se proposant le Grand Retour des âmes à Jésus par Marie. La route mariale a, désormais, un fameux et inoubliable précédent dans le Grand Retour tel qu’il se fait en France : le plus grand événement contemporain de la vie religieuse de ce pays. Il a pris une telle importance qu’il requiert l’admiration et le désir d’une sainte émulation de la part du monde catholique.[54] [55] »

Les routes mariales sillonnèrent l’Italie, de l’Ombrie à la Calabre, des contreforts alpins à la Sicile et à la Sardaigne. La piété populaire fut indescriptible. À Milan, dans la ville épiscopale du cardinal Schuster, ce fut une explosion de joie débordante :

« Incroyable est l’enthousiasme que suscite le passage de Marie, raconte un témoin. Le 11 mai 1947, affluaient des dix portes de la vieille cité milanaise des milliers de pèlerins, venus pour acclamer sur la place du Dôme la Madone qui entrait en cortège, escortée des chevaliers du Saint- Sépulcre, sur un char triomphal qui rappelait le “carroccio”. Les trompettes sonnaient au passage de la Reine de Milan. Plus de cent mille personnes étaient rassemblées sur la place. Jamais on n’avait vu une telle foule en cet endroit Son Éminence le cardinal Schuster fit un discours d une portée historique.3 »

Il est remarquable que ce fut le cardinal de Milan, ce bénédictin érudit, si saint, si savant liturgiste, qui se fit le promoteur de cette méthode d’apostolat populaire.

AU CANADA : LE PASSAGE DE “L’ARCHE D’ALLIANCE”. Un grand Congrès marial national était prévu à Ottawa pour la mi-juin 1947. Pour y préparer les fidèles, on organisa un “Grand Retour” avec la statue de Notre-Dame du Cap, patronne du Canada. Cette route mariale de “l’Arche d’Alliance”, comme on la désigna fort heureusement, suscita, comme en Europe, un vaste mouvement de ferveur.

Le 19 juin, Pie XII adressait aux participants du Congrès marial un magnifique radiomessage où il rappelait la merveilleuse dévotion à l’immaculée qui fleurit dès les origines de la “Nouvelle France”. Et d évoquer Champlain, puis saint Isaac Jogues et ses compagnons, « consacrant à Marie, le 8 décembre 1635, toutes les missions présentes et futures du Canada » [56]

L’ANNÉE MARIALE EN HONGRIE. Malgré toutes sortes de tracasseries de la part des Russes, le cardinal Mindszenty avait pu participer au Congrès marial d’Ottawa[57]. Il en revint avec un projet grandiose : celui d’une année mariale étendue à toute la Hongrie. L’épiscopat accueillit l’idée avec enthousiasme. « C’est à Esztergom, le 15 août 1947, raconte le Cardinal dans ses Mémoires, que j’ouvris cette Année sainte. Tous les évêques de Hongrie et 60 000 pèlerins participaient à la cérémonie.[58] » À travers tout le pays, le même jour, un million et demi de fidèles se pressaient dans les divers lieux de pèlerinage et sanctuaires dédiés à la Vierge.

Et pendant toute une année, les congrès et solennités qui allaient se succéder presque sans interruption attirèrent des foules de plusieurs centaines de milliers de fidèles. Le cardinal primat, infatigable, ranimait partout avec une ardente dévotion à Marie, la foi et le courage de son peuple face aux persécutions menaçantes.

« Les communistes essayèrent par tous les moyens d’entraver le déroulement paisible des cérémonies et des rassemblements et de perturber les prédications et allocutions, surtout celles du cardinal. Dans les gares, ils ne donnaient plus de tickets de chemin de fer aux pèlerins ; on confisqua les autocars et camions ; en prétextant une épidémie infectieuse, les districts furent mis en quarantaine. Faisant valoir la nécessité d’assurer la sécurité du trafic, ils dispersèrent les groupes de pèlerins ; afin de perturber les cérémonies en plein air ils firent tourner les moteurs des tracteurs ; l’usage de haut-parleurs et de micros fut interdit ; on coupa l’eau et l’électricité, etc.[59] »

Quelques mois plus tard, le 13 juin 1948, à Budapest, la police dispersa la procession en l’honneur de Notre-Dame de Fatima[60]. Malgré tout cela, 4 600 000 fidèles prirent part aux festivités et pèlerinages de l’année mariale[61].

PIE XII BÉNIT ET ENCOURAGE LES PROGRÈS DE LA DÉVOTION À LA TRÈS SAINTE VIERGE

Après son message du 19 juin au Congrès marial canadien, le 12 octobre, c’est au Congrès marial argentin réuni au sanctuaire de Lujan, que Pie XII adresse un radiomessage sur la Vierge Marie[62]. Le 7 décembre, nouveau radiomessage aux membres du Congrès international des congrégations mariales, réunis à Barcelone[63]. Mais en cette année 1947, ses deux interventions les plus efficaces en ce domaine furent sans nul doute deux canonisations particulièrement significatives.

CANONISATION DE SAINT LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT. Le 20 juillet, « sous l’inspiration de la grâce divine », Pie XII rendait à l’apôtre incomparable de la dévotion à Marie « les honneurs suprêmes de la sainteté ». Le lendemain, dans un discours aux pèlerins accourus à Rome pour cette canonisation, il retrace la vie du grand saint breton, dont on a pu dire, rappelle-t-il, « que la Vendée de 1793 était l’œuvre de ses mains ».

Et d’évoquer « le grand ressort de tout son ministère apostolique, son grand secret pour attirer les âmes et les donner à Jésus, la dévotion à Marie ». « Sur elle, il fonde toute son action ; en elle est toute son assurance, et il ne pouvait trouver arme plus efficace à son époque. À l’austérité sans joie, à la sombre terreur, à l’orgueilleuse dépression du jansénisme, il oppose l’amour filial, confiant, ardent, affectif et effectif du dévot serviteur de Marie envers celle qui est le refuge des pécheurs, la Mère de la divine grâce, notre vie, notre douceur, notre espérance. Notre avocate aussi…[64] »

À l’instar de la canonisation de Pie X, ce docteur de l’Église pour notre XXe siècle, celle de saint Louis-Marie, le prophète du triomphe final et du règne de l’immaculée préparant celui de son Fils, était une décision de la plus haute importance.

CANONISATION DE SAINTE CATHERINE LABOURÉ. Une semaine plus tard, le 27 juillet, Pie XII canonisait la voyante de la rue du Bac, « la messagère de l’immaculée ». Tout en exaltant ses vertus insignes et les mérites de sa vie cachée, dans son discours aux pèlerins, il mit au premier plan « la mission unique et merveilleuse que la très Sainte Vierge lui a confiée », « les faveurs extraordinaires de Marie qui a fait d’elle sa confidente et sa messagère ». Et d’évoquer la triple demande que la Vierge la chargea de transmettre : « Réveiller la ferveur attiédie dans la double Compagnie du saint de la charité ; submerger le monde tout entier sous un déluge de petites médailles, porteuses de toutes les miséricordes spirituelles et corporelles de l’immaculée ; susciter une association pieuse d’“Enfants de Marie” pour la sauvegarde et la sanctification des jeunes filles.[65] »

UNE FERME MISE EN GARDE. Tandis qu’il encourageait inlassable­ment la vraie dévotion à Marie, Pie XII savait aussi, à l’occasion, la défendre fermement contre ses adversaires. Ainsi, le 20 novembre 1947, dans sa magistrale encyclique “Mediator Dei” sur la sainte liturgie. Il y insiste sur le culte prééminent dû à la Vierge Marie, notre Mère, qui « nous donne son Fils et avec lui tous les secours dont nous avons besoin, car Dieu a voulu que nous ayons tout par Marie ». Et, entre autres directives pastorales, il met en garde les évêques :

« Surtout, vénérables Frères, ne permettez pas, comme d’aucuns l’admettent, soit sous prétexte d’un renouvellement de la liturgie, soit en parlant avec légèreté d’une efficacité et d’une dignité exclusive des rites liturgiques […], que le culte de la Vierge Mère de Dieu qui, de l’aveu des saints, est un signe de prédestination, soit sous-estimé, spécialement chez les jeunes, au point de s’éteindre et de s’alanguir peu à peu. »

Et de recommander vivement les exercices traditionnels de piété, spécialement le rosaire et le mois de Marie, en ajoutant encore : « C’est pourquoi il ferait une chose pernicieuse et pleine de tromperie celui qui oserait, témérairement, assumer la réforme de ces exercices de piété, pour les ramener aux seules cérémonies liturgiques.[66] »

LA VIERGE DE FATIMA MISSIONNAIRE À TRAVERS LE MONDE

Enfin, 1947, c’est aussi l’année où commence “ la Route mondiale de Notre-Dame de Fatima”. Pendant plus de dix ans, à partir de ce 13 mai 1947, presque sans interruption, l’immaculée médiatrice apparue à la Cova da Iria, allait parcourir le monde, ornée de blanches colombes blotties à ses pieds, pour accomplir « un pèlerinage de merveilles », comme dira bientôt Pie XII.

LA ROUTE EUROPÉENNE (13 MAI-DÉCEMBRE 1947). L’idée d’un “Grand Retour” de Notre-Dame de Fatima à travers toute l’Europe avait peu à peu fait son chemin. Finalement, ce fut le projet d’un oblat de Marie Immaculée, le P. Demoutiez, qui prit corps. Notre-Dame de Fatima irait à Maastricht, en Hollande, présider le grand Congrès marial des trois pays qui allaient bientôt constituer le Bénélux.

« La veille même du départ, les dirigeants de la Route (Mme Teresa Pereira da Cunha[67] et son comité), avec le P. Demoutiez, allèrent présenter à sœur Lucie (alors à Vila Nova de Gaia) la belle statue qu’ils avaient spécialement achetée pour la Route. Elle conseilla d’aller demander a Mgr l’évêque de Leiria celle qui se trouvait dans son salon, pour laquelle elle avait elle-même guidé la main de l’artiste (M. José Ferreira Thedim), et de lui proposer en échange celle qu’on avait achetée. Lucie ajouta : Cette Vierge arrivera jusqu’aux confins de la Russie, et là il faudra beaucoup prier pour quelle arrive à Moscou. Et lorsqu’elle aura terminé son périple, il sera bien de l’offrir au Saint-Père ».

« Avec sa bonté coutumière, Mgr da Silva abandonna sa belle statue. Le lendemain, 13 mai, elle était couronnée à la Cova da Iria devant l’immense foule des pèlerins par Mgr l’archevêque d’Evora. [68] »

Dès l’après-midi, le cortège se mit en route. Bien que le programme du P. Demoutiez eût prévu, pour le Portugal, des étapes rapides, ce fut le même enthousiasme, la même ferveur que six mois plus tôt lors de la route mariale de Fatima à Lisbonne.

Quant à l’accueil que l’Espagne réserva à la Vierge de Fatima, il dépassa toute attente : « Le premier passage de la Vierge peregrine en Espagne, écrit le P. Alonso, fut, sans exagération, une apothéose… Un mois de réceptions enthousiastes au cours desquelles les autorités ecclésiastiques et civiles, et les fidèles en multitudes innombrables, rendirent à la Vierge de Fatima leur filial hommage d’amour et de vénération. » À Valladolid, la ville épiscopale de Mgr Garcia y Garcia, ce fut un magnifique triomphe, avec plus de 100 000 fidèles !

« Dans toute l’Espagne, rapporte Barthas, les alcaldes des villages traversés déposaient pieusement aux pieds de la Vierge le bâton qui est l’insigne de leur autorité ; tous les deux cents mètres deux “guardia civil’ présentaient les armes ; les évêques recevaient la Vierge à l’entrée de leur diocèse et allaient la présenter à l’évêque du diocèse suivant ; les cinémas et les théâtres fermaient durant le séjour de Notre-Dame ; la journée fut chômée partout ; les journaux faisaient la plus large place à l’événement, etc. »

Confessions et communions, processions, rosaires, heures saintes de réparation, consécrations au Cœur Immaculé de Marie se succédaient « Les grâces de guérisons merveilleuses se multiplièrent prodigieusement », affirme le P. Alonso.

Finalement l’on arrive à San Sebastian et, le 18 juin, à Hendaye. À cause du scandaleux blocus décidé à la suite des accords de Yalta et de Potsdam par nos démocrates-chrétiens, amis de Staline, mais adversaires implacables de Franco, la frontière des Pyrénées était encore fermée. Elle l’était depuis onze ans !

L’accueil que la France réservait à la Vierge de Fatima fut, helas moins chaleureux que celui de l’Espagne. La presse n’avait pas annoncé son arrivée, « et les témoins eurent l’impression que la police française avait ordre de ne pas la laisser entrer ». Mais devant l’attitude de Mgr Ballester, évêque de Vittoria, et de Mgr Terrier, évêque de Bayonne, qui se donnèrent une fraternelle accolade, devant la foule unanime qui, de part et d’autre de la ligne blanche, chantait les mêmes cantiques à la Vierge, « le commissaire de police trouva le subterfuge de la laisser entrer par le moyen d’un “bon de dédouanement pour la Belgique”, tel un vulgaire colis. »

Nous reviendrons sur cette sournoise opposition et ce mur du silence qui privèrent la Vierge de Fatima de l’hommage filial auquel elle avait droit dans le “royaume de Marie”, et la France des grâces de choix dont sa Reine n’aurait sûrement pas manqué de la combler.

Le 2 août, elle arrive à la frontière belge. Tournai, Charleroi, Namur, Beauraing, Liège, Verviers l’accueillent tour à tour avec beaucoup de ferveur. Le 1er septembre, elle entre en Hollande pour présider, comme convenu, le Congrès marial de Maastricht, à l’intention duquel Pie XII, une fois de plus, prononce un radiomessage. Au Luxembourg, l’accueil est plus fervent encore : 100 000 communions pour une population de 250 000 habitants ! À la suite d’un bref passage à Paris, le 15 octobre, dont nous reparlerons, Notre-Dame de Fatima reprend sa mission itinérante en Belgique, toujours avec le même succès : Malines, Louvain, Bruxelles où 300 000 fidèles se sont rassemblés. Après une tournée dans les Flandres, où les journaux font largement écho aux cérémonies en son honneur, la Vierge pèlerine s’embarquait à Anvers pour rentrer au Portugal.

En quelques mois, quelle pluie de grâces répandues sur tous ceux qui avaient daigné lui faire honneur. Mgr da Silva déclarait : « Nul d’entre nous n’avait prévu les choses merveilleuses qui ont commencé d arriver aussitôt que la statue a quitté la Cova da Iria.4 »

Les nouvelles d Espagne et du Bénélux répandues par les agences (sauf notre AFP), note Barthas, avaient fait connaître partout la route de la Vierge et ses merveilles. Aussi, de tous côtés, arrivaient à l’évêché de Leiria des lettres demandant sa visite. »

Le 13 octobre 1947, une statue de la Vierge de Fatima quittait la Cova da Iria pour l’aéroport de Lisbonne où elle fut installée à la place d’honneur dans un avion en partance… pour l’Amérique.

LA ROUTE AMÉRICAINE. Reçue solennellement au sanctuaire de Notre-Dame du Cap, elle y est bénite par Mgr Vachon, archevêque d’Ottawa, devant 100 000 fidèles. Cérémonie du couronnement ; consécration à son Cœur Immaculé ; veillée de prières ; à minuit, messe à la cathédrale et dans 124 églises du diocèse !

Le 8 décembre, dans le site grandiose des chutes du Niagara, elle franchit la frontière qui sépare le Canada des États-Unis. L’archevêque de Buffalo reçoit l’Image vénérée des mains de l’évêque de Hamilton. À la cathédrale où elle est accueillie, 200 000 personnes viennent la prier, alors que la ville ne compte que 50 000 catholiques ! Et il en sera ainsi dans tous les diocèses et paroisses des États-Unis qui la recevront.

À la suite de cette route mariale aux USA, toujours en cette même année 1947, Mgr Colgan, alors curé de la paroisse Sainte-Marie de Plainfeld, secondé par un jeune journaliste plein d’allant et d’enthousiasme, John Haffert, fondait “l’Armée bleue de Notre-Dame de Fatima” afin de propager son message et de travailler à sa mise en œuvre. Le programme était simple : Le chapelet quotidien ; la dévotion au Cœur Immaculé de Marie avec ses deux composantes : la réparation et la consécration ; le port du scapulaire de Notre-Dame du Mont-Carmel ; l’accomplissement du devoir d’état, en esprit de pénitence. Pour obtenir la paix du monde, par la conversion de la Russie. Autant dire qu’à cette époque, l’Armée bleue propageait l’authentique message de Fatima, sans omission, sans édulcoration ni contamination par des révélations suspectes tout à fait étrangères au message transmis par sœur Lucie. Le mouvement connut un succès si rapide qu’en 1950 il comptait déjà un million d’adhérents !

LA SECONDE ROUTE PORTUGAISE (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1947). Pendant ce temps, au Portugal, la Vierge missionnaire avait quitté sa Capelinha pour reprendre la route. Elle parcourait maintenant le sud du pays, l’Alentejo et l’Algarve, qui sont les régions les plus déchristianisées du Portugal. Eh bien ! même là, la blanche Image de l’immaculée fut reçue avec un enthousiasme émouvant et elle y sema d’innombrables grâces de tout genre.

Et, tandis que durant les mois précédents, malgré l’affluence et la ferveur des foules, l’étonnant « miracle des colombes » ne s’était pas reproduit, — ni en Espagne, ni en France, ni au Bénélux, ni en Amérique, ici, dans la Terre de Sainte Marie, il se renouvelait avec éclat. Il faut lire les pages de légende dorée écrites par les témoins. N’en citons qu’un seul trait :

« Au village de Gafanheiros, un homme protestait que les pigeons étaient attachés sur le pavillon et qu’il croirait à leur liberté seulement si les siens y allaient. On le pria de faire l’essai. Il en donna plusieurs à une dame en lui disant de les libérer seulement lorsqu’il le lui dirait. Ainsi fut fait lorsque le pavillon était à une dizaine de mètres. Tous allèrent se poser sur le pavillon et ils y restèrent un jour entier. »

À Vila Viçosa, ville royale où Jean IV, le roi restaurateur de 1’indépendance nationale, avait offert sa couronne et consacré son royaume à l’immaculée, il y en avait treize. Lorsque le 13 janvier 1948 le cortège triomphal rentra à la Cova da Iria, quatre colombes et une tourterelle étaient encore blotties aux pieds de la céleste Padrœira.

1948 « DANS LA NUIT OBSCURE QUI PÈSE SUR LE MONDE »

Quelle incomparable effusion de grâces ! N’était-ce pas déjà l’aube du triomphe du Cœur Immaculé de Marie ? D’autant plus que ce mouvement semblait continuer à s’affermir et à se développer….

En 1948, ce seront les merveilles de la route de Notre-Dame de Fatima en Angola et au Mozambique, puis dans toute l’Afrique. Ce sera l’apothéose de sa venue à Madrid où les ouvriers des faubourgs lui feront un triomphe tandis que, quelques jours plus tard, elle sera reçue comme la plus grande des reines par le Caudillo, sa famille et son gouvernement.

Bientôt, ce sera le pape Pie XII lui-même qui le constatera avec joie : « Le culte au Cœur Immaculé de Marie prend de jour en jour un développe­ment merveilleux.[69] » S’adressant aux curés de Rome et aux prédicateurs de Carême, il aura ces paroles significatives :

Dans la nuit obscure qui pèse sur le monde…, le signe le plus encourageant de notre temps est la manifestation toujours plus croissante, au point d’atteindre parfois à des spectacles d’une merveilleuse grandeur, de la confiance et de l’amour filial qui conduit les âmes à la très pure et Immaculée Vierge Marie1 »           ,,

Mais le texte le plus riche, qui évoque le mieux les sentiments de Pie XII à cette époque, — tandis qu’il annonçait déjà la prochaine célébration d’une Année sainte pour 1950 —, est sans nul doute la lettre qu’il adressa le 2 juillet 1948 au R. P. Ranson, directeur du Grand Retour qui allait s’achever quelques semaines plus tard par le retour des quatre images de Notre-Dame dans la cité boulonnaise :

« Aussi bien, lui écrivait Pie XII, avez-vous compris et mis en pratique notre consigne : “Persévérez ! Persévérez !” comme le prouvent les nombreuses manifestations, publiques ou privées, dont le panorama nous ravit, par lesquelles se développe et s’intensifie, dans tous les secteurs de la société, la consécration au Cœur Immaculé de Marie. N’en avons-nous pas, d ailleurs, donné nous-même le signal, comme providentiel complément de la consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus ?

« Nous l’avons dit et nous aimons à le répéter : Dans la nuit obscure qui pèse encore sur le monde, nous voyons poindre une aurore, annonciatrice infaillible du Soleil de vérité, de justice et d’amour : Ce n’est pas, en effet, le moindre signe d’espoir et de réconfort que cet extraordinaire élan, dans cette génération meurtrie et inquiète, pour “retourner” aux sources d’eau vive qui jaillissent à larges flots des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie.

« Aussi vous félicitons-nous de prendre à cœur cette salvatrice dévotion mariale, de la propager autour de vous, d’en faire le levier de votre apostolat. Nous y voulons voir le gage assuré de la conversion des pécheurs, de la persévérance et du progrès des fidèles, du rétablissement d’une vraie paix de toutes les nations entre elles et avec Dieu. »

[1]      “La question mariale”, p. 15, Seuil, 1963.

[2]      Cf. notre tome II, p. 498-514.

[3]      Encore tout récemment, Jean Chelini, dans “L’Église sous Pie XII, La tourmente, 1939-1945 (Fayard, 1983), trouve le moyen d’écrire 355 pages sur «les débuts tragiques du pontificat» sans dire un seul mot de cet acte solennel que Pie XII considérait comme l’un des plus importants de son pontificat C’est tout de même une omission étonnante dans un ouvrage présenté comme une “Histoire de l’Église” ! (cf. la recension de Joël Pottier qui souligne le fait. “Lecture et Tradition”, nov.-déc. 1983, p. 48).

[4] Afin de les y encourager tous plus vivement, il avait accordé le 17 novembre 1942 une indulgence de trois ans À tous ceux qui réciteraient avec piété ce même acte de consécration légèrement modifié, et une indulgence plénière à gagner une fois le mois aux conditions habituelles, aux fidèles qui l’auraient récité chaque jour durant le mois (Documents pontificaux de S. S. Pie XII., 1942, p. 286-287.

[5] F. Carret-Petit, “Notre-Dame du Rosaire de Fatima”, p. 164-165 ; La Bonne Presse, 1943. Alonso, FER, p. 111. — (3) Œuvres complètes de saint Louis-Marie, p. 484, Seuil.

[6]      Pie XII reprendra le même thème dans sa Lettre du 25 nov. 1943 (Doc. pont, 1943, p. 273).

[7]      Doc. pont, 1943, p. 95.

[8]      Cf. notre tome II, p. 505. L’ouvrage du P. da Fonseca qui avait eu trois éditions jusqu’en 1941, en eut deux autres en 1942, et cinq en 1943 ! Le 12 février, rapporte F. Carret-Petit, le P. da Fonseca donnait une conférence sur Fatima au Vatican. En mars, c’était le P. Luigi Moresco qui parlait de Fatima dans la grande salle de l’Université grégorienne. À cause de l’affluence, il lui fallut répéter deux autres fois la même conférence (p. 178-179). Autant d indices qui prouvent que l’intérêt soudain suscité par Fatima dépassait toute attente.

[9] P. Luciano Guerra, “Fatima e o romano Pontifice”, p. 92 (in “Apelo e resposta, semana de estudos sobre a mensagem de Fatima”, ed. do Convento dos Capuchinhos, Fatima, juil. 1983). F. Carret-Petit, p. 133.

[10] Doc. pont, 1943, p. 206.

[11] Ibid., p. 274.

[12] FER, p. 111,114.

[13] P. Louis Devineau, o. m. i., “ Une extraordinaire odyssée dans le sillage de la Vierge ”, Apostolat de la Presse, 1963, 200 pages. Cf. Mgr Guerry, “L’Église catholique en France sous l’Occupation”, p. 228-234, 1947, Flammarion.

[14] Devineau, p. 13-18; cf. p. 32, 37.

[15] Ibid., p. 27-28

[16] Devineau, p. 104.

[17] “Les catholiques français sous l’Occupation”, Jacques Duquesne, p. 25. Grasset, 1966.

[18] Devineau, p. 31. Très vite, en effet, on fit chercher les trois copies de Notre-Dame de Boulogne qui avaient servi pour le congrès marial de 1938. Quatre voies furent organisées par le P. Ranson. La voie ouest, la voie est, la voie centre et la voie maritime. 120000 km furent ainsi parcourus à pied par les équipes itinérantes.

[19] Ibid., p. 35. On aimerait citer de larges extraits des documents de l’époque. Évoquons seulement la brochure éditée à Troyes en 1945 : “Le Grand Retour, Notre-Dame de Boulogne dans l’Aube,

5 novembre 1944 – 30 janvier 1945”, avec une préface de Mgr Le Couëdic, évêque du diocèse.

Quelle émotion à lire le bref compte rendu établi pour chacune des 177 paroisses visitées par Notre-Dame ! Durant ces trois mois d’hiver, dans notre diocèse pourtant si déchristianisé, la Vierge de Boulogne attira à sa suite, sur les routes et dans les églises glaciales, plus de 100000 fidèles.

Veut-on quelques exemples de cette belle ferveur ? En voici quelques-uns qui étonneront les lecteurs connaissant ces villages ou ces bourgs : Ici, à Saint-Parres-lès-Vaudes, le curé « voulut faire profiter toutes les rues du passage de la Sainte Vierge et, pour ne pas faire de jaloux, jusqu’à la dernière maison. » À Clérey, 500 personnes participent à la veillée nocturne. À Bar-sur-Seine, 250 fidèles font leur consécration au Cœur Immaculé. À Villemaur, pour la veillée à l’église on compte 300 fidèles ! À Estissac, les pénitents sont si nombreux que les missionnaires doivent rester au confessionnal jusqu’à 2 heures du matin. À Faux-Villecerf, le passage de la Vierge a été préparé par une retraite de huit jours, etc. À Troyes, sept à huit mille fidèles ont escorté le char de Notre-Dame jusqu’à la cathédrale.

[20]    Devineau, p. 35-36.

[21]    Cité par Devineau, p. 119. «Depuis des années, avouait un autre responsable d’Action catholique, nous essayons de poser le problème religieux dans les milieux les plus déchristianisés. Nos efforts ont été vains. Notre-Dame du Grand Retour passe, — c’est à n’y pas croire —, en quelques jours, elle devient l’unique objet des conversations, non seulement parmi les chrétiens, mais aussi parmi des hommes et des femmes que l’on aurait crus très éloignés de notre foi. Tout le monde travaille, fait des guirlandes, monte des arcs de triomphe. » (ibid.).

[22] Cf notre tome II, p. 471

[23] Ibid p. 462

[24] FCM p. 63

[25]    Acta apostolicæ Sedis, 1945, p. 37 à 52.

[26] Il s’agit de la lettre du 28 février 1943, citée plus haut, p. 19-20.

[27] FER, p. 74-75. Déjà, en 1936, c’était le P. Moran qui, ayant eu connaissance de la demande de consécration de la Russie, et ayant jugé après mûr examen qu’elle venait très certainement de Dieu, avait incité Mgr da Silva à écrire au pape Pie XI (cf. Nov. Doc., p. 174-175).

[28] FER, p. 75-76.

[29] FER, p. 73.

[30]    Doc., p. 497.

[31] Doc. pont, 1945, p. 31-38

[32]    Doc. pont., 1945, p. 94. Déjà l’année précédente, il avait insisté sur cette réforme nécessaire- « Quiconque voudrait hnplorer de la Vierge la cessation des fléaux, sans ce ferme propos de réforme de la vie publique ou privée, demanderait simplement l’impunité de la faute, le droit de régler sa propre conduite, non d’après la loi de Dieu, mais d’après les passions effrénées. Une pareille supplication serait la négation et l’opposé de la prière chrétienne; ce serait une injure faite à Dieu, une provocation de sa juste colère, l’obstination dans le péché qui est l’unique mal véritable du monde. » (Doc. pont, 11 juin 1944, p. 97)

[33]    Doc. pont., 1945, p. 239.

[34] Ibid., p. 357-358.

[35] Doc. cath., 1950, col. 1521-1522. — (2) Doc. pont, 1946, p. 209.

(5) “La Documentation catholique” qui, dans ses milliers de pages des années 1944 à 19                             ,

ignore systématiquement le Grand Retour, ne cite pas ce texte. Les “Documents pontificaux de S. S. Pie XII” l’omettent également

[36] Doc. pont, 1946, p. 234-236

[37] Ibid., p. 251 ; 268; 272.

[38] La Documentation catholique qui, dans ses milliers de pages des années 1944 à 1948,  ignore systématiquement le Grand Retour, ne cite pas ce texte. Les « Documents pontificaux de S. S. Pie XII » l’omettent également.

[39] Cité par Devineau, p. 191, 195

[40] Doc. Pont. 1946, p. 374

[41]    Le P. da Fonseca, professeur à l’Institut biblique de Rome, assistait aux cérémonies comme membre de la suite du cardinal légat. Notons qu’il avait sans doute directement contribué à la préparation du discours que prononcerait le Saint-Père, comme déjà pour celui du 31 octobre 1942.

[42]    P. da Fonseca, « Nossa Senhora da Fatima”, p. 205.

[43]    Comme le 31 octobre 1942, Pie XII prononça son discours en portugais. Les traductions françaises consultées (Documents pontificaux de S. S. Pie XII, p. 158-163 ; De Marchi, éd. fran­çaise par le P. Simonin, p. 326-330) divergent sur plusieurs points. Nous nous sommes reporté à la version originale portugaise des “Acta apostólicas Sedis” citée par le P. De Marchi, “Era urna Senhora mais brilhante que o sol”, 9« éd., 1966, p. 404-409. Les titres sont ajoutés par nous.

[44]    II Cor., I, 3-4.

[45] Cf. notre tome II, p. 508-514. — (2) Cf. notre tome I, p. 106-111. — (3) Il s’agit du duc de Bragance, acclamé roi sous le nom de Jean IV le 1“ décembre 1640. Cf. notre tome I, p. 111.

  • , p. 111-113. (5) Acte d acclamation à Notre-Dame de ia Conception, patronne du

Portugal, par les Cortès de Lisbonne en 1646.

[46] «L’Ange gardien du Portugal» était apparu à Aljustrel exactement trente ans plus tôt, en précurseur de Notre-Dame.

[47] Cf. Léon XIII, encyclique “Adjutricem”, du 5 septembre 1895.

[48]    Barthas, “Les colombes de la Vierge”, p. 14-15 l’adaptation française de “A pombas da Virgem de Fatima”, du P. Martinsd dos Reis (1963)

[49] Obrais pastorais, III, p. 231

[50] Ibid., p. 222-223.

[51] Rapport du P. Domingos da Apresentaçaõ Fernandes

[52] Ibid. urons I occasion de citer d’autres exemples du miracle des co ombes . Mais il faut lire, dans Barthas, “Les colombes de la Vierge”, les nombreux témoignages et la démonstration du caractère surnaturel de ce phénomène

[53] Cf notre tome II, p. 504

[54]    Cf. notre tome II, p. 504-505.

[55]    Cité par Devineau, p. 163. — (3) Ibid., p. 163-164.

[56]   Doc. pont., 1947, p. 169-174.

[57]    Nommé par Pie XII archevêque d’Esztersom et prince primat de Hongrie le 16 septembre 1945. il avait été créé cardinal lors du premier consistoire du pontificat, le 16 février 1946.

[58]   Mémoires, p. 169, La Table Ronde, 1974.

[59] JozsefKôzi Horvath, “Cardinal Mindszenty un confesseur et martyr de notre temps”, p. 23, éd. “Aide à l’Église en détresse” 1977

[60] Cardinal Mindszenty, “Mémoires”, p. 172. Dès cette époque, le prince primat était très dévôt à Notre Dame de Fatima. Selon un article de la revue  “Fatima 50”, l’année mariale (1947-1948) aurait été placée tout entière sous le signe de Fatima, à l’occasion du trentième anniversaire des apparitions (n° 11, mars 1968, p. 15-16)

61 Horvath, p. 23

[62] Doc Pont. 1947, P. 306

[63] Ibid. p. 443

[64] Doc. Ponti. P. 219

[65] Doc. pont., 1947, p. 229-237. — (2) Ibid., p. 410-415.

  • da Fonseca, “Nossa Senhora da Fatima”, chap. 25 : “Atraves da Europa”, p. 329-344.
  • Sur les divers projets qui préparèrent la réalisation de “la Route mondiale de Fatima”, cf. Merv. XXe, p. 272-276. Précisons seulement le lien qui la rattache au Grand Retour: « Ce qui est sûr, m’écrivait récemment le P. Devineau, c’est que la Route mondiale de Fatima est née du Grand Retour. C’est le P. Ranson et moi-même qui avons désigné le P. Demoutiez pour se rendre au Portugal afin d’y étudier les modalités d’un tel voyage à travers l’Europe, et

[66] Doc. Pont. P. 410

[67]    Plus tard, M »>’ Teresa Pereira da Cunha publiera le journal de la Route mondiale de Notre- Dame de Fatima dans les quatre volumes de “Nossa Senhora de Fatima peregrina do mundo (Lisbonne, Livraria Sampedro).           VY

[68]   Merv.XX’s.,p.275-276.

[69]   Lettre au R. P. Janssens à propos de l’Apostolat de la prière, 19 septembre 1948 ; Doc. pont.!