Pratique de l’amour envers Jésus-Christ
par saint Alphonse de Liguori

Table des chapitres

Ce livre est en vente à notre librairie pour 10,90 €.

Chapitre 1  Combien Jésus-Christ mérite d’être aimé à cause de l’amour qu’il nous a témoigné dans sa Passion

Chapitre 2 Combien Jésus-Christ mérite d’être aimé de nous à cause de l’amour qu’il nous a témoigné en instituant le très saint Sacrement de l’autel

Chapitre 3  De la grande confiance que doit nous inspirer l’amour que Dieu nous a témoigné en tout ce qu’il a fait pour nous

Chapitre 4  Combien nous sommes obligés  d’aimer Jésus-Christ

Chapitre 5  La charité est patiente Celui qui aime Jésus-Christ aime les souffrances

Chapitre 6  La charité est bénigne Celui qui aime Jésus-Christ pratique la douceur

Chapitre 7  La charité n’est pas jalouse L’âme qui aime Jésus-Christ ne porte pas envie aux grands de la terre, mais seulement à ceux qui aiment Jésus-Christ

Chapitre 8  La charité n’agit pas de travers Celui qui aime Jésus-Christ fuit la tiédeur et recherche la perfection

Chapitre 9  La charité ne s’enfle pas Celui qui aime Jésus-Christ ne s’enorgueillit pas de ses bonnes qualités,  mais s’humilie et prend plaisir à se voir humilié

Chapitre 10  La charité n’est pas ambitieuse Celui qui aime Jésus-Christ ne désire rien autre que Jésus-Christ

Chapitre 11  La charité ne cherche pas son profit Celui qui aime Jésus-Christ  aime à se détacher de toute créature

Chapitre 12  La charité ne s’irrite pas Celui qui aime Jésus-Christ ne s’irrite jamais contre son prochain

Chapitre 13  La charité ne pense pas au mal, ne se réjouit pas de l’iniquité, mais se réjouit de la vérité Celui qui aime Jésus-Christ ne veut rien d’autre que ce que veut Jésus-Christ

Chapitre 14  La charité souffre tout Celui qui aime Jésus-Christ souffre tout pour Jésus-Christ, et spécialement les maladies, la pauvreté et le mépris

Chapitre 15  La charité croit tout Celui qui aime Jésus-Christ croit tout ce qu’Il a dit

Chapitre 16  La charité espère tout Celui qui aime Jésus-Christ  espère tout de Jésus-Christ

Chapitre 17  La charité supporte tout Celui qui aime Jésus-Christ avec beaucoup d’ardeur ne cesse pas de l’aimer  au milieu des tentations et des désolations

Abrégé des vertus indiquées dans cet ouvrage, qui doivent être pratiquées par ceux qui aiment Jésus-Christ

Chapitre 1
Combien Jésus-Christ mérite d’être aimé à cause de l’amour qu’il nous a témoigné dans sa Passion

Toute la sainteté et la perfection consistent à aimer Jésus-Christ notre Dieu, notre souverain Bien et notre Sauveur. Celui qui m’aime, dit Jésus-Christ, sera aimé de mon Père : Mon Père vous aime parce que vous m’avez aimé. Les uns, dit saint François de Sales, font consister la perfection dans l’austérité ; les autres, dans la prière ; ceux-ci, dans la fréquentation des Sacrements ; ceux-là, dans les aumônes. Mais ils se trompent tous : la perfection consiste à aimer Dieu de tout son cœur. La charité unit et conserve toutes les vertus qui rendent l’homme parfait. Aimez Dieu, dit saint Augustin, et faites ce que vous voulez, parce que l’amour vous apprendra à ne jamais rien faire qui lui déplaise, et faire au contraire, tout ce qui lui plaît.

Comment Dieu ne mériterait-il pas tout notre amour ? Il nous a aimés de toute éternité. Enfants des hommes, dit le Seigneur, reconnaissez que c’est moi qui vous ai aimés le premier. Vous n’étiez pas encore au monde, le monde même n’existait pas, et déjà je vous aimais. Depuis que je suis Dieu je vous aime, et je vous ai aimés dès que je me suis aimé moi-même. Elle avait donc bien raison, sainte Agnès, qui, lorsqu’on lui proposait un époux, répondait : Un autre déjà possède mon cœur, aucune créature maintenant ne peut plus y prétendre ; c’est à mon Dieu, qui m’a aimée le premier et de toute éternité, que toutes mes affections appartiennent.

Dieu, voyant que l’homme se laisse gagner par les bienfaits, a voulu le combler de faveurs, afin de s’attirer son amour. C’est pourquoi il a dit : j’enchaînerai l’homme avec des liens d’amour, et ces liens sont les dons que Dieu a faits à l’homme. Il lui a donné une âme créée à sa ressemblance, douée de mémoire, d’entendement et de volonté, un corps pourvu de sens ; c’est par amour pour l’homme qu’il a créé le ciel, la terre, la mer, les montagnes, les vallons et les plaines, les minéraux, les végétaux, les animaux de tant d’espèces ; en un mot, toute la nature ; et en reconnaissance de tant de bienfaits, il ne demande à l’homme que son amour. Seigneur mon Dieu, disait saint Augustin, tout ce que je vois sur la terre et au-dessus de la terre, tout me parle et m’exhorte à vous aimer, parce que tout me dit que c’est par amour pour moi que vous l’avez créé. L’abbé de Rancé, fonda­teur de la Trappe, ne jetait jamais ses regards sur les collines, les fontaines, les oiseaux, les fleurs, les planètes et les cieux, qu’il ne se sentît enflammé d’amour pour Dieu.

Lorsque sainte Marie-Madeleine de Pazzi considérait une fleur, elle était tout embrasée d’amour pour Dieu, et s’écriait : C’est donc par amour pour moi que Dieu a songé de toute éternité à créer cette fleur ! Cette pensée était pour elle un trait d’amour qui pénétrait bien avant dans son cœur, et l’unissait de plus en plus à Dieu. Sainte Thérèse, à l’aspect d’un arbre, d’un ruisseau, d’un pré, d’une fontaine, se reprochait son peu d’amour pour Dieu, qui avait créé tous ces beaux objets pour être aimé d’elle. Un pieux solitaire, croyant s’entendre repro­cher la même chose par les herbes et les fleurs qu’il rencontrait sur sa route, leur disait : Taisez-vous ; vous m’appelez ingrat, vous me dites que c’est par amour pour moi que Dieu vous a créées, et que cependant je ne l’aime pas ; mais je vous entends : taisez-vous, et ne me le reprochez pas davantage.

Dieu, non content d’avoir créé pour nous tant de choses admirables, a fait plus encore ; et, pour attirer à nous tout notre amour, il s’est donné à nous tout entier, le Père éternel nous a donné son propre Fils. Nous étions tous morts et privés de sa grâce par le péché ; un excès d’amour, comme dit l’Apôtre, a porté Dieu à nous envoyer son Fils bien-aimé, pour satisfaire à nos dettes, et nous rendre la vie de la grâce que le péché nous avait fait perdre, en nous donnant son Fils ; c’est-à-dire, en ne pardonnant pas à son Fils pour nous pardonner ; avec ce divin Fils, il nous a tout donné : sa grâce, son amour, le paradis ; car tous ces biens sont incomparablement moindres que son fils.

Le fils de Dieu s’est aussi donné tout entier à nous par amour, et pour nous racheter de la mort éternelle, et pour nous faire recouvrer la grâce et le paradis, que nous avions perdus, il s’est fait homme, il s’est anéanti ; le Maître de l’univers s’est humilié jusqu’à prendre la forme d’esclave, et jusqu’à se soumettre à toutes les misères humaines.

Ce qui est plus étonnant, c’est que, pouvant nous sauver sans mourir et sans souffrir, il a néanmoins choisi les peines, les mépris, une mort cruelle et ignominieuse, le supplice de la croix ; supplice infâme destiné aux scélérats. Mais pourquoi a-t-il voulu sans aucune nécessité se livrer à tous ces tourments ? C’est qu’il nous aimait et voulait nous montrer toute l’étendue de son amour, en souffrant pour nous ce qu’aucun homme n’a jamais enduré.

Aussi saint Paul, épris de l’amour de Jésus-Christ, a-t-il dit : la charité de Jésus-Christ nous presse ; voulant nous faire entendre par là que c’est moins ce que Jésus-Christ a souffert pour nous que l’amour qu’il nous a témoigné par ses souf­frances, qui nous oblige et nous contraint presque de l’aimer. Saint François de Sales dit à ce sujet : Être certains que Jésus-Christ, notre Dieu, nous a aimés jusqu’à mourir sur la croix pour nous, n’est-ce pas avoir nos cœurs sous un pressoir qui en exprime fortement l’amour par une violence d’autant plus forte qu’elle est plus aimable ? Embrassons donc la croix ; persé­vérons-y jusqu’à la mort, pour mourir avec Celui qui a bien voulu donner sa vie pour l’amour de nous. Oui, je l’embrasserai, devrait dire chacun de nous, et je ne l’abandonnerai jamais, cette croix ; j’y mourrai avec mon Dieu, et je brûlerai du feu de son divin amour. Ce feu sacré consumera le Créateur et sa véritable créature. Mon Sauveur se donne tout entier à moi, et je me donne tout entier à lui ; je veux vivre et mourir sur son Cœur, rien ne me séparera jamais de lui. Divin Amour, mon âme vous désire et vous prend à jamais pour son Époux. Venez, Esprit-Saint, enflammez mon cœur de vos pures et saintes ardeurs. Ou aimer, ou mourir. Mourir à tout autre amour pour vivre à celui de Jésus. Ô Sauveur de nos âmes, faites que je chante éternellement : Vive Jésus, que j’aime ! Vive Jésus, mon amour ! J’aime Jésus, qui vit pendant les siècles des siècles.

L’amour que Jésus-Christ avait pour les hommes était si grand, qu’il lui faisait désirer l’heure de sa mort pour le leur témoigner. Il disait pendant sa vie : Je dois être baptisé avec mon propre Sang, et combien il me tarde de voir arriver l’heure de ma mort, pour faire connaître à l’homme combien est grand l’amour que j’ai pour lui ! C’est pour cela que saint Jean, parlant de la nuit où commença la Passion du Sauveur, dit que le Sauveur appelait cette heure son heure, parce qu’il ne désirait rien tant que le moment de sa mort, où il voulait donner aux hommes la dernière preuve de son amour, en mourant pour eux sur une croix, consumé de douleur.

Mais qui donc a pu porter un Dieu à mourir sur un infâme gibet, au milieu de deux scélérats, d’une manière si ignomi­nieuse à sa divine Majesté ? C’est l’amour, qui, sans égard pour la dignité de celui qui aime, ne cherche qu’à se manifester à la personne aimée. Saint François de Paule avait donc bien raison de s’écrier souvent à la vue du crucifix : Ô amour, ô amour, ô amour ! Animés du même esprit, nous devrions tous, à son exemple, nous écrier, en voyant Jésus en croix : Ô amour, amour infini !

Qui pourrait croire, si la foi ne nous en assurait, qu’un Dieu tout-puissant, souverainement heureux et Maître de tout, ait voulu tant aimer l’homme, qu’il soit comme sorti hors de lui-même pour l’amour de l’homme ? Nous avons vu, suivant les paroles de saint Laurent Justinien, la Sagesse même, le Verbe éternel devenu insensé par l’excès d’amour qu’il a eu pour les hommes. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi disait la même chose un jour qu’étant en extase, elle prit en main le crucifix, et s’écria : Votre amour pour nous va jusqu’à la folie, ô mon Jésus ; oui, je le dis et je le dirai toujours, l’amour vous rend insensé. Mais non, répond saint Denys l’Aréopagite, non, ce n’est pas folie, mais c’est le propre de l’amour divin de porter celui qui aime à se livrer entièrement à l’objet de son amour.

Oh ! si les hommes s’arrêtaient à considérer Jésus en croix et l’amour qu’il a eu pour chacun d’eux, ne seraient-ils pas embrasés, disait saint François de Sales, à la vue des flammes qui consument le Cœur du Rédempteur ? Quel bonheur pour eux de pouvoir brûler du même feu que notre Dieu ! Quelle joie de se voir unis à Dieu par les liens de l’amour ! Saint Bonaven­ture appelait les plaies de Jésus-Christ des plaies qui blessent les cœurs les plus insensibles et qui enflamment les âmes les plus froides ; oh ! que de traits d’amour sortent de ces plaies pour blesser les cœurs les plus endurcis ! que de flammes pour embraser les cœurs les plus froids ! Que de chaînes enfin partent de ce côté ouvert pour enchaîner les cœurs les plus rebelles !

Le vénérable Jean d’Avila, qui aimait si tendrement Jésus-Christ que dans tous ses sermons il ne manquait jamais de parler de l’amour que Jésus-Christ a pour nous, nous a laissé, dans son Traité de l’Amour du Rédempteur, quelques traits si vifs et si beaux, que je ne puis m’empêcher de les citer. Les voici :

« Mon divin Rédempteur, vous avez tellement aimé l’homme, qu’on ne peut y penser sans vous aimer ; votre amour fait violence aux cœurs, comme dit l’Apôtre : La charité de Jésus-Christ nous presse. Cet amour que Jésus-Christ a pour les hommes vient de son amour envers Dieu. C’est pour cela qu’il dit après la Cène : afin que le monde connaisse que J’aime mon Père, levez-vous, allons. Et où ? Mourir pour les hommes sur la croix.

« On ne peut concevoir combien est ardent dans le Cœur de Jésus-Christ ce feu de l’amour. Si, au lieu d’une mort, on lui eût demandé d’en souffrir mille, il avait assez d’amour pour le faire. Si, au lieu de mourir pour tous les hommes, on lui eût ordonné de mourir pour le salut d’un seul, il l’aurait fait volontiers comme il l’a fait pour tous. Enfin, si au lieu de rester trois heures en croix, il eût dû y demeurer jusqu’au jour du jugement, il aimait assez pour s’y soumettre : de sorte que Jésus-Christ aima beaucoup plus qu’il ne souffrît. Amour divin, combien vous êtes plus ardent que vous ne le paraissez à l’extérieur ! En effet, le sang et les plaies nous annoncent bien, il est vrai, un grand amour, mais ils ne nous découvrent pas tout ce qu’il est ; ces signes extérieurs sont bien faibles, en comparaison de ce feu immense d’amour qui vous consumait au dedans. La plus grande marque d’amour, c’est de donner sa vie pour ses amis : cette marque ne suffit pas à Jésus-Christ pour exprimer tout son amour.

« C’est cet amour qui ravit les âmes chrétiennes et les met hors d’elles-mêmes. De là naissent les vives ardeurs, les désirs du martyre, la joie dans les souffrances, la soif des tourments et de tout ce que le monde craint et abhorre. Saint Ambroise dit que le vrai fidèle met toute sa gloire à porter sur soi les em­preintes de la croix.

« Comment, ô mon Dieu, pourrai-je vous payer d’un si grand amour ? Il est juste que le sang soit compensé par le sang ; puissé-je donc verser mon sang sur la croix que j’embrasse ! Ô croix sainte, reçois-moi dans tes bras ! Couronne, élargis-toi afin que je puisse placer ma tête auprès de celle du Sauveur. Et vous, ô clous cruels, sortez des mains innocentes de mon Dieu ; venez pénétrer mon cœur de componction et d’amour. Vous êtes mort, ô mon Sauveur ! dit saint Paul, pour régner sur les vivants et sur les morts, non par les châtiments, mais par l’amour.

« La force de votre amour, qui ravit les cœurs, a aussi brisé la dureté des nôtres, ô mon Dieu ; vous avez embrasé tout le monde de votre amour. Enivrez aussi nos cœurs de ce précieux vin ; enflammez-les de ce feu sacré ; percez-les de ce trait salutaire de votre amour. Votre croix est la maîtresse des cœurs ; que tout le monde sache que le mien lui est entièrement soumis. Ô mon Jésus, mon amour, qu’avez-vous fait ? vous êtes venu pour me guérir, et vous m’avez blessé ! vous êtes venu pour m’apprendre à bien vivre, et vous m’avez rendu comme insensé ! Heureuse et très sage folie, puissé-je vous conserver toute ma vie ! Seigneur, tout ce que je vois sur la croix m’invite à vous aimer : le bois, la figure, les plaies de votre Corps, et surtout votre amour, tout m’invite à vous aimer et à ne vous oublier jamais. »

Mais pour arriver au parfait amour de Jésus-Christ, il faut en prendre les moyens. Voyez ce que saint Thomas d’Aquin nous enseigne : 1° avoir continuellement présent à l’esprit ses bienfaits tant généraux que particuliers ; 2° considérer l’infinie bonté de Dieu, qui, toujours occupé à nous faire du bien, nous aime sans cesse et veut toujours être aimé de nous ; 3° éviter avec le plus grand soin jusqu’aux moindres choses qui peuvent lui déplaire ; 4° renoncer à tous les biens temporels, tels que les richesses, les honneurs et les plaisirs, des sens. Le Père Tauler ajoute que la méditation de la Passion est un grand moyen pour obtenir l’amour de Jésus-Christ.

La dévotion à la Passion de Jésus-Christ est la plus utile et la plus affectueuse de toutes les dévotions ; c’est la plus agréable à Dieu, celle qui console davantage les pécheurs et qui inspire plus d’amour. De quelle source recevons-nous tous les biens, sinon de la Passion du Sauveur ? D’où nous vient l’espérance du pardon, la force contre les tentations, la confiance d’aller en paradis, tant de lumières, d’invitations pleines d’amour, de désirs de conversion, sinon de la Passion du Sauveur ? Il avait donc bien raison, l’Apôtre, de déclarer excommunié quiconque n’aime pas Jésus-Christ.

Saint Bonaventure dit qu’il n’y a pas de dévotion plus propre à sanctifier une âme que la méditation de la Passion de Jésus-Christ, et il nous conseille de la méditer tous les jours, si nous voulons faire des progrès dans l’amour de Dieu. Saint Augustin assure qu’on mérite davantage en versant une seule larme au souvenir de la Passion, qu’en jeûnant pendant huit jours au pain et à l’eau : c’est pour cela que les saints se sont toujours occupés de la Passion du Sauveur. Saint François d’Assise est devenu par là un séraphin : il pleurait un jour à chaudes larmes ; quelqu’un lui en demanda la cause : Je pleure, répondit le saint, les souffrances et les ignominies de mon Sauveur ; et ce qui m’afflige le plus, c’est que les hommes, pour qui il a tant souffert, n’y pensent pas. À ces mots, ses larmes augmentèrent, de sorte que celui qui l’avait interrogé, se mit aussi à pleurer lui-même. Un agneau qui bêlait, ou toute autre chose qui rappelait le souvenir de la passion, suffisait pour lui faire verser des pleurs. Un jour qu’il était malade, on lui conseilla de se faire lire quelque livre de piété. Mon livre, répondit-il, c’est Jésus crucifié. Aussi exhortait-il sans cesse ses religieux à penser toujours à la Passion. Quiconque ne s’enflamme pas de l’amour de Dieu, en contemplant Jésus en croix, ne l’aimera jamais.

Affections et prières

Verbe éternel, divin Jésus, vous avez passé trente-trois ans dans les travaux et les peines, vous avez donné votre sang et votre vie pour sauver tous les hommes ; en un mot, vous n’avez rien épargné pour vous faire aimer d’eux : comment peut-il se faire qu’il y ait des hommes qui le sachent, et qui ne vous aiment pas ? Il y en a, et je suis un de ces ingrats. Je m’en repens, ô mon Jésus, ayez pitié de moi, et recevez mon cœur en réparation de l’injure que je vous ai faite ; je vous l’offre, ô mon Dieu. Il a été ingrat, il se repent maintenant. Oui, je me repens par-dessus toute chose de vous avoir méprisé. Je me repens et vous aime de toute mon âme. Ô mon âme, aime un Dieu enchaîné comme coupable, un Dieu flagellé, tourné en dérision, et mis en croix pour ton salut. Oui, mon Sauveur et mon Dieu, je vous aime, je veux vous aimer à jamais. Rappelez-moi toujours tout ce que vous avez souffert pour moi, afin que je n’oublie jamais de vous aimer. Liens sacrés qui enchaînâtes Jésus mon Sauveur, unissez-moi étroitement à Jésus ; épines qui couronnâtes son admirable tête, blessez-moi d’amour pour mon Jésus ; clous vénérables qui perçâtes Jésus, clouez-moi à la croix, afin que je vive et meure uni à Jésus. Sang précieux de Jésus, enivrez-moi de l’amour divin ; mort de Jésus, faites-moi mourir à toute affection terrestre. Pieds de mon Sauveur, je vous embrasse, délivrez-moi de l’enfer que j’ai mérité. Dans l’enfer je ne pourrais plus vous aimer, ô mon doux Jésus, et cependant je veux vous aimer à jamais. Mon aimable Rédempteur, sauvez-moi. Unissez-moi étroitement à vous, et ne permettez-pas que je me sépare jamais de vous. Et vous, refuge des pécheurs, ô Marie, Mère de mon Sauveur, aidez un pécheur qui veut aimer son Dieu, et qui se recommande à vous ; secourez-moi à cause de l’amour que vous avez pour Jésus.

Chapitre 2
Combien Jésus-Christ mérite d’être aimé de nous à cause de l’amour qu’il nous a témoigné en instituant le très saint Sacrement de l’autel

Le Sauveur, sachant que son heure était arrivée, voulut, avant de mourir, nous laisser la plus grande marque possible de son amour, et c’est pour cela qu’il institua le très saint Sacre­ment de l’autel. Saint Bernardin de Sienne dit que les marques d’amour, données en mourant, font plus d’impression sur les cœurs, et sont estimées bien plus précieuses : c’est par cette raison qu’à l’article de la mort, on lègue ordinairement à ses plus chers amis quelque don en mémoire de l’attachement qu’on a eu pour eux. Mais vous, ô mon Jésus, lorsque vous sortîtes de ce monde, que nous laissâtes-vous en mémoire de votre amour ? Vous vous êtes donné vous-même, vous nous avez laissé votre Corps, votre Sang, votre Âme, votre Divinité ; en un mot, tout vous-même, sans aucune réserve.

Dans ce Sacrement, Jésus-Christ, dit le concile de Trente, déploya toutes les richesses de son amour pour nous ; et comme le remarque l’Apôtre, il fit ce don aux hommes précisément la même nuit que les hommes tramaient sa mort. Le Sauveur, dans l’excès de son amour pour nous, non content de se disposer à mourir pour notre salut, voulut encore avant sa mort faire quelque chose de plus grand, en nous donnant son Corps pour aliment.

C’est donc avec raison que saint Thomas appelle ce sacre­ment « Sacrement d’amour », parce qu’il n’y a que l’amour qui ait porté Jésus-Christ à s’y donner tout entier à nous ; et « gage d’amour », afin que, si nous eussions douté de son amour, nous en trouvions un gage dans ce Sacrement, comme si le Rédemp­teur eût dit en l’instituant : Âmes chrétiennes, si vous doutez de mon amour, considérez ce Sacrement, je m’y donne tout entier à vous ; avec un tel gage en main, vous ne pouvez douter que je ne vous aime, et que je ne vous aime beaucoup. Saint Bernard appelle ce Sacrement Amour des amours, parce que ce don renferme tous les autres dons du Seigneur, ceux de la création, de la rédemption, de la prédestination à la gloire ; car l’Eucha­ristie n’est pas seulement une preuve de l’amour de Jésus-Christ, elle est encore un garant du paradis, qu’il veut nous donner, dit l’Église. C’est pourquoi saint Philippe de Néri ne savait appeler Jésus-Christ dans le saint Sacrement que du nom d’amour ; et lorsqu’on lui porta le saint Viatique, il s’écria : Voici mon Amour, donnez-moi mon Amour.

Le prophète Isaïe voulait qu’on manifestât à l’univers entier les inventions pleines d’amour que Dieu a produites pour se faire aimer des hommes. Qui eût pu penser que le Verbe incarné se fût mis sous les espèces du pain pour devenir notre nourriture ? Quoi ! dit saint Augustin, ne semble-t-il pas que c’est folie de dire : Mangez ma chair, buvez mon sang ! La première fois que Jésus-Christ parla de ce Sacrement à ses Disciples, ils ne purent le croire, et s’éloignèrent de lui en disant : Comment peut-il nous donner sa Chair à manger ? Or ce que les hommes ne pouvaient ni penser ni croire, l’amour prodigieux de Jésus-Christ l’a pensé et fait. Prenez et mangez, a-t-il dit à ses Disciples, et à nous tous en leur nom. Mais quel est l’aliment que vous voulez nous donner, ô Sauveur du monde, avant de mourir ? C’est mon Corps ; ce n’est pas un aliment terrestre ; c’est moi-même, je me donne donc à vous tout entier.

Quel désir n’a pas Jésus-Christ de se donner à nous dans la sainte communion ! J’ai désiré avec ardeur de manger cette Pâque avec vous, disait-il, la nuit qu’il institua ce Sacrement d’amour : expressions qui, comme l’observe saint Laurent Justinien, marquent bien l’amour immense qu’il nous portait. Pour que tout le monde pût aisément le recevoir, il choisit les espèces du pain. S’il se fût donné sous les espèces d’un aliment rare et de grand prix, les pauvres en auraient été privés ; mais Jésus a voulu se mettre sous les espèces du pain, parce qu’il coûte peu, se trouve en tout lieu et facilite la fréquentation du Sacrement.

Pour nous enflammer du désir de le recevoir dans la sainte communion, non seulement il nous y exhorte vivement : venez, mes amis, mangez et buvez, dit-il en parlant de ce Pain et de ce Vin céleste ; mais encore il nous en fait un précepte formel : prenez et mangez. Il nous attire en nous promettant le paradis. Celui qui mange ma chair a la vie éternelle. Enfin, il menace de l’enfer quiconque ne veut pas le recevoir. Toutes ces invitations, ces promesses, ces menaces naissent du grand plaisir qu’il a de se donner à nous dans le Sacrement de l’autel.

Mais pourquoi Jésus désire-il si ardemment que nous le recevions dans la communion ? C’est parce que l’amour aspire toujours et tend à l’union. Les vrais amis voudraient être tellement unis, qu’ils ne fussent qu’un seul homme. L’amour de Dieu pour nous étant immense, il a voulu nous destiner à le posséder non seulement dans le ciel, mais encore ici-bas par l’union la plus intime, sous les apparences du pain dans l’Eucharistie. Il est vrai que nous ne le voyons pas ; mais il nous regarde et il est réellement présent ; oui, il est présent pour se laisser posséder, mais il se cache pour se faire désirer ; et jusqu’à ce que nous arrivions à notre patrie, Jésus-Christ veut être tout à nous entièrement uni à nous.

C’était peu pour l’amour de Jésus-Christ de se faire homme et de mourir pour tous les hommes ; son amour lui a fait encore trouver le moyen de se livrer tout entier à chacun de nous, et c’est à cette fin qu’il a institué le saint Sacrement de l’autel. Dans la sainte communion Jésus s’unit à l’âme, et l’âme s’unit à Jésus ; et cette union n’est pas seulement de pure affection, elle est véritable et réelle. Voici comment saint François de Sales s’exprime à ce sujet : Le Sauveur ne se montre nulle part ni plus tendre ni plus aimant que dans ce Sacrement, où il s’anéantit, pour ainsi dire, et se réduit en aliment pour pénétrer les âmes et s’unir aux cœurs des fidèles. Jésus-Christ, dans l’ardeur de son amour pour nous, veut s’unir tellement à nous, que nous deve­nons une seule et même chose avec lui.

Ô divin Époux de nos âmes, s’écrie saint Laurent Justinien, qui avez voulu par ce Sacrement d’amour, que votre Cœur et le nôtre ne fissent qu’un seul cœur, inséparablement unis. Saint Bernardin de Sienne ajoute : Jésus-Christ, en se donnant à nous sous la forme d’aliment, a mis le comble à son amour, puisqu’il s’est donné pour s’unir totalement à nous, et de la même manière que les aliments s’unissent à celui qui les mange. Oh ! combien Jésus-Christ se plaît à s’unir à nos âmes ! Il dit un jour après la communion, à sa fidèle servante Marguerite d’Ypres : Vois, ma fille, la belle union qui existe entre moi et toi ; aime-moi donc, soyons toujours unis par l’amour et ne nous séparons plus.

On ne saurait donc rien faire de plus agréable à Jésus-Christ que d’aller communier avec la disposition convenable à une aussi grande action, puisque alors on s’unit à Jésus-Christ avec le désir de Dieu tout aimant. J’ai dit avec la disposition convenable et non pas digne ; car qui pourrait communier s’il fallait en être digne ? Il n’y aurait qu’un Dieu qui fût digne de recevoir un Dieu. Mais par ce mot convenable j’entends une disposition telle, qu’elle convient à une misérable créature re­vêtue de la malheureuse chair d’Adam. Il suffit, ordinairement parlant que l’on communie en état de grâce, et avec un vif désir de croître dans l’amour de Jésus-Christ. C’est par amour seulement qu’on doit recevoir Jésus-Christ dans la communion, disait saint François de Sales, puisque c’est seulement par amour qu’il se donne à nous. Mais doit-on communier plus ou moins souvent ? Je réponds qu’en cela on doit suivre l’avis de son Père spirituel. Ô du reste, qu’on sache qu’aucun état, ni le mariage, ni le négoce, n’empêchent la communion fréquente, lorsque le Directeur le juge convenable, comme le déclare expressément le pape Innocent XI dans son décret de l’an 1679.

Rien au monde ne peut être aussi avantageux que la communion. le Père éternel a mis Jésus-Christ en possession de toutes ses richesses ; ainsi, lorsque Jésus vient dans une âme par la sainte communion, il porte avec lui des trésors immenses de grâces, et l’on peut dire après la communion : tous les biens me sont venus avec elle. Saint Denis enseigne que le Sacrement de l’Eucharistie est le moyen le plus puissant pour sanctifier les âmes ; saint Vincent Ferrier déclare qu’une seule communion est plus profitable qu’une semaine de jeûne au pain et à l’eau.

Par la communion, dit le saint concile de Trente, nous sommes délivrés des fautes vénielles et préservés des mortelles ; nous sommes délivrés des fautes vénielles : car l’homme, par le moyen de ce Sacrement, est excité à faire des actes d’amour qui effacent les péchés véniels ; nous sommes préservés des mortelles, parce que la communion confère l’augmentation de la grâce et nous préserve des fautes graves. C’est pourquoi Innocent III dit que Jésus-Christ, par sa Passion, nous a soustraits à la puissance du péché, mais que par l’Eucharistie il nous délivre de la puissance de pécher.

Ce Sacrement enflamme surtout les âmes du divin amour. Dieu est amour : c’est un feu qui consume dans nos cœurs toutes les affections terrestres ; or, ce feu d’amour, Jésus-Christ est venu l’apporter sur la terre, et il ne désire rien tant que de le voir allumé dans nos âmes ; quelles flammes d’amour divin n’allumera-t-il donc pas dans le cœur de celui qui le reçoit par la communion ! Sainte Catherine de Sienne vit un jour, à l’élévation de la sainte Hostie, Jésus sous la forme d’un globe de feu, et elle ne pouvait concevoir comment tous les cœurs des hommes n’étaient pas brûlés et consumés par ce Feu divin. Sainte Rose de Lima avait, après la communion, le visage rayonnant d’une lumière si éblouissante, que les yeux n’en pouvaient soutenir l’éclat. La communion nous enflamme tellement d’amour, qu’au sortir de la sainte Table nous devenons à l’enfer un objet de terreur.

Saint Grégoire de Nysse dit que la communion est vraiment ce cellier du roi dont parle l’Épouse des Cantiques, où l’âme est tellement enivrée de l’amour divin, qu’elle s’oublie elle-même et perd de vue toutes les choses créées ; et il ajoute que la sainte ivresse de la communion n’est autre chose que cette langueur d’amour dont le Texte sacré fait aussi mention. Mais, dira-t-on, je ne communie rarement que parce que je ne sens en moi qu’un faible amour de Dieu. Quoi donc ! répond Gerson, parce que vous éprouvez du froid, vous voulez vous éloigner du feu ! Ah ! c’est précisément parce que vous êtes froid que vous devez vous approcher souvent de ce Sacrement, si vous désirez véritablement aimer Jésus-Christ ; plus on est malade, plus on a besoin du médecin. Saint François de Sales nous enseigne dans sa Philothée, chap. XXI, qu’il y a deux sortes de personnes qui doivent communier souvent : les parfaites, pour se conserver dans la perfection, et les imparfaites, pour arriver à la perfection. Mais, pour communier souvent, il faut du moins avoir un grand désir de devenir saint, et de croître toujours de plus en plus dans l’amour de Jésus-Christ. Lorsque vous allez communier, dit un jour le Seigneur à sainte Mechtilde, désirez avoir pour moi tout l’amour dont un cœur est capable, et je recevrai cet amour tel que vous voudriez qu’il fût.

Affections et prières

Dieu d’amour, aimable Jésus, digne d’un amour infini, dites-moi, que pourriez-vous encore inventer pour vous faire aimer de nous ? Il ne vous a pas suffi de vous être fait homme et de vous assujettir aux mêmes misères que nous ; vous ne vous êtes pas contenté de répandre pour nous tout votre Sang, au milieu des plus cruels tourments, de mourir épuisé de douleurs sur une croix réservée aux plus grands scélérats ; vous avez encore voulu vous mettre sous les espèces du pain pour devenir notre nourriture et vous unir à chacun de nous. Dites-moi, je le répète, que pourriez-vous encore inventer pour vous faire aimer ? Ah ! malheur à nous, si nous ne vous aimons pas en ce monde ! Quels remords n’aurions-nous pas dans l’éternité de ne vous avoir pas aimé ! Mon doux Jésus, je ne veux pas mourir sans vous aimer, et vous aimer beaucoup. J’ai une extrême douleur de vous avoir tant offensé, je m’en repens, et je voudrais en mourir de regret. Oui, maintenant je vous aime par-dessus toutes choses ; je vous aime plus que moi-même et je vous consacre toutes mes affection. C’est de vous que je tiens une si bonne disposition. Donnez-moi encore la force d’y être fidèle. Jésus, mon doux Jésus, vous seul me suffisez ; maintenant que vous m’avez attiré à vous aimer, je quitte tout, je renonce à tout pour m’attacher à vous seul ; vous me suffisez. Marie, Mère de mon Dieu, priez Jésus pour moi, et rendez-moi saint. Vous faites tant de prodiges : ne pourriez-vous pas opérer celui qui change en saints les plus grands pécheurs ?

Chapitre 3
De la grande confiance que doit nous inspirer l’amour que Dieu nous a témoigné en tout ce qu’il a fait pour nous

Avant que le Seigneur eût paru sur la terre, David mettait déjà en lui toute son espérance, et lui disait : Seigneur, je remets mon esprit entre Vos mains ; Vous m’avez racheté, ô Dieu de vérité. Combien plus ne devons-nous pas avoir confiance en Jésus-Christ ! Nous savons qu’il est venu et qu’il a accompli l’œuvre de la rédemption. Disons-lui donc avec beaucoup plus de confiance, et répétons sans cesse les paroles du Prophète.

Si nos péchés nous donnent tout lieu de craindre la mort éternelle, les mérites de Jésus-Christ nous offrent des motifs bien plus forts pour espérer. Ils sont infinis, ces mérites, et incomparablement plus puissants pour nous sauver que nos péchés pour nous perdre. En péchant nous avons mérité l’enfer ; mais le Rédempteur est venu pour se charger de toutes nos fautes et les expier par ses souffrances.

Au moment que nous péchâmes, Dieu écrivit la sentence de notre condamnation à la mort éternelle. Mais qu’a fait Jésus-Christ ? Il a pris cette sentence, l’a attachée à sa croix, et l’a effacée avec son propre Sang, afin que nous ne puissions jamais regarder notre condamnation sans voir la croix sur laquelle Jésus a détruit cet arrêt, et sans concevoir l’espérance du pardon et du salut éternel.

Oh ! combien est plus puissant auprès de Dieu le Sang de Jésus-Christ pour nous obtenir miséricorde, que le Sang d’Abel ne le fut pour accuser Caïn ! Que vous êtes heureux, pauvre pécheur, de pouvoir recourir à Jésus crucifié, qui a versé tout son Sang pour se rendre le Médiateur de paix entre les pécheurs et Dieu, et leur obtenir le pardon de leurs fautes ! Vos iniquités, il est vrai, crient vengeance contre vous ; mais le Sang précieux du Rédempteur plaide en votre faveur, et la divine justice est nécessairement apaisée par la voix de ce précieux Sang.

Nous avons, j’en conviens, un compte rigoureux à rendre de tous nos péchés ; mais quel sera notre Juge ? Consolons-nous : c’est le Rédempteur lui-même que Dieu a établi pour nous juger. Aussi saint Paul nous encourage-t-il en disant que le Juge qui doit nous condamner à la mort éternelle s’est condamné à mourir pour nous, et que, non content de ce bienfait, il continue encore dans le ciel à intercéder pour notre salut auprès de Dieu son Père. Que craignez-vous, pécheur, dit Thomas de Ville­neuve, si vous détestez votre péché ? Comment pourra vous condamner Celui qui est mort pour ne pas vous damner ? Comment pourra-t-il vous rejeter si vous retournez à ses pieds, lui qui est descendu du ciel pour vous chercher lorsque vous le fuyiez ?

Votre faiblesse vous fait-elle craindre de succomber aux tentations futures ? Voici le remède que l’Apôtre indique dans ce cas : Allons au combat les yeux fixés sur Jésus crucifié, qui, du haut de sa croix, nous offre son secours, la victoire et la couronne. Si nous sommes tombés précédemment, c’est que nous avons manqué de considérer les plaies et les ignominies du Rédempteur, et de lui demander du secours. Mais si désor­mais nous pensons à tout ce qu’il a souffert pour notre amour, et à l’empressement qu’il a de nous secourir lorsque nous recourons à lui, assurément nous ne serons pas vaincus par nos ennemis. Sainte Thérèse disait : Je ne conçois pas comment ou peut tant craindre le démon, puisqu’on n’a qu’à invoquer le saint Nom de Dieu pour le faire trembler. Mais elle disait aussi : Tous nos efforts ne servent de rien, si nous ne renonçons pas à toute confiance en nous-mêmes pour n’en avoir qu’en Dieu seul.

La Passion et le saint Sacrement de l’autel sont pour nous deux grands mystères d’espérance et d’amour ; mystères qu’on ne saurait croire si la foi n’en donnait l’assurance. Quoi ! un Dieu tout-puissant se faire homme, verser tout son sang, mourir de douleur sur un bois infâme ! Pourquoi ? Pour expier nos péchés, et nous sauver, nous, vers de terre, rebelles à sa divine Majesté ! C’est encore peu ; ce même Corps, sacrifié pour nous sur la croix, vouloir nous le donner en nourriture, pour s’unir tout entier à nous ! Grand Dieu ! ces deux mystères devraient embraser, consumer d’amour tous les cœurs des hommes. Quel est le pécheur, quelque criminel qu’il soit, qui, étant repentant de ses péchés et voyant un Dieu si plein d’amour pour les hommes et si porté à leur faire du bien, pourra désespérer de son pardon ? C’est ce qui inspirait tant de confiance à saint Bonaventure, qu’il disait : Je suis persuadé que Celui qui a tant fait et tant souffert pour mon salut, ne pourra pas me refuser les grâces nécessaires pour me sauver.

Allons donc avec confiance au trône de la grâce pour obtenir miséricorde. Le trône de la grâce, c’est la croix où Jésus-Christ siège comme sur un trône pour distribuer les grâces et les miséricordes à quiconque y a recours. Mais il faut y recourir au plus vite, maintenant que nous pouvons y trouver le secours nécessaire au salut ; peut-être que plus tard nous ne serions plus à temps d’y réussir. Hâtons-nous donc d’aller embrasser la croix de Jésus-Christ, et allons-y avec beaucoup de confiance. Ne soyons pas arrêtés par la vue de nos misères, nous trouvons en Jésus-Christ toutes les richesses et toutes les grâces ; ses mérites nous ont ouvert les trésors de Dieu en nous donnant droit à toutes les grâces dont nous avons besoin.

Jésus-Christ, par sa mort, nous a procuré des avantages bien plus considérables que ceux que le démon nous a fait perdre par le péché, ce qui est conforme à ces paroles de l’Apôtre : Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. Pourquoi donc n’espére­rions-nous pas tout obtenir en vertu des mérites du Sauveur ? Lui-même nous assure que tout ce que nous demanderons en son Nom à Dieu son Père, nous sera accordé. Comment le Père céleste nous refuserait-il quelque chose, lui qui nous a donné son Fils unique, qu’il aime autant que lui-même ? L’Apôtre dit qu’avec lui il nous a donné tout : donc aucune grâce n’est exceptée, ni le pardon, ni la persé­vé­rance, ni l’amour divin, ni la perfection, ni le paradis. Mais il faut le prier ; Dieu est plein de libéralité envers ceux qui le prient.

Pour excite la confiance que nous devons avoir dans les mérites de Jésus-Christ, je vais citer quelques beaux passages tirés des lettres du vénérables Père d’Avila.

« N’oubliez pas qu’entre le Père éternel et nous, il y a un médiateur ; c’est Jésus-Christ, auquel nous sommes unis par de si forts liens d’amour, que rien ne peut les briser, si l’homme ne les rompt par un péché mortel. Le Sang de Jésus crie et demande miséricorde pour nous ; et il crie si fort, que le bruit de nos péchés n’est pas entendu. La mort de Jésus-Christ a effacé toutes nos fautes ; en mourant, il a détruit la mort ; de sorte que si l’on se perd, ce n’est pas faute de satisfaction, mais faute de vouloir profiter, au moyen des Sacrements, de la satisfaction donnée par Jésus-Christ.

« Jésus-Christ s’est chargé de remédier à nos maux comme d’une affaire qui lui aurait été propre ; il a pris nos péchés comme s’ils avaient été les siens, et il en a demandé pardon à Dieu ; priant avec autant d’amour que s’il avait prié pour lui-même, il a conjuré son Père d’aimer tous ceux qui voudraient s’approcher de lui. Ses prières ont été exaucées, et Dieu a permis que nous soyons tellement unis à Jésus, que nous ayons à subir, nous et lui, une seule et même destinée en fait d’amour et de haine, et comme Jésus-Christ n’est ni ne peut être haï par son Père, de même aussi nous serons aimés, si nous lui restons unis par l’amour : car Jésus-Christ étant aimé de Dieu, nous le sommes aussi, puisqu’il est bien plus capable de nous faire aimer que nous ne le sommes de nous faire haïr, et que Dieu aime beaucoup plus son Fils qu’il ne hait les pécheurs.

« Jésus dit à son Père : Mon Père, je veux que ceux que vous M’avez donnés soient là où Je suis. » L’amour l’a emporté sur la haine. Nous avons reçu le pardon et l’assurance de n’être jamais abandonnés, fondés sur l’amour que Dieu nous porte. Une mère peut-elle oublier son fils ? Eh bien, je vous assure, dit le Seigneur dans Isaïe, que, quand même elle l’oublierait, je ne vous oublierai pas, parce que je vous porte écrits dans mes mains. Oui, le Sauveur nous a écrits dans ses mains avec son propre Sang. Ainsi, ne nous inquiétons de rien ; tout est dirigé par ses mains qui ont été clouées pour nous à la croix en témoignage d’amour.

« Rien ne peut nous troubler au point que Jésus-Christ ne puisse nous rassurer. Si je suis effrayé par mes péchés passés, par les craintes de l’avenir, par les pièges que les démons me tendent, je recourrai à la miséricorde de mon Dieu, qui m’a aimé jusqu’à la mort, et je mettrai en lui toute ma confiance. Combien ne m’estime-t-il pas, puisqu’il s’est donné tout entier pour mon salut ! Ô Jésus, port assuré pour ceux qui vous cherchent dans le besoin, divin Pasteur de nos âmes, c’est se tromper que de ne pas espérer en vous lorsqu’on a un vrai désir de se corriger. Vous avez dit : Je suis le Seigneur, ne craignez pas ; c’est moi qui vous afflige et qui vous console. J’envoie quelquefois à mes serviteurs des consolations qui ressemblent à un enfer ; mais ensuite, je les en retire et je les en soulage… Je suis votre Avocat ; votre cause est devenue la mienne. Je suis votre caution ; j’ai acquitté toutes vos dettes. Je suis votre Maître ; je vous ai rachetés de mon propre Sang, non pas pour vous abandonner, mais pour vous enrichir, après vous avoir rachetés à si haut prix. Comment m’éloignerais-je de celui qui me cherche, moi qui suis allé au devant de ceux qui me cherchaient pour m’outrager ? Je n’ai pas détourné mes regards de celui qui me frappait, je les détournerais de celui qui veut m’adorer ! Comment pouvez-vous douter que je vous aime, en me voyant entre les mains de mes ennemis pour votre amour ? M’a-t-on jamais vu mépriser celui qui m’aimait, ou délaisser celui qui demandait du secours, moi qui vais chercher celui-là même qui ne me cherche pas ?

« Si vous croyez que le Père éternel vous a donné son propre Fils, croyez aussi qu’il vous donnera tout le reste, qui est sans doute bien moins précieux que son Fils. Ne pensez pas que Jésus-Christ vous ait oublié, puisque, pour preuve de son amour, il nous a laissé le plus grand de tous les gages, son Corps et son Sang, en un mot tout lui-même, dans le saint Sacrement de l’autel. »

Affections et prières

Ô Jésus, mon amour, que d’espérances me donne votre Passion ! Comment pourrais-je craindre de ne pas obtenir le pardon de mes péchés, le paradis et toutes les grâces nécessaires pour y parvenir, quand je les attends d’un Dieu tout-puissant qui a donné pour moi tout son Sang ? Ah ! mon Jésus, mon espérance et mon amour, pour ne pas me perdre vous avez voulu perdre la vie ! Je vous aime, ô mon Rédempteur et mon Dieu, je vous aime par-dessus toutes choses. Vous vous êtes donné tout entier à moi, je veux aussi me donner tout entier à vous. Recevez ma volonté, mon cœur et mon amour ; encore une fois, je vous aime et je veux vous aimer à jamais. Puissé-je, pendant tout le cours de ma vie, répéter sans cesse ces douces paroles : Mon Dieu, je vous aime ! Puissé-je à mon dernier soupir les avoir encore à la bouche et commencer ainsi un acte d’amour qui dure sans interruption pendant toute l’éternité ! Je vous aime, et, parce que je vous aime, j’ai une douleur souveraine de vous avoir offensé. Malheureux que je suis ! c’est pour ne pas perdre une satisfaction d’un moment que je vous ai perdu tant de fois, ô Bien infini ! Cette pensée me tourmente plus que tout autre mal ; mais ce qui me console, c’est que vous êtes la bonté infinie ; vous ne sauriez mépriser un cœur qui vous aime. Oh ! que ne m’est-il donné de mourir pour vous, puisque vous êtes mort pour moi ! Divin Rédempteur, c’est de vous que j’attends dans l’autre vie mon salut éternel, et dans celle-ci la sainte persévérance dans votre amour. Je veux vous la demander sans cesse ; mais, pour y parvenir, accordez-moi, par les mérites de votre mort, la grâce de persévérer dans la prière. Je vous la demande aussi à vous cette grâce, ô Marie, et je l’espère de votre intercession.

Chapitre 4
Combien nous sommes obligés
d’aimer Jésus-Christ

Jésus-Christ, comme Dieu, mérite déjà tout notre amour ; mais par l’amour qu’il nous a témoigné, il a semblé vouloir, en nous comblant de bienfaits, nous mettre dans la nécessité de l’aimer, du moins par un sentiment de gratitude. Saint Bernard dit qu’il nous a beaucoup aimés, afin que nous l’aimions beaucoup, et Moïse avait dit avant saint Bernard : Qu’est-ce que le Seigneur demande de toi, ô Israël, si ce n’est que tu le craignes et que tu l’aimes ? Voilà pourquoi le premier précepte qui nous a été donné a été le précepte de l’amour.

Saint Paul déclare que l’amour est la plénitude de la loi. En considérant un Dieu crucifié qui meurt pour notre amour, peut-on ne pas l’aimer ? Et que nous disent ces épines, ces clous, cette croix, ces plaies et ce sang, sinon que nous devons aimer Celui qui nous a aimés jusqu’à ce point ? N’est-ce pas trop peu d’un cœur pour aimer un Dieu aussi aimant ? Ah ! pour compenser un tel amour, il faudrait qu’un autre Dieu mourût pour l’amour de Jésus-Christ. Pourquoi donc, s’écriait saint François de Sales, pourquoi ne pas nous jeter sur Jésus crucifié, pour mourir sur la croix où il a voulu mourir pour l’amour de nous ? L’Apôtre dit qu’il est mort pour nous, afin que nous ne vivions plus pour nous-mêmes mais pour Celui qui est mort pour nous.

On lit dans l’Ecclésiastique : N’oubliez pas Celui qui s’est fait votre caution, car il a donné sa vie pour satisfaire à la peine due à vos péchés. Jésus-Christ aime qu’on se rappelle souvent sa Passion, et voit avec une grande douleur qu’on n’y pense pas. Celui qui serait maltraité, battu, mis en prison pour son ami, ne s’affligerait-il pas si cet ami, loin de lui en témoigner de la reconnaissance, ne voulait pas même en entendre parler ? Quelle satisfaction n’éprouverait-il pas, au contraire, s’il savait que son ami en parle toujours avec attendrissement et lui adresse mille actions de grâces ? De même, Jésus-Christ prend plaisir à voir que nous nous rappelons avec gratitude et amour tout ce qu’il a souffert dans sa Passion. Jésus fut, avant sa venue sur la terre, le Désiré des Patriarches, des Prophètes et des nations ; maintenant qu’il est venu, et que nous savons qu’après avoir enduré tant de travaux et tant de souffrances, il a consenti à mourir crucifié par amour pour nous, ne doit-il pas à plus forte raison, être l’objet de tous nos désirs et de tout notre amour ?

C’est pour cela que Jésus a institué, la veille de sa mort, le sacrement de l’Eucharistie, et nous a recommandé de nous rappeler, en communiant, sa mort et sa Passion. C’est aussi pour cela que l’Église, dans ses prières et dans ses chants, nous rappelle si souvent ce précieux souvenir. Concluons de là combien le Sauveur aime ceux qui méditent souvent sa Passion, puisqu’il a voulu rester sur les autels pour que nous puissions toujours penser à ce qu’il a souffert pour nous et augmenter toujours notre amour pour lui. Saint François de Sales appelait le Calvaire le Mont des amants. Il n’est pas possible de penser au Calvaire sans aimer Jésus-Christ, qui voulut y mourir pour notre amour.

Grand Dieu ! pourquoi les hommes n’aiment-ils pas Celui qui a fait de si grands sacrifices pour être aimé d’eux ! Avant l’Incarnation du Verbe, l’homme pouvait douter que Dieu l’aimât véritablement ; mais pourrait-il encore en douter, maintenant que le Fils de Dieu est venu, et qu’il est mort par amour pour les hommes ? Contemplez la croix, dit saint Thomas de Villeneuve, pensez aux cruelles douleurs et à la mort du Sauveur, et alors vous ne pourrez douter de son amour extrême. Saint Bernard dit que la croix et les plaies du Rédemp­teur publient hautement l’amour que Jésus a pour nous.

Mais pour mieux connaître les moyens que le Sauveur a su trouver pour se faire aimer de nous, considérons en détail le grand mystère de la Rédemption. Puisqu’il voulait mourir pour notre salut, il suffisait qu’il fût enveloppé dans le massacre des Innocents ; mais non, il voulut, avant de mourir, passer trente-trois ans dans les travaux et dans les peines. Pour nous engager à l’aimer, il se montra d’abord pauvre, petit enfant, né dans une étable ; ensuite, il fut occupé à aider et à servir un artisan ; enfin, comme un coupable, il se laissa conduire au supplice de la croix. Mais, avant de mourir sur cette croix, il voulut encore supporter la plus rude agonie, répandre une abondante sueur de sang, être déchiré de coups dans le prétoire de Pilate, être traité en roi de théâtre, un roseau à la main, un haillon de pourpre sur les épaules, et une couronne d’épines sur la tête ; il voulut être conduit ignominieusement à la mort, porter sur ses épaules l’instrument de son supplice, et enfin se laisser crucifier sur le Calvaire. Que vous en semble ? Mérite-t-il, ou non, d’être aimé, le Dieu qui a voulu tant souffrir et employer tant de moyens pour s’attirer notre amour ? Le père Jean Rigoleu avait donc raison de dire : Je passerais volontiers toute ma vie à pleurer d’amour pour un Dieu que son amour a porté à mourir pour le salut des hommes.

C’est une grande chose, une chose bien précieuse que l’amour, dit saint Bernard. Salomon, parlant de la divine sagesse, ou, ce qui revient au même, de la sainte charité, l’appelle un trésor infini, parce que, dit-il, celui qui a la charité participe à l’amitié de Dieu. La charité est non seulement la reine de toutes les vertus, mais là où elle règne elle attire à sa suite toutes les autres vertus, et les dirige toutes à nous unir davantage avec Dieu. Il est souvent répété dans l’écriture que Dieu aime celui qui l’aime. Voilà la belle union que la charité opère ; elle unit l’âme avec Dieu. L’amour donne la force de tout faire et de tout souffrir pour Dieu. Il n’y a rien de si difficile, dit saint Augustin, dont on ne vienne à bout avec l’amour ; car l’amour fait qu’on ne sent pas la fatigue, ou qu’on l’aime.

Saint Chrysostome nous apprend quels sont les effets de l’amour divin dans un cœur où cet amour règne. Quand l’amour de Dieu s’est emparé d’une âme, il y produit un désir insatiable d’agir pour l’objet aimé, de sorte que, quelque durs que soient les travaux, il lui semble toujours ne rien faire ; elle s’afflige toujours de faire peu pour Dieu ; et, s’il lui était permis de mourir pour lui, elle en serait contente. Elle regarde comme presque inutile tout ce qu’elle fait, car l’amour lui montre ce que Dieu mérite ; elle voit combien ses actions sont imparfaites, et n’y trouve que peine et confusion, reconnaissant que tout ce qu’elle fait est bien peu de chose pour un si grand Maître.

Saint François de Sales montra combien se trompent ceux qui cherchent la sainteté en toute autre chose qu’en l’amour de Dieu. Les uns, dit ce saint, font consister la perfection dans l’austérité, les autres dans l’aumône ; ceux-ci dans la prière, ceux-là dans la fréquentation des Sacrements. Pour moi, je ne connais pas d’autre perfection que d’aimer Dieu de tout mon cœur ; car toutes les autres vertus, sans la charité, ne sont que comme un amas de pierres ; et il ne tient qu’à nous de posséder parfaitement ce saint amour ; il ne s’agit pour cela que de nous donner tout entiers à Dieu.

Le Seigneur dit un jour à sainte Thérèse : Tout ce qui n’est pas fait pour me plaire est vanité. Oh ! que ne puis-je graver profondément dans le cœur de tous les hommes cette grande vérité : une seule chose est nécessaire ! Non, il n’est pas nécessaire d’être riche ici-bas, de se faire estimer des hommes, de mener une vie aisée et commode, d’avoir des dignités, d’être compté parmi les savants ; la seule chose nécessaire, c’est d’aimer Dieu et de faire sa sainte volonté. C’est pour cela qu’il nous a créés et qu’il nous conserve, c’est par ce moyen seule­ment que nous pouvons arriver au paradis. Mettez-moi, dit le Seigneur, comme un sceau sur votre cœur et sur votre bras, afin de diriger vers moi toutes vos pensées, tous vos désirs et toutes vos actions ; mettez-moi sur votre cœur, pour qu’il n’y entre pas d’autre amour que le mien ; et sur votre bras, afin qu’en tout ce que vous faites vous n’ayez pas d’autre but que moi. On court, on vole dans les voies de la perfection, dès qu’on a pour unique but Jésus Crucifié et le désir de lui plaire.

Nous devons donc mettre tous nos soins à acquérir un véritable amour envers Jésus-Christ. Voici les caractères de cet amour. L’amour est timoré, son unique crainte est de déplaire à Dieu. Il est généreux, plein de confiance en Dieu. Il ose tout entreprendre pour la gloire de Dieu. Il est fort, il triomphe des passions, des tentations les plus violentes, des plus grandes désolations. Il est obéissant, il se rend tout de suite à la voix de Dieu. Il est pur, n’aimant que Dieu seul, et l’aimant par la seule raison qu’il mérite d’être aimé. Il est ardent, parce qu’il voudrait enflammer tous les cœurs et les voir consumés du divin amour. Il ravit l’âme et la fait vivre comme hors d’elle-même, au point qu’elle semble ne plus s’occuper des choses de la terre, mais uniquement d’aimer Dieu. Il est unitif, il unit étroitement la volonté de la créature avec celle de son Créateur. Il soupire sans cesse, il remplit l’âme du désir de quitter la terre pour s’unir parfaitement à Dieu dans la patrie bienheureuse, afin de l’y aimer de toutes ses forces.

Personne n’indique mieux les caractères de la vraie charité et les moyens de la pratiquer que saint Paul. Sans la charité, dit-il, l’homme n’est rien, et rien ne lui est utile. Quand on aurait une foi qui transportât les montagnes d’un lieu à un autre, comme fit saint Grégoire le Thaumaturge ; quand on donnerait tout son bien aux pauvres, quand on souffrirait volontairement le martyre : tout cela, si l’on n’a pas la charité, et qu’on ne le fasse pas pour plaire à Dieu, tout cela ne sert de rien. Ensuite, saint Paul nous indique les caractères de la vraie charité, qui naissent de la charité. La charité, dit-il, est patiente ; elle est douce et bienfaisante ; la charité n’est pas envieuse ; elle n’agit pas inconsidérément ; elle ne s’enfle pas d’orgueil ; elle n’est pas ambitieuse ; elle ne cherche pas ses propres intérêts ; elle ne s’irrite pas ; elle ne pense pas le mal ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité ; elle supporte tout ; elle croit tout ; elle espère tout ; elle souffre tout. Nous allons considérer ces saintes pratiques, soit pour connaître si nous avons véritablement l’amour que nous devons à Jésus-Christ, soit pour bien comprendre en quelles vertus nous devons principalement nous exercer pour conserver et augmenter en nous ce saint amour.

Affections et prières

Cœur très aimable et très aimant de mon Jésus, malheur à celui qui ne vous aime pas ! Vous êtes mort, ô mon Dieu, au milieu des plus vives douleurs pour le salut des hommes : comment peut-il se faire qu’ils vivent dans un si grand oubli de vos bienfaits ? Ô excès d’amour de la part d’un Dieu ! ô ingratitude inconcevable de l’homme ! Regardez, ô mortels, l’Agneau sans tache, c’est pour vous qu’il expire sur la croix ; c’est pour satisfaire à la justice de Dieu pour vos péchés, et attirer à lui votre amour. Voyez comme il prie Dieu son Père de vous pardonner. Pourriez-vous le voir, et ne pas l’aimer ? Ah ! mon Sauveur, que le nombre de ceux qui vous aiment est petit ! Malheureux que je suis ! comment ai-je pu passer tant d’années sans penser à vous ? comment ai-je pu vous offenser aussi souvent ? Ce qui m’afflige, ô mon divin Rédempteur, c’est moins la peine que j’ai méritée que l’amour dont vous avez brûlé pour moi, malgré tout mon ingratitude. Douleurs de Jésus, ignominies de Jésus, plaies de Jésus, mort de Jésus, amour de Jésus, venez, pénétrez si avant dans mon cœur, qu’il ne vous oublie jamais, et que vous l’embrasiez d’amour. Je vous aime, ô mon Jésus ; je vous aime, mon amour et mon tout : oui, je vous aime, et je veux vous aimer à jamais. Ah ! ne permettez pas que je vous abandonne et vous perde. Faites que je sois tout à vous ; c’est par les mérites de votre mort et de votre Passion que je vous en conjure. Faites-le, ô mon Dieu ; et vous, ô Marie, ma Reine, faites que j’aime Jésus-Christ ; faites aussi que je vous aime. Vous le pouvez, ô ma Mère ; comblez donc mon espérance.

Chapitre 5
La charité est patiente
Celui qui aime Jésus-Christ aime les souffrances

La terre est un lieu de mérites, voilà pourquoi c’est un lieu de souffrances. Nous ne pourrons être pleinement heureux que dans le ciel, notre patrie, où nous attend en Dieu un repos éternel. Nous passons peu de temps en ce monde, et ce peu de temps est rempli de peines. Il n’y a personne qui ne doive souffrir quelque chose ; tous les hommes, justes et pécheurs, sont obligés de porter la Croix. Celui qui la porte volontiers et patiemment se sauve ; celui qui la porte avec impatience se perd. Les mêmes misères, dit saint Augustin, sont un moyen de salut pour les uns et de damnation pour les autres. C’est dans le crible des souffrances, ajoute-t-il, qu’on discerne la paille d’avec le grain dans l’Église du Seigneur. Celui qui s’humilie dans les tribulations et qui se résigne en Dieu, c’est le grain destiné au paradis ; celui, au contraire, qui s’enorgueillit, s’impatiente et abandonne Dieu, c’est la paille destinée à l’enfer.

Au jour du jugement particulier, qui doit décider de notre sort éternel, pour être estimés dignes de la gloire, il faudra que notre vie se trouve conforme à celle de Jésus-Christ. Le Verbe est descendu sur la terre pour nous apprendre par son exemple à supporter avec patience les croix que Dieu nous envoie. Jésus-Christ a voulu souffrir pour nous encourager dans les souffrances. Combien d’ignominies et de peines n’a-t-il pas endurés pendant sa vie ! Le Prophète l’appelle le dernier des hommes, l’homme des douleurs, parce que toute la vie de Jésus-Christ fut remplie de peines et de douleurs.

De la même manière que Dieu a traité son Fils bien-aimé, il traite encore ceux qu’il aime et qu’il reçoit pour ses enfants. Jésus-Christ dit un jour à sainte Thérèse : Sache, ma fille, que les âmes les plus chères à mon Père sont celles qui sont les plus souffrantes sur la terre. Aussi, lorsque la sainte se voyait dans les souffrances, elle disait qu’elle ne les aurait pas changées pour tous les biens du monde. Après sa mort, elle apparut à une de ses sœurs et lui révéla qu’elle était grandement récompensée dans le ciel, moins pour ses bonnes œuvres, que pour les peines qu’elle avait souffertes avec résignation durant sa vie pour l’amour de Dieu, et que, si elle eût pu désirer de revenir sur la terre, ç’aurait été uniquement afin de souffrir quelque chose de plus pour Dieu.

Celui qui aime Dieu fait, en souffrant, un double gain pour le paradis. Saint Vincent de Paul disait que c’était un grand malheur de ne rien souffrir en ce monde ; et il ajoutait qu’une congrégation ou une personne qui ne souffre pas, et à qui tout le monde applaudit, est sur le point de tomber. Saint François d’Assise, le jour qu’il ne souffrait rien, craignait que Dieu ne l’eût presque oublié. Saint Chrysostome déclare que, lorsque Dieu donne à quelqu’un la grâce de souffrir, il lui fait une plus grande grâce que s’il lui accordait le pouvoir de ressusciter les morts, parce que dans les miracles l’homme est redevable à Dieu ; mais dans les souffrances, c’est Dieu qui se sent redevable à l’homme. Celui qui souffre quelque chose pour Dieu, serait déjà récompensé quand il ne recevrait d’autre don que de pouvoir souffrir pour Dieu, qu’il aime ; il ajoutait qu’il estimait plus la grâce que saint Paul avait reçue d’être enchaîné pour Jésus-Christ que celle d’avoir été ravi au troisième ciel.

Rien n’est plus agréable à Dieu qu’une âme qui souffre en patience et en paix toutes les croix qu’il lui envoie. L’amour rend celui qui aime semblable à la personne aimée. Saint François de Sales disait : Toutes les plaies du Rédempteur sont autant de bouches qui nous enseignent comment il faut souffrir pour lui. C’est la science des saints de souffrir constamment pour Jésus-Christ : par là nous serions bientôt saints. Celui qui aime le Sauveur désire être, comme lui, pauvre, souffrant et méprisé. saint Jean vit tous les saints revêtus de blanc, avec des palmes à la main ; or, la palme est l’emblème du martyre. Cependant, tous les saints n’ont pas été martyrisés. D’où vient donc qu’il portent tous une palme ? C’est, répond saint Grégoire, que tous les saints ont été martyrs, ou par le fer, ou en exerçant la patience ; nous pouvons donc et nous devons tous être martyrs, de l’une ou de l’autre manière.

Tout le mérite d’une âme qui aime Jésus-Christ consiste à aimer et à souffrir. Le Seigneur dit à sainte Thérèse : Crois-Tu, ma fille, que le mérite consiste dans les consolations ? Non, il consiste dans les souffrances et dans l’amour. Considère ma vie, elle est toute remplie de peines. Oui, ma fille, sois persuadée que plus on est aimé de mon Père, plus on en reçoit de croix. Vois ces plaies ; jamais tes douleurs n’iront jusque-là. Croire qu’on peut être aimé de mon Père sans souffrir, c’est une erreur. Sainte Thérèse ajoute pour notre consolation : Dieu n’envoie jamais d’affliction sans la récompenser tout de suite par quelque faveur. Jésus-Christ apparut un jour à la bienheureuse Varani, et lui dit que les plus grandes faveurs qu’il accorde à ceux qu’il aime sont : 1° de ne pas pécher ; 2° de faire le bien, et c’est déjà plus ; 3° de souffrir pour son amour ; c’est le comble des faveurs ; aussi sainte Thérèse disait que lorsqu’on fait quelque bonne œuvre pour Dieu, il la récompense par quelque affliction. Les saints ne recevaient pas d’afflictions sans en rendre grâce à Dieu. Saint Louis, roi de France, dit en parlant de sa captivité en Égypte : Je me réjouis, et je rends plus de grâces à Dieu de la patience qu’il m’accorda dans ma captivité, que si j’eusse conquis toute la terre. Sainte Élisabeth, princesse de Thuringe, chassée avec son fils de ses États, après la mort de son mari, et délaissée de tout le monde, alla dans un couvent de Franciscains, et y fit chanter le Te Deum en action de grâces de ce que Dieu lui accordait la précieuse faveur de souffrir pour son amour.

Saint Joseph de Calasanz disait que le travail et la peine ne sont rien quand il s’agit de gagner le paradis ; ce qui est d’ailleurs conforme aux paroles du grand Apôtre, qui a dit : Les souffrances de la vie présente ne sont nullement propor­tionnées à la gloire qui sera un jour manifestée en nous. Ce serait un grand avantage de souffrir toute notre vie tous les tourments qu’ont endurés les Martyrs, pour jouir un seul instant du paradis ; or, comment n’embrasserions-nous pas de tout notre cœur les croix que Dieu nous envoie, puisque nous savons que ces courtes souffrances nous acquièrent un bonheur éternel ? Saint Agapit, tout enfant qu’il était, loin d’être effrayé de la menace que le tyran lui faisait de lui mettre un casque brûlant sur la tête, lui répondit : Quel plus grand bonheur puis-je avoir que de perdre ma tête ici-bas pour la voir couronner dans le ciel ? Saint François disait aussi : Le bien que j’attends est si grand, qu’il rend douces toutes mes peines. Quiconque veut obtenir le ciel doit combattre et souffrir. On ne peut avoir de récompense sans mérite, ni de mérite sans patience. Le plus grand prix est réservé à la patience la plus parfaite. Lorsqu’il s’agit des biens de la terre, les hommes cherchent toujours à en amasser le plus qu’ils peuvent ; mais pour les biens éternels, il nous suffit, disent-ils, d’avoir un coin en paradis. Quelle folie ! Ce n’est pas ainsi que font les saints ; ils se contentent de tout, et se dépouillent même de leurs richesses temporelles ; mais pour les biens éternels, ils s’efforcent d’en gagner le plus qu’ils peuvent. De quel côté est la prudence ?

Si nous ne parlons que de la vie présente, il est certain que celui qui souffre avec plus de patience, goûte une paix plus inaltérable. Saint Philippe de Néri disait qu’en ce monde il n’y a pas de purgatoire, mais que tout y est ou paradis ou enfer ; les tribulations sont une espèce de paradis pour celui qui les souffre en patience, mais elles sont un enfer pour celui qui n’a pas de patience : oui, parce que, selon sainte Thérèse, celui qui embrasse volontiers les croix que le Seigneur lui envoie, ne les sent pas. Saint François de Sales, se trouvant plongé dans de grandes tribulations, disait : Depuis quelque temps, les oppo­si­tions et les contradictions que j’éprouve me font goûter une paix incomparable ; elles me présagent l’union prochaine et stable de mon âme avec Dieu : c’est véritablement toute l’ambition et tout le désir de mon cœur . On ne peut trouver la paix quand on mène une vie déréglée, mais uniquement quand on est uni à Dieu et à sa volonté. Un missionnaire de l’Inde assistait au supplice d’un criminel ; celui-ci l’appela et lui dit : Sachez, mon Père, que j’ai été autrefois du même ordre que vous ; tant que j’observai ma règle, je vécus très content ; mais dès que j’eus commencé à me relâcher, je trouvai tout pénible, au point que j’abandonnai la vie religieuse pour me livrer aux vices, qui m’ont enfin réduit à ce malheureux état. Je vous le dis, ajouta-il, afin que mon exemple puisse être utile aux autres. Le Père Louis Dupont disait : Regardez ce qu’il y a de doux dans la vie comme amer, et ce qu’il y a d’amer comme doux, et vous serez toujours en paix. Il avait raison, car les douceurs plaisent aux sens ; mais, à cause de la complaisance criminelle dont elles sont souvent accompagnées, elle laissent dans l’âme l’amertume du remords ; tandis que les amertumes, si elles sont prises en patience et pour l’amour de Dieu, remplissent l’âme d’une douceur ineffable.

Soyons persuadés que dans cette vallée de larmes on ne peut avoir une véritable paix de cœur, si l’on ne souffre les tribu­lations et les peines avec patience et pour plaire à Dieu. Tel est l’état où nous a réduits le péché. L’état des saints sur la terre est de souffrir en aimant ; celui des saints dans le ciel est de jouir en aimant. Le Père Paul Segneri conseillait à une de ses péni­tentes, pour l’animer à souffrir, de placer ces mots au pied de son crucifix : C’est ainsi qu’on aime. Ce n’est pas la souf­france, mais la volonté de souffrir pour l’amour de Jésus-Christ, qui est la marque la plus certaine qu’on l’aime. Quoi de plus précieux, disait sainte Thérèse, que d’avoir quelque certitude qu’on plaît à Dieu ? Mais, hélas ! la plupart des hommes s’effrayent au seul nom de croix, d’humiliation et de peine. Toutefois, on trouve encore des âmes qui mettent tout leur bonheur à souffrir pour plaire à Dieu, et qui seraient presque inconsolables si elles vivaient ici-bas sans souffrir. L’aspect de Jésus crucifié, disait une personne pieuse, me rend la croix si aimable, qu’il me semble impossible d’être heureuse sans souffrir ; l’amour de Jésus-Christ me suffit pour tout. Quel est le conseil que le Seigneur donne à celui qui veut le suivre ? C’est de prendre et de porter sa croix. Mais il faut la prendre et la porter non par force et avec répugnance, mais avec humilité, patience et amour.

On ne saurait dire combien on se rend agréable à Dieu, en embrassant avec humilité et patience les croix qu’il envoie. Saint Ignace de Loyola disait : Il n’y a pas de Bois plus propre à produire et à conserver l’amour de Dieu que celui de la croix ; c’est-à-dire que, pour avancer dans l’amour de Dieu, le meilleur moyen c’est de l’aimer au milieu des souffrances. Sainte Gertrude demanda un jour au Seigneur ce qu’elle pouvait lui offrir de plus agréable. Ma fille, lui répondit-il, c’est de sup­porter en patience toutes les tribulations qui vous surviennent. La fidèle servante de Dieu, Victoire Angelini, assurait qu’une journée passée dans les souffrances était préférable à cent ans données à tous les autres exercices spirituels. Le vénérable Père Jean d’Avila déclarait que dire une fois dans d’adversité : Dieu soit béni ! vaut mieux que mille actions de grâces dans la prospérité. Ah ! si les hommes connaissaient tout le prix des souffrances, elles seraient bientôt un objet de rapine, c’est-à-dire qu’ils chercheraient à s’enlever les uns aux autres les occasions de souffrir pour Dieu. Cet amour des souffrances était si grand dans sainte Marie-Madeleine de Pazzi, qu’il lui faisait souhaiter que sa vie fut prolongée plutôt que de mourir et d’aller au ciel, parce que dans le ciel on ne peut souffrir.

Le seul but d’une âme qui aime Dieu est de s’unir tout entière à lui ; mais, pour arriver à cette parfaite union, écoutons ce que dit sainte Catherine de Gênes : Pour arriver à l’union avec Dieu, il fait passer par le creuset de l’adversité ; c’est dans ce creuset que Dieu détruit tout ce qu’il y a de mauvais en nous. Aussi les injures, les mépris, les maladies, les délaissements de nos parents et de nos amis, les confusions, les tentations et autres choses semblables, nous sont très nécessaires pour nous procurer des occasions de combattre, et de parvenir par nos victoires à éteindre en nous tout mouvement désordonné, au point de n’en plus ressentir. Or, nous ne parviendrons jamais à cette union divine qu’à mesure que les adversités nous paraîtront douces en vue du Seigneur.

Concluons de tout cela qu’une âme qui désire se donner tout à Dieu, doit se résoudre, comme l’enseigne saint Jean de la Croix, à chercher en cette vie non à jouir, mais à souffrir en toutes choses, embrassant avec avidité toutes les mortifications volontaires, et plus encore les involontaires, parce qu’elles sont plus agréables à Dieu. Salomon dit qu’un homme patient est plus estimable qu’un homme courageux. Dieu aime celui qui mortifie sa chair par des jeûnes, des cilices et des disciplines, à cause du courage qu’il exerce dans ces mortifications ; mais il aime davantage celui qui souffre avec patience et allégresse les croix que la Providence lui envoie. Saint François de Sales disait que les mortifications qui nous viennent de la part de Dieu ou des hommes par la permission de Dieu, sont toujours plus précieuses que celles qui naissent de notre propre volonté, ces mortifications sont d’autant plus agréables à Dieu et plus avantageuses à nous-mêmes que nous les avons moins choisies. Sainte Thérèse croit aussi qu’on acquiert plus en un seul jour par les afflictions qui nous viennent de Dieu ou des hommes, qu’en dix ans de mortifications de son choix. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi avouait qu’il n’y avait pas au monde de peine si grande qu’elle n’eût soufferte avec allégresse en pensant qu’elle venait de Dieu ; en effet, dans la rude épreuve qu’elle souffrît durant cinq ans, il suffisait de lui rappeler que c’était la volonté de Dieu pour ramener le calme dans son âme agitée. Ah ! pour acquérir un Dieu, un trésor infini, quelque chose qu’il en coûte, disait le Père Durasso, c’est toujours bien peu.

Prions donc le Seigneur de nous rendre dignes de son amour : si nous l’aimons parfaitement, tous les biens de la terre ne nous sembleront plus qu’une fumée, un rien, et nous ferons nos délices des ignominies et des souffrances. Voici ce que dit saint Chrysostome d’une âme qui s’est entièrement livrée à Dieu : Quand on est parvenu au parfait amour de Dieu, on se trouve comme si l’on était seul sur la terre ; on ne fait plus de cas ni de la gloire ni de l’ignominie, on méprise les tentations et les souffrances, on perd le goût et le désir de tout ce qui est humain, et, ne trouvant en aucune chose ni appui ni repos, on se livre incessamment et sans relâche à la recherche de celui qu’on aime, de sorte que, soit qu’on travaille ou qu’on mange, soit qu’on veille ou qu’on dorme, dans toutes ses pensées, ses paroles ou ses actions, on n’a en vue que de trouver son bien-aimé, parce que le cœur repose là où est son trésor. Dans ce chapitre nous venons de parler de la patience en général : nous indiquerons au chapitre XV les cas particuliers où nous devons spécialement exercer cette patience.

Affections et prières

 

Jésus, mon trésor et mon tout, mes péchés passés devraient me rendre indigne de vous aimer. Mais vous, ô mon Dieu, par les mérites de votre Passion, rendez-moi digne de votre pur amour ; faites que je vous aime par-dessus toutes choses, et que je me repente de tout mon cœur de vous avoir autrefois méprisé et chassé de mon âme par le péché ; maintenant, je vous aime plus que moi-même ; je vous aime de tout mon cœur, ô Dieu infini ! Je vous aime, encore une fois je vous aime, et tout mon désir est de vous aimer d’un amour parfait, et toute ma crainte est de me voir privé de votre amour. Ah ! mon divin Rédemp­teur, faites-moi connaître ce que vous êtes, et l’amour que vous m’avez témoigné pour m’obliger à vous aimer : ne permettez pas que je sois ingrat après tant de bienfaits ; je l’ai déjà été trop par le passé, je ne veux plus jamais vous abandonner ; tout ce qui me reste de vie, je veux l’employer à vous aimer et à vous plaire. Jésus mon amour, aidez-moi ; aidez un misérable pécheur qui veut vous aimer et être tout à vous. Ô Marie, mon espérance, votre Fils est toujours disposé à vous écouter, priez-le pour moi, et obtenez-moi la grâce de l’aimer parfaitement.

Chapitre 6
La charité est bénigne
Celui qui aime Jésus-Christ pratique la douceur

L’esprit de douceur est l’esprit propre de Dieu. Ainsi l’âme qui aime Dieu, aime aussi tous ceux qui sont aimés de Dieu, c’est-à-dire tous les hommes ; elle cherche tous les moyens de les secourir, de les consoler et de les satisfaire tout autant qu’il se peut. Saint François de Sales, le maître et le modèle de la douceur, s’exprime ainsi : L’humble douceur est la vertu des vertus que Dieu nous recommande tant ; c’est pourquoi, il faut la pratiquer en tout temps et en tout lieu. Ce que vous penserez pouvoir faire avec amour, faites-le, et laissez ce qui ne se peut faire sans contestation, bien entendu ce qui peut s’omettre sans péché ; car, lorsqu’on a charge d’empêcher l’offense de Dieu, on doit s’y opposer toutes les fois et aussitôt qu’on le peut.

On doit spécialement user de douceur envers les pauvres et les malades : envers les pauvres, parce qu’ils sont ordinai­re­ment maltraités à cause de leur pauvreté ; envers les malades, parce qu’ils sont affligés de leur maladie, et souvent peu secourus. Mais on doit surtout être doux envers ses ennemis. Il fait vaincre la haine par l’amour, et la persécution par la douceur. C’est ainsi qu’ont fait les saints, et par ce moyen ils se sont concilié l’affection de leurs ennemis les plus acharnés.

Rien n’édifie tant le prochain, dit saint François de Sales, que la douceur dans la conduite. Aussi, tout en lui annonçait cette belle vertu : son air, ses paroles, ses manières, tout était douceur. Saint Vincent de Paul disait n’avoir jamais connu d’homme plus doux, et ajoutait qu’il lui semblait trouver en lui l’image vivante de la bonté du Sauveur. Refusait-il quelque faveur qu’il n’aurait pu accorder sans blesser sa conscience, il accompagnait son refus par tant de charité, qu’on se retirait content, quoiqu’on n’eût rien obtenu. Il était également doux envers tout le monde, supérieurs, égaux, au milieu de sa famille comme parmi les étrangers ; bien différent de ceux qui, comme il le dit lui-même, semblent être des anges chez les autres, et des démons chez eux. Il ne se plaignait jamais du manquement de ses domestiques ; à peine leur donnait-il quelquefois des avis, mais toujours avec douceur. Cette conduite est très louable dans un supérieur, qui doit user de toute la douceur possible envers ses subalternes, et qui, lorsqu’il leur impose quelque tâche, doit plutôt prier que commander. Saint Vincent de Paul dit que les supérieurs n’ont pas de meilleur moyen pour se faire obéir que la douceur. Sainte Jeanne de Chantal disait : J’ai essayé de plusieurs manières de gouverner ; mais je n’en ai pas trouvé de meilleure que celle qui est basée sur la patience et la douceur.

Le supérieur doit user de douceur même dans les correc­tions. (Cela vaut aussi en éducation. Note de l’éditeur.) Autre chose est de reprendre avec force, autre chose est de reprendre avec aigreur ; on doit quelquefois reprendre avec force lorsque le manquement est grave ou qu’il est réitéré après que le délinquant a été averti ; mais, qu’on se garde bien de jamais reprendre avec aigreur et d’un ton colérique ; on ferait par là plus de mal que de bien. Ce serait le zèle amer que saint Jacques réprouve. Il y en a qui se vantent de tenir par ce moyen toute leur famille en respect, et disent que c’est ainsi qu’on doit gouverner ; mais saint Jacques dit tout le contraire. Si parfois l’on est obligé de parler avec quelque sévérité pour faire sentir la gravité de la faute, on doit, vers la fin, ajouter quelques mots de bonté. Il faut guérir les blessures, comme le fit le Samaritain, avec le vin et l’huile. Mais comme l’huile s’élève au-dessus de toutes les autres liqueurs, ainsi, dit saint François de Sales, il faut que dans toutes nos actions la bonté domine. Lorsque la personne qu’on doit reprendre est troublée et agitée, il faut différer la correction jusqu’à ce qu’elle soit apaisée ; autrement on ne ferait que l’irriter davantage. Saint Jean, chanoine régu­lier, disait : Lorsque la maison brûle, il ne faut pas ajouter du bois au feu.

C’est Jésus-Christ lui-même qui nous enseigne cet esprit de douceur. Vous ne savez quel esprit vous anime, dit-il à ses disciples Jean et Jacques, lorsqu’ils voulaient qu’il châtiât les Samaritains, qui les avaient chassés de leur pays. Ah ! leur dit le Seigneur, quel esprit est celui-là ? Ce n’est pas le mien ; le mien est un esprit de douceur et de bonté. Je ne suis pas venu pour perdre, mais pour sauver les âmes, et vous voulez m’engager à les perdre ! Taisez-vous, et ne me faites plus de pareilles demandes, elles sont opposées à mon esprit. En effet, avec quelle douceur ne traita-t-il pas la femme adultère ? Il se contenta de l’avertir de ne plus pécher, et la renvoya en paix. C’est la même douceur qui convertit la Samaritaine. D’abord il lui demanda à boire ; ensuite il lui dit : Oh ! si vous saviez quel est celui qui vous demande à boire ! Plus tard il lui révéla qu’il était le Messie attendu. Combien n’employa-t-il pas de douceur pour engager l’impie Judas à se convertir ! Il le reçut à sa table, lui lava les pieds, et au moment même qu’il fut trahi par lui : Judas, lui dit-il, c’est donc par un baiser que vous me trahissez ? Pierre le renie, et comment Jésus le gagne-t-il ? Il ne le reprend pas ; mais, en sortant de la maison du Pontife, il le regarde avec tendresse, et le convertit ; et il le convertit au point que Pierre pleura toute sa vie l’injure qu’il avait faite à son Maître.

On gagne bien plus avec la douceur qu’avec la sévérité. Saint François de Sales disait que rien n’est d’abord plus amer que la noix, mais qu’en la confisant, elle devient douce et agréable ; de même les corrections, toutes désagréables qu’elles sont, deviennent aimables et utiles lorsqu’on les fait avec douceur et bonté. Saint Vincent de Paul nous apprend qu’il n’a fait en sa vie que trois réprimandes sévères, et qu’il s’en est repenti, parce que, quoiqu’il crût avoir de bonnes raisons pour le faire, elles avaient néanmoins eu une mauvaise suite ; au lieu que celles qu’il avait faites avec douceur avaient toujours eu un bon effet.

Saint François de Sales, par sa douceur, obtenait des autres tout ce qu’il voulait ; et il lui arrivait même de convertir à Dieu les pécheurs les plus obstinés. C’était aussi l’esprit de saint Vincent de Paul, qui donnait entre autres cette leçon à ses missionnaires : L’affabilité, l’amour et l’humilité ont une force merveilleuse pour gagner le cœur des hommes et les porter à embrasser les choses les plus répugnantes à la nature. Une fois, ce saint remit à un père de sa compagnie un grand pécheur pour le convertir ; mais ce fut en vain. Le prêtre pria le saint de s’y employer ; il l’entreprit et le convertit. Ce pécheur déclara ensuite que c’était la douceur et la charité du saint qui avaient gagné son cœur. Aussi, saint Vincent ne pouvait souffrir que ses missionnaires traitassent les pénitents avec dureté, et il leur assurait que le démon se sert de la rigueur de quelques ecclé­siastiques pour perdre les âmes.

Il faut être doux et affable avec tout le monde en tout temps et en tout lieu. Saint Bernard observe qu’il y en a qui sont affables et doux tant que tout va à leur gré ; mais, leur survient-il une contradiction, une adversité, ils s’enflamment et jettent de la fumée comme le mont Vésuve ; ils ressemblent aux charbons ardents cachés sous la cendre. Celui qui est jaloux de sa satisfaction, doit être en cette vie comme un lis entre les épines : quoique les épines piquent le lis, il ne cesse pas d’être lis, c’est-à-dire également doux et agréable. Celui qui aime Dieu conserve la paix dans son cœur, et la manifeste sur son visage, toujours égal dans l’adversité comme dans la prospérité.

C’est dans l’adversité que l’on connaît les hommes. Saint François de Sales aimait tendrement l’ordre de la Visitation, qui lui avait coûté tant de travaux. Il le vit plusieurs fois en danger, à cause des persécutions qu’il eut à soutenir. Mais le saint conserva toujours une paix inaltérable et une entière résignation à la volonté de Dieu, s’il voulait la destruction de cet ordre. Ce fut alors qu’il dit ces paroles : Depuis quelque temps les oppositions et les contradictions que j’éprouve me font goûter une paix profonde ; elles me présagent l’union prochaine de mon âme avec Dieu : c’est l’unique désir de mon cœur.

Lorsqu’il nous faut répondre à quelqu’un qui nous insulte, ayons soin de le faire toujours avec douceur ; une réponse douce suffit pour éteindre le feu de la colère. Si nous nous sentons émus, il vaut mieux nous taire, parce que nous parlerions mal à propos ; mais, devenus plus calmes, nous verrions que toutes nos paroles auraient été coupables.

Lorsque nous avons commis une faute, il faut aussi agir avec douceur envers nous-mêmes. S’irriter contre soi-même après une faute, ce n’est pas humilité, mais orgueil ; ce n’est pas croire que nous sommes de faibles, de misérables créatures. Sainte Thérèse disait que toute humilité qui porte le trouble dans l’âme, ne vient pas de Dieu, mais du démon. S’irriter contre soi-même après qu’on a péché, c’est une faute plus grande que la première, une faute qui en entraîne beaucoup d’autres, telles que l’omission de nos dévotions ordinaires, de la prière, de la communion : ou, si nous les faisons, nous les ferons mal. Saint Louis de Gonzague disait que le démon pêche dans l’eau trouble. Lorsque l’âme est dans le trouble, elle ne connaît que faiblement Dieu et ce qu’elle doit faire. Quand nous avons commis une faute, adressons-nous à Dieu avec humilité et confiance, et demandons-lui pardon, en lui disant avec sainte Catherine de Gênes : Seigneur, ce sont là les fruits de mon jardin ; je vous aime de tout mon cœur, je vous ai offensé, je m’en repens, je ne veux plus le faire ; aidez-moi, donnez-moi votre sainte grâce.

Affections et prières

Heureux liens qui unissez les âmes à Dieu, unissez-moi aussi à lui, et serrez-moi si étroitement, que je ne puisse jamais me séparer de son amour. Mon Jésus, je vous aime, vous être le trésor, la vie de mon âme ; je me livre et me donne tout entier à vous ; je veux vous aimer à jamais. Pour expier mes péchés, vous voulûtes être enchaîné comme un criminel, être conduit à la mort, cloué sur une croix, et y rester jusqu’à la mort. Ah ! par les mérites de tant de souffrances, ne permettez pas, je vous prie, que je me sépare jamais de vous. Je me repens plus que de tout autre mal de vous avoir offensé, et je me propose, moyennant votre sainte grâce, de mourir plutôt que de retomber en aucun péché, soit grave, soit léger. Mon doux Jésus, je m’abandonne à vous ; je vous aime de tout mon cœur, je vous aime plus que moi-même. Je vous ai offensé, je voudrais en mourir de douleur. Faites que je sois tout à vous. Je renonce à toutes les consolations sensibles ; c’est vous seul que je désire, et rien de plus. Donnez-moi votre amour, et faites de moi ce qu’il vous plaira. Ô Marie, mon espérance, unissez-moi à Jésus ; et faites que je vive et meure dans une étroite union avec lui, pour aller le posséder un jour dans la gloire, où je ne craindrai plus d’être séparé de son amour.

Chapitre 7
La charité n’est pas jalouse
L’âme qui aime Jésus-Christ ne porte pas envie aux grands de la terre, mais seulement à ceux qui aiment Jésus-Christ

Saint Grégoire, appliquant ce troisième caractère de la charité, dit qu’elle n’est pas envieuse, parce qu’elle ne saurait envier aux mondains leurs grandeurs terrestres, qu’elle méprise, loin de les désirer. Ainsi, il faut distinguer deux sortes d’envie : l’une bonne, l’autre mauvaise. La mauvaise s’afflige à cause des biens terrestres que les autres possèdent. La sainte envie n’a pas pour objet les grandeurs du monde, elle les regarde avec compassion. Tout ce qu’elle cherche, c’est Dieu ; et tout son désir est de l’aimer de tout son cœur. C’est pourquoi, elle porte envie à ceux qui l’aiment plus qu’elle ; car elle voudrait sur­passer en amour les Séraphins mêmes.

Telle est la fin unique que le vrai fidèle se propose ici-bas, fin qui inspire à Dieu tant d’amour, qu’il dit : Un de vos yeux a blessé mon cœur ; car par cet œil est figurée la fin que l’âme se propose dans toutes ses pensées et ses actions, savoir, de plaire à Dieu. Les gens du monde ont dans leurs actions plusieurs fins déréglées, comme de plaire aux hommes, de se faire honneur, d’amasser des richesses, ou du moins de se contenter eux-mêmes. Mais le chrétien n’a qu’un seul œil pour regarder Dieu en tout et pour lui plaire ; il s’écrie avec David : Qu’ai-je à désirer ici-bas et dans le ciel, ô mon Dieu, sinon vous seul ? Oui, vous êtes mon trésor ; vous seul êtes le Maître de mon cœur. Je n’envie pas aux riches leurs trésors, disait saint Paulin, ni aux rois leur couronne ; vous seul, ô mon Jésus, êtes ma gloire et mon bonheur.

Il ne suffit pas de faire de bonnes œuvres ; mais il faut les bien faire. Pour que nos œuvres soient bonnes et parfaites, il faut qu’elles soient faites en vue de plaire à Dieu. Telle est la louange qu’on donne à Jésus-Christ : Il a bien fait toutes choses. Bien des actions, d’ailleurs louables en elles-mêmes, ne seront pas méritoires, ou le seront peu auprès de Dieu, parce qu’elles n’auront pas été dirigées purement à la gloire du Seigneur. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi disait que Dieu récompense nos bonnes œuvres à proportion de notre pureté d’intention, c’est-à-dire que, plus notre intention sera pure, plus nos action seront récompensées de Dieu. Mais, hélas ! qu’il est difficile de trouver une action faite uniquement en vue de Dieu ! Un religieux fort âgé, mort dernièrement en odeur de sainteté, après avoir beaucoup travaillé pour Dieu, jetant un jour un coup d’œil sur toute sa vie, me dit avec effroi : Ah ! mon Père, de toutes les actions de ma vie, je n’en trouve aucune qui soit faite pour Dieu seul. C’est ainsi que ce maudit amour-propre nous fait perdre tout ou presque tout le fruit de nos bonnes œuvres, et il arrive souvent, même dans les emplois les plus saints, comme ceux de prédicateur, de confesseur, de mission­naire, qu’on travaille beaucoup et que l’on gagne peu, parce que, loin de travailler uniquement pour Dieu, on a en vue la gloire mondaine, l’intérêt, ou du moins sa propre inclination.

Le Seigneur a dit : Gardez-vous de faire le bien pour plaire aux hommes, autrement vous ne recevrez aucune récompense du Père céleste. Celui qui travaille pour satisfaire son goût a déjà reçu sa récompense mais une récompense, qui se réduit à un peu de fumée, à une satisfaction éphémère, qui ne fait que passer et ne laisse à l’âme aucun profit. Le prophète Aggée déclare que celui qui travaille pour une autre fin que pour plaire à Dieu, met les fruits de son travail dans un sac sans fond, où il ne trouve plus rien au moment qu’il l’ouvre. De là, il résulte que si, après s’être donné beaucoup de peines, il n’arrive pas au but qu’il se proposait, il est dans le trouble et l’agitation. C’est une preuve qu’il n’avait pas en vue la seule gloire de Dieu ; celui qui travaille pour la gloire de Dieu ne se trouble pas, quand même la chose ne réussit pas ; car, ayant agi avec la droite intention de plaire à Dieu, il a déjà obtenu la fin qu’il désirait.

Voici les signes auxquels on peut connaître si une personne occupée d’affaires spirituelles agit seulement pour Dieu : 1° si elle ne se trouble pas quand elle ne réussit pas, parce que Dieu ne le voulant pas, elle ne le veut pas non plus ; 2° si elle se réjouit autant du bien que les autres ont fait que si elle l’eût fait elle-même ; 3° si elle ne désire pas plus un emploi qu’un autre, mais si elle s’attache uniquement à celui que ses supérieurs lui assignent ; 4° si, après ses actions, elle ne cherche ni louanges ni remerciements, et par conséquent si, étant critiquée, elle ne s’en afflige pas, mais se contente uniquement d’avoir contenté Dieu ; si, étant applaudie et louée, elle ne s’enorgueillit pas, mais donne à la vaine gloire la réponse que lui faisait le vénérable Jean d’Avila : Va-t’en, tu arrives trop tard : j’ai déjà consacré toute cette œuvre à Dieu.

C’est ainsi qu’on entre dans la voie du Seigneur, en se réjouissant de ce qui plaît à Dieu, comme le serviteur fidèle. Si nous avons le bonheur de faire quelque chose qui plaise à Dieu, dit saint Chrysostome, que demandons-nous de plus ? N’est-ce pas la plus grande récompense, le plus grand bonheur que puisse avoir la créature, que de plaire à son Créateur ?

C’est ce que Jésus-Christ exige d’une âme qui l’aime. Il veut qu’elle le mette comme un sceau sur son cœur et sur son bras, afin qu’elle n’entreprenne et ne fasse jamais rien que pour plaire à Dieu, et que Dieu soit toujours l’unique objet de ses pensées et de ses actions. Celui qui veut devenir saint, dit sainte Thérèse, doit n’avoir pas d’autre désir que celui de plaire à Dieu. Toute action faite pour Dieu, quelque petite qu’elle soit d’ailleurs, est au-dessus de tout prix. En voici la raison : c’est que tout ce qu’on fait en vue de plaire à Dieu, est un acte de charité, qui nous unit par conséquent à Dieu et nous procure les biens éternels.

On dit que la pureté d’intention est l’alchimiste céleste qui a la vertu de changer le fer en or, c’est-à-dire, que les actions les plus ordinaires, comme le travail, le repos, les récréations, se transforment en or du saint amour quand elles sont faites pour Dieu. C’est pourquoi sainte Marie-Madeleine de Pazzi pensait que ceux qui agissent toujours avec cette pure intention, vont tout droit au ciel, sans passer par les flammes du Purgatoire. On rapporte dans le Trésor spirituel, tome 4, chapitre 4, qu’un saint solitaire, au commencement de chaque action, avait coutume de lever les yeux au ciel. On lui en demanda la raison. Je tâche, répondit-il, d’assurer mon coup ; c’est-à-dire, qu’à l’exemple du chasseur, il commençait avant tout par viser son but, qui était Dieu, afin de ne pas manquer son coup, qui était de plaire à Dieu. Et voilà ce que nous devons faire aussi au commencement de chaque action, et même durant l’action, en renouvelant de temps en temps notre intention de plaire à Dieu.

Ceux qui dans toutes leurs actions n’ont égard qu’à la volonté du Seigneur, goûtent cette sainte liberté d’esprit que possèdent les enfants de Dieu, liberté qui leur fait embrasser tout ce qui plaît à Jésus-Christ, malgré toutes les répugnances de l’amour-propre ou du respect humain. L’amour de Dieu met dans une indifférence totale : le doux et l’amer, tout est égal. On renonce à ses inclinations, pour ne vouloir que ce qui plaît à Dieu ; on s’occupe aussi tranquillement des choses petites et désagréables que de celles qui sont grandes ou agréables ; il suffit que celles auxquelles on se livre plaisent à Dieu.

Il est beaucoup de personnes qui veulent servir Dieu, mais dans un tel emploi, en tel lieu, avec de tels compagnons, et dans des circonstances qui leur plaisent : autrement, ou elles ne le servent pas, ou elles le servent de mauvaise grâce. Elles n’ont pas la liberté d’esprit, mais elles sont esclaves de l’amour-propre ; c’est pourquoi, elles ont peu de mérite, même dans le bien qu’elles font, et sont toujours dans l’inquiétude, car le joug de Jésus-Christ leur devient pesant. Ceux, au contraire, qui aiment véritablement le Seigneur, ne trouvent de plaisir qu’à faire ce qui lui plaît et à le faire dans le temps, dans le lieu et de la manière qu’il lui plaît ; ils sont toujours aussi contents dans s’obscurité et l’abaissement que dans les honneurs et les dignités. Voilà ce que fait le véritable amant de Jésus-Christ ; c’est aussi ce que nous devons faire en combattant les instiga­tions de l’amour-propre, qui nous fait désirer des emplois honorables et analogues à nos inclinations.

Cette indifférence, on doit la porter jusqu’aux exercices spirituels, de sorte qu’on soit prêt à les abandonner aussitôt que le Seigneur nous appelle ailleurs. Le Père Alvarez, se trouvant un jour très occupé, craignit de perdre le Seigneur de vue, s’il ne se retirait pour prier ; mais le Seigneur l’en reprit, et lui dit : Quoique je ne vous tienne pas avec moi, il doit vous suffire que je me serve de vous. C’est un excellent avis pour ceux qui s’inquiètent, lorsque l’obéissance ou la charité les oblige à omettre leurs pratiques de piété ; cette inquiétude ne vient assurément pas de Dieu, mais du démon ou de l’amour-propre. Qu’on plaise à Dieu et qu’on meure : telle est la première maxime des saints.

Affections et prières

Mon Dieu, je vous offre tout mon cœur ; mais, hélas ! quel est ce cœur que je vous offre ! Il avait été créé pour vous aimer, ce cœur, et il s’est souvent révolté contre vous ; maintenant, voyez-le, mon Jésus ; il se repent de vous avoir offensé, et il vous aime. Oui, ô mon divin Rédempteur, je me repens de vous avoir méprisé, et je suis résolu à vous obéir et à vous aimer à tout prix. Ah ! pour l’amour qui vous a porté à mourir sur la croix pour moi, inspirez-moi tant d’amour pour vous, que je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces ; que je vous aime plus que moi-même, ô le véritable et unique Ami de mon âme ! Et qui voudrais-je aimer à votre place ? Qui a jamais, comme vous, donné sa vie pour mon salut ? Et je ne vous aimerais pas ! Ah ! je ne puis penser à mon ingratitude passée sans verser un torrent de larmes. Malheu­reux que je suis ! je m’étais perdu ; mais j’espère que par votre grâce vous m’avez rendu la vie ; je ne veux l’employer qu’à vous aimer, ô mon souverain Bien ! Faites donc que je vous aime, Amour infini : je ne demande rien de plus. Ô Marie, ma Mère, recevez-moi au nombre de vos serviteurs, et faites-moi recevoir au nombre de ceux de Jésus votre Fils.

Chapitre 8
La charité n’agit pas de travers
Celui qui aime Jésus-Christ fuit la tiédeur et recherche la perfection

Les moyens de parvenir à la perfection sont : 1° le désir ; 2° la résolution ; 3° l’oraison mentale ; 4° la communion ; 5° la prière.

À mesure que la charité s’avance et se perfectionne dans l’amour de Dieu, elle rejette tout ce qui n’est pas conforme à la sainteté. Saint Paul assure que la charité réunit dans une âme les vertus les plus parfaites. Puis donc que la charité aime la perfection, elle abhorre conséquemment la tiédeur à laquelle on se livre quelquefois, au risque de perdre la charité, la grâce, l’âme et tout.

Il y a deux sortes de tiédeur, l’une qu’on peut éviter, et l’autre qui est inévitable. La tiédeur inévitable est celle dont les saints eux-mêmes ne sont pas exempts ; elle comprend tous les défauts qui se commettent par pure fragilité naturelle et sans une entière volonté, comme les distractions dans l’oraison, de petits troubles intérieurs, les paroles inutiles, les vaines curio­sités, les désirs de paraître, quelque sensualité dans le boire et le manger, quelques mouvements de concupiscence qu’on ne réprime pas assez vite, et autres semblables. Tous ces défauts, nous devons les éviter autant que nous pouvons ; mais, vu la faiblesse de notre nature corrompue par le péché, il nous est impossible de les éviter tous. Aussi nous devons, à la vérité, les détester après les avoir commis, puisqu’ils ne laissent pas de déplaire à Dieu ; mais, selon ce qui a été dit dans le chapitre précédent, nous devons bien nous garder de nous en troubler. Ces pensées inquiètes, dit saint François de Sales, ne viennent, pas de Dieu, qui est le Prince de la paix ; mais elles viennent toujours ou du démon, ou de l’amour-propre, ou de l’estime que nous avons de nous-mêmes.

Il faut donc rejeter tout de suite ces pensées inquiétantes, et n’en pas faire cas. Ces défauts, dit le même saint, étant indélibérés et involontaires, s’effacent aussi sans une volonté expresse ; il suffit pour cela d’un acte de douleur ou d’amour. La vénérable sœur Marie-Bénédictine vit un jour un globe de feu qui, en un clin d’œil, réduisit en cendres un grand nombre de petites pailles qu’on y avait jetées. Dieu voulut lui faire entendre par là qu’un acte fervent d’amour divin consume toutes les fautes de pure fragilité. Le saint concile de Trente en dit autant de l’Eucharistie, qu’il appelle l’antidote contre les fautes journalières. Ces défauts sont des fautes, il est vrai ; mais ils ne sont pas un obstacle à la perfection, ou, pour mieux dire, ils n’empêchent pas d’avancer vers la perfection, qui, comme on sait, n’existe réellement que dans le ciel.

La tiédeur qu’on peut éviter est un obstacle à la perfection. On est dans cet état lorsqu’on commet des péchés véniels délibérés, péchés que l’on voit clairement, et qu’on pourrait bien éviter avec le secours de la grâce. Dieu vous préserve, disait sainte Thérèse, d’un péché délibéré, quelque petit qu’il soit ! Tels sont, par exemple, les mensonges volontaires, les petites médisances, les imprécations, les paroles piquantes, les railleries contraires à la charité, le désir d’être estimé, les affections déréglées pour les personnes de sexe différent, etc. Ce sont là, continue la même sainte, autant de petits vers, d’autant plus à craindre, qu’ils ne se laissent apercevoir que quand ils ont rongé les vertus. Le démon se sert de petites fautes pour préparer l’âme aux plus grands excès.

Gardons-nous donc bien de commettre volontairement de telles fautes, puisqu’elles nous privent de l’abondance des lumières, des grâces et des consolations intérieures. Alors on commence par trouver des peines et des ennuis dans ses exercices de piété, ensuite on omet l’oraison, les communions, les visites au saint Sacrement, les neuvaines ; enfin, on aban­donne tout, comme cela est malheureusement arrivé à tant d’âmes infortunées.

Entendez la menace que Dieu fait aux âmes tièdes : vous n’êtes ni froids ni chauds ; mieux vaudrait que vous fussiez froids ; mais parce que vous êtes tièdes, Je commencerai a vous rejeter de Ma bouche. Oui, il vaut mieux en quelque sorte être froid, privé de la grâce de Dieu, que d’être tiède ; parce que celui qui est froid peut être réveillé par le remords de sa conscience et changer de vie ; mais celui qui est tiède, s’endort dans ses défauts, sans même penser à s’en corriger, et ne donne presque aucun espoir de guérison. Le vénérable Père Louis Dupont disait qu’il avait commis une infinité de fautes durant sa vie, mais qu’il n’avait jamais fait de paix avec elles. Il y en a qui font la paix avec leurs défauts ; et c’est leur perte, surtout quand il s’agit de l’amour propre, de la vaine gloire, de l’avarice, d’une antipathie, d’une affection déréglée envers une personne d’un sexe différent. Alors, comme disait saint François d’Assise, il est fort à craindre que les cheveux ne deviennent pour de telles âmes des chaînes qui les entraînent à l’enfer. Du moins elles n’arriveront jamais à la perfection, et elles perdront cette belle couronne que Dieu leur destinait, si elles eussent été fidèles à la grâce. Dès que l’oiseau n’a rien qui le retienne, il prend son essor ; de même l’âme, lorsqu’elle n’a aucun attachement terrestre, s’envole aussitôt dans le sein de Dieu, mais quand elle est liée, un seul fil suffit pour l’empêcher de s’élever vers Dieu. Combien de personnes spirituelles ne se sanctifient pas, parce qu’elles ne s’efforcent pas de se dégager de certains petits atta­chements !

Tout le mal vient de ce qu’on a peu d’amour pour Jésus-Christ. Les uns sont pleins d’estime pour eux-mêmes, les autres s’emportent à tout événement contraire à leur volonté ; ceux-ci se ménagent beaucoup pour des raisons de santé ; ceux-là, tout distraits au dedans, écoutent souvent avec avidité des discours étrangers au service de Dieu, et seulement propres à satisfaire leurs caprices ; d’autres enfin, choqués du moindre déplaisir qu’ils croient recevoir, se troublent, manquent à la prière, ou du moins au recueillement nécessaire à la prière ; ils passent en un instant de la joie à la tristesse ou à l’emportement, selon que leurs affaires réussissent ou non à leurs désirs. Or, toutes ces personnes n’aiment pas ou aiment très peu Jésus-Christ, et discréditent la véritable dévotion.

Mais que doit-on faire pour sortir de ce malheureux état de tiédeur ? Quoi qu’il soit très difficile qu’une âme tiède reprenne son ancienne ferveur, le Seigneur dit que ce qui est impossible à l’homme ne l’est pas à Dieu ; il faut donc prier, prendre les moyens nécessaires et l’on y réussira. Les moyens pour sortir de la tiédeur et avancer dans la perfection sont : 1° le désir de cette perfection ; 2° la résolution de faire tous ses efforts pour y arriver ; 3° l’oraison mentale ; 4° la fréquente communion ; 5° la prière.

Le premier moyen est donc le désir de la perfection. Les saints désirs sont comme des ailes qui nous élèvent de terre. Car, dit saint Laurent Justinien, tout désir de sainteté, d’un côté donne la force de marcher dans la perfection, et de l’autre rend la marche plus douce et plus aisée. Celui qui a un véritable désir de la perfection fait tous les jours quelques progrès, et, s’il continue, à la fin il y arrivera. Celui, au contraire, qui n’a pas ce désir, reculera toujours, et se trouvera toujours plus imparfait qu’auparavant. Dans la voie du salut, dit saint Augustin, ne pas avancer c’est reculer. Celui qui ne fait aucun effort pour avancer, rétrograde ; il est entraîné par la nature corrompue.

C’est une grande erreur de dire : Dieu ne veut pas que nous soyons tous saints. Dieu veut, disait saint Paul, que nous soyons tous saints, chacun dans notre état et selon notre état. Le religieux, le séculier, le prêtre, l’homme marié, le marchand, le soldat, tous enfin doivent être saints selon leur état. Sainte Thérèse assure que si nos pensées sont élevées, nous en retirons de grands avantages. Il ne faut pas ravaler nos désirs, mais espérer qu’avec l’aide de Dieu, et en faisant tous nos efforts, nous pourrons peu à peu arriver à la perfection des saints. Elle avait toujours vu les personnes courageuses faire de grands progrès en peu de temps ; car, disait-elle, le Seigneur reçoit autant de satisfaction du simple désir que de son accomplis­sement. Dieu n’accorde ses faveurs signalées qu’à ceux qui ont vivement désiré son amour. Dieu ne manque jamais de récom­penser les bons désirs en cette vie, il aime les âmes généreuses, pourvu qu’elles se défient d’elles-mêmes. Cette sainte avait un si grand désir d’aimer Jésus-Christ, qu’elle lui dit un jour qu’il lui importait peu de voir les autres dans une plus grande gloire qu’elle en paradis, mais qu’elle ne savait comment elle pourrait souffrir qu’il y en eût qui aimassent Dieu plus qu’elle.

Soyons donc remplis de courage. Dieu est bon et libéral envers celui qui le cherche de grand cœur. Il n’y a rien, pas même les péchés passés, qui puisse nous empêcher de devenir saints, si nous le désirons véritablement. Sainte Thérèse dit : Le démon nous représente comme un orgueil d’avoir des désirs élevés et de vouloir imiter les saints ; mais il nous est très avantageux de nous exciter à de grandes choses ; car, quoique l’âme n’ait pas tout de suite la force d’en venir à bout, elle prend néanmoins un essor généreux qui la porte bien loin. Saint Paul annonce que tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. La Glose ajoute que les péchés commis peuvent même coopérer à notre sanctification, en tant que ce souvenir nous rend plus humbles et plus reconnaissants à la vue des bienfaits dont Dieu nous comble après l’avoir tant offensé. Je ne puis rien, doit penser le pécheur, et je ne mérite rien, sinon l’enfer ; mais j’ai affaire à un Dieu infiniment bon, qui a promis d’exaucer quiconque le prie ; or, puisqu’il m’a délivré de la mort éternelle, qu’il veut me sanctifier et m’offre pour cela son secours, je puis donc me sanctifier, non pas avec mes propres forces, mais avec la grâce de mon Dieu, qui me fortifie. Lors donc que nous concevons de bons désirs, appuyons-nous sur Dieu, et, pleins de courage, tâchons de les exécuter ; mais, si nous trouvons que quelqu’un de ces désirs soit impraticable, résignons nous à la volonté de Dieu, elle doit avoir la préférence sur la nôtre. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi aimait mieux être privée de la perfection que de l’avoir sans la volonté de Dieu.

Le second moyen pour arriver à la perfection, c’est la résolution de se donner tout à Dieu. Il est des personnes qui sont appelées à la perfection et qui en ont le désir ; mais, parce qu’elles manquent de résolution, elles vivent et meurent dans leur tiédeur et leurs imperfections. Il ne suffit pas d’avoir le désir de la perfection, il faut encore avoir une ferme résolution de l’obtenir. Combien d’âmes se repaissent de désirs seulement, et ne font aucun pas dans la voie du Seigneur ! Tels sont les désirs dont parle le Sage : Ils tuent les paresseux. Celui qui est paresseux, s’épuise en désirs ; mais il ne prend jamais la ferme résolution d’employer les moyens propres à son état pour se sanctifier. Il dit : Oh ! que ne suis-je dans un désert, au lieu d’être dans cette maison ! Oh ! si je pouvais passer dans un autre monastère, comme je m’y donnerais tout à Dieu ! En attendant, il ne peut supporter un compagnon qui lui déplaît, il ne peut souffrir la moindre contradiction, il s’occupe de soins superflus, il tombe en mille fautes de gourmandise, de curiosité, d’orgueil, et il soupire en s’écriant : Que ne puis-je ! Que ne puis-je ! De tels désirs sont plus nuisibles qu’utiles ; car, on s’en repaît et l’on s’endort dans ses imperfections. Saint François de Sales disait : Une personne attachée à un emploi ou à un état, ne doit pas s’arrêter à désirer un autre genre de vie que celui qui est conforme à son état actuel, ni d’autres exercices incompa­tibles avec ce même état ; cette pensée dissipe le cœur et le fait languir dans les exercices d’obligation.

Il faut donc désirer la perfection et prendre avec courage les moyens pour y arriver. Dieu, selon sainte Thérèse, ne veut de nous qu’une bonne résolution et il se charge de faire le reste. Le démon n’a pas peur des âmes qui manquent de résolution. L’oraison mentale sert à nous faire prendre les moyens qui conduisent à la perfection. Mais quelquefois on médite long­temps sans jamais rien conclure. Je préfère, disait la même sainte, une courte méditation qui produit de grands effets à celle qui dure plusieurs années, et où l’on ne se résout jamais à faire quelque chose de notable pour Dieu. J’ai éprouvé que, si l’on prend dès le commencement la ferme résolution de faire une chose, quelque difficile qu’elle soit, en vue de plaire à Dieu, on n’a rien à craindre.

La première résolution doit être de mourir plutôt que de commettre un péché délibéré, quelque petit qu’il soit. Il est vrai que, sans l’aide de Dieu, nous ne pouvons pas vaincre les tentations ; mais Dieu veut que nous commencions par faire tous nos efforts ; après quoi il nous donne sa grâce pour aider notre faiblesse, et nous faire obtenir la victoire. Cette résolution éloigne tout obstacle, et nous fait avancer hardiment, parce qu’elle nous présente l’assurance que nous sommes dans la grâce de Dieu, conformément à ces paroles de saint François de Sales : La plus grande certitude que nous puissions avoir en ce monde d’être dans la grâce de Dieu, ne consiste pas dans un amour sensible envers Dieu, mais dans une entière et irré­vo­cable résignation à sa volonté, et dans une résolution ferme de ne consentir à aucun péché, ni grand ni petit ; c’est-à-dire, que cette certitude consiste dans une grande délicatesse de conscience, qui ne soit pas scrupule. Il faut être délicat pour devenir saint ; mais le scrupule est un défaut très nuisible. Il faut donc obéir au Père spirituel et vaincre les scrupules, qui ne sont que des appréhensions vaines et déraisonnables.

Il faut ensuite se résoudre à choisir sans réserve ce qu’il y a de mieux, c’est-à-dire, non seulement ce qui est agréable à Dieu, mais encore ce qui lui est le plus agréable. Saint François de Sales dit qu’il faut commencer par une forte et constante résolution de se donner tout à Dieu, lui protestant qu’à l’avenir nous voulons lui appartenir sans aucune réserve, et renouveler souvent cette résolution. Saint André d’Avelin fit vœu d’avancer tous les jours dans la perfection. Cependant pour devenir saint, il n’est pas nécessaire de faire ce vœu, mais il faut tâcher d’y avancer tous les jours de quelques pas. Saint Laurent Justinien assure qu’une fois qu’on est entré de tout son cœur dans la voie de la perfection, on sent croître de plus en plus le désir d’y faire des progrès, et que ce désir se fortifie à mesure qu’on avance, parce que, chaque jour apportant de nouvelles lumières, on croit toujours n’avoir aucune vertu et ne faire aucun bien ; et si le bien qu’on fait est évident, il paraît si imparfait, qu’on en fait peu de cas. Alors on travaille continuellement pour acquérir la perfection sans jamais se lasser.

Il faut exécuter tout de suite ses résolutions, sans attendre au lendemain. Qui sait si plus tard nous en aurions le temps ? Ainsi suivez l’avis de l’Ecclésiaste, ne différez pas ce que vous pouvez faire incessamment. En voici la raison : c’est que dans la vie future on n’aura plus ni le temps ni les moyens de faire le bien et de mériter ; après la mort, ce qui est fait est fait… Une religieuse menait une vie fort tiède dans un monastère de Rome, lorsque le Père Lancizius vint y donner les exercices spirituels. La religieuse, ne songeant à rien moins qu’à sortir de son état de tiédeur, y assista d’abord contre son gré ; mais elle n’eut pas plus tôt entendu le premier discours, qu’elle alla se jeter aux pieds du prédicateur, et lui dit : C’en est fait, mon Père, je veux me sanctifier, et me sanctifier promptement. En effet, huit mois après elle mourut, par la grâce de Dieu, en état de sainteté.

J’ai dit, s’écrie David pénitent, et maintenant je commence. Saint Charles Borromée répétait ainsi tous les matins : C’est aujourd’hui que je commence à servir Dieu. C’est ainsi que nous devons agir, comme si nous n’eussions fait aucun bien par le passé. En effet, tout ce que nous faisons pour Dieu n’est rien, puisque c’est notre devoir de le faire. Prenons donc chaque jour la résolution de nous donner à Dieu. Ne considérons pas ce que font les autres. Il y en a peu qui travaillent véritablement à devenir saints. Saint Bernard dit : Si nous voulons imiter le commun des hommes, nous serons toujours imparfaits comme eux. Il faut vaincre tout, renoncer à tout, pour obtenir tout. Comme nous ne finissons pas de donner tout notre cœur à Dieu, disait sainte Thérèse, il ne nous donne pas non plus tout son amour. Mon Dieu ! tout ce qu’on fait pour Jésus-Christ est bien peu de chose, puisqu’il nous a donné son sang et sa vie. Tout ce que nous pourrions faire pour Dieu n’est que de la boue, en comparaison d’une seule goutte du sang que le Sauveur a répandu pour nous. Les saints n’épargnent rien quand il s’agi de plaire à Dieu, qui s’est donné tout entier et sans réserve à nous, précisément pour nous obliger à ne lui rien refuser. Dieu s’est donné tout à vous, dit saint Chrysostome : n’est-il pas juste que vous vous donniez tout à lui ? Il est mort pour nous tous, dit l’Apôtre, afin que chacun de nous ne vive que pour l’aimer.

Le troisième moyen pour devenir saint est l’oraison mentale. Celui qui ne médite pas les vérités éternelles ne peut sans miracle vivre en chrétien. En voici la raison : c’est que sans l’oraison mentale on est sans lumière, on marche dans les ténèbres. Les vérités de la foi ne peuvent être aperçues par les yeux du corps, mais seulement par ceux de l’âme, lorsqu’on les médite ; celui qui ne les médite pas ne les voit pas, et marche par conséquent dans les ténèbres ; dans cet état, il se laissera plus facilement entraîner à l’amour des objets sensibles et au mépris des biens éternels. Quoiqu’il nous semble, dit sainte Thérèse, qu’il n’y ait pas en nous d’imperfections, néanmoins, dès que Dieu éclaire notre âme, comme il le fait dans l’oraison mentale, elles paraissent à découvert. Saint Bernard pense que celui qui ne médite pas, n’a pas horreur de lui-même, parce qu’il ne se connaît pas. La méditation règle les actions de l’âme et dirige nos actions vers Dieu ; mais sans elle les affections s’attachent à la terre, les œuvres se conforment aux affections ; ainsi tout est en désordre.

Une religieuse, étant en oraison, entendit un démon qui se vantait d’avoir fait omettre la méditation commune à une autre religieuse, et vit en esprit que le démon, encouragé par ce premier succès, la tentait encore de consentir à une faute grave ; elle était sur le point d’y tomber, si l’autre ne l’eût avertie à l’instant et préservée de sa chute. Sainte Thérèse disait que celui qui renonce à l’oraison mentale devient semblable à une bête ou au démon.

Celui donc qui abandonne l’oraison mentale cesse aussi d’aimer Jésus-Christ. L’oraison est la fournaise bienheureuse où s’enflamme et se conserve le feu du divin amour. Sainte Catherine de Bologne disait que celui qui ne prend pas l’habi­tude de la méditation, se prive du doux lien qui unit l’âme à Dieu ; ainsi il ne sera pas étonnant que, dans cet état de froideur, le démon le porte à se nourrir d’un fruit empoisonné. Au contraire, selon sainte Thérèse, celui qui persévère dans l’oraison, quelques efforts que le démon fasse pour l’induire au mal, arrivera certainement, par une grâce particulière de Dieu, au port du salut. Celui qui dans le chemin de l’oraison ne s’arrête pas, quand même il arriverait tard, ne manquera pas d’arriver. Elle assure que si le démon s’efforce tant de détourner les âmes de l’oraison, c’est qu’il sait que l’âme qui persévère dans ce saint exercice est perdue pour lui. Que d’avantages ne retire-t-on pas de l’oraison ! Elle fournit à l’âme de saintes pensées, de pieuses affections, de grands désirs et de fermes résolutions de se donner entièrement à Dieu, et ensuite l’âme sacrifie au Seigneur tous les plaisirs de la terre, tous les appétits déréglés. On n’acquerra jamais une grande perfection, disait saint Louis de Gonzague, si l’on ne fait pas un grand usage de l’oraison mentale. Qu’on fasse attention à ces paroles remar­quables.

On ne doit pas s’abandonner à l’oraison mentale dans le dessein d’y goûter les douceurs de l’amour divin, ce serait perdre son temps, ou gagner peu. On doit faire oraison seulement pour plaire à Dieu, c’est-à-dire, pour connaître sa volonté et lui demander la grâce de l’accomplir. Le vénérable Père D. Antoine Torrès disait qu’en portant la croix sans consolations, on vole à la perfection. L’oraison qui n’est pas accompagnée de consolations sensibles est la plus avantageuse à l’âme ; mais malheur à l’âme qui l’abandonne, parce qu’elle n’y trouve pas ces consolations ! Renoncer à l’usage de l’oraison mentale, disait saint Thérèse, c’est se précipiter dans l’enfer de soi-même, et sans avoir besoin de démons.

La méditation habitue à penser toujours à Dieu. Le véritable amant, dit sainte Thérèse, se souvient toujours de la personne qu’il aime. C’est pourquoi, les personnes d’oraison ne cessent de parler de Dieu, sachant combien il plaît à Dieu que ceux qui l’aiment, trouvent leur jouissance à parler de lui et de l’amour qu’il a pour eux, pour enflammer les autres de son amour. Jésus-Christ se trouve toujours présent aux discours de ses serviteurs, et il fait ses délices de les voir s’entretenir de lui avec plaisir.

La méditation fait encore naître le désir de la solitude pour y converser seul à seul avec Dieu, et conserver le recueillement intérieur dans les affaires extérieures nécessaires : je dis néces­saires par rapport aux soins de la famille ou aux devoirs imposés par l’obéissance ; car une personne d’oraison doit aimer la solitude, et ne pas se dissiper par des affaires volon­taires ou inutiles ; autrement elle perdra l’esprit de recueille­ment, qui est un grand moyen pour conserver l’union avec Dieu. L’âme qui aime Jésus-Christ doit être comme un jardin fermé à toutes les créatures, et ne doit admettre dans son cœur ni pensées ni affaires qui ne tendent à Dieu. On ne se sanctifie pas en tenant son cœur ouvert à tous venants. Aussi les saints qui travaillent à ramener les âmes à Dieu ne cessent-ils jamais d’être recueillis au milieu de leurs travaux, soit qu’ils prêchent, soit qu’ils confessent, soit qu’ils réconcilient ou qu’ils étudient. Il y a des hommes qui, en étudiant beaucoup pour devenir saints, ne deviennent ni savants ni saints, parce que la vraie science est celle des saints, savoir : d’aimer Jésus-Christ ; et l’amour divin procure la science et tous les biens. Saint Jean Berchmans avait un goût tout particulier pour l’étude ; mais il ne permit jamais que l’étude empêchât son avancement spirituel. Il faut qu’un prêtre soit instruit, parce qu’il doit enseigner aux autres la loi divine ; mais, pour la science même, qu’on se souvienne de la sobriété. Abandonner l’oraison pour vaquer à l’étude, c’est montrer que dans l’étude on ne cherche pas Dieu, mais soi-même. Celui qui cherche Dieu cesse l’étude, quand elle n’est pas actuellement nécessaire, plutôt que d’omettre l’oraison.

Le plus grand mal est que sans l’oraison mentale, on ne prie pas ; or, la prière est absolument nécessaire au salut ; je l’ai souvent inculqué dans mes ouvrages, et surtout dans un livre intitulé : Du grand moyen de la prière. Comment pouvons-nous conserver la charité si Dieu ne nous donne la persévérance ? Comment Dieu nous donnera-t-il la persévérance si nous ne la lui demandons pas ? Et comment la lui demanderons-nous sans l’oraison ? Sans l’oraison nous n’avons pas de communication avec Dieu pour conserver les vertus. Sans l’oraison mentale on voit peu les besoins de son âme, les dangers auxquels le salut est exposé, les moyens de vaincre les tentations ; l’on connaît peu la nécessité de la prière, on l’omet, et l’on se perd indu­bitablement.

Pour la matière de la méditation la plus utile est de méditer les fins de l’homme, la mort, le jugement, l’enfer, le paradis, mais surtout la mort, en se figurant être sur son lit de mort, le crucifix dans les mains, près d’entrer dans l’éternité. La Passion du Sauveur est aussi un sujet bien efficace pour celui qui aime Jésus-Christ, et qui désire croître toujours dans son saint amour. Saint François de Sales dit que le mont du Calvaire est le mont des amants ; c’est là qu’ils fixent leur demeure. Quoi de plus propre à inspirer l’amour divin que la vue d’un Dieu qui meurt pour nous et parce qu’il nous aime ? Les plaies du Sauveur sont comme autant de traits qui blessent les cœurs les plus endurcis. Heureux celui qui habite en ce monde sur le mont du Calvaire ! Ô heureuse, aimable et précieuse montagne ! qui pourrait vous quitter ? Vous embrasez et vous consumez d’amour les âmes qui vous prennent pour leur séjour continuel.

Le quatrième moyen pour arriver à la perfection et obtenir la persévérance est la fréquentation de la sainte communion. Nous avons déjà dit au chapitre deux qu’une âme ne peut rien faire de plus agréable à Jésus-Christ que de le recevoir souvent dans le Sacrement de l’autel. Sainte Thérèse pense qu’il n’y a pas de meilleur moyen pour arriver à la perfection que la fré­quente communion, comme l’expérience le démontre en ceux qui s’en approchent le plus souvent. Le décret d’Inno­cent XI de l’an mil six cent soixante dix-neuf rappelle que les saints Pères ont beaucoup loué l’usage de la communion fréquente et même quotidienne. Le saint concile de Trente a dit que la communion nous délivre des fautes journalières et nous pré­serve des mortelles. Saint Bernard assure que la communion réprime les mouvements de la colère et de l’incontinence, qui sont les deux passions les plus fortes et les plus fréquentes parmi nous. La communion détruit les suggestions du démon. Saint Jean Chrysostome nous enseigne que la communion inspire une grande inclination pour les vertus, beaucoup d’empressement pour les pratiquer ; qu’elle donne une grande paix et nous rend facile et douce la voie de la perfection. Il n’y a pas de sacrement qui enflamme autant les âmes de l’amour divin que le sacrement de l’Eucharistie, où Jésus-Christ se donne tout entier pour nous unir tout à lui par le moyen de son amour. C’est pourquoi le vénérable Père Jean d’Avila disait que celui qui éloigne les âmes de la fréquente communion fait l’office du démon, parce que le démon hait beaucoup ce Sacrement, duquel les âmes reçoivent tant de force pour s’avancer dans l’amour de Dieu.

Pour s’approcher dignement de la sainte Table, il y a deux sortes de préparations à faire. La préparation éloignée pour la communion fréquente et même quotidienne, c’est : 1° de s’abstenir de toute affection déréglée ou volontaire ; 2° de faire beaucoup d’oraison mentale ; 3° de mortifier ses sens et ses passions. Saint François de Sales et saint Thomas enseignent qu’on peut communier tous les jours : selon le premier, quand on a surmonté la plupart de ses mauvaises inclinations, et qu’on est arrivé à un notable degré de perfection ; d’après le second, quand on s’aperçoit qu’en communiant tous les jours, on fait des progrès dans la ferveur et l’amour de Dieu. Innocent XI dit que l’usage de la communion plus ou moins fréquente doit être réglé par le confesseur, selon le profit plus ou moins grand que ses pénitents en retirent. La préparation prochaine consiste à faire, le matin même où l’on doit communier, au moins une demi-heure d’oraison mentale pour s’en occuper.

Pour retirer un grand fruit de la communion, il faut encore faire une assez longue action de grâces. Le Père Jean d’Avila, sainte Marie-Madeleine de Pazzi et sainte Thérèse disent qu’après la communion c’est le temps de gagner des trésors de grâces, le temps le plus propre pour s’enflammer de l’amour divin, et qu’il ne faut pas perdre une si belle occasion de traiter avec Dieu ; car sa divine Majesté est incapable de mal payer celui qui, en le recevant, lui fait un bon accueil.

Quelques âmes pusillanimes, quand leur confesseur les exhorte à communier plus souvent, répondent : Mais je n’en suis pas digne ! Mais ne savez-vous pas que plus vous différez de communier, plus vous vous en rendez indignes ? car, sans la communion vous aurez moins de force, et vous commettrez plus de fautes. Obéissez à votre directeur, et laissez-vous guider par lui ; les fautes ne sont pas un obstacle à la communion lorsqu’elles ne sont pas pleinement volontaires ; la plus grande de vos fautes est de ne pas obéir à votre Père spirituel.

Mais j’ai mené une vie déréglée ! Eh ! ne savez-vous pas que c’est le plus malade qui a le plus besoin de médecin et de remède ? Or, Jésus-Christ dans le Sacrement est l’un et l’autre. Mais mon confesseur ne me dit pas de communier plus souvent. Il ne vous le dit pas : demandez-lui-en vous-même la permis­sion. S’il vous la refuse, obéissez ; mais faites-lui-en la demande. Il semble que ce soit orgueil. Ce serait orgueil, si vous vouliez communier malgré son avis, mais non pas lorsque vous le lui demandez avec humilité. Jésus veut qu’on soit affamé de ce Pain céleste. Quand on pense : aujourd’hui j’ai communié, ou demain je dois communier, combien cette pensée est puissante pour éloigner du péché et faire pratiquer la vertu ! Mais je ne me sens pas de ferveur. Si vous parlez de la ferveur sensible, elle n’est pas nécessaire, et Dieu ne la donne pas même toujours aux âmes qu’il favorise le plus ; il suffit que vous ayez la ferveur d’une volonté résolue d’être tout à Dieu et de l’aimer toujours davantage. Gerson dit que celui qui s’abstient de la communion, parce qu’il n’a pas une dévotion sensible, fait comme celui qui ne s’approche pas du feu parce qu’il n’a pas chaud.

Hélas ! combien de personnes ne communient pas souvent, parce qu’elles ne veulent pas s’occuper de vivre avec plus de recueillement et dans un plus grand détachement des choses terrestres ! On sait que la fréquente communion ne s’accorde pas avec le désir de paraître, avec la vanité dans la parure, ni avec l’affection à la gourmandise, à ses aises et aux conversa­tions oiseuses. On sait qu’il faudrait donner plus de temps à l’oraison, mortifier davantage ses sens et son esprit, et être plus retiré du monde ; on le sait, et c’est pour cela qu’on a honte de s’approcher souvent de la sainte Table. Sans doute, de telles âmes doivent s’abstenir de la fréquente communion tant qu’elles sont dans ce malheureux état de tiédeur ; mais elles doivent faire tous leurs efforts pour en sortir, quand elles sont appelées à une vie plus parfaite, si elles ne veulent pas exposer leur salut.

Pour conserver la ferveur, il est aussi fort à propos de faire souvent la communion spirituelle, tant louée par le concile de Trente, qui exhorte tous les fidèles à la pratiquer. La commu­nion spirituelle consiste en un vif désir de recevoir Jésus-Christ dans le saint Sacrement. Voilà pourquoi les saints ont voulu la faire plusieurs fois le jour ; en voici la pratique : Mon Seigneur Jésus-Christ, je crois que vous êtes véritablement dans le saint Sacrement. Je vous aime et vous désire, venez en mon âme. Je m’attache à vous, et vous prie de ne pas permettre que je me sépare jamais de vous. Ou bien, plus brièvement : Mon Seigneur Jésus-Christ, venez en moi, je vous désire et je m’atta­che à vous : demeurons toujours unis. Cette communion spirituelle se peut faire plusieurs fois le jour, comme durant l’oraison, pendant la visite au saint Sacrement, et à la Messe, au moment de la communion du prêtre. La bienheureuse Angélique de la Croix disait : Si mon confesseur ne m’eût pas appris à communier ainsi plusieurs fois le jour, il me semble que je n’aurais pu vivre.

Le cinquième et le plus nécessaire de tous les moyens pour arriver à la perfection et obtenir l’amour de Jésus-Christ, c’est la prière. C’est dans la prière que Jésus-Christ nous fait connaître le grand amour qu’il a pour nous. Peut-on donner une plus grande preuve d’affection à son ami que de lui dire : Cher ami, demandez-moi tout ce que vous voudrez, et je vous l’accorderai ? Or, c’est là précisément ce que le Seigneur nous déclare. C’est d’après cette promesse expresse que la prière est toute-puissante auprès de Dieu pour obtenir toutes sortes de biens. Celui qui prie obtient de Dieu tout ce qu’il veut. Tant que vous persévérerez dans la prière, soyez sûr, dit saint Augustin, que la miséricorde divine ne vous manquera pas. Saint Jean Chrysostome ajoute : Lorsque nous sommes en prière, avant que nous ayons achevé de prier, le Seigneur nous accorde la grâce que nous lui demandons. Si donc nous sommes pauvres en biens spirituels, ne nous plaignons que de nous-mêmes ; car, nous ne sommes pauvres qu’autant que nous voulons l’être, et par conséquent nous ne sommes pas dignes de compassion. Quelle compassion mériterait un mendiant qui, lorsqu’un homme très riche se charge de le pourvoir de tout, à condition qu’il le lui demande, voudrait néanmoins rester dans sa pauvreté plutôt que de demander ce dont il a besoin ? Dieu, dit l’Apôtre, est tout disposé à enrichir quiconque l’invoque.

La prière vraiment humble obtient tout de Dieu ; elle n’est pas moins nécessaire qu’utile au salut. Il est certain que pour vaincre les tentations, nous avons un besoin absolu du secours de Dieu : quand les attaques sont violentes, la grâce suffisante que Dieu donne à tous pourrait nous procurer assez de force pour y résister ; mais, vu nos mauvaises inclinations, elle ne nous suffira pas, et il nous faudra une grâce spéciale. Or, celui qui prie l’obtient, cette grâce ; mais celui qui ne prie pas ne l’obtient pas, et se perd. Quant au don de la persévérance finale, qui est absolument nécessaire au salut, et qui consiste à être en état de grâce au moment de la mort, saint Augustin dit que Dieu ne l’accorde qu’à celui qui prie. Voilà pourquoi le nombre de ceux qui se sauvent est si petit, c’est qu’il y en a bien peu qui s’occupent de demander à Dieu cette grâce de la persévérance.

Les saints Pères disent que la prière nous est nécessaire non seulement de nécessité de précepte, de manière que l’on commet un péché mortel quand on néglige pendant un mois de recommander son salut à Dieu, mais encore de nécessité de moyen, c’est-à-dire, qu’il est impossible à celui qui ne prie pas de se sauver. En voici la raison : nous ne pouvons obtenir le salut sans la grâce, et Dieu ne l’accorde, cette grâce, qu’à celui qui prie. Comme nous sommes continuellement assaillis de tentations et en danger de perdre la grâce de Dieu, nos prières doivent aussi être continuelles. C’est pourquoi saint Thomas dit que l’homme, pour se sauver, doit nécessairement prier continuellement. Jésus-Christ l’a déclaré, saint Paul l’a répété. Si nous cessons de nous recommander à Dieu, le démon nous vaincra. Quoique nous ne puissions pas mériter par nous-mêmes la grâce de la persévérance, selon la doctrine du concile de Trente, nous pouvons néanmoins l’obtenir par la prière. Le Seigneur veut nous accorder ses grâces, mais il veut qu’on le prie ; il veut, ajoute saint Grégoire, qu’on l’importune et qu’on lui fasse par la prière une sorte de violence. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi va même jusqu’à assurer que lorsque nous demandons ses grâces à Dieu, non seulement il nous exauce, mais il nous en fait gré en quelque sorte, parce qu’étant la bonté infinie, il désire se communiquer aux hommes et les combler de ses biens ; mais il veut être prié ; ainsi, lorsqu’il voit qu’on le prie, il est tellement satisfait, qu’il a en quelque sorte de la reconnaissance.

Si nous voulons persévérer dans la grâce de Dieu jusqu’à la mort, il faut que, comme des mendiants qui ne se lassent pas de solliciter et de prier, nous implorions sans cesse l’assistance de Dieu, en disant : Mon doux Jésus, ayez pitié de moi, ne permettez pas que je me sépare jamais de vous. Seigneur, assistez-moi ; mon Dieu, aidez-moi. La prière continuelle des anciens Pères du désert était : Seigneur, aidez-moi, aidez-moi vite, parce que, si vous tardez de me secourir, je tomberai et je serai perdu. C’est ainsi qu’il faut prier, spécialement durant les tentations : celui qui néglige de le faire est perdu.

Ayons une grande confiance en la prière ; Dieu a promis d’exaucer celui qui le prie ; n’en doutons pas, le Seigneur s’est engagé à nous accorder les grâces que nous lui demanderons, il ne peut y manquer. Lorsque nous nous recommandons à Dieu, nous devons avoir une entière confiance qu’il nous exaucera, et nous obtiendrons tout ce que nous voudrons ; c’est Jésus-Christ qui le dit.

Mais je suis pécheur, dira quelqu’un, je ne mérite pas d’être exaucé. Mais que dit Jésus-Christ ? Quiconque demande, obtient. Il dit quiconque, soit juste, soit pécheur. L’efficacité de la prière ne vient pas de nos propres mérites, mais de la miséricorde de Dieu, qui a promis d’exaucer quiconque le prie. Pour nous encourager à prier, le Sauveur nous dit : Pécheurs, vous n’avez pas de mérites pour obtenir les grâces ; mais, lorsque vous les désirez, demandez-les à mon Père en mon Nom, c’est-à-dire, par mes mérites et par mon amour ; demandez tout ce que vous voudrez, et il vous l’accordera. Mais remarquez ces mots, en mon Nom, ou bien, comme l’explique saint Thomas, au nom du Sauveur, c’est-à-dire, que les grâces que nous demandons doivent avoir rapport au salut ; car la promesse n’est pas pour les grâces temporelles ; Dieu ne nous les accorde qu’autant qu’elles sont utiles à notre salut ; autrement il les refuse. C’est pourquoi nous devons demander les grâces temporelles sous condition qu’elles soient utiles à notre âme. Mais quant aux grâces spirituelles, nous devons les demander avec une grande, une entière confiance, en disant : Seigneur mon Dieu, au Nom de Jésus-Christ, délivrez-moi de cette tentation, donnez-moi la sainte persévérance, donnez-moi votre amour, donnez-moi le paradis. Nous pouvons même les demander à Jésus-Christ et en son Nom, c’est-à-dire, par ses mérites : c’est lui-même qui nous l’apprend. Ne manquons pas de recourir aussi à Marie, la Dispensatrice des grâces ; car c’est bien Dieu qui donne les grâces ; mais il les donne par les mains de Marie. Si Marie prie pour nous, ne doutons pas du succès, puisque toutes ses prières sont exaucées et ne sont jamais rejetées.

Affections et prières

Jésus, mon amour, je veux décidément vous aimer de tout mon cœur et me sanctifier ; je veux me sanctifier pour vous plaire et vous aimer beaucoup en cette vie et pendant l’éternité. Je ne puis rien ; mais vous, vous pouvez tout, et, je le sais, vous voulez que je sois saint. Je vois déjà que, par un effet de votre grâce, mon âme soupire vers vous et ne cherche que Vous. Je ne veux plus vivre pour moi-même ; vous voulez que je sois tout à vous, et je le veux aussi. Venez donc, unissez-vous à moi, et moi à vous. Vous êtes la bonté infinie, vous m’avez infiniment aimé, avec tant d’amabilité ; comment pourrais-je aimer autre chose que vous ? Je préfère votre amour à tous les biens du monde. Vous êtes le seul, l’unique objet de toutes mes affections. J’abandonne tout pour me livrer tout entier à votre amour ô mon Créateur, ô mon Rédempteur, mon Consolateur, mon Espérance, mon Amour et mon Tout ! Quelques péchés que j’aie commis par le passé, je ne désespère pas de ma sanctification. Je sais, ô mon Jésus, que vous êtes mort pour pardonner à celui qui se repent. Maintenant je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme, enfin plus que moi-même, et je me repens par-dessus toutes choses de vous avoir méprisé, vous qui êtes le souverain bien. Je ne suis plus à moi, c’est à vous que j’appartiens maintenant ; Dieu de mon cœur, disposez de moi comme il vous plaira. J’accepte pour vous plaire toutes les tribulations que vous voudrez m’envoyer, les maladies, les douleurs, les angoisses, les ignominies, la pauvreté, les persécutions, les désolations : tout cela, je l’accepte pour vous plaire ; j’accepte encore la mort que vous m’avez préparée, avec toutes les angoisses et les croix qui l’accompagneront ; il me suffit que vous m’accordiez la grâce et la force de compenser par l’amour mes infidélités passées, ô mon Dieu, l’unique amour de mon âme. Ô Reine du ciel, Mère de Dieu, puissante Avocate des pécheurs, je mets ma confiance en votre intercession.

Chapitre 9
La charité ne s’enfle pas
Celui qui aime Jésus-Christ ne s’enorgueillit pas de ses bonnes qualités,
mais s’humilie et prend plaisir à se voir humilié

L’orgueilleux est comme un ballon qui paraît grand, mais dont toute la grandeur se réduit en substance à un peu de vent qui se dissipe dès que le ballon s’ouvre. Celui qui aime Dieu est vraiment humble, il ne s’enorgueillit pas quand il possède quelque belle qualité ; parce qu’il reconnaît que tout ce qu’il a est un don de Dieu, et qu’il n’a rien de lui-même que le néant et le péché ; ainsi, plus il a reçu de faveurs du Ciel, plus il s’humilie et sent qu’il en est indigne. 2.Dieu, dit sainte Thérèse en parlant des grâces spéciales que Dieu lui faisait, Dieu agit avec moi comme les hommes à l’égard d’une maison qui menace ruine ; ils l’étayent de tous côtés. Lorsqu’une âme reçoit de Dieu quelque visite, lorsque l’amour divin l’embrase d’une ardeur extraordinaire accompagnée de larmes ou d’une grande sensi­bilité de cœur, elle doit se garder de penser que c’est en vertu de quelque bonne œuvre que Dieu la favorise ainsi ; mais il faut qu’elle s’humilie et se persuade que Dieu la traite si bien pour qu’elle ne l’abandonne pas ; autrement, si ces grâces lui ins­pirent quelque sentiment de vanité, si elle se croit plus favorisée parce qu’elle sert mieux Dieu que les autres, cette vanité sera cause que Dieu la privera de toutes ses faveurs. Pour conserver un édifice, deux choses sont nécessaires : le fonde­ment et le toit ; or, dans l’édifice de notre sanctification, le fondement c’est l’humilité, qui nous fait connaître que de nous-mêmes nous ne sommes rien et ne pouvons rien ; le toit c’est la protection de Dieu, dans laquelle nous devons avoir unique­ment confiance.

C’est lorsque nous sommes le plus favorisés de Dieu que nous devons nous humilier davantage. Quand sainte Thérèse recevait quelque grâce spéciale, elle se remettait devant les yeux ses fautes passées, et par ce moyen le Sauveur l’unissait davantage à lui. Plus une âme s’avoue indigne des grâces, plus Dieu l’en enrichit. Thaïs, d’abord pécheresse, et ensuite sainte, s’humiliait tant devant Dieu, qu’elle se croyait indigne même de le nommer ; ainsi elle n’osait pas dire : Mon Dieu ; mais elle disait : Mon Créateur, ayez pitié de moi. Saint Jérôme rapporte qu’en récompense d’une telle humilité, il lui fit préparer un trône magnifique dans le ciel. Sainte Marguerite de Cortone, quand elle recevait de Dieu des consolations extraordinaires, s’écriait : Mais, Seigneur, comment avez-vous oublié ce que j’ai été ? Est-ce ainsi que vous me payez de tant d’injures que je vous ai faites ? Dieu lui répondit que, lorsqu’une âme l’aime et se repent beaucoup de l’avoir offensé, il oublie toutes ses fautes passées, comme il l’a déclaré par la bouche d’Isaïe ; il lui fit voir qu’il lui avait préparé dans le ciel un trône au milieu des Séraphins. Oh ! si nous pouvions comprendre tout le prix de l’humilité ! un seul acte d’humilité vaut mieux que toutes les richesses de la terre.

Ne croyez pas avoir fait des progrès dans la perfection disait sainte Thérèse, si vous ne vous regardez pas comme le plus méchant des hommes, et si vous ne désirez pas qu’ils vous soient tous préférés. Cette sainte ne se contentait pas de le dire, elle le faisait, et tous les saints l’ont fait comme elle. Saint François d’Assise, sainte Marie-Madeleine de Pazzi et tous les autres se regardaient sincèrement comme les plus grands pécheurs du monde ; ils s’étonnaient que la terre les portât et ne s’ouvrît pas sous leurs pieds. Le vénérable Jean d’Avila, qui mena dès sa plus tendre jeunesse une sainte vie, se trouvant au lit de la mort, le prêtre qui l’assistait lui disait des choses sublimes, le traitait en saint et en savant très distingué ; mais le vénérable Père d’Avila lui dit : Je vous prie, mon Père, de me faire la recommandation de l’âme comme on la fait à un malfaiteur condamné à la mort, car voilà ce que je suis. Telle est l’opinion que les saints ont d’eux-mêmes durant leur vie et à leur mort.

C’est là aussi ce que nous devons faire, si nous voulons nous conserver dans la grâce de Dieu jusqu’à la mort et nous sauver ; ne mettons notre confiance qu’en Dieu. L’orgueilleux se confie en ses propres forces, et c’est pour cela qu’il tombe ; mais l’humble, parce qu’il ne se confie qu’en Dieu, fût-il assailli des tentations les plus fortes, résiste et ne tombe pas, car il dit : Je puis tout en celui qui me fortifie. Le démon nous porte tantôt à la présomption, tantôt au désespoir ; lorsqu’il nous dit que nous ne risquons pas de tomber, c’est alors que nous devons craindre le plus, car, si Dieu cesse un instant de nous assister par sa grâce, nous sommes perdus ; lorsqu’il nous porte à la défiance, tournons nos regards vers Dieu, et disons-lui avec une grande confiance : Mon Dieu, c’est en vous que j’ai mis toute mon espérance ; je ne serai pas confondu ni privé à jamais de votre grâce. Ces actes de défiance de nous-mêmes et de confiance en Dieu, nous devons les pratiquer jusqu’à notre dernier soupir, priant toujours le Seigneur de nous donner la sainte humilité.

Mais il ne suffit pas, pour être humbles, d’avoir une basse opinion de nous-mêmes et de reconnaître toute notre misère ; celui qui est vraiment humble, dit Thomas a Kempis, se méprise lui-même, et souhaite d’être aussi méprisé des autres ; c’est ce que Jésus-Christ veut que nous fassions à son exemple : Apprenez de moi que Je suis doux et humble de cœur. Celui qui se dit être le plus grand pécheur du monde, et qui s’irrite dès qu’on le méprise, montre qu’il est humble de bouche et non pas de cœur. Saint Thomas d’Aquin déclare que celui qui est sensible au mépris, quand il ferait des miracles, est certaine­ment encore bien éloigné de la perfection. La Mère de Dieu ayant envoyé saint Ignace de Loyola instruire sainte Marie-Madeleine de Pazzi dans l’humilité, voici l’instruction qu’il lui donna ; L’humilité consiste à se réjouir de tout ce qui nous porte à nous mépriser nous-mêmes. Remarquez le mot réjouir ; si donc la partie inférieure éprouve du déplaisir à l’occasion du mépris, il faut que la partie supérieure et spirituelle s’en réjouisse.

Comment pourrait-on aimer Jésus-Christ, considérer les souffrances et les injures qu’il a endurées, et ne pas aimer les mépris ! C’est encore pour nous enseigner l’humilité que Jésus-Christ a voulu être exposé sur nos autels, non avec un extérieur de triomphe et de gloire ; mais sur une croix, afin que nous eussions toujours sous les yeux l’état d’ignominie où il fut réduit. Cette réflexion comblait les saints de joie quand ils se voyaient méprisés. Jésus-Christ apparut un jour avec la croix sur les épaules à saint Jean de la Croix, qui dit au Sauveur : Seigneur, puisque vous avez été si méprisé pour l’amour de moi, je ne vous demande rien autre chose que de permettre que je souffre et sois méprisé pour l’amour de vous.

Saint François de Sales disait que supporter les opprobres, c’est la pierre de touche de l’humilité et de la véritable vertu. Si une personne qui fait profession de piété, qui s’adonne à l’oraison mentale, à la fréquente communion, aux jeûnes, aux mortifications, ne peut supporter un affront, une parole piquante, qu’en conclura-t-on ? Qu’elle est un vase vide, sans humilité et sans vertus. Que sait faire une âme qui aime Jésus-Christ, si elle ne sait souffrir un mépris pour l’amour de Celui qui en a tant enduré pour elle ? Puisque vous abhorrez tant les humiliations, dit l’Imitation, c’est une preuve que vous n’êtes pas mort au monde, que vous n’avez pas l’humilité, et que vous ne prenez pas le Sauveur pour modèle. Si nous n’avons pas de soufflets et de blessures à souffrir pour Dieu, supportons du moins quelques paroles.

Quel scandale ne donne pas une personne qui communie souvent, et qui s’irrite au moindre mot de mépris ! Combien, au contraire, n’est-on pas édifié de celui qui répond au mépris par des paroles de bonté, pour apaiser celui qui l’a offensé, ou qui ne répond pas et ne s’en plaint pas, mais qui conserve un visage serein et sans altération ? Saint Jean Chrysostome dit que celui qui est humble et doux est utile non seulement à lui-même, mais encore aux autres, par le bon exemple que leur donne sa douceur dans les mépris. Mais quand et en quoi doit-on être humble ? L’Imitation cite des exemples de cas où l’on doit spécialement pratiquer l’humilité. On écoutera ce que diront les autres, et l’on méprisera ce que vous direz ; ce que les autres demanderont leur sera accordé, et l’on vous refusera ce que vous solliciterez. Les autres seront préconisés de tout le monde, et l’on ne parlera pas de vous. Les autres seront promus à des emplois, et vous ne serez trouvé bon à rien. Voilà les épreuves auxquelles le Seigneur met un fidèle serviteur pour voir s’il sait se vaincre et demeurer en paix. La nature sera quelquefois contristée ; mais vous gagnerez beaucoup si vous supportez tout en silence.

Sainte Jeanne de Chantal disait que celui qui est vraiment humble, plus il est humilié, plus il s’humilie. Oui, parce qu’il ne croit jamais être humilié autant qu’il le mérite. Ceux qui agissent ainsi sont appelés bienheureux par Jésus-Christ ; il n’appelle pas bienheureux ceux qui sont estimés, honorés et loués comme nobles, savants et puissants, mais ceux qui sont maudits, persécutés et calomniés par les hommes, parce qu’il leur prépare, s’ils souffrent tout cela avec patience, une grande récompense dans le ciel.

On doit surtout pratiquer l’humilité lorsqu’un supérieur ou tout autre nous reprend de quelque défaut. Il y a des personnes qui, comme le porc-épic, tant qu’on ne les touche pas, paraissent tranquilles et douces ; mais, si un supérieur ou un ami vient à les reprendre de quelque manquement, aussitôt on les voit toutes hérissées d’épines : elles répondent avec aigreur que ce qu’on leur reproche n’est pas vrai, ou qu’elles ont eu raison de le faire ; elles regardent comme leur ennemi quiconque les avertit de leurs fautes, et imitent ceux qui s’irritent contre le chirurgien qui les panse. Celui qui est saint et humble, dit saint Chrysostome, s’humilie lorsqu’on le corrige, et il gémit de son erreur ; l’orgueilleux gémit aussi ; mais il gémit de ce qu’on a découvert sa faute ; c’est pourquoi il se trouble, il répond et s’indigne contre celui qui l’avertit. Celui qui veut véritablement devenir saint, disait saint Philippe de Néri, ne doit jamais s’excuser, quand même l’inculpation serait fausse. Il faut cependant excepter de cette règle le cas où il serait nécessaire de s’expliquer pour ôter le scandale. Combien ne mérite-t-on pas devant Dieu lorsque, étant repris à tort, on se tait et on ne s’excuse pas ! Sainte Thérèse disait qu’on avance et se perfectionne quelquefois plus en ne s’excusant pas qu’en entendant dix prédications : parce qu’en ne s’excusant pas, on commence à acquérir la liberté d’esprit, et à ne plus s’embarrasser si l’on est un objet de louange ou de blâme.

Affections et prières

Verbe incarné, par les mérites de votre sainte humilité, vertu qui vous fit embrasser tant d’ignominies et d’injures pour notre amour, délivrez-moi, je vous prie, de l’orgueil, et donnez-moi part à votre humilité. Comment pourrais-je me plaindre des outrages qu’on me fait, moi qui ai tant de fois mérité l’enfer ? Ah ! mon Jésus, par le mérite de tant d’opprobres que vous essuyâtes lors de votre passion, donnez-moi la grâce de vivre et de mourir comme vous dans une profonde humilité sur la terre. Je voudrais pour votre amour me voir méprisé et abandonné de tout le monde, mais sans vous je ne puis rien. Je vous aime, ô mon souverain Bien ; je vous aime, ô le Bien-Aimé de mon âme ; je vous aime, et je me propose, moyennant votre sainte grâce, de tout souffrir pour votre amour : affronts, trahisons, persécu­tions, douleurs, aridités, délaissements, tout enfin, pourvu que vous ne m’abandonniez pas vous-même, ô l’unique Amour de mon âme. Ne permettez pas que je m’éloigne jamais de vous ; donnez-moi le désir de vous plaire, un amour fervent, la paix dans les souffrances, et la résignation dans l’adversité. Ayez pitié de moi. Je ne mérite rien ; mais j’espère tout de vous, qui m’avez racheté par votre Sang précieux. C’est aussi en vous que j’espère, ô Marie, ma Reine et ma Mère, vous qui êtes le refuge des pécheurs.

Chapitre 10
La charité n’est pas ambitieuse
Celui qui aime Jésus-Christ ne désire rien autre que Jésus-Christ

Celui qui aime Jésus-Christ ne cherche pas à être aimé et estimé des hommes ; tout ce qu’il désire, c’est d’être bien vu de Dieu, qui est l’unique objet de son amour. Saint Hilaire déclare que tout l’honneur du siècle est l’affaire du démon. L’ennemi travaille pour l’enfer, lorsqu’il inspire à l’âme le désir de se faire estimer ; car, perdant alors l’humilité, elle se met en danger de tomber dans tous les écueils. Saint Jacques assure que le Seigneur tend la main à l’humble et résiste à l’orgueilleux, c’est-à-dire, qu’il n’écoute même pas ses prières. Or, c’est sans doute un effet de l’orgueil d’ambitionner d’être estimé des hommes, et de se complaire dans les honneurs qu’on reçoit.

Peut-on lire sans frémir d’horreur ce qui arriva au frère Justin, de l’ordre de Saint-François, pour avoir nourri au-dedans de lui-même ce désir d’être estimé des hommes ? Ce frère était parvenu à un degré si éminent de perfection, que le Pape Eugène IV, concevant une haute opinion de sa sainteté, le fit venir, le reçut avec honneur, l’embrassa et le fit asseoir auprès de lui. Justin s’enorgueillit d’une faveur aussi signalée, au point que saint Jean Capistran, son abbé, lui dit :« Vous étiez un ange à votre départ, et vous n’êtes plus, à votre retour, qu’un démon ! » Son orgueil s’accrut toujours davantage ; il finit par tuer un frère d’un coup de couteau ; il apostasia et s’enfuit à Naples, où il commit d’autres crimes, et mourut enfin impé­nitent dans un cachot. Ainsi, c’est avec raison qu’un grand serviteur de Dieu disait que, lorsque nous entendons parler de la chute de certains cèdres du Liban, par exemple d’un Salomon, d’un Tertullien, d’un Osius, que tout le monde regardait comme des saints, c’est une preuve qu’ils ne s’étaient pas donnés entièrement à Dieu, qu’ils nourrissaient en eux quelques sentiments d’orgueil, et que c’est pour cela qu’ils ont prévariqué. Tremblons lorsque nous voyons s’élever en nous quelque ambition d’être vus et estimés du monde, et lorsque le monde nous fait quelque honneur, gardons-nous bien de nous y complaire ; ce serait peut-être la cause de notre perte.

Gardons-nous bien surtout des prétendus points d’honneur. Sainte Thérèse disait que celui qui y tient n’aura jamais de vraie spiritualité. Bien des gens font profession de la vie spirituelle ; mais ils sont en même temps idolâtres de leur propre estime. Ils ont une apparence de vertu, mais dans le fond ils conservent le désir d’être loués dans toutes leurs démarches ; quand personne ne les loue, ils veulent paraître meilleurs que les autres, et dès qu’on effleure leur réputation, ils se louent eux-mêmes ; en un mot, ils se troublent, abandonnent la commu­nion, tous leurs exercices de piété, et ne se donnent pas de repos tant qu’ils ne croient pas avoir recouvré l’estime. Mais ce n’est pas ainsi que font ceux qui aiment vraiment Dieu. Non seulement ils évitent tout ce qui peut leur attirer des louanges, mais ils s’attristent de celles qu’on leur donne, et se réjouissent quand on les méprise.

Je ne suis, dit saint François d’Assise, rien de plus que ce que je suis aux yeux de Dieu. À quoi sert-il d’être estimé des hommes si Dieu juge qu’on est méprisable ? Qu’importe que le monde nous méprise, si Dieu nous aime ? Les louanges des hommes ne peuvent nous délivrer de la peine due à nos iniquités, et les blâmes ne peuvent nous enlever le mérite de nos bonnes œuvres. Que nous importe, disait sainte Thérèse, d’être accusés et méprisés par la créature, si à vos yeux, ô mon Dieu, nous sommes grands et sans reproche ? Les saints ne désiraient rien tant que de vivre dans l’obscurité et le mépris. Quel tort, au reste, nous fait-on, lorsqu’on a de nous une mauvaise opinion ? N’est-ce pas elle que chacun doit avoir de soi-même ? Si nous savons que nous sommes méchants, pourquoi prétendrions-nous que les autres nous trouvent bons ?

La vie cachée procure de grands avantages à ceux qui veulent aimer Jésus-Christ de tout leur cœur. Le Seigneur a voulu nous en donner lui-même l’exemple en passant dans l’obscurité les trente premières années de sa vie dans une boutique d’artisan ; les saints, pour éviter l’estime des hommes, sont allés habiter les déserts. Saint Vincent de Paul disait que le désir qu’on parle de nous avec honneur, qu’on loue notre conduite, et qu’on dise que nous réussissons à merveille, est un mal qui nous fait oublier Dieu, qui infecte nos actions les plus saintes, et nuit plus que toute autre chose à notre avancement dans la vie spirituelle.

Voulons-nous donc faire des progrès dans l’amour de Jésus-Christ, nous devons détruire l’amour de notre propre estime. Mais comment ? C’est sainte Marie-Madeleine de Pazzi qui nous l’enseigne : « La vie du désir d’être estimé consiste à jouir d’une bonne réputation auprès de tout le monde ; donc sa mort consiste à se cacher pour n’être connu de personne. Tant qu’on ne sera pas parvenu à cette mort, on ne sera jamais véritable serviteur de Dieu. »

Pour nous rendre agréables aux yeux de Dieu, nous devons renoncer à l’ambition de paraître et de plaire aux hommes, mais surtout au désir de dominer sur les autres. Sainte Thérèse préférait voir brûler son monastère avec toutes ses religieuses plutôt que d’y voir entrer cette maudite ambition ; elle voulait que si jamais il se trouvait dans un de ses monastères une religieuse qui aspirât à être nommée supérieure, elle fut chassée du monastère, ou du moins renfermée pour toujours. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi disait que l’honneur d’une personne spirituelle consiste à occuper partout la dernière place, et à avoir en horreur d’être préférée aux autres. Toute l’ambition d’une âme qui aime Dieu doit être de surpasser toutes les autres en humilité, selon ces paroles de l’Apôtre : Soyez supérieures en humilité. En un mot, celui qui aime Dieu ne doit avoir en vue que Dieu.

Affections et prières

Mon Jésus, donnez-moi l’ambition de vous plaire, et inspirez-moi un profond oubli de toutes les créatures et de moi-même. Que me sert d’être aimé de tout le monde, si je ne le suis de vous, qui êtes l’unique amour de mon âme ? Mon doux Jésus, vous êtes venu sur la terre pour gagner nos cœurs ; si je ne sais vous donner le mien, prenez-le vous-même, remplissez-le de votre amour, et ne permettez pas que je me sépare jamais plus de vous. Je vous ai offensé ; mais maintenant je m’en repens de tout mon cœur, et rien ne m’afflige autant que le souvenir de mes péchés. Je me console en pensant que votre bonté est infinie ; que vous ne refuserez jamais d’aimer un pécheur qui vous aime. Aimable Rédempteur, unique amour de mon âme, je vous ai méprisé, maintenant je vous aime plus que moi-même. Je me donne à vous sans réserve. Je n’ai d’autre désir que celui de vous aimer et de vous plaire. Recevez-le, ce désir, aug­mentez-le, et détruisez en moi tout désir des biens de la terre. Vous êtes trop digne d’être aimé et je vous ai trop d’obligations pour ne pas vous aimer. Me voici, je veux être tout à vous, et pour votre amour je veux souffrir tout ce qu’il vous plaira, puisque c’est pour moi que vous êtes mort sur la croix. Vous voulez que je sois saint, vous pouvez me rendre saint, c’est en vous que je mets toute ma confiance. Et vous, ô Marie, Mère de mon Dieu, j’espère aussi en votre protection.

Chapitre 11
La charité ne cherche pas son profit
Celui qui aime Jésus-Christ
aime à se détacher de toute créature

Celui qui veut aimer parfaitement Jésus-Christ doit bannir de son cœur tout ce qui n’est pas Dieu, tout amour-propre. Il ne doit pas se chercher lui-même, mais seulement ce qui plaît à Dieu. C’est ce que le Seigneur nous commande quand il dit : vous aimerez Dieu de tout votre cœur. Pour aimer Dieu de tout son cœur, il faut : 1° en bannir tout ce qui est terrestre ; 2° le remplir du divin amour. Aussi un cœur qui conserve quelque affection terrestre ne peut être tout à Dieu. Saint Philippe de Néri disait que plus nous aimons la créature, moins nous aimons Dieu. Mais comment peut-on purifier le cœur de toute affection terrestre ? On le purifie par les mortifications et par le détachement de toute créature. Certaines âmes se plaignent qu’elles cherchent Dieu, et ne le trouvent pas ; voici ce que leur répond sainte Thérèse : « Détachez vos cœurs de la créature, et cherchez votre Dieu, vous le trouverez. »

Le mal est qu’il y a des personnes qui veulent se sanctifier, mais à leur manière ; elles veulent aimer Jésus-Christ, mais en suivant leurs inclinations, c’est-à-dire, sans renoncer à leurs amusements, à la vanité dans leurs habits et aux délices de la table ; elles aiment Dieu, mais, si elles ne viennent pas à bout d’obtenir tel emploi, elles vivent dans l’inquiétude ; si on touche à leur réputation, elles s’irritent ; si elles ne guérissent pas de telle maladie, elles perdent la patience. Elles aiment Dieu mais elles conservent l’amour des richesses, des honneurs et des vanités. Elles veulent passer pour nobles, pour sages et pour meilleures que les autres. De telles personnes font oraison ; elles fréquentent les sacrements ; mais comme elles y portent des cœurs pleins d’affections terrestres, elles en tirent peu de fruits. Le Seigneur ne daigne pas même leur parler, parce qu’il voit que ce serait en vain, comme il le dit un jour à sainte Thérèse : Je parlerais à beaucoup d’âmes, mais le monde fait trop de bruit à leurs oreilles pour que ma voix soit entendue. Oh ! si elles s’éloignaient un peu du monde, quel serait leur bonheur ! Celui donc qui est plein d’affections terrestres n’est pas même capable d’entendre la voix de Dieu qui lui parle. Mais malheur à lui ! attaché aux choses sensibles, combien n’est-il pas dangereux qu’un jour il soit aveuglé, qu’il cesse d’aimer Jésus-Christ, et que, pour ne pas perdre des biens passagers, il perde un bien infini et éternel ! Sainte Thérèse disait qu’il est juste que celui qui court après des biens périssables, périsse aussi lui-même.

L’empereur Tibère voulait que le sénat mît Jésus-Christ au nombre des dieux ; mais le sénat s’y refusa en disant que c’était un Dieu orgueilleux, qui voulait être adoré seul et à l’exclusion de tout autre. Cela est très vrai : Dieu veut être seul adoré et aimé de nous, non par orgueil, mais parce qu’il le mérite. Comme il nous aime beaucoup, il demande tout notre amour, et ne souffre pas qu’un autre ait part à des affections qu’il veut toutes pour lui ; il ne veut pas que nous aimions autre chose que lui ; s’il voit qu’une créature possède une partie de notre cœur, il lui porte en quelque sorte envie, comme le dit l’apôtre saint Jacques, parce qu’il ne souffre pas de rivaux, mais qu’il veut être le seul aimé. Le Seigneur appelle son épouse un jardin fermé, parce que l’âme qui l’aime véritablement tient son cœur fermé à tout amour terrestre, pour y conserver seulement celui de Jésus-Christ. Jésus-Christ ne mérite-t-il pas tout notre amour ? Il nous a tant aimés et nous aime tant ! Les saints le comprenaient bien : saint François de Sales disait que s’il eût su qu’il y eût dans son cœur une fibre qui ne fût pas à Dieu, il aurait voulu se l’arracher à l’instant.

David désirait avoir des ailes comme la colombe, c’est-à-dire, un cœur pur et dégagé de toute affection terrestre, pour voler dans le sein de Dieu et s’y reposer. Bien des âmes voudraient aussi se voir tout à fait détachées de la terre, pour voler à Dieu, et elles feraient de grands progrès dans la vertu si elles se détachaient de tout ; mais parce qu’elles conservent dans leur cœur quelque petite affection déréglée, et ne s’efforcent pas d’y renoncer, elles continuent de languir dans leur misère, sans jamais avancer d’un pas dans les voies de la perfection. Saint Jean de la Croix disait : L’âme attachée avec affection à un objet, quelque petit qu’il soit, quand même elle aurait d’ailleurs plusieurs vertus, n’arrivera jamais à l’union parfaite avec Dieu ; car il importe peu que l’oiseau soit lié par un fil fort ou faible, puisque, quelque faible qu’il soit, l’oiseau sera toujours lié tant qu’il ne le rompra pas, et ne pourra jamais voler. Il est affligeant de voir des âmes riches en vertus et en grâces qui, pour ne pas avoir le courage de renoncer à une petite affection, ne peuvent parvenir à l’union divine, tandis qu’il leur suffirait de prendre un élan généreux, capable de rompre le fil qui les retient ; par ce moyen elles acquerraient un trésor infini de grâces, puisque Dieu se communiquerait pleinement à elles.

Celui qui veut que Dieu se donne tout à lui doit se donner tout à Dieu, et c’est pour cela que l’épouse des Cantiques dit : Mon bien-aimé s’est donné tout à moi, et je me suis donnée tout à lui. Jésus-Christ, parce qu’il nous aime beaucoup, veut tout notre amour, et s’il ne l’a pas tout entier, il ne saurait être satisfait. Sainte Thérèse écrivit à une prieure d’un de ses monastères : Faites en sorte d’élever les âmes à un détachement total de créature, parce qu’elles doivent être les épouses d’un roi si jaloux, qu’il veut qu’elles s’oublient elles-mêmes. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi ôta un petit livre de piété à une de ses novices, par la seule raison qu’elle y était trop attachée. Il y a des âmes qui font régulièrement l’oraison mentale, la visite au Saint Sacrement et la communion ; mais, parce qu’elles sont préoccupées de quelque affaire terrestre, elles font peu ou pas de progrès dans la perfection ; et en continuant de vivre ainsi, non seulement elles seront toujours misérables, mais elles sont en danger de tout perdre.

Il faut donc, comme David, prier Dieu qu’il purifie notre cœur de tout attachement, à la terre ; autrement nous ne pourrons jamais être tout à lui. Jésus-Christ l’a dit, pour être son vrai disciple il fait renoncer à tout. Aussi les anciens Pères du désert, lorsqu’un jeune homme se présentait pour être agrégé à leur compagnie, lui demandaient d’abord s’il apportait un cœur bien vide, afin que le Saint-Esprit pût le remplir ; et le Seigneur, parlant un jour à sainte Gertrude, qui le priait de lui faire connaître ce qu’il voulait d’elle, lui dit : Tout ce que je veux de vous, c’est un cœur vide de la créature. Il faut donc dire de grand cœur à Dieu : Seigneur, je vous préfère à tout, à la santé, aux richesses, aux dignités, aux honneurs, aux louanges, aux espérances, aux désirs, et même aux grâces et aux bienfaits que je pourrais recevoir de vous ; en un mot, je vous préfère à tout ce qui n’est pas vous, ô mon Dieu. Tout ce que vous pourrez me donner hormis vous, ô mon Dieu, ne me suffit pas. C’est vous seul que je veux, et rien de plus.

Dès qu’un cœur est vide de la créature, l’amour divin vient le remplir. Sainte Thérèse disait : Éloignez de vos yeux les occasions nuisibles, aussitôt l’âme se tournera vers Dieu, et Dieu l’aimera. Oui, car l’âme ne peut vivre sans aimer, elle doit aimer ou le Créateur ou les créatures : si elle n’aime pas les créatures, elle aimera certainement le Créateur. En un mot, il faut renoncer à tout pour tout gagner. Totum pro toto, dit Thomas a Kempis. Tant que sainte Thérèse nourrissait une affection même pudique envers un de ses parents, elle n’était pas toute à Dieu ; mais lorsqu’elle eut rompu entièrement avec cette affection, elle mérita que Jésus-Christ lui dit : Maintenant, Thérèse, vous êtes toute à moi, et je suis tout à vous. C’est trop peu d’un cœur pour aimer un Dieu si bon et si aimable, qui mérite un amour infini, et nous voudrions partager notre cœur entre lui et les créatures ! Le vénérable Louis Dupont avait honte de dire à Dieu : Seigneur, je vous aime par-dessus toutes choses, plus que les richesses, les honneurs, mes parents et mes amis ; parce qu’il lui semblait dire : Seigneur, je vous aime plus que la boue, le fumier et les vers de la terre.

Le prophète Jérémie dit que le Seigneur est infiniment bon envers celui qui le cherche, c’est-à-dire, envers celui qui ne cherche que Dieu seul. Heureuse perte ! conquête avantageuse ! perdre les biens de la terre, qui ne satisfont pas le cœur et finissent bientôt par acquérir un bien infini et éternel, un Dieu ! On raconte qu’un prince, en chassant, rencontra un pieux solitaire qui marchait dans le bois. Le prince lui demanda qui il était et où il allait. « Et vous, seigneur, lui répondit l’Ana­chorète, que faites-vous dans cette solitude ? – Je fais la chasse aux animaux, lui dit le prince. – Et moi, répliqua le solitaire, je cherche Dieu, » et il continua son chemin. À son exemple, notre seul et unique but en cette vie doit être de chercher Dieu pour l’aimer et faire sa volonté, après avoir banni de notre cœur toute affection à la créature. Lorsque nous sommes tentés d’aimer les biens du monde, disons-nous à nous-mêmes : Que sont les dignités et les grandeurs du monde, sinon de la boue et une fumée qui disparaît à la mort ! Heureux celui qui peut dire : Mon Seigneur Jésus-Christ, j’ai tout laissé pour votre amour ; c’est vous seul que j’aime, et vous seul me suffisez.

Quand l’amour divin possède entièrement une âme, elle se porte d’elle-même, avec le secours de la grâce, à se dépouiller de tous les objets terrestres qui l’empêcheraient d’être toute à Dieu. Saint François disait que, lorsqu’une maison brûle, on jette les meubles par la fenêtre, c’est-à-dire que, lorsqu’une personne se donne toute à Dieu, sans avoir besoin d’y être exhortée par les confesseurs et les prédicateurs, elle cherche d’elle-même à se dépouiller de ses affections terrestres. Le père Segneri le jeune disait que l’amour divin nous dépouille heureusement de tout pour ne nous faire posséder que Dieu. Un homme riche avait renoncé à tous ses biens, et s’était réduit à la pauvreté volon­taire pour l’amour de Jésus-Christ. Un de ses amis lui en demanda la cause : Voici, lui dit-il en tirant de sa poche le livre de l’Évangile, voici celui qui m’a ravi toutes mes richesses. Quand une âme met tout son amour en Dieu, elle méprise tout, richesses, plaisirs, dignités, honneurs, même les sceptres ; elle ne veut autre chose que Dieu ; elle dit et répète sans cesse : Mon Dieu, c’est vous seul que je veux, et rien de plus. Saint François de Sales dit que le pur amour de Dieu consume tout ce qui n’est pas Dieu, pour convertir tout en ce même amour ; car tout ce qui se fait pour l’amour de Dieu est amour.

L’amour divin, lorsqu’il prend possession d’un cœur, l’enivre tellement, qu’il lui fait oublier toutes les créatures. Un homme ivre est comme mort ; il ne voit pas, n’entend pas, ne parle pas : tel est l’état d’une âme enivrée de l’amour divin ; elle n’a presque plus de sens pour les choses de ce monde ; elle ne veut penser qu’à Dieu ; ne parler que de Dieu, n’agir que pour Dieu ; en un mot, elle veut que toutes ses action et tout son amour soient pour Dieu. Dans les saints Cantiques, le Seigneur défend de réveiller sa bien-aimée qui dort ; or, ce doux sommeil de l’âme qui aime Jésus-Christ n’est autre chose, dit saint Basile, qu’un oubli volontaire et habituel de toutes les créatures, pour ne s’occuper que de Dieu, et pouvoir dire avec saint François : Mon Dieu, que sont les richesses, les dignités et les biens du monde ? C’est vous seul, ô mon Dieu, qui êtes tout mon trésor. Ah ! que ne comprenons-nous bien la force de ces mots : Mon Dieu est mon tout ! il n’y a rien de plus doux pour celui qui aime que de les répéter sans cesse. Dieu, de se détacher totalement des créatures ; il faut en particulier que nous renoncions à l’amour déréglé des parents. Jésus-Christ a dit : Celui qui vient a Moi et ne hait pas ses parents ne peut être Mon disciple. Et pourquoi cette haine des parents ? Parce que bien souvent nous n’avons pas de plus grands ennemis de notre âme que nos proches. Saint Charles Borromée avait l’habitude de dire que, lorsqu’il allait chez ses parents, il éprouvait toujours une diminution de piété. Le père Antoine Mendoza, interrogé pourquoi il n’approchait pas de la maison de ses parents, répondit : C’est que je sais par expérience qu’il n’y a pas d’endroit où les religieux perdent plus la dévotion que chez leurs parents.

Quand il s’agit de choisir un état, il est certain que nous ne sommes pas tenus d’obéir aux auteurs de nos jours. Si un jeune homme est appelé à l’état religieux, et que ses parents s’y opposent, il doit préférer la volonté de Dieu à celle de ses parents, qui, pour procurer leurs intérêts personnels, veulent nuire à son bien spirituel. Les parents, dit saint Bernard, consentent à ce que leurs enfants se damnent, pourvu qu’ils n’abandonnent pas la maison.

Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que des pères et des mères qui d’ailleurs vivent dans la crainte de Dieu, n’omettent rien pour entraver la vocation d’un fils qui veut devenir religieux ; cependant, excepté dans quelques cas très rares, on ne peut les excuser de faute mortelle. Mais, dira quelqu’un, ce jeune homme ne pourra-t-il se sauver s’il ne se fait religieux ? Est-ce que tous ceux qui restent dans le monde se damnent ? Je réponds que ceux qui ne sont appelés à l’état religieux se sauveront dans le monde en remplissant les devoirs de leur état, mais que ceux qui y sont appelés et qui n’obéissent pas à la voix de Dieu, bien qu’ils puissent se sauver, se sauveront très difficilement, parce qu’ils seront privés des secours que le Seigneur leur avait préparés dans l’état religieux. Le théologien Habert prétend que celui qui manque sa vocation reste dans l’Église comme un mort hors de sa place, et qu’ainsi il ne peut que très difficilement remplir ses devoirs et se sauver.

Le choix d’état est appelé par le père Grenade la roue principale ; comme dans une horloge, dès que cette roue est dérangée, toutes les autres sont en désordre, de même si l’on manque sa vocation, toute la vie n’est plus qu’un désordre. Combien de pauvres jeunes gens, pour obéir à leurs parents, ont perdu leur vocation, ont fait une mauvaise fin et sont devenus la ruine de leur famille ! Un jeune homme ne se fit pas religieux par respect pour son père ; mais, ayant eu ensuite quelques démêlés avec lui, il le tua de sa propre main, et périt entre les mains de la justice. Un autre jeune homme, placé dans un séminaire, fut appelé à l’état religieux : il ne correspondit pas à sa vocation, abandonna peu à peu tous ses exercices de piété, et se livra enfin à la débauche. Mais une nuit qu’il sortait de chez une femme de mauvaise vie, il fut tué par un rival ; des prêtres accoururent à ses cris pour le secourir, mais il était déjà mort. Combien de tels exemples ne pourrais-je pas citer !

Saint Thomas exhorte ceux qui sont appelés à une vie plus parfaite à ne pas prendre en cela conseil de leurs parents, parce qu’en cette matière ils sont leurs ennemis. Et si les enfants ne sont pas tenus de prendre conseil de leurs parents sur leur vocation, ils seront bien moins tenus de leur demander d’attendre la permission de la suivre, surtout lorsqu’ils auront lieu de craindre qu’ils ne la leur refusent injustement, et qu’ils n’y mettent des obstacles. Saint Thomas d’Aquin, saint Pierre d’Alcantara, saint François-Xavier, saint Louis Bertrand et tant d’autres ont embrassé l’état religieux sans même le faire savoir à leurs parents.

Mais on n’est pas seulement exposé à se perdre, lorsque, pour condescendre à la volonté de ses parents on n’entre pas dans l’état religieux où l’on est appelé ; on court encore le même risque lorsque, pour ne pas déplaire à ses proches, on embrasse l’état ecclésiastique sans y être appelé. Trois signes indiquent qu’on est appelé à cet état sublime : la science, la pureté d’intention, qui consiste à ne chercher que Dieu, et la bonne vie. Le saint concile de Trente ordonne aux évêques de n’élever aux ordres sacrés que ceux qui auront été éprouvés, et dont la conduite est irréprochable. Quoique cela s’entende directement de la preuve extérieure qu’un évêque doit exiger sur la probité d’un ordinand, on ne peut néanmoins douter que le concile exige non seulement la probité extérieure, mais encore l’intérieure sans laquelle la première est illusoire. Le concile dit au chapitre 12 que les ordinands doivent être dignes ; c’est aussi pour éprouver la probité de l’ordinand qu’il prescrit les interstices à chaque ordre. Chaque ordre qu’il reçoit est destiné au suprême ministère de servir Jésus-Christ dans le Sacrement de l’autel ; ainsi, la sainteté d’un ecclésiastique doit surpasser celle d’un religieux. Saint Thomas parle ici spécialement de ceux qui si présentent à l’ordination ; il dit qu’il faut qu’ils soient saints avant qu’on les ordonne, et il montre la différence qu’il y a entre l’état d’un religieux et celui d’un ordinand ; car, dans l’état religieux on se purifie de ses vices, mais pour recevoir les ordres sacrés il faut qu’on soit déjà pur et saint. Saint Thomas déclare encore ailleurs que cette sainteté doit précéder l’ordination ; il l’appelle nécessaire, non seulement pour que celui qui est ordonné exerce dignement son ordre, mais encore pour que l’ordinand soit digne d’être compté parmi les ministres de Jésus-Christ ; il conclut que la grâce du sacrement ne sera pas inutile, mais qu’elle aidera l’ordinand à acquérir de plus grands mérites. Ceux qui reçoivent un ordre sacré sans que leur vie ait été auparavant vraiment bonne ne peuvent être excusés de fautes graves, vu qu’ils montent à un grade sublime sans vocation, car on ne peut dire appelé à Dieu celui qui prend un ordre sacré sans être encore délivré d’une habitude vicieuse, surtout en matière d’impureté ; il ne lui suffit pas d’être assez bien disposé actuellement et assez repentant pour qu’on puisse l’absoudre, et il n’est pas pour cela disposé à recevoir les saints ordres s’il n’a pas mené auparavant et depuis très longtemps une bonne vie ; autrement il commet un péché mortel, à cause de la présomption avec laquelle il se place sans vocation dans le saint ministère, dit saint Anselme, et à cause du grand danger de damnation auquel il s’expose en pareil cas, selon Abelly. Soto assure aussi, en parlant du sacrement de l’ordre, que la sainteté positive dans l’ordinand est de précepte. Sanchez, Holzman, l’école de Salamanque, tous sont du même avis. Ainsi, ce que je viens de dire n’est pas seulement la doctrine d’un docteur particulier, c’est un sentiment commun, fondé sur la doctrine de saint Thomas.

Dans ce cas il y aura péché mortel, non seulement pour l’ordinand qui reçoit les ordres sans avoir la probité requise, mais encore pour l’évêque qui les lui confère sans une preuve suffisante pour être moralement sûr de la bonne conduite de l’ordinand, et pour le confesseur qui absout un habitudinaire qui, sans une longue épreuve de son amendement, veut être promu aux ordres sacrés ; enfin, pour les parents qui, connaissant la mauvaise conduite de leur fils, mettent tout en œuvre pour lui faire prendre les ordres sacrés, afin qu’il soit ensuite l’appui de la famille. Jésus-Christ n’a pas institué l’état ecclésiastique pour aider les maisons des séculiers, mais pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes. Quelques-uns, se représentent l’état ecclésiastique comme un emploi ou un métier honorable et lucratif ; mais ils se trompent. Aussi, lorsque les parents vont prier l’évêque d’ordonner un de leurs enfants qu’on sait être ignorant ou libertin, alléguant que leur famille est pauvre et qu’ils ne savent comment faire pour subsister, l’évêque doit leur répondre : Non, mon enfant, l’état ecclésiastique n’est pas fait pour aider la pauvreté des familles, mais pour procurer le bien de l’Église. Il faut les renvoyer sans plus les écouter ; car de tels sujets causeraient la ruine non seulement de leurs âmes, mais de leur pays.

Pour les prêtres qui vivent dans le sein de leur famille, quand leurs parents les sollicitent de s’occuper moins du saint ministère, et de s’intéresser à augmenter les revenus de leur famille, ils doivent leur répondre ce que le Sauveur répondit à sa sainte Mère : Ne savez-vous pas qu’il faut que je M’occupe des choses qui regardent Mon Père ? Je suis prêtre, mon devoir n’est pas d’amasser de l’argent, de procurer des honneurs, de régir la maison, mais d’être retiré, de faire l’oraison, d’étudier et de secourir les âmes. Quand il est absolument nécessaire d’aider la famille, il doit le faire autant qu’il est en lui, mais sans préjudice de sa propre sanctification et de celle des autres ; c’est là la grande affaire.

Celui qui veut être tout à Dieu ne doit pas désirer d’être estimé du monde. Mais, hélas ! combien n’y en a-t-il pas qui, pour acquérir cette estime, s’éloignent de Dieu, ou même le perdent ! Par exemple, s’ils entendent parler de quelqu’un de leurs défauts, que ne font-ils pas pour se justifier et pour démontrer que c’est une fausseté, une calomnie ! Font-ils quelque bien, ils emploient tous les moyens pour qu’il soit connu de tout le monde, afin d’en être loués. Ce n’est pas ainsi que font les saints. Ils voudraient que le monde connût leurs défauts, pour être réputés aussi misérables qu’ils le sont à leurs propres yeux ; ils voudraient, au contraire, que leurs vertus fussent connues de Dieu seul, auquel ils désirent uniquement de plaire. Voilà pourquoi ils aiment tant la vie obscure et cachée ; c’est qu’ils veulent obéir au Sauveur, qui nous ordonne de faire l’aumône et de prier en secret.

Il faut surtout se détacher de soi-même, c’est-à-dire, de sa propre volonté. Celui qui vient à bout de se vaincre lui-même n’aura pas de peine à vaincre toutes les autres répugnances ; c’était l’avis que saint François-Xavier donnait le plus souvent, parce que Jésus-Christ a dit : Que celui qui veut venir a Ma suite renonce a lui-même. Voilà le précis de ce que nous devons faire pour devenir saints : renoncera à nous-mêmes, et ne pas suivre notre propre volonté. Saint François d’Assise dit que c’est là le plus grand don qu’on puisse recevoir de Dieu. Saint Bernard assure que si tous les hommes renonçaient à leur propre volonté, il n’y aurait jamais personne de damné ; la propre volonté rend défectueuses même les bonnes œuvres. Si, par exemple, un pénitent voulait faire quelque mortification contre la volonté de son père spirituel, cette mortification, provenant de l’amour-propre, serait défectueuse. Malheur à celui qui vit esclave de sa propre volonté ! Il désirera bien des choses qu’il ne pourra obtenir, et il se verra forcé d’en souffrir qui lui seront désagréables. Le premier ennemi que nous ayons, c’est la chair : ôtons-en l’occasion, mortifions nos yeux, recom­mandons-nous à Dieu, et la guerre cessera. Le second ennemi, c’est la cupidité des richesses : aimons la pauvreté, et la guerre cessera. Le troisième, c’est l’ambition : aimons l’humilité et la vie cachée, et la guerre cessera. Le quatrième, et le plus dange­reux de tous nos ennemis, c’est la propre volonté : résignons-nous à la volonté de Dieu, et la guerre cessera. Saint Bernard dit que lorsqu’on est troublé, c’est parce qu’on ne peut pas satisfaire alors sa propre volonté. Le Seigneur s’en plaignit à sainte Marie-Madeleine de Pazzi, en lui disant : Il y a des âmes qui veulent avoir mon esprit ; mais comme elles le veulent en la manière qu’il leur plaît, elles se rendent inhabiles à le recevoir.

Il faut donc aimer Dieu, mais l’aimer comme il lui plaît, et non pas comme il nous plaît à nous-mêmes. Dieu veut que l’âme soit dépouillée de tout, afin de pouvoir l’unir à lui et la remplir de son amour. Sainte Thérèse dit à ce propos : l’oraison d’union ne me paraît être autre chose qu’une mort totale aux choses de ce monde, pour ne goûter que Dieu. Ce qu’il y a de certain, c’est que plus nous nous détacherons des créatures pour l’amour de Dieu, plus il nous remplira de son amour et nous unira à lui. Bien des personnes voudraient parvenir à la parfaite union avec Dieu ; mais elles ne voudraient souffrir ni les adversités, ni les maladies, ni la pauvreté, ni les affronts ; cependant, tant qu’elles ne seront pas résignées à la volonté de Dieu, elles n’arriveront pas à cette parfaite union. Sainte Catherine de Gênes dit que, pour arriver à l’union avec Dieu, il faut éprouver des adversités. Dieu nous les envoie pour nous purifier de toutes nos mauvaises inclinations intérieures et extérieures. Ainsi, le mépris, les maladies, la pauvreté, les tentations, tout cela nous est extrêmement nécessaire pour combattre et vaincre toutes nos passions, et pour éteindre en nous, à force de victoires, tout sentiment contraire à la loi de Dieu. Tant que les adversités ne nous paraîtront pas douces en vue de Dieu, nous n’arriverons pas à cette divine union.

Saint Jean de la Croix dit que pour arriver à la parfaite union avec Dieu, il faut pratiquer une entière mortification des sens et des appétits. Quant aux sens, rejeter tout de suite tout plaisir qui ne serait pas en vue de la gloire de Jésus-Christ : par exemple, s’il nous vient le désir de voir ou d’entendre quelque chose qui ne servirait pas à nous unir davantage à Dieu, y renoncer. Quant aux appétits, se porter toujours à ce qu’il y a de plus pénible, de plus désagréable et de plus pauvre, sans désirer autre chose que souffrir et être méprisé. En un mot, celui qui aime véritablement Jésus-Christ perd l’affection à tous les biens du monde, et cherche à se dépouiller de tout pour se tenir seulement uni à Jésus-Christ. Tous ses désirs se portent vers Jésus, il pense toujours à Jésus, il soupire toujours pour Jésus, et c’est seulement à Jésus qu’il veut plaire en tout temps, en tout lieu et en toute occasion ; mais, pour arriver à ce point, il faut continuellement penser à Dieu et bannir de son cœur toute affection qui n’est pas pour Dieu. Que doit donc faire une âme pour se donner toute à Dieu ? Elle doit : 1° éviter tout ce qui déplaît à Dieu, et faire tout ce qui lui est agréable ; 2° accepter sans exception tout ce que Dieu envoie, quelque dur, quelque désagréable qu’il soit ; 3° préférer en tout la volonté de Dieu à la sienne : voilà comment on est tout à Dieu.

Affections et prières

Mon Dieu et mon tout, je sens que, nonobstant mes ingratitudes et mes négligences, vous continuez à m’appeler à votre amour. Me voici, je ne vous résisterai plus. Je renonce à moi-même et à ma propre volonté. Ah ! que n’avez-vous pas fait pour vous faire aimer de moi ! Oui, je vous aime. Mon âme s’est enflammée d’amour pour vous, ô mon doux Jésus ; c’est après vous qu’elle soupire. Comment ne vous aimerais-je pas après vous vu mourir de douleur sur une croix pour mon salut ? Comment pourrais-je vous voir sur cet arbre de souffrances, et ne pas vous aimer de tout mon cœur ? Oui, je vous aime de toute mon âme, et je n’ai pas d’autre désir que celui de vous aimer en cette vie et pendant l’éternité. Ô mon Dieu, mon amour, mon espérance, ma force et ma consolation, faites que je vous sois fidèle. Éclairez-moi, afin que je connaisse ce que je dois arracher de mon cœur, et donnez-moi la force de l’exécuter, car je veux vous obéir en tout, divin Époux de mon âme. Je m’offre et me donne tout à vous pour satisfaire au désir que vous avez de vous unir à moi, et afin de m’unir aussi tout à vous, ô mon Dieu et mon tout. Ah ! venez, ô mon Jésus ! prenez possession de tout mon être, et fixez en vous toutes mes pensées et toutes mes affections. Je renonce à toutes mes inclinations, à toutes les consolations, à toutes les créatures, vous seul me suffisez. Donnez-moi la grâce de ne penser à rien d’autre qu’à vous, de ne désirer que vous, et de ne travailler que pour vous, ô mon amour et mon tout. Et vous, ô Marie, mère de mon Dieu, obtenez-moi la persévérance.

Chapitre 12
La charité ne s’irrite pas
Celui qui aime Jésus-Christ ne s’irrite jamais contre son prochain

La vertu qui fait qu’on ne s’emporte pas lorsqu’on est contrarié, naît de la mansuétude. Nous avons déjà parlé dans les chapitres précédents des actes qui ont rapport à la mansué­tude ; mais comme c’est une vertu qu’on doit continuellement exercer ici-bas, nous donnerons encore quelques détails plus spéciaux et plus pratiques.

L’humilité et la mansuétude furent les vertus favorites de Jésus-Christ ; aussi nous a-t-il dit d’apprendre de lui à être humble et doux. Notre Rédempteur fut appelé agneau, tant à cause du sacrifice de la croix qu’à cause de la douceur toute particulière qu’il montra durant sa vie, mais surtout pendant sa passion. Lorsque chez Caïphe il reçut un soufflet et fut traité de téméraire, Jésus ne fit que répondre : Si J’ai mal parlé, montre-le ; si J’ai bien parlé, pourquoi Me frappez-vous ? Jésus exerça cette douceur jusqu’à la mort. Lorsqu’il était sur la croix, qu’on l’insultait et qu’on blasphémait son saint Nom, il priait Dieu son Père de pardonner.

Oh ! Qu’ils sont agréables à Jésus les cœurs humbles et doux qui savent supporter les affronts, les dérisions, les calom­nies, les persécutions et même les coups et les blessures, sans se mettre en colère contre ceux qui les outragent ou qui les frappent ! La prière de celui qui est doux est toujours agréable à Dieu, c’est-à-dire, qu’elle est toujours exaucée. Dieu promet spécialement le paradis à ceux qui sont doux. Le P. Alvarez dit que le ciel est la patrie de ceux qui sont ici-bas méprisés et foulés aux pieds ; oui, parce que c’est à eux et non à l’homme superbe, estimé et honoré du monde, qu’est réservée la posses­sion du royaume éternel. David dit que ceux qui sont doux, non seulement obtiendront l’éternité bienheureuse, mais qu’ils goûteront ici-bas une paix inaltérable. Les saints ne conservent aucun ressentiment contre celui qui les maltraite, mais il l’aiment plus qu’auparavant ; et, pour prix de leur patience, le Seigneur augmente leur paix intérieure. Quand quelqu’un parle mal de moi, disait sainte Thérèse, il me semble que je lui porte une nouvelle affection. On lit dans l’acte de canonisation de cette sainte que les injures devenaient un titre pour se faire aimer d’elle. On ne peut arriver à une telle mansuétude sans avoir une grande humilité, une basse opinion de soi-même, et sans se croire digne de toute sorte de mépris : car, pourquoi l’homme superbe est-il toujours colère et vindicatif ? c’est qu’il a une haute opinion de lui-même et se croit digne de toutes sortes d’honneurs.

Il faut donc mourir dans le Seigneur pour être heureux et pour commencer à goûter la félicité dans cette vie ; j’entends la félicité qu’on peut avoir sur la terre, félicité qui, quoique de beaucoup inférieure à celle du ciel, est néanmoins telle, disait l’Apôtre à ses disciples, qu’elle l’emporte sur tous les plaisirs sensibles. Mais, encore une fois, pour obtenir cette paix au milieu même des affronts et des calomnies, il faut être mort dans le seigneur ; celui qui est mort ne sent aucun mauvais traitement. Ainsi celui qui est doux, à l’exemple d’un mort, qui ne voit pas et qui est insensible, doit souffrir tous les mépris. Celui qui aime véritablement Jésus-Christ parvient à cet état, puisque, tout résigné à sa sainte volonté, il reçoit avec la même paix et la même égalité d’âme la prospérité et l’adversité, les consolations et les afflictions, les louanges et les injures. C’est ainsi que faisait l’Apôtre ; il disait ensuite : Je surabonde de joie au milieu de mes tribulations. Heureux celui qui arrive à ce degré de vertu ! Il goûte une paix continuelle, beaucoup plus précieuse que tous les biens de ce monde. Saint François de Sales disait : Que vaut tout le monde comparé avec la paix du cœur ? Et, en vérité, à quoi servent tous les honneurs du monde pour celui qui vit inquiet et qui n’a pas le cœur en paix ?

Pour demeurer toujours unis à Jésus-Christ, il faut que nous conservions en tout la paix de l’âme, sans nous laisser troubler par les adversités qui nous surviennent. Le Seigneur n’habite pas dans un cœur livré au trouble. Écoutons les belles leçons de mansuétude que nous donne saint François de Sales : Ne vous livrez jamais à la colère, dit-il, et ne lui permettez jamais l’entrée de votre cœur, sous quelque prétexte que ce soit ; car, une fois qu’elle y est parvenue, il n’est plus en notre pouvoir de l’en chasser, ou de la modérer à notre gré. Les remèdes sont : 1° de la repousser sur-le-champ, en pensant à d’autres choses et en gardant le silence ; 2° de faire comme autrefois les Apôtres, lorsqu’ils furent surpris sur mer par la tempête ; 3° si vous avez eu la faiblesse de vous laisser emporter à la colère, faites tout votre possible pour vous calmer ; humiliez-vous ensuite, et parlez avec douceur et bonté à celui qui vous a offensé ; faites-le avec suavité et sans violence, car il importe beaucoup de ne pas irriter les plaies. Le même saint disait qu’il avait eu beaucoup à travailler pour surmonter deux passions qui prédominaient en lui, savoir ; la colère et l’amour. Quant à la première, il avouait qu’il lui avait fallu la combattre pendant douze ans pour la dompter ; il changea l’objet de la seconde en se détachant des créatures pour donner à Dieu tout son amour. Par ce moyen le saint acquit une paix intérieure si profonde, qu’il la montrait au dehors par la continuelle sérénité de son visage.

Lorsqu’on est agité par la colère, on espère se soulager en la montrant par les paroles et par les actions ; mais on ne fait qu’augmenter le trouble. Pour se conserver dans une paix continuelle, qu’on se garde bien d’être de mauvaise humeur ; si quelquefois on s’y trouve disposé, il s’en faut délivrer aussitôt par une lecture agréable, par un cantique ou par une conver­sa­tion. L’Esprit-Saint a dit : La colère trouve place dans le cœur de l’insensé, et elle y réside longtemps ; mais si elle se glisse furtivement dans le cœur du vrai sage, elle en est bientôt bannie, sans pouvoir s’y arrêter. Une âme qui aime véritablement Jésus-Christ n’est jamais de mauvaise humeur, parce que, n’ayant pas d’autre volonté que celle de Dieu, elle a toujours ce qu’elle veut, et par conséquent elle est toujours tranquille ; la volonté de Dieu la calme dans toutes les adversités ; ainsi, elle est toujours douce et affable envers tout le monde. Mais cette douceur, on ne peut l’obtenir sans un grand amour envers Jésus-Christ. En effet, l’expérience nous apprend que nous ne sommes jamais plus charitables envers les autres que lorsque nous nous sentons plus de tendresse et d’amour envers Jésus-Christ.

Mais comme nous n’éprouvons pas toujours cette tendresse, nous devons, dans l’oraison mentale, nous disposer à souffrir tout ce qui pourrait nous arriver de pénible. C’est ainsi qu’ont fait les saints, et ils se sont ensuite trouvés disposés à recevoir avec douceur et patience les injures et les mauvais traitements. Si nous ne nous prémunissons pas ainsi contre les adversités, nous ne saurons pas nous dompter dans l’occasion. La passion nous persuadera qu’il faut repousser l’injure par l’injure. Le feu dont le prochain est dévoré ne peut être éteint par une réponse piquante et colérique, qui n’est propre qu’à augmenter l’in­cendie. Mais, dira quelqu’un, il n’est pas raisonnable d’user de douceur avec un téméraire qui nous offense sans motif. Saint François de Sales répond qu’il faut employer la douceur non seulement avec la raison, mais contre la raison.

Dans ce cas, il faut tâcher de parler avec bonté ; c’est le moyen d’éteindre le feu ; mais, lorsqu’on se sent troublé, il est mieux de se taire. Car l’œil que l’indignation aveugle ne voit plus ce qui est injuste ; la passion est comme un voile qui nous couvre les yeux, et ne nous permet plus de discerner ce qui est droit d’avec ce qui ne l’est pas ; ainsi, il faut que nous fassions avec notre langue le pacte que saint François de Sales avait fait avec la sienne, savoir, de ne pas parler lorsque le cœur est troublé.

Mais, dira-t-on, il paraît quelquefois nécessaire, pour réprimer l’insolence, de s’exprimer avec sévérité. David dit : Mettez-vous en colère, et ne péchez pas. Il est donc quelquefois permis de se mettre en colère, pourvu qu’on le fasse sans pécher. C’est en cela que consiste la difficulté. En spéculation, il paraît quelquefois convenable de parler ou de répondre fortement à certaines personnes pour les faire rentrer en elles-mêmes ; mais en pratique, il est très difficile de le faire sans quelque faute de notre part ; ainsi, le plus sûr est d’avertir ou de répondre toujours avec douceur, et de se tenir en garde contre l’animosité. Saint François de Sales déclarait qu’il ne s’était jamais livré au ressentiment sans qu’il s’en fût ensuite repenti. Profitons de cet aveu, et, lorsque nous nous sentons émus, le plus sûr est de nous taire, de différer l’avis ou la réponse à un temps plus opportun, c’est-à-dire, lorsque le cœur ne sera plus agité.

C’est surtout lorsque nous sommes repris par nos supé­rieurs et par nos amis que nous devons exercer la mansuétude. Saint François de Sales dit que celui qui est docile aux correc­tions montre par là qu’il aime les vertus contraires aux défauts dont on le reprend, et qu’il fait des progrès dans la perfection. Il faut aussi que nous soyons doux envers nous-mêmes. Le démon nous fait entendre qu’il est louable de se mettre en colère contre soi-même lorsqu’on commet quelque faute ; mais il ne veut par là que nous jeter dans le trouble, et nous rendre incapables de faire le bien. Saint François de Sales disait à ce sujet : Soyez persuadés que toutes les pensées qui nous troublent ne viennent pas de Dieu, qui est le prince de la paix, mais elles viennent, ou du démon, ou de l’amour-propre, ou de l’estime que nous avons de nous-mêmes. Voilà les trois sources de tous nos troubles. C’est pourquoi, lorsqu’il nous vient de telles pensées, il faut aussitôt les rejeter et les mépriser.

Nous n’avons jamais plus besoin de la douceur que lorsque nous sommes obligés de faire quelque réprimande aux autres. Les corrections faites avec un zèle amer sont souvent plus nuisibles qu’utiles, spécialement lorsque celui à qui on les fait est troublé ; il faut attendre qu’il soit apaisé. Nous devons encore nous abstenir de reprendre les autres lorsque nous sommes de mauvaise humeur, parce qu’alors le délinquant, se voyant repris avec aigreur, fera peu de cas d’une réprimande faite par passion. Cette règle concerne le bien du prochain ; quant au nôtre propre, faisons voir que nous aimons Jésus-Christ, en supportant en paix et avec joie les mauvais traitements, les injures et les mépris.

Affections et prières

Mon doux Jésus, la joie de mon âme, vous qui avez été l’objet de la fureur et du mépris des hommes, combien votre exemple nous a rendus aimables le mépris et les souffrances ! Je vous promets de souffrir désormais toutes sortes d’outrages pour votre amour. Donnez-moi la force d’exécuter une si belle résolution, faites-moi connaître et pratiquer tout ce que vous voulez de moi. Mon Dieu et mon tout, je ne veux chercher aucun bien hors de vous, qui êtes un bien infini. Vous qui prenez tant de soin pour mes intérêts, faites que je n’aie d’autre soin que celui de vous plaire. Faites que toutes mes pensées ne tendent qu’à éviter tout ce qui vous offense, et à vous plaire en toutes choses. Éloignez de moi toute occasion qui pourrait me détourner de votre amour. Je me dépouille de ma liberté, et je vous la consacre pour toujours. Je vous aime, ô Bonté infinie ! je vous aime, ô mon Bien-Aimé ! Verbe incarné, je vous aime plus que moi-même. Ayez pitié de moi, et guérissez les plaies que le péché a faites à mon âme. Je m’abandonne tout à vous, ô mon Jésus ; je veux n’être qu’à vous ; je veux souffrir tout pour vous, je ne veux d’autre bien que vous. Vierge sainte, Mère de mon Sauveur et la mienne, ô Marie, je vous aime, et je mets en vous toute mon espérance ; secourez-moi par votre puissante intercession.

Chapitre 13
La charité ne pense pas au mal, ne se réjouit pas de l’iniquité, mais se réjouit de la vérité
Celui qui aime Jésus-Christ ne veut rien d’autre que ce que veut Jésus-Christ

La charité est toujours unie à la vérité ; connaissant que Dieu est le seul vrai bien, elle abhorre l’iniquité, qui est contraire à la volonté divine, et elle se complaît uniquement en la volonté de Dieu. Voilà pourquoi l’âme qui aime Dieu se soucie peu de ce qu’on dit d’elle, et ne pense qu’à plaire au Seigneur. Personne n’est mieux avec Dieu que celui qui s’occupe de satisfaire à la vérité, et qui ne fait aucun cas de ce que les hommes pensent ou font à cet égard.

Nous avons dit plus haut que toute la sainteté et la perfection d’une âme consiste à vivre dans une entière abnégation d’elle même, et à ne suivre que la volonté de Dieu. Il faut développer cette vérité. Voulons-nous donc nous sanctifier, ne suivons jamais notre propre volonté, mais toujours celle de Dieu, car tous les préceptes et les conseils divins se réduisent, en substance, à faire et à souffrir tout ce que Dieu veut, et de la manière que Dieu le veut. Prions le Seigneur de nous donner la sainte liberté d’esprit, liberté qui nous porte à embrasser tout ce qui plaît à Jésus-Christ, nonobstant toute répugnance de l’amour-propre ou du respect humain. L’amour de Jésus-Christ met dans une indifférence totale ; le doux, l’amer, tout est égal ; on ne veut rien de ce qui plaît à soi-même ; on veut tout ce qui plaît à Dieu ; on s’emploie avec la même satisfaction aux choses petites ou grandes, à ce qui est agréable ou à ce qui ne l’est pas : il suffit qu’on plaise à Dieu, et tout est bon.

Saint Augustin dit : Aimez Dieu, et faites ce que vous voulez. Celui qui aime véritablement Dieu n’aspire qu’à plaire à Dieu, et met tout son plaisir à le servir fidèlement. Celui qui ne cherche qu’à contenter son bien-aimé, disait sainte Thérèse, veut tout ce qui lui fait plaisir. Telle est la force de l’amour : lorsqu’il est parfait, il porte à oublier les avantages et les satisfactions personnelles, pour ne penser qu’à satisfaire et à faire honorer celui qu’on aime. Tout notre malheur, ô mon Dieu, est de ne pas vous aimer assez. Ah ! si dans toutes nos démarches nous n’avions en vue que vous, nous arriverions bientôt au terme ; mais nous tombons, nous bronchons à chaque instant, et nous nous égarons même, parce que nous ne considérons pas le vrai chemin. Ainsi l’unique but de toutes nos pensées, nos action, nos désirs et nos prières doit être de plaire à Dieu, et la voie qui doit nous mener à la perfection consiste à suivre en tout la volonté de Dieu.

Dieu veut que chacun de nous l’aime de tout son cœur : or, on aime Jésus-Christ de tout son cœur quand on lui dit sincèrement avec l’Apôtre : Seigneur, faites-moi connaître ce que vous voulez de moi, je suis prêt à le faire. Soyons sûrs que, quand nous voulons ce que Dieu veut, c’est notre plus grand bien que nous voulons ; car Dieu veut ce qui nous est le plus avantageux. Saint Vincent de Paul disait : La conformité à la volonté de Dieu est le trésor du chrétien et le remède à tout mal, parce qu’elle renferme l’abnégation de soi-même, l’union avec Dieu et toutes les vertus. Voilà donc le précis de la perfection. Le Sauveur a dit qu’il ne tomberait pas un cheveu de notre tête sans la volonté céleste, c’est-à-dire, qu’il nous paye amplement de tout ce que nous pouvons perdre ou souffrir pour nous conformer à sa sainte volonté et pour lui plaire. Sainte Thérèse dit que le seigneur ne nous envoie jamais une affliction sans la payer par quelque faveur si nous souffrons avec résignation.

Mais notre conformité à la volonté divine doit être entière et sans réserve, et constante sans interruption. Voilà le comble de la perfection, et ce qui doit être le but de toutes nos actions, de tous nos désirs et de toutes nos prières. En lisant les ravissements et les extases de sainte Thérèse, de saint Philippe de Néri et d’autres saints, on désire quelquefois parvenir à ces unions surnaturelles. Ces désirs sont contraires à l’humilité, et doivent être rejetés. Nous serons saints si notre volonté est entièrement unie à celle de Dieu. On se trompe, disait sainte Thérèse, quand on croit que l’union avec Dieu consiste en extases, en ravissements et en consolations intérieures. Cette union ne consiste qu’à soumettre notre volonté à celle de Dieu ; et cette soumission est parfaite quand notre volonté se trouve détachée de tout et absolument unie à celle de Dieu, en sorte que tout en nous soit dirigé par la volonté suprême. Voilà l’union véritable et essentielle que j’ai toujours désirée et que je demande continuellement au Seigneur. Tel était le langage de cette grande sainte, tel est aussi le nôtre. Souvent nous disons : Seigneur, je vous consacre toute ma volonté ; je ne veux que ce que nous voulez ; mais qu’il nous arrive quelque contrariété, oh ! alors nous ne savons plus ce que c’est que la résignation à la volonté de Dieu ; nous nous plaignons d’avoir tous les maux en partage, et nous rendons nous-mêmes malheureux.

Si dans toutes nos adversités nous nous résignions parfaite­ment à la volonté divine, nous nous sanctifierions et nous serions les plus heureux des hommes. Mettons donc toute notre attention à nous y conformer dans tout ce qui nous arrive d’agréable ou de désagréable, selon l’avis de l’Esprit-Saint. On en voit qui, semblables à des girouettes, changent souvent : ils sont doux et gais dans la prospérité, impatients et tristes dans l’adversité ; ils n’arrivent jamais à la perfection, et vivent malheureux, parce que les adversités sont plus fréquentes que les prospérités. Sainte Dorothée disait que recevoir avec la même égalité d’âme tout ce que Dieu nous envoie, c’est un grand moyen pour conserver la paix du cœur. Les anciens Pères du désert n’étaient ni colères ni tristes, parce que tout ce qui leur arrivait, ils le prenaient avec joie comme venant des mains du Seigneur. Heureux celui qui vit dans une entière conformité à la volonté divine ! Il ne s’enfle pas de ses succès et il n’est pas abattu par les disgrâces : il sait que tout part également de la main de Dieu. La volonté de Dieu étant la seule règle de ses désirs, il ne fait que ce que Dieu veut, et il ne veut que ce que Dieu fait. Il n’entreprend pas beaucoup de choses ; mais il s’applique à bien faire ce qu’il sait être agréable à Dieu. Ainsi, il préfère les plus petites obligations de son état aux actions les plus grandes et les plus glorieuses : car il voit que l’amour-propre peut avoir une part dans celles-ci, au lieu que dans les premières il n’y a certainement que la volonté de Dieu.

Nous serons heureux si nous nous soumettons à toutes les dispositions de Dieu à notre égard, sans regarder si elles sont conformes ou contraires à notre goût. Sainte Chantal disait : Quand viendrons-nous à bout de recevoir avec plaisir tout ce qui nous arrive, en n’y considérant que la volonté de Dieu, qui nous envoie les prospérités et les adversités par amour et pour notre plus grand bien ? Quand nous abandonnerons-nous entièrement entre les bras de notre Père céleste, qui nous aime tant, lui laissant le soin de nos âmes et de nos affaires, sans nous réserver autre chose que le désir de lui plaire ? Les amis de saint Vincent de Paul avaient coutume de dire que M. Vincent était toujours Vincent ; car, dans toutes les circons­tances il conservait la même sérénité et la même douceur ; il s’était entièrement abandonné à Dieu ; il ne craignait rien, et ne voulait que ce qui plaisait à Dieu. C’est dans ce saint abandon, disait sainte Thérèse, que s’engendre cette belle liberté d’esprit que possèdent les âmes parfaites, et qui leur procure toute la félicité qu’on peut désirer en cette vie ; car, lorsqu’on ne craint rien, qu’on ne veut rien et qu’on ne possède rien de tout ce que est au monde, on possède tout.

Bien des gens, au contraire, accommodent la sainteté à leurs inclinations. Sont-ils mélancoliques, ils cherchent la solitude ; ont-ils du goût pour la vie active, ils se livrent à la prédication, aux affaires ; sont-ils d’une humeur âpre, ils prati­quent des austérités, des mortifications ; aiment-ils la libéralité, ils font des aumônes ; d’autres s’adonnent aux prières vocales ou au pèlerinages, et c’est en ces exercices qu’ils font consister toute leur sainteté. Les œuvre extérieures sont des fruits de l’amour qu’on a pour Jésus-Christ ; mais le véritable amour consiste dans une entière abnégation de soi-même et une conformité totale à la volonté du Seigneur ; alors on choisit ce qui plaît davantage à Dieu, et uniquement parce qu’il le mérite.

On dit que l’on veut servir Dieu, mais c’est dans l’emploi, dans le lieu, avec les personnes et dans les circonstances qui sont agréables ; autrement on abandonne l’œuvre, ou elle n’est faite qu’avec dégoût. Dans ce cas, on n’est pas libre d’esprit, mais esclave de l’amour-propre ; on mérite peu, on vit dans l’inquiétude, parce qu’on est attaché à sa propre volonté, et l’on trouve pesant le joug de Jésus-Christ. Ceux qui aiment véritablement Jésus-Christ n’aiment que ce qui lui plaît et parce qu’il lui plaît ; ils l’aiment dans le temps, et dans le lieu, et en la manière que Jésus-Christ, le veut, soit qu’il les occupe à des choses honorables ou basses, soit qu’il les place dans une position brillante ou obscure. Voilà ce que produit le véritable amour de Jésus-Christ, que nous devons chercher à tout, prix, en combattant les insinuations de l’amour-propre, qui ne voudrait que des occupations glorieuses ou de son goût. À quoi sert-il d’être comblé d’honneurs, de richesses en ce monde, contre la volonté de Dieu ? Le bienheureux Henri disait : J’aimerais mieux être un vil insecte, si telle était la volonté de Dieu, qu’un Séraphin par un effet de ma propre volonté.

Plusieurs diront, au jour du jugement : Seigneur, n’avons-nous pas, en votre Nom, prophétisé, chassé les démons, et produit beaucoup de grandes actions ? Mais le seigneur leur répondra : Retirez-vous, vous n’avez jamais été mes disciples ; c’était votre amour-propre, et non ma volonté, que vous suiviez sur la terre. Cet avis est spécialement adressé aux prêtres qui travaillent beaucoup pour le salut des âmes, mais qui demeu­rent toujours dans le bourbier de leurs propres imperfections. La perfection consiste : 1° dans un vrai mépris de soi-même ; 2° dans l’entière mortification de sa propre volonté ; 3° dans une parfaite conformité à la volonté de Dieu. Celui qui n’a pas ces trois vertus est hors de la voie de la perfection. C’est pourquoi un grand serviteur de Dieu avait coutume de dire qu’il vaut mieux se proposer pour but de ses actions la volonté de Dieu que sa gloire ; car, en faisant sa volonté nous procurons aussi sa gloire, au lieu qu’en voulant travailler pour la gloire de Dieu, nous nous trompons souvent, et nous faisons notre propre volonté, sous prétexte de la gloire de Dieu. Saint François de Sales fait observer que bien des gens disent à Dieu : Seigneur, je me donne à vous sans réserve ; mais qu’il y en a peu qui l’exécutent ! Cet abandon total de soi-même à Dieu consiste à recevoir avec une certaine indifférence tous les événements que la divine Providence nous ménage, les afflictions aussi bien que les consolations, les mépris et les opprobres aussi bien que l’honneur et la gloire.

C’est donc dans l’adversité et les souffrances que l’on connaît si l’on aime véritablement Jésus-Christ. Celui-là, dit Thomas a Kempis, n’aime pas véritablement Jésus-Christ, que n’est pas disposé à tout souffrir pour son amour et à suivre sa volonté en toutes choses. Celui, au contraire, disait le Père Alvarez, qui est résigné dans ses souffrances s’avance à grands pas vers la perfection. Quel plus grand bonheur peut-on goûter que d’avoir quelque certitude que l’on plaît à Dieu ? Or, on n’est jamais plus sûr de plaire à Dieu qu’en embrassant avec résignation les croix qu’il nous envoie. Dieu aime qu’on le remercie de ses bienfaits ; mais un Dieu soit béni prononcé dans l’adversité, est préférable à mille actions de grâces dans la prospérité.

Il ne suffit pas de recevoir avec résignation les adversités qui nous viennent directement de Dieu, comme les maladies, le peu de talent, les pertes considérables ; il faut aussi se résigner à celles qui ne viennent qu’indirectement de Dieu et directe­ment des hommes, comme les persécutions, les vols, les injures ; car les unes et les autres viennent toujours de Dieu. Séméï insulta David et lui jeta des pierres ; on voulait faire mourir Séméï ; mais David répondit : Laissez-le dire, car le Seigneur permet qu’en punition de mes péchés, il me charge d’injures et d’outrages.

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi disait que toutes nos prières et nos oraisons ne doivent avoir pour but que d’obtenir de Dieu la grâce de suivre en tout sa sainte volonté. Il y a des âmes qui ne cherchent dans leurs oraisons qu’à éprouver des sentiments tendres et agréables ; mais les âmes fortes et qui désirent véritablement d’être tout à Dieu, n’y cherchent qu’à connaître la volonté du Seigneur et à obtenir la force de la remplir parfaitement. Pour arriver au parfait amour, il faut soumettre en tout sa volonté à celle de Dieu. Ne croyez pas, disait saint François de Sales, être arrivés au parfait amour tant que votre volonté n’est pas, même dans les choses les plus répugnantes, soumise entièrement et avec joie à la volonté de Dieu. Car, dit sainte Thérèse, le don que nous lui faisons de notre propre volonté fait que Dieu s’abaisse et s’unit à nous. Mais nous ne pourrons jamais obtenir cette union que par l’occasion de l’oraison mentale, par les prières continuelles et par un désir sincère d’être entièrement et sans réserve à Jésus-Christ.

Ô Cœur très aimable de mon sauveur, Cœur plein d’amour pour les hommes, puisque vous nous aimez avec tant de tendresse, Cœur digne de régner pleinement sur nos cœurs, que ne puis-je faire connaître à tout le monde l’amour que vous avez pour nous et les faveurs dont vous comblez les âmes qui vous aiment sans réserve ! Agréez, ô mon Jésus, l’offrande et le service que je vous fais aujourd’hui de toute ma volonté. Faites-moi connaître tout ce que vous voulez de moi ; je suis prêt à le faire, moyennant votre sainte grâce.

Affections et prières

Aimable Jésus, Divin Rédempteur de mon âme, puisque vous êtes descendu du ciel pour vous donner tout à moi, que puis-je chercher sur la terre et dans le ciel hors de vous, ô mon Dieu, qui êtes le souverain Bien, l’unique Bien digne d’être aimé ! Soyez donc le seul Maître de mon cœur, possédez-le tout entier ; que mon âme n’aime que vous ; qu’elle n’obéisse et ne cherche à plaire qu’à vous. Je n’envie pas aux autres les richesses de la terre, c’est vous seul que je veux ; c’est vous qui êtes et qui serez mon trésor en cette vie et dans l’éternité. Je vous donne, ô mon Jésus, tout mon cœur et toute ma volonté ; elle vous fut autrefois rebelle, mais maintenant je vous la consacre entièrement. Faites-moi connaître ce que vous demandez de moi. Je suis prêt à le faire, moyennant votre sainte grâce. Disposez entièrement de moi et de tout ce qui m’appartient. J’accepte d’avance avec une parfaite résignation tout ce qu’il vous plaira de m’envoyer. Ô Dieu infiniment aimable, vous m’avez aimé jusqu’à mourir pour moi ; je vous aime de tout mon cœur, je vous aime plus que moi-même, et je livre mon âme entre vos mains. Je renonce aujourd’hui à tout l’amour du monde. Je quitte la créature et je me donne tout à vous, ô mon Créateur ! Ah ! par les mérites de votre Passion, recevez-moi, et conservez-moi fidèle jusqu’à la mort. Désor­mais, ô mon Jésus ! je ne veux plus vivre que pour vous, je ne veux aimer que vous, je ne veux chercher à faire que votre volonté ; assistez-moi de votre grâce. Et vous, ô Marie, mon espérance, ne me refusez pas votre protection.

Chapitre 14
La charité souffre tout
Celui qui aime Jésus-Christ souffre tout pour Jésus-Christ, et spécialement les maladies, la pauvreté et le mépris

Nous avons parlé au chapitre 5 de la vertu de patience en général ; nous entrerons ici dans le détail de quelques cas où il faut exercer cette vertu. Le Père Alvarez dit qu’un chrétien ne doit pas penser avoir fait quelque profit dans la vie spirituelle, si, en mémoire de tout ce que Jésus-Christ a souffert, il ne souffre aussi avec une patience amoureuse les douleurs, la pauvreté et le mépris. Les douleurs et les maladies souffertes avec patience nous procurent de grands mérites. Saint Vincent de Paul dit que, si nous connaissions le trésor précieux qui se trouve dans les maladies, nous les recevrions avec autant de joie que les plus grands bienfaits ; au milieu des douleurs les plus aiguës d’une infirmité continuelle, il ne se plaignait jamais, conservait toute sa sérénité, et paraissait n’avoir aucun mal. Qu’un malade est édifiant lorsqu’il sait supporter ainsi les maladies ! Quand saint François de Sales était malade, il exposait simplement au médecin le mal qu’il avait, prenait ponctuellement tous les remèdes qu’il lui prescrivait, quelque dégoûtants qu’ils fussent, et ne se plaignait jamais de ce qu’il souffrait. Quelle leçon pour ceux qui, à la moindre infirmité, ne cessent de se plaindre à tout le monde, et qui voudraient que parents et amis restassent autour d’eux pour compatir à leurs souffrances ! Sainte Thérèse disait à ses religieuses : Sachez souffrir quelque chose pour l’amour de Jésus-Christ, sans que vos compagnes s’en aperçoivent. Le Père Louis Dupont fut, par une faveur spéciale du Seigneur, assailli un vendredi saint par tant de douleurs corporelles, qu’il n’y avait aucune partie de son corps qui n’eût son tourment particulier. Il en fit part à un de ses amis ; mais il ne l’eut pas plus tôt dit, qu’il s’en repentît et fit vœu de ne jamais plus manifester à personne ce qu’il souffrirait à l’avenir.

J’ai dit : par une faveur spéciale, parce que les saints regardent comme des faveurs les infirmités et les douleurs que Dieu leur envoie. Un jour que saint François d’Assise était tout souffrant sur son lit, celui qui l’assistait lui dit : Mon père, priez Dieu de calmer vos douleurs et de ne pas tant appesantir son bras sur vous. À ces mots, le saint descendit du lit, se mit à genoux et remercia Dieu de tout ce qu’il souffrait ; puis il dit à son confrère : Si je ne savais pas que vous aviez parlé par simplicité, je ne voudrais plus vous voir.

Mais, dira-t-on, ce n’est pas cette infirmité qui me trouble le plus, c’est que je ne puis me rendre à l’église pour y faire mes dévotions, communier, entendre la Messe ; je ne puis assister au chœur, ni célébrer, ni même faire oraison, parce que mon âme est comme anéantie. Mais, dites-moi, de grâce, pourquoi voulez-vous aller à l’église ou au chœur ? Pourquoi voulez-vous communier, dire ou entendre la messe ? N’est-ce pas pour plaire à Dieu ? Or, il ne plaît pas à Dieu que vous disiez l’office, ni que vous communiez ou entendiez la Messe ; il veut que vous restiez avec patience dans votre lit, et que vous souffriez cette infirmité. Mais tout cela ne vous satisfait pas ; vous ne cherchez donc pas ce qui plaît à Dieu, mais à vous-même. Le Père d’Avila écrivait à un prêtre qui lui faisait précisément les mêmes plaintes : Mon cher ami, ne pensez pas maintenant à ce que vous feriez si vous étiez en bonne santé ; mais pensez à demeurer malade tant qu’il plaira au Seigneur. Si vous cherchez à faire la volonté de Dieu, que vous importe d’être sain ou malade ?

Vous ne pouvez pas faire oraison, c’est-à-dire, vous ne pouvez méditer ? Mais ne pouvez-vous pas faire des actes de résignation à la volonté de Dieu ? Or, quelle plus belle oraison pourriez-vous faire que d’embrasser avec amour cette croix qu’il plaît à Dieu de vous envoyer ? Vous imiterez par là saint Vincent de Paul, qui, lorsqu’il était dangereusement malade, tâchait de se mettre dans la présence de Dieu, et, sans se faire violence pour s’appliquer à un point particulier, produisait de temps à autre des actes d’amour, de confiance, de remerciement, et le plus souvent encore de résignation, surtout lorsque ses douleurs augmentaient. Saint François de Sales disait que les tribulations, considérées en elles-mêmes, sont effrayantes, mais que, considérées dans la volonté de Dieu, elles sont aimables et délicieuses. Vous ne pouvez pas faire oraison ? Mais quelle plus belle oraison que de jeter de temps en temps les yeux sur le crucifix, et de lui offrir les peines que vous souffrez en union aux douleurs immenses que Jésus-Christ a souffertes sur la croix ?

Une sainte éprouvait des douleurs cuisantes ; quelqu’un lui présenta un crucifix, et lui dit de prier le Seigneur de la délivrer de ses peines. Comment ! répondit-elle, vous voulez que je cherche à descendre de la croix, tandis que je tiens en main un Dieu crucifié ! Je veux souffrir pour l’amour de celui qui a bien voulu souffrir pour moi des douleurs beaucoup plus grandes que les miennes. C’est précisément ce que Jésus-Christ lui-même dit à sainte Thérèse un jour qu’elle était dangereusement malade ; il lui apparut couvert de plaies, et lui fit entendre ces mots : Regarde, ma fille, ce que j’ai souffert pour toi ; considère si tes peines peuvent être comparées aux miennes. Depuis cette époque, la sainte avait coutume de dire, lorsqu’elle était affligée de quelque infirmité : Quand je pense à tous les tourments que le Seigneur a soufferts, lui qui était tout à fait innocent, je ne sais comment je pourrais me plaindre de mes souffrances. Sainte Ludivine eut à souffrir pendant trente-huit années grand nombre d’infirmités, la fièvre, la goutte aux pieds et aux mains, l’esquinancie, et des plaies sur tout son corps ; mais comme elle avait toujours devant les yeux les douleurs de Jésus-Christ, elle était toujours gaie et contente. Saint Joseph, franciscain, était sur le point de subir une opération très douloureuse ; comme on voulait le lier de crainte que la douleur ne le forçât à s’agiter, il prit le crucifix, et s’écria : Voici celui qui me lie et m’engage à souffrir en paix toutes sortes de douleurs pour son amour ; et il supporta l’opération sans se plaindre. Saint Jonas, martyr, placé pendant toute une nuit dans la glace par l’ordre du tyran, dit le matin suivant qu’il n’avait jamais passé de nuit plus tranquille que celle-là parce qu’il n’avait cessé de se représenter Jésus-Christ sur la croix, et que ses douleurs, comparées à celles du Sauveur, lui avaient plutôt paru des douceurs que des tourments.

Quel fonds de mérite ne peut-on pas acquérir en souffrant avec patience les infirmités ! Dieu montra un jour au Père Alvarez la gloire qu’il avait préparée à une bonne religieuse pour une infirmité qu’elle avait soufferte avec patience, et lui fit connaître qu’elle avait plus mérité en huit mois de maladie que les autres religieuses en plusieurs années. Les douleurs et les maladies reçues avec patience, achèvent de former la couronne que Dieu nous prépare dans le ciel. C’est ce qui fut révélé à sainte Ludivine. Après toutes les douleurs dont nous avons parlé, cette sainte désirait encore souffrir le martyre pour Jésus-Christ. Un jour qu’elle soupirait après cette grâce, elle vit une belle couronne, mais qui n’était pas encore achevée ; elle comprit que c’était pour elle qu’elle était préparée ; c’est pourquoi, désirant qu’elle fût complète, elle pria Dieu d’augmenter ses douleurs. Il l’exauça, et lui envoya des soldats qui aux injures ajoutèrent les mauvais traitements, et la frappèrent cruellement. Ensuite, elle vit un Ange tenant la couronne achevée, qui lui dit que ses dernières souffrances y avaient mis les pierres précieuses qui y manquaient, et peu de temps après elle expira.

Assurément, elles sont bien douces et bien agréables, les douleurs et les ignominies, pour les âmes qui aiment ardemment Jésus-Christ. C’est par cet amour que les martyrs supportaient les chevalets, les ongles de fer, les autres tour­ments et la mort. Saint Procope, durant son martyre, dit au tyran : tourmente-moi tant que tu voudras, mais sache que celui qui aime Jésus-Christ n’a rien de plus agréable que de souffrir pour son amour. Le martyr saint Gordien dit au tyran qui le menaçait de la mort : tu me menaces de la mort, et moi je suis fâché de ne pouvoir mourir plus d’une fois pour Jésus-Christ mon Sauveur. Ces saints parlaient-ils ainsi parce qu’ils étaient faibles d’esprit, ou parce qu’ils étaient insensibles aux tourments ? Non, répond saint Bernard, ils n’étaient ni faibles d’esprit ni insensibles aux tourments ; mais ils aimaient Dieu, et croyaient qu’il leur était très avantageux de tout perdre et de tout souffrir, même la mort, pour l’amour de Dieu.

C’est surtout dans les maladies que nous devons être prêts à accepter la mort, et le genre de mort qu’il plaira à Dieu de nous envoyer. Il faut mourir, une maladie doit finir nos jours ; mais nous ne savons pas quelle sera cette dernière maladie. Ainsi, dans chaque maladie, nous devons nous préparer à la mort comme si c’était la dernière de notre vie. Mais, dira-t-on, j’ai commis beaucoup de péchés, et je n’ai pas fait pénitence ; je voudrais vivre uniquement pour satisfaire à la justice de Dieu avant de mourir. Mais comment savez-vous qu’en continuant de vivre, vous ferez pénitence et ne serez pas plus méchant ? Maintenant vous pouvez espérer que Dieu vous a pardonné : quelle plus belle pénitence que d’accepter avec résignation la mort, si Dieu le veut ainsi ? Saint Louis mourut à l’âge de vingt-trois ans ; il se résigna à la mort, en disant : Maintenant je me trouve, je l’espère, dans la grâce de Dieu, et je ne sais ce qu’il en serait de moi à l’avenir ; ainsi, je meurs content, s’il plaît au Seigneur de me retirer maintenant de ce monde. Le Père Jean d’Avila était d’avis que lorsqu’on se trouve dans une bonne disposition, quoique médiocre, on doit désirer la mort pour sortir du danger, si fréquent sur la terre, de pécher et de perdre la grâce de Dieu.

Ajoutons que, vu notre fragilité naturelle, nous ne pouvons vivre sans commettre des péchés, au moins véniels ; cette seule raison devrait nous engager à embrasser la mort avec joie, pour ne plus offenser Dieu. Enfin, si nous aimons véritablement Dieu, nous devons désirer ardemment de le voir et de l’aimer de toutes nos forces dans le ciel, ce qu’on ne peut faire parfaite­ment sur la terre ; mais si la mort ne nous ouvre la porte, nous ne pouvons entrer dans cette patrie d’amour. C’est pourquoi saint Augustin s’écriait : Seigneur, faites-moi mourir ; car il n’y a que la mort qui puisse me procurer le bonheur de vous voir face à face, et de vous aimer à jamais dans le ciel.

En second lieu, on doit exercer la patience quand on souffre la pauvreté. Saint Augustin dit : Celui qui n’a pas Dieu n’a rien ; celui qui a Dieu a tout. Oui, celui qui aime Dieu et qui est uni à sa divine volonté trouve en Dieu toute sorte de biens. Voyez un saint François : il va nu-pieds, il n’est vêtu que d’un sac, il manque de tout ; mais en disant : Mon Dieu est mon tout, il se trouve plus riche que tous les monarques de la terre. Il n’y a de pauvre que celui qui désire des biens qu’il n’a pas ; mais celui qui ne désire rien, et qui se trouve content dans son indigence, est complètement riche. C’est de ces âmes que saint Paul dit : Ceux qui aiment véritablement Dieu n’ont rien, et ils ont tout ; car, lorsque les biens temporels leur manquent, ils trouvent en Dieu toute leur consolation et tout leur contentement. Les saints ont non seulement souffert la pauvreté avec patience, mais ils ont cherché à se dépouiller de tout, pour ne vivre qu’en Dieu et pour Dieu. Si nous n’avons pas le désir de renonce à tous les biens de la terre, contentons-nous du moins de l’état où il a plu au Seigneur de nous placer ; ne recherchons pas les richesses temporelles, mais les éternelles, infiniment plus précieuses ; soyons convaincus de ce que disait sainte Thérèse, savoir : Que moins nous aurons ici-bas, plus nous serons élevés dans le ciel.

Saint Bonaventure compare l’abondance des biens tem­porels à la glu : elle empêche l’âme de voler vers Dieu. Saint Climaque dit, au contraire, que la pauvreté est un moyen pour parvenir à Dieu sans obstacle. Jésus-Christ dit : Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux ! Aux autres béatitudes, il ne promet le ciel qu’à l’avenir ; mais il promet aux pauvres dès cette vie une joie céleste, qui est un paradis anticipé, pourvu que ces pauvres ne désirent pas les biens terrestres, mais se contentent des aliments et des vêtements. Ô bienheureuse pauvreté, s’écrie saint Laurent Justinien, qui ne possède rien et ne craint rien ! Elle est toujours gaie, même dans l’abondance, vu que tout ce qui gêne et incommode est avantageux pour l’âme. L’avare est toujours affamé comme un mendiant, parce que plus il a de richesses, plus il en désire, et il ne vient jamais à bout de satisfaire sa cupidité ; le pauvre, au contraire, qui sait se contenter du peu qu’il a, est toujours dans l’aisance, parce que, comme il ne désire rien de plus, il a tout ce qu’il veut.

Jésus-Christ dit un jour à la bienheureuse Angèle de Foligno : Si la pauvreté n’était pas un grand bien, je ne l’aurais pas choisie pour moi ni laissée en partage à mes élus. C’est réellement cette pauvreté de Jésus-Christ qui a porté les saints à aimer tant la pauvreté. Le désir des richesses cause la perte d’un grand nombre d’âmes. Pour les biens périssables de ce monde, on perd Dieu, qui est un bien infini et éternel : quelle folie ! Saint Basile, martyr, était sage quand, sollicité par l’empereur Lucinius de renier Jésus-Christ, avec promesse d’être établi le prince des prêtres des faux dieux, il lui répondit que, quand même il lui donnerait tout son empire, il ne pourrait jamais lui rendre tout ce qu’il lui enlèverait s’il lui faisait perdre Dieu. Dieu doit donc nous suffire ; contentons-nous des biens qu’il nous envoie, réjouissons-nous de notre pauvreté et des privations qui l’accompagnent, c’est en cela que consiste le mérite. Bien des gens sont pauvres ; mais, parce qu’ils voudraient ne pas l’être, ils n’ont aucun mérite, puisque, selon saint Bernard, la vertu de la pauvreté ne consiste pas à être pauvre, mais à aimer la pauvreté.

L’amour de la pauvreté est spécialement nécessaire aux religieux, puisqu’ils en ont fait vœu. Bien des religieux veulent être pauvres ; mais ils veulent aussi que rien ne leur manque ; de manière que, selon la remarque de saint François de Sales, ils veulent avoir l’honneur de la pauvreté, mais non pas ses incommodités. Un religieux qui veut être pauvre et qui se plaint lorsqu’il lui manque quelque chose, est un objet de dérision aux anges et aux hommes. Les véritables religieux aiment la pauvreté plus que les richesses. La fille de l’empereur Maxi­milien II, religieuse de Sainte-Claire, appelée sœur Marguerite de la Croix, se présentant devant l’archiduc Albert son frère, avec une robe rapiécée, le prince lui en témoigna sa surprise, et dit que ce vêtement ne convenait pas à une personne de son rang ; mais la bonne religieuse lui répondit ; Sachez, mon frère, que je suis plus contente de ce haillon que tous les monarques ne le sont de leur pourpre. Bienheureux les religieux, s’écriait sainte Marie-Madeleine de Pazzi, qui, détachés de toutes choses au moyen de la sainte pauvreté, peuvent dire : mon Dieu, vous êtes mon héritage et tout mon trésor. Sainte Thérèse, ayant reçu plusieurs aumônes d’un marchand, lui fit dire que son nom était inscrit sur le livre de vie, et qu’en preuve de cela, il allait perdre les biens de la terre. En effet, le marchand fit faillite, et demeura pauvre jusqu’à sa mort. Saint Louis de Gonzague disait qu’il n’y avait pas de marque plus certaine qu’on fût du nombre des élus, que de persister dans la crainte de Dieu au milieu des désastres et des tribulations de la vie.

C’est en quelque sorte encore une pauvreté d’être privé, par la mort, de ses parents et de ses amis ; ainsi, il faut supporter leur mort avec beaucoup de résignation et de patience. Il y en a qui, lorsqu’ils perdent un parent, un ami, sont inconsolables, se retirent de toute société, et se livrent à de tels excès de tristesse et d’impatience, qu’ils deviennent inabordables. Je leur de­man­de à qui ils plaisent en agissant ainsi. serait-ce à Dieu ? Mais Dieu veut qu’ils se résignent à sa volonté. Serait-ce aux âmes de ceux dont ils pleurent la perte ? Mais si elles sont en enfer, elles les ont en horreur, ainsi que leurs pleurs ; si elles sont en paradis, elles souhaitent qu’ils remercient Dieu pour elles ; et si elles sont en purgatoire, elles désirent qu’ils prient pour elles, qu’ils se soumettent à la volonté divine, et qu’ils travaillent à leur propre sanctification pour les recevoir un jour dans le ciel. À quoi servent donc les pleurs ? Le vénérable P. Joseph Caracciolo, se trouvant un jour au milieu de ses parents, qui ne cessaient de pleurer un de ses frères décédés, leur dit : Réser­vons nos pleurs pour un meilleur objet : pour pleurer la mort de Jésus-Christ, qui a été notre Père, notre Frère et notre Époux, et qui est mort pour l’amour de nous. Imitons Job, qui, lorsqu’on vint lui annoncer la mort de ses fils, dit avec une pleine résignation : « Le Seigneur me les avait donnés, et c’est lui qui me les a enlevés. » Telle est sa volonté, et telle par conséquent doit être aussi la mienne : ainsi, que son saint Nom soit toujours béni.

Enfin, nous devons exercer la patience, et montrer à Dieu notre amour, en souffrant avec paix les mépris et les rebuts des hommes. Quand une âme se donne toute à Dieu, Dieu permet qu’elle soit méprisée et persécutée. Un ange apparut un jour au bienheureux Henri, et lui dit : Henri, jusqu’à présent vous vous êtes mortifié à votre gré, mais dorénavant vous le serez par les autres. Le lendemain le Bienheureux, mettant la tête à la fenêtre, vit un chien qui se jouait avec un chiffon et le mettait en pièces ; en même temps il entendit une voix qui lui dit : C’est ainsi que ta réputation sera déchirée par les hommes. À l’instant le bienheureux Henri descendit dans la rue et prit ce chiffon, qu’il conserva pour lui servir de consolation dans les persécutions qu’on lui prédisait.

Les affronts et les injures font les délices des saints. Saint Philippe de Néri avait le plus grand attachement pour la maison de Saint-Jérôme à Rome, et cela parce qu’il ne cessait depuis trente ans d’y souffrir toutes sortes de désagréments de la part de certaines personnes. Lorsqu’il fallut en sortir pour aller habiter l’oratoire de la nouvelle église qu’il avait fait cons­truire, il ne put d’abord s’y résoudre, et, malgré les sollicitations de ses disciples, qui le pressaient de venir habiter au milieu d’eux, il aurait peut-être résisté, si un ordre exprès du pape ne l’eût enfin déterminé. Saint Jean de la Croix, devant changer d’air à cause d’une infirmité qui le conduisait au tombeau, laissa un couvent plus commode, où se trouvait une prieur qui lui était fort attaché, et en choisit un qui était pauvre, dont le prieur lui était contraire, et qui pendant longtemps et presque jusqu’à la mort le méprisa et le maltraita, jusqu’à défendre aux autres religieux d’aller lui rendre visite. Les saints cherchent à être méprisés. Sainte Thérèse disait que celui qui aspire à la perfection doit bien se garder de dire : C’est sans raison qu’on m’a fait tort ; car, on n’arrive pas à la perfection quand on ne veut porter de croix que celle qui est appuyée sur la raison. Saint Pierre martyr, étant en prison, se plaignait de ce qu’on l’y avait mis sans qu’il eût fait aucun mal. Le Seigneur lui répondit : Quel mal avais-je fait, moi, qu’on a crucifié et mis à mort pour les hommes ? Cette pensée console les saints dans leurs souffrances. Saint Eléazar, interrogé par son épouse comment il faisait pour souffrir avec patience les injures qu’il recevait même de ses domestiques, répondit : Je jette un regard sur le crucifix, je vois que les outrages qu’on me fait ne sont rien en comparaison de ceux que le Sauveur a soufferts pour moi, et par ce moyen Dieu me donne la force de me résigner à tout. Le mépris, la pauvreté, les douleurs et toutes les tribulations sont, pour une âme qui n’aime pas Dieu, une occasion de s’éloigner davantage de lui ; mais pour une âme éprise de l’amour divin, elles sont un motif pour s’attacher davantage à Dieu et pour l’aimer plus ardemment. Les tribulations, quelque grandes, quelque nombreuses qu’elles soient, non seulement n’éteignent pas, mais augmentent les flammes de la charité dans un cœur qui n’aime autre chose que Dieu.

Mais pourquoi Dieu nous afflige-t-il de tant de croix ? Pourquoi prend-il plaisir à nous voir persécutés et maltraités des hommes ? Dieu est-il un tyran, un être si cruel, qu’il se plaise à nous voir souffrir ? Non, Dieu n’est pas un tyran, il n’est pas un être cruel ; mais il nous aime, et il nous suffit de savoir qu’il nous a aimés jusqu’à mourir pour nous. S’il prend plaisir à nous voir souffrir, c’est pour notre bien, afin qu’en souffrant sur la terre, nous soyons délivrés des peines dues à nos péchés et qu’il nous faudrait supporter dans l’autre vie ; il veut nous détacher des plaisirs sensibles de la terre, semblable à une mère qui, voulant sevrer son enfant, met sur son sein quelque chose d’amer pour que l’enfant s’en dégoûte ; c’est aussi pour nous donner occasion de lui prouver notre amour par notre patience et notre résignation ; enfin, c’est pour nous faire acquérir par les souffrances un plus grand trésor de mérites et de gloire dans le ciel. Voilà pourquoi le Seigneur, par amour et par bonté, se plaît à nous voir souffrir.

Je conclus donc, et je dis que, pour exercer la patience dans les tribulations, il faut penser qu’elles viennent de Dieu, soit directement, soit indirectement, par le moyen des hommes. C’est pourquoi il faut, dans nos afflictions, remercier le Seigneur, accepter avec joie et comme notre plus grand bien tout ce qu’il nous envoie d’agréable ou de pénible, puisque tout coopère au bien de ceux qui l’aiment. Toutes nos peines nous paraîtront légères à côté de celles de l’enfer que nous avons méritées, Mais le meilleur moyen pour souffrir avec patience toutes les adversités, c’est la prière ; la grâce, qui en est l’effet, nous donnera la force qui nous manque. C’est ainsi qu’ont fait les saints ; ils ont recouru à la prière, et ils ont été vainqueurs des tourments et des persécutions.

Affections et prières

Seigneur, je sais que le ciel ne se donne qu’à ceux qui souffrent sur la terre et qui souffrent avec patience. Donnez-moi donc, ô mon Dieu, cette vertu de la patience, et je pourrai dire avec David : C’est de Dieu que je la reçois. Je suis, il est vrai, dans la disposition de souffrir en paix toutes les tribu­lations ; mais, lorsqu’elles arrivent, je m’attriste et me décou­rage ; je perds tout le mérite de mes souffrances, parce que je ne souffre pas pour l’amour de vous. Mon Doux Jésus, par les mérites de la patience que vous avez eue sur la terre en souffrant par amour pour moi, donnez-moi la force de souffrir toutes sortes de croix pour l’amour de vous. je vous aime, ô mon divin Rédempteur ; je vous aime, ô mon souverain Bien ; je vous aime de tout mon cœur et plus que moi-même, ô mon Dieu, mon trésor et mon amour. Je me repens par-dessus toutes choses de vous avoir offensé. Je vous promets de recevoir avec patience toutes les afflictions et les peines qu’il vous plaira de m’envoyer : mais c’est de vous que j’attends la force d’exécuter cette résolution, et surtout de souffrir en paix les douleurs de l’agonie et de la mort. Ô Marie ! ma Reine et ma Mère, obtenez-moi une véritable résignation dans tout ce qu’il me reste à souffrir durant ma vie et à l’heure de ma mort.

Chapitre 15
La charité croit tout
Celui qui aime Jésus-Christ croit tout ce qu’Il a dit

Une personne qui aime croit tout ce que dit celui qu’elle aime ; c’est pourquoi, plus est grand l’amour d’une âme envers Jésus-Christ, plus sa foi est vive et constante. Le bon larron, voyant que le Sauveur mourait sur la croix sans avoir fait aucun mal, et qu’il souffrait avec tant de patience, commença à l’aimer ; et c’est cet amour joint aux lumières divines qui lui fit croire que Jésus-Christ était véritablement le fils de Dieu, et qui lui inspira tant de confiance en lui, qu’il le pria de se souvenir de lui quand il serait arrivé dans son royaume.

La foi est le fondement de la charité ; mais c’est la charité qui perfectionne la foi. Celui qui aime Dieu plus parfaitement a aussi une foi plus parfaite. La charité fait que la foi est non seulement dans l’esprit, mais aussi dans la volonté. Ceux qui croient en spéculation, mais sans la volonté, sont les pécheurs qui connaissent la vérité de la foi, mais qui ne veulent pas vivre selon les préceptes divins : ils ont une foi bien faible. S’ils avaient une foi vive, en croyant que la grâce est le plus grand des biens, et le péché le plus grand des maux, ils changeraient de vie ; mais puisqu’ils préfèrent à Dieu les misérables biens de la terre, il faut dire qu’ils ne croient pas, ou qu’ils ont une foi bien faible. Celui, au contraire, qui croit non seulement en spéculation, mais aussi en pratique ; qui se plaît à croire ce que Dieu a révélé, parce qu’il aime Dieu ; celui-là croit parfaitement, et par conséquent cherche à conformer sa vie aux vérités qu’il croit.

Le défaut de foi dans les pécheurs ne vient pas de l’obscurité de la foi ; car, quoique Dieu ait voulu que ses vérités nous fussent souvent incompréhensibles, afin que nous eussions du mérite à croire, cependant, la vérité de la foi est si évidente par les moyens et les preuves qui nous l’ont manifestée, que ne les pas croire serait non seulement une imprudence, mais une impiété, une folie. La faiblesse de la foi est donc produite par la mauvaise vie. Celui qui méprise l’amitié de Dieu pour ne pas se priver des plaisirs défendus voudrait qu’il n’y eût pas de loi qui les défendît, ni de châtiment pour les punir ; il tâche donc d’éviter la pensée des vérités éternelles, de la mort, du juge­ment, de l’enfer ; ces idées l’effrayent et empoisonnent ses plaisirs. On tâche de se persuader qu’il n’y a ni âme, ni Dieu ni enfer, pour vivre et mourir comme des brutes, qui n’ont ni loi ni raison.

Ce sont les mauvaises mœurs qui ont porté à publier tant de livres et de systèmes, des matérialistes, des indifférents, des déistes, des naturalistes. Les uns nient l’existence de Dieu, les autres sa providence, en disant que Dieu, après avoir créé les hommes, n’en prend aucun soin ; qu’il lui est indifférent qu’ils l’aiment ou l’offensent, qu’ils se sauvent ou se perdent. D’autres prétendent que Dieu est cruel, qu’il a créé les âmes pour l’enfer, qu’il les porte à pécher, afin qu’elles se damnent et le maudis­sent à jamais dans le feu éternel.

Ô ingratitude et méchanceté des hommes ! Dieu les a créés par miséricorde pour les rendre éternellement heureux ; il les a comblés de lumières et de grâces pour qu’ils pussent acquérir la vie éternelle ; il les a rachetés par les plus grandes douleurs, avec un amour infini, et ces hommes s’efforcent de ne rien croire, pour vivre dans les vices. Mais, malgré tous leurs désirs, ces malheureux ne pourront jamais se délivrer des remords et de la crainte de la vengeance divine. J’ai publié un ouvrage intitulé : la vérité de la foi, dans lequel j’ai démontré l’absurdité des systèmes forgés par les incrédules. Fasse le Ciel qu’ils renoncent aux vices, qu’ils aiment Jésus-Christ ! alors ils n’auront plus de doutes, ils croiront fermement toutes les vérités révélées de Dieu.

Celui qui aime sincèrement Jésus-Christ pense toujours aux maximes éternelles et y conforme sa conduite ; il comprend, avec le Sage, que toute grandeur terrestre n’est que fumée, boue et tromperie ; que le seul bonheur de l’âme consiste à aimer son Créateur, à accomplir sa volonté ; que l’homme n’est que ce qu’il est devant Dieu, qu’il ne sert à rien de gagner l’univers si l’on perd son âme ; que tous les biens de la terre ne peuvent satisfaire le cœur de l’homme, que Dieu seul le contente ; enfin, qu’il faut abandonner tout pour conquérir tout.

D’autres chrétiens ne sont pas aussi pervers que ceux dont nous venons de parler, qui ne voudraient rien croire pour vivre en liberté dans leurs vices. D’autres, dis-je, croient, mais ils ont une foi languissante : ils croient les mystères et les vérités révélées, mais ils ne les croient pas toutes. Jésus-Christ a dit : bienheureux les pauvres, bienheureux ceux qui éprouvent les tribulations, qui se mortifient, qui sont persécutés et maudits des hommes ! Mais croient-ils à l’Évangile ceux qui disent : Bienheureux celui qui a de l’argent, bienheureux celui qui ne souffre pas, bienheureux celui qui se divertit, malheureux celui qui est persécuté et maltraité des hommes ? Ceux-là ne croient pas, ou ne croient qu’en partie l’Évangile ; celui qui croient pleinement regarde comme un grand bonheur d’être pauvre, malade, méprisé et persécuté du monde. C’est ainsi que croit et parle celui qui croit tout ce que renferme l’Évangile et qui aime véritablement Jésus-Christ.

Affections et prières

Mon doux Jésus, vie de mon âme, je crois que vous êtes l’unique bien digne d’être aimé. Je crois que vous m’aimez beaucoup, puisque vous avez bien voulu souffrir toutes sortes de tourments et la mort même pour mon salut. Je crois que sur la terre et dans le ciel il n’y a pas de bonheur plus grand que de vous aimer et de faire votre volonté ; je le crois fermement, et je renonce à tout pour être tout à vous et ne posséder que vous. Par les mérites de votre Passion, aidez-moi et rendez-moi tel que vous le voulez. Vérité infaillible, je crois en vous ; miséri­corde infinie, j’espère en vous ; bonté infinie, je vous aime ; amour infini qui vous êtes donné tout à moi dans votre Passion et dans le Sacrement adorable de l’Eucharistie, je me donne tout à vous. Protégez-moi, ô Marie, vous qui êtes le refuge des pécheurs et ma Mère.

Chapitre 16
La charité espère tout
Celui qui aime Jésus-Christ
espère tout de Jésus-Christ

L’espérance augmente la charité, et la charité augmente l’espérance. L’espérance en la Bonté divine augmente l’amour envers Jésus-Christ. En espérant recevoir quelque bien de quelqu’un, nous commençons aussi à l’aimer. Le Seigneur ne veut pas que nous mettions notre confiance dans les créatures, et il maudit celui qui se confie en l’homme, parce qu’il ne veut pas que les créatures soient l’objet de notre amour. Saint Vincent de Paul ne veut pas qu’on s’appuie sur la protection des hommes, par la raison que le Seigneur se retirerait alors de nous ; au lieu que plus nous mettons en lui notre confiance, plus notre amour s’augmente envers lui. Oh ! qu’ils sont rapides les progrès que fait dans la perfection celui dont le cœur est dilaté par la confiance en Dieu ! Non seulement il y court, mais il y vole, parce qu’en mettant toute son espérance en Dieu, il cesse d’être faible et devient fort de la force de Dieu, qui est communiquée à tous ceux qui espèrent en lui. L’aigle, en volant, s’approche du soleil ; l’âme soutenue par sa confiance en Dieu, se détache de la terre et s’unit à lui par l’amour.

Comme l’espérance sert à augmenter notre amour envers Dieu, de même l’amour augmente notre espérance, car la charité nous rend enfants adoptifs de Dieu. Dans l’ordre naturel, nous sommes l’ouvrage de ses mains ; mais dans l’ordre surnaturel, c’est-à-dire, par les mérites de Jésus-Christ, nous sommes faits enfants de Dieu et participants de la nature divine. Et puisque la charité nous rend enfants de Dieu, elle nous rend donc aussi les héritiers du royaume des cieux. Or, il appartient aux enfants d’habiter la maison de leur père, et aux héritiers d’en percevoir l’héritage ; la charité augmente par conséquent l’espérance des biens éternels ; aussi les âmes qui aiment véritablement Dieu ne cessent de lui demander que son royaume arrive.

D’ailleurs, Dieu aime celui qui l’aime, il comble de grâces celui qui le cherche. Ainsi, plus on aime Dieu, plus on a lieu d’espérer en lui. Cette espérance produit dans les saints cette paix inaltérable qu’ils conservent jusque dans l’adversité, parce que, aimant Dieu et sachant combien il est libéral envers ceux qui l’aiment, c’est en lui seul qu’ils mettent leur confiance et trouvent leur repos. Voilà pourquoi l’Épouse des Cantiques nageait dans les délices ; car, n’aimant rien autre que son bien-aimé, elle s’appuyait sur lui seul, et, sachant combien il paye de retour celui qui l’aime, elle se tenait en paix et dans la joie. Ainsi le Sage avait bien raison de dire qu’il avait tout obtenu en recevant la charité.

Le premier objet de l’espérance chrétienne, c’est la posses­sion de Dieu dans le ciel. Mais ne croyons pas que l’espérance de posséder Dieu dans le ciel soit un obstacle à la charité : ces deux vertus sont inséparables. La charité est ce trésor précieux qui nous rend amis de Dieu : l’amitié est fondée sur la communication des biens, et sans cette communication il n’y aurait pas d’amitié. Jésus-Christ dit à ses Disciples que, parce qu’il les avait faits ses amis, il leur avait communiqué tous ses secrets.

Saint François de Sales dit que, s’il y avait une bonté infinie, c’est-à-dire, un Dieu auquel (ce qui est impossible) nous n’appartinssions en aucune manière, et avec lequel nous ne pussions avoir aucune union ni aucune communication, nous l’estimerions sans doute plus que nous, et nous pourrions avoir le désir de l’aimer ; mais nous ne l’aimerions pas, parce que l’amour regarde l’union, et que, la charité étant une amitié, l’amitié a pour fondement la communication, et pour fin l’union. C’est pourquoi, saint Thomas enseigne que la charité n’exclut pas le désir de la récompense que Dieu nous prépare dans le ciel, mais qu’elle nous la fait regarder comme le principal objet de notre amour, qui est Dieu faisant le bonheur des habitants du ciel car l’amitié exige que l’ami soit en possession de son ami.

Telle est la réciprocité de communication de dons exprimée par l’Épouse des Cantiques. Dans le ciel, l’âme se donne tout à Dieu, et Dieu se donne tout à l’âme, autant qu’elle en est capable, selon la mesure de ses mérites. Mais l’âme, connais­sant son néant en comparaison de l’infinie amabilité de Dieu, et voyant par conséquent que Dieu mérite infiniment plus d’être aimé d’elle qu’elle ne mérite de l’être de Dieu, elle désire plus ce qui plaît à Dieu que son propre contentement. Elle se réjouit de la gloire que Dieu lui communique ; mais c’est pour la rapporter ensuite à Dieu lui-même, et augmenter la gloire de Dieu autant qu’elle le peut dans le ciel. L’âme, à la vue de Dieu, ne pourra s’empêcher de l’aimer de toutes ses forces. Dieu, de son côté, ne peut haïr celui qui l’aime. Mais si Dieu pouvait (ce qui est impossible) haïr une âme qui l’aime, et si une âme bienheu­reuse pouvait exister sans aimer Dieu, elle préférerait souffrir toutes les peines de l’enfer, pourvu qu’il lui fût accordé d’aimer Dieu, lors même qu’il la haïrait, plutôt que de vivre sans aimer Dieu, quand même elle pourrait jouir de toutes les autres délices du paradis. En voici la raison : l’âme, connaissant que Dieu mérite infiniment plus qu’elle d’être aimé, désire bien plus d’aimer Dieu que d’être aimée de Dieu.

L’espérance chrétienne est définie par saint Thomas : une attente certaine de la félicité éternelle. Cette certitude naît de l’infaillibilité de Dieu, qui a promis la vie éternelle à ses fidèles serviteurs. Or la charité, en ôtant le péché, ôte en même temps tout obstacle pour arriver à la félicité ; ainsi, plus la charité est grande, plus elle fortifie notre espérance, qui ne sera certaine­ment pas un obstacle à la pureté de l’amour, parce que l’amour, dit saint Denis l’Aréopagite, tend naturellement à l’union avec l’objet aimé. L’amour, dit saint Augustin, est comme un lien d’or qui unit ensemble le cœur de celui qui aime et le cœur de la personne aimée. Et comme cette union ne peut pas s’effectuer de loin, celui qui aime désire toujours la présence de la personne aimée. L’Épouse des Cantiques, se voyant éloignée de son bien-aimé, languissait et priait des compagnes de lui faire voir sa peine pour l’engager à la venir consoler par sa présence. Une âme qui aime beaucoup Jésus-Christ ne peut, tant qu’elle est sur la terre, ne pas désirer d’aller bientôt au ciel s’unir à son Bien-Aimé.

C’est pourquoi le désir d’aller posséder Dieu dans le ciel, moins pour le bonheur de l’y aimer que pour le plaisir qu’on y fera à Dieu en l’aimant, est un amour pur et parfait. La satisfaction que les Bienheureux éprouvent en aimant Dieu ne nuit pas a la pureté de leur amour ; cette joie est inséparable de l’amour ; mais les saints sont bien plus satisfaits de l’amour qu’ils ont pour Dieu que du contentement qu’ils trouvent à l’aimer. Mais, dira-t-on, l’amour joint au désir de la récom­pense est un amour de concupiscence et non pas d’amitié. Je réponds qu’il faut distinguer les récompense temporelles promises par l’homme, de la récompense du paradis que Dieu promet à ceux qui l’aiment : les récompenses que les hommes donnent sont distinguées de leurs personnes ; car ils ne se donnent jamais eux-mêmes, mais seulement leurs biens ; au lieu que la principale récompense que Dieu donne aux Bienheureux, c’est lui-même. Ainsi, désirer le paradis, c’est désirer Dieu, qui est notre dernière fin.

Mais si Dieu révélait à une âme qu’elle serait effacée du livre de vie, cette âme devrait-elle s’en contenter pour se conformer à la volonté de Dieu ? Non, répond saint Thomas, et elle pèche même si elle y consent, parce que ce serait consentir à vivre dans l’état de péché, état qui est contraire à la fin pour laquelle Dieu l’a créée ; car Dieu ne crée pas les âmes pour l’enfer, où elles le haïssent, mais pour le paradis, où elles ne cessent de l’aimer ; c’est pourquoi, il ne veut pas la mort du pécheur, mais il veut qu’il se convertisse et se sauve. Le même saint ajoute que le Seigneur ne veut pas qu’on se damne, sinon par le péché ; et qu’ainsi en consentant à sa damnation on ne se conformerait pas à la volonté de Dieu, mais à celle du péché. Mais si Dieu révélait à cette âme l’arrêt de sa damnation en vertu de la prévision de son péché, devrait-elle alors y consentir ? Non, répond encore saint Thomas, parce qu’elle devrait regarder cette révélation non comme un arrêt irrévocable, mais comme une menace qui n’aura son effet que dans le cas où elle persisterait dans le péché.

Éloignons de notre esprit des pensées aussi funestes, qui ne servent qu’à refroidir la confiance et l’amour. Aimons Jésus-Christ autant que nous le pouvons en ce monde ; soupirons sans cesse après l’heure qui doit nous réunir à lui dans le ciel pour l’y aimer parfaitement ; le principal objet de notre espé­rance doit être d’y parvenir et de l’aimer de toutes nos forces. L’homme ne peut, dit saint Thomas, remplir parfaitement sur la terre le précepte d’aimer Dieu ; il n’y a que Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, et Marie, pleine de grâce et exempte du péché originel, qui l’aient rempli. Pour nous, misérables enfants d’Adam, notre amour pour Dieu est toujours mêlé de quelque imperfection ; ce n’est que dans le ciel, quand nous verrons Dieu face à face, que nous l’aimerons et serons dans la nécessité de l’aimer de toutes nos forces.

Ainsi l’objet de nos pensées, de nos désirs et de notre espérance doit être d’aller posséder Dieu dans le ciel, pour l’aimer de toutes nos forces et jouir de sa propre félicité. Le plus grand plaisir que les saints aient dans le ciel, c’est de connaître l’immense félicité de leur Maître bien-aimé ; car ils aiment Dieu immensément plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes. Chacun d’eux, par un effet de l’amour qu’il a pour Dieu, serait content de sacrifier tout son bonheur et de souffrir toutes sortes de tour­ments pour qu’il ne manquât pas à Dieu, supposé que ce fût possible, la moindre parcelle de la félicité dont il jouit. Voyant donc que Dieu est infiniment heureux et que sa félicité est éternelle, cette pensée fait tout son paradis : Entrez dans la joie de votre Seigneur. Il ne dit pas à la joie d’entrer dans l’âme, mais à l’âme d’entrer dans la joie de Dieu, puisque c’est la joie de Dieu qui fait celle des Bienheureux ; de sorte que le bien de Dieu, ses richesses et son bonheur seront le bien, les richesses et le bonheur des Bienheureux.

Dès qu’une âme entre dans le ciel et voit à découvert la gloire et la beauté infinies de Dieu, elle se trouve tout éprise et consumée d’amour, elle se perd et reste comme plongée dans l’infinie bonté de Dieu ; alors elle s’oublie elle-même, et, enivrée de l’amour divin, elle ne pense qu’à aimer Dieu. Dans l’ivresse on ne pense plus à soi ; de même l’âme bienheureuse ne pense plus qu’à aimer Dieu et à lui plaire ; elle désire le posséder en entier, et elle le possède réellement sans crainte de jamais le perdre ; elle désire se donner tout à lui, elle le fait réellement à chaque instant et se donne sans réserve ; Dieu lui témoigne son amour, et le lui témoignera pendant toute l’éternité.

Dans le ciel, l’âme demeure tout unie à Dieu et l’aime de toutes des forces, d’un amour complet, qui, bien qu’il soit fini, la créature n’étant pas susceptible d’un amour infini, est néan­moins tel qu’il le satisfait entièrement jusqu’à ne lui laisser plus rien à désirer. Dieu, de son côté, se communique et s’unit à l’âme, en la remplissant de lui-même autant qu’elle en est susceptible selon ses mérites ; il s’unit à elle non seulement par le moyen de ses dons, de ses lumières et de ses attraits amou­reux, comme il s’unit à l’homme en cette vie, mais il s’unit à elle par sa propre essence. Comme le feu pénètre le fer et semble le transformer tout en lui-même, ainsi Dieu pénètre l’âme et la remplit de lui-même ; de sorte que, quoiqu’elle ne cesse pas d’exister, elle est néanmoins tellement remplie de Dieu et abîmée dans la mer immense de la substance divine, qu’elle se trouve comme anéantie et sans existence. C’est là le bonheur que l’Apôtre souhaitait à ses disciples.

Telle est la fin dernière que le Seigneur dans sa bonté veut que nous obtenions dans l’autre vie ; et notre âme ne sera jamais bien tranquille jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement unie à Dieu dans le ciel. Il est vrai que ceux qui aiment Jésus-Christ trouvent la paix dans la conformité à la volonté divine ; mais ils ne peuvent trouver un repos parfait en cette vie, parce qu’on ne l’obtient, ce repos, qu’avec la fin dernière, qui est de voir Dieu face à face, et d’être consumé de l’amour divin ; tant que l’âme n’est pas en possession de cette fin, elle est inquiète, elle gémit et soupire.

Oui, ô mon Dieu, je vis en paix dans cette vallée de larmes, parce que telle est votre volonté ; mais je ne puis m’empêcher d’éprouver une amertume inexplicable en pensant que je ne suis pas encore parfaitement uni à vous, qui êtes mon centre, mon repos et mon tout. Les saints, quoique brûlants de l’amour de Dieu, ne faisaient que soupirer sur la terre après la patrie bienheureuse. Le bien que j’attends est si grand, disait saint François d’assise, que les peines sont pour moi des plaisirs. Ce sont là autant d’actes d’une charité parfaite. Le plus haut degré de charité où une âme puisse arriver dans cette vie, c’est de désirer ardemment d’aller s’unir à Dieu et le posséder dans le ciel. Mais la félicité du ciel, comme nous l’avons déjà remarqué, ne consiste pas tant dans la joie que Dieu donne à l’âme que dans la joie que l’âme ressent de la félicité de Dieu, que les Bienheureux aiment plus qu’eux-mêmes.

La plus grande peine que les âmes du Purgatoire souffrent, c’est le désir qu’elles ont de posséder Dieu ; cette peine affligera spécialement les âmes de ceux qui n’auront eu en cette vie qu’un faible désir du paradis. Le cardinal Bellarmin dit qu’il y a dans le purgatoire un lieu appelé carcer honoratus où les âmes ne souffrent aucune peine du sens, mais seulement la privation de la vue de Dieu. Plusieurs exemples de cette sorte de peine sont rapportés par saint Grégoire, le vénérable Bède, saint Vincent Ferrier et sainte Brigitte. Cette peine est imposée non pour les péchés commis, mais pour avoir peu désiré le paradis pendant la vie. Bien des âmes aspirent à la perfection sans néanmoins désirer quitter la terre pour aller s’unir à Dieu. Mais comme la vie éternelle est un bien infiniment précieux que Jésus-Christ nous a mérité par sa mort, Dieu punit ensuite ces âmes du peu de désir qu’elles en ont eu pendant leur vie.

Affections et prières

Mon Dieu, vous m’avez créé pour le paradis, et c’est pour me l’ouvrir que vous m’avez racheté de l’enfer. Cependant, je vous ai souvent offensé, j’ai renoncé au bonheur que vous me prépariez, et je me suis contenté de me voir condamné à l’enfer. Mais votre miséricorde infinie m’a pardonné, je l’espère, toutes mes ingratitudes passées, après m’avoir souvent retiré de l’enfer. Ah ! mon Jésus, que ne vous ai-je toujours été fidèle ! que ne vous ai-je toujours aimé ! Mon unique consolation est que je suis encore à temps de réparer ma faute. Je vous aime, ô le Bien-Aimé de mon âme ! Je vous aime de tout mon cœur, et plus que moi-même. Je sais que vous voulez que je me sauve, pour aller vous aimer éternellement dans le ciel. Je vous remercie de tant de bonté ; je vous prie de m’accorder la grâce de vous aimer beaucoup pendant le reste de ma vie, pour vous aimer ensuite éternellement. Ah ! mon Sauveur, quand me verrai-je hors du danger de vous perdre, et tellement consumé d’amour à la vue de votre bonté infinie, que je sois dans la nécessité de vous aimer toujours ! Ô douce, ô heureuse, ô aimable nécessité, qui me délivrera de toute crainte de vous déplaire, et me contraindra de vous aimer de toutes mes forces ! Ma conscience me dit, il est vrai, que je ne puis prétendre à obtenir le ciel ; mais vos mérites, ô mon divin Rédempteur, sont toute mon espérance. Reine du ciel, Marie, votre interces­sion est toute-puissante auprès de Dieu : c’est en vous que j’espère.

Chapitre 17
La charité supporte tout
Celui qui aime Jésus-Christ avec beaucoup d’ardeur ne cesse pas de l’aimer
au milieu des tentations et des désolations

Les peines qui affligent davantage ici-bas les âmes qui aiment Dieu ne sont ni la pauvreté, ni les infirmités, ni les affronts, ni les persécutions ; mais ce sont les tentations et les désolations intérieures. Quand une âme vit dans la crainte et l’amour de Dieu, les douleurs, les ignominies et les mauvais traitements des hommes, loin de l’affliger, la consolent, parce qu’elle y trouve des moyens de donner à Dieu des preuves de son amour. Comme le bois dans un incendie, ces évènements servent à augmenter son amour envers Dieu. Mais se voir exposé par la tentation à perdre la grâce, ou craindre dans la désolation de l’avoir déjà perdue, voilà des peines bien amères pour celui qui aime le Cœur de Jésus-Christ. Il n’y a que l’amour qui puisse les faire souffrir avec patience et les conserver dans la voie de la perfection. Ces épreuves sont pour les âmes un creuset qui les purifie et les perfectionne.

1. Des tentations

Pour une âme qui aime Jésus-Christ, il n’y a pas de peines plus grandes que les tentations. Tous les autres maux la portent à s’unir davantage à Dieu, quand elle les reçoit avec résignation ; mais les tentations l’exposent à se séparer de Jésus-Christ, et lui sont, par conséquent, plus amères que tous les autres tour­ments. Il faut savoir cependant que les tentations ne viennent jamais de Dieu, mais ou du démons ou de nos mauvaises inclinations. Le Seigneur permet néanmoins quelquefois que les âmes qu’il chérit le plus soient tentées avec le plus de violence, pour qu’elles connaissent mieux leur faiblesse et le besoin qu’elles ont de la grâce pour ne pas tomber. Quand une âme est favorisée de Dieu par des consolations intérieures, il lui semble être assez forte pour résister aux suggestions du démon, et pour tout entreprendre à la gloire de Dieu. Mais dans une forte tentation, comme elle se voit à deux doigts du précipice, près d’y tomber, elle s’aperçoit de sa faiblesse et reconnaît qu’elle ne peut résister si Dieu ne la secourt. C’est là préci­sément ce qui arriva à saint Paul, qui dit que le Seigneur avait permis qu’il fût tourmenté par une tentation sensuelle, afin qu’il ne s’enorgueillît pas des révélations dont il avait été favorisé.

Dieu permet les tentations pour que nous soyons plus détachés des choses de la terre, et que nous désirions plus ardemment d’aller le voir en paradis. Les bonnes âmes, se voyant assaillies en tout temps et en tout lieu par tant d’enne­mis, sont ennuyées de la vie. Elles soupirent après l’heure où elles pourront dire : Le filet est brisé, je suis délivrée. Ces âmes voudraient s’envoler vers Dieu ; mais un filet les retient sur la terre, où elles demeurent sujettes aux tentations jusqu’à ce que l’heure de sortir de ce monde soit venue. Voilà pourquoi les âmes qui aiment Jésus-Christ soupirent après la mort, qui les délivre du danger de perdre Dieu.

Dieu permet encore que nous soyons tentés pour nous rendre plus riches en mérites, comme il fut dit à Tobie. Lors donc qu’on est tenté, loin de craindre qu’on soit mal avec Dieu, on doit, au contraire, espérer qu’on en est aimé. Le démon, pour tromper certains esprits pusillanimes, leur fait croire que les tentations sont de véritables péchés. Ce ne sont pas de mauvaises pensées qui nous font perdre Dieu, mais c’est le consentement qu’on y donne. Quelque fortes que soient les suggestions du démon, quels que soient les fantômes impurs qui roulent dans notre imagination, si c’est malgré nous, loin de souiller notre âme, ils la rendent plus pure, plus forte et plus agréable à Dieu. Saint Bernard dit que toutes les fois que nous sommes vainqueurs de la tentation, nous gagnons une nouvelle couronne. Quand même une mauvaise pensée continuerait à nous inquiéter, ne nous en troublons pas ; il suffit que nous l’abhorrions et que nous cherchions à la bannir de notre esprit.

Dieu est fidèle, il ne souffre pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces. Celui donc qui résiste à la tentation, non seulement ne perd rien, mais gagne beaucoup. C’est pour cela que le Seigneur permet souvent que les âmes qui lui sont le plus chères aient aussi de plus fortes tentations, pour leur faire acquérir plus de mérites sur la terre et plus de gloire dans le ciel. L’eau dormante se corrompt bien vite ; de même l’âme sans tentations est exposée à se perdre par quelque vaine complai­sance en son propre mérite. Pensant être arrivée à la perfection, elle cesse de craindre, elle ralentit sa ferveur dans la prière, et elle ne travaille que très peu à assurer son salut ; mais quand elle est agitée de la tentation, qu’elle se voit en danger de pécher, elle recourt au Seigneur et à sa divine Mère, elle renouvelle sa résolution de mourir plutôt que d’offenser Dieu, elle s’humilie et s’abandonne entre les bras de sa miséricorde divine. Par ce moyen elle acquiert plus de force et s’unit plus étroitement à Dieu, comme l’expérience le prouve.

Il ne faut cependant pas désirer les tentations, mais plutôt prier Dieu qu’Il nous en préserve, et spécialement de celles auxquelles nous succomberions ; c’est ce que nous demandons chaque jour en récitant le Pater ; mais quand Dieu permet que nous soyons tentés, ne nous inquiétons pas des mauvaises pensées qui nous surviennent ; espérons en Dieu, demandons-lui du secours, et il ne manquera pas de nous donner la force de résister. Abandonnons-nous à Dieu, et ne craignons rien ; car, s’il permet que nous soyons exposés à la tentation, il ne se retirera pas de nous pour nous laisser tomber.

Examinons maintenant les moyens que nous devons prendre pour vaincre les tentations. Les maîtres de la vie spirituelle en enseignent plusieurs. Pour moi, je ne parlerai ici que de la prière, le plus nécessaire et le plus sûr de tous ces moyens. Lors donc que nous sommes tentés, recourons à Dieu, et disons-lui avec humilité et confiance : Seigneur, aidez-moi sur-le-champ. Cette prière suffira pour nous faire vaincre même tout l’enfer rassemblé contre nous ; car Dieu est infiniment plus fort que tous les démons. Dieu sait que nous ne pouvons résister aux tentations ; aussi, quand nous sommes exposés à succomber, Dieu est obligé de nous donner la force de vaincre, si nous la lui demandons.

Comment pourrions-nous craindre de n’être pas secourus par Jésus-Christ après tant de promesses de sa part ! Êtes-vous pressés par la tentation, dit le Seigneur, venez à moi, je vous aiderai. Êtes-vous entourés d’ennemis, appelez-moi à votre secours, je vous délivrerai de leurs mains, et vous me louerez. Alors vous appellerez le Seigneur à votre aide, et il vous exaucera. Vous vous écrierez : Seigneur, venez promptement à mon secours, et il vous répondra : Me voici, je suis prêt à vous secourir. A-t-on jamais adressé au Seigneur des prières qu’il ait méprisées ? David était si sûr que la prière lui ferait vaincre ses ennemis, qu’il disait : j’invoquerai le Seigneur, et il me délivrera de mes ennemis. Car il savait que Dieu est près de celui qui prie. Et saint Paul ajoute que le Seigneur est libéral envers tous ceux qui l’invoquent.

Si l’on invoquait toujours Dieu dans la tentation, on ne pécherait pas ; mais l’on veut satisfaire ses passions ; et l’on préfère les plaisirs d’un instant à Dieu, qui est un bien infini. Ainsi l’on pèche parce qu’on le veut ; car l’expérience prouve que celui qui recourt à Dieu ne pèche pas, et que celui qui n’y recourt pas pèche infailliblement, surtout quand il s’agit de tentations d’incontinence. Salomon disait que, sachant qu’il ne pouvait être chaste si Dieu ne lui en donnait la grâce, il recourait au Seigneur dans les tentations. Quand on éprouve des tentations contre la pureté ou contre la foi, il ne faut pas s’arrêter à les combattre de front ; mais dès le commencement il faut les rejeter indirectement, en produisant un acte d’amour de Dieu, de contrition, et en s’occupant à quelque chose d’indiffé­rent qui puisse distraire : ainsi, dès qu’il nous survient quelque pensée un peu mauvaise, il faut la repousser tout de suite, lui fermer, pour ainsi dire, la porte au nez, sans s’arrêter à considérer ce qu’elle est, et la traiter comme une étincelle qui tomberait sur nos habits.

Mais si la tentation impure a déjà fait impression dans l’esprit et sur les sens, il faut réclamer le secours du Seigneur, en invoquant les saints Noms de Jésus et de Marie, qui ont une vertu particulière contre les tentations. Dès qu’un enfant aperçoit le loup, il court se jeter entre les bras de son père ou de sa mère, et s’y croit en sûreté. Imitons-le, dit saint François de Sales ; à l’aspect de la tentation, recourons à Jésus et à Marie, et recourons-y tout de suite, sans perdre du temps à raisonner avec la tentation. On lit dans le livre des Sentences des Pères que saint Pacôme entendit un jour un démon se vanter d’avoir fait souvent tomber un religieux qui, lorsqu’il le tentait, lui donnait audience et ne recourait pas Dieu ; il en entendit un autre qui se plaignait de ne pouvoir rien contre le religieux qu’il tentait, parce qu’il recourait tout de suite à Dieu, et était par là toujours vainqueur.

Si la tentation continue, gardons-nous bien de nous troubler et de nous irriter ; le démon pourrait profiter de ce moment de trouble pour nous faire tomber ; mais, nous résignant alors avec humilité à la volonté de Dieu, qui permet la tentation, disons-lui ; Seigneur, je mérite bien, en punition de mes péchés passés, d’être livré à une pareille tentation ; mais, de grâce, secourez-moi, et ne permettez pas que j’y succombe. Invoquons aussi Jésus et Marie tant que la tentation durera. Il est encore bon de renouveler alors la résolution de souffrir toutes sortes de tourments, et la mort même, plutôt que d’offenser Dieu, sans cesser cependant de se recommander à lui. Lorsque la tentation est si forte, qu’on est en danger d’y consentir, il faut redoubler de prières, recourir au saint Sacrement, se jeter au pied du crucifix ou de quelque image de la sainte Vierge, pour prier avec beaucoup plus de ferveur, gémir, soupirer, demander du secours. Il est vrai que Dieu est prêt à exaucer celui qui le prie ; et c’est sa grâce et non pas notre industrie qui doit nous donner la force de résister ; mais il veut quelquefois que nous commen­cions par faire tous nos efforts ; il supplée ensuite notre faiblesse, et nous fait obtenir la victoire.

Il faut pendant la tentation faire souvent le signe de la croix sur le front et sur la poitrine, il faut encore ouvrir son cœur à son Père spirituel. Saint Philippe de Néri disait qu’une tentation découverte est à moitié vaincue. C’est un sentiment communé­ment reçu de tous les théologiens, même des rigoristes, que les personnes qui ont mené pendant longtemps une vie régulière, toutes les fois qu’elles ne sont pas sûres d’avoir consenti à quelque faute grave, doivent être persuadées qu’elles n’ont pas perdu la grâce de Dieu ; car il est moralement impossible qu’une volonté confirmée depuis très longtemps dans de bons propos, change tout à coup et consente à un péché mortel, sans le connaître clairement. Le péché mortel est un monstre si horrible, qu’il ne peut, sans se faire connaître clairement, entrer dans une âme qui l’a abhorré pendant longtemps. C’est ce que nous avons prouvé au long dans notre Théologie morale (VI, n° 476). Sainte Thérèse disait : Personne ne se perd sans le savoir, et personne ne peut être trompé sans vouloir l’être.

Ainsi, quand il s’agit d’une personne d’une conscience délicate et d’une vertu solide, mais d’ailleurs timide et molestée par des tentations, spécialement contre la foi ou la chasteté, quelquefois le directeur fera bien de lui défendre de les découvrir en confession ; car, pour les découvrir, elle devrait les examiner, et cet examen lui serait dangereux et pourrait augmenter le trouble et l’agitation. Il suffit que le directeur soit moralement sûr qu’elle ne consent pas à ces suggestions, pour lui faire un point d’obéissance de n’en pas parler. C’est ainsi que faisait sainte Jeanne de Chantal. Ayant eu pendant plusieurs années à soutenir grand nombre de tentations sans qu’elle fût sûre d’y avoir consenti, elle ne les a jamais découvertes en confession, se contentant de dire, selon l’avis de son directeur : je n’ai jamais eu une parfaite connaissance du consentement. Par là, elle faisait entendre qu’il lui était resté quelque agitation de scrupule au sujet de ses tentations, mais qu’elle se tran­quillisait sur la défense que son directeur lui avait faite de se confesser de ses doutes. Du reste, il est ordinai­re­ment à propos de découvrir les tentations au confesseur, pour les raisons déjà données.

Mais, je le répète, le plus efficace et le plus nécessaire de tous les remèdes, c’est de prier et de persévérer dans la prière tant que la tentation dure. Il arrive souvent que le Seigneur nous accorde la victoire, non à la première mais à la seconde, à la troisième et même à la quatrième prière. En un mot, soyons persuadés que c’est de la prière que dépend tout notre bien ; de la prière dépend le changement de la vie ; de la prière dépend la victoire sur les tentations ; par la prière on obtient l’amour divin, la perfection, la persévérance et le salut.

Qu’on ne s’étonne pas de me voir recommander si souvent dans mes ouvrages l’usage de la prière, son importance et sa nécessité continuelle ; je crains, au contraire, de n’avoir pas encore assez insisté sur ce point. Je sais que le démon ne cesse ni jour ni nuit de nous tendre des pièges pour nous faire tomber. Je sais que sans le secours divin nous ne sommes pas capables de lui résister, et c’est pour cela que l’Apôtre nous exhorte à nous revêtir de l’armure de Dieu. Or, quelle est-elle, cette armure ? Ce sont les prières continuelles et ferventes, pour que Dieu nous aide à vaincre. Dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, nous sommes sans cesse avertis du besoin de prier : Invoquez-moi, et je vous délivrerai. Criez vers moi, et je vous exaucerai. Il faut toujours prier, et ne jamais cesser. Demandez, et il vous sera donné. Veillez et priez. Priez sans cesse. Il me semble donc n’avoir pas trop parlé de prier.

Je désirerais que les prédicateurs, les confesseurs et les auteurs de livres spirituels fissent de la prière le sujet principal de leurs discours et de leurs exhortations ; leur silence à cet égard me paraît être une juste punition de nos crimes. Les prédications, les méditations, les communions, les mortifica­tions sont d’une utilité reconnue pour la vie spirituelle ; mais, malgré tous ces moyens, nous tomberons, si lors de la tentation, nous ne recourons pas à Dieu. Prions donc, si nous voulons nous sauver ; et surtout, lorsque nous sommes tentés, recou­rons au Sauveur, demandons-lui non seulement la force de vaincre la tentation et la persévérance dans la grâce, mais encore la grâce de toujours prier. Recourons aussi à Marie, la Dispensatrice des grâces, puisque saint Bernard assure que la volonté de Dieu est que nous ne recevions aucune grâce qui ne passe par les mains de Marie.

Affections et prières

Jésus, mon divin Rédempteur, j’espère que par vos mérites vous m’aurez pardonné mes péchés, et que je vous en remercierai à jamais dans le ciel. Je reconnais que si j’ai eu le malheur de pécher et de retomber, c’est pour avoir négligé de vous demander la persévérance. Je vous la demande maintenant, ô mon Dieu, cette vertu ; ne permettez pas que je me sépare de vous. Je fais la résolution de vous la demander toujours, et surtout quand je serai tenté de vous offenser. Mais à quoi me servira de faire des résolutions et des promesses, si vous ne me donnez la grâce de recourir à vous dans le besoin ? Ah ! c’est par les mérites de votre Passion que je vous la demande, cette grâce ; ne me la refusez pas. Marie, ma Reine et ma Mère, je vous prie, par l’amour que vous avez pour Jésus, de m’obtenir la grâce de recourir toujours à Votre Divin Fils et à vous jusqu’à la mort.

2. Des désolations

On se trompe, dit saint François de Sales, quand on veut mesurer sa dévotion sur les consolations qu’on éprouve dans le service du Seigneur. La véritable dévotion consiste dans une volonté ferme de faire tout ce qui plaît à Dieu ; c’est par les aridités que Dieu s’attache plus étroitement les âmes. L’obstacle à la véritable union avec Dieu, c’est l’attachement à nos inclinations déréglées. Quand Dieu veut attirer une âme à son parfait amour, il cherche à la détacher de toute affection des biens de la terre. C’est pourquoi il la prive peu à peu des plaisirs, des biens et des honneurs du monde, de ses amis, de ses parents et de sa santé ; c’est par là qu’il la détache de la créature pour lui faire mettre toutes ses affections en son Dieu.

Dans cette vue, Dieu, pour attacher l’âme aux biens spirituels, lui fait goûter au commencement beaucoup de consolations intérieures accompagnées d’une abondance de larmes. Par l’attrait de ces douceurs, l’âme se détache des plaisirs sensuels, s’adonne même aux pénitences et aux mortifications, aux jeûnes, aux cilices et aux disciplines. Il faut alors qu’un sage directeur modère cette ardeur et refuse, du moins en partie, les mortifications demandées qui pourraient devenir nuisibles à la santé. Quand le démon voit qu’elle se donne à Dieu et qu’elle en reçoit des consolations ordinaires aux commençants, il suggère toujours ces pénitences indiscrètes pour faire perdre la santé, et avec elle l’usage non seulement des pénitences, mais encore de l’oraison, de la communion, de tous les exercices de piété, et faire ainsi retourner aux anciens dérèglements. Le devoir du directeur est alors de refuser la permission de faire ces péni­tences et d’exhorter aux mortifications intérieures, comme à souffrir en patience les mépris et les adversités, à obéir aux supérieurs, à s’abstenir de toute curiosité de la vue et de l’ouïe ; promettant que, lorsqu’on sera bien exercé dans ces mortifica­tions intérieures, il permettra l’usage des mortifications extérieures. Du reste, qu’on ne dise pas que les mortifications extérieures ne sont que peu ou pas utiles ; les mortification intérieures sont plus nécessaires à la perfection ; mais celles qui sont extérieures ont aussi leurs avantages. Saint Vincent de Paul dit que celui qui ne pratique pas les mortifications exté­rieures ne sera jamais mortifié, ni extérieurement ni intérieu­rement. Saint Jean de la Croix ajoute qu’on ne doit pas se fier à un directeur qui méprise les macérations de la chair, quand même ce serait un thaumaturge.

Mais revenons à notre sujet. L’âme qui commence à se donner à Dieu, éprouvant la douceur de ses consolations sensibles, se détache peu à peu des créatures et s’attache à Dieu ; mais, comme elle le fait plutôt par l’attrait de ces douceurs que par une véritable volonté de plaire au Seigneur, elle croit faussement que plus elle trouve de goût dans ces dévotions, plus elle aime Dieu. Il en résulte que quand il faut quitter ces exercices de piété, dans lesquels elle trouvait tant de douceurs, pour s’acquitter des obligations que l’obéissance, la charité ou son état lui imposent, elle s’inquiète et se trouble ; car tel est le faible de l’homme, qu’il ne cherche dans toutes des actions que sa propre satisfaction. Quand il ne trouve plus les mêmes consolations dans ses exercices, il les laisse, ou du moins les abrège, et en les abrégeant de jour en jour, il en abandonne enfin l’usage. Voilà ce qui arrive à bien des âmes. Fidèles à la voix de Dieu, elles entrent dans le chemin de la perfection et y font quelques pas tant que les douceurs spirituelles durent ; mais ces douceurs viennent-elles à manquer, elles laissent tout et reprennent leur ancien genre de vie. Il faut donc bien se persuader que l’amour de Dieu et la perfection ne consistent pas à goûter des consolations et des douceurs intérieures, mais à vaincre l’amour-propre, pour ne suivre que la volonté de Dieu. Saint François de sales dit que Dieu est aussi aimable quand il nous envoie de tribulations que lorsqu’il nous console.

Tant qu’on éprouve des consolations, il faut peu de vertu pour renoncer aux plaisirs sensuels et supporter avec patience les affronts et les adversités ; mais bien souvent toute cette patience provient de cet état de douceur, et non pas d’un véritable amour de Dieu. C’est pourquoi le Seigneur, pour affermir l’âme dans la vertu, se retire d’elle et lui ôte toutes ses consolations, pour la détacher de l’amour-propre, qui se repaissait de ces douceurs. Ainsi, au lieu du plaisir qu’elle trouvait d’abord à produire des actes d’offrande, de confiance et d’amour, elle ne ressent plus alors que peine et froideur ; elle est ennuyée de tous les exercices de dévotion, de l’oraison, de la lecture spirituelle, de la communion ; bien plus, elle n’y trouve que craintes et que ténèbres ; il lui semble que tout est perdu ; elle craint toujours de n’avoir pas prié comme il faut ; elle recommence à chaque instant sa prière ; elle s’afflige et croit que Dieu refuse de l’exaucer.

Voici donc ce que nous devons faire en pareilles circons­tances : loin de repousser ces consolations divines, comme le prétendaient quelques faux mystiques, recevons-les avec reconnaissance, sans toutefois nous arrêter à les savourer et à nous y complaire ; cette complaisance est appelée par saint Jean de la Croix une gourmandise spirituelle ; elle ne plaît pas à Dieu. Ainsi, bannissons de notre esprit cette complaisance dans les consolations, et gardons-nous bien de croire que le Seigneur nous favorise de la sorte parce que nous nous conduisons mieux que les autres ; cette pensée ferait qu’il se retirerait tout à fait de nous et nous laisserait dans nos misères. Ces consolations spirituelles sont des dons bien plus précieux que toutes les richesses et tous les honneurs de ce monde. Remercions-en donc le Seigneur ; mais en même temps, loin de nous complaire en ses douceurs, humilions-nous et rappelons-nous nos péchés passés ; pensons que ces grâces sont de purs effets de la bonté de Dieu, et qu’il nous les envoie peut-être pour nous disposer à souffrir avec patience de grandes tribulations. Préparons-nous donc alors à supporter toute sortes de peines intérieures ou extérieures, de maladies et de persécutions, en disant à Dieu : Seigneur me voici ; disposez entièrement de moi et de tout ce qui m’appartient ; donnez-moi la grâce de vous aimer et d’accomplir parfaitement votre sainte volonté ; c’est tout ce que je vous demande.

Mais une âme qui est moralement sûre d’être dans la grâce de Dieu, fût-elle d’ailleurs privée à la fois des plaisirs du monde et de ceux du ciel, demeure en paix, car elle sait qu’elle aime Dieu, et qu’elle est payée de retour. Mais Dieu, voulant la purifier davantage et la dépouiller de toute satisfaction sensible, pour l’unir à lui par un amour pur et parfait, la met quelquefois dans le creuset de la désolation, qui est la plus amère de toutes les peines intérieures et extérieures ; il répand sur son esprit des ténèbres si épaisses, qu’elle n’est plus dans le cas de reconnaître si elle est en état de grâce, et qu’il lui semble ne pouvoir plus retrouver Dieu. Dieu permet quelquefois qu’elle ait de fortes tentations d’impureté, accompagnées de mouvements de la partie inférieure, ou des pensées contraires à la foi, à l’espérance et à la charité, des pensées même de haine contre Dieu, dont elle se croit abandonnée. Comme alors d’un côté les suggestions du démon sont fortes et la concupiscence émue, et que, de l’autre, l’âme, bien qu’elle résiste avec la volonté, ne sait pas néanmoins, dans une si grande obscurité, distinguer suffisamment si elle résiste comme il faut à ces tentations ou si elle y consent, toutes ces circonstances lui font craindre d’avoir été infidèle dans ces différentes tentations, et d’avoir en même temps perdu Dieu et la grâce. Elle va plus loin : elle croit toucher à sa perte totale, ne plus aimer Dieu et avoir encouru sa haine. Les saints eux-mêmes n’ont pas été exempts de pareilles désolations. Sainte Thérèse dit les avoir éprouvées ; elle ajoute que la solitude, loin d’adoucir ses maux, ne faisait que les exaspérer, et que l’oraison lui semblait un enfer.

Ces désolations ne doivent pas effrayer une âme qui aime, et bien moins encore son directeur. Ces agitations sensuelles, ces tentations contre les vertus théologales ne sont que de pures craintes, des tourments de l’âme, des efforts du démon, et non pas des actes volontaires, ni par conséquent des péchés. L’âme qui aime véritablement Jésus-Christ résiste et ne consent pas à ces suggestions ; mais, à cause des ténèbres qui l’environnent, elle reste dans la confusion et le doute, et, comme la grâce ne se manifeste pas à elle d’une manière sensible, elle craint et s’afflige. Mais voulez-vous connaître la véritable situation de cette âme, demandez-lui, même dans le fort de sa désolation, si elle commettrait un seul péché véniel de propos délibéré : elle n’hésitera pas de vous répondre qu’elle est prête à souffrir, non une, mais mille morts plutôt que d’offenser ainsi le Seigneur.

C’est pourquoi, autre chose est faire un bon acte, comme de repousser la tentation, d’espérer en Dieu, de l’aimer et de vouloir ce qu’il veut ; autre chose est connaître qu’on fait réelle­ment ce bon acte. Cette connaissance du bon acte fait qu’on éprouve un contentement intérieur ; mais le fruit et le mérite du bon acte consistent entièrement dans l’exécution. C’est de cette dernière que Dieu se contente, et il prive l’âme de la connais­sance du bon acte qu’elle a fait pour lui ravir la satisfaction qui, dans le fond, n’ajoute rien à l’acte fait, puisque le Seigneur s’occupe plus de notre profit que de notre satisfaction. Voici ce que saint Jean de la Croix écrivait à une personne pour la consoler dans cette triste situation : Jamais vous n’avez été dans un meilleur état qu’à présent, car vous n’avez jamais été si humiliée, si détachée du monde et si abjecte à vos yeux que vous ne l’êtes à présent ; vous n’avez jamais été aussi éloignée de vous rechercher vous-même. Enfin, ne croyons pas que dans le temps où nous éprouvons le plus de consolations intérieures, nous soyons plus aimés de Dieu ; car, ce n’est pas dans ces consolations que la perfection consiste, c’est dans la mortifica­tion de notre propre volonté et dans une parfaite conformité à la volonté de Dieu.

Dans l’état de désolation, l’âme ne doit pas écouter le démon, qui lui dit que le Seigneur l’a abandonnée, ni cesser pour cela de faire oraison ; c’est un piège que le démon lui tend pour l’entraîner dans le précipice. C’est par les aridités et les tentations, dit sainte Thérèse, que le Seigneur éprouve ceux qu’il aime. Quand même les aridités dureraient toute la vie, on ne doit pas abandonner l’oraison ; car un temps viendra où toutes ces peines seront payées à haut prix. On doit alors s’humilier dans la pensée qu’on mérite d’être traité ainsi à cause des péchés passés, et se résigner entièrement à la volonté de Dieu, en lui disant : Me voici, Seigneur : si vous voulez que je reste dans la désolation et l’affliction toute ma vie, et même pendant toute l’éternité, donnez-moi votre grâce, faites que je vous aime, et ensuite disposez de moi comme il vous plaira.

Ne vous fatiguez pas inutilement, et n’augmentez pas votre inquiétude et votre trouble en voulant vous assurer que vous êtes en état de grâce. Ce n’est là qu’une épreuve, et non pas un abandon de Dieu, parce que Dieu ne veut pas que vous ayez actuellement cette connaissance : Il ne le veut pas pour votre plus grand bien, pour vous humilier, pour que vous redoubliez les prières et les actes de confiance en sa divine miséricorde. Vous voulez voir, et Dieu ne veut pas que vous voyiez. D’ailleurs, saint François de Sales dit que la résolution de ne jamais consentir à aucun péché, quelque petit qu’il soit, est une marque que l’on est en grâce avec Dieu. Mais c’est encore là une chose qu’on ne peut reconnaître clairement quand on se trouve dans une profonde désolation ; on ne doit pas prétendre alors à l’évidence de la chose qu’on veut, il suffit de la vouloir par la pointe de la volonté, et de d’abandonner entre les bras de la volonté divine. Qu’ils sont agréables à Dieu de tels actes de confiance et de résignation au milieu des ténèbres de la désolation ! Mettons donc en Dieu toute notre confiance, puisque, comme dit sainte Thérèse, il nous aime bien plus que nous ne nous aimons nous-mêmes.

Consolez-vous donc, âmes chéries de Dieu, vous qui êtes véritablement résolues d’être tout à Dieu, et qui vous voyez en même temps privées de toute consolation. Votre désolation est une preuve que vous êtes grandement aimées de Dieu, et qu’il vous tient préparée une place en paradis, où les consolations sont pleines et éternelles. Soyez assurées que, plus vous aurez été affligées en cette vie, plus vous en recevrez de consolations en l’autre. Sainte Jeanne de Chantal, pendant quarante-et-un ans, eut à soutenir de terribles assauts de la part de l’enfer, des peines intérieures, des tentations, des craintes d’être dans la disgrâce de Dieu, et même d’en être abandonnée entièrement. Ses afflictions étaient si continuelles et si grandes, qu’il n’y avait que la pensée de la mort qui lui donnât quelque soulagement. L’ennemi, disait-elle, m’attaque avec tant de fureur, que je ne sais de quel côté me retourner ; il me semble parfois que la patience va m’échapper, et que je suis sur le point de perdre et de laisser toutes choses. Les tentations sont si violentes, que je donnerais volontiers ma vie pour en être délivrée ; quelquefois elles vont jusqu’à me faire perdre l’usage des aliments et du sommeil.

Ces tentations augmentèrent encore les huit à neuf dernières années de sa vie, et devinrent bien plus fortes. La mère de Chatel disait que la sainte Mère de Chantal souffrait jour et nuit un continuel martyre intérieur, au temps de l’oraison, du travail et même du repos, ce qui lui inspirait une extrême compassion pour cette sainte. Elle était tentée contre toutes les vertus excepté contre la chasteté ; le démon lui suscitait des doutes, des perplexités et des répugnances sans nombre. Quelquefois Dieu la privait de ses lumières et lui apparaissait tout courroucé contre elle, comme disposé à la chasser de sa présence ; en sorte que, tout effrayée, elle détournait ses regards pour trouver ailleurs quelque soulagement ; mais, comme elle s’en trouvait nulle part, elle était contrainte de ramener ses regards vers Dieu et de s’abandonner à sa miséricorde. Il lui semblait qu’elle allait succomber à chaque instant à la force des tentations. Quoique Dieu ne cessât pas de l’assister, sa désolation était telle, qu’elle se figurait qu’il l’avait abandonnée, vu que l’oraison, les lectures pieuses, la communion et les autres exercices spirituels ne lui offraient plus aucune satisfaction, mais seulement des ennuis et des angoisses. Tout son secours dans cet état d’abandon était de regarder Dieu et de laisser faire.

Dans tous mes abandonnements, disait cette sainte, je trouve une nouvelle croix dans la vie simple que je mène, et l’impuissance dans laquelle je suis d’agir, vient encore ajouter à ma croix. Il lui semblait être comme un malade accablé de douleurs ; incapable de se tourner et de se remuer en aucun sens, sans parole pour découvrir ses maux, et sans vue pour distinguer si on lui apporte un médicament ou du poison. Elle ajoutait en versant un torrent de larmes : Il me semble être sans foi, sans espérance et sans amour de Dieu. Cependant elle conservait toujours un visage serein et beaucoup de douceur dans la conversation. Elle tenait sans cesse ses regards fixés en Dieu, et se reposait entièrement dans le sein de la volonté divine. Saint François de Sales, son directeur, qui connaissait combien son âme était belle aux yeux de Dieu, en parlait ainsi : Son cœur était comme un musicien sourd qui, doué d’une voix délicieuse, ne peut retirer aucun plaisir de son chant. Il écrivait à la sainte en ces termes : Vous devez servir votre Seigneur seulement par amour de sa volonté, dans la privation de toute consolation, au milieu de ces déluges de tristesse et d’effroi. C’est ainsi qu’on parvient à la sainteté.

Les saints sont les pierres choisies qui, comme le chante l’Église, travaillées à coups de ciseau, c’est-à-dire par le moyen des tentations, des craintes, des doutes, des perplexités, et des autres peines intérieures et extérieures, deviennent ensuite propres à être placées sur des trônes dans le royaume du paradis.

Affections et prières

Jésus, mon espérance et mon amour, je ne mérite pas que vous me donniez des consolations et des douceurs, réservez-les pour les âmes innocentes qui vous ont toujours aimé ; pour moi, qui suis pécheur, je ne les mérite pas, je ne vous les demande pas. Tout ce que je vous demande, c’est de faire que je vous aime et que j’accomplisse toujours votre sainte volonté. Du reste, disposez entièrement de moi. Mes péchés passés m’ont mérité des peines et des afflictions bien plus grandes : ils m’ont mérité l’enfer, où je serai condamné à des souffrances et à des pleurs éternels, sans pouvoir jamais plus vous aimer. Ah ! c’est uniquement cette dernière peine que je vous prie d’éloigner de moi. Vous méritez un amour infini ; vous m’avez fait par vos bienfaits une obligation de vous aimer ; non, je ne saurais vivre sans vous aimer. Je vous aime, ô mon souverain Bien ! je vous aime de tout mon cœur et plus que moi-même ; je vous aime et je ne veux aimer que vous. Cette bonne volonté est un effet de votre grâce. Achevez votre ouvrage, soyez mon soutien jusqu’à ma mort, ne m’abandonnez pas à moi-même, donnez-moi la force de vaincre les tentations, surtout de me vaincre moi-même ; et, pour que j’y réussisse, faites que je me recommande sans cesse à vous par la prière. Je veux être tout à vous. Je vous consacre mon corps, mon âme, ma volonté, ma liberté ; je ne veux vivre que pour vous, mais pour vous seul, ô mon Créateur, mon Rédempteur, mon amour et mon tout ! je veux me sanctifier à tout prix, et je l’espère de votre bonté. Affligez-moi, privez-moi de tout ; mais ne me privez pas de votre grâce et de votre amour. Espérance des pécheurs, ô Marie ! c’est en vous que j’espère, votre intercession est toute-puissante auprès de Dieu ; par l’amour que vous avez pour Jésus-Christ, aidez-moi et conduisez-moi au port du salut.

Abrégé des vertus
indiquées dans cet ouvrage, qui doivent être pratiquées par ceux qui aiment Jésus-Christ

Il faut souffrir avec patience toutes les tribulations de cette vie, les infirmités, les maladies, les douleurs, la pauvreté, la perte des biens, la mort des parents, les affronts, les persécu­tions et toutes les adversités. Les afflictions de cette vie nous démontrent, que Dieu nous aime et qu’il veut nous sauver ; et les mortifications involontaires que Dieu nous envoie lui sont plus agréables que les volontaires que nous prenons par notre choix.

Dans les maladies, tâchons de nos résigner entièrement à la volonté du Seigneur : cette disposition plaît à Dieu plus que toute autre pratique de piété. Si nous ne pouvons alors méditer, jetons les yeux sur le crucifix, et offrons à Jésus nos souffrances en union de celles qu’il a endurées pour nous sur la croix. Si l’on nous annonce que l’heure de notre mort est proche, recevons cet avis en paix et dans un esprit de sacrifice, c’est-à-dire, en voulant mourir pour plaire à Jésus-Christ ; c’est cette volonté qui fit tout le mérite de la mort des martyrs. Ainsi disons à Dieu : Seigneur, me voici ; je suis prêt à faire tout ce que vous voudrez, à souffrir autant que vous voudrez, et à mourir quand vous voudrez. Ne désirons pas vivre plus longtemps pour faire pénitence : la plus belle pénitence est d’accepter la mort avec une entière résignation.

Conformons-nous aussi à la volonté divine quand nous éprouvons la pauvreté et ses suites, comme le froid, la faim, la fatigue, la confusion et les dérisions.

Soyons aussi résignés à la perte des biens, des parents ou amis qui auraient pu être utiles. Accoutumons-nous à répéter dans les adversités ces mots : Le Seigneur le veut, je le veux aussi. À la mort de nos proches, au lieu de perdre notre temps à pleurer sans utilité, employons-le à prier pour les âmes des défunts, offrant alors à Jésus-Christ la peine que nous éprouvons de les avoir perdus.

Souffrons avec patience et en paix les mépris et les affronts. Répondons avec bonté et douceur à celui qui nous insulte. Mais, si nous nous sentons agités, il vaut mieux souffrir en silence, jusqu’à ce que notre esprit soit calmé. Gardons-nous bien de nous plaindre aux autres de l’affront que nous avons reçu, mais offrons-le à Jésus-Christ, qui a tant souffert pour l’amour de nous.

Soyons doux et affables avec tout le monde, supérieurs, inférieurs, nobles, roturiers, parents et étrangers, mais surtout avec les pauvres et les malades, et plus spécialement encore avec les ennemis.

Quand nous faisons une réprimande, que ce soit avec douceur ; c’est le meilleur moyen de la rendre profitable. Ainsi, gardons-nous de reprendre les autres lorsque nous somme en colère : il y aurait toujours alors quelque chose d’amer, ou dans les paroles ou dans les manières ; gardons-nous encore de reprendre une personne irritée ; la correction servirait plutôt à l’exaspérer qu’à la faire rentrer en elle-même.

N’envions aux grands du monde ni leurs richesses, ni les honneurs, les dignités et les applaudissements qu’ils reçoivent des hommes. Portons envie à ceux qui aiment le plus Jésus-Christ ; ils sont plus contents de leur sort que les premiers monarque de la terre. Remercions Dieu de nous avoir fait connaître la vanité des biens terrestres, qui causent la perte de tant d’âmes.

Dans toutes nos pensées et nos actions n’ayons pas égard à notre propre satisfaction, mais ne cherchons qu’à plaire à Dieu ; ainsi, ne nous troublons pas quand nos desseins sont traversés ; et, quand nous réussissons, ne recherchons pas les applaudisse­ments ni les remerciements des hommes ; si l’on parle mal de nous, n’en faisons pas de cas : c’est à Dieu et non aux hommes que nous voulons plaire.

Les principaux moyens pour arriver à la perfection sont :

En premier, d’éviter tout péché délibéré, même léger ; mais, s’il nous arrive malheureusement de tomber dans quelque faute, gardons-nous de nous irriter contre nous-mêmes : il faut alors nous en repentir sans trouble, faire un acte d’amour envers Jésus-Christ et lui promettre de ne plus l’offenser à l’avenir, moyennant sa sainte grâce ;

En deuxième lieu, de désirer d’arriver à la perfection des saints, et de tout souffrir pour plaire à Jésus-Christ ; ou, si nous n’avons pas ce désir, de prier le Seigneur de nous l’accorder ; car, sans un véritable désir de notre sanctification, nous ne pourrons jamais avancer dans la perfection ;

En troisième lieu, d’être dans une ferme résolution d’attein­dre à la perfection. C’est là un moyen de surmonter tous les obstacles et toutes les répugnances. Sans cette résolution, on reste faible et on succombe aux moindres difficultés ;

En quatrième lieu, de faire deux heures ou au moins une heure d’oraison mentale tous les jours, et quelque ennui, quel­que aridité ou agitation qu’on y éprouve, ne pas l’abandonner sans une vraie nécessité ;

En cinquième lieu, de communier plusieurs fois la semaine.

Enfin, de prier continuellement, de recourir dans tous nos besoins à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à l’intercession de notre bon Ange, de nos saint Patrons, et surtout à la sainte Vierge, par les mains de laquelle Dieu nous accorde toutes ses grâces. On a déjà vu, au chapitre 8, que c’est de la prière que dépend le salut. Ce que nous devons surtout demander à Dieu dans la prière, c’est la persévérance dans la grâce. Celui qui la demande l’obtient, et celui qui ne la demande pas ne l’obtient pas et se perd. Nous devons aussi demander l’amour de Jésus-Christ et la parfaite conformité à sa sainte volonté, ayant toujours soin de ne prier qu’au Nom de Jésus-Christ. Ces demandes, nous devons les faire le matin en nous levant, les répéter durant l’oraison mentale, la communion, la visite au saint Sacrement, et le soir à l’examen de conscience. Mais c’est principalement quand nous sommes tentés, qu’il faut demander à Dieu la force de résister, et, surtout s’il s’agit d’impureté, invoquons alors plusieurs fois les saints Noms de Jésus et de Marie. Celui qui prie finit par vaincre ; celui qui ne prie pas est vaincu.

Quant à l’humilité, nous ne devons pas nous enorgueillir des richesses, des honneurs, de la noblesse, du talent, ni de toute autre bonne qualité naturelle, et bien moins encore de celles qui sont purement spirituelles, car, toutes ces qualités nous vien­nent de Dieu : nous devons, au contraire, nous regarder comme les plus méchants des hommes, et aimer par conséquent à nous voir méprisés, sans faire comme ceux qui se disent être les plus coupables, et qui veulent pourtant être mieux traités que tous les autres. Ainsi, recevons avec humilité les corrections sans nous excuser, pas même lorsqu’on nous accuse à tort, à moins que notre justification ne soit nécessaire pour éviter le scandale.

Gardons-nous encore bien plus de désirer d’être honorés et estimés dans le monde. Ayons toujours devant les yeux cette belle maxime de saint François, que nous ne sommes rien de plus que ce que nous sommes aux yeux de Dieu. Il conviendrait bien moins encore à un religieux de rechercher les charges honorables et la supériorité : l’honneur d’un religieux consiste à être le plus humble de tous ; et celui-là est le plus humble qui embrasse avec plus de joie les humiliations.

Détachons notre cœur de toutes les créatures. On ne pourra jamais voler à Dieu et s’unir parfaitement à lui tant qu’on tiendra au plus petit objet terrestre.

Bannissons surtout de notre cœur l’amour déréglé des parents. Saint Philippe de Néri disait que plus nous aimons la créature, moins nous aimons Dieu. Pour choisir un état de vie, tenons-nous en garde contre la volonté des parents ; ils ont plus en vue leurs intérêts que notre avantage personnel. Renonçons au respect humain, à la vaine estime des hommes, et principale­ment à notre propre volonté. Il faut tout laisser, dit Thomas a Kempis, pour tout acquérir.

Ne nous mettons jamais en colère pour quelque motif que ce soit ; si nous nous sentons quelquefois agités, cessons tout de suite de parler ou d’agir, jusqu’à ce que nous soyons sûrs que la colère est apaisée. C’est pourquoi, il est à propos que nous nous préparions d’avance dans l’oraison à tout évènement où nous serions en danger de nous emporter. À ce propos, rappelons-nous que saint François de Sales disait que toutes les fois qu’il s’était fâché, il s’en était ensuite repenti.

Toute la sainteté consiste à aimer Dieu, et tout l’amour de Dieu consiste à faire sa volonté. Nous devons donc nous rési­gner entièrement à tout ce que Dieu dispose, et par conséquent embrasser en paix tous les événements favorables ou désa­gréables qu’il plaît à Dieu de nous envoyer. Ainsi, ayons pour but dans nos prières d’obtenir la grâce de faire la volonté du Seigneur. Pour nous assurer de la volonté divine, sou­mettons-nous entièrement à celle de nos supérieurs, si nous sommes religieux, ou à celle de notre confesseur, si nous sommes sécu­liers, étant sûrs, disait Philippe de Néri, que nous ne devrons pas rendre compte à Dieu de tout ce que nous aurons fait par obéissance : bien entendu, pourvu qu’il n’y ait pas de péché évident.

Il y a deux remèdes contre les tentations, savoir : la rési­gna­tion et la prière. La résignation, car les tentations de pécher ne viennent pas de Dieu, mais il les permet pour notre bien. Ne nous irritons donc pas, quelque fâcheuses, quelque désa­gréables que soient les tentations ; résignons-nous à la volonté de Dieu, qui les permet, et, pour les vaincre, armons-nous de la prière, qui est le plus puissant et le plus sûr moyen de se défendre contre les attaques de l’ennemi. Les mauvaises pensées ne sont pas des péchés, pourvu qu’on n’y consente pas. Invoquons les saints Noms de Jésus et de Marie, et nous serons invincibles. Au moment de la tentation, il est bon de renouveler le ferme propos de mourir plutôt que d’offenser Dieu, de faire souvent le signe de la croix, de prendre de l’eau bénite, et de découvrir la tentation au confesseur. Mais le plus nécessaire de tous les remèdes, c’est de prier, de recourir à Jésus et à Marie.

Dans les tentations et les peines intérieures, nous devons : 1° nous humilier, avouer que nous méritons d’être traités de la sorte ; 2° nous résigner à la volonté du Seigneur, en nous abandonnant entre les bras de la Miséricorde divine. Quand Dieu nous console, préparons-nous aux tribulations, qui suivent ordinairement de près les consolations. Quand il nous envoie des afflictions quelconques, humilions-nous, résignons-nous à la volonté divine, et les afflictions nous seront bien plus avantageuses que les consolations.

Maximes générales pour bien vivre

– Tout sur la terre finira, les plaisirs comme les souffrances ; mais l’éternité ne finira jamais.

– Que servent, à la mort, toutes les grandeurs de la terre ?

– Tout ce qui vient de Dieu, prospérité, adversité, tout est bon et destiné à faire notre bien.

– Il faut se dépouiller de tout pour tout acquérir.

– Sans Dieu, on ne peut avoir une véritable paix.

– Il n’y a de nécessaire à l’homme que l’amour de Dieu et le salut.

– Une seule chose est à craindre, c’est le péché.

– En perdant Dieu, on perd tout.

– Celui qui ne désire rien de tout ce qui est au monde est maître de l’univers entier ; celui qui ne prie pas se perd.

– Qu’on meure, s’il le faut, pourvu qu’on plaise à Dieu.

– Quoi qu’il en puisse coûter pour posséder Dieu, ce sera toujours peu de chose.

– Toute peine est légère pour celui qui a mérité l’enfer.

– Il n’y a qu’à regarder Jésus en croix pour être animé à tout souffrir.

– Tout ce qu’on ne fait pas pour Dieu devient une peine.

– Celui qui ne veut que Dieu seul est assez riche.

– Bienheureux celui qui peut dire de cœur : Mon doux Jésus, c’est vous seul que je veux, et rien de plus.

– Celui qui aime Dieu trouvera du plaisir en tout ; celui qui ne l’aime pas ne trouvera du plaisir nulle part.