Dom Guéranger ~ L’année liturgique
du Lundi de Pâques au dimanche de Quasimodo
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Le Lundi de Pâques
Hæc dies quam fecit Dominus : exsultemus et laetemur in ea. | C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. |
Le mystère de la glorieuse Pâque est si vaste et si profond, que nous n’aurons pas trop des sept jours de cette semaine pour le méditer et l’approfondir. Dans la journée d’hier, nous n’avons fait autre chose que contempler notre Rédempteur sortant du tombeau, et se manifestant aux siens jusqu’à six fois, dans sa bonté et dans sa puissance. Nous continuerons à lui rendre les hommages d’adoration, de reconnaissance et d’amour auxquels il a droit pour ce triomphe qui est le nôtre en même temps que le sien ; mais il nous faut aussi pénétrer respectueusement l’ensemble merveilleux de doctrine et de faits dont la Résurrection de notre divin libérateur est le centre glorieux, afin que la lumière céleste nous illumine de plus en plus, et que notre joie croisse toujours.
Qu’est-ce donc d’abord que le mystère de la Pâque ? La Bible nous répond que la Pâque est l’immolation de l’Agneau. Pour comprendre la Pâque, il faut avoir compris le mystère de l’Agneau. Dès les premiers siècles du christianisme, sur les mosaïques et sur les peintures murales des Basiliques, on représentait l’agneau comme le symbole qui réunissait l’idée du sacrifice du Christ et celle de sa victoire. Par sa pose pleine de douceur, l’Agneau exprimait le dévouement qui l’a porté à donner son sang pour l’homme ; mais il était peint debout sur une colline verdoyante, et les quatre fleuves du paradis sortaient à son commandement de dessous ses pieds, figurant les quatre Évangiles qui ont porté sa gloire aux quatre points du monde. Plus tard, on le peignit armé d’une croix de laquelle pendait une banderole triomphale : c’est la forme symbolique sous laquelle nous le révérons dans nos temps.
Depuis le péché, l’homme ne pouvait plus se passer de l’Agneau ; sans l’Agneau, il se voyait déshérité pour jamais du ciel, et en butte éternellement au divin courroux. Aux premiers jours du monde, le juste Abel sollicitait la clémence du Créateur irrité, en immolant sur un autel de gazon le plus bel agneau de son troupeau, jusqu’à ce que, agneau lui‑même, il tombât sous les coups d’un fratricide, devenant ainsi le type vivant de notre Agneau, que ses frères aussi ont mis à mort. Dans la suite, Abraham, sur la montagne, consomma le sacrifice commencé par son héroïque obéissance, en immolant le Bélier dont la tête était entourée d’épines, et dont le sang arrosa l’autel dressé pour Isaac. Plus tard, Dieu parla à Moïse ; il lui révéla la Pâque ; et cette Pâque consistait d’abord dans un agneau immolé et dans le festin de la chair de cet agneau. La sainte Église nous a donné à lire, ces derniers jours, dans le livre de l’Exode, le commandement du Seigneur à ce sujet. L’agneau pascal devait être sans aucune tache ; on devait répandre son sang et se nourrir de sa chair : telle est la première Pâque. Elle est pleine de figures, mais vide de réalités : cependant elle dut suffire au peuple de Dieu durant quinze siècles ; mais le Juif spirituel savait y reconnaître les traits mystérieux d’un autre Agneau.
À l’époque des grands Prophètes, Isaïe implora, dans ses vers inspirés, l’accomplissement de la promesse divine faite au commencement du monde. Nous avons répété ses sublimes élans, nous nous sommes unis à ses vœux, lorsque la sainte Église, au temps de l’Avent, nous mettait sous les yeux les magnifiques oracles de cet envoyé de Dieu. Avec quelle ardeur nous disions avec lui : « Envoyez-nous, Seigneur, l’Agneau qui doit dominer sur la terre ! » Ce Messie tant attendu, c’était donc l’Agneau ; quelle Pâque, disions-nous, que celle où un tel Agneau sera immolé ! quel festin que celui où il sera servi aux convives !
Lorsque la plénitude des temps fut arrivée, et que Dieu eut envoyé son Fils sur la terre, ce Verbe incarné qui ne s’était pas encore manifesté aux hommes, marchait au bord du Jourdain, lorsque tout à coup Jean‑Baptiste le montra à ses disciples, en leur disant : « Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde. » Le saint Précurseur, à ce moment, annonçait la Pâque ; car il avertissait les hommes qu’enfin la terre possédait l’Agneau véritable, l’Agneau de Dieu, attendu depuis quatre mille ans. Il était venu, cet Agneau plus pur que celui qui fut choisi de la main d’Abel, plus mystérieux que celui qu’Abraham trouva sur la montagne, plus exempt de taches que celui qu’offrirent en Égypte les Israélites. C’est véritablement l’Agneau imploré avec tant d’instance par Isaïe, un Agneau envoyé par Dieu lui-même, en un mot, l’Agneau de Dieu. Encore un peu de temps, et il sera immolé. Il y a trois jours, nous avons assisté à son sacrifice ; nous avons vu sa patience, sa douceur sous le couteau qui l’égorgeait, et nous avons été arrosés de son sang divin qui a lavé tous nos péchés.
L’effusion de ce sang rédempteur était nécessaire à notre Pâque ; il fallait que nous en fussions marqués, pour échapper au glaive de l’Ange ; en même temps, ce sang nous communiquait la pureté de celui qui nous le donnait si libéralement. Nos néophytes sortaient de la fontaine dans laquelle il a mêlé sa vertu, plus blancs que la neige ; les pécheurs même qui avaient eu le malheur de perdre la grâce qu’ils puisèrent autrefois dans le bain sacré, ont retrouvé, par l’inépuisable énergie du sang divin, leur intégrité première. Toute l’assemblée des fidèles a revêtu la robe nuptiale ; et cette robe est d’un éclat éblouissant ; car c’est « dans le sang même de l’Agneau qu’elle a été blanchie. » (Apoc. 7, 14.)
Or c’est pour un festin que cette robe a été préparée, et à ce festin nous retrouvons encore notre Agneau. C’est lui qui se donne en nourriture à ses heureux conviés ; et le festin, c’est la Pâque. Le grand Apôtre André l’exprima d’une manière sublime devant le gouverneur Egée, quand il confessa Jésus-Christ en présence de ce païen : « La chair de l’Agneau sans tache, lui dit-il, sert de nourriture, son sang sert de breuvage au peuple qui a foi dans le Christ ; et bien qu’immolé, cet Agneau est toujours entier et vivant. » Hier, par toute la terre, ce festin a eu lieu ; il se continue encore en ces jours, et nous y contractons une étroite union avec l’Agneau qui s’incorpore à nous par ce divin mets.
Mais ce n’est pas tout sur l’Agneau. Isaïe demandait à Dieu de nous envoyer l’Agneau qui doit dominer sur la terre ; il ne vient donc pas seulement pour être immolé, pour nous nourrir de sa chair sacrée, cet Agneau ; il vient donc pour commander, pour être Roi ? Oui, il en est ainsi ; et c’est là encore notre Pâque. Pâques est la proclamation du règne de l’Agneau. C’est le cri des élus dans le ciel : « Il a vaincu, le Lion de la tribu de Juda, le rejeton de David ! » (Apoc. 5, 5.) Mais s’il est Lion, comment est-il Agneau ? Entendons le mystère. Dans son amour pour l’homme qui avait besoin d’être racheté, d’être fortifié par une nourriture céleste, il a daigné se montrer Agneau ; mais il fallait aussi qu’il triomphât de ses ennemis et des nôtres ; il fallait qu’il régnât ; car « toute puissance lui a été donnée au ciel et sur la terre. » (s. Matth. 28, 18.) Dans son triomphe, dans sa force invincible, c’est un Lion auquel rien ne résiste, et dont les rugissements de victoire ébranlent aujourd’hui l’univers. Écoutez le grand diacre d’Édesse, saint Éphrem : « À la douzième heure, on le détacha de la croix comme un lion endormi. » (In Sanctam Parasceven, et in Crucem et latronem ) Il dormait, notre Lion ; « son repos, en effet, a été si court, dit saint Léon, qu’on dirait un sommeil plutôt qu’une mort. » (Sermo 1 de Resurrectione.) Qu’était-ce donc alors, sinon l’accomplissement de l’oracle du vieux Jacob sur son lit de mort, lorsque, annonçant deux mille ans à l’avance les grandeurs de son noble et divin rejeton, il disait dans un saint enthousiasme : « Juda, c’est le jeune Lion ; tu t’es couché, mon fils, comme le lion ; tu t’es étendu comme la lionne : qui le réveillera ? » (Genes, 49, 9.) De lui-même il s’est réveillé aujourd’hui ; il s’est dressé sur ses pieds ; pour nous Agneau, Lion pour ses ennemis ; unissant désormais la force à la douceur. C’est le mystère complet de la Pâque : un Agneau triomphant, obéi, adoré. Rendons-lui nos hommages ; et en attendant que nous unissions nos voix dans le ciel à celles des millions d’Anges et des vingt-quatre vieillards, répétons avec eux dès aujourd’hui sur la terre : « Il est digne, l’Agneau qui a été immolé, de recevoir la puissance et la divinité, et la sagesse et la force, et l’honneur et la gloire, et la bénédiction. » (Apoc. 5, 12)
L’ancienne Église chômait tous les jours de cette semaine comme une seule fête ; et les travaux serviles demeuraient interrompus durant tout son cours. L’édit de Théodose, en 389, qui suspendait l’action des tribunaux durant le même intervalle, venait en aide à cette prescription liturgique que nous trouvons attestée dans les Sermons de saint Augustin (De Sermone Domini in Monte) et dans les Homélies de saint Jean Chrysostome. Ce dernier, parlant aux néophytes, s’exprimait ainsi : « Durant ces sept jours, vous jouissez de l’enseignement de la divine doctrine, l’assemblée des fidèles se réunit à cause de vous, nous vous admettons à la table spirituelle ; ainsi nous vous armons et nous vous exerçons aux combats contre le démon. Car c’est maintenant qu’il se prépare à vous attaquer avec plus de fureur ; plus grande est votre dignité, plus vive sera son attaque. Mettez donc à profit nos enseignements durant cet intervalle, et sachez y apprendre à lutter vaillamment. Reconnaissez aussi dans ces sept jours le cérémonial des noces spirituelles que vous avez eu la gloire de contracter. La solennité des noces dure sept jours ; nous avons voulu, durant le même temps, vous retenir dans la chambre nuptiale. » (Homil. 5. de Resurrectione)
Tels étaient alors le zèle des fidèles, leur goût pour les saintes pompes de la Liturgie, l’intérêt qu’ils portaient aux nouvelles recrues qui réjouissaient l’Église en ces jours, qu’ils se prêtaient avec empressement à toutes les assiduités qui étaient exigées d’eux durant cette semaine. La joie de la Résurrection remplissait tous les cœurs et occupait tous les instants. Les conciles publièrent des canons qui érigeaient en loi cette pieuse coutume. Celui de Mâcon, en 585, formulait ainsi son décret : « Nous devons tous célébrer et fêter avec zèle notre Pâque, dans laquelle le souverain Prêtre et Pontife a été immolé pour nos péchés, et l’honorer par notre exactitude à garder les prescriptions qu’elle impose. Nul ne se permettra donc aucune œuvre servile durant ces six jours (qui suivaient le Dimanche) ; mais tous se réuniront pour chanter les hymnes de la Pâque, assistant avec assiduité aux sacrifices quotidiens, et se rassemblant pour louer notre créateur et régénérateur, le soir, le matin et à midi. » (Canon 2. Labbé t. 5) Les conciles de Mayence (813) et de Meaux (845) établissent les mêmes prescriptions. Nous les retrouvons en Espagne, au VIIe siècle, dans les édits des rois Recesvinthe et Wamba. L’Église grecque les renouvela dans son concile in Trullo ; Charlemagne, Louis le Pieux, Charles le Chauve, les sanctionnèrent dans leurs capitulaires ; les canonistes des XIe et 12e siècles, Burkard, saint Yves de Chartres, Gratien, nous les montrent en usage de leur temps ; enfin Grégoire 9 essayait encore de leur donner force de loi dans une de ses Décrétales, au XIIIe siècle. Mais déjà, en beaucoup de lieux, cette observance avait faibli. Le concile tenu à Constance, en 1094, réduisait la solennité de la Pâque au lundi et au mardi qui suivent le grand Dimanche. Les liturgistes Jean Beleth, pour le XIIe siècle, et Durand, pour le XIIIe, attestent que, de leur temps, cette réduction était déjà en usage chez les Français. Elle ne tarda pas à s’étendre dans tout l’Occident, et forma le droit commun pour la célébration de la Pâque, jusqu’à ce que, le relâchement croissant toujours, on ait obtenu successivement du Siège Apostolique la dispense de l’obligation de férier le Mardi, et même le Lundi, en France, après le Concordat de 1801.
Pour avoir l’intelligence de la Liturgie des jours qui vont se succéder jusqu’au dimanche in Albis, il est donc nécessaire de se souvenir constamment de nos néophytes toujours présents avec leurs robes blanches à la Messe et aux offices divins. Les allusions à leur récente régénération sont continuelles, et se montrent sans cesse dans les chants et dans les lectures que la sainte Église emploie durant tout le cours de cette solennelle Octave.
À Rome, la Station d’aujourd’hui est dans la Basilique de Saint-Pierre. Initiés samedi dernier aux divins mystères dans la Basilique du Sauveur, au Latran, les néophytes hier célébrèrent la résurrection du Fils dans le splendide sanctuaire de la Mère ; il est juste qu’en ce troisième jour ils viennent rendre leurs hommages à Pierre, sur lequel repose l’édifice entier de la sainte Église. Jésus Sauveur, Marie, Mère de Dieu et des hommes, Pierre, chef visible du corps mystique du Christ : ce sont là les trois manifestations divines par lesquelles nous sommes entrés et nous sommes maintenus dans l’Église chrétienne.
À la Messe
L’Introït, tiré de l’Exode, s’adresse aux nouveau-nés de l’Église. Il leur rappelle le lait et le miel mystérieux qui leur furent donnés dans la nuit sacrée du Samedi, après qu’ils eurent participé au divin banquet. Ils sont le véritable Israël, introduit dans la véritable Terre promise. Qu’ils louent donc le Seigneur, qui les a choisis du sein de la gentilité pour faire d’eux son peuple de prédilection.
Introït
Le Seigneur vous a introduits dans une terre où coulent le lait et le miel, alleluia ; que la loi du Seigneur soit toujours dans votre bouche. Allelluia, alleluia. Ps. Louez le Seigneur, et invoquez son Nom ; publiez ses œuvres parmi les nations. Gloire au Père. Le Seigneur.
À la vue du Christ, son Époux, délivré des liens de la mort, la sainte Église demande à Dieu que nous, les membres de ce divin Chef, nous arrivions à l’heureux affranchissement dont Jésus nous offre le modèle. Trop longtemps asservis par le péché, nous devons comprendre maintenant le prix de cette liberté des enfants de Dieu qui nous a été rendue par la Pâque.
Collecte
O Dieu qui, dans la solennité pascale, avez donné au monde le remède dont il avait besoin, daignez répandre le don céleste sur votre peuple ; afin qu’il mérite d’arriver à la liberté parfaite, et qu’il s’avance toujours plus vers la vie éternelle. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Épître
Lecture des Actes des Apôtres. Chap. 10.
En ces jours-là, Pierre s’étant levé au milieu de l’assemblée, parla ainsi : Mes Frères, vous savez ce qui est arrivé dans toute la Judée, en commençant par la Galilée, après le baptême que Jean prêchait ; comment Jésus de Nazareth a reçu de Dieu l’onction du Saint‑Esprit et de la puissance ; comment il a passé en faisant le bien, et guérissant tous ceux qui étaient opprimés par le diable, parce que Dieu était avec lui. Et nous sommes les témoins de toutes les choses qu’il a opérées dans la Judée et à Jérusalem. C’est lui que l’on a fait mourir, en l’attachant à la croix, mais Dieu l’a ressuscité le troisième jour, et il a voulu qu’il se montrât, non à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait choisis d’avance : à nous qui avons mangé et bu avec lui, depuis qu’il est ressuscité d’entre les morts. Et il nous a commandé de prêcher et de rendre témoignage au peuple, que c’est lui qui a été établi de Dieu pour être le juge des vivants et des morts. C’est à lui que tous les Prophètes rendent ce témoignage : Que quiconque croira en lui, recevra par son Nom la rémission de ses péchés.
Saint Pierre adressa ce discours au centurion Corneille, et aux parents et amis de ce gentil, qui les avait rassemblés autour de lui pour recevoir l’Apôtre que Dieu lui envoyait. Il s’agissait de disposer tout cet auditoire à recevoir le Baptême et à devenir les prémices de la gentilité ; car jusque-là l’Évangile n’avait été annoncé qu’aux Juifs. Remarquons que c’est saint Pierre, et non un autre Apôtre, qui nous ouvre aujourd’hui, à nous gentils, les portes de l’Église que le Fils de Dieu a établie sur lui comme sur le roc inébranlable. Voilà pourquoi ce passage du livre des Actes des Apôtres se lit aujourd’hui, dans la Basilique de Saint-Pierre, près de sa glorieuse Confession, et en présence des néophytes qui sont autant de conquêtes de la foi sur les derniers sectateurs de l’idolâtrie païenne Observons ensuite la méthode qu’emploie l’Apôtre pour inculquer à Corneille et aux autres gentils la vérité du christianisme. Il commence par leur parler de Jésus-Christ ; il rappelle les prodiges qui ont accompagné sa mission ; puis ayant raconté sa mort ignominieuse sur la croix, il montre le fait de la Résurrection de l’Homme-Dieu comme la plus haute garantie de la vérité de son divin caractère. Vient ensuite la mission des Apôtres qu’il faut accepter, ainsi que leur témoignage si solennel et si désintéressé, puisqu’il ne leur a valu que des persécutions. Celui-là donc qui confesse le Fils de Dieu revêtu de la chair, passant en ce monde en faisant le bien, opérant toutes sortes de prodiges, mourant sur la croix, ressuscité du tombeau, et confiant aux hommes qu’il a choisis la mission de continuer sur la terre le ministère qu’il y a commencé ; celui qui confesse toute cette doctrine est prêt à recevoir, dans le saint Baptême, la rémission de ses péchés ; tel fut l’heureux sort de Corneille et de ses compagnons ; tel a été celui de nos néophytes.
On chante ensuite le Graduel, qui présente l’expression ordinaire de la joie pascale ; le Verset seulement est différent de celui d’hier, et variera chaque jour, jusqu’à Vendredi. Le Verset de l’Alleluia nous retrace l’Ange descendu du ciel pour ouvrir le sépulcre vide, et manifester la sortie victorieuse et spontanée du Rédempteur.
Graduel
C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. V. Que maintenant Israël chante que le Seigneur est bon, que sa miséricorde est à jamais. Alleluia, alleluia. V/. L’Ange du Seigneur descendit du ciel ; il renversa la pierre et s’assit dessus.
La Séquence Victimœ paschali, comme le jour de Pâques.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. 24.
En ce temps-là, le jour même où Jésus était ressuscité, deux de ses disciples s’en allaient à un village nommé Emmaüs, qui était à soixante stades de Jérusalem, et ils parlaient ensemble de tout ce qui s’était passé. Et il arriva que pendant qu’ils s’entretenaient et conféraient ensemble, Jésus lui-même les joignit, et se mit à marcher avec eux ; mais leurs yeux étaient comme retenus, en sorte qu’ils ne le reconnurent pas. Et il leur dit : De quoi vous entretenez‑vous ainsi tout tristes en marchant ? Et l’un d’eux nommé Cléophas lui répondit : Êtes-vous seul si étranger dans Jérusalem que vous ne sachiez pas ce qui s’y est passé ces jours‑ci ? Quoi donc ? leur dit-il. Et ils répondirent : Au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple ; et comment les princes des prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort, et l’ont crucifié. Cependant nous espérions qu il était celui qui doit racheter Israël ; et après tout cela, voici déjà le troisième jour que ces choses se sont passées. Il est vrai que quelques femmes qui étaient avec nous nous ont effrayés ; car étant allées avant le jour au sépulcre, et n’ayant point trouvé son corps, elles sont revenues dire qu’elles ont vu des Anges qui leur ont dit qu’il est vivant. Et quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre, et ont trouvé toutes choses comme l’avaient dit les femmes ; mais lui, ils ne l’ont point trouvé. Et Jésus leur dit : O insensés et cœurs tardifs à croire tout ce que les Prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et tous les Prophètes, il leur interprétait ce qui avait été dit de lui dans toutes les Écritures. Et lorsqu’ils furent proches du village où ils allaient, il fit semblant d’aller plus loin. Mais ils le pressèrent, et lui dirent : Demeurez avec nous, car il se fait tard, et le jour est sur son déclin. Et il entra avec eux. Et étant avec eux à table, il prit le pain et le bénit ; et l’ayant rompu, il leur en présenta. Et leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais il disparut tout à coup à leurs yeux. Et ils se disaient l’un à l’autre : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au‑dedans de nous, lorsqu’il nous parlait dans le chemin, et qu’il nous ouvrait les Écritures ? et se levant à l’heure même ils retournèrent à Jérusalem, et ils trouvèrent réunis les onze et ceux qui étaient avec eux disant : Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il est apparu à Simon. Et eux racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu au moment où il avait rompu le pain.
Contemplons ces trois pèlerins qui conversent sur la route d’Emmaüs, et joignons-les par le cœur et par la pensée. Deux d’entre eux sont des hommes fragiles comme nous, qui tremblent devant la tribulation, que la croix a déconcertés, à qui il faut de la gloire et des prospérités, pour qu’ils puissent continuer à croire, « O insensés et cœurs tardifs, » leur dit le troisième voyageur ; « vous ne saviez donc pas qu’il fallait que le Christ souffrît, et qu’il n’entrât dans sa gloire que par cette voie ? » Jusqu’ici, nous avons trop ressemblé à ces deux hommes ; le Juif s’est montré en nous plus que le chrétien ; et c’est pour cela que l’amour des choses terrestres qui nous entraînait nous a rendus insensibles à l’attrait céleste, et par là même exposés au péché. Nous ne pouvons plus désormais penser ainsi. Les splendeurs de la Résurrection de notre Maître nous montrent assez vivement quel est le but de la tribulation, lorsque Dieu nous l’envoie. Quelles que soient nos épreuves, il n’y a pas d’apparence que nous soyons cloués à un gibet, ni crucifiés entre deux scélérats. Le Fils de Dieu a éprouvé ce sort ; et voyez aujourd’hui si les supplices du Vendredi ont arrêté l’essor qu’il devait prendre le Dimanche vers sa royauté immortelle. Sa gloire n’est-elle pas d’autant plus éclatante que son humiliation avait été plus profonde ?
Ne tremblons donc plus tant à la vue du sacrifice ; pensons à la félicité éternelle qui le paiera. Jésus, que les deux disciples ne reconnaissaient pas, n’a eu qu’à leur faire entendre sa voix, qu’à déduire devant eux les plans de la sagesse et de la bonté divines, et le jour se faisait à mesure dans leurs esprits. Que dis-je ? leur cœur s’échauffait et brûlait dans leur poitrine, en l’entendant discourir à propos de la croix qui conduit à la gloire ; et si déjà ils ne l’avaient pas découvert, c’est qu’il retenait leurs yeux, afin qu’ils ne le reconnussent pas. De même en sera-t-il pour nous, si nous laissons, comme eux, parler Jésus. Nous comprendrons alors que « le disciple n’est pas au-dessus du maître » (s. Matth. 10, 24) ; et en voyant l’éclat immortel dont ce Maître resplendit aujourd’hui, nous nous sentirons inclinés à dire aussi à notre tour : « Non, les souffrances de ce monde passager n’ont rien de comparable avec la gloire qui doit plus tard se manifester en nous. » (Rom. 8, 18)
En ces jours où les efforts du chrétien pour sa régénération sont payés par l’honneur de s’asseoir, avec la robe nuptiale, à la table du festin du Christ, nous ne manquerons pas de remarquer que ce fut au moment de la fraction du pain que les yeux des deux disciples s’ouvrirent, et qu’ils reconnurent leur maître. La nourriture céleste, dont toute la vertu procède de la parole du Christ, donne la lumière aux âmes ; et elles voient alors ce qu’elles ne voyaient pas avant de s’en être nourries. Il en sera ainsi de nous, par l’effet merveilleux du divin sacrement de la Pâque ; mais considérons ce que nous dit à ce sujet le pieux auteur de l’Imitation : « Ceux-là connaissent véritablement le Seigneur au moment de la fraction du pain, dont le cœur était ardent lorsque Jésus cheminait avec eux sur la route. » (Lib. 4, C. 14) Livrons-nous donc à notre divin ressuscité ; désormais nous sommes à lui plus que jamais, non plus seulement en vertu de sa mort pour nous, mais à cause de sa résurrection, qui est aussi pour nous. Devenons semblables aux disciples d’Emmaüs, fidèles comme eux, joyeux comme eux, empressés, à leur exemple, de montrer dans nos œuvres cette nouveauté de vie que nous recommande l’Apôtre, et qui seule convient à ceux que le Christ a aimés jusqu’à ne vouloir ressusciter qu’avec eux.
La sainte Église a placé en ce jour ce passage de l’Évangile préférablement à tout autre, à raison de la Station qui se tient dans la Basilique de Saint-Pierre. Saint Luc y raconte, en effet, que les deux disciples trouvèrent les Apôtres déjà instruits de la résurrection de leur Maître ; « car, disaient-ils, il a apparu à Simon. » Nous avons parlé hier de cette faveur faite au prince des Apôtres, et que l’Église romaine proclame avec tant de raison aujourd’hui.
L’Offertoire est formé d’un passage du saint Évangile relatif aux circonstances de la Résurrection du Christ.
Offertoire
L’Ange du Seigneur descendit du ciel, et il dit aux femmes : Celui que vous cherchez est ressuscité, comme il l’avait dit. Alleluia.
Dans la Secrète, l’Église demande en faveur de ses enfants que la nourriture pascale soit pour eux un aliment d’immortalité, qui unisse les membres à leur divin Chef, non seulement pour le temps, mais jusque dans la vie éternelle.
Secrète
Recevez, s’il vous plaît, Seigneur, les prières de votre peuple, avec ces hosties que nous vous offrons ; afin que notre oblation, étant consacrée par le mystère de la Pâque, nous serve par votre action divine comme un remède qui nous dispose à l’éternité. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.
Pendant la Communion, l’Église rappelle aux fidèles le souvenir de Pierre, qui fut favorisé de la visite du Sauveur ressuscité. La foi de la Résurrection est la foi de Pierre, et la foi de Pierre est le fondement de l’Église et le lien de l’unité catholique.
Communion
Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Pierre. Alleluia.
Dans la Postcommunion, l’Église continue à demander pour tous ses enfants, convives du même festin de l’Agneau, l’esprit de concorde qui doit les unir comme les membres d’une même famille dont la nouvelle Pâque est venue sceller l’inviolable fraternité.
Postcommunion
Répandez en nous, Seigneur, l’esprit de votre charité ; et dans votre bonté unissez dans une douce concorde ceux que vous venez de nourrir du Mystère pascal. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
À Vêpres
L’ordre des Vêpres est le même qu’hier, à l’exception de l’Antienne de Magnificat et de la Collecte.
Antienne de Magnificat
Quels sont ces discours dont vous vous entretenez en marchant ensemble, et pourquoi êtes-vous tristes ? Alleluia.
Collecte
O Dieu qui, dans la solennité pascale, avez donné au monde le remède dont il avait besoin, daignez répandre le don céleste sur votre peuple ; afin qu’il mérite d’arriver à la liberté parfaite, et qu’il s’avance toujours plus vers la vie éternelle. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Les six jours de la création
Rendons gloire au Fils de Dieu pour l’œuvre qu’il a accomplie dans ce second jour de la création, en séparant les eaux inférieures des eaux supérieures, et en établissant le firmament qui s’étend entre les unes et les autres ; paroles mystérieuses que les Pères ont commentées avec respect, s’attachant au sens spirituel qu’elles présentent de préférence au sens matériel. On y reconnaît la puissance d’un bras divin qui affermit son œuvre, et maintient en équilibre des forces qui demeuraient confondues dans le chaos. La Liturgie Mozarabe nous fournit cette belle prière pour glorifier notre créateur, en ce jour où son œuvre acquiert un nouveau développement.
Capitula
O Christ, notre Dieu, qui, au second jour, créant le firmament, indiquez par avance la fermeté et solidité des saintes Écritures, sur lesquelles repose l’Église ; et qui, séparant les eaux des eaux, indiquez la distance qui sépare le peuple céleste des Anges de la faible et inférieure race des hommes ; vous qui, auteur des deux Testaments, avez accompli la figure de l’antique sacrifice, en scellant la nouvelle alliance par l’immolation de votre corps ; donnez- nous d’être associés par l’intelligence et la sagesse aux Puissances angéliques, comme aux eaux supérieures, et de tendre toujours vers ce qui est élevé ; afin que la solidité des deux lois étant établie dans notre cœur, la vertu de votre résurrection nous attire jusqu’aux joies infinies.
Autres liturgies
Empruntons, pour terminer cette journée, la voix des Églises antiques qui célèbrent à l’envi le haut mystère de la Résurrection. L’Église Ambrosienne nous fournira d’abord la belle Préface qu’elle emploie au jour de Pâques.
Préface
Il est véritablement juste et raisonnable, équitable et salutaire, ô Dieu saint et tout-puissant, que nous vous rendions grâces, que nous célébrions avec amour vos louanges, auguste Père, auteur et créateur de toutes choses ; car votre Fils Jésus-Christ, qui était le Seigneur de majesté, a daigné souffrir le supplice de la croix pour la délivrance du genre humain. C’est lui qu’autrefois Abraham figurait dans son fils, et que le peuple instruit par Moïse présageait dans l’immolation de l’Agneau sans tache. C’est lui que célébrait la trompette sacrée des Prophètes, comme celui qui devait prendre sur lui le péché et abolir le crime. Voici donc la Pâque illustrée par le sang du Christ, dans laquelle le peuple fidèle se livre aux transports d’une piété solennelle. O mystère plein de la grâce ! O arcane ineffable de la divine munificence ! O solennité plus digne d’honneur que toutes les solennités, et dans laquelle le Christ, pour racheter des esclaves, s’est laissé mettre à mort par la main des hommes ! Heureuse mort qui a rompu les nœuds de la mort ! Il se sent maintenant brisé, le prince infernal ; pour nous, arrachés à l’abîme, félicitons-nous d’être montés au céleste royaume.
Nous ajouterons celte autre Préface, dans laquelle l’ancienne Église des Gaules célébrait le mystère de notre Agneau pascal.
Immolation
Il est digne et juste que nous vous rendions grâces, ô Dieu tout‑puissant et éternel, par Jésus-Christ votre Fils, notre Seigneur, de ce que, voulant rendre la vie au genre humain, vous ordonnâtes à vos serviteurs, par Moïse et Aaron, de célébrer la Pâque en immolant l’agneau. Vous étendîtes ce précepte à la suite des temps, jusqu’à l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a été conduit comme un agneau à l’autel. C’est lui qui est, en effet, l’Agneau sans tache qui fut immolé en Égypte comme la première Paque du premier peuple. Il est ce bélier tiré du buisson, au sommet de la montagne, et destiné au sacrifice. Il est ce veau gras mis à mort sous la tente de notre père Abraham, pour être servi à ses hôtes ; c’est lui dont nous célébrons la Passion et la Résurrection, et dont nous attendons le dernier Avènement.
Enfin, nous terminerons par cette admirable Séquence d’Adam de Saint‑Victor, si connue et si aimée des fidèles de la France au moyen âge ; elle respire toutes les grandeurs et toute la joie de la Pâque.
Séquence
Salut, ô jour, la gloire des jours ; jour fortuné où triomphe le Christ ; jour destiné à l’allégresse éternelle ; salut, premier des jours !
La lumière divine vient luire aux yeux des aveugles ; le Christ enlève les dépouilles de l’enfer, il abat la mort et réconcilie le ciel et la terre.
La sentence du roi éternel a soumis tous les êtres d’ici-bas à la loi du péché ; la grâce céleste peut seule subvenir à nos maux.
Mais lorsque le monde tout entier allait rouler dans l’abîme, celui qui est en Dieu Vertu et Sagesse est venu par sa clémence adoucir les décrets de la colère.
L’ancien ennemi, auteur du mal, insultait à notre misère ; car nos péchés étaient sans espoir de pardon.
Le monde éploré désespérait du remède, lorsque Dieu le Père, à l’heure où le silence planait sur toute la nature, daigna envoyer son Fils au secours des désespérés.
Le monstre ravissant, le serpent infernal aperçoit la chair, et, ne soupçonnant pas le piège, se jette avidement sur l’hameçon caché sous l’appât ; sa gueule en est déchirée.
Notre condition première est rétablie dans le Fils de Dieu, dont la Résurrection renouvelle en ces jours notre consolation.
Il est sorti libre du tombeau, le restaurateur du genre humain, portant sur ses épaules sa brebis, et l’enlevant jusqu’au ciel.
La concorde est rétablie entre les Anges et les hommes ; les rangs décimés de la milice céleste vont être remplis : louange au Seigneur qui triomphe, louange éternelle !
Église mère, unis ta voix au concert de la patrie céleste ; peuple fidèle, répète aujourd’hui Alleluia.
L’empire de la mort a succombé : partageons les joies du triomphe ; paix sur la terre, au ciel jubilation ! Amen.
Le Mardi de Pâques
Hæc dies quam fecit Dominus : exsultemus et laetemur in ea. | C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. |
L’Agneau est notre Pâque ; nous l’avons reconnu hier ; mais le mystère de la Pâque est loin d’être épuisé. Voici d’autres merveilles qui réclament notre attention. Le livre sacré nous dit : « La Pâque, c’est le passage du Seigneur » (Exode, 12, 12) ; et le Seigneur, parlant lui‑même, ajoute : « Je passerai cette nuit-là par la terre d’Égypte ; je frapperai tous les premiers-nés dans l’Égypte, depuis l’homme jusqu’à la bête ; et j’exercerai mon jugement sur tous les dieux de l’Égypte, moi le Seigneur. » La Pâque est donc un jour de justice, un jour terrible pour les ennemis du Seigneur ; mais il est en même temps et par là même le jour de la délivrance pour Israël. L’Agneau vient d’être immolé ; mais son immolation est le prélude de l’affranchissement du peuple saint.
Israël est soumis à la plus affreuse captivité sous Pharaon. Un odieux esclavage pèse sur lui ; ses enfants mâles sont dévoués à la mort ; c’en est fait de la race d’Abraham, sur laquelle reposent les promesses du salut universel ; il est temps que le Seigneur intervienne ; il est temps qu’il se montre, le Lion de la tribu de Juda, à qui rien ne saurait résister.
Mais Israël représente ici un peuple plus nombreux que lui. C’est le genre humain tout entier qui gémit captif sous la tyrannie de Satan, le plus cruel des Pharaons. Sa servitude est montée au comble ; courbé sous les plus abominables superstitions, il prodigue à la matière ses ignobles adorations. Dieu est chassé de la terre, où tout est devenu dieu, excepté Dieu ; le gouffre béant de l’enfer engloutit les générations presque entières. Dieu aura-t-il donc travaillé contre lui-même, en créant le genre humain ? Non ; mais il est temps que le Seigneur passe, et qu’il fasse sentir la force de son bras.
Le vrai Israël, l’Homme véritable descendu du ciel, est captif à son tour. Ses ennemis ont prévalu contre lui ; et sa dépouille sanglante et inanimée a été enfermée dans le tombeau. Les meurtriers du Juste ont été jusqu’à sceller la pierre de son sépulcre ; ils y ont établi une garde. N’est-il pas temps que le Seigneur passe, et qu’il confonde ses ennemis par la rapidité victorieuse de son passage ?
Et d’abord, au sein de la profane Égypte, chaque famille israélite ayant immolé et mangé l’agneau pascal, lorsque le milieu de la nuit fut venu, le Seigneur, selon sa promesse, passa comme un vengeur redoutable à travers toute cette nation au cœur endurci. L’ange exterminateur le suivait, et frappa de son glaive tous les premiers-nés de ce vaste empire, « depuis le premier-né de Pharaon qui s’asseyait sur le trône, jusqu’au premier-né de la captive qui était en prison, et jusqu’au premier-né de tous les animaux. » Un cri de douleur retentit de toutes parts dans Mesraïm ; mais le Seigneur est juste, et son peuple fut délivré.
La même victoire s’est renouvelée en ces jours, lorsque le Seigneur, à l’heure où les ténèbres luttaient encore avec les premiers rayons du soleil, a passé, à travers la pierre scellée du tombeau, à travers les gardes, frappant à mort le peuple premier-né, qui n’avait pas voulu « connaître le temps de sa visite. » (s. Luc, 19, 44) La synagogue avait hérité de la dureté de cœur de Pharaon ; elle voulait retenir captif celui dont le prophète avait dit qu’il serait « libre entre les morts ». (Ps. 87, 6) À ce coup, les cris d’une rage impuissante se sont fait entendre dans les conseils de Jérusalem ; mais le Seigneur est juste, et Jésus s’est délivré lui-même.
Et le genre humain que Satan foulait aux pieds, combien a été heureux pour lui le passage du Seigneur ! Ce généreux triomphateur n’a pas voulu sortir seul de sa prison ; il nous avait tous adoptés pour ses frères, et nous a tous ramenés à la lumière avec lui. Tous les premiers-nés de Satan sont abattus du coup, toute la force de l’enfer est brisée. Encore un peu de temps, et les autels des faux dieux seront renversés de toutes parts ; encore un peu de temps, et l’homme, régénéré par la prédication évangélique, reconnaîtra son créateur et abjurera les infâmes idoles. Car « c’est aujourd’hui la Pâque, c’est-à-dire le Passage du Seigneur. »
Mais voyez l’alliance qui réunit dans une même Pâque le mystère de l’Agneau au mystère du Passage. Le Seigneur passe, et il commande à l’Ange exterminateur de frapper le premier-né dans toute maison dont le seuil ne porte pas l’empreinte du sang de l’Agneau. C’est ce sang protecteur qui détourne le glaive ; c’est à cause de lui que la divine justice passe à côté de nous et ne nous touche pas.
Pharaon et son peuple ne sont pas protégés par le sang de l’Agneau ; cependant ils ont vu de rares merveilles, ils ont éprouvé des châtiments inouïs ; ils ont pu voir que le Dieu d’Israël n’est pas sans force comme leurs dieux ; mais leur cœur est plus dur que la pierre, et les œuvres de Moïse pas plus que sa parole n’ont pu l’amollir. Le Seigneur les frappe donc, et délivre son peuple.
L’ingrat Israël s’obstine à son tour ; et, passionné pour ses ombres grossières, il ne veut pas d’autre Agneau que l’agneau matériel. En vain ses Prophètes lui ont annoncé qu’un « Agneau roi du monde viendra du désert à la montagne de Sion. » (Isaïe, 16, 1) Israël ne consent pas à voir son Messie dans cet Agneau ; il l’égorge avec haine et fureur ; et il continue de mettre toute sa confiance dans le sang grossier d’une victime impuissante à le protéger désormais. Qu’il sera terrible le Passage du Seigneur dans Jérusalem, lorsque l’épée romaine le suivra, exterminant à droite et à gauche un peuple tout entier !
Et les esprits de malice qui s’étaient joués de l’Agneau, qui l’avaient méprisé à cause de sa douceur et de son humilité, qui avaient rugi de leur joie infernale, en le voyant épuiser tout le sang de ses veines sur l’arbre de la croix, quelle déception pour leur orgueil de l’avoir vu, cet Agneau, descendre dans toute sa majesté de Lion jusqu’aux enfers, en arracher les justes de quatre mille ans, captifs sous les ombres ; ensuite, sur la terre, appeler toute créature vivante à la liberté des enfants de Dieu ! » (Rom 8, 21)
Que votre Passage est dur à vos ennemis, ô Christ ! mais qu’il est salutaire à vos fidèles ! Le premier Israël n’eut point à le redouter ; car il était protégé par le signe du sang figuratif qui marquait la porte de ses demeures. Notre sort est plus beau ; notre Agneau est l’Agneau de Dieu même ; et ce ne sont point nos portes qui sont marquées de son sang ; ce sont nos âmes qui en sont toutes teintes. Votre Prophète, expliquant plus clairement le mystère, annonça dans la suite que ceux-là seraient épargnés, au jour de votre juste vengeance sur Jérusalem, qui auraient au front la marque du Tau. (Ezech. 9, 6) Israël n’a pas voulu comprendre. Le signe du Tau est le signe de votre Croix ; c’est lui qui nous couvre, qui nous protège, qui nous transporte de joie, dans cette Pâque de votre Passage, où tous vos coups sont pour nos ennemis et toutes vos bénédictions pour nous.
À Rome, la Station est aujourd’hui dans la Basilique de Saint-Paul. L’Église s’empresse de conduire aux pieds du Docteur des Gentils sa blanche armée de néophytes. Compagnon des travaux de Pierre dans Rome et associé à son martyre, Paul n’est pas le fondement de l’Église ; mais il est le prédicateur de l’Évangile aux nations. Il a ressenti les douleurs et les joies de l’enfantement, et ses fils ont été innombrables. Au fond de sa tombe sacrée, ses os tressaillent d’allégresse à l’approche de ses nouveaux enfants, avides d’entendre sa parole dans les immortelles Épîtres où il parle encore, et où il parlera jusqu’à la fin des siècles.
À la Messe
L’Introït, tiré du livre de l’Ecclésiastique, célèbre la divine sagesse de Paul, qui est comme une source toujours pure où les chrétiens vont s’abreuver, et dont l’eau salutaire leur donne la santé de l’âme, et les prépare pour l’immortalité.
Introït
Le Seigneur les a abreuvés de l’eau de la sagesse, alleluia ; elle se fortifiera en eux, et ne les abandonnera pas, alleluia ; elle les élèvera en gloire éternellement. Alleluia, alleluia. Ps. Louez le Seigneur et invoquez son Nom ; publiez ses œuvres parmi les nations. Gloire au Père. Le Seigneur.
L’Église, dans la Collecte, glorifie Dieu qui daigne, chaque année, la rendre féconde et lui donner les joies maternelles au milieu des joies pascales ; elle implore ensuite pour ses nouveaux enfants la grâce de rester toujours conformes à leur maître ressuscité.
Collecte
O Dieu, qui renouvelez sans cesse votre Église dans de nouveaux enfants ; faites, s’il vous plaît, que vos serviteurs expriment constamment dans leur vie le mystère de résurrection qu’ils ont reçu par la foi. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Épître
Lecture des Actes des Apôtres. Chap. 13.
En ces jours-là, Paul se levant fit signe de la main pour réclamer le silence, et dit : C’est à vous, mes Frères, fils de la race d’Abraham, et à ceux d’entre vous qui craignent Dieu, que cette parole de salut a été envoyée. Car les habitants de Jérusalem et ses princes, méconnaissant Jésus, et n’entendant pas les paroles des Prophètes qui se lisent chaque jour de Sabbat, les ont accomplies en le mettant en jugement ; et quoiqu’ils ne trouvassent rien en lui qui fût digne de mort, ils demandèrent à Pilate de le faire mourir. Et quand ils eurent consommé tout ce qui avait été écrit de lui, on le descendit de la croix, et on le mit dans le tombeau. Mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts le troisième jour ; et il a été vu durant plusieurs jours par ceux qui étaient venus avec lui de Galilée à Jérusalem, et qui, jusqu’à ce jour, lui rendent encore témoignage devant le peuple. Nous donc aussi, nous vous annonçons que la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie pour nos enfants, en ressuscitant Jésus-Christ notre Seigneur.
Ce discours que le grand Apôtre fit entendre à Antioche de Pisidie, dans la synagogue des Juifs, nous montre que le Docteur des Gentils suivait dans son enseignement la même méthode que le Prince des Apôtres. Le point capital de leur prédication était la Résurrection de Jésus-Christ : vérité fondamentale, fait suprême, qui garantit toute la mission du Fils de Dieu sur la terre. Il ne suffit pas de croire en Jésus-Christ crucifié, si l’on ne croit en Jésus-Christ ressuscité ; c’est dans ce dernier dogme qu’est contenue toute l’énergie du christianisme, de même que, sur ce fait, le plus incontestable de tous, repose la certitude tout entière de notre foi. Aussi nul événement accompli ici-bas n’est-il comparable à celui-ci sous le rapport de l’impression qu’il a produite. Voyez le monde entier ébranlé en ces jours, la Pâque réunissant tant de millions d’hommes de toute race et sous tous les climats. Voilà dix-huit siècles que Paul repose sur la Voie d’Ostie ; que de choses se sont effacées de la mémoire des hommes, et qui cependant ont fait grand bruit en leur temps, depuis que cette tombe reçut pour la première fois la dépouille de l’Apôtre. Le flot des persécutions submergea Rome chrétienne pendant plus de deux cents ans ; il devint même nécessaire, au IIIème siècle, de déplacer un moment ces ossements et de les enfouir aux Catacombes. Vint ensuite Constantin, qui éleva cette Basilique, et érigea cet arc triomphal près de l’autel sous lequel repose le corps de l’Apôtre. À partir de cette époque, que de changements, que de bouleversements, que de dynasties, que de formes de gouvernement se sont succédé dans notre monde civilisé et au-delà ! Rien n’est demeuré immobile, si ce n’est l’Église éternelle. Chaque année, depuis au moins quinze cents ans, elle est allée lire dans la Basilique de Saint-Paul, près de sa tombe, ce même discours dans lequel l’Apôtre annonce aux Juifs la Résurrection du Christ. À l’aspect de cette durée, de cette immobilité jusque dans des détails si secondaires, disons, nous aussi : Le Christ est véritablement ressuscité ; il est le Fils de Dieu ; car nul homme n’a jamais empreint si profondément sa main dans les choses de ce monde visible. À elle seule la Pâque proclame ce qu’il est ; et quand nous reconnaissons ce frappant caractère de perpétuité jusque dans les moindres rites, nous sommes en droit d’affirmer que si notre divin ressuscité est sublime dans l’éclatant soleil de sa gloire, il se laisse reconnaître encore jusque dans les moindres rayons qu’il réfléchit sur la Liturgie.
Graduel
C’est le jour que le Seigneur a fait ; passons-le dans les transports de l’allégresse. V/. Ainsi doivent chanter aujourd’hui ceux que le Seigneur a rachetés, qu’il a tirés des mains de l’ennemi, et qu’il a rassemblés de toutes les contrées. Alleluia, alleluia. V/. Le Seigneur est ressuscité du tombeau : lui-même qui avait été attaché à la croix.
On chante ensuite la Séquence Victimœ paschali.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. 24.
En ce temps-là, Jésus parut au milieu de ses disciples, et leur dit : La paix soit avec vous : c’est moi, ne craignez point. Eux, pleins de trouble et de frayeur, croyaient voir un esprit. Et il leur dit : Pourquoi vous troublez-vous, et pourquoi ces pensées s’élèvent‑elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds ; c’est moi-même : touchez et voyez ; un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai. Et ayant dit cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Mais comme ils ne croyaient point encore, dans l’étonnement de leur joie, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? et ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Et lorsqu’il eut mangé devant eux, il prit ce qui restait et le leur donna. Et il leur dit : C’est là ce que je vous avais dit, lorsque j’étais encore avec vous, qu’il fallait que tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, dans les Prophètes, dans les Psaumes, s’accomplît. Alors il leur ouvrit l’intelligence, afin qu’ils entendissent les Écritures. Et il leur dit : Il est ainsi écrit, et ainsi fallait-il que le Christ souffrît, et qu il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et que l’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations.
Jésus se montre à ses disciples rassemblés, le soir même de sa résurrection ; et il les aborde en leur souhaitant la paix. C’est le souhait qu’il nous adresse à nous-mêmes dans la Pâque. En ces jours il rétablit partout la paix : la paix de l’homme avec Dieu, la paix dans la conscience du pécheur réconcilié, la paix fraternelle des hommes entre eux par le pardon et l’oubli des injures. Recevons ce souhait de notre divin ressuscité, et gardons chèrement cette paix qu’il daigne nous apporter lui-même. Au moment de sa naissance en Bethléhem, les Anges annoncèrent cette paix aux hommes de bonne volonté ; aujourd’hui Jésus lui-même, ayant accompli son œuvre de pacification, vient en personne nous en apporter la conclusion. La Paix : c’est sa première parole à ces hommes qui nous représentaient tous. Acceptons avec amour cette heureuse parole, et montrons-nous désormais, en toutes choses, les enfants de la paix. L’attitude des Apôtres dans cette grande scène doit aussi exciter notre attention. Ils connaissent la résurrection de leur maître ; ils se sont empressés de la proclamer à l’arrivée des deux disciples d’Emmaüs ; que leur foi est faible cependant ! La présence soudaine de Jésus les trouble ; s’il daigne leur donner ses membres à toucher, afin de les convaincre, cette expérience les émeut, les remplit de joie ; mais il reste encore en eux je ne sais quel fond d’incrédulité. Il faut que le Sauveur pousse la bonté jusqu’à manger devant eux, afin de les convaincre tout à fait que c’est bien lui et non un fantôme. Cependant ces hommes, avant la visite de Jésus, croyaient déjà et confessaient sa résurrection ! Quelle leçon nous donne ce fait de notre Évangile ! Il en est donc qui croient, mais d’une foi si faible que le moindre choc la ferait chanceler ; qui pensent avoir la foi, et qui l’ont à peine effleurée. Sans la foi cependant, sans une foi vive et énergique, que pouvons-nous faire, au milieu de cette lutte que nous avons à soutenir constamment contre les démons, contre le monde et contre nous-mêmes ? Pour lutter, la première condition est d’être sur un sol résistant ; l’athlète dont les pieds posent sur le sable mouvant ne tardera pas d’être renversé. Rien de plus commun aujourd’hui que cette foi vacillante, qui croit jusqu’à ce qu’arrive l’épreuve de cette foi constamment minée en dessous par un naturalisme subtil, qu’il est si difficile de ne pas aspirer plus ou moins, dans l’atmosphère malheureuse qui nous entoure. Demandons avec instance la foi, une foi invincible, surnaturelle, qui devienne le grand ressort de notre vie tout entière, qui ne cède jamais, qui triomphe toujours au dedans de nous-mêmes comme à l’extérieur ; afin que nous puissions nous approprier en toute vérité cette forte parole de l’Apôtre saint Jean : « La victoire qui met le monde tout entier sous nos pieds, c’est notre foi. » (1 s. Jean 5, 4)
Dans l’Offertoire, l’Église, empruntant les paroles de David, nous montre les sources d’eau jaillissant de la terre aux accents de la voix tonnante du Seigneur. Cette voix majestueuse, c’est la prédication des Apôtres, et particulièrement celle du grand Paul ; ces fontaines sont celles du Baptême dans lesquelles nos néophytes ont été plongés, pour y être rendus participants de la vie éternelle.
Offertoire
Le Seigneur a tonné du ciel ; le Très-Haut a fait retentir sa voix, et les sources d’eau ont jailli. Alleluia.
L’Église demande, dans la Secrète, que le Sacrifice qu’elle va offrir nous aide à nous acheminer vers cette gloire infinie dont le saint Baptême est la voie.
Secrète
Recevez, s’il vous plait, Seigneur, les prières des fidèles, avec ces hosties que nous vous offrons, afin que par ces devoirs de notre pieuse dévotion, nous obtenions d’arriver à la gloire céleste. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Dans l’Antienne de la Communion, on entend saint Paul lui-même qui, s’adressant aux néophytes, leur indique quelle vie ils doivent mener désormais, pour être l’image fidèle de leur Sauveur ressuscité.
Communion
Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu, alleluia : goûtez ce qui est en haut. Alleluia.
S’unissant aux vœux de l’Apôtre, la sainte Église implore, pour ses nouveaux enfants qui viennent de participer au Mystère pascal, la persévérance dans la vie nouvelle dont ce divin Sacrement est à la fois le principe et le moyen.
Postcommunion
Faites, s’il vous plaît, Dieu tout-puissant, que la vertu du Mystère pascal auquel nous venons de participer, demeure constamment dans nos âmes. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
À Vêpres
L’Office des Vêpres est le même que celui du jour de Pâques, excepté l’Antienne de Magnificat et la Collecte, qui sont propres au Mardi.
Antienne de Magnificat
Voyez mes mains et mes pieds ; c’est bien moi. Alleluia, alleluia.
Les six jours de la création
Le troisième jour de la création vit les eaux qui couvraient la terre descendre, à la parole du Fils de Dieu, dans le bassin des mers, et la surface du globe se dessécher, et devenir habitable aux êtres qui bientôt allaient être appelés du néant. C’est aujourd’hui que notre demeure passagère commence à apparaître aux regards des Anges. Un jour, ce même Fils de Dieu qui aujourd’hui la dégage des eaux, daignera venir l’habiter lui-même dans une nature humaine ; offrons-la-lui comme son domaine, sur lequel toute puissance lui sera donnée comme au ciel. (s. Matth. 28) Le Bréviaire Mozarabe nous offre, dans cette belle prière, un heureux emploi des figures cachées sous la lettre du livre sacré.
Capitula
O Dieu tout-puissant, ô Père, qui avez daigné, le troisième jour, séparer de la masse des cœurs infidèles un peuple qui a soif de s’abreuver aux sources de la loi, comme la terre que vous séparâtes des eaux salées appelle l’irrigation ; séparez-nous de ceux qui n’ont pas la foi, et faites que, affranchis de tous les doutes, nous proclamions la résurrection de votre Fils. C’est le troisième jour depuis qu’il est ressuscité du tombeau ; qu’il daigne nous ressusciter nous-mêmes par l’infusion des trois vertus ; que la foi, l’espérance et la charité nous rendent forts et dignes d’être consolés par le don éternel de la résurrection.
Autres liturgies
Continuons de célébrer la Pâque, en empruntant les formules sacrées des antiques Liturgies. Le Missel de l’Église gothique d’Espagne nous fournit d’abord cette magnifique Préface, où le mystère de la Résurrection est célébré avec une éloquence et un enthousiasme inspirés de ce que les Pères ont dit de plus beau sur la Pâque.
Illatio
Il est digne et juste que nous vous rendions grâces à jamais, Seigneur Jésus-Christ, qui régnez dans une même divinité avec le Père et le Saint-Esprit, de ce que vous nous avez créés avec un pouvoir si admirable, et rachetés avec une si grande miséricorde. Ni le labeur ne vous a fatigué, créateur ; ni la souffrance ne vous a anéanti, rédempteur. Votre puissance sans bornes nous a donné l’être ; votre ineffable bonté nous a octroyé la rédemption. Tout vous est possible ; car, à part votre humanité, tout est en vous consubstantiel au Père et au Saint-Esprit. Tout ce qu’il vous convient de vouloir, vous le pouvez ; dans votre toute-puissance, vous faites ce qu’il vous plait ; dans votre justice, vous jugez avec une souveraine équité ; dans votre clémence, vous nous rendez parfaits pour nous couronner.
D’un seul signe de votre redoutable majesté, vous pouviez briser notre ennemi : vous avez préféré l’abattre par votre propre humiliation. Ainsi vous nous avez fait voir que la tyrannie des princes de l’air, qui sont nos ennemis, n’a rien d’irrésistible en présence de votre majesté, lorsque vous n’avez eu besoin que de nos faibles membres pour réduire à néant tout l’orgueil de votre ennemi. Ce superbe adversaire a senti en gémissant toute la profondeur de sa chute, quand il a vu que c’était par l’humilité même qu’il était écrasé. La Sagesse divine a voulu vaincre de cette manière la ruse de l’ancien serpent : ne voulant pas user de violence contre lui, mais plutôt le renverser légalement. Il se vantait de posséder avec justice l’homme transgresseur de la loi divine, parce qu’il l’avait rendu captif, pour prix de sa docilité ; mais il lui a fallu se reconnaître dépossédé par une sentence juste, le jour où il a osé faire périr celui duquel il n’avait rien à réclamer. C’est avec raison qu’il a été privé du pécheur dont il s’était rendu le maître, lorsqu’il n’a pas craint de mettre à mort, par le supplice de la croix, l’Agneau divin qui ôte les péchés du monde. La croix a brisé les chaînes de l’enfer ; elle a renversé les droits de Satan. Désormais ceux qui croient au Christ émigrent vers le ciel avec le Christ ; et ceux-là demeurent en proie aux tourments de l’enfer auxquels il a plu de se laisser dévorer par le diable.
Il est revenu vainqueur et vivant du sein des morts, après trois jours de sépulture, celui qui fut crucifié pour nous, afin de ressusciter. Il est environné de l’innombrable et joyeuse troupe des captifs qu’il délivre, celui qui, au jour de sa Passion, avait été privé de la compagnie de ses disciples. Au moment de sa résurrection il remue la terre jusque dans ses fondements, celui qui ébranla jusqu’aux enfers, lorsqu’il y descendit. La cohorte des soldats de la terre s’enfuit épouvantée à l’arrivée terrible du Roi céleste ; et celui que naguère elle avait insulté comme un ignoble prisonnier, maintenant vaincue, elle confesse en lui le juge formidable et le vrai Dieu. Les corps des saints se lèvent vivants de leurs tombeaux ; leur dépouille, un moment confiée à la terre, ressuscite glorieuse avec le Christ qui n’a pas laissé l’âme dans les enfers. Les Anges font le service auprès de leur créateur : le grand jour se lève avec splendeur sur le monde.
En ce jour inspirateur de la résurrection, ils tressaillent d’allégresse, ceux que la Passion avait accablés d’une si subite blessure. La Mère reconnaît les membres qui sont sortis de son sein ; Marie‑Madeleine apprend, par la remontrance de l’Ange, à ne plus chercher parmi les morts celui qui est vivant. Pierre court avec Jean au sépulcre ; il y reconnaît dans les linceuls les traces récentes de son Maître ressuscité. Le larron qui confessa le Christ est mis d’avance en possession du Paradis. Ce qui, depuis tant de siècles, avait été prophétisé du Fils de l’homme est accompli : qu’il serait livré pour nous aux mains des pécheurs ; qu’il serait crucifié et mis à mort ; qu’il pénétrerait les enfers comme un vengeur terrible ; qu’il renverserait les superbes et exalterait les humbles dans sa miséricorde ; qu’il ressusciterait d’entre les morts par un triomphe inénarrable ; qu’il régnerait enfin avec le Père et le Saint-Esprit, étendant sur tous les êtres sa domination toute-puissante.
Saisis d’admiration à la vue de tant de grandeurs, les sept escadrons du royaume des cieux envoient sur la terre leurs innombrables et lumineux soldats pour lui rendre hommage ; à l’envi l’un de l’autre, chacun de ces bienheureux Esprits lui rend humblement ses hommages, adorant avec soumission la chair de ce Roi à jamais triomphant, et abaissant devant l’Agneau son visage resplendissant et sa couronne étincelante de mille diamants. Les Séraphins eux‑mêmes, qui sont le trône terrible de la divine majesté, se voilent de leurs six ailes ; ils vous confessent, ô Christ, dans la triple acclamation, comme étant Dieu avec le Père et le Saint‑Esprit, comme vivant et régnant sur le trône du ciel dans les siècles des siècles, et crient éternellement sans jamais cesser : Saint, Saint, Saint.
Nous ajoutons à la Préface mozarabe une Séquence fameuse dans nos Missels romains-français du moyen âge. C’était le chant solennel de la Pâque, tant aimé de nos aïeux, d’un lyrisme un peu sauvage, mais plein de verve. Le chant qui l’accompagnait serait une épreuve pour les poitrines d’aujourd’hui ; mais on ne peut disconvenir qu’à travers ses mouvements un peu désordonnés, il offre les plus grands effets de mélodie et de sentiment.
Séquence
Aujourd’hui, dans le monde, resplendit le jour où l’on raconte d’une voix triomphante le glorieux combat du Christ ;
Quand il vainquit l’ennemi superbe, renversant, par sa vaillante prouesse, ses noirs bataillons.
Triste fut la faute d’Ève, qui nous priva tous de la vie ;
Joyeuse la naissance du fils de Marie, qui aujourd’hui nous convie au festin commun.
Bénie soit Marie, la grande reine !
Elle a enfanté le roi qui enlève les dépouilles de l’enfer,
Qui règne avec gloire dans les cieux.
O roi éternel, daignez agréer les chants que nos voix exécutent avec accord à votre honneur.
Vous êtes assis à la droite du Père.
Partout vainqueur, ayant surmonté la mort, vous possédez les joies célestes.
O immense, ô sublime clémence du Christ ! ô bonté si belle, si douce, si auguste !
Louange à vous, honneur, puissance, à vous qui avez daigné soulever le poids de notre antique fardeau.
Rachetée par les roses du sang de l’Agneau plein de douceur, l’Église aujourd’hui montre avec éclat sa couronne de fleurs.
Celui qui, par son pouvoir vainqueur, a pu laver nos crimes, nous a octroyé les dons les plus éclatants.
Éperdu à la vue de telles merveilles, saisi d’admiration, je me sens indigne de raconter les mystères qui se pressent en ce jour.
Fils de David, rejeton de la tribu de Juda, Lion puissant, vous vous êtes levé avec gloire.
La terre vous vit sous les traits d’un Agneau.
Dans le principe, c’est par vous que ce monde fut créé.
Vous êtes remonté au royaume céleste.
C’est là que vous rendez aux justes leur récompense, durant les siècles un bonheur sans fin.
Dis maintenant, impie Satan, à quoi t’a mené ta perfidie ?
La victoire du Christ t’enchaîne pour jamais dans les lieux embrasés.
Peuples, nations, admirez : qui jamais entendit de telles merveilles ?
Que la mort triomphât ainsi de la mort ; que des coupables fussent l’objet d’une telle faveur ?
Juif incrédule, pourquoi rester sous ta honte ?
Regarde les chrétiens, écoute quels chants joyeux et magnifiques ils adressent au Rédempteur.
O Christ, roi de bonté, qui nous remettez nos crimes, brisez les liens qui pourraient nous retenir encore.
Faites ressusciter avec vous la foule de vos élus ; enlevez-les jusqu’à cette gloire, jusqu’à cette félicité. où vous devez reconnaître dignement leurs mérites. Amen.
Le Mercredi de Pâques
Hæc dies quam fecit Dominus : exsultemus et laetemur in ea. | C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. |
Le nom de la Pâque signifie en hébreu passage, et nous avons exposé hier comment ce grand jour est d’abord devenu sacré, à cause du Passage du Seigneur ; mais le terme hébraïque n’épuise pas là toute sa signification. Les anciens Pères, d’accord avec les docteurs juifs, nous enseignent que la Pâque est aussi pour le peuple de Dieu le Passage de l’Égypte dans la terre promise. En effet, ces trois grands faits s’unissent dans une même nuit : le festin religieux de l’agneau, l’extermination des premiers-nés des Égyptiens, et la sortie d’Égypte. Aujourd’hui reconnaissons une nouvelle figure de notre Pâque dans ce troisième fait qui continue le développement du mystère.
Le moment où Israël sort de l’Égypte pour s’avancer vers la terre qui est pour lui la patrie prédestinée, est le plus solennel de son histoire ; mais ce départ et toutes les circonstances qui l’accompagnent forment un ensemble de figures qui ne se dévoile et ne s’épanouit que dans la Pâque chrétienne. Le peuple élu se retire du milieu d’un peuple idolâtre et oppresseur du faible ; dans notre Pâque, nous avons vu ceux qui sont maintenant nos néophytes sortir courageusement de l’empire de Satan qui les tenait captifs, et renoncer solennellement à cet orgueilleux Pharaon, à ses pompes et à ses œuvres.
Sur la route qui conduit à la terre promise, Israël a rencontré l’eau ; et il lui a fallu traverser cet élément, tant pour se soustraire à la poursuite de l’armée de Pharaon, que pour pénétrer dans l’heureuse patrie où coulent le lait et le miel. Nos néophytes, après avoir renoncé au tyran qui les tenait asservis, se sont trouvés aussi en face de l’eau ; et ils ne pouvaient non plus échapper à la rage de leurs ennemis qu’en traversant cet élément protecteur, ni pénétrer dans la région de leurs espérances qu’après avoir mis derrière eux les flots comme un rempart inexpugnable.
Par la divine bonté, l’eau, qui arrête toujours la course de l’homme, devint pour Israël un allié secourable, et elle reçut ordre de suspendre ses lois et de servir à la délivrance du peuple de Dieu. De même aussi la fontaine sacrée, devenue l’auxiliaire de la divine grâce, comme l’Église nous l’a enseigné dans la solennité de l’Épiphanie, a été le refuge, le sûr asile de nos heureux transfuges, qui dans ses ondes n’ont plus eu à craindre les droits que Satan revendiquait sur eux.
Debout et tranquille sur l’autre rive, Israël contemple les cadavres flottants de Pharaon et de ses guerriers, les chariots et les boucliers devenus le jouet des vagues. Sortis de la fontaine baptismale, nos néophytes ont plongé leur regard sur cette eau purifiante, et ils y ont vu leurs péchés, ennemis plus redoutables que Pharaon et son peuple, submergés pour jamais.
Alors Israël s’est avancé joyeux vers cette terre bénie que Dieu a résolu de lui donner en héritage. Sur la route, il entendra la voix du Seigneur qui lui donnera lui-même sa loi ; il se désaltérera aux eaux pures et rafraîchissantes qui couleront du rocher à travers les sables du désert, et il recueillera pour se nourrir la manne que le ciel lui enverra chaque jour. De même, nos néophytes vont marcher d’un pas libre vers la patrie céleste qui est leur Terre promise. Le désert de ce monde qu’ils ont à traverser sera pour eux sans ennuis et sans périls ; car le divin Législateur les instruira lui-même de sa loi, non plus au bruit du tonnerre et à la lueur des éclairs, comme il fit pour Israël, mais cœur à cœur et d’une voix douce et compatissante, comme celle qui ravit les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs. Les eaux jaillissantes ne leur manqueront pas non plus ; il y a quelques semaines, nous entendions le Maître, parlant à la Samaritaine, promettre qu’il ouvrirait une source vive à ceux qui l’adoreraient en esprit et en vérité. Enfin une manne céleste, bien supérieure à celle d’Israël, car elle assure l’immortalité à ceux qui s’en nourrissent, sera leur aliment délectable et fortifiant.
C’est donc ici encore notre Pâque, le Passage à travers l’eau dans la Terre promise ; mais avec une réalité et une vérité que l’ancien Israël, sous ses grandes figures, n’a pas connue. Fêtons donc notre Passage de la mort originelle à la vie de la grâce par le saint Baptême ; et si l’anniversaire de notre régénération n’est pas aujourd’hui même, ne laissons pas pour cela de célébrer cette heureuse migration que nous avons faite de l’Égypte du monde dans l’Église chrétienne ; ratifions avec joie et reconnaissance notre renoncement solennel à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, en échange duquel la bonté de Dieu nous a octroyé de tels bienfaits.
L’Apôtre des Gentils nous révèle un autre mystère de l’eau baptismale qui complète celui-ci et vient se fondre pareillement dans le mystère de la Pâque. Il nous enseigne que dans cette eau nous avons disparu comme le Christ dans son sépulcre, étant morts et ensevelis avec lui. (Rom. 6, 4) C’était notre vie d’hommes pécheurs qui prenait fin ; pour vivre à Dieu, il nous fallait mourir au péché. En contemplant les fonts sacrés sur lesquels nous avons été régénérés, pensons qu’ils sont le tombeau où nous avons laissé le vieil homme qui n’en doit plus remonter. Le baptême par immersion, qui fut longtemps en usage dans nos contrées, et qui s’administre encore en tant de lieux, était l’image sensible de cet ensevelissement ; le néophyte disparaissait complètement sous l’eau ; il paraissait mort à sa vie antérieure, comme le Christ à sa vie mortelle. Mais de même que le Rédempteur n’est pas demeuré dans le tombeau, et qu’il est ressuscité à une vie nouvelle ; de même aussi, selon la doctrine de l’Apôtre (Col. 2, 12), les baptisés ressuscitent avec lui, au moment où ils sortent de l’eau, ayant les arrhes de l’immortalité et de la gloire, étant les membres vivants et véritables de ce Chef qui n’a plus rien de commun avec la mort. Et c’est encore ici la Pâque, c’est-à-dire le Passage de la mort à la vie.
À Rome, la Station est dans la Basilique de Saint‑Laurent‑hors‑les‑Murs. C’est le principal des nombreux sanctuaires que la ville sainte a consacrés à la mémoire de son plus illustre Martyr, dont le corps repose sous l’autel principal. Les néophytes étaient conduits en ce jour près de la tombe de ce généreux athlète du Christ, afin d’y puiser un sincère courage dans la confession de la foi et une invincible fidélité à leur baptême. Durant des siècles entiers, la réception du baptême fut un engagement au martyre ; en tout temps, elle est un enrôlement dans la milice du Christ, que nul ne peut déserter sans encourir la peine des traîtres.
À la Messe
L’Introït est formé des paroles que le Fils de Dieu adressera à ses élus au dernier jour du monde, en leur ouvrant son royaume. L’Église les applique à ses néophytes, élevant ainsi leurs pensées vers le bonheur éternel dont l’attente a soutenu les Martyrs dans leurs combats.
Introït
Venez, les bénis de mon Père ; possédez le royaume, alleluia, qui a été préparé pour vous dès l’origine du monde. Alleluia, alleluia, alleluia. Ps. Chantez au Seigneur un cantique nouveau : toute la terre, chantez au Seigneur. Gloire au Père. Venez.
Dans la Collecte, l’Église rappelle à ses enfants que les fêtes de la sainte Liturgie sont un moyen d’arriver aux fêtes de l’éternité. C’est la pensée et l’espérance qui dominent dans toute cette Année liturgique. Il nous faut donc célébrer la Pâque du temps, de manière à mériter d’être admis aux joies de la Pâque éternelle.
Collecte
O Dieu qui, chaque année, nous accordez les joies de la résurrection du Seigneur ; faites, dans votre bonté, que ces fêtes que nous célébrons dans le temps nous servent pour arriver aux félicités éternelles. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
À la première Collecte, l’Église ajoute jusqu’à la fin de l’Octave l’une des deux Oraisons suivantes.
Contre les persécuteurs de l’Église
Daignez, Seigneur, vous laisser fléchir par les prières de votre Église, afin que, toutes les adversités et toutes les erreurs ayant disparu, elle puisse vous servir dans une paisible liberté. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.
Pour le Pape
O Dieu, qui êtes le Pasteur et le Conducteur de tous les fidèles, regardez d’un œil propice votre serviteur N., que vous avez mis à la tête de votre Église en qualité de Pasteur ; donnez-lui, nous vous en supplions, d’être utile par ses paroles et son exemple à ceux qui sont sous sa conduite, afin qu’il puisse parvenir à la vie éternelle avec le troupeau qui lui a été confié. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Épître
Lecture des Actes des Apôtres. Chap. 3.
En ces jours-là, Pierre ouvrant la bouche, dit : Hommes Israélites, et vous qui craignez Dieu, écoutez. Le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son Fils Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui avait jugé qu’il devait être renvoyé absous. Mais vous, vous avez renié le Saint et le Juste ; vous avez demandé que l’on vous accordât la grâce d’un homicide, et vous avez fait mourir l’auteur de la vie. Mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, et nous en sommes témoins. Cependant, mes Frères, je sais que vous l’avez fait par ignorance, aussi bien que vos princes. Mais c’est ainsi que Dieu a accompli ce qu’il avait prédit par la bouche de tous les Prophètes, que le Christ devait souffrir. Faites donc pénitence ; et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés.
Nous entendons encore aujourd’hui la voix du Prince des Apôtres proclamant la résurrection de l’Homme-Dieu. Lorsqu’il prononça ce discours, il était accompagné de saint Jean, et venait d’opérer, à l’une des portes du temple de Jérusalem, son premier miracle, la guérison d’un boiteux. Le peuple s’était attroupé autour des deux disciples ; et c’était la seconde fois que Pierre prenait la parole en public. Le premier discours avait amené trois mille hommes au baptême ; celui-ci en conquit cinq mille. L’Apôtre exerça véritablement dans ces deux occasions la qualité de pêcheur d’hommes que le Sauveur lui assigna tout d’abord, lorsqu’il le vit pour la première fois. Admirons avec quelle charité saint Pierre appelle les Juifs à reconnaître en Jésus le Messie qu’ils attendaient ; ces mêmes Juifs qui l’avaient renié, comme il cherche à les rassurer sur le pardon, en mettant une partie de leur crime sur le compte de leur ignorance ! Ils ont demandé la mort de Jésus faible et abaissé ; qu’ils consentent du moins, aujourd’hui qu’il est glorifié, à le reconnaître pour ce qu’il est, et leur péché sera pardonné. En un mot, qu’ils s’humilient, et ils seront sauvés. Dieu appelait ainsi à lui les hommes droits, les hommes de bonne volonté ; et il continue de le faire de nos jours. Jérusalem en fournit un certain nombre ; mais la plupart repoussèrent l’invitation. Il en est de même en nos temps ; prions, et demandons sans cesse que la pêche soit toujours plus abondante, et le festin de la Pâque toujours plus nombreux.
Graduel
C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de la joie, V/. La droite du Seigneur a signalé sa force : la droite du Seigneur m’a élevé en gloire. Alleluia, alleluia. V/. Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il est apparu à Pierre.
On chante ensuite la Séquence de la Messe du jour de Pâques, Victimœ Paschali.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 21.
En ce temps-là, Jésus apparut de nouveau à ses disciples, près de la mer de Tibériade : il leur apparut ainsi. Ensemble étaient Simon Pierre, et Thomas qui est appelé Didyme, et Nathanaël qui était de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous y allons aussi avec toi. Et ils sortirent et montèrent dans une barque ; mais cette nuit-là ils ne prirent rien. Le matin étant venu, Jésus parut sur le rivage ; néanmoins les disciples ne connurent pas que c’était Jésus. Jésus donc leur dit : Enfants, n’avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. Il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. Ils le jetèrent donc ; et déjà ils ne le pouvaient plus tirer, à cause de la multitude des poissons. Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C’est le Seigneur. Simon Pierre ayant entendu que c’était le Seigneur, il se ceignit avec sa tunique, car il était nu, et il se jeta à la mer. Les autres disciples vinrent dans la barque ; car ils n’étaient pas loin de terre, mais comme à deux cents coudées ; et ils tirèrent le filet plein de poissons. Lorsqu’ils furent descendus à terre, ils virent des charbons allumés, et un poisson mis dessus, et du pain. Jésus leur dit : Apportez des poissons que vous venez de prendre. Simon Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois gros poissons. Et quoiqu’il y en eût tant, le filet ne se rompit point. Jésus leur dit : Venez, mangez. Et aucun des convives n’osait lui demander : Qui êtes-vous ? sachant que c’était le Seigneur. Et Jésus s’approcha, et prit du pain, et le leur donna, et pareillement du poisson. Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples, après qu’il fut ressuscité d’entre les morts.
Jésus avait apparu à ses disciples réunis, le soir du jour de Pâques ; il se montra encore à eux huit jours après, comme nous le dirons bientôt. L’Évangile d’aujourd’hui nous raconte une troisième apparition qui eut lieu à sept disciples seulement, sur les bords du lac de Génézareth, appelé aussi la mer de Tibériade, à cause de sa vaste étendue. Rien de plus touchant que cette joie respectueuse des Apôtres à la vue de leur maître qui daigne leur servir un repas. Jean, le premier de tous, a senti la présence de Jésus ; ne nous en étonnons pas ; sa grande pureté éclaira l’œil de son âme, il est écrit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. »(s. Matth. 5, 8) Pierre se jette dans les flots pour être plus tôt arrivé près de son maître ; on reconnaît l’Apôtre impétueux, mais qui aime plus que les autres. Que de mystères ensuite dans cette admirable scène !
Il y a d’abord une pêche ; c’est l’exercice de l’apostolat par la sainte Église. Pierre est le grand pêcheur ; c’est à lui de déterminer quand et comment il faut jeter le filet. Les autres Apôtres s’unissent à lui, et Jésus est avec tous. Il suit de l’œil la pêche, il la dirige ; car le résultat en est pour lui. Les poissons sont les fidèles ; car le chrétien, ainsi que nous l’avons déjà remarqué ailleurs, le chrétien, dans le langage des premiers siècles, est un poisson. Il sort de l’eau ; c’est dans l’eau qu’il puise la vie. Nous avons vu tout à l’heure comment l’eau de la mer Rouge fut propice aux Israélites. Dans notre Évangile, nous retrouvons encore le Passage : passage de l’eau du lac de Génézareth à la table du Roi du ciel. La pêche fut abondante, et il y a ici un mystère qu’il ne nous est pas donné encore de pénétrer. Ce n’est qu’au dernier jour du monde, quand la pêche sera complète, que nous comprendrons quels sont ces cent cinquante-trois gros poissons. Ce nombre mystérieux signifie, sans doute, autant de fractions de la race humaine, amenées successivement à l’Évangile par l’apostolat ; mais les temps n’étant pas accomplis encore, le livre demeure scellé.
De retour sur le rivage, les Apôtres se réunissent à leur maître ; mais voici qu’ils trouvent un repas préparé pour eux : un pain, avec un poisson rôti sur des charbons. Quel est ce Poisson qu’ils n’ont pas péché eux-mêmes, qui est soumis à l’ardeur du feu, et qui va leur servir de nourriture au sortir de l’eau ? L’antiquité chrétienne nous explique ce nouveau mystère : le Poisson, c’est le Christ qui a été éprouvé par les cuisantes douleurs de sa Passion, dans lesquelles l’amour l’a dévoré comme un feu ; il est devenu l’aliment divin de ceux qui ont été purifiés en traversant l’eau. Nous avons expliqué ailleurs comment les premiers chrétiens avaient fait un signe de reconnaissance du mot Poisson en langue grecque, parce que les lettres de ce mot reproduisent dans cette langue les initiales des noms du Rédempteur.
Mais Jésus veut unir dans un même repas, et lui-même le Poisson divin, et ces autres poissons de l’humanité que le filet de saint Pierre a tirés des eaux. Le festin de la Pâque a la vertu de fondre en une même substance, par l’Amour, le mets et les convives, l’Agneau de Dieu et les agneaux ses frères, le Poisson divin et ces autres poissons qu’il s’est unis dans une indissoluble fraternité. Immolés avec lui, ils le suivent partout, dans la souffrance et dans la gloire ; témoin le grand diacre Laurent, qui voit aujourd’hui autour de sa tombe l’heureuse assemblée des fidèles. Imitateur de son maître jusque sur les charbons du gril embrasé, il partage maintenant, dans une Pâque éternelle, les splendeurs de sa victoire et les joies infinies de sa félicité.
L’Offertoire, formé des paroles du Psaume, célèbre la manne que le ciel envoya aux Israélites après le passage de la mer Rouge ; mais la nouvelle manne est autant au-dessus de la première, qui nourrissait seulement le corps, que notre fontaine baptismale, qui lave les péchés, est au-dessus des flots vengeurs qui submergèrent Pharaon et son armée.
Offertoire
Le Seigneur a ouvert les portes du ciel, et il a fait pleuvoir la manne pour nourrir son peuple. Il leur a donné le pain du ciel : l’homme a mangé le pain des Anges. Alleluia.
L’Église, dans la Secrète, parle avec effusion du Pain céleste qui la nourrit, et qui est en même temps la Victime du Sacrifice pascal.
Secrète
Nous immolons, Seigneur, au milieu des joies pascales, ce sacrifice qui est pour votre Église l’aliment admirable, dont elle est nourrie et soutenue. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
À la première Secrète, l’Église ajoute, jusqu’à la fin de l’Octave, l’une des deux Oraisons suivantes.
Contre les persécuteurs de l’Église
Protégez-nous, Seigneur, nous qui célébrons vos mystères, afin que, nous attachant aux choses divines, nous vous servions dans le corps et dans l’âme. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Pour le Pape
Laissez-vous fléchir, Seigneur, par l’offrande de ces dons, et daignez gouverner par votre continuelle protection votre serviteur N., que vous avez voulu établir Pasteur de votre Église. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.
« Celui qui aura mangé de ce Pain, dit le Seigneur, ne mourra plus. » L’Apôtre nous dit dans l’Antienne de la Communion : « Le Christ ressuscité ne meurt plus. » Ces deux paroles s’unissent pour expliquer l’effet de la divine Eucharistie dans les âmes. Nous mangeons une chair immortelle ; il est juste qu’elle nous communique la vie qui est en elle.
Communion
Le Christ, ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus, alleluia : la mort n’aura plus sur lui d’empire. Alleluia, alleluia.
Dans la Postcommunion, la sainte Église demande que nous recevions le fruit de l’aliment sacré auquel nous venons de participer, qu’il nous épure et substitue en nous au principe ancien le principe nouveau, qui est en Jésus-Christ ressuscité.
Postcommunion
Daignez nous délivrer, Seigneur, de tous les restes du vieil homme ; et faites que la participation de votre Sacrement auguste nous confère un être nouveau. Vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. Amen.
À la première Postcommunion, l’Église ajoute, jusqu’à la fin de l’Octave, l’une des deux Oraisons suivantes.
Contre les persécuteurs de l’Église
Nous vous supplions, Seigneur notre Dieu, de ne pas laisser exposés aux périls de la part des hommes, ceux à qui vous accordez de participer aux mystères divins. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Pour le Pape
Que la réception de ce divin Sacrement nous protège, Seigneur ; qu’elle sauve aussi et fortifie à jamais, avec le troupeau qui lui est confié, votre serviteur N., que vous avez établi Pasteur de votre Église. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Les Agnus Dei
Le Mercredi de Pâques est célébré à Rome par la bénédiction des Agnus Dei : cérémonie qui est accomplie par le Pape la première année de son pontificat, et ensuite tous les sept ans. Les Agnus Dei sont des disques en cire sur lesquels est empreinte, d’un côté l’image de l’Agneau de Dieu, et de l’autre celle de quelque saint. L’usage de les bénir, à la fête de Pâques, est fort ancien ; on en trouve des traces dans les monuments de la liturgie dès le VIIe siècle ; et lorsque, en 1544, on fit à Rome l’ouverture du tombeau de l’impératrice Marie, femme d’Honorius et fille de Stilicon, morte avant le milieu du Ve siècle, on y trouva un de ces Agnus Dei, semblable à ceux que le Pape bénit encore aujourd’hui.
On a donc eu tort de dire que cette pratique aurait été instituée en mémoire du baptême des 300 néophytes, à l’époque où l’on cessa d’administrer ce sacrement aux fêtes de Pâques. Il parait même démontré que les nouveaux baptisés recevaient de la main du Pape chacun un Agnus Dei, le Samedi de Pâques ; d’où l’on doit conclure, ainsi que du fait d’une de ces empreintes de cire trouvée dans le tombeau de l’impératrice Marie, que l’administration solennelle du baptême et la bénédiction des Agnus Dei sont deux rites qui ont coexisté pendant un certain temps.
La cire qui s’emploie dans la confection des Agnus Dei est celle du cierge pascal de l’année précédente, à laquelle on en ajoute beaucoup d’autre ; autrefois même on y mêlait le saint Chrême. Au moyen âge, le soin de pétrir cette cire et de lui donner les empreintes sacrées était dévolu aux sous-diacres et aux acolytes du palais ; aujourd’hui, il appartient aux religieux de l’Ordre de Cîteaux, qui habitent à Rome le monastère de Saint-Bernard.
La cérémonie a lieu dans le palais pontifical, dans une salle où l’on a préparé un grand bassin rempli d’eau bénite. Le Pape s’approche de ce bassin, et il récite d’abord cette prière :
Seigneur Dieu, Père tout-puissant, créateur des éléments, conservateur du genre humain, auteur de la grâce et du salut éternel, vous qui avez ordonné aux eaux qui sortaient du paradis d’arroser toute la terre ; vous dont le Fils unique a marché à pied sec sur les eaux et reçu le baptême dans leur sein ; lui qui a répandu l’eau mêlée au sang de son très sacré côté, et a commandé à ses disciples de baptiser toutes les nations : soyez-nous propice, et répandez votre bénédiction sur nous qui célébrons toutes ces merveilles ; afin que soient bénis et sanctifiés par vous ces objets que nous allons plonger dans ces eaux, et que l’honneur et la vénération qu’on leur portera méritent à nous, vos serviteurs, la rémission des péchés, le pardon et la grâce, enfin la vie éternelle avec vos saints et vos élus.
Le Pontife, après ces paroles, répand le baume et le saint Chrême sur l’eau du bassin, demandant à Dieu de la consacrer pour l’usage auquel elle doit servir. Il se tourne ensuite vers les corbeilles dans lesquelles sont accumulées les empreintes de cire et prononce cette prière :
O Dieu, auteur de toute sanctification, et dont la bonté nous accompagne toujours ; vous qui, lorsque Abraham, le père de notre foi, se disposait à immoler son fils Isaac pour obéir à votre ordre, avez voulu qu’il consommât le sacrifice par l’offrande d’un bélier que le buisson avait retenu ; vous qui avez commandé par Moïse, votre serviteur, le sacrifice annuel des agneaux sans tache : daignez, à notre prière, bénir ces formes de cire qui portent l’empreinte du très innocent Agneau, et les sanctifier par l’invocation de votre saint Nom ; afin que, par leur contact et par leur vue, les fidèles soient invités à la prière, les orages et les tempêtes éloignés, et les esprits de malice mis en fuite par la vertu de la sainte Croix qui y est marquée, devant laquelle tout genou fléchit, et toute langue confesse que Jésus-Christ, ayant vaincu la mort par le gibet de la croix, est régnant dans la gloire de Dieu le Père. C’est lui qui, ayant été conduit à la mort comme la brebis à la boucherie, vous a offert, à vous son Père, le sacrifice de son corps, afin qu’il pût ramener la brebis perdue qui avait été séduite par la fraude du diable, et la rapporter sur ses épaules pour la réunir au troupeau de la patrie céleste.
Dieu tout-puissant et éternel, instituteur des cérémonies et des sacrifices de la Loi, qui consentiez à apaiser votre colère qu’avait encourue l’homme prévaricateur, lorsqu’il vous offrait les hosties d’expiation ; vous qui avez agréé les sacrifices d’Abel, de Melchisédech, d’Abraham, de Moïse et d’Aaron ; sacrifices qui n’étaient que des figures, mais qui, par votre bénédiction, étaient rendus saints et salutaires à ceux qui vous les offraient humblement : daignez faire que, de même que l’innocent Agneau, Jésus-Christ votre Fils, immolé par votre volonté sur l’autel de la croix, a délivré notre premier père de la puissance du démon ; ainsi ces agneaux sans tache que nous présentons à la bénédiction de votre majesté divine reçoivent une vertu bienfaisante. Daignez les bénir, les sanctifier, les consacrer, leur donner la vertu de protéger ceux qui les porteront dévotement sur eux contre la malice des démons, contre les tempêtes, la corruption de l’air, les maladies, les atteintes du feu et les embûches des ennemis, et faire qu’ils soient efficaces pour protéger la mère et son fruit, dans les périls de l’enfantement ; par Jésus-Christ votre Fils notre Seigneur.
Après ces prières, le Pape, étant ceint d’un linge, s’assied près du bassin. Ses officiers lui apportent les Agnus Dei ; il les plonge dans l’eau, figurant ainsi le baptême de nos néophytes. Des prélats les retirent ensuite de l’eau, et les déposent sur des tables couvertes de linges blancs. Alors le Pontife se lève, et prononce cette prière :
Esprit divin, qui fécondez les eaux, et les avez fait servir à vos plus grands mystères ; vous qui leur enlevez leur amertume et les rendez douces, et qui, les sanctifiant par votre souffle, vous servez d’elles, pour effacer tous les péchés par l’invocation de la sainte Trinité : daignez bénir, sanctifier et consacrer ces agneaux qui ont été jetés dans l’eau sainte, et imbibés du baume et du saint Chrême ; qu’ils reçoivent de vous la vertu contre les efforts de la malice du diable ; que tous ceux qui les porteront sur eux demeurent en sûreté ; qu’ils n’aient à craindre aucun péril ; que la méchanceté des hommes ne leur soit point nuisible ; et daignez être leur force et leur consolation.
Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, qui êtes l’Agneau innocent, prêtre et victime ; vous que les Prophètes ont appelé la Vigne et la Pierre angulaire ; vous qui nous avez rachetés dans votre sang, et qui avez marqué de ce sang nos cœurs et nos fronts, afin que l’ennemi passant près de nos maisons ne nous atteigne pas dans sa fureur : c’est vous qui êtes l’Agneau sans tache dont l’immolation est continuelle ; l’Agneau pascal devenu, sous les espèces du Sacrement, le remède et le salut de nos âmes ; qui nous conduisez à travers la mer du siècle présent à la résurrection et à la gloire de l’éternité. Daignez bénir, sanctifier et consacrer ces agneaux sans tache, qu’en votre honneur nous avons formés de cire vierge et imbibés de l’eau sainte, du baume et du Chrême sacrés, honorant en eux votre divine conception qui fut l’effet de la Vertu divine. Défendez ceux qui les porteront sur eux de la flamme, de la foudre, de la tempête, de toute adversité ; délivrez par eux les mères qui sont dans les douleurs de l’enfantement, comme vous avez assisté la vôtre lorsqu’elle vous mit au jour ; et de même que vous avez sauvé Susanne de la fausse accusation, la bienheureuse vierge martyre Thècle du bûcher, et Pierre des liens de la captivité : ainsi daignez nous affranchir des périls de ce monde, et faites que nous méritions de vivre avec vous éternellement.
Les Agnus Dei sont ensuite recueillis avec respect, et réservés pour la distribution solennelle qui doit s’en faire le Samedi suivant. Il est aisé de voir le lien de cette cérémonie avec la Pâque : l’Agneau pascal y est sans cesse rappelé ; en même temps que l’immersion des agneaux de cire présente une allusion évidente avec l’administration du baptême, qui fut durant tant de siècles le grand intérêt de l’Église et des fidèles dans cette solennelle Octave. Les prières que nous avons données ci‑dessus, en les abrégeant un peu, ne sont pas de la plus haute antiquité ; mais le rite qui les accompagne montre suffisamment l’allusion au baptême, bien qu’on ne l’y retrouve pas directement exprimée. Les faits prouvent, comme nous l’avons fait voir, que l’usage de bénir les Agnus Dei n’a pas été institué, ainsi que quelques auteurs l’ont prétendu, à l’époque où l’on cessa de baptiser solennellement à Pâques ; il est antérieur de plusieurs siècles, et sert à confirmer, d’une manière touchante, l’importance que l’Église a attachée et attachera toujours au culte du mystère de l’Agneau en ces saints jours.
Les Agnus Dei, par leur signification, par la bénédiction du Souverain Pontife et la nature des rites employés dans leur consécration, sont un des objets les plus vénérés de la piété catholique. De Rome ils se répandent dans le monde entier ; et bien souvent la foi de ceux qui les conservent avec respect a été récompensée par des prodiges. Sous le pontificat de saint Pie V, le Tibre se déborda d’une manière effrayante, et menaçait d’inonder plusieurs quartiers de la ville ; un Agnus Dei jeté sur les vagues les fit reculer aussitôt. Toute la ville demeura témoin de ce miracle, qui fut discuté plus tard dans le procès de la Béatification de ce grand Pape.
Les six jours de la création
Aujourd’hui furent tirés du néant le soleil, qui devait être le type radieux du Verbe incarné ; la lune, symbole de Marie qui est belle comme elle, et de l’Église qui réfléchit la lumière du divin Soleil ; et les étoiles qui, par leur nombre et leur éclat, rappellent l’armée brillante et innombrable des élus. Glorifions le Fils de Dieu, auteur de tant de merveilles de la nature et de la grâce ; et pleins de reconnaissance envers celui qui a daigné faire luire pour nous, au milieu de nos ténèbres, tous ces admirables flambeaux, offrons-lui la prière que lui consacrait en ce jour l’Église gothique d’Espagne.
Capitula
Voici que nous célébrons, Seigneur, à la lueur des flambeaux, l’office du soir de ce quatrième jour, dans lequel, établissant au firmament du ciel ses flambeaux lumineux, vous avez daigné nous donner la figure des quatre Évangélistes, dont l’accord est une lumière pour nos cœurs, et qui s’encadrent si parfaitement dans la solidité de la loi ancienne. Ils s’unissent pour annoncer aux quatre parties du monde que vous avez souffert pour nous la mort, et que vous êtes ressuscité du tombeau. Daignez donc, nous vous en supplions, nous éclairer tellement par la grâce de votre résurrection, dans l’obscurité de cette vie, que, nous qui devons ressusciter aussi, nous méritions d’arriver à la couronne.
Les autres liturgies
Nous empruntons au Missel de la même Église cette belle allocution, dans laquelle sont célébrés les mystères de la pêche merveilleuse à laquelle assista Jésus ressuscité, et dont nous avons eu le récit dans l’Évangile de ce jour.
Missa
Ayant à traverser les flots de la mer orageuse du siècle, montons avec confiance sur le bois de la croix ; et livrons les voiles de notre foi au souffle favorable de l’Esprit-Saint. Le Christ assiste sur le rivage ; et il nous donne une vision de son Église pleine de gloire et sans tache, lorsque nous voyons celle-ci remplir de grands poissons ces filets qui ne rompent pas. Il veut que le navire ne quitte pas le côté droit ; parce que, à ce moment, il voulait nous représenter les justes seuls sous cette figure. Suivons et aimons la vérité de cet admirable mystère, et tenons-nous attachés avec force au principe de l’unité. Que nul ne se jette dans les schismes coupables, que nul n’ait le malheur de rompre les mailles des filets du Seigneur, en ce moment où on les tire sur le rivage. Méritons d’être comptés parmi ces mystiques poissons, destinés à devenir la nourriture du Seigneur, qui a daigné nous tirer du plus profond des eaux ; et puisque nous sommes ses membres les plus chers, purifions-nous par le sacrifice du salut.
De toutes les Séquences d’Adam de Saint-Victor, celle qui suit est la plus remarquable par les allusions aux symboles de l’Ancien Testament qui se rapportent au triomphe du Christ sur la mort. Le chant qui lui sert d’expression est une première ébauche de celui qui accompagne avec tant de majesté la Prose du Saint-Sacrement, Lauda Sion.
Séquence
Chassons le vieux levain, et célébrons d’un cœur sincère la nouvelle résurrection ;
C’est le jour de notre espérance, le jour dont la Loi tout entière célèbre la puissance.
C’est le jour qui dépouilla l’Égypte, et qui délivra les Hébreux des fers de la captivité.
Foulés par leurs ennemis, ils ne connaissaient que le labeur de l’esclavage, l’argile, la brique et le chaume.
Que maintenant notre voix fasse éclater librement la louange du divin exploit, qu’elle célèbre la victoire, qu’elle chante notre salut ;
Car voici le jour qu’a fait le Seigneur, jour qui met fin à nos douleurs, jour qui apporte la délivrance.
La Loi fut l’ombre des choses à venir ; le Christ qui vient tout accomplir est la fin des promesses.
Son sang a fait disparaître le gardien qui nous interdisait le passage ; ce sang a émoussé le glaive de feu.
L’enfant Isaac, dont le nom signifie sourire, et en place duquel la brebis est immolée, figure d’avance le joyeux mystère qui rend la vie.
Joseph sortant de la citerne où on l’avait précipité, c’est le Christ qui remonte du tombeau, après le supplice et la mort.
Il est ce serpent qui dévore les serpents de Pharaon ; la malice du dragon n’a sur lui aucun pouvoir.
Sous le type du serpent d’airain, il guérit les blessures du reptile enflammé.
L’hameçon qu’il présente au monstre a déchiré sa gueule avide ; l’enfant a mis, sans offense, sa main dans le trou du serpent ; et cet antique ennemi du monde est réduit à fuir confondu.
Les insulteurs d’Élisée, lorsqu’il montait à la maison de Dieu, ont ressenti le courroux de celui qu’ils appelaient le chauve ; David s’échappe des mains de son ennemi ; le bouc émissaire s’est élancé dans sa course et le passereau a pris son vol.
Samson immole mille ennemis avec un os aride ; il dédaigne de prendre une épouse dans sa nation ; il force les portes de Gaza ; et libre, il va les déposer sur la cime de la montagne.
Ainsi le fort Lion de Juda brise les portes de la cruelle mort et ressuscite le troisième jour. Il s’éveille à la voix de son Père, et monte, chargé de dépouilles, à la patrie céleste.
Après trois jours de captivité dans ses flancs, le monstre marin vomit plein de vie le fugitif Jonas, figure du Jonas véritable.
La grappe de Cypre refleurit ; elle se dilate, elle mûrit ; la synagogue voit se faner sa fleur, et l’Église épanouit sa corolle.
La mort et la vie sont entrées en champ clos ; le Christ est sorti du tombeau, et avec lui de nombreux témoins de sa gloire.
Nouveau matin, matin joyeux, qui essuie les pleurs du soir. La vie a vaincu le trépas : c’est le temps de se réjouir.
Jésus vainqueur, Jésus notre vie, Jésus, voie désormais facile de l’immortalité : toi dont la mort a fait périr la mort, dans ta bonté fais-nous asseoir à la table pascale.
Pain de vie, eau vive, vigne véritable et féconde, nourris-nous, purifie-nous ; et par ta grâce, sauve-nous de la seconde mort. Amen.
Le Jeudi de Pâques
Hæc dies quam fecit Dominus : exsultemus et laetemur in ea. | C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. |
Après avoir glorifié l’Agneau de Dieu, et salué le passage du Seigneur à travers l’Égypte où il vient d’exterminer nos ennemis ; après avoir célébré les merveilles de cette eau qui nous délivre et nous introduit dans la Terre de promission ; si maintenant nous reportons nos regards sur le divin Chef dont tous ces prodiges annonçaient et préparaient le triomphe, nous nous sentons éblouis de tant de gloire. Comme le prophète de Pathmos, nous nous prosternons aux pieds de cet Homme‑Dieu, jusqu’à ce qu’il nous dise, à nous aussi : « Ne craignez point : je suis le premier et le dernier ; je suis vivant et j’ai été mort ; je vis dans les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort et du tombeau. » (Apoc. 1, 17)
Il est maître, en effet, désormais de celle qui l’avait tenu captif ; il tient les clefs du tombeau ; c’est-à-dire, selon le langage de l’Écriture, il commande à la mort ; elle lui est soumise sans retour. Or le premier usage qu’il fait de sa victoire, c’est de l’étendre à la race humaine tout entière. Adorons cette infinie bonté ; et fidèles au désir de la sainte Église, méditons aujourd’hui la Pâque dans ses rapports avec chacun de nous.
Le Fils de Dieu dit à l’Apôtre bien-aimé : « Je suis vivant et j’ai été mort ; » par la vertu de la Pâque, le jour viendra où nous dirons aussi avec l’accent du triomphe : « Nous sommes vivants, et nous avons été morts. »
La mort nous attend ; elle est prête à nous saisir ; nous ne fuirons pas sa faux meurtrière. « La mort est la solde du péché, » dit le livre sacré (Rom. 6, 23) ; avec cette explication, tout est compris : et la nécessité de la mort, et son universalité. La loi n’en est pas moins dure ; et nous ne pouvons nous empêcher de voir un effrayant désordre dans cette rupture violente du lien qui unissait ensemble, dans une vie commune, ce corps et cette âme que Dieu avait lui-même unis. Si nous voulons comprendre la mort telle qu’elle est, souvenons-nous que Dieu créa l’homme immortel ; nous nous rendrons raison alors de l’invincible horreur que la destruction inspire à l’homme, horreur qui ne peut être surmontée que par un sentiment supérieur à tout égoïsme, par le sentiment du sacrifice. Il y a dans la mort de chaque homme un monument honteux du péché, un trophée pour l’ennemi du genre humain ; et pour Dieu même il y aurait humiliation, si sa justice n’y paraissait, et ne rétablissait ainsi l’équilibre.
Quel sera donc le désir de l’homme, sous la dure nécessité qui l’opprime ? Aspirer à ne pas mourir ? Ce serait folie. La sentence est formelle, et nul n’y échappera. Se flatter de l’espoir qu’un jour ce corps, qui devient d’abord un cadavre, et qui ensuite se dissout jusqu’à ne plus laisser la moindre trace visible de lui-même, pourrait revivre et se sentir uni de nouveau à l’âme, pour laquelle il avait été créé ? Mais qui opérera cette réunion impossible d’une substance immortelle avec une autre substance qui lui fut unie un jour, et qui depuis semble être retournée aux éléments desquels elle avait été empruntée ? O homme ! il en est pourtant ainsi. Tu ressusciteras ; ce corps oublié, dissous, anéanti en apparence, revivra et te sera rendu. Que dis-je ? aujourd’hui même il sort du tombeau, en la personne de l’Homme-Dieu ; notre résurrection future s’accomplit dès aujourd’hui dans la sienne ; il devient aujourd’hui aussi certain que nous ressusciterons qu’il est assuré que nous mourrons ; et c’est là encore la Pâque.
Dieu, dans son courroux salutaire, cacha d’abord à l’homme cette merveille de son pouvoir et de sa bonté. Sa parole fut dure à Adam : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre de laquelle tu as été tiré ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. » (Gen. 3, 19.) Pas un mot, pas une allusion qui donne au coupable la plus légère espérance au sujet de cette portion de lui-même vouée ainsi à la destruction, à la honte du sépulcre. Il fallait humilier l’ingrat orgueil qui avait voulu s’élever jusqu’à Dieu. Plus tard, le grand mystère fut manifesté, quoique avec mesure ; et il y a quatre mille ans, un homme dont le corps, dévoré d’affreux ulcères, tombait par lambeaux, pouvait dire déjà : « Je sais que j’ai un Rédempteur qui est vivant, et qu’au dernier jour je me lèverai de terre ; que mes membres seront de nouveau recouverts de ma peau, et que je verrai Dieu dans ma chair. Cette espérance repose dans mon cœur. » (Job. 19, 25-27)
Mais pour que l’attente de Job se réalisât, il fallait que ce Rédempteur, en qui il espérait, parût sur la terre, qu’il vînt attaquer la mort, lutter corps à corps avec elle, qu’il la terrassât enfin. Il est venu au temps marqué, non pour faire que nous ne mourions pas : l’arrêt est trop formel ; mais pour mourir lui-même, et ôter ainsi à la mort tout ce qu’elle avait de dur et d’humiliant. Semblable à ces médecins généreux que l’on a vus s’inoculer à eux-mêmes le virus de la contagion, il a commencé, selon l’énergique expression de saint Pierre, par « absorber la mort. » (1 s. Pierre 3, 22) Mais la joie de cette ennemie de l’homme a été courte ; car il est ressuscité pour ne plus mourir, et il a acquis en ce jour le même droit à nous tous.
De ce moment, nous avons dû considérer le tombeau sous un nouvel aspect. La terre nous recevra, mais pour nous rendre, comme elle rend l’épi, après avoir reçu le grain de blé. Les éléments, au jour marqué, seront contraints, par la puissance qui les tira du néant, de restituer ces atomes qu’ils n’avaient reçus qu’en dépôt ; et au son de la trompette de l’Archange, le genre humain tout entier se lèvera de terre, et proclamera la dernière victoire sur la mort. Pour les justes ce sera la Pâque : mais une Pâque qui ne sera que la suite de celle d’aujourd’hui.
Avec quel ineffable bonheur nous retrouverons cet ancien compagnon de notre âme, cette partie essentielle de notre être humain, dont, nous aurons été séparés si longtemps ! Depuis des siècles, peut-être, nos âmes étaient ravies dans la vision de Dieu ; mais notre nature d’hommes n’était pas représentée tout entière dans cette béatitude souveraine ; notre félicité, qui doit être aussi la félicité du corps, n’avait pas son complément ; et au sein de cette gloire, de ce bonheur, il restait encore une trace non effacée du châtiment qui frappa la race humaine, dès les premières heures de son séjour sur la terre. Pour récompenser les justes par sa vue béatifique, le grand Dieu a daigné ne pas attendre le moment où leurs corps glorieux seront réunis aux âmes qui les animèrent et les sanctifièrent ; mais le ciel tout entier aspire à cette dernière phase du sublime mystère de la Rédemption de l’homme. Notre Roi, notre Chef divin qui, du haut de son trône, prononce avec majesté ces paroles : « Je suis vivant, et j’ai été mort, » veut que nous les répétions à notre tour dans l’éternité. Marie qui, trois jours après son trépas, reprit sa chair immaculée, désire voir autour d’elle, dans leur chair purifiée par l’épreuve du tombeau, les innombrables fils qui l’appellent leur Mère.
Les saints Anges, dont les élus de la terre doivent renforcer les rangs, se réjouissent dans l’attente du magnifique spectacle qu’offrira la cour céleste, lorsque les corps des hommes glorifiés, comme les fleurs du monde matériel, émailleront de leur éclat la région des esprits. Une de leurs joies est de contempler par avance le corps resplendissant du divin Médiateur qui, dans son humanité, est leur Chef aussi bien que le nôtre ; d’arrêter leurs regards éblouis sur l’incomparable beauté dont resplendissent les traits de Marie qui est aussi leur Reine. Quelle fête complète sera donc pour eux le moment où leurs frères de la terre, dont les âmes bienheureuses jouissent déjà avec eux de la félicité, se revêtiront du manteau de cette chair sanctifiée qui n’arrêtera plus les rayons de l’esprit, et mettra enfin les habitants du ciel en possession de toutes les grandeurs et de toutes les beautés de la création ! Au moment où, dans le sépulcre, Jésus, rejetant les linceuls qui le retenaient, se dressa ressuscité dans toute sa force et sa splendeur, les Anges qui l’assistaient furent saisis d’une muette admiration à la vue de ce corps qui leur était inférieur par sa nature, mais que les splendeurs de la gloire rendaient plus éclatant que ne le sont les plus radieux des Esprits célestes ; avec quelles acclamations fraternelles n’accueilleront-ils pas les membres de ce Chef victorieux se revêtant de nouveau d’une livrée glorieuse à jamais, puisqu’elle est celle d’un Dieu !
L’homme sensuel est indifférent à la gloire et à la félicité du corps dans l’éternité ; le dogme de la résurrection de la chair ne le touche pas. Il s’obstine à ne voir que le présent ; et, dans cette préoccupation grossière, son corps n’est pour lui qu’un jouet dont il faut se hâter de profiter ; car il ne dure pas. Son amour pour cette pauvre chair est sans respect ; voilà pourquoi il ne craint pas de la souiller, en attendant qu’elle aille aux vers, sans avoir reçu d’autre hommage qu’une préférence égoïste et ignoble. Avec cela, l’homme sensuel reproche à l’Église d’être l’ennemie du corps ; à l’Église qui ne cesse d’en proclamer la dignité et les hautes destinées. C’est trop d’audace et d’injustice. Le christianisme nous avertit des dangers que l’âme court de la part du corps ; il nous révèle la dangereuse maladie que la chair a contractée dans la souillure originelle, les moyens que nous devons employer pour « faire servir à la justice nos membres qui pourraient se prêter à l’iniquité » (Rom. 4, 19) ; mais, loin de chercher à nous déprendre de l’amour de notre corps, il nous le montre destiné à une gloire et à une félicité sans fin. Sur notre lit funèbre, l’Église l’honore par le Sacrement de l’Huile sainte, dont elle marque tous ses sens pour l’immortalité ; elle préside aux adieux que l’âme adresse à ce compagnon de ses combats, jusqu’à la future et éternelle réunion ; elle brûle respectueusement l’encens autour de cette dépouille mortelle devenue sacrée depuis le jour où l’eau du baptême coula sur elle ; et à ceux qui survivent elle adresse avec une douce autorité ces paroles : « Ne soyez pas tristes comme ceux qui n’ont point d’espérance. » (1 Thess. 4, 12) Or quelle est notre espérance, sinon celle qui consolait Job : Dans ma propre chair, je verrai Dieu ?
C’est ainsi que notre sainte foi nous révèle l’avenir de notre corps, et favorise, en l’élevant, l’amour d’instinct que l’âme porte à cette portion essentielle de notre être. Elle enchaîne indissolublement le dogme de la Pâque à celui de la résurrection de notre chair ; et l’Apôtre ne fait pas difficulté de nous dire que « si le Christ n’était pas ressuscité, notre foi serait vaine ; de même que si la résurrection de la chair n’avait pas lieu, celle de Jésus-Christ aurait été superflue » (1 Cor. 15) ; tant est étroite la liaison de ces deux vérités qui n’en font, pour ainsi dire, qu’une seule. Aussi devons-nous voir un triste signe de l’affaiblissement du véritable sentiment de la foi, dans l’espèce d’oubli où semble tombé, chez un grand nombre de fidèles, le dogme capital de la résurrection de la chair. Ils le croient, assurément, puisque le Symbole le leur impose ; ils n’ont pas même à ce sujet l’ombre d’un doute ; mais l’espérance de Job est rarement l’objet de leurs pensées et de leurs aspirations. Ce qui leur importe pour eux-mêmes et pour les autres, c’est le sort de l’âme après cette vie ; et certes, ils ont grandement raison ; mais le philosophe aussi prêche l’immortalité de l’âme et les récompenses pour le juste dans un monde meilleur. Laissez-le donc répéter la leçon qu’il a apprise de vous, et montrez que vous êtes chrétiens ; confessez hardiment la Résurrection de la chair, comme fit Paul dans l’Aréopage. On vous dira peut-être, ainsi qu’il lui fut dit : « Nous vous entendrons une autre fois sur ce sujet » (Act. 17, 32) ; mais que vous importe ? vous aurez rendu hommage à celui qui a vaincu la mort, non seulement en lui-même, mais en vous ; et vous n’êtes en ce monde que pour rendre témoignage à la vérité révélée, et par vos paroles et par vos œuvres.
Lorsque l’on parcourt les peintures murales des Catacombes de Rome, on est frappé d’y rencontrer partout les symboles de la résurrection des corps ; c’est, avec le Bon Pasteur, le sujet qui se retrouve le plus souvent sur ces fresques de l’église primitive ; tant ce dogme fondamental du christianisme occupait profondément les esprits, à l’époque où l’on ne pouvait se présenter au baptême sans avoir rompu violemment avec le sensualisme. Le martyre était le sort au moins probable de tous les néophytes ; et quand l’heure de confesser leur foi était arrivée, pendant que leurs membres étaient broyés ou disloqués dans les tortures, on les entendait, ainsi que leurs actes en font foi à chaque page, proclamer le dogme de la résurrection de la chair comme l’espérance qui soutenait leur courage. Plusieurs d’entre nous ont besoin de s’instruire à cet exemple, afin que leur christianisme soit complet, et s’éloigne toujours davantage de cette philosophie qui prétend se passer de Jésus-Christ, tout en dérobant çà et là quelques lambeaux de ses divins enseignements.
L’âme est plus que le corps ; mais dans l’homme le corps n’est ni un étranger, ni une superfétation passagère. C’est à nous de le conserver avec un souverain respect pour ses hautes destinées ; et si, dans son état présent, nous devons le châtier, afin qu’il ne se perde pas et l’âme avec lui, ce n’est pas dédain, c’est amour. Les martyrs et les saints pénitents ont aimé leur corps plus que ne l’aiment les voluptueux ; en l’immolant, afin de le préserver du mal, ils l’ont sauvé ; en le flattant, les autres l’exposent au plus triste sort. Que l’on y prenne garde : l’alliance du sensualisme avec le naturalisme est facile à conclure. Le sensualisme suppose la destinée de l’homme autre qu’elle n’est, afin de pouvoir le dépraver sans remords ; le naturalisme craint les vues de la foi ; mais c’est par la foi seule que l’homme peut pénétrer son avenir et sa fin. Que le chrétien se tienne donc pour averti ; et si, en ces jours, son cœur ne tressaille pas d’amour et d’espérance à la vue de ce que le Fils de Dieu a fait pour nos corps, en ressuscitant glorieux, qu’il sache que la foi est faible en lui ; et s’il ne veut pas périr, qu’il s’attache désormais avec une entière docilité à la parole de Dieu, qui seule lui révélera ce qu’il est dès à présent, et ce qu’il est appelé à devenir.
À Rome, la Station est dans la Basilique des Douze-Apôtres. On convoquait les néophytes aujourd’hui dans ce sanctuaire dédié aux Témoins de la résurrection, et où reposent deux d’entre eux, saint Philippe et saint Jacques. La Messe est remplie d’allusions au rôle sublime de ces courageux hérauts du divin ressuscité, qui ont fait entendre jusqu’aux extrémités de la terre leur voix dont les échos retentissent, sans s’affaiblir, à travers tous les siècles.
À la Messe
Le cantique d’entrée est tiré du livre de la Sagesse, et célèbre l’éloquence divine des Apôtres, muets d’abord par la crainte et timides comme des enfants. La Sagesse éternelle en a fait d’autres hommes, et toute la terre a connu par eux la victoire de l’Homme-Dieu.
Introït
Ils ont loué tous ensemble. Seigneur, votre main victorieuse, alleluia ; car la Sagesse a ouvert la bouche des muets, et a rendu éloquente la langue des petits enfants. Alleluia, alleluia. Ps. Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; car il a opéré des merveilles. Gloire au Père. Ils ont loué.
La Collecte nous montre toutes les nations réunies en une seule par la prédication apostolique. Les néophytes ont été admis dans cette unité par leur baptême ; la sainte Église demande à Dieu de les y maintenir par sa grâce.
Collecte
O Dieu, qui avez réuni les nations diverses dans la confession de votre Nom ; faites que ceux qui sont renés dans la fontaine du baptême n’aient qu’une même foi dans leurs esprits, et qu’une même piété dans leurs œuvres. Par Jésus-Christ notre Seigneur.
On ajoute ensuite l’une des deux Collectes ci-dessus, à la Messe du Mercredi.
Épître
Lecture du livre des Actes des Apôtres. Chap. 8.
En ces jours-là, l’Ange du Seigneur parla à Philippe, et lui dit : Lève-toi, et va sur le chemin désert qui descend de Jérusalem à Gaza, vers le midi. Et se levant, Philippe y alla. Et voici qu’un eunuque éthiopien, puissant à la cour de Candace, reine d’Éthiopie, et surintendant de tous ses trésors, était venu à Jérusalem pour adorer ; et il s’en retournait assis sur son char, et lisant le prophète Isaïe. Alors l’Esprit dit à Philippe : Avance et joins ce char. Philippe courut, et ayant entendu que l’eunuque lisait le prophète Isaïe, il lui dit : Pensez-vous entendre ce que vous lisez ? L’eunuque répondit : Et comment le pourrais-je, si personne ne me l’explique ? Et il pria Philippe de monter et de s’asseoir auprès de lui. Or le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci : Il a été mené à la mort comme une brebis, et il est demeuré dans le silence, sans ouvrir la bouche, semblable à l’agneau devant celui qui le tond. Il a été abaissé, mais le jugement porté contre lui a été anéanti. Qui racontera sa génération, à lui dont la vie a été retranchée de la terre ? L’eunuque dit à Philippe : Dites-moi de qui le Prophète dit ceci : est-ce de lui ou d’un autre ? Alors Philippe ouvrant la bouche et commençant par ce texte de l’Écriture, lui annonça Jésus Et comme ils marchaient par le chemin, ils rencontrèrent un lieu où il y avait de l’eau. Et l’eunuque dit : Voici de l’eau ; qui empêche de me baptiser ? Philippe dit : Si vous croyez de tout votre cœur, cela se peut. Et l’eunuque répondit : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Et il fit arrêter le char, et ils descendirent tous deux dans l’eau, et Philippe baptisa l’eunuque. Comme ils remontaient de l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l’eunuque ne le vit plus ; mais il continua sa route, tout rempli de joie. Or, Philippe se trouva dans Azot, d’où étant sorti, il annonça le nom du Seigneur Jésus-Christ à toutes les villes qu’il traversa, jusqu’à ce qu’il arrivât à Césarée.
Ce passage des Actes des Apôtres était destiné à rappeler aux néophytes la sublimité de la grâce qu’ils avaient reçue dans le baptême, et la condition à laquelle ils avaient été régénérés. Dieu avait placé sur leur chemin l’occasion du salut, comme il envoya Philippe sur la route que devait parcourir l’eunuque. Il leur avait inspiré le désir de connaître la vérité, comme il mit dans le cœur de cet officier de la reine d’Éthiopie l’heureuse curiosité qui le conduisit à entendre parler de Jésus-Christ. Mais tout n’était pas consommé encore. Ce païen aurait pu n’écouter qu’avec défiance et sécheresse d’âme les explications de l’envoyé de Dieu, et fermer la porte à cette grâce qui le cherchait ; loin de là, il ouvrait son cœur, et la foi le remplissait. De même ont fait nos néophytes ; ils ont été dociles, et la parole de Dieu les a éclairés ; d’une lumière ils sont montés à une autre, jusqu’à ce que l’Église ait reconnu en eux de véritables disciples de la foi. Alors sont venus les jours de la Pâque, et cette mère des âmes s’est dit à elle-même : « Voici de l’eau, l’eau qui purifie, l’eau qui est sortie du côté de l’Époux ouvert par la lance sur la croix ; qui empêche de les baptiser ? » Et quand ils ont eu confessé que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, ils ont été plongés, comme notre Éthiopien, dans la fontaine du salut ; maintenant, à son exemple, ils vont continuer à marcher dans le chemin de la vie, tout remplis de joie ; car ils sont ressuscités avec le Christ, qui a daigné associer les joies de leur nouvelle naissance à celles de son propre triomphe.
Graduel
C’est le jour que le Seigneur a fait ; passons-le dans les transports de l’allégresse. V/. La pierre qu’avaient rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue la tête même de l’angle ; c’est le Seigneur qui l’a fait, et nos yeux le voient avec admiration. Alleluia, alleluia. V/. Le Christ, qui a créé toutes choses, est ressuscité, et il a eu compassion du genre humain.
On chante ensuite la Séquence Victimœ paschali, ci-dessus.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 20.
En ce temps-là, Marie se tenait dehors près du sépulcre, et elle pleurait. Et en pleurant, elle se pencha et regarda dans le sépulcre. Elle vit deux Anges vêtus de blanc, assis au lieu où l’on avait posé le corps de Jésus, l’un à la tète et l’autre aux pieds. Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur dit : Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. Ayant dit cela, elle se retourna, et elle vit Jésus debout, et elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? qui cherches‑tu ? Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est vous qui l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis, et je l’emporterai. Jésus lui dit : Marie ! elle, se retournant, lui dit : Rabboni ! c’est-à-dire, mon maître. Jésus lui dit : Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père ; mais va trouver mes frères, et dis-leur ceci : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie-Madeleine alla dire aux disciples : J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit cela.
Nous sommes dans la Basilique des Apôtres ; et la sainte Église, au lieu de nous faire entendre aujourd’hui quelqu’un des récits du saint Évangile où sont rapportées les diverses apparitions du Sauveur ressuscité à ses Apôtres, nous lit celui dans lequel est relatée la faveur que Jésus fit à Madeleine. Pourquoi cet oubli apparent du caractère et de la mission qui furent conférés à ces ambassadeurs de la nouvelle loi ? La raison en est aisée à saisir. En honorant aujourd’hui dans ce Sanctuaire la mémoire de celle que Jésus-Christ choisit pour être l’Apôtre de ses Apôtres, l’Église achève d’exprimer dans toute leur adorable vérité les circonstances du jour de la Résurrection. C’est par Madeleine et ses compagnes qu’a commencé l’Apostolat du plus grand des mystères du Rédempteur ; elles ont donc un droit véritable à recevoir aujourd’hui l’honneur dans cette Basilique dédiée aux saints Apôtres.
Comme il est tout-puissant, Dieu aime à se manifester dans ce qu’il y a de plus faible ; de même que, dans sa bonté, il se fait gloire de reconnaître l’amour dont il est l’objet : voilà pourquoi le Rédempteur prodigua d’abord toutes les preuves de sa résurrection et tous les trésors de sa tendresse à Madeleine et à ses compagnes. Elles étaient plus faibles encore que les bergers de Bethléhem : elles eurent donc la préférence ; les Apôtres eux-mêmes étaient plus faibles que la moindre des puissances du monde qu’ils devaient soumettre : voilà pourquoi ils furent initiés à leur tour. Mais Madeleine et ses compagnes avaient aimé leur Maître jusqu’à la croix et jusqu’au tombeau, tandis que les Apôtres l’avaient abandonné : c’était donc aux premières, et non aux seconds, que Jésus devait les premières faveurs de sa bonté.
Sublime spectacle de l’Église, à ce moment où elle s’élève sur la foi de la Résurrection qui est sa base ! Après Marie, la Mère de Dieu, en qui la lumière ne vacilla jamais, et à qui était due, comme Mère et comme toute parfaite, la première manifestation, qui voyons-nous illuminées de cette foi par laquelle vit et respire l’Église ? Madeleine et ses compagnes. Pendant plusieurs heures, Jésus se complaît à la vue de son œuvre, si faible à l’œil humain, mais en réalité si grande. Encore un peu de temps, et ce petit troupeau d’âmes choisies va s’assimiler les Apôtres eux-mêmes ; que dis-je ? le monde entier viendra à elles. Par toute la terre, en ces jours, l’Église chante ces paroles : « Qu’avez-vous vu au tombeau, Marie ? dites-le-nous. » Et Marie Madeleine répond à la sainte Église : « J’ai vu le tombeau du Christ qui était vivant ; j’ai vu la gloire du Christ ressuscité. »
Et ne nous étonnons pas que des femmes aient seules formé autour du Fils de Dieu ce premier groupe de croyants, cette Église véritablement primitive qui resplendit des premiers rayons de la résurrection ; car c’est ici la continuation de l’œuvre divine sur le plan irrévocable et sublime dont nous avons déjà reconnu le début. Par la prévarication de la femme, l’œuvre de Dieu fut renversée au commencement ; c’est dans la femme qu’elle sera d’abord relevée. Au jour de l’Annonciation, nous nous sommes inclinés devant la nouvelle Ève qui réparait par son obéissance la désobéissance de la première ; mais dans la crainte que Satan ne s’y trompât, et ne voulût voir en Marie que l’exaltation de la personne, et non la réhabilitation du sexe, Dieu veut qu’aujourd’hui les faits mêmes déclarent sa suprême volonté. « La femme, nous dit saint Ambroise, avait goûté la première le breuvage de la mort ; ce sera donc elle qui, la première, contemplera la résurrection. En prêchant ce mystère, elle compensera sa faute (In Lucam, C. 24 ) ; et c’est avec raison qu’elle est envoyée pour annoncer aux hommes la nouvelle du salut, pour manifester la grâce qui vient du Seigneur, celle qui autrefois avait annoncé le péché à l’homme. » (De Spiriti Sancto, C. 12) Les autres Pères relèvent avec non moins d’éloquence ce plan divin qui donne à la femme la primauté dans la distribution des dons de la grâce, et ils nous y font reconnaître non seulement un acte du pouvoir du maître souverain, mais en même temps la légitime récompense de l’amour que Jésus trouva dans le cœur de ces humbles créatures, et qu’il n’avait pas rencontré dans celui de ses Apôtres, auxquels, durant trois ans, il avait prodigué les plus tendres soins, et de la part desquels il était en droit d’attendre un plus mâle courage.
Au milieu de ses heureuses compagnes, Madeleine s’élève comme une reine dont les autres forment la cour. Elle est la bien-aimée de Jésus, celle qui aime le plus, celle dont le cœur a été le plus brisé par la douloureuse Passion, celle qui insiste avec plus de force pour revoir et embaumer de ses larmes et de ses parfums le corps de son cher maître. Quel délire dans ses paroles, tant qu’elle le cherche ! quel élan de tendresse, quand elle le reconnaît vivant et toujours rempli d’amour pour Madeleine ! Jésus cependant se dérobe aux démonstrations d’une joie trop terrestre : « Ne me touche pas, lui dit-il ; car je ne suis pas monté encore vers mon Père ».
Jésus n’est plus dans les conditions de la vie mortelle ; en lui l’humanité demeurera éternellement unie à la divinité ; mais sa résurrection avertit l’âme fidèle que les relations qu’elle aura désormais avec lui ne sont plus les mêmes. Dans la première période, on l’approchait comme on approche un homme ; sa divinité paraissait à peine ; maintenant c’est le Fils de Dieu, dont l’éclat éternel se révèle, et dont les rayons jaillissent à travers même son humanité. C’est donc le cœur qui doit le chercher désormais plus que l’œil, l’affection respectueuse plus que la tendresse sensible. Il s’est laissé toucher à Madeleine, lorsqu’elle était faible et que lui-même était encore mortel ; il faut maintenant qu’elle aspire à ce souverain bien spirituel qui est la vie de l’âme, Jésus au sein du Père. Madeleine, dans le premier état, a fait assez pour servir de modèle à l’âme qui commence à chercher Jésus ; mais qui ne voit que son amour a besoin d’une transformation ? À force d’être ardent, il la rend aveugle ; elle s’obstine à « chercher parmi les morts celui qui est vivant ».
Le moment est venu où elle doit s’élever à une voie supérieure, et chercher enfin par l’esprit celui qui est esprit.
« Je ne suis pas monté encore vers mon Père », dit le Sauveur à cette heureuse femme ; comme s’il lui disait : « Retiens pour le moment ces caresses trop sensibles qui t’arrêteraient à mon humanité. Laisse-moi d’abord monter dans ma gloire ; un jour tu y seras admise près de moi ; alors il te sera donné de me prodiguer toutes les marques de ton amour, parce qu’alors il ne sera plus possible que mon humanité te dérobe la vue de ma nature divine. » Madeleine a compris la leçon de son maître tant aimé ; un renouvellement s’opère en elle ; et bientôt, sur les rochers arides de la Sainte-Baume, seule avec ses souvenirs qui s’étendent depuis la première parole de Jésus qui fondit son cœur et l’enleva aux amours terrestres, jusqu’à la faveur dont il l’honore aujourd’hui en la préférant aux Apôtres, elle s’élancera chaque jour vers son souverain bien, jusqu’à ce que, épurée par l’attente, devenue l’émule des Anges qui la visitent et consolent son exil, elle monte enfin pour toujours vers Jésus, et saisisse dans un embrassement éternel ces pieds sacrés où elle retrouve la trace ineffaçable de ses premiers baisers.
L’Offertoire rappelle le lait et le miel de la Terre promise, au sein de laquelle la prédication des saints Apôtres a introduit nos néophytes. Mais l’autel sur lequel se prépare le festin du Seigneur leur réserve une nourriture plus douce encore.
Offertoire
Au jour de votre solennité, le Seigneur a dit : Je vous introduirai dans une terre où coulent le lait et le miel. Alleluia.
La sainte Église recommande à Dieu, dans la Secrète, l’offrande de ses nouveaux enfants ; ce pain transformé par les paroles divines deviendra pour eux l’aliment fortifiant qui conduit le voyageur jusqu’au port de l’éternité.
Secrète
Daignez, Seigneur, agréer favorablement les offrandes de vos peuples ; afin qu’ayant reçu une nouvelle vie par la confession de votre Nom et par le Baptême, ils obtiennent l’éternelle félicité. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
On ajoute une des deux Secrètes ci-dessus.
Dans l’Antienne de la Communion, la voix du Collège apostolique se fait entendre par l’organe de Pierre. Il félicite avec une effusion paternelle ce peuple nouveau-né des faveurs dont il a été l’objet de la part du souverain auteur de la lumière, qui a daigné rendre les ténèbres fécondes.
Communion
Peuple qu’il a conquis, publiez ses grandeurs, alleluia ; c’est lui qui vous a appelés du sein de vos ténèbres à son admirable lumière. Alleluia.
Les effets de la divine Eucharistie sont exprimés avec effusion dans la Postcommunion. Ce mystère sacré confère tout bien à l’homme ; il le soutient dans le voyage de cette vie, et il le met d’avance en possession de sa fin éternelle.
Postcommunion
Seigneur, exaucez nos prières et faites que cette communion sacrée au mystère de notre rédemption nous confère le secours pour la vie présente, et nous assure les joies de l’éternité. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
On ajoute une des deux Postcommunions ci-dessus.
Les six jours de la création
L’œuvre du Fils de Dieu se développe de plus en plus ; les êtres vivants paraissent aujourd’hui sur notre terre ; les eaux et les airs se peuplent d’habitants. Dans les eaux, c’est déjà le mouvement de la vie ; dans les airs, c’est le mouvement, la vie, avec un chant vif et mélodieux, qui vient rompre enfin le solennel silence de la terre, où l’on n’avait encore entendu que le bruissement des arbres, lorsque le souffle des vents agitait leur feuillage. Les deux mondes, naturel et surnaturel, se pénètrent encore ici. Les eaux donneront naissance, par le saint Baptême, à d’autres poissons ; et de la terre s’élanceront vers le ciel, sur les ailes de la contemplation, d’autres oiseaux, lorsque le Seigneur créateur aura visité, sous la forme humaine, ce monde dont sa main puissante élabore successivement et sans effort les diverses et mystérieuses parties. Aidons-nous de cette belle prière du Bréviaire Mozarabe pour rendre nos actions de grâces au Verbe divin, en ce cinquième jour de la création.
Capitula
O Dieu qui, dans l’œuvre du cinquième jour, avez créé les poissons des eaux vives, qui signifient les hommes renouvelés par le sacrement du Baptême ; et qui avez formé les oiseaux du ciel, qui représentent les âmes des saints, dont le vol tend vers les régions supérieures par l’éclatante lumière des vertus : accordez à nos âmes l’invincible consolation qu’apporte votre Résurrection ; afin que, par vous renouvelés, nous ressuscitions pour la gloire, ayant été par vous régénérés à la vie.
Autres liturgies
À la louange de la glorieuse Marie-Madeleine, dont la sainte Église exalte aujourd’hui les mérites, nous plaçons ici deux des nombreuses Séquences que le moyen âge lui avait consacrées, et qui se chantaient autrefois dans l’Octave de Pâques. Pleines d’une touchante naïveté, elles respirent l’amour le plus tendre envers cette bien-aimée du Christ, dont le nom est lié pour jamais au récit de la Résurrection, et dont le crédit est si grand sur le cœur de celui qui daigna la choisir la première pour attester aux Apôtres et à tous les siècles la victoire de la vie sur la mort.
1ère Séquence
D’Agneau devenu Lion, le Christ victorieux se lève avec gloire, armé de son trophée.
Par sa mort il a vaincu la mort : par son trépas il a ouvert les portes.
C’est cet Agneau qui fut suspendu à la croix, et qui racheta le troupeau tout entier.
Nul alors ne lui compatissait ; mais une douleur ardente consumait le cœur de Madeleine.
Dites-nous, Marie, que vîtes-vous en contemplant la croix du Christ ?
J’ai vu Jésus que l’on dépouillait, et les mains des pécheurs qui l’élevaient en croix.
Dites-nous, Marie, que vîtes-vous en contemplant la croix du Christ ?
J’ai vu sa tête couronnée d’épines, son visage souillé de crachats, et tout livide de meurtrissures.
Dites-nous, Marie, que vîtes-vous en contemplant la croix du Christ ?
J’ai vu des clous percer ses mains, une lance blesser son côté, et une source vive qui en découlait.
Dites-nous, Marie, que vîtes-vous en contemplant la croix du Christ ?
Je l’ai vu se recommander à son Père, puis il inclina sa tête et rendit l’esprit.
Dites-nous, Marie, que fîtes-vous, après avoir perdu Jésus ?
J’accompagnai la Mère en pleurs ; avec elle je revins à la maison. Là, je me prosternai contre terre, et je pleurai sur le fils et sur la mère.
Dites-nous, Marie, que fîtes-vous, après avoir perdu Jésus ?
Ensuite je préparai des parfums ; j’allai visiter le sépulcre, et mes sanglots redoublèrent.
Dites-nous, Marie, que fîtes-vous, après avoir perdu Jésus ?
Un Ange m’adressa ces paroles : « Ne pleure pas, ô Marie ! le Christ est déjà ressuscité ! »
Dites-nous, Marie, que fîtes-vous, après avoir perdu Jésus ?
Enfin par moi-même je reconnus les signes évidents de la résurrection du Fils du Tout-Puissant.
Dites-nous, Marie, qu’aux-vous vu, quand vous allâtes au tombeau ?
J’ai vu le tombeau du Christ qui était vivant ; j’ai vu la gloire du Christ ressuscité.
Les Anges étaient témoins, avec le suaire et les linceuls.
Il est ressuscité, le Christ, mon espérance ; il précédera les siens en Galilée.
Croyons plutôt à Marie seule et véridique, qu’à la tourbe perfide des Juifs.
Nous aussi, nous savons que le Christ est vraiment ressuscité des morts ; mais vous, ô Roi vainqueur, prenez pitié de nous.
Amen.
2ème Séquence
Au matin du Dimanche, le Fils de Dieu, notre espérance et notre gloire, s’est levé du tombeau.
Vainqueur du roi du péché, il est remonté des enfers avec les honneurs du triomphe ;
Et Marie-Madeleine a été la messagère de sa résurrection glorieuse.
Elle est allée porter aux frères du Christ, si désolés de sa cruelle mort, la nouvelle joyeuse et désirée.
Heureux les yeux qui, les premiers, contemplèrent le maître du monde affranchi de la mort !
C’est cette femme dont tous les péchés furent lavés aux pieds du Christ, par sa grâce.
Elle pleurait, son âme priait ; ses actions annonçaient ce que son cœur aimait, Jésus par-dessus tout.
Celui qu’elle adorait, elle le reconnaissait déjà ; ce qu’elle implorait, déjà elle l’avait obtenu : le pardon des fautes qui effrayaient sa conscience.
O Marie, douce mère, ton nom veut dire Étoile de la mer ; tes œuvres ont mérité un tel nom.
Tu partages l’honneur de ce nom avec la Mère du Christ ; mais tes honneurs s’effacent devant les siens.
L’une est l’impératrice du monde ; l’autre, l’heureuse pécheresse : toutes deux furent le principe de la joie dans l’Église.
La première est la Porte par laquelle le salut est venu ; la seconde a rempli le monde d’allégresse en proclamant la Résurrection.
O Marie-Madeleine, écoute nos vœux et nos louanges ; présente au Christ notre assemblée ; daigne nous obtenir sa faveur.
Il est la source de toute bonté, lui qui t’a lavée de tes fautes ; prie-le de nous purifier aussi, et de nous donner pardon, à nous ses serviteurs et tes clients.
À cette prière, que toute créature dise Amen.
Le Vendredi de Pâques
Hæc dies quam fecit Dominus : exsultemus et laetemur in ea. | C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. |
Il y a huit jours, nous entourions la croix sur laquelle « l’homme des douleurs » (Isaïe, 53, 3) expirait abandonné de son Père, et repoussé comme un faux Messie par le jugement solennel de la Synagogue, et voici que le soleil se lève aujourd’hui pour la sixième fois, depuis que le cri de l’Ange, proclamant la Résurrection de l’adorable victime, s’est fait entendre. L’Épouse qui naguère, le front dans la poussière, tremblait devant cette justice d’un Dieu qui se montre ennemi du péché, jusqu’à « ne pas épargner même son propre Fils » (Rom. 8, 32), parce que ce Fils divin en portait la ressemblance, a relevé tout à coup la tête pour contempler le triomphe subit et éclatant de son Époux qui la convie lui‑même à la joie. Mais s’il est un jour dans cette Octave où elle doive exalter le triomphe d’un tel vainqueur, c’est assurément le Vendredi, où elle avait vu expirer, « rassasié d’opprobres » (Thren. 3, 30), celui-là même dont la victoire retentit présentement dans le monde entier.
Arrêtons-nous donc aujourd’hui à considérer la Résurrection de notre Sauveur comme l’apogée de sa gloire personnelle, comme l’argument principal sur lequel repose notre foi en sa divinité. Si le Christ n’est pas ressuscité, nous dit l’Apôtre, notre foi est vaine « (1 Cor. 15, 17) ; mais parce qu’il est ressuscité, notre foi est assurée. Jésus nous devait donc d’élever sur ce point notre certitude au plus haut degré ; voyez s’il a manqué de le faire ; voyez si, au contraire, il n’a pas porté en nous la conviction de cette vérité capitale jusqu’à la plus souveraine évidence de fait. Pour cela deux choses étaient nécessaires : que sa mort fût la plus réelle, la mieux constatée, et que le témoignage qui atteste sa Résurrection fût le plus irréfragable à notre raison. Le Fils de Dieu n’a manqué à aucune de ces conditions ; il les a remplies avec un divin scrupule : aussi le souvenir du triomphe qu’il a remporté sur la mort ne saurait-il s’effacer de la pensée des hommes ; et de là vient que nous éprouvons encore aujourd’hui, après dix-neuf siècles, quelque chose de ce frisson de terreur et d’admiration que ressentirent les témoins qui eurent à constater ce passage subit de la mort à la vie.
Certes, il était bien réellement devenu la proie de la mort, celui que, vers la dixième heure du jour, Joseph d’Arimathie et Nicodème descendaient de la croix, et dont ils déposaient les membres roidis et sanglants entre les bras de la plus désolée des mères. L’affreuse agonie de la veille, lorsqu’il luttait avec les répugnances de son humanité, à la vue du calice qu’il était appelé à épuiser ; le brisement qu’avait éprouvé son cœur par suite de la trahison de l’un des siens et de l’abandon des autres ; les outrages et les violences dont il fut assailli durant de longues heures ; l’effroyable flagellation que Pilate lui fit subir, dans le but d’apitoyer un peuple altéré de meurtre ; la croix, avec ses clous ouvrant quatre sources d’où le sang s’échappait à grands flots ; les angoisses du cœur de l’agonisant, à la vue de sa mère éplorée à ses pieds ; une soif ardente qui consumait rapidement les dernières ressources de la vie ; enfin le coup de lance traversant la poitrine, et allant atteindre le cœur et faire sortir de son enveloppe les dernières gouttes de sang et d’eau : tels furent les titres de la mort pour revendiquer une si noble victime. C’est afin de vous glorifier, ô Christ, que nous les rappelons aujourd’hui : pardonnez à ceux pour lesquels vous avez daigné mourir, de n’oublier aucune des circonstances d’une mort si chère. Ne sont-elles pas aujourd’hui les plus solides assises du monument de votre résurrection ?
Il avait donc véritablement conquis la mort, ce vainqueur d’une nouvelle espèce qui s’était montré à la terre. Un fait surtout restait acquis à son histoire : c’est que sa carrière, passée tout entière dans une obscure contrée, s’était terminée par un trépas violent, au milieu des acclamations de ses indignes concitoyens. Pilate adressa à Tibère les actes du jugement et du supplice du prétendu Roi des Juifs ; et dès ce moment l’injure fut toute prête pour les sectateurs de Jésus. Les philosophes, les beaux esprits, les esclaves de la chair et du monde, se les montreront du doigt, en disant : « Voilà ces gens étranges qui adorent un Dieu mort sur une croix ». Mais si pourtant ce Dieu mort s’est ressuscité, que devient sa mort, sinon la base inébranlable sur laquelle s’appuie l’évidence de sa divinité ? Il était mort et il s’est ressuscité ; il avait annoncé qu’il mourrait et qu’il ressusciterait ; quel autre qu’un Dieu peut tenir entre ses mains « les clefs de la mort et du tombeau » ? (Apoc. 1, 17)
Or il est ainsi. Jésus mort est sorti vivant du tombeau. Comment le savons-nous ? — Par le témoignage de ses Apôtres, qui l’ont vu vivant après sa mort, auxquels il s’est donné à toucher, avec lesquels il a conversé durant quarante jours. Mais ces Apôtres, devons-nous les en croire ? — Et qui pourrait douter du témoignage le plus sincère que le monde entendit jamais ? Car quel intérêt auraient ces hommes à publier la gloire du maître auquel ils s’étaient donnés, et qui leur avait promis qu’après sa mort il ressusciterait, s’ils savaient qu’après avoir péri dans un supplice ignominieux pour eux aussi bien que pour lui, il n’a pas rempli sa promesse ? Que les princes des Juifs, pour décrier le témoignage de ces hommes, soudoient les gardes du tombeau, afin de leur faire dire que, pendant qu’ils dormaient, ces pauvres disciples que la frayeur avait dispersés, sont venus durant la nuit enlever le corps ; on est en droit de leur répondre par cet éloquent sarcasme de saint Augustin : « Ainsi donc les témoins que vous produisez sont des témoins qui dormaient ! Mais n’est-ce pas vous-mêmes qui dormez, quand vous vous épuisez à chercher une telle défaite ? » (Enarrat. In Psalm. 63) Mais où les Apôtres auraient-ils pris le motif de prêcher une résurrection qu’ils auraient su n’être pas arrivée ? « À leurs yeux, remarque saint Jean Chrysostome, leur maître ne doit plus être qu’un faux prophète et un imposteur ; et ils iront défendre sa mémoire contre une nation tout entière ! Ils se dévoueront à tous les mauvais traitements pour un homme qui les aurait trompés ! Serait-ce dans l’espérance des promesses qu’il leur avait faites ? Mais s’ils savent qu’il n’a pas rempli sa promesse de ressusciter, quel fond peuvent-ils faire sur les autres ? » (In Matth. Homil. 89) Non, il faut nier la nature humaine, ou reconnaître que le témoignage des Apôtres est un témoignage sincère.
Ajoutons maintenant que ce témoignage fut le plus indépendant de tous : car il ne procurait d’autres avantages aux témoins que les supplices et la mort ; qu’il révélait dans ceux qui l’émettaient une assistance divine : car il faisait voir en eux, si timides la veille, une fermeté que rien ne fit jamais faiblir, et dans des hommes du peuple une assurance humainement inexplicable, et qui les accompagna jusqu’au sein des capitales les plus civilisées, où ils firent de nombreuses conquêtes. Disons encore que les prodiges les plus frappants venaient confirmer leur témoignage, et réunir autour d’eux dans la foi de la Résurrection de leur maître des multitudes de toute langue et de toute nation ; qu’enfin, lorsqu’ils disparurent de la terre, après avoir scellé de leur sang le grand fait dont ils étaient dépositaires, ils avaient répandu dans toutes les régions du monde, et bien au-delà des frontières de l’Empire romain, la semence de leur doctrine, qui germa promptement et produisit une moisson dont la terre entière se vit bientôt couverte. Tout ceci n’engendre-t-il pas la plus ferme de toutes les certitudes sur le fait étonnant dont ces hommes étaient porteurs ? Les récuser, ne serait‑ce pas récuser en même temps les lois de la raison ? O Christ ! votre résurrection est certaine comme votre mort ; la vérité a pu seule faire parler vos Apôtres ; seule elle peut expliquer le succès de leur prédication.
Mais le témoignage des Apôtres a cessé ; et un autre témoignage non moins imposant, celui de l’Église, est venu continuer le premier, et il proclame avec non moins d’autorité que Jésus n’est plus parmi les morts. L’Église attestant la résurrection de Jésus, c’est la voix de toutes ces centaines de millions d’hommes qui, chaque année depuis dix-huit siècles, ont fêté la Pâque. En face de ces milliards de témoignages de foi, y a-t-il place pour le doute ? Qui ne se sent écrasé sous le poids de cette acclamation qui n’a pas fait défaut une seule année, depuis que la parole des Apôtres est venue l’ouvrir ? Et dans cette acclamation, il est juste de distinguer la voix de tant de milliers d’hommes doctes et profonds qui ont aimé à sonder toute vérité, et n’ont donné leur adhésion à la foi qu’après avoir tout pesé dans leur raison ; de tant de millions d’autres qui n’ont accepté le joug d’une croyance si peu favorable aux passions humaines, que parce qu’ils ont vu clairement que nulle sécurité après cette vie n’était possible en dehors des devoirs qu’elle impose ; enfin, de tant de millions d’autres qui ont soutenu et protégé la société humaine par leurs vertus, et qui ont été la gloire de notre race, uniquement parce qu’ils ont fait profession de croire au Dieu mort et ressuscité pour les hommes.
Ainsi s’enchaîne d’une façon sublime l’incessant témoignage de l’Église, c’est-à-dire de la portion la plus éclairée et la plus morale de l’humanité, à celui des premiers témoins que le Christ daigna se choisir lui-même : en sorte que ces deux témoignages n’en font qu’un seul. Les Apôtres attestèrent ce qu’ils avaient vu ; nous, nous attestons, et nous attesterons jusqu’à la dernière génération, ce que les Apôtres ont prêché. Les Apôtres s’assurèrent par eux-mêmes du fait qu’ils avaient à annoncer ; nous nous assurons de la véracité de leur parole. Après expérience, ils crurent ; et après expérience, nous aussi nous croyons. Ils ont été assez heureux pour voir, dès ce monde, le Verbe de vie, pour l’entendre, pour le toucher de leurs mains (1 s. Jean 1) ; nous, nous voyons et nous entendons l’Église qu’ils avaient établie en tous lieux, mais qui ne faisait encore que sortir du berceau, lorsqu’ils furent enlevés de la terre. L’Église est le complément du Christ, qui l’avait annoncée aux Apôtres comme devant couvrir le monde, bien que sortie du faible grain de sénevé. Sur ce sujet, saint Augustin, dans un de ses Sermons sur la Pâque, dit ces admirables paroles : « Nous ne voyons pas encore le Christ ; mais nous voyons l’Église ; croyons donc au Christ. Les Apôtres, au contraire, virent le Christ ; mais ils ne voyaient l’Église que par la foi. L’une des deux choses leur était montrée, et l’autre était l’objet de leur croyance ; il en est de même pour nous. Croyons au Christ que nous ne voyons pas encore ; et en nous tenant attachés à l’Église que nous voyons, nous arriverons à celui dont la vue ne nous est que différée. » (Sermo 237 In diebus Paschalibus, 10)
Ayant donc, ô Christ, par une si magnifique attestation, la certitude de votre Résurrection glorieuse, comme nous avons celle de votre mort sur l’arbre de la croix, nous confessons que vous êtes le grand Dieu, l’auteur et le souverain Seigneur de toutes choses. Votre mort vous a abaissé, et votre résurrection vous a élevé ; et c’est vous-même qui avez été l’auteur de votre abaissement et de votre élévation. Vous aviez dit devant vos ennemis : « Personne ne m’ôte la vie ; c’est moi-même qui la dépose ; j’ai le pouvoir de la quitter, et j’ai aussi celui de la reprendre » (s. Jean 10, 18) ; un Dieu pouvait seul réaliser cette parole : vous l’avez accomplie dans toute son étendue ; en confessant voue Résurrection, nous confessons donc votre Divinité : rendez digne de vous l’humble et heureux hommage de notre foi.
La Station, à Rome, est dans l’Église de Sainte-Marie ad Martyres. Cette Église est l’ancien Panthéon d’Agrippa, dédié autrefois à tous les faux dieux, et concédé par l’empereur Phocas au pape saint Boniface IV, qui le consacra à la Mère de Dieu et à tous les Martyrs. Nous ignorons en quel sanctuaire de Rome avait lieu auparavant la Station d’aujourd’hui. Quand elle fut fixée à cette Église, au VIIe siècle, les néophytes, réunis pour la seconde fois de cette Octave dans un temple dédié à Marie, devaient sentir combien l’Église avait à cœur de nourrir dans leurs âmes la confiance filiale en celle qui était devenue leur Mère, et qui est chargée de conduire elle-même à son Fils tous ceux qu’il appelle par sa grâce à devenir ses frères.
À la Messe
L’Introït, tiré des Psaumes, rappelle aux néophytes le passage de la mer Rouge, et la puissance de ses eaux pour la délivrance d’Israël. Ces grands souvenirs continuent d’attirer l’attention de l’Église durant toute l’Octave de la Pâque.
Introït
Le Seigneur les a fait sortir pleins d’espérance, alleluia ; et la mer a submergé leurs ennemis. Alleluia, alleluia, alleluia.
Ps. Mon peuple, écoute ma loi : incline ton oreille aux paroles de ma bouche. Gloire au Père. Le Seigneur.
La Pâque est la réconciliation de l’homme avec Dieu ; car le Père ne peut rien refuser à un vainqueur tel que son Fils ressuscité. L’Église demande, dans la Collecte, que nous demeurions toujours dignes d’une si belle alliance, en conservant fidèlement en nous le cachet de la régénération pascale.
Collecte
Dieu tout-puissant et éternel, qui par le mystère de la Pâque avez formé un pacte de réconciliation avec l’humanité ; accordez-nous de reproduire dans nos actions les vérités que nous professons en cette fête. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
On ajoute ensuite l’une des deux Collectes ci-dessus, à la Messe du Mercredi.
Épître
Lecture de l’Épître de saint Pierre, Apôtre. 1 Chap. 3.
Mes bien-aimés, le Christ est mort une fois pour nos péchés, le juste pour les injustes, afin qu’il pût nous offrir à Dieu, étant mort en sa chair, mais ayant été ressuscité par l’Esprit. C’est par cet Esprit qu’il alla prêcher aux âmes qui étaient retenues en prison, et qui autrefois avaient été incrédules, lorsque aux jours de Noé ils s’attendaient à la patience de Dieu, pendant la fabrication de l’Arche, dans laquelle si peu de personnes, savoir huit seulement, furent sauvées au milieu des eaux. C’était la figure du baptême auquel vous devez d’être maintenant sauvés ; lequel ne consiste pas dans la purification des souillures du corps, mais dans la réponse que vous faites quand on vous demande si vous voulez garder en Dieu une conscience pure ; et ce salut vous est donné par la résurrection de Jésus-Christ notre Seigneur, qui est à la droite de Dieu.
C’est encore l’Apôtre saint Pierre que nous entendons aujourd’hui dans l’Épître ; et ses enseignements sont d’une haute importance pour nos néophytes. L’Apôtre leur rappelle d’abord la visite que fit naguère l’âme du Rédempteur à ceux qui étaient captifs dans les régions inférieures de la terre, et parmi lesquels elle rencontra plusieurs de ceux qui autrefois avaient été victimes des eaux du déluge, et qui avaient trouvé leur salut sous ces vagues vengeresses ; parce que ces hommes, incrédules d’abord aux menaces de Noé, mais bientôt abattus par l’imminence du fléau, regrettèrent leur faute, et en implorèrent sincèrement le pardon. De là l’Apôtre élève la pensée des auditeurs vers les heureux habitants de l’Arche, qui représentent nos néophytes, auxquels nous avons vu traverser l’eau, non pour périr sous cet élément, mais pour devenir, ainsi que les fils de Noé, les pères d’une nouvelle génération d’enfants de Dieu. Le Baptême n’est donc pas, ajoute l’Apôtre, un bain vulgaire ; il est la purification des âmes, à la condition que ces âmes auront été sincères dans l’engagement solennel qu’elles ont pris, sur les bords de la fontaine sacrée, d’être fidèles au Christ qui les sauve, et de renoncer à Satan et à tout ce qui est de lui. L’Apôtre termine en nous montrant le mystère de la Résurrection de Jésus-Christ comme la source de la grâce du Baptême, dont l’Église a, pour cette raison, attaché l’administration solennelle à la célébration même de la Pâque.
Graduel
C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. V/. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Le Seigneur Dieu a répandu sur nous sa lumière. Alleluia, alleluia. V/. Dites parmi les nations : Le Seigneur règne par le bois.
On chante ensuite la Séquence de la Messe du jour de Pâques, Victimae Paschali.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. 28.
En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne où Jésus leur avait commandé de se trouver. Et le voyant ils l’adorèrent ; mais quelques-uns éprouvèrent du doute. Et Jésus s’approchant, leur parla et leur dit : Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre : allez donc et instruisez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du monde.
Dans ce passage de l’Évangile, saint Matthieu, celui des Évangélistes qui a raconté le plus brièvement la Résurrection du Sauveur, résume en quelques mots les relations de Jésus ressuscité avec ses disciples en Galilée. Ce fut là qu’il daigna se faire voir non seulement aux Apôtres, mais encore à beaucoup d’autres personnes. L’Évangéliste ne manque pas de remarquer qu’il y en eut plusieurs qui d’avance étaient disposés à croire, et quelques-uns qui passèrent d’abord par le doute. Il nous montre ensuite le Sauveur donnant à ses Apôtres la mission d’aller prêcher sa doctrine dans le monde entier ; et comme il ne doit plus mourir, il s’engage à demeurer avec eux jusqu’à la fin des temps. Mais les Apôtres ne vivront pas jusqu’au dernier jour du monde : comment donc s’accomplira la promesse ? C’est que les Apôtres, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure, se continuent dans l’Église ; le témoignage des Apôtres et celui de l’Église s’enchaînent l’un à l’autre d’une manière indissoluble ; et Jésus-Christ veille à ce que ce témoignage unique soit aussi fidèle qu’il est incessant. Nous avons aujourd’hui même sous les yeux un monument de sa force invincible. Pierre, Paul, Jean, ont prêché dans Rome la Résurrection de leur maître, et ils y ont jeté les fondements du christianisme ; et cinq siècles après, l’Église, qui n’a cessé de continuer leurs conquêtes, recevait en hommage des mains d’un empereur le temple vide et dépouillé de tous les faux dieux, et le successeur de Pierre le dédiait à Marie, Mère de Dieu, et à toute cette légion de témoins de la Résurrection que l’on appelle les Martyrs. L’enceinte de ce vaste temple réunit en ce jour l’assemblée des fidèles. À la vue de ce superbe édifice qui a vu le feu des sacrifices païens s’éteindre faute d’aliment, et qui, après trois siècles d’abandon, comme pour expier son passé impie, maintenant purifié par l’Église, reçoit dans ses murs le peuple chrétien, comment nos néophytes ne diraient-ils pas : « Il est vraiment ressuscité, le Christ qui, après être mort sur une croix, triomphe ainsi des Césars et des dieux de l’Olympe ? »
L’Offertoire est formé des paroles de l’Exode, dans lesquelles le Seigneur fait à son peuple le commandement de célébrer, chaque année, le jour anniversaire de son Passage. S’il en est ainsi pour un événement qui n’avait qu’une portée terrestre et figurative, avec quelle fidélité et quelle allégresse les chrétiens doivent-ils célébrer l’anniversaire de cet autre Passage du Seigneur, dont les conséquences embrassent l’éternité tout entière, et dont l’heureuse réalité a mis au néant toutes les figures !
Offertoire
Ce jour vous demeurera en mémoire, alleluia ; et vous en ferez une fête solennelle au Seigneur dans toutes vos générations, un jour de précepte à jamais. Alleluia, alleluia, alleluia.
La sainte Église, dans la Secrète, offre à Dieu le Sacrifice qui s’apprête, en faveur de ses nouveaux enfants ; elle demande qu’il serve au rachat de leurs péchés. Mais leurs péchés n’existent plus ? Il est vrai qu’ils ont été lavés dans la fontaine du salut ; mais la science divine prévoyait cette offrande d’aujourd’hui, et c’est en vue d’elle que la miséricorde a été octroyée, avant même que la condition eût été remplie dans le temps.
Secrète
Agréez, s’il vous plait, Seigneur, les hosties que nous vous offrons pour l’expiation des péchés de nos nouveau-nés, et pour hâter l’envoi du secours céleste. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
On ajoute une des Secrètes ci-dessus.
L’Antienne de la Communion proclame en triomphe le commandement du Sauveur à ses Apôtres et à son Église, d’enseigner toutes les nations, et de baptiser tous les peuples ; c’est là le titre de leur mission ; mais l’usage que les Apôtres en ont fait et que l’Église continue d’en faire, depuis dix-huit siècles, montre assez que celui qui a parlé ainsi est vivant et qu’il ne mourra plus.
Communion
Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre, alleluia ; allez et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Alleluia, alleluia.
L’Église, après avoir nourri ses enfants du pain de l’éternité, continue dans la Postcommunion à demander pour eux la rémission de ces fautes que l’homme commet dans le temps, et qui le perdraient pour toujours, si les mérites de la mort et de la Résurrection du Seigneur n’étaient pas sans cesse présents aux yeux de la divine justice.
Postcommunion
Daignez, Seigneur, jeter un regard sur votre peuple ; et puisque, dans votre bonté, vous venez de le renouveler par le mystère éternel, veuillez aussi lui faire rémission des offenses qu’il a commises dans le temps. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
On ajoute une des deux Postcommunions ci-dessus.
Les six jours de la création
Le sixième jour est arrivé, le jour qui vit la main du Fils de Dieu façonner avec l’argile le corps de l’homme, et d’un souffle de vie animer cette créature appelée à régner sur l’univers visible. Un seul commandement du Verbe divin avait suffi pour faire sortir de la terre tous les animaux qui vivent sur sa surface ; mais lorsque, vers la fin de cette grande journée, le Créateur se fut dit : « Faisons l’homme à notre image », il sembla se recueillir, et ce ne fut plus seulement le commandement qu’il employa ; il daigna se faire l’artisan de son ouvrage. Adorons cette souveraine bonté envers notre race, et, dans notre reconnaissance, célébrons le Vendredi comme le jour dans lequel le Fils de Dieu mit le complément à l’œuvre qu’il avait commencée le Dimanche, en installant dans ses honneurs le roi de la Création. Cependant ce jour a vu le Verbe divin faire plus encore pour l’homme. Il l’a vu revêtu de cette même humanité, ouvrage de ses mains, mourir attaché à une croix, pour sauver l’homme révolté et perdu par sa révolte. Jour sacré dans lequel s’unissent notre création et notre rédemption, tu nous parles de l’amour du Fils de Dieu pour nous plus éloquemment encore que de sa puissance ! Exprimons nos sentiments en ce jour, par cette touchante prière que la Liturgie mozarabe emploie le Vendredi de l’Octave de Pâques.
Capitula
O Dieu, Fils de Dieu, qui avez racheté par votre sang, au sixième âge du monde, l’homme que vous aviez tiré du néant le sixième jour ; qui, créé dans le bien, se précipita dans le mal ; et qui a été en ces jours régénéré dans le mieux : faites que nous soyons si sincèrement pénétrés du mystère de notre rédemption, que nous méritions de nous glorifier toujours dans votre mort et dans votre résurrection. Daignez enfin, vous qui, au jour marqué pour le salut, êtes venu au secours de ce monde, et avez vaincu notre mort en mourant vous-même, nous délivrer de l’éternelle damnation du jugement.
Autres liturgies
Écoutons aujourd’hui les accents de l’Église arménienne célébrant la Résurrection du Sauveur. Sa voix retentit à travers treize siècles, dans ces strophes qu’une main fraternelle a bien voulu extraire et traduire, pour l’embellissement de notre œuvre, du livre des Hymnes de cette antique Église qui est désigné sous le nom de Charagan. Le sentiment est le même que celui qui s’exprime dans les autres Liturgies ; mais on y trouve le cachet du génie arménien, avec le parfum de l’antiquité, et un lyrisme mâle et imposant qui surpasse en beauté celui de l’Église grecque.
In Resurrectione Domini
Aujourd’hui est ressuscité d’entre les morts l’Époux immortel et céleste : à toi la nouvelle joyeuse, ô Épouse, Église de la terre ! Bénis ton Dieu, ô Sion, avec une voix d’allégresse.
Aujourd’hui l’ineffable Lumière de lumière a illuminé tes enfants, illumine-toi, Jérusalem ; car le Christ, ta lumière, est ressuscité.
Aujourd’hui les ténèbres de l’ignorance ont été dissipées par la triple lumière ; et la lumière de la science s’est levée, le Christ ressuscitant d’entre les morts.
Aujourd’hui est notre Pâque, par l’immolation du Christ ; nous tous, renouvelés du vieil homme et du péché, faisons fête avec transport ; disons : Le Christ est ressuscité d’entre les morts.
Aujourd’hui l’Ange descendu du ciel et tout éclatant de splendeur a effrayé les gardes : il a parlé aux saintes femmes, et leur a dit : Le Christ est ressuscité d’entre les morts.
Aujourd’hui la grande nouvelle a été apportée à Adam le premier créé : Toi qui dors, lève-toi ; le Christ, Dieu de nos pères, vient l’éclairer.
Aujourd’hui la voix de ses filles qui portent des parfums retentit aux oreilles d’Ève : Nous avons vu ressuscité celui qui est ta résurrection, le Christ Dieu de nos pères.
Aujourd’hui les Anges descendant du ciel disent aux hommes : Le crucifié est ressuscité, et il vous fait ressusciter avec lui.
Aujourd’hui, par ta sainte résurrection, ô Christ, tu as changé la Phase des misères d’Israël dans la Pâque qui sauve les âmes.
Aujourd’hui, en place du sang des agneaux sans raison, tu nous as donné, ô Agneau de Dieu, ton sang qui opère le salut.
Aujourd’hui, à la place du rachat des premiers-nés, tu as substitué le rachat des captifs, toi qui es le premier-né d’entre les morts, les prémices de la vie à ceux qui dormaient.
Aujourd’hui les Anges dans les cieux partagent la joie des hommes ; ils descendent des régions célestes, et viennent dire à ce monde : Triomphez maintenant ; le Christ est ressuscité d’entre les morts.
Aujourd’hui l’Ange qui veille assis sur la pierre, faisait entendre sa voix éclatante aux saintes femmes qui portaient leurs parfums ; il leur ordonnait d’aller dire aux disciples : Triomphez maintenant ; le Christ est ressuscité d’entre les morts.
Aujourd’hui celui qui est la Pierre de la foi et Jean le bien-aimé couraient ensemble au sépulcre du ressuscité ; et racontant ce qu’ils ont vu, ils disent : Le Christ est ressuscité d’entre les morts.
Aujourd’hui, nous aussi, dans notre allégresse, illuminons-nous des splendeurs d’une telle fête ; Dieu est apaisé ; donnons-nous le baiser avec amour, et crions ensemble : Le Christ est ressuscité d’entre les morts.
Nous terminons cette journée par une Séquence tirée du répertoire d’Adam de Saint-Victor, dont nous n’avons pas encore épuisé toutes les richesses. Plusieurs des traits que renferme cette pièce la désignaient à notre choix pour le Vendredi de l’Octave.
Séquence
Au sixième jour le Christ avait souffert ; au troisième jour il ressuscite. Victorieux, il se lève ; et il associe à sa gloire ceux qu’il aime.
Pour son peuple fidèle, il s’immole sur le gibet de la croix ; on l’enferme dans le tombeau, et il ressuscite au point du jour.
La croix du Christ et sa passion, c’est là notre sauvegarde, si nous sommes fermes dans la foi ; la résurrection du Christ nous donne de sortir du péché.
Mourant pour nos crimes, le Christ fut notre hostie de réparation ; son sang versé est pour nous le bain qui purifie ; sa force terrasse notre ennemi.
Il est mort une fois ; c’en est assez pour nous arracher à notre double mort ; il nous fraie le sentier de la vie, apaisant pour toujours nos gémissements et nos lamentations.
Ce fort Lion montre aujourd’hui sa puissance en sortant du tombeau, en renversant par les armes de la justice le prince d’iniquité.
C’est le Seigneur lui-même qui a fait ce jour, dans lequel il lave notre crime, dans lequel la mort succombe, la vie est restituée et l’ennemi abattu.
Chantons d’un cœur pur un double Alleluia ; car en ce jour le péché est effacé, et la vie nous est promise dans le siècle futur.
Quand le soir du monde sera venu, daignez, ô Christ, ressusciter vos fidèles ; en attendant, rendez-leur salutaire ce jour consacré à vos grandeurs. Amen.
Le Samedi de Pâques
Hæc dies quam fecit Dominus : exsultemus et laetemur in ea. | C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. |
Le septième jour de la plus joyeuse des semaines s’est levé, apportant avec lui le souvenir du repos du Seigneur, après son œuvre de six jours. Il nous retrace en même temps ce second repos que le même Seigneur voulut prendre, comme un guerrier assuré de la victoire, avant de livrer le combat décisif à son adversaire. Repos dans un sépulcre, sommeil d’un Dieu qui ne s’était laissé vaincre par la mort que pour rendre son réveil plus funeste à cette cruelle ennemie. Aujourd’hui que ce sépulcre n’a plus rien à rendre, qu’il a vu sortir de ses flancs le vainqueur qu’il ne pouvait retenir, il convenait que nous nous arrêtions à le contempler, à lui rendre nos hommages ; car ce sépulcre est saint, et sa vue ne peut qu’accroître notre amour envers celui qui daigna dormir quelques heures à son ombre.
Isaïe avait dit : « Le rejeton de Jessé sera comme l’étendard autour duquel se rallieront les peuples ; les nations l’entoureront de leurs hommages ; et son sépulcre deviendra glorieux. » (Isaïe, 11, 10) L’oracle est accompli ; il n’est pas une nation sur la terre qui ne renferme des adorateurs de Jésus ; et tandis que les tombeaux des autres hommes, quand le temps ne les a pas détruits et égalés au sol, restent comme un trophée de la mort, celui de Jésus est toujours debout et proclame la vie.
Quel tombeau que celui qui réveille des pensées de gloire, et dont les grandeurs avaient été prédites tant de siècles à l’avance ! Quand les temps sont accomplis, Dieu suscite dans Jérusalem un homme pieux, Joseph d’Arimathie, qui secrètement, mais d’un cœur sincère, devient le disciple de Jésus. Ce magistrat songe à se faire creuser un tombeau ; et c’est à l’ombre des remparts de la ville, sur le versant de la colline du Calvaire, qu’il fait tailler dans la roche vive deux chambres sépulcrales, dont l’une sert de vestibule à l’autre. Joseph pensait travailler pour lui‑même ; et c’était pour la dépouille d’un Dieu qu’il préparait ce funèbre asile ; il songeait à la fin commune de toute créature humaine depuis le péché ; et les décrets divins portaient que Joseph ne reposerait pas dans ce tombeau, et que ce tombeau deviendrait pour les hommes le titre de l’immortalité. Jésus expire sur la croix, au milieu des insultes de son peuple ; toute la ville est soulevée contre le fils de David, qu’elle avait accueilli peu de jours auparavant au cri de l’Hosannah ; c’est à ce moment même que, bravant les fureurs de la cité déicide, Joseph se rend chez le gouverneur romain pour réclamer l’honneur d’ensevelir le corps du supplicié. Il ne tarde pas d’arriver avec Nicodème sur le Calvaire ; et lorsqu’il a détaché de la croix les membres de la divine victime, il a la gloire de déposer ce corps sacré sur la table de pierre qu’il avait fait préparer pour lui-même : heureux d’en faire hommage au maître pour lequel il venait de confesser son attachement jusque dans le Prétoire de Ponce-Pilate. O homme véritablement digne des respects de l’humanité tout entière dont vous teniez la place dans ces augustes funérailles, nous ne doutons pas qu’un regard reconnaissant de la Mère des douleurs ne vous ait récompensé du sacrifice que vous faisiez si volontiers pour son Fils !
Les Évangélistes insistent avec une intention marquée sur les conditions du sépulcre. Saint Matthieu, saint Luc, saint Jean, nous disent qu’il était neuf, et qu’aucun corps mort n’y avait encore été déposé. Les saints Pères sont venus ensuite, et nous ont expliqué le mystère, à la gloire du saint tombeau. Ils nous ont enseigné la relation que ce sépulcre, qui rendit l’Homme-Dieu à la vie immortelle, devait avoir avec le sein virginal qui l’enfanta pour être la victime du monde ; et ils en ont tiré cette conséquence, que le Seigneur notre Dieu, quand il se choisit un asile dans sa créature, tient à le trouver libre et digne de sa souveraine sainteté. Honneur donc au tombeau de notre Rédempteur d’avoir présenté, dans son être matériel, un rapport mystérieux avec l’incomparable et vivante pureté de la Mère de Jésus !
Durant les heures qu’il conserva son précieux dépôt, quelle gloire égalait alors la sienne sur la terre ! Quel trésor fut confié à sa garde ! Sous sa voûte silencieuse reposait dans ses linceuls, mouillés des larmes de Marie, le corps qui avait été la rançon du monde. Dans son étroite enceinte, les saints Anges se pressaient, faisant la garde auprès de la dépouille de leur créateur, adorant son divin repos, et aspirant à l’heure où l’Agneau égorgé allait se lever Lion redoutable. Mais quel prodige inouï éclata sous la voûte de l’humble caverne,
lorsque l’instant décrété éternellement étant arrivé, Jésus plein de vie pénétra, plus prompt que l’éclair, les veines de la roche, et s’élança au grand jour. Bientôt, c’est la main de l’Ange qui vient arracher la pierre de l’entrée, afin de révéler le départ du céleste prisonnier ; ce sont ensuite d’autres Anges qui attendent Madeleine et ses compagnes. Elles arrivent et font retentir cette voûte de leurs sanglots ; Pierre et Jean y pénètrent à leur tour. Vraiment ce lieu est saint entre tous ; le Fils de Dieu a daigné l’habiter ; sa Mère y a été vue en pleurs ; il a été le rendez-vous des Esprits célestes ; les plus saintes âmes de la terre l’ont consacré par leurs visites empressées, l’ont rendu le théâtre de leurs plus dévots sentiments. O sépulcre du Fils de Jessé, vous êtes véritablement glorieux !
L’enfer la voit, cette gloire ! et il voudrait l’effacer de la terre. Ce tombeau désespère son orgueil ; car il rappelle d’une manière trop éclatante la défaite qu’a essuyée la mort, fille du péché. Satan croit avoir accompli son odieux dessein, lorsque Jérusalem ayant succombé sous les coups des Romains, une ville nouvelle et toute païenne s’élève sur les ruines avec le nom d’Aelia. Mais le nom de Jérusalem ne périra pas plus que la gloire du saint tombeau. En vain des ordres impies prescrivent d’amonceler la terre autour du monument, et d’élever sur ce monticule un temple à Jupiter, en même temps que sur le Calvaire lui‑même un sanctuaire à l’impure Vénus, et sur la grotte de la Nativité un autel à Adonis ; ces constructions sacrilèges ne feront que désigner d’une manière plus précise les lieux sacrés à l’attention des chrétiens. On a voulu tendre un piège, et tourner au profit des faux dieux les hommages dont les disciples du Christ avaient coutume d’entourer ces lieux : vain espoir ! Les chrétiens ne les visiteront plus, tant qu’ils seront souillés par la présence des infâmes idoles ; mais ils tiendront l’œil fixé sur ces vestiges d’un Dieu, vestiges ineffaçables pour eux ; et ils attendront en patience qu’il plaise au Père de glorifier encore son Fils.
Lorsque l’heure a sonné, Dieu envoie à Jérusalem une impératrice chrétienne, mère d’un empereur chrétien, pour rendre visibles de nouveau les traces adorables du passage de notre Rédempteur. Émule de Madeleine et de ses compagnes, Hélène s’avance sur le lieu où fut le tombeau. Il fallait une femme pour continuer les grandes scènes du matin de la Résurrection. Madeleine et ses compagnes cherchaient Jésus ; Hélène qui l’adore ressuscité ne cherche que son tombeau ; mais un même amour les transporte. Par les ordres de la pieuse impératrice, l’impie sanctuaire de Jupiter s’écroule, la terre amoncelée est écartée ; et bientôt le soleil éclaire de nouveau le trophée de la victoire de Jésus. La défaite de la mort était donc une seconde fois proclamée par cette réapparition du sépulcre glorieux. Bientôt un temple magnifique s’élève aux dépens du trésor impérial, et porte le nom de Basilique de la Résurrection. Le monde entier s’émeut à la nouvelle d’un tel triomphe ; le paganisme déjà croulant en ressent un ébranlement auquel il ne résiste plus ; et les pieuses pérégrinations des chrétiens vers le sépulcre glorifié commencent pour ne plus s’arrêter qu’au dernier jour du monde.
Durant trois siècles, Jérusalem demeura la ville sainte et libre, éclairée des splendeurs du saint tombeau ; mais les conseils de la justice divine avaient arrêté que l’Orient, foyer inépuisable de toutes les hérésies, serait châtié et soumis à l’esclavage. Le Sarrasin vient inonder de ses hordes enthousiastes la terre des prodiges ; et les eaux de ce déluge honteux n’ont reculé un moment que pour se répandre avec une nouvelle impétuosité sur cette terre qui leur semble abandonnée pour longtemps encore. Mais ne craignons pas pour la tombe sacrée ; elle demeurera toujours debout. Le Sarrasin aussi la révère ; car à ses yeux elle est le sépulcre d’un grand prophète. Pour approcher d’elle, le chrétien devra payer un tribut ; mais elle est en sûreté ; on verra même un calife offrir en hommage à notre Charlemagne les clefs de cet auguste sanctuaire, montrant par cet acte de courtoisie la vénération que lui inspire à lui-même la grotte sacrée, autant que le respect dont il est pénétré envers le plus grand des princes chrétiens. Ainsi le sépulcre continuait d’apparaître glorieux, à travers même les tribulations qui, à penser humainement, auraient dû l’effacer de la terre.
Sa gloire parut avec plus d’éclat encore, lorsque, à la voix du Père de la chrétienté, l’Occident tout entier se leva soudain en armes, et marcha, sous la bannière de la croix, à la délivrance de Jérusalem. L’amour du saint tombeau était dans tous les cœurs, son nom sur toutes les lèvres ; et dès le premier choc, le Sarrasin, contraint de reculer à son tour, laissa la place aux croisés. La Basilique d’Hélène vit alors un sublime spectacle : le pieux Godefroi de Bouillon sacré avec l’huile sainte roi de Jérusalem, à l’ombre du sépulcre du Christ, et les saints mystères célébrés pour la première fois, avec la langue et les rites de Rome, sous les lambris orientaux de la Basilique constantinienne. Mais ce règne de Japhet sous les tentes de Sem ne se perpétua pas. D’un côté, l’étroite politique de nos princes d’Occident n’avait pas su comprendre le prix d’une telle conquête ; de l’autre, la perfidie de l’empire grec ne se donna pas de relâche qu’elle n’eût amené, par ses noires trahisons, le retour du Sarrasin dans les murs sans défense de Jérusalem. Cette période n’en fut pas moins l’une des gloires prédites par Isaïe au saint tombeau ; elle ne sera pas la dernière.
Aujourd’hui, profané par les sacrifices offerts dans son enceinte par les mains sacrilèges du schisme et de l’hérésie ; confié, à des heures rares et comptées, aux hommages légitimes de l’unique Épouse de celui qui daigna se reposer dans son sein, le divin sépulcre attend le jour où son honneur sera encore une fois vengé. Sera-ce que l’Occident, redevenu docile à la foi, viendra renouer sur cette terre les grands souvenirs qu’y a laissés sa chevalerie ? Sera-ce que l’Orient lui-même, renonçant à une scission qui ne lui a valu que la servitude, tendra la main à la Mère et à la Maîtresse de toutes les Églises, et scellera sur le roc immortel de la Résurrection une réconciliation qui serait la ruine de l’islamisme ? Dieu seul le sait ; mais nous avons appris de sa divine et infaillible parole qu’avant la fin des temps, l’antique Israël doit revenir au Dieu qu’il a méconnu et crucifié ; que Jérusalem sera relevée par la main des Juifs devenus chrétiens. Alors la gloire du sépulcre du fils de Jessé s’élèvera au-dessus de tout ; mais le fils de Jessé lui-même ne tardera pas à paraître ; la terre sera au moment de rendre nos corps pour la résurrection générale ; et le dernier accomplissement de la Pâque se trouvera lié ainsi avec le dernier et suprême honneur qu’aura reçu la tombe sacrée. En nous éveillant de nos sépulcres, nous la chercherons du regard ; et il nous sera doux de la contempler alors comme le point de départ et comme le principe de cette immortalité dont nous serons déjà en possession. En attendant l’heure où nous devrons entrer dans l’habitation passagère qui gardera nos corps, vivons dans l’amour du sépulcre du Christ ; que son honneur soit le nôtre ; et héritiers de cette foi sincère et ardente qui animait nos pères et les arma pour venger son injure, remplissons ce devoir particulier de la Pâque, qui consiste à comprendre et à goûter les magnificences du Sépulcre glorieux.
Cette journée, dans la Liturgie, est appelée le Samedi in albis, ou plus exactement in albis deponendis ; parce que c’était aujourd’hui que les néophytes devaient déposer les robes blanches qu’ils avaient portées durant toute l’Octave. L’Octave, en effet, avait commencé pour eux plus tôt que pour les autres fidèles ; car c’était dans la nuit du Samedi saint qu’ils avaient été régénérés,et qu’on les avait ensuite couverts de ce vêtement, symbole de la pureté de leurs âmes. C’était donc sur le soir du Samedi suivant, après l’office des Vêpres, qu’ils le quittaient, comme nous le raconterons plus loin.
La Station, à Rome, est aujourd’hui dans la Basilique de Latran, l’Église Mère et Maîtresse, qu’avoisine le Baptistère de Constantin, où les néophytes ont reçu, il y a huit jours, la grâce de la régénération. La Basilique qui les réunit aujourd’hui est celle-là même de laquelle ils partirent, sous les ombres de la nuit, se dirigeant vers la fontaine du salut, précédés du cierge mystérieux qui éclairait leurs pas ; c’est celle où étant de retour sous leurs habits blancs, ils assistèrent pour la première fois à la célébration entière du Sacrifice chrétien, et participèrent au corps et au sang du Rédempteur. Nul autre lieu ne convenait mieux que celui-ci pour la Station de ce jour, dont les impressions doivent se conserver durables dans le cœur des néophytes, qui sont au moment de rentrer dans la vie commune. La sainte Église, dans ces dernières heures où ses nouveaux-nés se pressent autour d’elle, comme autour d’une mère, les considère avec complaisance ; elle couve de son regard ces précieux fruits de sa fécondité, qui lui inspiraient, durant ces jours, de si touchants et de si mélodieux cantiques.
Tantôt elle se les représentait se levant du divin banquet, et vivifiés par la chair de celui qui est à la fois sagesse et douceur ; et elle chantait ce répons :
R/. De la bouche du Sage découle le miel, alleluia ; qu’il est doux ce miel sous sa langue ! alleluia ;* Un rayon de miel distille de ses lèvres. Alleluia. V/. La Sagesse repose dans son cœur, et la prudence est dans les paroles de sa bouche. * Un rayon de miel distille de ses lèvres. Alleluia.
Tantôt elle s’attendrissait en voyant transformés en tendres agneaux ces hommes qui avaient vécu jusque alors de la vie du siècle, et qui recommençaient leur carrière avec l’innocence des enfants ; et elle disait dans un langage pastoral :
R/. Ce sont là ces agneaux nouvelets qui nous ont annoncé l’Alleluia ; ils sortent à l’instant de la fontaine ; * Ils sont tout brillants de lumière. Alleluia. V/. Compagnons de l’Agneau, ils sont vêtus de robes blanches et tiennent des palmes dans leurs mains. * Ils sont tout brillants de lumière. Alleluia, alleluia.
D’autres fois elle se prenait à contempler avec un saint orgueil l’éclat des vertus que le saint Baptême avait infusées dans leurs âmes, la pureté sans tache qui les rendait brillants comme la lumière ; et sa voix pleine d’enthousiasme célébrait ainsi leur beauté :
R/. Qu’ils sont blancs les Nazaréens de mon Christ ! alleluia ; leur éclat rend gloire à Dieu ; alleluia ; * Leur blancheur est celle du lait le plus pur. Alleluia, alleluia. V/. Plus blancs que la neige, plus purs que le lait, plus vermeils que l’ivoire antique, plus beaux que le saphir ; * Leur blancheur est celle du lait le plus pur. Alleluia, alleluia.
Ces trois Répons font encore partie des Offices de la sainte Église au Temps pascal.
À la Messe
L’Introït est formé des paroles du Psaume 104, dans lesquelles Israël glorifie le Seigneur d’avoir ramené son peuple de l’exil. Par ce peuple nous devons entendre nos néophytes qui étaient exilés du ciel à cause de la faute originelle et de leurs péchés personnels ; le Baptême leur a rendu tous leurs droits à cette heureuse patrie, en les établissant dans l’Église.
Introït
Le Seigneur a fait sortir son peuple dans les transports de la joie, alleluia, et ses élus dans l’allégresse. Alleluia, alleluia. Ps. Louez le Seigneur et invoquez son Nom : publiez ses œuvres dans toutes les nations. Gloire au Père. Le Seigneur.
Au moment de voir expirer la Semaine pascale, l’Église demande au Seigneur, dans la Collecte, que les joies que ses enfants ont goûtées en ces jours leur ouvrent le chemin aux joies plus grandes encore de la Pâque éternelle.
Collecte
Faites, s’il vous plaît. Dieu tout-puissant, que nous qui avons célébré religieusement ces fêtes de la Pâque, nous méritions d’arriver par elles aux joies de l’éternité. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
On ajoute ensuite une des deux Collectes ci-dessus.
Épître
Lecture de l’Épître du bienheureux Pierre, Apôtre. 1, Ch. 2.
Mes bien aimés, étant affranchis de toute malice, de toute tromperie et dissimulation, de l’envie et de la médisance ; devenus semblables à des enfants nouveau-nés, aspirez au lait spirituel et pur qui vous donnera de croître pour le salut, si vous savez goûter combien le Seigneur est doux. Et vous approchant de lui comme de la pierre vivante, que les hommes ont bien pu rejeter, mais que Dieu lui-même a choisie et mise en honneur ; vous aussi, comme autant de pierres vivantes, laissez-vous édifier par-dessus, pour former la maison spirituelle, le sacerdoce saint, offrant à Dieu des hosties qui lui soient agréables par Jésus-Christ. C’est pourquoi il est dit dans l’Écriture : « Voici que je place dans Sion une pierre principale, angulaire, choisie et précieuse ; et celui qui croira en elle ne sera pas confondu. » Cette pierre est donc source d’honneur à vous qui croyez ; quant à ceux qui ne croient pas, cette pierre rejetée par les architectes, et devenue la tête de l’angle, leur est une pierre qui les fait tomber, eux qui heurtent contre la parole et ne croient point à ce pour quoi ils avaient été préparés. Mais vous, vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple conquis, chargé de publier les grandeurs de celui qui vous a appelés du sein des ténèbres à son admirable lumière ; vous qui autrefois n’étiez point son peuple, et qui maintenant êtes le peuple de Dieu ; vous qui n’aviez point obtenu miséricorde, et qui maintenant avez obtenu miséricorde.
Les néophytes ne pouvaient entendre, en ce jour, une exhortation mieux appropriée à leur situation que celle que nous adresse à tous le prince des Apôtres, dans ce passage de sa première Épître. Saint Pierre avait adressé cette lettre à de nouveaux baptisés ; aussi avec quelle douce paternité il épanchait les sentiments de son cœur sur ces « enfants nouveau-nés ! » La vertu qu’il leur recommande, c’est la simplicité qui sied si bien à ce premier âge ; la doctrine dont ils ont été instruits, c’est un lait qui les nourrira et leur donnera la croissance ; ce qu’il faut goûter, c’est le Seigneur ; et le Seigneur est plein de douceur.
L’Apôtre insiste ensuite sur un des principaux caractères du Christ : il est la pierre fondamentale et angulaire de l’édifice de Dieu. C’est sur lui seul que doivent s’établir les fidèles, qui sont les pierres vivantes du temple éternel. Lui seul leur donne la solidité et la résistance ; et c’est pour cela que, devant retourner à son Père, il a choisi et établi sur la terre une autre Pierre, une Pierre toujours visible qu’il s’est unie à lui‑même, et à laquelle il a communiqué sa propre solidité. La modestie de l’Apôtre l’empêche d’insister sur ce que le saint Évangile renferme de glorieux pour lui à ce sujet ; mais quiconque connaît les paroles du Christ à Pierre va jusqu’au fond de la doctrine.
Si l’Apôtre ne se glorifie pas lui-même, quels titres magnifiques il nous reconnaît en retour, à nous baptisés ! Nous sommes « la race choisie et sainte, le peuple que Dieu s’est conquis, un peuple de Rois et de Prêtres ». En effet, quelle différence du baptisé avec celui qui ne l’est pas ! Le ciel ouvert à l’un est fermé à l’autre ; l’un est esclave du démon, et l’autre roi en Jésus-Christ Roi, dont il est devenu le propre frère ; l’un tristement isolé de Dieu, et l’autre lui offrant le sacrifice souverain par les mains de Jésus-Christ Prêtre. Et tous ces dons nous ont été conférés par une miséricorde entièrement gratuite ; ils n’ont point été mérités par nous. Offrons-en donc à notre Père adoptif d’humbles actions de grâces ;et, nous reportant au jour où, nous aussi, nous fûmes néophytes, renouvelons les promesses qui furent faites en notre nom, comme la condition absolue à laquelle de si grands biens nous étaient octroyés.
À partir de ce jour, l’Église cesse, jusqu’à la fin du Temps pascal, d’employer, entre l’Épître et l’Évangile, la forme du Répons appelé Graduel. Elle y substitue le chant répété de l’Alleluia, qui présente moins de gravité, mais exprime un plus vif sentiment d’allégresse. Dans les six premiers jours de la solennité pascale qui sont en rapport avec les six jours de la création, elle n’a pas voulu déroger à la majesté de ses chants ; maintenant que le repos du Seigneur est arrivé, que son œuvre est achevée, elle se livre avec plus d’abandon à la sainte liberté qui la transporte.
Alleluia, alleluia. V/. C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. Alleluia. V/. Enfants, louez le Seigneur ; célébrez son saint Nom.
On chante ensuite la Séquence de la Messe du jour de Pâques, Victimœ Paschali.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 20.
En ce temps-là, le jour d’après le Sabbat, Marie-Madeleine vint dès le matin au sépulcre, lorsque les ténèbres régnaient encore ; et elle vit que la pierre du sépulcre avait été ôtée. Elle courut donc, et vint à Simon Pierre et à cet autre disciple que Jésus aimait, et elle leur dit : Ils ont enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où ils l’ont mis. Pierre sortit avec l’autre disciple, et ils vinrent au sépulcre. Tous deux ensemble couraient ; mais cet autre disciple courut plus vite que Pierre, et arriva le premier au sépulcre. Et s’étant baissé, il vit que les linceuls étaient à terre ; mais cependant il n’entra pas ; Simon Pierre, qui le suivait, étant donc arrivé, il entra dans le sépulcre, et vit les linges posés à terre, et le suaire qui avait été sur sa tête, qui n’était pas avec les linceuls, mais plié et posé en un lieu à part. Alors cet autre disciple qui était arrivé le premier au sépulcre entra aussi, et il vit et crut ; car ils ne savaient pas ce que l’Écriture enseigne, qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts.
Cet épisode de la matinée du jour de Pâques a été réservé pour aujourd’hui par la sainte Église, parce qu’on y voit figurer saint Pierre, dont la voix s’est déjà fait entendre dans l’Épître. Ce jour est le dernier auquel les néophytes assistent au Sacrifice revêtus de la robe blanche ; demain, leur extérieur n’aura plus rien qui les distingue des autres fidèles. Il importe donc d’insister auprès d’eux sur le fondement de l’Église, fondement sans lequel l’Église ne pourrait se soutenir, et sur lequel ils doivent être établis, s’ils veulent conserver cette foi dans laquelle ils ont été baptisés, et qu’il leur faut garder pure jusqu’à la fin pour obtenir le salut éternel. Or cette foi se maintient inébranlable en tous ceux qui sont dociles à l’enseignement de Pierre, et qui révèrent la dignité de cet Apôtre. Nous apprenons d’un Apôtre même, dans ce passage du saint Évangile, le respect et la déférence qui sont dus à celui que Jésus a chargé de paître le troupeau tout entier, agneaux et brebis. Pierre et Jean courent ensemble au tombeau de leur maître ; Jean, plus jeune que Pierre, arrive le premier. Il regarde dans le sépulcre ; mais il n’entre pas. Pourquoi cette humble réserve dans celui qui est le disciple bien-aimé du maître ? Qu’attend-il ? — Il attend celui que Jésus a préposé à eux tous, celui qui est leur Chef, et à qui il appartient d’agir en chef. Pierre arrive enfin ; il entre dans le tombeau ; il constate l’état des choses, et ensuite Jean pénètre à son tour dans la grotte. Admirable enseignement que Jean lui-même a voulu nous donner, en écrivant de sa propre main ce récit mystérieux ! C’est toujours à Pierre de précéder, de juger, d’agir en maître ; et c’est au chrétien de le suivre, de l’écouter, de lui rendre honneur et obéissance. Et comment n’en serait-il pas ainsi, quand nous voyons un Apôtre même, et un tel Apôtre, agir ainsi envers Pierre, et lorsque celui-ci n’avait encore reçu que la promesse des clefs du Royaume des cieux, qui ne lui furent données effectivement que dans les jours qui suivirent ?
Les paroles de l’Offertoire sont tirées du Psaume 117, qui est par excellence le Psaume de la Résurrection. Elles saluent le divin triomphateur qui se lève comme un astre éclatant, et vient verser sur nous ses bénédictions.
Offertoire
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ; nous qui sommes de la maison Seigneur, nous vous bénissons ; Dieu est le Seigneur, et il a répandu sur nous la lumière. Alleluia, alleluia.
Dans la Secrète, l’Église nous enseigne que l’action des divins mystères que nous célébrons dans le cours de l’année, est incessante sur les fidèles. Ces mystères apportent tour à tour avec eux une nouvelle vie et une nouvelle allégresse ; et c’est par leur succession anniversaire dans la sainte Liturgie que l’Église arrive à maintenir en elle la vitalité, qu’ils lui ont conférée par leur accomplissement dans leur temps.
Secrète
Faites, s’il vous plaît, Seigneur, que ces mystères de la Pâque soient désormais pour nous une source d’actions de grâces à vous rendre ; et que l’œuvre de notre régénération, qui est continuelle, soit en nous le principe d’une joie sans fin. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
On ajoute une des deux Secrètes ci-dessus.
Nos néophytes doivent, en ce jour même, déposer leurs habits blancs ; quel sera donc désormais leur vêtement ? Le Christ lui-même, qui s’est incorporé à eux par le Baptême. C’est le Docteur des Gentils qui leur confirme cette espérance dans l’Antienne de la Communion.
Communion
Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Alleluia.
Dans la Postcommunion, l’Église insiste encore sur le don de la foi. Sans la foi, le christianisme cesse d’exister ; mais la divine Eucharistie, qui est le mystère de la foi, a la vertu de la nourrir et de la développer dans les âmes.
Postcommunion
Nous venons d’être nourris du don de notre rédemption ; daignez faire Seigneur, que par cet instrument du salut éternel, la véritable foi s’accroisse toujours en nous. Par Jésus-Christ notre Seigneur.
Amen.
On ajoute une des deux Postcommunions ci-dessus.
Déposition des habits blancs
Chacun des jours de cette semaine, l’Office des Vêpres s’est accompli avec la même solennité dont nous avons été témoins au Dimanche. Le peuple fidèle remplissait la Basilique, et accompagnait de ses regards et de son intérêt fraternel cette blanche troupe de néophytes qui s’avançait, chaque soir, à la suite du Pontife, pour revoir encore l’heureuse fontaine qui donne une nouvelle naissance à ceux qui y sont plongés. Aujourd’hui, le concours est plus grand encore ; car un nouveau rite va s’accomplir. Les néophytes, en quittant le vêtement qui retrace à l’extérieur la pureté de leurs âmes, vont prendre l’engagement de conserver intérieurement cette innocence dont le symbole ne leur est plus nécessaire. Par ce changement qui s’opère sous les yeux des fidèles, l’Église est censée rendre ses nouveaux enfants à leurs familles, aux soins et aux devoirs de la vie ordinaire ; c’est à eux maintenant de se montrer ce qu’ils sont désormais pour toujours : chrétiens, disciples du Christ.
Au retour du Baptistère, et après avoir terminé l’Office des Vêpres par la station devant la Croix de l’arc triomphal, les néophytes sont conduits dans une des salles attenantes à la Basilique, et dans laquelle on a préparé un vaste bassin rempli d’eau. L’Évêque, assis sur un siège d’honneur, et voyant autour de lui ces jeunes agneaux du Christ, leur adresse avec émotion un discours dans lequel il exprime la joie du Pasteur, à la vue des heureux accroissements du troupeau qui lui est confié. Il félicite de leur bonheur ces élus de la grâce divine ; et venant ensuite à l’objet de leur réunion dans ce lieu, c’est-à-dire à la déposition des vêtements qu’ils reçurent de ses mains au sortir de la fontaine du salut, il les avertit paternellement de veiller sur eux-mêmes et de ne jamais souiller cette blancheur de l’âme dont celle des habits n’a été que la faible image.
Les vêtements blancs des néophytes leur ont été fournis par l’Église, ainsi que nous l’avons vu au Samedi saint ; c’est pour cette raison qu’ils viennent les remettre entre les mains de l’Église. L’eau du bassin est destinée à les laver. Après l’allocution, le Pontife bénit cette eau, en récitant sur elle une Oraison dans laquelle il rappelle la vertu que l’Esprit-Saint a donnée à cet élément de purifier les taches même de l’âme. Puis se tournant vers les néophytes, après avoir adressé à Dieu ses actions de grâces par la récitation du Psaume 116, il prononce cette belle prière :
Visitez, Seigneur, votre peuple dans vos desseins de salut ; voyez‑le tout illuminé des joies pascales ; mais daignez conserver dans nos néophytes ce que vous y ayez opéré vous-même, pour qu’ils fussent sauvés. Faites qu’en se dépouillant de ces robes blanches, le changement ne soit en eux qu’un changement extérieur ; que l’invisible blancheur du Christ soit toujours inhérente à leurs âmes ; qu’ils ne la perdent jamais ; et que votre grâce les aide à obtenir par les bonnes œuvres cette vie immortelle à laquelle nous oblige le mystère de la Pâque.
Après cette prière, les néophytes aidés, les hommes de leurs parrains, et les femmes de leurs marraines, dépouillaient les vêtements blancs, qui étaient consignés aux mains des serviteurs de l’Église chargés de les laver et de les conserver. Ils se revêtaient ensuite de leurs habits ordinaires, toujours aidés de leurs parrains et marraines ; et enfin, reconduits aux pieds du Pontife, ils recevaient de sa main le symbole pascal, l’image en cire de l’Agneau divin.
Le dernier vestige de cette touchante fonction est la distribution des Agnus Dei que le Pape fait en ce jour, à Rome, la première et chaque septième année de son pontificat. On a vu comment ils ont été bénis par le Pontife le Mercredi précédent, et comment les rites que le Pape emploie dans cette occasion rappellent le baptême par immersion des néophytes. Le samedi suivant, dans les années dont nous venons de parler, il y a Chapelle papale au palais. Après la Messe solennelle, le Souverain Pontife étant sur son trône, on apporte dans des corbeilles les Agnus Dei, qui sont en très grand nombre. Le Prélat qui les présente chante ces touchantes paroles empruntées à l’un de ces beaux Répons que nous avons cités : « Saint Père, voici ces agneaux nouvelets qui nous ont annoncé l’Alleluia ; ils sortent à l’instant de la fontaine ; ils sont tout brillants de lumière. » Le Pape répond : Deo gratias. La pensée se reporte alors à ces temps où, en ce jour même, les nouveaux baptisés étaient amenés aux pieds du Pontife comme de tendres agneaux à la blanche toison, objet des complaisances du pasteur. Le Pape fait lui‑même de son trône la distribution des Agnus Dei aux Cardinaux, aux Prélats et à tous ceux des assistants que les maîtres des cérémonies laissent approcher ; et ainsi se termine cette cérémonie si intéressante et par les souvenirs qu’elle retrace, et par son objet actuel.
Nous n’achèverons pas les récits qui se rattachent à ce dernier jour de l’Octave des nouveaux baptisés, sans avoir dit un mot de la Pâque annotine. On nommait ainsi le jour anniversaire de la Pâque de l’année précédente ; et ce jour était comme la fête de ceux qui comptaient une année révolue depuis leur baptême. L’Église célébrait solennellement le Sacrifice en faveur de ces nouveaux chrétiens, auxquels elle remettait ainsi en mémoire l’immense bienfait dont Dieu les avait favorisés en ce jour ; et c’était l’occasion de festins et de réjouissances dans les familles dont les membres avaient été, l’année précédente, du nombre des néophytes. S’il arrivait, à raison du mouvement irrégulier de la Pâque, que cet anniversaire tombât, l’année suivante, dans quelqu’une des semaines du Carême, on devait s’abstenir cette année-là de célébrer la Pâque annotine, ou la transférer après le jour de la Résurrection. Il paraît que, dans certaines Églises, pour éviter ces continuelles variations, on avait fixé l’anniversaire du Baptême au Samedi de Pâques. L’interruption de l’usage d’administrer le Baptême dans la fête de la Résurrection devait amener peu à peu la suppression de la Pâque annotine ; on en trouve cependant encore des traces en quelques lieux jusqu’au XIIIe siècle, et peut-être au-delà. Cette coutume de fêter l’anniversaire du Baptême étant fondée sur la grandeur du bienfait qui pour chacun de nous se rattache à ce jour, n’a jamais dû sortir des habitudes chrétiennes ; et de nos temps, comme dans l’antiquité, tous ceux qui ont été régénérés en Jésus-Christ doivent au moins porter à ce jour où ils ont reçu la vie surnaturelle, le respect que les païens portaient à celui qui les avait mis en possession de la vie naturelle. Saint Louis aimait à signer Louis de Poissy, parce que c’était sur les fonts de l’humble église de Poissy qu’il avait reçu le baptême ; nous pouvons apprendre d’un si grand chrétien à tenir mémoire du jour et du lieu où nous fûmes faits enfants de Dieu et de son Église.
Les six jours de la création
Le septième jour de cette semaine durant laquelle nous avons suivi toutes les phases de la création, à partir du moment où la lumière, sortant du néant, désigna le jour où celui qui est la lumière incréée et infinie devait sortir lui-même des ombres du tombeau ; le septième jour s’est levé, et nous y révérons le repos du Seigneur qui cesse de créer. Mais ce jour est aussi celui du repos que le même Seigneur a voulu prendre dans son glorieux sépulcre. Honorons aujourd’hui ce second mystère qui nous révèle, bien plus vivement encore que le premier, l’amour du Fils de Dieu pour l’homme ; et payons notre hommage du Samedi, en lui offrant la prière que le Bréviaire mozarabe consacre aujourd’hui à l’accomplissement de ce devoir.
Capitula
O Christ, Fils de Dieu, repos de nos âmes, qui avez accompli dans le sépulcre le repos du sabbat, ayant voulu que ce même jour où vous vous reposâtes de toutes vos œuvres, fût aussi celui de votre repos dans le sépulcre ; vous avez véritablement sanctifié pour nous ce jour dont le soir est déjà le commencement du huitième jour, qui est celui où vous fîtes jaillir la lumière des ténèbres, et où, ressuscité d’entre les morts, vous apparûtes dans votre chair. Daignez diriger le cours de notre vie dans la voie de toute sainteté ; afin que durant ces sept jours qui représentent la durée du monde, et dans chacun desquels l’Agneau est immolé et la Pâque célébrée pour nous, nous vivions d’une manière conforme à notre salut. Faites que, chaque jour, nous méritions de célébrer la Pâque sans aucun levain de malice, et que nous nous reposions de toutes nos œuvres en ce jour d’une manière si sainte, que nous ayons part à la consolation du huitième et éternel jour, ayant obtenu de ressusciter glorieux.
Autres liturgies
Nous demanderons aujourd’hui à l’Église grecque un chant sur la Résurrection. Elle nous fournit encore ces belles strophes que nous détachons de ses Offices du jour de Pâques.
In Dominica Resurrectionis
Tu es descendu, ô Christ, jusque dans les entrailles de la terre ; tu as brisé les serrures éternelles qui retenaient captives les âmes saintes ; et trois jours après, tu sortais du tombeau, comme Jonas de la baleine.
Tu as laissé intact le sceau qui fermait le sépulcre, ô Christ ! toi qui, dans ta naissance, avais maintenu l’intégrité de la Vierge ; et tu nous as rouvert les portes du Paradis.
Mon Sauveur, tu t’es librement offert à ton Père en hostie vivante, toi qui, comme Dieu, ne saurais être une victime ; et sortant du sépulcre, tu as ressuscité Adam tout entier.
Tu es descendu dans le sépulcre, ô immortel ! tu as brisé la puissance de l’enfer, et comme un vainqueur tu t’es levé, ô Christ Dieu ! Aux femmes qui portaient des parfums, tu as dit : « Je vous salue » ; aux Apôtres tu as donné la paix, toi qui relèves ceux qui étaient tombés.
En ce jour nous célébrons la destruction de la mort, la ruine de l’enfer et les prémices d’une vie nouvelle et éternelle, un Dieu unique et comblé de gloire, le Dieu célébré par nos pères.
O nuit vraiment sacrée et vraiment festive, nuit salutaire et brillante, qui porte l’annonce du jour radieux de la résurrection, où la lumière éternelle, s’élançant du sépulcre avec son corps, a lui sur tous les hommes.
Venez donc, et participons, dans une divine allégresse, aux fruits de notre vigne nouvelle, en ce jour où le Christ ressuscite et proclame sa royauté ; louez-le dans vos cantiques comme le Dieu qui est à jamais.
Lève tes yeux, ô Sion ! regarde autour de toi et vois : brillants d’une splendeur divine et semblables à des lampes éclatantes, des fils te sont venus de l’Occident et de l’Aquilon, de la mer du Midi et de l’Orient ; ils s’unissent dans ton sein pour bénir le Christ à jamais.
O voix divine ! voix amie ! voix pleine de tendresse ! C’est en toute vérité que tu as promis, ô Christ, de demeurer avec nous jusqu’à la consommation du monde ; nous, tes fidèles, appuyés sur l’ancre d’espérance, nous sommes dans la joie.
O Christ, grande Pâque, sainte Pâque ! O Sagesse ! ô Verbe ! ô Vertu de Dieu ! sois notre modèle ; fais-nous participants de ton royaume, lorsque se lèvera le jour qui n’aura pas de couchant.
En ce jour que nous avons consacré à la gloire du divin tombeau, empruntons cette belle Hymne que nous fournit le Propre des Offices de l’Ordre du Saint-Sépulcre.
Hymne
Chante, ô mon âme, avec transport, les prodiges du sépulcre glorieux, d’où le Christ s’est élancé, comme autrefois du sein de sa chaste mère ; ainsi l’avait annoncé l’oracle fidèle des prophètes.
Il fut conçu dans les entrailles d’une vierge sans tache ; il fut enseveli sous un antre où nul corps n’avait encore été placé ; qu’il naisse enfant, qu’homme il s’élance, c’est toujours avec la même gloire.
Après l’espoir d’une longue attente, sa mère l’enfante dans un corps mortel ; avant l’espoir de son retour, le tombeau le restitue immortel ; sa mère l’enveloppa de langes ; dans le sépulcre il était couvert de linceuls.
Du sein de sa mère, il naît pour accomplir le salut ; des flancs de la roche, il sort, le salut étant consommé ; sa mère l’enfanta pour la croix ; la pierre le rendit pour la gloire.
Sanctuaire trois fois heureux, empourpré du sang de l’Agneau céleste, reçois les adorations de la terre, de la mer et des cieux ; mais tu n’es plus un sépulcre, depuis qu’on a vu la vie sortir de toi.
Gloire et honneur à Dieu Très-Haut ; gloire unique au Père, au Fils, à l’auguste Paraclet ; puissance et louange dans les siècles éternels. Amen.
Enfin, ne terminons pas cette journée du Samedi avant d’avoir rendu à Marie nos hommages, en la félicitant sur la glorieuse Résurrection de son Fils. Offrons-lui cette Prose touchante tirée des anciens Missels des Églises d’Allemagne.
Séquence
À vous, o Mère, de fêter votre fils ressuscité, qui règne victorieux du prince de la mort. O Vierge, cessez votre deuil ; recevez Jésus fruit de vos entrailles ; il revit aujourd’hui.
La mort de ce fils vous fut cruelle ; le glaive de sa passion traversa votre cœur ; livrez-vous à la joie de sa résurrection ; faites entendre un chant d’allégresse.
Il fut crucifié ; mais il s’est levé du tombeau ; il vous a introduite dans son palais : apaisez-le en notre faveur ; de l’abîme de nos péchés faites-nous monter aux joies éternelles. Amen.
Le Dimanche de Quasimodo
Octave de Pâques
Nous avons vu nos néophytes clore hier leur Octave de la Résurrection. Ils avaient été mis avant nous en participation de l’admirable mystère du Dieu ; avant nous ils devaient achever leur solennité. Ce jour est donc le huitième pour nous qui avons fait la Pâque au Dimanche, et qui ne l’avons pas anticipée au soir du Samedi. Il nous retrace toutes les joies et toutes les grandeurs de cet unique et solennel Dimanche qui a associé toute la chrétienté dans un même sentiment de triomphe. C’est le jour de la Lumière, qui efface pour jamais l’antique Sabbat ; désormais le premier jour de la semaine est le jour sacré ; c’est assez que deux fois le Fils de Dieu l’ait marqué du sceau de sa puissance. La Pâque est donc pour jamais fixée au Dimanche ; et ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, dans la Mystique du Temps pascal, tout Dimanche est désormais une Pâque.
Notre divin ressuscité a voulu que son Église comprit ainsi le mystère ; car ayant l’intention de se montrer une seconde fois à ses disciples rassemblés, il a attendu, pour le faire, le retour du Dimanche. Durant tous les jours précédents, il a laissé Thomas en proie à ses doutes ; ce n’est qu’aujourd’hui qu’il a voulu venir à son secours, se manifestant à cet Apôtre, en présence des autres, et l’obligeant à déposer son incrédulité devant la plus palpable évidence. Aujourd’hui donc le Dimanche reçoit de la part du Christ son dernier titre de gloire, en attendant que l’Esprit-Saint descende du ciel pour venir l’illuminer de ses feux, et faire de ce jour, déjà si favorisé, l’ère de la fondation de l’Église chrétienne.
L’apparition du Sauveur à la petite troupe des onze, et la victoire qu’il y remporta sur l’infidélité d’un disciple, est aujourd’hui l’objet spécial du culte de la sainte Église. Cette apparition, qui se lie à la précédente, est la septième ; par elle, Jésus entre en possession complète de la foi de ses disciples. Sa dignité, sa patience, sa charité, dans cette scène, sont véritablement d’un Dieu. Là encore, nos pensées humaines sont renversées, à la vue de ce délai que Jésus accorde à l’incrédule, dont il semblerait devoir éclairer sans retard l’aveuglement malheureux, ou châtier l’insolence téméraire. Mais Jésus est la souveraine sagesse et la souveraine bonté ; dans sa sagesse, il ménage, par cette lente confrontation du fait de sa Résurrection, un nouvel argument en faveur de la réalité de ce fait ; dans sa bonté, il amène le cœur du disciple incrédule à rétracter de lui-même son doute par une protestation sublime de regret, d’humilité et d’amour. Nous ne décrirons point ici cette scène si admirablement retracée dans le récit de l’Évangile que la sainte Église va tout à l’heure mettre sous nos yeux. Nous nous attacherons, pour la doctrine de ce jour, à faire comprendre au lecteur la leçon pieuse que Jésus donne aujourd’hui à tous, en la personne de saint Thomas. C’est le grand enseignement du Dimanche de l’Octave de Pâques ; il importe de ne le pas négliger ; car il nous révèle, plus que tout autre, le véritable sens du christianisme ; il nous éclaire sur la cause de nos impuissances, sur le remède de nos langueurs.
Jésus dit à Thomas : « Tu as cru, parce que tu as vu ; heureux ceux qui n’ont pas vu et qui néanmoins ont cru ! » Paroles remplies d’une divine autorité, conseil salutaire donné non seulement à Thomas, mais à tous les hommes qui veulent entrer en rapport avec Dieu et sauver leurs âmes ! Que voulait donc Jésus de son disciple ? Ne venait-il pas de l’entendre confesser la foi dont il était désormais pénétré ? Thomas, d’ailleurs, était-il si coupable d’avoir désiré l’expérience personnelle, avant de donner son adhésion au plus étonnant des prodiges ? Était-il tenu de s’en rapporter à Pierre et aux autres, au point d’avoir à craindre de manquer à son Maître, en ne déférant pas à leur témoignage ? Ne faisait-il pas preuve de prudence en suspendant sa conviction, jusqu’à ce que d’autres arguments lui eussent révélé à lui-même que le fait était tel que ses frères le lui racontaient ? Oui, Thomas était un homme sage, un homme prudent, qui ne se confiait pas outre mesure ; il était digne de servir de modèle à beaucoup de chrétiens qui jugent et raisonnent comme lui dans les choses de la foi. Cependant, combien est accablant, dans sa douceur si pénétrante, le reproche de Jésus ! Il a daigné se prêter, avec une condescendance inexplicable, à l’insolente vérification que Thomas avait osé demander ; maintenant que le disciple tremble devant le divin ressuscité, et qu’il s’écrie dans l’émotion la plus sincère : « Oh ! vous êtes bien mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus ne lui fait pas grâce de la leçon qu’il avait méritée. Il faut un châtiment à cette hardiesse, à cette incrédulité ; et ce châtiment consistera à s’entendre dire : « Tu as cru, Thomas, parce que tu as vu. »
Mais Thomas était-il donc obligé de croire avant d’avoir vu ?— Et qui peut en douter ? Non seulement Thomas, mais tous les Apôtres étaient tenus de croire à la résurrection de leur maître, avant même qu’il se fût montré à eux. N’avaient-ils pas vécu trois années dans sa compagnie ? Ne l’avaient-ils pas vu confirmer par les plus divins prodiges sa qualité de Messie et de Fils de Dieu ? Ne leur avait-il pas annoncé sa résurrection pour le troisième jour après sa mort ? Et quant aux humiliations et aux douleurs de sa Passion, ne leur avait-il pas dit, peu de temps auparavant, sur la route de Jérusalem, qu’il allait être saisi par les Juifs qui le livreraient aux gentils ; qu’il serait flagellé, couvert de crachats et mis à mort ? (s. Luc, 18, 32, 33)
Des cœurs droits et disposés à la foi n’auraient eu aucune peine à se rendre, dès le premier bruit de la disparition du corps. Jean ne fit qu’entrer dans le sépulcre, que voir les linceuls, et aussitôt il comprit tout et commença à croire. Mais l’homme est rarement aussi sincère ; il s’arrête sur le chemin, comme s’il voulait obliger Dieu à faire de nouvelles avances. Ces avances, Jésus daigna les faire. Il se montra à Madeleine et à ses compagnes qui n’étaient pas incrédules, mais seulement distraites par l’exaltation d’un amour trop naturel. Au jugement des Apôtres, leur témoignage n’était que le langage de quelques femmes que l’imagination avait égarées. Il fallut que Jésus vînt en personne se montrer à ces hommes rebelles, à qui leur orgueil faisait perdre la mémoire de tout un passé qui eût suffi à lui seul pour les éclairer sur le présent. Nous disons leur orgueil ; car la foi n’a pas d’autre obstacle que ce vice. Si l’homme était humble, il s’élèverait jusqu’à la foi qui transporte les montagnes.
Or Thomas a entendu Madeleine, et il a dédaigné son témoignage ; il a entendu Pierre, et il a décliné son autorité ; il a entendu ses autres frères et les disciples d’Emmaüs, et rien de tout cela ne l’a dépris de sa raison personnelle. La parole d’autrui qui, lorsqu’elle est grave et désintéressée, produit la certitude dans un esprit sensé, n’a plus cette efficacité chez beaucoup de gens, dès qu’elle a pour objet d’attester le surnaturel. C’est là une profonde plaie de notre nature lésée par le péché. Trop souvent nous voudrions, comme Thomas, avoir expérimenté nous-mêmes ; et il n’en faut pas davantage pour nous priver de la plénitude de la lumière. Nous nous consolons comme Thomas parce que nous sommes toujours du nombre des disciples ; car cet Apôtre n’avait pas rompu avec ses frères ; seulement il n’entrait pas en part de leur bonheur. Ce bonheur, dont il était témoin, ne réveillait en lui que l’idée de faiblesse ; et il se savait un certain gré de ne le pas partager.
Tel est de nos jours encore le chrétien entaché de rationalisme. Il croit, mais c’est parce que sa raison lui fait comme une nécessité de croire ; c’est de l’esprit et non du cœur qu’il croit. Sa foi est une conclusion scientifique, et non une aspiration vers Dieu et la vérité surnaturelle. Aussi cette foi, comme elle est froide et impuissante ! comme elle est restreinte et embarrassée ! comme elle craint de s’avancer, en croyant trop ! À la voir se contenter si aisément de vérités diminuées (Ps. 11), pesées dans la balance de la raison, au lieu de voler à pleines ailes comme la foi des saints, on dirait qu’elle est honteuse d’elle-même. Elle parle bas, elle craint de se compromettre ; quand elle se montre, c’est sous le couvert d’idées humaines qui lui servent de passeport. Ce n’est pas elle qui s’exposera à un affront pour des miracles qu’elle juge inutiles, et qu’elle n’eût jamais conseillé à Dieu d’opérer. Dans le passé comme dans le présent, le merveilleux l’effraie ; n’a-t-elle pas eu déjà assez d’effort à faire pour admettre celui dont l’acceptation lui est strictement nécessaire ? La vie des saints, leurs vertus héroïques, leurs sacrifices sublimes, tout cela l’inquiète. L’action du christianisme dans la société, dans la législation, lui semble léser les droits de ceux qui ne croient pas ; elle entend réserver la liberté de l’erreur et la liberté du mal ; et elle ne s’aperçoit même pas que la marche du monde est entravée depuis que Jésus-Christ n’est plus Roi sur la terre.
Or c’est pour ceux dont la foi est si faible et si près du rationalisme, que Jésus ajoute aux paroles de reproche qu’il adressa à Thomas, cette sentence qui ne le regardait pas seul, mais qui avait en vue tous les hommes et tous les siècles : « Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! » Thomas pécha, pour n’avoir pas eu la disposition à croire. Nous nous exposons à pécher comme lui, si nous n’entretenons pas dans notre foi cette expansion qui la mêlerait à tout, et lui ferait faire ce progrès que Dieu récompense par des flots de lumière et de joie au cœur. Une fois entrés dans l’Église, le devoir pour nous est de considérer désormais toute chose au point de vue surnaturel ; et ne craignons pas que ce point de vue, réglé par les enseignements de l’autorité sacrée, nous entraîne trop loin. « Le juste vit de la foi » (Rom. 1, 17) ; c’est sa nourriture continuelle. La vie naturelle est transformée en lui pour jamais, s’il demeure fidèle à son baptême. Croyons-nous donc que l’Église avait pris tant de soins dans l’instruction de ses néophytes, qu’elle les avait initiés partant de rites qui ne respirent que les idées et les sentiments de la vie surnaturelle, pour les abandonner sans remords dès le lendemain à l’action de ce dangereux système qui place la foi dans un recoin de l’intelligence, du cœur et de la conduite, afin de laisser plus librement agir l’homme naturel ? Non, il n’en est pas ainsi. Reconnaissons donc notre erreur avec Thomas ; confessons avec lui que jusqu’ici nous n’avons pas cru encore d’une foi assez parfaite. Comme lui, disons à Jésus : « Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu ; et j’ai souvent pensé et agi comme si vous n’étiez pas en tout mon Seigneur et mon Dieu. Désormais je croirai sans avoir vu ; car je veux être du nombre de ceux que vous avez appelés heureux. »
Ce Dimanche, appelé vulgairement le Dimanche de Quasimodo, porte dans la Liturgie le nom de Dimanche in albis, et plus explicitement in albis depositis, parce que c’était en ce jour que les néophytes paraissaient à l’Église sous les habits ordinaires. Au moyen âge, on l’appelait Pâque close : sans doute pour exprimer qu’en ce jour l’Octave de Pâques se terminait. La solennité de ce Dimanche est si grande dans l’Église, que non seulement il est du rite Double, mais qu’il ne cède jamais la place à aucune fête, de quelque degré supérieur qu’elle soit.
À Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Pancrace, sur la Voie Aurélia. Les anciens ne nous ont rien appris sur les motifs qui ont fait désigner cette Église pour la réunion des fidèles en ce jour. Peut-être l’âge du jeune martyr de quatorze ans auquel elle est dédiée l’a-t-il fait choisir de préférence, par une sorte de rapport avec la jeunesse des néophytes qui sont encore aujourd’hui l’objet de la préoccupation maternelle de l’Église.
À la Messe
L’Introït rappelle les gracieuses paroles que saint Pierre adressait, dans l’Épître d’hier, aux nouveaux baptisés. Ce sont de tendres enfants remplis de simplesse, et aspirant aux mamelles de la sainte Église le lait spirituel de la foi, qui les rendra forts et sincères.
Introït
Quasi modo geniti infantes, alleluia : etc.
Comme des enfants nouveau‑nés, alleluia : enfants spirituels, aspirez au lait pur et sincère. Alleluia, alleluia, alleluia. Ps. Célébrez dans la joie le Dieu notre protecteur : louez avec allégresse le Dieu de Jacob. Gloire au Père. Comme des enfants.
En ce dernier jour d’une si grande Octave, l’Église fait, dans la Collecte, ses adieux aux pompes solennelles qui viennent de s’écouler, et demande à Dieu que leur divin objet demeure empreint dans la vie et la conduite de ses enfants.
Collecte
Faites, s’il vous plaît, ô Dieu tout-puissant, qu’ayant achevé la célébration des fêtes pascales, nous en retenions l’esprit dans nos habitudes et dans notre vie. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Épître
Lecture de l’Épître du bienheureux Jean, Apôtre. 1, Chap. 5.
Mes bien-aimés, quiconque est né de Dieu est victorieux du monde ; et la victoire qui soumet le monde, c’est notre foi. Quel est celui qui triomphe du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C’est ce même Jésus-Christ qui est venu avec l’eau et le sang ; non seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et c’est l’Esprit qui rend témoignage que le Christ est la vérité. Car il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois sont une même chose. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l’Esprit, l’eau et le sang ; et ces trois sont une même chose. Si nous recevons le témoignage des hommes, celui de Dieu est plus grand. Or ce grand témoignage de Dieu, c’est celui qu’il a rendu au sujet de son Fils. Celui qui croit au Fils de Dieu, a en soi le témoignage de Dieu.
L’Apôtre saint Jean célèbre en ce passage le mérite et les avantages de la foi ; il nous la présente comme une victoire qui met le monde sous nos pieds, le monde qui nous entoure, et le monde qui est au dedans de nous. La raison qui a porté l’Église à faire choix pour aujourd’hui de ce texte de saint Jean se devine aisément, quand on voit le Christ lui-même recommander la foi dans l’Évangile de ce Dimanche. « Croire en Jésus-Christ, nous dit l’Apôtre, c’est vaincre le monde » ; celui-là n’a donc pas la foi véritable qui soumet sa foi au joug du monde. Croyons d’un cœur sincère, heureux de nous sentir enfants en présence de la vérité divine, toujours disposés à accueillir avec empressement le témoignage de Dieu. Ce divin témoignage retentira en nous, selon qu’il nous trouvera désireux de l’entendre toujours davantage. Jean, à la vue des linceuls qui avaient enveloppé le corps de son maître, se recueillit et il crut ; Thomas avait de plus que Jean l’attestation des Apôtres qui avaient vu Jésus ressuscité, et il ne croyait pas. Il n’avait pas soumis le monde à sa raison, parce que la foi n’était pas en lui.
Les deux Versets alleluiatiques sont formés de passages du saint Évangile qui ont rapport à la Résurrection. Le second retrace la grande scène qui eut lieu aujourd’hui même dans le Cénacle.
Alleluia, alleluia. V/. Au jour de ma résurrection, dit le Seigneur, je vous précéderai en Galilée. Alleluia. V/. Huit jours après, les portes étant fermées, Jésus parut au milieu de ses disciples, et il leur dit : La paix soit avec vous ! Alleluia.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 20.
En ce temps-là, sur le soir, le jour d’après le sabbat, les portes du lieu où les disciples étaient rassemblés étant fermées, de peur des Juifs, Jésus vint, et debout au milieu d’eux, il leur dit : La paix soit avec vous ! Et ayant dit ces mots, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent dans la joie de voir le Seigneur. Il leur dit de nouveau : La paix soit avec vous ! Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie. Cela dit, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. Or Thomas appelé Didyme, l’un des douze, n’était pas avec eux lorsque Jésus vint. Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt là où étaient les clous, et ma main dans son côté, je ne croirai point. Huit jours après, les disciples étant encore dans le même lieu, et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes fermées, et debout au milieu d’eux, il leur dit : La paix soit avec vous ! Puis il dit à Thomas : Mets ici ton doigt, et vois mes mains ; approche ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais fidèle. Thomas répondant lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, Thomas, tu as cru ; heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. Jésus fit encore devant ses disciples beaucoup d’autres miracles qui ne sont point écrits en ce livre ; mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Fils de Dieu, et qu’en le croyant vous ayez la vie en son nom.
Nous avons insisté suffisamment sur l’incrédulité de saint Thomas ; il est temps maintenant de glorifier la foi de cet Apôtre. Son infidélité nous a aidés à sonder notre peu de foi ; que son retour nous éclaire sur ce que nous avons à faire pour devenir de vrais croyants. Thomas a contraint le Sauveur, qui compte sur lui pour en faire une des colonnes de son Église, à descendre avec lui jusqu’à la familiarité ; mais à peine a-t-il introduit son doigt téméraire dans les plaies de son maître que, tout aussitôt, il se sent subjugué. Le besoin de réparer, par un acte solennel de foi, l’imprudence qu’il a commise en se croyant sage et prudent, se fait sentir à lui : il jette un cri, et ce cri est la protestation de foi la plus ardente qu’un homme puisse faire entendre : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Remarquez qu’il ne dit pas seulement ici que Jésus est son Seigneur, son Maître ; qu’il est bien le même Jésus dont il a été le disciple ; ce ne serait pas encore la foi. Il n’y a plus foi, quand on palpe l’objet. Thomas aurait eu la foi de la Résurrection, s’il avait cru sur le témoignage de ses frères ; maintenant, il ne croit plus simplement, il voit, il a l’expérience. Quel est donc le témoignage de sa foi ? C’est qu’il atteste en ce moment que son Maître est Dieu. Il ne voit que l’humanité de Jésus, et il proclame tout d’un coup la divinité de ce Maître. D’un seul bond, son âme loyale et repentante s’est élancée jusqu’à l’intelligence des grandeurs de Jésus : « Vous êtes mon Dieu ! » lui dit-il. 0 Thomas, d’abord incrédule, la sainte Église révère votre foi, et elle la propose pour modèle à ses enfants au jour de votre fête. La confession que vous avez faite aujourd’hui vient se placer d’elle-même à côté de celle que fit Pierre, lorsqu’il dit à Jésus : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ! » Par cette profession que ni la chair, ni le sang n’avaient inspirée, Pierre mérita d’être choisi pour être le fondement de l’Église ; la vôtre a fait plus que réparer votre faute ; elle vous rendit pour un moment supérieur à vos frères, que la joie de revoir leur Maître transportait, mais sur lesquels la gloire visible de son humanité avait fait jusqu’alors plus d’impression que le caractère invisible de sa divinité.
L’Offertoire est formé d’un passage historique de l’Évangile sur la résurrection du Sauveur.
Offertoire
L’Ange du Seigneur descendit du ciel, et il dit aux femmes : Celui que vous cherchez est ressuscité, ainsi qu’il l’avait dit. Alleluia.
Dans la Secrète, la sainte Église exprime l’enthousiasme dont le mystère de la Pâque est en elle la source ; et elle demande que cette joie se transforme en celle que doit nous apporter la Pâque de l’éternité.
Secrète
Daignez recevoir, Seigneur, les dons que votre Église vous offre dans sa joie ; et puisque vous lui avez donné le sujet d’une si vive allégresse, accordez-lui le fruit de l’éternelle félicité. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.
En distribuant aux néophytes et au reste du peuple fidèle l’aliment divin, l’Église rappelle, dans l’Antienne de la Communion, les paroles de Jésus à Thomas. Cet Apôtre pénétra de son doigt les membres sacrés du Sauveur : Jésus, dans la divine Eucharistie, se révèle à nous d’une manière plus intime encore ; mais pour profiter de la condescendance d’un maître si rempli de bonté, il nous faut avoir cette foi vive et courageuse qu’il recommanda à son Apôtre.
Communion
Porte ici ta main, et reconnais la place des clous, alleluia ; et ne sois plus incrédule, mais fidèle. Alleluia, alleluia.
L’Église conclut les prières du Sacrifice en demandant que le divin mystère institué pour soutenir notre faiblesse soit, dans le présent et dans l’avenir, le moyen efficace de notre persévérance.
Postcommunion
Nous vous supplions, Seigneur notre Dieu, que ces saints et sacrés mystères dont vous avez fait le rempart de notre régénération, soient pour nous le remède présent et celui de l’avenir. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.
À Vêpres
Dans les années où la fête de l’Annonciation de la Sainte Vierge est renvoyée au Lundi qui suit le Dimanche de Quasimodo, on chante aujourd’hui les premières Vêpres de cette grande solennité, et l’on fait seulement la commémoration du Dimanche, à la fin de l’Office. Dans les autres années, les Vêpres sont celles du Temps pascal, que l’on trouvera ci-dessus.
Antienne de Magnificat
Huit jours après, le Seigneur entra, les portes fermées, et leur dit : La paix soit avec vous ! Alleluia, alleluia.
Collecte
Faites, s’il vous plait, ô Dieu tout-puissant, qu’ayant achevé la célébration des fêtes pascales, nous en retenions l’esprit dans nos habitudes et dans notre vie. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Autres liturgies
Nous terminons la journée par cette belle prière dans laquelle l’Église gothique d’Espagne célèbre le mystère du huitième jour, octave de Pâques.
Oratio
Fils engendré du Père qui n’est engendré de personne, vous renouvelez aujourd’hui le culte de ce huitième jour, dans lequel vous vous offrîtes aux regards et à l’attouchement de vos disciples. Ce jour du Dimanche, bien qu’il ait précédé les autres, devient le huitième après que les sept premiers sont écoulés. En ce jour vous vous levâtes du sépulcre, vous vous séparâtes des morts ; en ce jour aussi vous entrez, les portes fermées, et vous accordez aux disciples votre chère visite. C’est ainsi que vous marquez, chacun par son mystère, le commencement et la fin de la Pâque ; votre résurrection épouvante les gardiens de votre tombeau, et votre apparition vient confirmer les cœurs chancelants des disciples. Quant à nous qui possédons la science de tous ces mystères, daignez faire que la foi par laquelle nous croyons, nous préserve du mal pour le jour où, après cette vie, nous paraîtrons devant vous. Que cette foi ne connaisse ni le doute qu’engendre la paresse de l’esprit, ni l’erreur que mène à sa suite une téméraire curiosité. Gardez en votre nom ceux que vous avez rachetés de votre précieux sang. Laissez-vous contempler à notre âme ; daignez pénétrer aussi dans notre cœur. Soyez toujours au milieu de nous, vous qui, étant au milieu de vos disciples, leur avez aujourd’hui annoncé la paix. Vous avez soufflé sur eux l’Esprit de vie, répandez aussi sur nous la consolation du même Esprit.
Enfin nous inviterons encore le pieux et mélodieux Adam de Saint‑Victor à nous prêter une de ses belles Séquences que nos Églises du moyen-âge aimaient tant, et dans lesquelles ce prince des poètes de la Liturgie a chanté avec tant d’abondance, et souvent avec tant de bonheur, le triomphe du Rédempteur sur la mort.
Séquence
Le renouvellement du monde a amené des joies nouvelles ; le Seigneur ressuscite, et tout ressuscite avec lui ; dociles à la voix de leur auteur, les éléments montrent par leur obéissance l’étendue de son pouvoir.
Le feu est devenu plus volatil, l’air a augmenté de transparence ; l’eau coule plus limpide, et la terre se tient plus ferme sur ses bases. La loi selon laquelle les corps légers s’élèvent, et les corps pesants tendent vers leur centre, est de nouveau déclarée : tout participe à la rénovation.
Le ciel est plus serein, la mer est plus tranquille, l’haleine du zéphyr plus douce. Notre vallée s’est couverte de fleurs ; la terre aride a retrouvé sa verdure ; le souffle du printemps a réchauffé sa surface engourdie.
Les glaces de la mort se sont fondues ; le prince du monde est renversé ; son empire sur nous est anéanti. En voulant retenir dans ses liens celui sur lequel ses droits étaient nuls, il a vu s’évanouir son pouvoir.
La vie a vaincu la mort ; l’homme recouvre les joies du Paradis qu’il avait perdues ; le Chérubin abaisse le glaive qu’il brandissait, et livre un passage facile.
Le Christ ouvre les cieux ; il délivre les captifs que le péché avait enchaînés sous les lois de la mort. Pour une si belle victoire, honneur au Père, honneur au Fils, honneur à l’Esprit-Saint ! Amen.