L’Année liturgique
La fête du Sacré-Cœur de Jésus
Un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Église, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l’Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d’abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénétré par la foi dans le sanctuaire de l’essence infinie. Puis, d’un seul bond, l’Esprit impétueux de la Pentecôte (Act. 2, 2), entraînant nos âmes à d’autres aspects de la vérité qu’il a pour mission de rappeler au monde (s. Jean 14, 26), les a laissées un long temps prosternées au pied de l’Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur (Psalm. 110, 4). Aujourd’hui c’est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu’il propose à nos adorations.
Partie noble entre toutes du corps de l’Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l’hommage réclamé par l’union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Église, il convient ici que nous la demandions de préférence à l’histoire de ce culte lui-même et à la place qu’occupe au Cycle sacré la solennité de ce jour.
Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l’Esprit n’est pas autre, en chacune d’elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste par la seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d’une fête à l’autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s’est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l’a portée l’inépuisable activité d’un amour sans bornes ? Le Cœur de l’Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l’explication du plan divin tout entier.
Nous savions que cette félicité souveraine du premier Être, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l’Esprit dans la lumière et l’amour, les trois divines personnes avaient résolu d’en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l’homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l’âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l’homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l’Esprit sanctificateur, s’unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; « bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l’Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu’il se montrera, nous lui serons semblables (1 s. Jean 3, 2), » étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles (Ibid. 1, 3).
Mais l’amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n’a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l’intermédiaire obligé d’un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d’une âme humaine, manifesté dans les battements d’un cœur de chair pareil au nôtre. L’Ange du grand conseil, chargé d’annoncer au monde les desseins miséricordieux de l’Ancien des jours, a revêtu, dans l’accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu’à nous (s. Jean 3, 1-2). Docile instrument de l’amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s’unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l’abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l’influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l’âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu’aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde (s. Jean 1, 9), et pénétrant par la claire vision dans l’essence divine, saisit d’un seul regard la beauté absolue du premier Être, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l’être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s’émut pour l’homme et pour Dieu d’un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l’Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.
À la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l’organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu’à ce que les émotions, s’éveillant avec l’intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l’Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l’origine à la loi d’un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu’il l’est maintenant dans les cieux. Car l’amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l’exquise sensibilité de son divin Cœur.
Quand il parut ici-bas, l’homme avait désappris l’amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n’était plus qu’un chemin par où l’âme s’enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors (s. Luc 15, 13). À ce monde matériel que l’âme de l’homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l’Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l’ineffable expression d’un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l’Esprit d’amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l’unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C’est l’unique organum, ainsi l’appelait Gertrude la Grande (Legatus divinae pietatis. Lib. 2, c. 23 ; Lib. 3, c. 25) ; c’est l’instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l’humble hommage de l’inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l’homme à Dieu, l’échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.
L’Esprit divin, dont il est le chef-d’œuvre, en a fait sa vivante image. L’Esprit-Saint, en effet, bien qu’il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l’amour, en est le terme ou l’expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c’est par lui que s’épanche à flots sur les créatures avec l’être et la vie cet amour éternel. Ainsi l’amour de l’Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible ; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l’eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.
« Un des soldats, dit l’Évangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l’eau (s. Jean 19, 34). » Arrêtons-nous sur ce fait de l’histoire évangélique qui donne à la fête d’aujourd’hui sa vraie base ; et comprenons l’importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l’insistance du disciple de l’amour non moins qu’à la solennité des expressions qu’il emploie. « Celui qui l’a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu’il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l’Écriture fût accomplie (Ibid. 35-36). » L’Évangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l’effusion de l’Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem (Zach. 12, 10). Et ils verront dans celui qu’ils ont percé (Ibid. ; s. Jean 19, 37), ajoutait le prophète.
Mais qu’y verront-ils, sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l’Écriture et de l’histoire du monde, à savoir que Dieu a tant aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (s. Jean 3, 16) ? »
Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l’attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain (s. Luc 3, 21-22), quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l’Élu du Père et l’objet des divines complaisances (Isaï. 42, I). Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu’à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse. « Il y en a trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois n’en font qu’un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l’Esprit, l’eau et le sang ; et ces trois concourent au même but… Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu’elle est dans son Fils (1 s. Jean 5, 7, 8, 11). » Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l’Homme-Dieu le dénouement de l’œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l’accomplissement des desseins éternels.
Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l’Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu’apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l’eau et le sang, Jésus-Christ ; et l’Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité (Ibid. 6), quand il dit de lui-même que la vie est en lui (s. Jean 5, 26, etc.). Car c’est l’Esprit, nous dit l’Évangile (Ibid. 7, 37-39), qui sort avec l’eau du Cœur sacré, des sources du Sauveur (Isaï. 12, 3), et nous rend dignes du sang divin qui l’accompagne. L’humanité, renaissant de l’eau et de l’Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu (s. Jean 3, 5) ; et, préparée pour l’Époux dans les flots du baptême, l’Église s’unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l’os de ses os et la chair de sa chair (Gen. 2, 23 ; Éph. 5, 30), associés pour l’éternité à sa vie divine dans le sein du Père.
Va donc, ô Juif ! ignorant les noces de l’Agneau, donne le signal de ces noces sacrées. Conduis l’Époux au lit nuptial ; qu’il s’étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l’alliance ; et que de son Cœur sorte l’Épouse, avec l’eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Épouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s’est élancé comme un géant dans la voie de l’amour ; la soif du désir a consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l’Épouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s’est endormi dans sa soif brûlante. Mais l’Épouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l’effort, s’est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s’est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l’humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?
Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l’Église naissante s’écrier à Dieu, dans l’ivresse de son cœur débordant : « Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, ô ma gloire! 0 réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion (Psalm. 107, 1-4). » Et le Seigneur s’est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Église. Car le Cœur de l’Époux appartient à l’Épouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair (Gen. 2, 24 ; Éph. 5, 31).
Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur (Cant. 4, 9), le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d’où elle est sortie. Là sera pour l’Église le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l’origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l’Église (Éph. 5, 32), l’homme est le chef (1 Cor. 11, 3), et il n’appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu’elle s’adresse au cœur, et que rien ne résiste à l’amour. Si Adam a péché, c’est qu’Ève a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l’Église a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s’appuie, la dévotion au Sacré‑Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l’Église, puisqu’elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l’Époux et l’Église l’Épouse.
Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n’exposaient point autrement que nous ne l’avons fait le mystère de la formation de l’Église du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent. « Les initiés connaissent l’ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l’Église a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t’approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ (In Johan. Hom. 84).» — « L’Evangéliste, explique saint Augustin, a usé d’une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu’elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C’était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l’ordre d’ouvrir au côté de l’arche, pour l’entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l’Église (In Johan. Tract, 120). »
« Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée (Isaï. 2, 10), dans le côté du Christ », interprète pareillement au 12ème iècle un disciple de saint Bernard, le Bienheureux Guerric, abbé d’Igny (In Domin. Palm. Serm. 4). Et l’Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille (Cant. 2, 14) : « Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l’oiseau de proie volant à l’entour !… Que verrons-nous par l’ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu’à son Cœur, voici qu’est révélé l’arcane, l’arcane du Cœur, le mystère de l’amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu’y a-t-il en vous, ô Seigneur, que des trésors d’amour, des richesses de bonté ? J’irai, j’irai à ces celliers d’abondance ; docile à la voix du prophète (Jérém. 48, 28), j’abandonnerai les villes, j’habiterai dans la pierre, j’aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse (Exod. 33, 22) à l’entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur (In Cant. Serm. 61). » Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Ève du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille (1 Reg. 18, 10-11), comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n’était que la figure, dans la pierre qui est le Christ (1 Cor. 10, 4), la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes (Lignum vitae).
Mais nous ne pouvons qu’effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l’ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur. Le Cœur sacré, organe de l’amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l’intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Église.
Le 27 janvier 1281, au monastère bénédictin d’Helfta, près Eisleben, en Saxe, l’Époux divin se révélait à l’épouse qu’il avait choisie pour l’introduire dans ses secrets et ses réserves les plus écartées. Mais ici nous céderons la parole à une voix plus autorisée que la nôtre. Gertrude, en la vingt-cinquième année de son âge, a été saisie par l’Esprit, dit en la Préface de sa traduction française l’éditeur du Legatus divinae pietatis : elle a reçu sa mission, elle a vu, entendu, touché ; plus encore, elle a bu à cette coupe du Cœur divin qui enivre les élus, elle y a bu quand elle était encore en cette vallée d’absinthe, et ce qu’elle a pris à longs traits, elle l’a reversé sur les âmes qui voudront le recueillir et s’en montreront saintement avides. Sainte Gertrude eut donc pour mission de révéler le rôle et l’action du Cœur divin dans l’économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes ; et sur ce point important nous ne séparerons pas d’elle sainte Mechtilde, sa compagne.
« L’une et l’autre, à l’égard du Cœur du Dieu fait homme, se distinguent entre tous les Docteurs spirituels et tous les mystiques des âges divers de l’Église. Nous n’en excepterons pas les Saints de ces derniers siècles, par lesquels Notre-Seigneur a voulu qu’un culte public, officiel, fût rendu à son Cœur sacré : ils en ont porté la dévotion dans toute l’Église ; mais ils n’en ont pas exposé les mystères multiples, universels, avec l’insistance, la précision, la perfection qui se rencontrent dans les révélations de nos deux Saintes.
« Le Disciple bien-aimé de Jésus, qui avait reposé sur son sein, en la Cène, et avait pu entendre les battements de ce Cœur divin, qui sur la croix l’avait vu percé par la lance du soldat, en dévoila à Gertrude la glorification future, lorsqu’elle lui demanda pourquoi il avait gardé sous le silence ce qu’il avait senti lorsqu’il reposait sur ce Cœur sacré : « Ma mission, dit-il, fut d’écrire pour l’Église encore jeune un seul mot du Verbe incréé de Dieu le Père, lequel pourrait suffire à toute la race des hommes jusqu’à la fin du monde, sans toutefois que jamais personne le comprît dans sa plénitude. Mais le langage de ces bienheureux battements du Cœur du Seigneur est réservé pour les derniers temps, alors que le monde vieilli et refroidi dans l’amour divin devra se réchauffer à la révélation de ces mystères. » (Le héraut de l’amour divin, livre 4, c. 4.)
« Gertrude fut choisie pour cette révélation, et ce qu’elle en a dit dépasse tout ce que l’imagination de l’homme aurait jamais pu concevoir. Tantôt le Cœur divin lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses ; tantôt c’est une lyre touchée par l’Esprit-Saint, aux sons de laquelle se réjouissent la très sainte Trinité et toute la Cour céleste. Puis, c’est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du Purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre, et ces torrents de délices où s’enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C’est un encensoir d’or, d’où s’élèvent autant de divers parfums d’encens qu’il y a de races diverses d’hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c’est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le Prêtre éternel s’immole lui-même. C’est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c’est une coupe où s’abreuvent les Saints, mais non les Anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçue et élaborée, elle en est le doux fruit. Par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d’hommages dus à Dieu, à la Sainte Vierge et aux Saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait notre serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres revêtent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la Majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. À la fin, c’est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s’ouvre aux âmes, à leur départ de ce monde, pour les y conserver dans d’ineffables délices pour l’éternité[1]. »
En découvrant à Gertrude l’ensemble merveilleux que présente la traduction de l’amour infini dans le Cœur de l’Homme-Dieu, l’Esprit divin prévenait l’enfer au lieu même d’où devait surgir, deux siècles plus tard, l’apôtre des théories les plus opposées. En 1483, Luther naissait à Eisleben ; et son imagination désordonnée posait les bases de l’odieux système qui allait faire du Dieu très bon qu’avaient connu ses pères l’auteur direct du mal et de la damnation, créant le pécheur pour le crime et les supplices éternels, à la seule fin de manifester son autocratie toute‑puissante. Calvin bientôt précisait plus encore, en enserrant les blasphèmes du révolté saxon dans les liens de sa sombre et inexorable logique. La queue du dragon, par ces deux hommes, entraîna la troisième partie des étoiles du ciel (Apoc. 12, 4). Se transformant hypocritement au 17ème siècle, changeant les mots, mais non les choses, l’ennemi tenta de pénétrer au sein même de l’Église et d’y faire prévaloir ses dogmes impies : sous prétexte d’affirmer les droits du domaine souverain du premier Être, le Jansénisme oubliait sa bonté. Celui qui a tant aimé le monde voyait les hommes, découragés ou terrifiés, s’éloigner toujours plus de ses intentions miséricordieuses.
Il était temps que la terre se souvînt que le Dieu très-haut l’avait aimée d’amour, qu’il avait pris un Cœur de chair pour mettre à la portée des hommes cet amour infini, et que ce Cœur humain, le Christ en avait fait usage selon sa nature, pour nous aimer comme on aime dans la famille d’Adam le premier père (Osé. 11, 4), tressaillir de nos joies, souffrir de nos tristesses, et jouir ineffablement de nos retours à ses divines avances. Qui donc serait chargé d’accomplir la prophétie de Gertrude la Grande ? Quel autre Paul, quel nouveau Jean manifesterait au monde vieilli le langage des bienheureux battements du divin Cœur?
Laissant de côté tant d’illustrations d’éloquence et de génie qui remplissaient alors de leur insigne renommée l’Église de France, le Dieu qui fait choix des petits pour confondre les forts (1 Cor. 1, 27) avait désigné, pour la manifestation du Cœur sacré, la religieuse inconnue d’un obscur monastère. Comme au 13ème siècle il avait négligé les Docteurs et les grands Saints eux-mêmes de cet âge, pour solliciter auprès de la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon l’institution de la fête du Corps du Seigneur, il demande de même la glorification de son Cœur divin par une fête solennelle à l’humble Visitandine de Paray-le-Monial, que le monde entier connaît et vénère aujourd’hui sous le nom de la Bienheureuse Marguerite-Marie.
Marguerite-Marie reçut donc pour mission de faire descendre des mystiques sommets, où il était resté comme la part cachée de quelques âmes bénies, le trésor révélé à sainte Gertrude. Elle dut le proposer à toute la terre, en l’adaptant à cette vulgarisation sublime. Il devint en ses mains le réactif suprême offert au monde contre le froid qui s’emparait de ses membres et de son cœur engourdis par l’âge, l’appel touchant aux réparations des âmes fidèles pour tous les mépris, tous les dédains, toutes les froideurs et tous les crimes des hommes des derniers temps contre l’amour méconnu du Christ Sauveur.
« Étant devant le Saint-Sacrement un jour de son Octave (en juin 1675), raconte elle-même la Bienheureuse, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour. Et me sentant touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour, il me dit : « Tu ne m’en peux rendre un plus grand qu’en faisant ce que je t’ai déjà tant de fois demandé. » Alors me découvrant son divin Cœur : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné, jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. Mais ce qui m’est encore le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C’est pour cela que je te demande que le premier vendredi d’après l’Octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d’honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu’il a reçues pendant le temps qu’il a été exposé sur les autels. Je te promets aussi que mon Cœur se dilatera pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procureront qu’il lui soit rendu (Vie de la Bienheureuse écrite par elle-même). »
En appelant sa servante à être l’instrument de la glorification de son divin Cœur, l’Homme-Dieu faisait d’elle un signe de contradiction, comme il l’avait été lui-même (s. Luc 2, 34). Il fallut dix ans et plus à Marguerite-Marie pour surmonter, à force de patience et d’humilité, la défiance de son propre entourage, les rebuts de ses Sœurs, les épreuves de tout genre. Cependant, le 21 juin 1686, vendredi après l’Octave du Saint-Sacrement, elle eut enfin la consolation de voir la petite communauté de Paray-le-Monial prosternée au pied d’une image où le Cœur de Jésus percé par la lance était représenté seul, entouré de flammes et d’une couronne d’épines, avec la croix au-dessus et les trois clous. Cette même année, fut commencée dans le monastère la construction d’une chapelle en l’honneur du Sacré-Cœur ; la Bienheureuse eut la joie de voir bénir le modeste édifice quelque temps avant sa mort, arrivée l’an 1690. Mais il y avait loin encore de ces humbles débuts à l’établissement d’une fête proprement dite, et à sa célébration dans l’Église entière.
Déjà cependant la Providence avait pris soin de susciter, dans le même siècle, à la servante du Sacré-Cœur un précurseur puissant en parole et en œuvres. Né à Ri, au diocèse de Séez, en 1601, le Vénérable Jean Eudes avait porté partout, dans ses innombrables missions, la vénération et l’amour du Cœur de l’Homme-Dieu qu’il ne séparait pas de celui de sa divine Mère. Dès 1664, il creusait à Caen les fondations de la première église du monde, dit-il lui-même, qui porte le nom de l’église du Très-Saint Cœur de Jésus et de Marie[2] ; » et Clément X, en 1674, approuvait cette dénomination. Après s’être borné longtemps à célébrer, dans la Congrégation qu’il avait fondée, la fête du très saint Cœur de Marie en unité de celui de Jésus, le Père Eudes voulut y établir une fête spéciale en l’honneur du Cœur sacré du Sauveur ; le 8 février demeura assigné à la fête du Cœur de la Mère, et le 20 octobre fut déterminé pour honorer celui de son divin Fils. L’Office et la Messe que le Vénérable composa à cette fin, en 1670, furent approuvés pour ses séminaires, dès cette année et la suivante, par l’évêque de Rennes et les évêques de Normandie. Cette même année 1670 les vit insérer au Propre de l’abbaye royale de Montmartre. En 1674, la fête du Sacré-Cœur était également célébrée chez les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cependant on peut dire que la fête établie par le Père Eudes ne sortit guère des maisons qu’il avait fondées ou de celles qui recevaient plus directement ses inspirations. Elle avait pour objet de promouvoir la dévotion au Cœur de l’Homme-Dieu, telle qu’elle ressort du dogme même de la divine Incarnation, et sans but particulier autre que de lui rendre les adorations et les hommages qui lui sont dus. C’était à la Bienheureuse Marguerite‑Marie qu’il était réservé de présenter aux hommes le Cœur sacré comme la grande voie de réparation ouverte à la terre. Confidente du Sauveur et dépositaire de ses intentions précises sur le jour et le but que le ciel voulait voir assigner à la nouvelle fête, ce fut elle qui resta véritablement chargée de la promulguer pour le monde et d’amener sa célébration dans l’Église universelle.
Pour obtenir ce résultat qui dépassait les forces personnelles de l’humble Visitandine, le Seigneur avait rapproché mystérieusement de Marguerite-Marie l’un des plus saints Religieux que possédât alors la Compagnie de Jésus, le R. P. Claude de la Colombière. Il reconnut la sainteté des voies par où l’Esprit divin conduisait la Bienheureuse, et se fit l’apôtre dévoué du Sacré-Cœur, à Paray d’abord, et jusqu’en Angleterre, où il mérita le titre glorieux de confesseur de la foi dans les rigueurs des prisons protestantes. Ce fervent disciple du Cœur de l’Homme-Dieu mourait en 1682, épuisé de travaux et de souffrances. Mais la Compagnie de Jésus tout entière hérita de son zèle à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Bientôt s’organisèrent des confréries nombreuses, de tous côtés on éleva des chapelles en l’honneur de ce Cœur sacré. Mais l’enfer s’indigna de cette grande prédication d’amour ; les Jansénistes frémirent à cette apparition soudaine de la bonté et de l’humanité du Dieu Sauveur (Tit. 3, 4), qui prétendait ramener la confiance dans les âmes où ils avaient semé la crainte. On cria à la nouveauté, au scandale, à l’idolâtrie ou tout au moins à la dissection inconvenante des membres sacrés de l’humanité du Christ ; et pendant que s’entassaient à grands frais d’érudition dissertations théologiques et physiologiques, les gravures les moins séantes étaient répandues, des plaisanteries de mauvais goût mises en vogue, tous les moyens employés pour tourner en ridicule ceux qu’on appelait les Cordicoles.
Cependant l’année 1720 voyait fondre sur Marseille un fléau redoutable : apportée de Syrie sur un navire, la peste faisait bientôt plus de mille victimes par jour dans la cité de saint Lazare. Le Parlement janséniste de Provence était en fuite, et l’on ne savait où s’arrêterait le progrès toujours croissant de l’affreuse contagion, quand l’évêque, Mgr de Belzunce, réunissant les débris de son clergé fidèle et convoquant son troupeau sur le Cours qui depuis a pris le nom de l’héroïque pasteur, consacra solennellement son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Dès ce moment, le fléau diminua ; et il avait cessé entièrement, lorsque, deux ans plus tard, il reparut, menaçant de recommencer ses ravages. Il fut arrêté sans retour à la suite du vœu célèbre par lequel les échevins s’engagèrent, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, aux actes solennels de religion qui ont fait jusqu’à nos jours la sauvegarde de Marseille et sa gloire la plus pure.
Ces événements, dont le retentissement fut immense, amenèrent la fête du Sacré-Cœur à sortir des monastères de la Visitation où elle avait commencé de se célébrer au jour fixé par Marguerite‑Marie, avec la Messe et l’Office du P. Eudes. On la vit, à partir de là, se répandre dans les diocèses. Lyon toutefois avait précédé Marseille. Autun vint en troisième lieu. On ne croyait pas alors en France qu’il fût nécessaire de recourir à l’autorité du Souverain Pontife pour l’établissement de nouvelles fêtes. Déférant aux vœux de la pieuse reine Marie Leczinska, les prélats qui formaient l’Assemblée de 1765 prirent une résolution pour établir la fête dans leurs diocèses, et engager leurs collègues à imiter cet exemple.
Mais la sanction formelle du Siège apostolique ne devait pas manquer plus longtemps à ces efforts de la piété catholique envers le divin Cœur. Rome avait déjà accordé de nombreuses indulgences aux pratiques privées, érigé par brefs d’innombrables confréries, lorsqu’en cette même année 1765, Clément XIII, cédant aux instances des évêques de Pologne et de l’archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, rendit le premier décret pontifical en faveur de la fête du Cœur de Jésus, et approuva pour cette fête une Messe et un Office. Des concessions locales étendirent peu à peu cette première faveur à d’autres Églises particulières, jusqu’à ce qu’enfin, le 23 août 1856, le Souverain Pontife Pie IX, de glorieuse mémoire, sollicité par tout l’Épiscopat français, rendit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur et en ordonnait la célébration dans l’Église universelle. Trente-trois ans plus tard, Léon XIII élevait au rite de première classe la solennité que son prédécesseur avait établie.
La glorification du Cœur de Jésus appelait celle de son humble servante. Le 18 septembre 1864 avait vu la béatification de Marguerite-Marie proclamée solennellement par le même Pontife qui venait de donner à la mission qu’elle avait reçue la sanction définitive du Siège apostolique.
Depuis lors, la connaissance et l’amour du Sacré-Cœur ont progressé plus qu’ils n’avaient fait dans les deux siècles précédents. On a vu par tout le monde communautés, ordres religieux, diocèses, se consacrant à l’envi à cette source de toute grâce, seul refuge de l’Église en ces temps calamiteux. Les peuples se sont ébranlés en de dévots pèlerinages ; des multitudes ont passé les mers, pour apporter leurs supplications et leurs hommages au divin Cœur en cette terre de France, où il lui a plu de manifester ses miséricordes. Elle-même si éprouvée, notre patrie tourne les yeux, comme espoir suprême, vers le splendide monument qui s’élève sur le mont arrosé par le sang des martyrs ses premiers apôtres, et, dominant sa capitale, attestera pour les siècles futurs la foi profonde et la noble confiance qu’a su garder, dans ses malheurs, celle qui naquit et demeure à jamais la Fille aînée de la sainte Église.
O Cœur sacré, qui fûtes le lien de cette union puissante et si féconde, daignez rapprocher toujours plus votre Église et la France ; et qu’unies aujourd’hui dans l’épreuve, elles le soient bientôt dans le salut pour le bonheur du monde !
(Depuis la publication de l’Année Liturgique la fête du Sacré-Cœur de Jésus a été étendue au monde entier par le pape Pie XI qui composa un nouveau propre de la messe. Nous ne donnons donc pas le commentaire de l’Année Liturgique sur la messe. Note de l’éditeur.)
Hymnes
Nous réunissons ici l’Hymne des Vêpres et celles des Matines et des Laudes, qui sont également fort belles et très profondes de doctrine.
Hymne des vêpres
Divin créateur de ce monde, ô Christ Rédempteur de tous, lumière issue de la lumière du Père, vrai Dieu engendré par le vrai Dieu.
Votre amour vous contraignit de prendre un corps mortel, pour nous rendre, nouvel Adam, les dons que l’ancien nous avait dérobés.
Cet amour puissant qui créa la terre, la mer et les cieux, fut ému de compassion pour la faute de nos premiers parents, il se dévoua pour briser nos chaînes.
Qu’elle demeure donc toujours dans votre Cœur, cette puissance d’un si noble amour ; que ce Cœur soit toujours la fontaine où les âmes aillent puiser la grâce du pardon.
C’est pour cela que ce Cœur fut percé de la lance, qu’il fut traversé par une blessure sacrée, afin que nous fussions lavés de nos souillures par l’eau et le sang qui en jaillirent.
Gloire soit au Père, et au Fils, et à l’Esprit Saint, dont la puissance, la gloire et la royauté demeurent à jamais.
Amen.
Hymne de Matines
Dans leur orgueil, dans leur cruauté, nos crimes se sont réunis ; ils ont blessé le Cœur d’un Dieu, ce Cœur innocent digne d’un tout autre sort.
Nos péchés dirigeaient la lance du soldat qui le transperça : le crime qui donne la mort avait aiguisé la pointe de ce fer cruel.
Appelée aux honneurs d’Épouse, l’Église est née de la blessure du Cœur du Christ. Cette blessure est la porte qui s’ouvrait au flanc de l’arche où le genre humain devait trouver le salut.
Comme un fleuve à sept courants, la grâce jaillit sans cesse de ce Cœur ; et nous pouvons purifier dans le sang de l’Agneau toutes les souillures de nos vêtements.
Quelle honte de retourner au péché qui déchire ce noble Cœur ! allumons plutôt dans nos cœurs la flamme d’amour qui le consume.
Faites-nous cette grâce, ô Christ ! ô Père ! ô Esprit-Saint ! vous dont la puissance, la gloire et la royauté demeurent à jamais. Amen.
Hymne de Laudes
Cœur sacré, vous êtes l’arche qui contient la loi, non la loi de l’antique servitude, mais la loi de grâce, de pardon et de miséricorde.
Cœur sacré, vous êtes le sanctuaire très pur de la nouvelle alliance, le temple nouveau plus saint que l’ancien temple, le voile dont la rupture nous fut plus utile que celle de l’ancien voile.
Votre charité supporta la blessure que vous fit le coup de la lance ; alors la blessure de l’amour invisible apparut à nos regards et à nos adorations.
En ce Cœur, symbole d’amour, le Christ prêtre offrit, par la souffrance, le double Sacrifice, sanglant et mystique.
Qui n’aimerait celui qui aime ? Quel racheté n’aimerait son Rédempteur ? Qui refuserait d’établir dans ce Cœur sa demeure pour l’éternité ?
Gloire soit au Père, et au Fils, et à l’Esprit-Saint, dont la puissance, la gloire et la royauté demeurent à jamais. Amen.
[1] Préface des Révélations de Sainte Gertrude traduites sur la nouvelle édition latine des Bénédictins de Solesmes.
[2] Le Cœur admirable de la T. Sacrée Mère de Dieu, Épître dédicatoire. Le séminaire des Eudistes à Caen, pour lequel fut bâtie cette église ou chapelle, est aujourd’hui l’Hôtel-de-Ville.