Fête de la Sainte Trinité

Dom Guéranger ~L’année liturgique
Fête de la Sainte Trinité

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Nous avons vu les saints Apôtres, au jour de la Pentecôte, recevoir l’effusion de l’Esprit-Saint, et bientôt, fidèles à l’ordre du Maître (s. Matth. 28, 19), ils vont partir pour aller enseigner toutes les nations, et baptiser les hommes au nom de la sainte Trinité. Il était donc juste que la solennité qui a pour but d’honorer Dieu unique en trois personnes suivît immédiatement celle de la Pentecôte à laquelle elle s’enchaîne par un lien mystérieux. Cependant, ce n’est qu’après de longs siècles qu’elle est venue s’inscrire sur le Cycle de l’Année liturgique, qui va se complétant par le cours des âges.

Tous les hommages que la Liturgie rend à Dieu ont pour objet la divine Trinité. Les temps sont à elle comme l’éternité ; elle est le dernier terme de notre religion tout entière. Chaque jour, chaque heure lui appartiennent. Les fêtes instituées en commémoration des mystères de notre salut aboutissent toujours à elle. Celles de la très sainte Vierge et des Saints sont autant de moyens qui nous conduisent à la glorification du Seigneur unique en essence et triple en personnes. Quant à l’Office divin du Dimanche en particulier, il fournit chaque semaine l’expression spécialement formulée de l’adoration et du service envers ce mystère, fondement de tous les autres et source de toute grâce.

On comprend dès lors comment il se fait que l’Église ait tardé si longtemps d’instituer une fête spéciale en l’honneur de la sainte Trinité. La raison ordinaire de l’institution des fêtes manquait ici totalement. Une fête est le monument d’un fait qui s’est accompli dans le temps, et dont il est à propos de perpétuer le souvenir et l’influence : or, de toute éternité, avant toute création, Dieu vit et règne, Père, Fils et Saint-Esprit. Cette institution ne pouvait donc consister qu’à établir sur le Cycle un jour particulier où les chrétiens s’uniraient d’une manière en quelque sorte plus directe dans la glorification solennelle du mystère de l’unité et de la trinité dans une même nature divine.

La pensée s’en présenta d’abord à quelques-unes de ces âmes pieuses et recueillies qui reçoivent d’en haut le pressentiment des choses que l’Esprit-Saint opérera plus tard dans l’Église. Dès le 8ème siècle, le savant moine Alcuin, rempli de l’esprit de la sainte Liturgie, comme ses écrits en font foi, crut le moment venu de rédiger une Messe votive en l’honneur du mystère de la sainte Trinité. Il paraît même y avoir été incité par un désir de l’illustre apôtre de la Germanie, saint Boniface. Cette Messe, simplement votive, n’était toutefois qu’un secours pour la piété privée, et rien n’annonçait que l’institution d’une fête en sortirait un jour. Cependant la dévotion à cette Messe s’étendit peu à peu, et nous la voyons acceptée en Allemagne par le concile de Seligenstadt, en 1022.

Mais à cette époque déjà, une fête proprement dite de la Sainte‑Trinité avait été inaugurée dans l’une des églises de la pieuse Belgique, dans celle-là même qu’une autre grâce prédestinait à enrichir le Cycle chrétien d’un de ses signes les plus resplendissants. Etienne, évêque de Liège, instituait solennellement la fête de la Sainte-Trinité dans son Église en 920, et faisait composer un Office complet en l’honneur du mystère. La disposition du droit commun qui réserve aujourd’hui au Siège apostolique l’institution des nouvelles fêtes n’existait pas encore, et Riquier, successeur d’Étienne sur le siège de Liège, maintint l’œuvre de son prédécesseur.

Elle s’étendit peu à peu, et il paraît que l’Ordre monastique lui fut promptement favorable ; car nous voyons, dès les premières années du 11ème siècle, Bernon, abbé de Reichnaw, s’occuper de sa propagation. À Cluny, la fête s’établit d’assez bonne heure dans le cours du même siècle, comme on le voit par l’Ordinaire de cet illustre monastère rédigé en 1091, où elle se trouve mentionnée comme étant instituée depuis un temps déjà assez long.

Sous le pontificat d’Alexandre II, qui siégea de 1061 à 1073, l’Église Romaine, qui souvent sanctionna, en les adoptant, les usages des Églises particulières, fut mise en mesure de porter un jugement sur cette nouvelle institution. Le Pontife, dans une de ses Décrétales, tout en constatant que la fête est déjà répandue en beaucoup de lieux, déclare que l’Église Romaine ne l’a pas acceptée, par cette raison que chaque jour l’adorable Trinité est sans cesse invoquée par la répétition de ces paroles : Gloria Patri, et Filio, et Spiritui Sancto, et dans un grand nombre d’autres formules de louange[1].

Cependant la fête continuait à se répandre, comme l’atteste le Micrologue ; et dans la première partie du 12ème siècle, le docte abbé Rupert, que l’on peut appeler avec raison l’un des princes de la science liturgique, proclamait déjà la convenance de cette institution, s’exprimant à son sujet comme nous le ferions aujourd’hui, dans ces termes remarquables : « Aussitôt après avoir célébré la solennité de l’avènement du Saint-Esprit, nous chantons la gloire de la sainte Trinité dans l’Office du Dimanche qui suit, et cette disposition est très à propos ; car aussitôt après la descente de ce divin Esprit, commencèrent la prédication et la croyance, et, dans le baptême, la foi et la confession du nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit[2]. »

En Angleterre, l’établissement de la fête de la Sainte-Trinité eut pour auteur principal le glorieux martyr saint Thomas de Cantorbéry ; ce fut en 1162 qu’il l’institua dans son Église, en mémoire de sa consécration épiscopale qui avait eu lieu le premier Dimanche après la Pentecôte. Pour la France, nous trouvons, en 1260, un concile d’Arles présidé par l’archevêque Florentin, qui, dans son sixième canon, inaugure solennellement la fête, en y ajoutant le privilège d’une Octave. Dès 123o, l’Ordre de Cîteaux, répandu dans l’Europe entière, l’avait instituée pour toutes ses maisons ; et Durand de Mende, dans son Rational, donne lieu de conclure que le plus grand nombre des Églises latines, dans le cours du 13ème siècle, jouissaient déjà de la célébration de cette fête. Parmi ces Églises, il s’en trouvait quelques-unes qui la plaçaient, non au premier, mais au dernier Dimanche après la Pentecôte, et d’autres qui la célébraient deux fois : d’abord en tête de la série des Dimanches qui suivent la solennité de la Pentecôte, et une seconde fois au Dimanche qui précède immédiatement l’Avent. Tel était en particulier l’usage des Églises de Narbonne, du Mans et d’Auxerre.

On pouvait dès lors prévoir que le Siège apostolique finirait par sanctionner une institution que la chrétienté aspirait à voir établie partout. Jean XXII, qui occupa la chaire de saint Pierre jusqu’en 1334, consomma l’œuvre par un décret dans lequel l’Église Romaine acceptait la fête de la Sainte-Trinité et l’étendait à toutes les Églises.

Si l’on cherche maintenant le motif qui a porté l’Église, dirigée en tout par l’Esprit-Saint, à assigner ainsi un jour spécial dans l’année pour rendre un hommage solennel à la divine Trinité, lorsque toutes nos adorations, toutes nos actions de grâces, tous nos vœux, en tout temps, montent vers elle, on le trouvera dans la modification qui s’introduisait alors sur le calendrier liturgique. Jusque vers l’an 1000, les fêtes des Saints universellement honorés y étaient très rares. Après cette époque, elles y apparaissent plus nombreuses, et il était à prévoir qu’elles s’y multiplieraient toujours davantage. Un temps devait venir où l’Office du Dimanche, qui est spécialement consacré à la sainte Trinité, céderait fréquemment la place à celui des Saints que ramène le cours de l’année. Il devenait donc nécessaire, pour légitimer en quelque sorte ce culte des serviteurs au jour consacré à la souveraine Majesté, qu’une fois du moins dans l’année, le Dimanche offrit l’expression pleine et directe de cette religion profonde que le culte tout entier de la sainte Église professe envers le souverain Seigneur, qui a daigné se révéler aux hommes dans son Unité ineffable et dans son éternelle Trinité.

L’essence de la foi chrétienne consiste dans la connaissance et l’adoration de Dieu unique en trois personnes. C’est de ce mystère que sortent tous les autres ; et si notre foi s’en nourrit ici-bas comme de son aliment suprême, en attendant que sa vision éternelle nous ravisse dans une félicité sans fin, c’est qu’il a plu au souverain Seigneur de s’affirmer tel qu’il est à notre humble intelligence, tout en demeurant dans sa « lumière inaccessible (1 Tim. 6, 16) ». La raison humaine peut arriver à connaître l’existence de Dieu comme créateur de tous les êtres, elle peut prendre une idée de ses perfections en contemplant ses œuvres ; mais la notion de l’être intime de Dieu ne pouvait arriver jusqu’à nous que par la révélation qu’il a daigné nous en faire.

Or, le Seigneur voulant nous manifester miséricordieusement son essence, afin de nous unir à lui plus étroitement et de nous préparer en quelque façon à la vue qu’il doit nous donner de lui‑même face à face dans l’éternité, nous a conduits successivement de clarté en clarté, jusqu’à ce que nous fussions suffisamment éclairés pour reconnaître et adorer l’Unité dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité. Durant les siècles qui précèdent l’Incarnation du Verbe éternel, Dieu semble préoccupé surtout d’inculquer aux hommes l’idée de son unité ; car le polythéisme devient de plus en plus le mal du genre humain, et la notion même de la cause spirituelle et unique de toutes choses se fût éteinte sur la terre, si la bonté souveraine n’eût opéré constamment pour sa conservation.

Ce n’est pas cependant que les livres de l’ancienne alliance soient entièrement muets sur les trois divines personnes, dont les ineffables relations sont éternelles en Dieu ; mais ces textes mystérieux demeuraient inaccessibles au vulgaire, tandis que, dans l’Église chrétienne, l’enfant de sept ans répond à qui l’interroge qu’en Dieu trois personnes divines n’ont qu’une même nature et qu’une même divinité. Lorsque, dans la Genèse, Dieu dit au pluriel : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance (Gen. 1, 26) », l’Israélite s’incline et croit, mais sans comprendre ; éclairé par la révélation complète, le chrétien adore distinctement les trois personnes dont l’action s’est exercée dans la formation de l’homme, et, la lumière de la foi développant sa pensée, il arrive sans effort à retrouver en lui-même la ressemblance divine. Puissance, intelligence, volonté : ces trois facultés sont en lui, et il n’est qu’un seul être.

Salomon dans les Proverbes, le livre de la Sagesse, l’Ecclésiastique, parle avec magnificence de la Sagesse éternelle. Son unité avec l’essence divine et sa distinction personnelle éclatent en même temps dans un langage abondant et sublime ; mais qui percera le nuage ? Isaïe a entendu la voix des Séraphins retentir autour du trône de Dieu. Ils criaient alternativement dans une jubilation éternelle : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur (Isai., 6, 3) ! » Qui expliquera aux hommes ce trois fois Saint dont la louange envoie ses échos jusqu’à notre terrestre région ? Dans les Psaumes, dans les écrits prophétiques, un éclair sillonne tout à coup le ciel ; une triple splendeur a ébloui le regard de l’homme ; mais l’obscurité devient bientôt plus profonde, et le sentiment de l’unité divine demeure seul distinct au fond de l’âme, avec celui de l’incompréhensibilité de l’être souverain.

Il fallait que la plénitude des temps fût accomplie ; alors Dieu enverrait en ce monde son Fils unique engendré de lui éternellement. Il a accompli ce dessein de sa divine munificence, « et le Verbe fait chair a habité parmi nous (s. Jean 1, 14) ». En voyant sa gloire, qui est celle du Fils unique du Père (Ibid.), nous avons connu qu’en Dieu il y a Père et Fils. La mission du Fils sur la terre, en nous le révélant lui-même, nous apprenait que Dieu est Père éternellement ; car tout ce qui est en Dieu est éternel. Sans cette révélation miséricordieuse qui anticipe pour nous sur la lumière que nous attendons après cette vie, notre connaissance de Dieu serait demeurée par trop imparfaite. Il convenait qu’il y eût enfin relation entre la lumière de la foi et celle de la vision qui nous est réservée, et il ne suffisait plus à l’homme de savoir que Dieu est un.

Maintenant nous connaissons le Père, duquel, comme nous dit l’Apôtre, dérive toute paternité même sur la terre (Éph., 3, 15). Pour nous, le Père n’est plus seulement un pouvoir créateur produisant les êtres en dehors de lui ; notre œil respectueux, conduit par la foi, pénètre jusque dans le sein de la divine essence, et là nous contemplons le Père engendrant un Fils semblable à lui-même. Mais, pour nous l’apprendre, le Fils est descendu jusqu’à nous. Lui-même le dit expressément : « Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui il a plu au Fils de le révéler (s. Matth. 11, 27) ». Gloire soit donc au Fils qui a daigné nous manifester le Père, et gloire au Père que le Fils nous a révélé !

Ainsi la science intime de Dieu nous est venue par le Fils, que le Père, dans son amour, nous a donné (s. Jean 3, 16) ; et afin d’élever nos pensées jusqu’à sa nature divine, ce Fils de Dieu, qui s’est revêtu de notre nature humaine dans son Incarnation, nous a enseigné que son Père et lui sont un (Ibid., 16, 22), qu’ils sont une même essence dans la distinction des personnes. L’un engendre, l’autre est engendré ; l’un s’affirme puissance, l’autre sagesse, intelligence. La puissance ne peut être sans l’intelligence, ni l’intelligence sans la puissance, dans l’être souverainement parfait ; mais l’un et l’autre appellent un troisième terme.

Le Fils, qui a été envoyé par le Père, est monté dans les cieux avec sa nature humaine qu’il s’est unie pour l’éternité, et voici que le Père et le Fils envoient aux hommes l’Esprit qui procède de l’un et de l’autre. Par ce nouveau don, l’homme arrive à connaître que le Seigneur Dieu est en trois personnes. L’Esprit, lien éternel des deux premières, est la volonté, l’amour, dans la divine essence. En Dieu donc est la plénitude de l’être, sans commencement, sans succession, sans progrès, car rien ne lui manque. En ces trois termes éternels de sa substance incréée, il est l’acte pur et infini.

La sainte Liturgie, qui a pour objet la glorification de Dieu et la commémoration de ses œuvres, suit chaque année les phases sublimes de ces manifestations dans lesquelles le souverain Seigneur s’est déclaré tout entier à de simples mortels. Sous les sombres couleurs de l’Avent, nous avons traversé la période d’attente durant laquelle le radieux triangle laissait à peine pénétrer quelques rayons à travers le nuage. Le monde implorait un libérateur, un Messie ; et le propre Fils de Dieu devait être ce libérateur, ce Messie. Pour que nous eussions l’intelligence complète des oracles qui nous l’annonçaient, il était nécessaire qu’il fût venu. Un petit enfant nous est né (Isaï. 9, 6), et nous avons eu la clef des prophéties. En adorant le Fils, nous avons adoré aussi le Père, qui nous l’envoyait dans la chair, et auquel il est consubstantiel. Ce Verbe de vie, que nous avons vu, que nous avons entendu, que nos mains ont touché (1 s. Jean 1, 1) dans l’humanité qu’il avait daigné prendre, nous a convaincus qu’il est véritablement une personne, qu’il est distinct du Père, puisque l’un envoie et que l’autre est envoyé. Dans cette seconde personne divine, nous avons rencontré le médiateur qui a réuni la création à son auteur, le rédempteur de nos péchés, la lumière de nos âmes, l’Époux auquel elles aspirent.

La série des mystères qui lui sont propres étant consommée, nous avons célébré la venue de l’Esprit sanctificateur, annoncé comme devant venir perfectionner l’œuvre du Fils de Dieu. Nous l’avons adoré et reconnu distinct du Père et du Fils, qui nous l’envoyaient avec la mission de demeurer avec nous (s. Jean 14, 16). Il s’est manifesté dans des opérations toutes divines qui lui sont propres ; car elles sont l’objet de sa venue. Il est l’âme de la sainte Église, il la maintient dans la vérité que le Fils lui a enseignée. Il est le principe de la sanctification dans nos âmes, où il veut faire sa demeure. En un mot, le mystère de la sainte Trinité est devenu pour nous, non seulement un dogme intimé à notre pensée par la révélation, mais une vérité pratiquement connue de nous par la munificence inouïe des trois divines personnes, adoptés que nous sommes par le Père, frères et cohéritiers du Fils, mus et habités par l’Esprit-Saint.

Nous commencerons donc cette journée par rendre gloire au Dieu unique en trois personnes, en nous unissant à la sainte Église qui, à l’Office de Prime, récite aujourd’hui, et tous les Dimanches qui ne sont pas occupés par quelque fête, le magnifique Symbole connu sous le nom de Symbole de saint Athanase, dont il reproduit avec tant de majesté et de précision la doctrine résumée des enseignements divins.

Le symbole de saint Athanase

Quiconque veut être sauvé, doit avant  tout tenir la foi catholique ;

Et celui qui ne l’aura pas gardée entière et inviolable, périra certainement pour l’éternité.

Or la foi catholique consiste à révérer un seul Dieu dans la Trinité, et la Trinité dans l’Unité,

Sans confondre les personnes, ni diviser la substance.

Car autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit.

Mais la divinité du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, est une : la gloire égale, la majesté coéternelle.

Tel qu’est le Père, tel est le Fils, tel est le Saint-Esprit.

Le Père est incréé, le Fils incréé, le Saint-Esprit incréé.

Immense est le Père, immense le Fils, immense le Saint‑Esprit ;

Éternel le Père, éternel le Fils, éternel le Saint-Esprit.

Et néanmoins il n’y a pas trois éternels, mais un seul éternel ;

Comme aussi ce ne sont pas trois incréés, ni trois immenses, mais un seul incréé, un seul immense.

De même tout-puissant est le Père, tout-puissant le Fils, tout‑puissant le Saint-Esprit ;

Et néanmoins il n’y a pas trois tout-puissants, mais un seul tout-puissant.

Ainsi le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ;

Et néanmoins il n’y a pas trois Dieux, mais un seul Dieu.

Ainsi le Père est Seigneur, le Fils est Seigneur, le Saint-Esprit est Seigneur ;

Et néanmoins il n’y a pas trois Seigneurs, mais un seul Seigneur.

Car de même que la vérité chrétienne nous oblige de confesser que chacune des trois personnes prises à part est Dieu et Seigneur : de même la religion catholique nous défend de dire trois Dieux ou trois Seigneurs.

Le Père n’est ni fait, ni créé, ni engendré d’aucun autre.

Le Fils est du Père seul : ni fait, ni créé, mais engendré.

Le Saint-Esprit est du Père et du Fils : ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant.

Il n’y a donc qu’un seul Père, et non trois Pères ; un seul Fils, et non trois Fils ; un seul Saint-Esprit, et non trois Saints‑Esprits.

Et dans cette Trinité il n’y a ni antérieur, ni postérieur, ni plus grand, ni moindre ; mais les trois personnes sont toutes coéternelles et égales entre elles ;

En sorte qu’en tout et partout, comme il a été dit ci-dessus, on doit révérer l’Unité en la Trinité, et la Trinité en l’Unité.

Celui donc qui veut être sauvé doit penser ainsi de la Trinité.

Mais il est nécessaire encore pour le salut éternel, qu’il croie fidèlement l’Incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ.

Or la droiture de la foi consiste à croire et à confesser que notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, est Dieu et homme.

Il est Dieu, étant engendré de la substance de son Père avant les siècles, et il est homme, étant né de la substance d’une mère dans le temps ;

Dieu parfait et homme parfait, subsistant dans une âme raisonnable et un corps d’homme,

Égal au Père selon la divinité, moindre que le Père selon l’humanité.

Bien qu’il soit Dieu et homme, il n’est néanmoins qu’un seul Christ, et non deux.

Il est un, non que la divinité ait été changée en l’humanité ; mais parce que Dieu a pris l’humanité et se l’est unie.

Il est un enfin, non par confusion de substance, mais par unité de personne.

Car de même que l’âme raisonnable et la chair est un seul homme, ainsi Dieu et l’homme est un seul Christ :

Qui a souffert pour notre salut, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts ;

Qui est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, et de là viendra juger les vivants et les morts ;

À l’avènement duquel tous les hommes ressusciteront avec leurs corps, et rendront compte de leurs actions personnelles :

Et ceux qui auront fait le bien iront dans la vie éternelle ; et ceux qui auront fait le mal iront dans le feu éternel.

Telle est la foi catholique, et quiconque ne la gardera pas fidèlement et fermement ne pourra être sauvé.

 À la messe

Bien que le Sacrifice de la Messe soit toujours célébré en l’honneur de la sainte Trinité, l’Église aujourd’hui, dans ses chants, ses prières et ses lectures, glorifie d’une manière plus expresse le grand mystère qui est le fondement de la croyance chrétienne. On fait mémoire cependant du premier Dimanche après la Pentecôte, afin de ne pas interrompre l’ordre de la Liturgie. L’Église emploie dans cette solennité la couleur blanche, en signe d’allégresse, et pour exprimer la simplicité et la pureté de l’essence divine.

L’Introït n’est pas tiré des saintes Écritures. C’est une formule de glorification propre à ce jour, et la sainte Trinité y est représentée comme la source divine des miséricordes qui ont été répandues sur les hommes.

Introït

Bénie soit la Trinité sainte et l’Unité indivisible ; célébrons-la, car elle a agi avec nous dans sa miséricorde. Ps. Seigneur notre Dieu, combien est admirable votre Nom par toute la terre ! Gloire au Père. Bénie soit.

Dans la Collecte, la sainte Église demande pour nous la fermeté dans la foi qui nous fait confesser en Dieu l’Unité et la Trinité. C’est la première condition du salut, le premier lien avec Dieu. Avec cette foi nous vaincrons nos ennemis et nous triompherons de tous les obstacles.

Collecte

Dieu tout-puissant et éternel, qui avez accordé à vos serviteurs de reconnaître, par la confession de la vraie foi, la gloire de l’éternelle Trinité, et d’adorer l’Unité dans votre majesté souveraine ; daignez nous rendre fermes dans cette même foi, et nous protéger toujours dans les adversités. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Épître

O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables ! Car qui a connu les desseins du Seigneur ? ou qui est entré dans ses conseils ? ou qui lui a donné quelque chose le premier, pour en prétendre récompense ? Car tout est de lui, et par lui, et en lui : à lui la gloire dans les siècles ! Amen.

Nous ne pouvons arrêter notre pensée sur les conseils divins, sans éprouver une sorte de vertige. L’éternel et l’infini éblouissent notre faible raison, et cette raison en même temps les reconnaît et les confesse. Or, si les desseins de Dieu sur les créatures nous dépassent déjà, comment la nature intime de ce souverain être nous serait-elle connue ? Cependant nous distinguons et nous glorifions dans cette essence incréée le Père, le Fils et le Saint‑Esprit. C’est que le Père s’est révélé lui-même en nous envoyant son Fils, objet de son éternelle complaisance ; c’est que le Fils nous a manifesté sa personnalité en prenant notre chair, que le Père et le Saint-Esprit n’ont pas prise avec lui ; c’est que le Saint-Esprit, envoyé par le Père et le Fils, est venu remplir en nous la mission qu’il a reçue d’eux. Notre œil mortel plonge respectueusement dans ces profondeurs sacrées, et notre cœur s’attendrit en songeant que si nous connaissons Dieu, c’est par ses bienfaits qu’il a formé en nous la notion de ce qu’il est. Gardons cette foi avec amour, et attendons dans la confiance le moment où elle s’évanouira pour faire place à la vision éternelle de ce que nous aurons cru ici-bas.

Le Graduel et le Verset alléluiatique respirent l’allégresse et l’admiration, en présence de cette haute majesté qui a daigné faire descendre ses rayons jusqu’au sein de nos ténèbres.

Graduel

Vous êtes béni, Seigneur, dont l’œil sonde les abîmes, et qui êtes assis sur les Chérubins. V/. Vous êtes béni, Seigneur, au firmament du ciel, et digne de toute louange à jamais. Alléluia, alléluia. V/. Vous êtes béni, Seigneur Dieu de nos pères, et digne de toute louange à jamais. Alléluia.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. 28.

En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles.

Le mystère de la sainte Trinité manifesté par la mission du Fils de Dieu en ce monde et par la promesse de l’envoi prochain du Saint-Esprit, est intimé aux hommes dans ces solennelles paroles que Jésus prononce avant de monter au ciel. Il a dit : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé (s. Marc 16, 17)» ; mais il ajoute que le baptême sera donné au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Il faut désormais que l’homme confesse non plus seulement l’unité de Dieu, en abjurant le polythéisme, mais qu’il adore la Trinité des personnes dans l’unité d’essence. Le grand secret du ciel est une vérité divulguée maintenant par toute la terre.

Mais si nous confessons humblement Dieu connu tel qu’il est en lui-même, nous avons aussi à rendre l’hommage d’une éternelle reconnaissance à la glorieuse Trinité. Non seulement elle a daigné imprimer ses traits divins sur notre âme, en la faisant à sa ressemblance ; mais, dans l’ordre surnaturel, elle s’est emparée de notre être et l’a élevé à une grandeur incommensurable. Le Père nous a adoptés en son Fils incarné; le Verbe illumine notre intelligence de sa lumière ; le Saint-Esprit nous a élus pour son habitation : c’est ce que marque la forme du saint baptême. Par ces paroles prononcées sur nous avec l’infusion de l’eau, la Trinité toute entière a pris possession de sa créature. Nous rappelons cette sublime merveille chaque fois que nous invoquons les trois divines personnes en imprimant sur nous le signe de la croix. Lorsque notre dépouille mortelle sera apportée dans la maison de Dieu pour y recevoir les dernières bénédictions et les adieux de l’Église de la terre, le prêtre suppliera le Seigneur de ne pas entrer en jugement avec son serviteur ; et afin d’attirer sur ce chrétien déjà entré dans son éternité les regards de la miséricorde divine, il représentera au souverain Juge que ce membre de la race humaine « fut marqué durant sa vie du sceau de la sainte Trinité ». Vénérons en nous cette auguste empreinte ; elle sera éternelle. La réprobation même ne l’effacerait pas. Qu’elle soit donc notre espoir, notre plus beau titre, et vivons à la gloire du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

Dans l’Offertoire, l’Église prélude au Sacrifice qui se prépare, en invoquant sur l’oblation le nom des trois personnes, et en proclamant toujours la divine miséricorde.

Offertoire

Béni soit Dieu, le Père, et le Fils unique de Dieu, et aussi le Saint-Esprit ; car il a agi avec nous dans sa miséricorde.

La sainte Église demande, dans la Secrète, que l’hommage de nous-mêmes que nous offrons en ce Sacrifice à la divine Trinité ne lui soit pas présenté seulement aujourd’hui, mais qu’il devienne éternel par notre admission au ciel, où nous contemplerons sans voiles le glorieux mystère de Dieu unique en trois personnes.

Secrète

Daignez, Seigneur notre Dieu, sanctifier par l’invocation que nous faisons de votre Nom, l’oblation de cette hostie, et par elle nous transformer nous-mêmes en un hommage éternel à votre Majesté. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Dans l’Antienne de la Communion, l’Église continue d’exalter la miséricorde du grand Dieu qui a fait servir ses propres bienfaits à nous éclairer et à nous instruire sur son essence incompréhensible.

Communion

Nous bénissons le Dieu du ciel, et nous chanterons sa gloire devant tous ceux qui vivent ; car il a agi avec nous dans sa miséricorde.

Deux choses nous sont nécessaires pour arriver à Dieu : la lumière de la foi qui le fait connaître à notre intelligence, et l’aliment divin qui nous unit à lui. La sainte Église, dans la Postcommunion, demande que l’un et l’autre nous conduisent à cette heureuse fin de notre création.

Postcommunion

Que la réception de ce Mystère profite au salut de notre corps et de notre âme, Seigneur notre Dieu ; et aussi la confession que nous faisons de la sainte et éternelle Trinité, et de son indivisible Unité. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

À Vêpres

  1. Ant. Gloire à vous, ô Trinité parfaitement égale, divinité unique, avant tous les siècles, et maintenant et à jamais.
  2. Ant. Louange et gloire éternelle, dans les siècles des siècles, à Dieu le Père, et au Fils, et à l’Esprit Paraclet.
  3. Ant. Que la louange du Père et du Fils qu’il engendre retentisse de la bouche de tous, et qu’une louange semblable soit rendue éternellement à l’Esprit-Saint.
  4. Ant. Louange à Dieu le Père, au Fils qui lui est égal, et que notre bouche vous célèbre, ô Esprit, par un cantique sans fin dans les siècles des siècles.

Ant. Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui ; à lui soit gloire à jamais.

Capitule (Rom. 11)

O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables !

Hymne

Le soleil aux rayons de feu disparaît à l’horizon : Unité divine, lumière éternelle, heureuse Trinité, versez l’amour dans nos cœurs.

Dès le matin vous êtes l’objet de nos chants, le soir nous vous prions encore ; daignez nous admettre à offrir aussi nos vœux parmi les habitants du ciel.

Au Père, au Fils, et à vous, Esprit-Saint, soit gloire à jamais, comme toujours dans les siècles sans fin.

Amen.

V/. Vous êtes béni, Seigneur, au firmament du ciel ; R/. Digne de louange, de gloire en tous les siècles.

Antienne de Magnificat

O Père non engendré, ô Fils unique, ô Saint-Esprit consolateur, ô Trinité sainte et indivisible, nous vous confessons de tout notre cœur, et nos bouches vous louent et vous bénissent : à vous la gloire dans l’éternité.

Autres liturgies

Il convient que l’Orient fasse lui-même entendre sa voix à l’honneur de la Trinité sainte. L’évêque saint Siméon, mis à mort dans la grande persécution de Sapor II, en 340, entonnera pour l’Église syrienne ce chant sacré dont il est l’auteur : vénérable écho de la foi des martyrs, le plus ancien monument de l’hymnographie orthodoxe en ces contrées où fut le berceau du monde. Une main fraternelle a bien voulu extraire pour nous cette perle, offerte à la Trinité souveraine comme prémices de doctes travaux.

Hymne à  la Trinité

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez créés dans votre liberté au commencement.

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez appelés votre ressemblante et vivante image.

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez ennoblis par le don de la liberté et de la raison.

Louange à vous, Père plein de justice, qui avez voulu nous posséder dans votre amour.

Louange à vous, Fils très saint, qui avez pris notre corps pour nous sauver.

Louange à vous, Esprit de vie, qui nous avez enrichis de vos dons.

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez rassemblés et ramenés des erreurs de l’idolâtrie.

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez conduits à la science de votre Divinité.

Louange à vous, Seigneur, qui avez fait de nous des instruments raisonnables pour votre service.

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez conviés à la splendide demeure du ciel.

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez instruits des célestes hiérarchies.

Louange à vous, Seigneur, qui nous avez jugés dignes de vous louer avec les Anges.

Que toute bouche vous célèbre, Père, Fils, et Saint-Esprit.

Que des hauteurs et des bas lieux louange soit à la Trinité.

Que dans le siècle présent et futur soit à vous la louange et des esprits et des créatures revêtues d’un corps :

Du temps jusqu’à l’éternité, dans les siècles des siècles. Amen.

Hymne du Bréviaire maronite.

Gloire à vous, ô Père, Dieu caché, impénétrable. À vous aussi est due la louange, Fils unique, incompréhensible. À vous nos chants, Esprit-Saint, inexprimable, complément de la Trinité indivise et qu’on ne peut sonder.

Le Père engendre, le Fils est engendré de son sein, et l’Esprit procède du Père et du Fils. Le Père est créateur, il a tiré le monde du néant ; le Fils est créateur, avec le Père il a fait tout ce qui est ;

L’Esprit-Saint Paraclet, sceau de toutes choses, parfait tout ce qui est, a été, ou sera. Le Père est l’intelligence, le Fils la parole, l’Esprit la voix : trois noms de trois personnes, qui n’ont toutefois qu’une seule volonté, une seule puissance.

Telle est la foi de la sainte Église, qu’elle a apprise par l’écho des mystères célébrés dans les cieux : Saint, Saint, que trois fois soit dit Saint le Dieu un, célébré par les habitants du ciel et de la terre.

Le moyen âge nous a laissé plusieurs séquences pour la fête de la Sainte-Trinité. Elles sont très surchargées de termes métaphysiques, et généralement peu mélodieuses et peu poétiques. On y parle le langage de l’École avec une rudesse qui risquerait de n’être pas goûtée des lecteurs d’aujourd’hui. Nous nous bornerons donc à en insérer une seule, celle d’Adam de Saint-Victor, qui, dans sa forme scolastique, conserve encore cette majesté et cette mélodie qui sont le caractère des compositions du grand poète.

Séquence

Confessons l’Unité divine, vénérons la Trinité d’un culte pareil : reconnaissant trois personnes que distingue une personnelle différence.

Elles reçoivent leur nom de leur relation, étant un substantivement, et non trois principes. En employant pour elles le nombre de trois, tu dois reconnaître que leur nature est simple, que leur essence n’est pas triple.

Être simple, pouvoir simple, vouloir simple, savoir simple, tout y est simple ; la puissance d’une des personnes n’est pas moindre que ne l’est celle de deux, ni celle de trois.

Le Père, le Fils, l’Esprit-Saint, un seul Dieu ; mais chacun possède ce qui lui est propre. Une seule vertu, une seule divinité, une seule splendeur, une seule lumière ; ce que l’un possède, l’autre le possède aussi.

Le Fils est égal au Père, et la distinction personnelle des deux n’enlève pas cette égalité. Égal au Père et au Fils, l’Esprit est le lien qui procède de l’un et de l’autre.

L’humaine raison ne saurait comprendre ces trois personnes, ni la dissemblance qui les constitue. Là il n’y a ni succession de temps, ni lieu pour circonscrire la chose.

En Dieu, rien que Dieu ; en lui, nulle cause que celle qui produit les êtres. Dieu est cause effective et formelle, cause finale, mais jamais matière.

Parler dignement des divines personnes est au-dessus des forces de la raison, et dépasse le génie. Génération et procession dans la divine essence, je confesse que ma raison ne le saisit pas, mais ma foi le croit sans aucun doute.

Que celui qui croit ne soit pas impatient, qu’il n’ait pas l’imprudence de s’écarter de !a voie royale. Qu’il garde la foi, qu’il règle sa vie, et n’ait aucun penchant vers les erreurs que l’Église condamne.

Glorifions-nous dans notre foi, que notre constance dans cette foi unique inspire nos chants mélodieux : à l’Unité en trois personnes soit l’éternel honneur ! À la Trinité dans l’essence simple, gloire coéternelle !

Amen.

Unité indivisible, Trinité distincte en une seule nature, Dieu souverain qui vous êtes révélé aux hommes, daignez souffrir que nous osions répandre en votre présence nos adorations, et épancher l’action de grâces qui déborde de nos cœurs, lorsque nous nous sentons inondés de vos ineffables clartés. Unité divine, Trinité divine, nous ne vous avons pas contemplée encore, mais nous savons que vous êtes ; car vous avez daigné vous manifester à nous. Cette terre que nous habitons entend chaque jour proclamer distinctement l’auguste mystère dont la vue est le principe de la félicité des êtres glorifiés dans votre sein. La race humaine a dû attendre de longs siècles avant que la divine formule lui fût pleinement révélée ; mais la génération à laquelle nous appartenons est en possession, confesse avec transport Unité et Trinité dans votre essence infinie. Autrefois la parole de l’écrivain sacré, pareille à l’éclair qui sillonne la nue et laisse après lui l’obscurité plus profonde, traversait l’horizon de la pensée. Il disait : « J’ignore la vraie Sagesse, je n’ai pas la science de ce qui est saint. Quel homme est monté aux cieux et en est redescendu ? Quel est celui qui tient dans ses mains la tempête ? Qui retient les eaux comme dans une enveloppe ? Qui a fixé les confins de la terre ? Sais-tu quel est son nom ? Connais- tu le nom de son fils (Prov. 30, 2 – 4) ? »

Seigneur Dieu, grâce à votre infinie miséricorde, nous connaissons aujourd’hui votre nom : vous vous appelez le Père, et celui que vous engendrez éternellement s’appelle le Verbe, la Sagesse. Nous savons aussi que du Père et du Fils procède l’Esprit d’amour. Le Fils, revêtu de notre chair, a habité cette terre et il a vécu au milieu des hommes ; l’Esprit ensuite est descendu, et il reste avec nous jusqu’à la consommation des destinées de la famille humaine ici-bas. Voilà pourquoi nous osons confesser l’Unité et la Trinité ; car, ayant entendu le divin témoignage, nous avons cru ; et « parce que nous avons cru, nous parlons en toute assurance (Psalm. 115, 10 ; 2 Cor. 4, 13). » Recevez donc notre confession en ce jour, Seigneur, comme vous reçûtes celle de votre insigne martyre qui, atteinte à la gorge de trois coups du glaive, baignée dans les flots de son sang généreux, vous envoyait son âme, en marquant, par le geste sublime de ses doigts, qu’elle confessait, dans Rome encore païenne, l’Unité de votre nature et la Trinité de vos personnes.

Vos Séraphins, ô Dieu, ont été entendus par le prophète. Ils chantaient : «Saint, Saint, Saint est le Seigneur des armées (Isaï. 6, 3) ! » Nous ne sommes que des hommes mortels ; mais, plus heureux qu’Isaïe sans être prophètes comme lui, nous pouvons articuler la parole angélique, et dire : « Saint est le Père, Saint est le Fils, Saint est l’Esprit ». Ils soutenaient leur vol par deux de leurs ailes ; de deux autres ils voilaient respectueusement leur face, et les deux dernières couvraient leurs pieds. Nous aussi, fortifiés par l’Esprit divin qui nous a été donné, nous essayons de soulever sur les ailes du désir le poids de notre mortalité ; nous couvrons par le repentir la responsabilité de nos fautes, et voilant sous le nuage de la foi l’œil débile de notre intelligence, nous recevons au dedans la lumière qui nous est infuse. Dociles à la parole révélée, nous nous conformons à ce qu’elle enseigne ; elle nous apporte la notion, non seulement distincte, mais lumineuse du mystère qui est la source et le centre de tous les autres. Les Anges et les Saints contemplent au ciel, avec cette ineffable timidité que le prophète a rendue en nous montrant leur regard tempéré sous leurs ailes. Nous, nous ne voyons pas encore, nous ne pourrions voir, mais nous savons, et cette science éclaire nos pas, et nous fixe dans la vérité. Nous nous gardons de « scruter la majesté », de peur « d’être écrasés sous la gloire (Prov. 25, 27) » ; mais repassant humblement ce que le ciel a daigné nous révéler de ses secrets, nous osons dire :

Gloire soit à vous, Essence unique, acte pur, être nécessaire, infini, sans division, indépendant, complet de toute éternité, tranquille, et souverainement heureux. En vous nous reconnaissons, avec l’inviolable Unité, fondement de toutes vos grandeurs, trois personnes distinctement subsistantes ; mais dans leur production et leur distinction, la même nature leur est commune, en sorte que la subsistance personnelle qui les constitue chacune et les distingue l’une de l’autre, n’amène entre elles aucune inégalité. O béatitude infinie dans cette société des trois personnes contemplant en elles-mêmes les ineffables perfections de l’essence qui les réunit, et la propriété de chacune des trois qui anime divinement cette nature que rien ne saurait ni borner ni troubler ! O merveille de cette essence infinie, lorsqu’elle daigne agir en dehors d’elle-même, créant des êtres dans sa puissance et sa bonté, les trois personnes opérant de concert, en sorte que celle qui intervient par un mode qui lui est propre, le fait en vertu d’une volonté commune ! Qu’un amour spécial soit donc rendu à la divine personne qui, dans l’action commune aux trois, daigne se révéler plus spécialement aux créatures ; et en même temps, grâces soient rendues aux deux autres qui s’unissent dans une même volonté à celle qui daigne se manifester en notre faveur !

Gloire soit à vous, ô Père, Ancien des jours (Dan. 7, 9), innascible, sans principe, mais communiquant essentiellement et nécessairement au Fils et au Saint-Esprit la divinité qui réside en vous ! Vous êtes Dieu et vous êtes Père. Celui qui vous connaît comme Dieu et qui vous ignore comme Père, ne vous connaît pas tel que vous êtes. Vous produisez, vous engendrez, mais c’est dans votre propre sein que vous êtes générateur ; car rien de ce qui est hors de vous n’est Dieu. Vous êtes l’être, la puissance ; mais vous n’avez jamais été sans un Fils. Vous vous dites à vous-même tout ce que vous êtes, vous vous traduisez, et le fruit de la fécondité de votre pensée, égal à vous-même, est une seconde personne qui sort de vous ; c’est votre Fils, votre Verbe, votre parole incréée. Une fois vous avez parlé, et votre parole est éternelle comme vous, comme votre pensée dont elle est l’expression infinie. Ainsi le soleil qui brille à nos yeux n’a jamais été sans sa splendeur. Cette splendeur est par lui, elle est avec lui ; elle émane de lui sans le diminuer, pas plus qu’elle ne s’isole de lui. Pardonnez, ô Père, à notre faible intelligence d’emprunter une comparaison aux êtres que vous avez créés. Et si nous nous étudions nous-mêmes que vous avez créés à votre image, ne sentons-nous pas que notre pensée elle-même, pour être distincte dans notre esprit, a besoin du terme qui la fixe et la détermine ?

O Père, nous vous avons connu par ce Fils que vous engendrez éternellement, et qui a daigné se révéler à nous. Il nous a appris que vous êtes Père et qu’il est Fils, et qu’en même temps vous êtes avec lui une même chose (s. Jean 10, 30). Si un Apôtre s’écrie : « Seigneur, montrez-nous le Père », il répond : « Qui me voit, voit mon Père (s. Jean 14, 8-9). » O Unité de la nature divine, où le Fils, distinct du Père, n’est pas moins que le Père ! O complaisance du Père dans le Fils, par lequel il a conscience de lui-même ; complaisance d’amour intime qu’il proclame à nos oreilles mortelles sur les bords du Jourdain et sur le sommet du Thabor (s. Matth. 3, 17 ; 2 s. Pierre 1, 17) !

O Père, nous vous adorons, mais aussi nous vous aimons : car un Père doit être aimé de ses fils, et nous sommes vos fils. Un Apôtre ne nous enseigne-t-il pas que toute paternité procède de vous, non seulement au ciel, mais sur la terre (Éph. 3, 15) ? Nul n’est père, nul n’a l’autorité paternelle dans la famille, dans l’État, dans l’Église, que par vous, en vous, et par imitation de vous. Bien plus, vous avez voulu « que nous fussions non seulement appelés vos fils, mais que cette qualité fût réelle en nous (1 s. Jean 3, 1) » ; non par génération comme il en est de votre unique Verbe, mais par une adoption qui nous rend ses « cohéritiers (Rom. 8, 17) ». Votre Fils divin dit en parlant de vous : « J’honore mon Père (s. Jean 8, 49) » ; nous vous honorons aussi, Père souverain, Père de majesté immense, et du fond de notre néant, en attendant l’éternité, nous vous glorifions en union avec les saints Anges et les Bienheureux de notre race. Que votre œil paternel nous protège, qu’il daigne se complaire aussi dans ces fils que vous avez prévus, que vous avez élus, que vous avez appelés à la foi, et qui osent, avec l’Apôtre, vous nommer « le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation (2 Cor. 1, 3). »

Gloire soit à vous, ô Fils, ô Verbe, ô Sagesse du Père ! Émané de son essence divine, le Père vous a donné naissance « avant l’aurore (Psalm. 109, 3) » ; il vous a dit : « Je t’ai engendré aujourd’hui (Psalm. 2, 7) », et cet aujourd’hui qui n’a ni veille ni lendemain, est l’éternité. Vous êtes Fils et Fils unique, et ce nom exprime une même nature avec celui qui vous produit ; il exclut la création, et vous montre consubstantiel au Père, dont vous sortez avec une parfaite similitude. Et vous sortez du Père, sans sortir de l’essence divine, étant coéternel à votre principe ; car en Dieu, rien de nouveau, rien de temporel. En vous, la filiation n’est point une dépendance ; car le Père ne peut être sans le Fils, pas plus que le Fils sans le Père. S’il est noble au Père de produire le Fils, il n’est pas moins noble au Fils d’épuiser et de terminer en lui-même par sa filiation la puissance génératrice du Père.

O Fils de Dieu, vous êtes le Verbe du Père. Parole incréée, vous lui êtes aussi intime que sa pensée, et sa pensée est son être. En vous cet être se traduit tout entier dans son infinité, en vous il se connaît. Vous êtes le fruit immatériel produit par l’intellect divin du Père, l’expression de tout ce qu’il est, soit qu’il vous garde mystérieusement « dans son sein (s. Jean 1, 18) » , soit qu’il vous produise au dehors. Quels termes emploierons-nous pour vous définir dans votre magnificence, ô Fils de Dieu ! L’Esprit-Saint daigne nous aider dans les livres qu’il a dictés ; nous oserons donc dire dans le langage qu’il nous suggère : « Vous êtes l’éclat de  la gloire du Père, la forme de sa substance (Héb. 1, 3).  Vous êtes la splendeur de la lumière éternelle, le miroir sans imperfection de la majesté de Dieu, la réfraction de son éternelle bonté (Sap. 7, 26). » Avec la sainte Église réunie à Nicée, nous osons vous dire encore : « Vous êtes Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu. » Avec les Pères et les Docteurs nous ajoutons : « Vous êtes le flambeau éternellement allumé au flambeau éternel. Votre lumière ne diminue en rien celle qui se communique à vous, et en vous elle n’a rien d’inférieur à celle qui l’a produite. »

Mais lorsque cette ineffable fécondité qui donne un Fils éternel au Père, au Père et au Fils un troisième terme, a voulu se manifester au dehors de la divine essence, et ne pouvant plus rien produire qui fût égal à celle-ci, a daigné appeler du néant la nature intellectuelle et raisonnable, comme la plus approchante de son principe, et la nature matérielle comme la moins éloignée du néant, la production intime de votre personne dans le sein du Père, ô Fils unique de Dieu, s’est révélée au monde dans l’acte créateur. Le Père a fait toutes choses, mais « c’est dans sa Sagesse », c’est-à-dire par vous, « qu’il les a faites (Psalm. 103, 24) ». Cette mission d’opérer que vous avez reçue du Père, dérive de la génération éternelle par laquelle il vous produit de lui‑même. Vous vous êtes élancé de votre repos mystérieux, et les créatures visibles et invisibles sont sorties du néant à votre commandement. Agissant dans un intime concert avec le Père, vous avez répandu sur les mondes, en les créant, quelque chose de cette beauté et de cette harmonie dont vous êtes le reflet dans l’essence divine. Mais votre mission n’était pas épuisée par la création. L’ange et l’homme, êtres intelligents et libres, étaient appelés à voir et à posséder Dieu éternellement. Pour eux, l’ordre naturel ne suffisait plus ; il fallait qu’une voie surnaturelle leur fût ouverte pour les conduire à leur fin. Cette voie, c’était vous‑même, ô Fils unique de Dieu. En prenant en vous la nature humaine, vous vous unissiez à votre ouvrage, vous releviez jusqu’à Dieu l’ange et l’homme, et dans votre nature finie vous apparaissiez comme le type suprême de la création que le Père avait accomplie par vous. O mystère ineffable ! vous êtes le Verbe incréé, et en même temps « le premier-né de toute créature (Col. 1, 15) », devant être manifesté en son temps, mais ayant précédé dans l’intention divine tous les êtres qui ont été créés pour être ses sujets.

La race humaine appelée à vous posséder en son sein comme le divin intermédiaire rompit avec Dieu : le péché la précipita dans la mort. Qui pouvait désormais la relever, la rendre à sa sublime destinée ? Vous seul encore, ô Fils unique du Père ! Nous n’eussions jamais osé l’espérer ; mais « le Père a tant aimé le monde qu’il a donné « son Fils unique (s. Jean 3, 16) », non plus seulement comme médiateur, mais comme rédempteur de nous tous. O notre premier-né, vous lui demandiez « qu’il vous restituât votre héritage (Psalm. 16, 5) », et cet héritage, vous avez dû le racheter. Le Père alors vous confia la mission de Sauveur pour notre race perdue. Votre sang sur la croix fut notre rançon, et nous sommes renés à Dieu et à nos premiers honneurs ; c’est pourquoi nous nous faisons gloire, nous vos rachetés, ô Fils de Dieu, de vous appeler Notre Seigneur.

Délivrés de la mort, purifiés du péché, vous avez daigné nous rendre toutes nos grandeurs. Car vous êtes désormais le Chef, et nous sommes vos membres. Vous êtes le Roi, et nous sommes vos heureux sujets. Vous êtes le Pasteur, et nous sommes les brebis de votre unique bercail. Vous êtes I’Époux, et l’Église notre mère est votre épouse. Vous êtes le Pain vivant descendu du ciel, et nous sommes vos conviés. O Fils de Dieu, ô Emmanuel, ô fils de l’homme, béni soit le Père qui vous a envoyé ; mais soyez béni avec lui, vous qui avez rempli sa mission, et qui avez daigné nous dire que « vos délices sont d’être avec les enfants des hommes (Prov. 8, 31) ! »

Gloire soit à vous, ô Esprit-Saint, qui émanez à jamais du Père et du Fils dans l’unité de la substance divine ! L’acte éternel par lequel le Père se connaît lui-même produit le Fils qui est l’image infinie du Père, et le Père est épris d’amour pour cette splendeur sortie de lui avant tous les siècles. Le Fils, contemplant le principe dont il émane éternellement, conçoit pour ce principe un amour égal à celui dont il est l’objet. Quel langage pourrait décrire cette ardeur, cette aspiration mutuelle, qui est l’attraction et le mouvement d’une personne vers l’autre, dans l’immobilité éternelle de l’essence ! Vous êtes cet amour, ô Esprit divin, sortant du Père et du Fils comme d’un même principe, distinct de l’un et de l’autre, mais formant le lien qui les unit dans les ineffables délices de la divinité : Amour vivant, personnel, procédant du Père par le Fils, dernier terme qui complète la nature divine et consomme éternellement la Trinité. Au sein impénétrable du grand Dieu, la personnalité vous vient à la fois du Père dont vous êtes l’expression par un nouveau mode de production (s. Jean 15, 26), et du Fils qui, recevant du Père, vous donne de lui-même (Ibid. 16, 14 – 15) ; car l’amour infini qui les unit étroitement est des deux et non d’un seul. Jamais le Père ne fut sans le Fils, jamais le Fils ne fut sans le Père ; mais jamais aussi le Père et le Fils n’ont été sans vous, ô Esprit-Saint ! Éternellement ils se sont aimés, et vous êtes l’amour infini qui règne en eux, et auquel ils communiquent leur divinité. Votre procession de l’un et de l’autre épuise la vertu productive de l’essence incréée, et ainsi les divines personnes réalisent le nombre trois ; en dehors d’elles, il n’y a que le créé.

Il fallait qu’en la divine essence fût, non pas seulement la puissance et l’intelligence, mais aussi le vouloir duquel procède l’action. Le vouloir et l’amour sont une seule et même chose, et vous êtes, ô divin Esprit, ce vouloir et cet amour. Quand la glorieuse Trinité opère en dehors d’elle-même, l’acte conçu par le Père, exprimé par le Fils, s’accomplit par vous. Par vous aussi, l’amour que le Père et le Fils ont l’un pour l’autre, et qui se personnalise en vous, s’étend aux êtres qui seront créés. Par son Verbe, le Père les connaît ; par vous, ô Esprit amour, il les aime, en sorte que toute création procède de la bonté divine.

Émanant du Père et du Fils, sans perdre l’égalité que vous avez éternellement avec eux, vous êtes envoyé par l’un et l’autre vers la créature. Le Fils, envoyé par le Père, revêt pour l’éternité la nature humaine, et sa personne, par les opérations qui lui sont propres, nous apparaît distincte de celle du Père. De même, ô Esprit-Saint, nous vous reconnaissons distinct du Père et du Fils, lorsque vous descendez pour remplir sur nous la mission qui vous a été départie par l’un et l’autre. Vous inspirez les prophètes (2 s. Pierre 1, 21), vous intervenez en Marie dans la divine Incarnation (s. Luc 1, 35), vous vous reposez sur la fleur de Jessé (Isaï. 11, 2), vous conduisez Jésus au désert (s. Luc 4, 1), vous le glorifiez par les miracles (s. Matth. 12, 28). Son Épouse, la sainte Église, vous reçoit, elle, et vous lui enseignez toute vérité (s. Jean 16, 13), et vous demeurez en elle, comme son ami, jusqu’au dernier jour du monde (s. Matth. 28, 20). Nos âmes sont marquées de votre sceau (Éph. 1, 13 ; 4, 3o), vous les animez de la vie surnaturelle (Gal. 5, 25) ; vous habitez jusqu’à nos corps, qui deviennent votre temple (1 Cor. 6, 19) ; enfin vous êtes pour nous le don de Dieu (Hymn. Pentecost.), la fontaine jaillissante jusque dans la vie éternelle (s. Jean 4, 14 ; 7, 39). Grâces distinctes vous soient donc rendues, ô Esprit divin, pour les opérations distinctes que vous accomplissez en notre faveur !

Et maintenant, après avoir adoré tour à tour les divines personnes, en parcourant leurs bienfaits sur le monde, nous osons encore élever notre œil mortel vers cette triple Majesté qui resplendit dans l’unité de votre essence , ô souverain Seigneur, et nous confessons encore une fois, avec saint Augustin, ce que nous avons appris de vous-même sur vous-même. « Trois est leur nombre : un aimant celui qui est de lui, un aimant celui de qui il est, et enfin l’amour lui-même[3]. » Mais il nous reste à remplir un devoir de reconnaissance, en célébrant l’ineffable conduite par laquelle vous avez daigné empreindre en nous l’image de vous‑même. Ayant résolu éternellement de nous donner société avec vous (1 s. Jean 1, 3), vous nous avez préparés selon un type emprunté à votre être divin (Gen. 1, 27). Trois facultés dans notre âme unique rendent témoignage de notre origine qui est de vous ; mais ce faible miroir de votre être, qui est la gloire de notre nature, n’était qu’un prélude aux desseins de votre amour. Après nous avoir donné l’être naturel, vous aviez résolu dans votre conseil, ô Trinité divine, de nous communiquer encore l’être surnaturel. Dans la plénitude des temps, le Père nous envoie son Fils, et ce Verbe Incréé apporte la lumière à notre intelligence ; le Père et le Fils nous envoient l’Esprit, et l’Esprit apporte l’amour à notre volonté ; et le Père qui ne peut être envoyé vient de lui‑même, et il se donne à notre âme dont il transforme la puissance. C’est dans le saint Baptême, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que s’accomplit dans le chrétien cette production des trois divines personnes, en correspondance ineffable avec les facultés départies à notre âme, comme l’esquisse du chef-d’œuvre que l’action surnaturelle de Dieu peut seule achever.

O union par laquelle Dieu est en l’homme et l’homme est en Dieu ! union par laquelle nous arrivons à l’adoption du Père, à la fraternité avec le Fils, à l’hérédité éternelle ! Mais cette habitation de Dieu dans la créature, c’est l’amour éternel qui l’a gratuitement formée, et elle se maintient aussi longtemps que l’amour de réciprocité ne fait pas défaut dans l’homme. Le péché mortel aurait la force de la briser ; la présence des divines personnes qui avaient établi leur séjour dans l’âme (s. Jean 16, 23) et qui demeuraient unies à elle, cesserait au même instant où la grâce sanctifiante s’éteindrait. Dieu alors ne serait plus dans l’âme que par son immensité, et l’âme ne le posséderait plus. Alors Satan rétablirait en elle le règne de son odieuse trinité : « la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, et l’orgueil de la vie (1 s. Jean 2, 16). » Malheur à quiconque oserait défier Dieu par une si sanglante rupture, substituer ainsi le mal au souverain bien ! C’est la jalousie du Seigneur méprisé, expulsé, qui a creusé les gouffres de l’enfer et allumé les flammes éternelles.

Mais cette rupture est-elle donc sans réconciliation possible ? Oui, s’il s’agit de l’homme pécheur, incapable de renouer avec l’adorable Trinité les relations qu’une avance gratuite avait préparées et qu’une bonté incompréhensible avait consommées. Mais la miséricorde de Dieu, qui est, comme l’enseigne l’Église dans la sainte Liturgie[4], l’attribut suprême de sa puissance, peut opérer un tel prodige, et elle l’opère chaque fois qu’un pécheur est converti. À ce mouvement de l’auguste Trinité qui daigne ainsi descendre de nouveau dans le cœur de l’homme repentant, une joie immense, nous dit l’Évangile, s’empare des Anges et des Saints jusque dans les hauteurs du ciel (s. Luc 15, 10) ; car le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont signalé leur amour et cherché leur gloire en rendant juste celui qui avait été pécheur, en venant habiter en cette brebis naguère égarée, en ce prodigue employé la veille à la garde des animaux immondes, en ce larron qui tout à l’heure, sur la croix, insultait encore avec son compagnon l’innocent crucifié.

Soient donc adoration et amour à vous, Père, Fils et Saint-Esprit, Trinité parfaite qui avez daigné vous révéler aux mortels, Unité éternelle et incommensurable qui avez délivré nos pères du joug des faux dieux. Gloire à vous comme il était au commencement, avant tous les êtres créés ; comme il est maintenant, à cette heure où nous attendons la vraie vie qui consiste à vous contempler face à face ; comme il sera dans les siècles des siècles, lorsque l’éternité bienheureuse nous aura réunis dans votre sein infini. Amen.

[1] De feriis. Cap. Quoniam. Cette décrétale a été attribuée par erreur à Alexandre III.

[2] Des Offices divins. 11, ch. 1.

[3] S. Augustin, de Trinitate. Liv. 6, ch. 7.

[4] Oraison du 10e dimanche après la Pentecôte