Jeudi, Vendredi et Samedi saints

Dom Guéranger, L’Année liturgique
Jeudi, Vendredi et Samedi saints

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Le Jeudi saint

À l’office de la nuit

L’Office des Matines et des Laudes des trois derniers jours de la Semaine sainte diffère en beaucoup de choses de celui des autres jours de l’année. Tout y est triste et sombre, comme à des funérailles ; et rien n’est plus propre à nous donner une idée de la tristesse à laquelle l’Église est en proie, en ces jours de deuil. Elle s’interdit, à tous les Offices du Jeudi, du Vendredi et du Samedi, ces cris de joie et d’espérance par lesquels elle commence la louange de Dieu. On n’entend plus retentir : Domine, labia mea aperies : Seigneur, ouvrez mes lèvres pour votre louange ; ni Deus, in adjutorium meum intende : O Dieu, venez à mon aide ; ni Gloria Patri, à la fin des Psaumes, des Cantiques et des Répons. Les Offices divins ne conservent plus que ce qui leur est essentiel dans la forme, et ils ont perdu toutes ces aspirations vives que les siècles y avaient ajoutées. Une psalmodie sévère, des lectures lamentables, des chants lugubres : voilà ce qui leur reste. Chacune des Heures Canoniales se termine par le Psaume Miserere, et par une mention de la Mort et de la Croix du Rédempteur.

On donne vulgairement le nom de Ténèbres à l’Office des Matines et des Laudes des trois derniers jours de la Semaine sainte, parce que cet Office se célébrait autrefois la nuit, comme dans les autres jours de l’année. Ce nom lui appartient encore pour une autre raison ; c’est qu’on le commence à la lumière du jour, et qu’il ne se termine qu’après le coucher du soleil. Un rite imposant et mystérieux, propre seulement à ces Offices, vient aussi confirmer cette appellation. On place dans le sanctuaire, près de l’autel, un vaste chandelier triangulaire, sur lequel sont disposés quinze cierges. Ces cierges, ainsi que les six de l’autel, sont en cire jaune, comme à l’Office des Défunts. À la fin de chaque Psaume ou Cantique, on éteint successivement un des cierges du grand chandelier ; un seul, celui qui est placé à l’extrémité supérieure du triangle, reste allumé. Pendant le Cantique Benedictus, à Laudes, les six cierges qui brûlaient sur l’autel sont pareillement éteints. Alors le Cérémoniaire prend l’unique cierge qui était demeuré allumé sur le chandelier, et il le tient appuyé sur l’autel durant le chant de l’Antienne qui se répète après le Cantique. Puis il part et va cacher ce cierge, sans l’éteindre, derrière l’autel. Il le maintient ainsi loin de tous les regards pendant la récitation du Miserere et de l’Oraison de conclusion qui suit ce Psaume. Cette Oraison étant achevée, on frappe avec bruit sur les sièges du chœur, jusqu’à ce que le cierge qui avait été caché derrière l’autel reparaisse et annonce par sa lumière toujours conservée que l’Office des Ténèbres est terminé.

Expliquons maintenant le sens de ces diverses cérémonies. Nous sommes dans les jours où la gloire du Fils de Dieu est éclipsée sous les ignominies de sa Passion. Il était « la lumière du monde », puissant en œuvres et en paroles, accueilli naguère par les acclamations de tout un peuple ; maintenant le voilà déchu de toutes ses grandeurs, « l’homme de douleurs, un lépreux », dit Isaïe ; « un ver de terre, et non un homme », dit le Roi-Prophète ; « un sujet de scandale pour ses disciples », dit-il lui‑même. Chacun s’éloigne de lui : Pierre même nie l’avoir connu. Cet abandon, cette défection presque générale sont figurés par l’extinction successive des cierges sur le chandelier triangulaire, même jusque sur l’autel. Cependant la lumière méconnue de notre Christ n’est pas éteinte, quoiqu’elle ne lance plus ses feux, et que les ombres se soient épaissies autour d’elle. On pose un moment le cierge mystérieux sur l’autel. Il est là comme le Rédempteur sur le Calvaire, où il souffre et meurt. Pour exprimer la sépulture de Jésus, on cache le cierge derrière l’autel ; sa lumière ne paraît plus. Alors un bruit confus se fait entendre dans le sanctuaire, que l’absence de ce dernier flambeau a plongé dans l’obscurité. Ce bruit, joint aux ténèbres, exprime les convulsions de la nature, au moment où le Sauveur ayant expiré sur la croix, la terre trembla, les rochers se fendirent, les sépulcres furent ouverts. Mais tout à coup le cierge reparaît sans avoir rien perdu de sa lumière ; le bruit cesse, et chacun rend hommage au vainqueur de la mort.

Après ces explications générales, nous allons donner maintenant le texte de la sainte Liturgie, en l’accompagnant de nos gloses, selon que le besoin s’en fera sentir.

Au premier Nocturne

Le premier Psaume fut inspiré à David lorsqu’il fuyait devant les poursuites parricides de son fils Absalon. Il se rapporte au Christ, dont il décrit les douleurs et l’abandon aux jours de sa Passion. Le fiel pour nourriture et le vinaigre pour breuvage offerts à celui qui se plaint dans ce Psaume montrent suffisamment qu’il est prophétique, puisque l’on sait que David n’a jamais éprouvé ce traitement.

Ant. Zelus domus tuae comedit me, et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me.
Ant. Le zèle de votre maison m’a dévoré ; et vos injures sont devenues les miennes.

Psaume 68

Salvum me fac, Deus : * quoniam intraverunt aquae usque ad animam meam. O Dieu, sauvez-moi, car un torrent de maux a inondé mon âme.
Infixus sum in limo profundi : * et non est substantia. Je suis descendu dans un abîme, et je ne trouve pas le fond.
Veni in altitudinem maris : * et tempestas demersit me. Je me suis avancé dans la haute mer, et la tempête m’a submergé.
Laboravi clamans, raucae factae sunt fauces meae : * defecerunt oculi mei, dum spero in Deum meum. Je m’épuise à crier ; ma voix s’en est enrouée ; mes yeux se sont éteints, à force d’être attentifs vers Dieu.
Multiplicati sunt super capillos capitis mei : * qui oderunt me gratis. Ceux qui me haïssent sans sujet sont devenus plus nombreux que les cheveux de ma tête.
Confortati sunt qui persecuti sunt me inimici mei injuste : * quae non rapui tune exsolvebam. Mes injustes persécuteurs se sont fortifiés ; et j’ai payé pour ce que je n’avais pas dérobé.
Deus, tu scis insipientiam meam : * et delicta mea a te non sunt abscondita. Vous seul, ô Dieu, connaissez ma misère ; et mes péchés, les péchés que j’ai pris sur moi, ne vous sont pas cachés.
Non erubescant in me, qui exspectant te, Domine : * Domine virtutum. Que ceux qui espèrent en vous, Seigneur, ne soient pas confondus, Seigneur Dieu des armées !
Non confundantur super me : * qui quaerunt te Deus Israel. Que je ne sois pas un sujet de honte pour ceux qui vous cherchent, ô Dieu d’Israël !
Quoniam propter te sustinui opprobrium : * operuit confusio faciem meam. Car c’est pour vous que je souffre l’opprobre, que la confusion couvre mon visage.
Extraneus factus sum fratribus meis : * et peregrinus filiis matris meae. Je suis devenu un étranger pour mes frères, un étranger pour les fils de ma mère ;
Quoniam zelus domus tuae comedit me * et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me. Parce que le zèle de votre maison m’a dévoré, et que vos injures sont devenues les miennes.
Et operui in jejunio animam meam * et factum est in opprobrium mihi. J’ai affligé mon âme par le jeûne ; et on en a fait un sujet d’insulte.
Et posui vestimentum meum cilicium : * et factus sum illis in parabolam. J’ai pris pour vêtement un cilice ; et ils en ont fait un sujet de raillerie.
Adversum me loquebantur qui sedebant in porta : et in me psallebant qui bibebant vinum. Ceux qui étaient assis sur le tribunal ont parlé contre moi ; et les buveurs m’ont pris pour sujet de leurs chansons.
Ego vero orationem meam ad te, Domine : * tempus beneplaciti Deus. Et moi, Seigneur, je vous adressais ma prière ; il est temps, ô Dieu, de me montrer votre bienveillance.
In multitudine misericordiae tuae exaudi me : * in veritate salutis tuae. Exaucez-moi dans la grandeur de votre miséricorde, et selon l’assurance que vous m’avez donnée de me sauver.
Eripe me de luto, ut non infigar * libera me ab iis qui oderunt me, et de profundis aquarum. Retirez-moi de la fange ; que je n’y demeure pas enfoncé : délivrez-moi de ceux qui me haïssent ; faites-moi sortir du gouffre des eaux.
Non me demergat tempestas aquae, necque absorbeat me profundum : * neque urgeat super me puteus os suum. Que les flots ne me submergent pas ; que l’abîme ne m’engloutisse pas, et que le puits ne se ferme pas sur moi.
Exaudi me, Domine, quoniam benigna est misericordia tua : * secundum multitudinem miserationem tuarum respice in me. Exaucez-moi, Seigneur ; car votre bonté est compatissante ; jetez un regard sur moi, dans la grandeur de votre miséricorde.
Et ne avertas faciam tuam a puero tuo : * quoniam tribulor, velociter exaudi me. Ne détournez pas votre visage de votre serviteur ; l’affliction me presse : hâtez-vous de m’exaucer.
Intende animae meae, et libera eam : * propter inimicos meos eripe me. Voyez dans quel état est ma vie : délivrez-la, sauvez-moi, à cause des ennemis qui me pressent.
Tu scis improperium meum, et contusionem meam : * et reverentiam meam. Vous voyez mes opprobres, ma confusion et mon ignominie.
In conspectu tuo sunt omnes qui tribulant me : * improperium exspectavit cor meum et miseriam. Ceux qui me persécutent sont devant vos yeux ; il ne me reste à attendre que l’opprobre et l’angoisse.
Et sustinui qui simul contristaretur, et non fuit : * et qui consolaretur, et non inveni. J’ai attendu que quelqu’un compatît à mes maux, et nul ne s’est présenté ; j’ai désiré un consolateur, et je n’en ai pas trouvé.
Et dederunt in escam meam fel : * et in siti mea potaverunt me aceto. Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre.
Fiat mensa eorum coram ipsis in laqueum : * et in retributiones, et in scandalum. Que la table à laquelle ils s’asseyent devienne pour eux un filet et un écueil, en retour de leur malice.
Obscurentur oculi eorum ne videant : * et dorsum eorum semper incurva Que leurs yeux s’obscurcissent, afin qu’ils ne voient plus ; courbez leur dos pour une servitude sans fin.
Effunde super eos iram tuam * et furor irae tuae comprehendat eos. Faites tomber sur eux votre colère ; que la fureur de votre vengeance se saisisse d’eux.
Fiat habitatio eorum deserta : * et in tabernaculis eorum non sit qui inhabitet. Que leur demeure devienne déserte ; et que personne n’habite plus dans leurs maisons.
Quoniam quem tu percussisti, persecuti sunt : * et super dolorem vulnerum meorum addiderunt. Parce qu’ils ont frappé celui que vous frappiez vous-même, et qu’ils m ont fait blessure sur blessure.
Appone iniquitatem super iniquitatem eorum : * et non intrent justitiam tuam. Comptez leurs iniquités par-dessus leurs iniquités, et qu’ils n’entrent point dans la voie de votre justice.
Deleantur de libro viventium : * et cum justis non scribantur. Qu’ils soient effacés du livre des vivants, et que leurs noms ne soient pas écrits avec ceux des justes.
Ego sum pauper et dolens : * salus tua, Deus, suscepit me. Je suis pauvre et affligé : mais votre main salutaire me relèvera.
Laudabo nomen Dei cum cantico : * et magnificabo eum in laude. Je célébrerai le nom du Seigneur par mes cantiques ; je le glorifierai par mes louanges ;
Et placebit Deo super vitulum novellum : * cornua producentem et ungulas. Et ce sacrifice sera plus agréable à Dieu que celui d’un jeune taureau, à qui les cornes et les ongles commencent à pousser.
Videant pauperes, et laetentur * quaerite Deum, et vivet anima vestra. Que les pauvres et les affligés soient témoins de ma victoire, et qu’ils s’en réjouissent ; cherchez Dieu, et votre âme vivra ;
Quoniam exaudivit pauperes Dominus : * et vinctos suos non despexit. Car le Seigneur exauce les malheureux, et il ne méprise pas les captifs qui sont à lui.
Laudent ilium cœli et terra : * mare, et omnia reptilia in eis. Que les cieux et la terre le louent à la mer, et tout ce qui vit dans les eaux ;
Quoniam Deus salvam faciet Sion : * et aedificabuntur civitates Juda. Car le Seigneur sauvera Sion ; et les villes de Juda seront rebâties.
Et inhabitabunt ibi : * et haereditate acquirent eam. Ses serviteurs y habiteront : ils les obtiendront pour héritage.
Et semen servorum ejus possidebit eam : * et qui diligunt nomen ejus, habitabunt in ea. Et la postérité de ses serviteurs les aura pour partage, et ceux qui aiment son nom y fixeront leur demeure.

Ant. Zelus domus tuae comedit me, et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me.
Ant. Le zèle de votre maison m’a dévoré ; et vos injures sont devenues les miennes.

Le deuxième Psaume fut composé par David dans les mêmes circonstances. Il y implore le secours de Dieu contre ses ennemis qui le cherchent pour le faire mourir. Ce Psaume est une annonce prophétique du sort réservé au Messie

Ant. Avertantur retrorsum ; et erubescant, qui cogitant mihi mala.
Ant. Qu’ils fuient devant moi couverts de honte, ceux qui veulent ma perte.

Psaume 69

Deus, in adjutorium meum intende : * Domine, ad adjuvandum me festina. O Dieu, venez à mon aide ; Seigneur, hâtez-vous de me secourir.
Confundantur et revereantur * qui quaerunt animam meam. Qu’ils soient remplis de terreur et de confusion, ceux qui cherchent à m’ôter la vie.
Avertantur retrorsum, et erubescant : * qui volunt mihi mala. Qu’ils fuient devant moi, couverts de honte, ceux qui veulent ma perte.
Avertantur statim erubescentes : * qui dicunt mihi : Euge, euge. Qu’ils soient repoussés en arrière et confondus, ceux qui me disent : Allons ! allons !
Exsultent et laetentur in te omnes qui quaerunt te : * et dicant semper : Que ceux qui vous cherchent trouvent la joie en vous ; que ceux qui n’attendent leur salut que de vous répètent sans cesse : Le Seigneur soit loué !
Magnificetur Dominus, qui diligunt salutare tuum. Moi, je suis pauvre et affligé, ô Dieu, secourez -moi.
Ego vero egenus et pauper sum : * Deus, adjuva me. Vous êtes mon aide et mon libérateur ; Seigneur, ne tardez pas.
Adjutor meus, et liberator meus es tu : * Domine, ne moreris. O Dieu, venez à mon aide ; Seigneur, hâtez-vous de me secourir.

 

Ant. Avertantur retrorsum ; et erubescant, qui cogitant mihi mala.
Ant. Qu’ils fuient devant moi couverts de honte, ceux qui veulent ma perte.

Le troisième Psaume se rapporte à la même époque de la vie de David ; mais s’il exprime les périls au milieu desquels se trouvait ce saint roi, il est remarquable aussi par les sentiments d’une confiance invincible en Dieu qui lui donnera à la fin la victoire. Dans son sens prophétique, ce Psaume nous montre l’espérance que l’Homme-Dieu conserva dans le secours de son Père, au fort même de ses angoisses.

Ant. Avertantur retrorsum, et erubescant qui cogitant mihi mala.
Ant. O mon Dieu, tirez-moi des mains du pécheur.

Psaume 70

In te, Domine, speravi : non confundar in aeternum : * in justitia tua libera me, et eripe me. En vous, Seigneur, j’ai mis mon espérance ; que mon attente ne soit pas confondue ; délivrez-moi dans votre justice, et tirez-moi du péril.
Inclina ad me aurem tuam : * et salva me. Prêtez-moi une oreille favorable, et sauvez-moi.
Esto mihi in Deum protectorem, et in locum munitum : * ut salvum me facias. Soyez-moi un Dieu protecteur, et un sûr asile où je trouve mon salut.
Quoniam firmamentum meum : * et refugium meum es tu. Vous êtes mon rempart : vous êtes mon refuge.
Deus meus, eripe me de manu peccatoris * et de manu contra legem agentis, et iniqui. O mon Dieu, tirez-moi des mains du pécheur, des mains du violateur de la loi et de l’impie ;
Quoniam tu es patientia mea, Domine * Domine, spes mea, a juventute mea. Car vous êtes, Seigneur, mon attente, mon espérance, Seigneur, dès mes premières années.
In te confirmatus sum ex utero * de ventre matris meae tu es protector meus. Vous fûtes mon appui dès le sein de ma mère, mon protecteur dès ma naissance.
In te cantatio mea semper : * tamquam prodigium factus sum multis, et tu adjutor fortis. Vous serez à jamais l’objet de mes chants ; j’ai semblé un prodige aux yeux des autres, à cause de vos bienfaits ; car vous êtes un puissant protecteur.
Repleatur os meum laude, ut cantem gloriam tuam : * tota die magnitudinem tuam. Que ma bouche se remplisse de louanges pour chanter votre gloire, pour célébrer vos grandeurs tout le jour.
Ne projicias me in tempore senectutis : * cum defecerit virtus mea, ne derelinquas me. Ne me rejetez pas dans le temps de ma vieillesse ; ne m’abandonnez pas quand mes forces m’abandonneront.
Quia dixerunt inimici mei mihi : * et qui custodiebant animam meam, consilium fecerunt in unum. Car mes ennemis m’ont menacé ; ceux qui ont l’œil sur moi pour me perdre se sont réunis dans leurs complots.
Dicentes : Deus dereliquit eum, persequimini, et comprehendite eum : * quia non est qui eripiat. Ils ont dit : Dieu l’a abandonné ; poursuivez-le et saisissez-vous de lui ; car il n’a personne pour l’arracher de nos mains.
Deus, ne elongeris a me : * Deus meus, in auxilium meum respice. O Dieu, ne vous éloignez pas de moi ; mon Dieu, songez à me secourir.
Confundantur et deficiant detra­hen­tes animae meae : * operian­tur confusione et pudore, qui quaerunt mala mihi. Que mes détracteurs soient confondus ; que ceux qui me veulent du mal soient couverts de honte et d’ignominie.
Ego autem semper sperabo : * et adjiciam super omnem laudem tuam. Pour moi, j’espérerai toujours, et j’ajouterai pour vous la louange à la louange.
Os meum annuntiabit justitiam tuam : * tota die salutare tuum. Ma bouche chantera votre justice ; elle publiera tout le jour le salut qui vient de vous.
Quoniam non cognovi litteraturam, introibo in potentias Domini : * Domine, memorabor justitiae tuae solius. Quoique je n’aie pas étudié les sciences humaines, je pénétrerai les secrets de la puissance du Seigneur ; je ne m’occuperai que des œuvres de votre justice, Seigneur !
Deus, docuisti me a juventute mea : * et usque nunc pronuntiabo mirabilia tua. C’est vous, Seigneur, qui, dès ma jeunesse, m’avez instruit ; et jusqu’à présent je n’ai cessé de célébrer vos merveilles.
Et usque in senectam et senium : * Deus, ne derelinquas me. Je continuerai de le faire jusque dans ma vieillesse ; ô Dieu, ne m’abandonnez pas :
Donec annuntiem brachium tuum : *generationi omni, quae ventura est. Afin que je fasse connaître la force de votre bras à toutes les générations futures ;
Potentiam tuam, et justitiam tuam, Deus, usque in altissima, quae fecisti magnalia : * Deus, quis similis tibi ? Afin que je publie, ô Dieu, votre puissance, votre justice, et les merveilles que vous avez opérées. Qui donc, ô Dieu, est semblable à vous ?
Quantas ostendisit mihi tribulationes multas et malas, et conversus vivificasti me : * et de abyssis terrae iterum reduxisti me. Par combien de nombreuses et amères tribulations vous m’avez fait passer ! Un retour de votre bonté m’a rendu la vie, et vous m’avez rappelé du fond des abîmes de la terre.
Multiplicasti magnificentiam tuam * et conversus consolatus es me. Vous avez multiplié sur moi vos dons, et vous tournant vers moi, vous m’avez consolé.
Nam et ego confitebor tibi in vasis psalmi veritatem tuam : * Deus, psallam tibi in cithara, Sanctus Israel. Je chanterai donc sur le psaltérion la fidélité de vos promesses : ô Dieu ! je vous célébrerai sur la harpe, ô Saint d’Israël !
Exsultabunt labia mea cum cantavero tibi * et anima mea, quam redemisti. Mes lèvres chanteront avec joie des cantiques à votre gloire, et mon âme que vous avez délivrée tressaillira de bonheur.
Sed et lingua mea tota die meditabitur justitiam tuam : cum confusi et reveriti fuerint qui quaerunt mala mihi. Ma langue publiera tout le jour votre justice, lorsque ceux qui cherchaient ma perte seront enfin couverts de honte et d’ignominie.

Ant. Deus meus, eripe me de manu peccatoris.
Ant. O mon Dieu, tirez-moi des mains du pécheur.

V/. Qu’ils soient renversés et confondus,
R/. Ceux qui forment des conseils pour ma perte.

Les Leçons du premier Nocturne de chacun de ces trois jours sont empruntées aux Lamentations de Jérémie. Nous y voyons le désolant spectacle qu’offrit la ville de Jérusalem, lorsque son peuple eut été emmené captif à Babylone, en punition de son idolâtrie. La colère de Dieu est empreinte sur ces ruines que Jérémie déplore avec des paroles si vraies et si terribles. Cependant ce désastre n’était que la figure d’un autre désastre plus épouvantable encore. Jérusalem prise et réduite en solitude par les Assyriens conserve du moins son nom ; et le Prophète qui se lamente aujourd’hui sur elle avait annoncé lui-même que la désolation ne durerait pas au delà de soixante-dix ans. Mais, dans sa seconde ruine, la ville infidèle perdit jusqu’à son nom. Rebâtie par ses vainqueurs, elle porta pendant plus de deux siècles le nom d’Aelia Capitolina ; et si, à la paix de l’Église, on l’appela de nouveau Jérusalem, ce n’était point un hommage rendu à Juda, mais un souvenir au Dieu de l’Évangile que Juda avait crucifié dans cette ville. Ni la piété de sainte Hélène et de Constantin, ni les vaillants efforts des croisés, n’ont pu rendre d’une manière durable à Jérusalem l’ombre même d’une ville d’ordre secondaire ; son sort est d’être esclave, et esclave des infidèles, jusque vers la fin des temps. Cette affreuse malédiction, c’est en ces jours qu’elle l’a attirée sur elle : voilà pourquoi la sainte Église, pour nous faire comprendre la grandeur du crime commis, fait retentir à nos oreilles les plaintes navrantes du Prophète qui seul a pu égaler les lamentations aux douleurs. Cette touchante élégie se chante sur un mode plein de mélancolie, qui remonte peut-être à l’antiquité judaïque. Les noms des lettres de l’alphabet hébreu, qui divisent chaque strophe, indiquent la forme acrostiche que ce poème retient dans l’original. On les chante, parce que les Juifs les chantaient eux-mêmes.

Ici commencent les Lamentations du Prophète Jérémie.

Première leçon

Aleph. Comment est-elle assise dans la solitude, cette ville autrefois si peuplée ? La maîtresse des nations est devenue semblable à une veuve désolée ; celle qui commandait à tant de provinces est maintenant assujettie au tribut.

Beth. Elle pleure toute la nuit, et ses joues sont inondées de larmes. De tous ceux qu’elle aimait, pas un ne la console. Tous ses amis l’ont méprisée, et sont devenus ses ennemis.

Ghimel. La fille de Juda est sortie de son pays pour fuir l’affliction et la rigueur de la servitude : elle est allée parmi les nations, et n’y a pas trouvé le repos ; ses persécuteurs l’ont serrée de si près, qu’elle est enfin tombée entre leurs mains.

Daleth. Les rues de Sion pleurent, parce que personne ne vient plus à ses fêtes ; toutes ses portes sont détruites, ses prêtres ne font que gémir ; ses jeunes filles ont caché sous la cendre leurs attraits, et elle-même est plongée dans l’amertume.

He. Ses ennemis ont marché sur sa tête ; ils se sont enrichis de ses dépouilles, parce que le Seigneur l’a ainsi ordonné, à cause de la multitude de ses iniquités. Ses petits enfants ont été emmenés en captivité ; le persécuteur les chassait devant lui.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Sur le mont des Oliviers, Jésus fit cette prière à son Père : Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ; * Car l’esprit est prompt, mais la chair est faible. V/. Veillez et priez, pour que vous n’entriez point en tentation ; * Car l’esprit est prompt, mais la chair est faible.

Deuxième leçon

Vau. Et la fille de Sion a perdu tous ses charmes ; ses princes ont été dispersés comme des béliers qui ne trouvent point de pâturages : ils se sont enfuis lâchement devant l’ennemi qui les poursuivait.

Zaïn. Jérusalem s’est souvenue des jours de son affliction et de sa désobéissance, et de son opulence d’autrefois, lorsqu’elle a vu son peuple tomber entre les mains de ses ennemis, sans être secourue par personne. Ses ennemis l’ont regardée avec mépris, et ils se sont moqués de ses sabbats et de ses fêtes.

Heth. Jérusalem a commis de grands crimes : c’est pour cela qu’elle est errante et sans asile. Tous ceux qui autrefois la glorifiaient, la méprisent aujourd’hui, en voyant son ignominie ; elle, toute en proie aux gémissements, a tourné la tête en arrière.

Teth. Ses souillures ont paru sur ses pieds ; elle ne pensait pas qu’elle dût jamais finir. La voilà renversée avec violence, et elle n’a personne qui la console. Elle a dit : Voyez, Seigneur, mon affliction, et l’insolence de l’ennemi qui s’est élevé contre moi.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Mon âme est triste jusqu’à la mort ; demeurez ici, et veillez avec moi ; bientôt vous allez voir une troupe de gens qui va m’environner ; * Vous prendrez la fuite, et moi j’irai me sacrifier pour vous. V/. Voici l’heure qui approche, et le Fils de l’homme sera livré aux mains des pécheurs. *Vous prendrez la fuite, et moi j’irai me sacrifier pour vous.

Troisième leçon

Iod. L’ennemi s’est emparé de tout ce qu’elle avait de plus précieux ; elle a vu pénétrer dans son sanctuaire les nations auxquelles vos ordres ne permettaient pas d’entrer dans votre assemblée.

Caph. Tout son peuple gémit, et cherche du pain ; ils ont donné tout ce qu’ils avaient de précieux pour soutenir leur vie près de s’éteindre. Voyez, Seigneur, et considérez l’abaissement dans lequel je suis tombée.

Lamed. O vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est douleur pareille à la mienne. Mon ennemi m’a dépouillée comme la vigne que l’on vendange, comme le Seigneur m’en avait menacée, pour le jour de sa fureur.

Mem. Du haut des cieux il a lancé un feu jusque dans mes os, et il m’a châtiée : il a tendu un filet à mes pieds, et m’a fait tomber en arrière ; il m’a jetée dans la désolation, dans un chagrin qui m’accable tout le jour.

Nun. Le joug de mes iniquités est venu fondre sur moi : la main du Seigneur en a fait un collier qu’il m’a mis au cou ; il m’a livrée à une puissance dont je ne pourrai me délivrer.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Nous l’avons vu, et il n’avait ni beauté ni éclat ; son aspect était méconnaissable ; c’est lui qui porte nos péchés, et qui souffre pour nous ; il a été percé pour nos iniquités ; * Et nous avons été guéris par ses meurtrissures. V/. Il a pris véritablement sur lui nos maladies, et il s’est chargé de nos douleurs.  * Et nous avons été guéris par ses meurtrissures.
On répète : Nous l’avons vu.

Au deuxième Nocturne

Le quatrième Psaume, qui célèbre avec tant de pompe les grandeurs du fils de David, semble, au premier abord, déplacé dans cet Office, où il ne s’agit que de ses humiliations. Nous avons chanté ce beau cantique avec triomphe dans la nuit de la naissance de l’Emmanuel, et nous le retrouvons aujourd’hui mêlé à des chants de deuil. La sainte Église l’a choisi parce que, au milieu des splendeurs qu’il prophétise à notre libérateur, il annonce que ce Fils du Roi « arrachera le pauvre des mains du puissant, le pauvre qui n’avait point d’appui ». Le genre humain est ce pauvre ; le puissant est Satan ; Jésus va nous soustraire à son pouvoir, en souffrant en notre place la peine que nous avions méritée.

Ant. Liberavit Dominus pauperem a potente, et inopem, cui non erit adjutor.
Ant. Le Seigneur a arraché le pauvre des mains du puissant, le pauvre qui n avait point d’appui.

Psaume 71

Deus, judícium tuum regi da : * et justítiam tuam fílio regis, O Dieu, donnez au roi votre science du jugement, et au fils du roi le soin de votre justice,
Judicare populum tuum in justítia, * et pauperes tuos in judício. Pour juger votre peuple dans l’équité, et vos pauvres dans la droiture.
Suscípiant montes pacem populo : * et colles justítiam. Que les montagnes de votre peuple soient pacifiées ; que les collines reçoivent la justice.
Judicabit pauperes populi, et salvos faciet fílios pauperum : * et humiliabit calumniatorem. Il jugera les pauvres d’entre le peuple ; il sauvera les fils du pauvre ; il brisera l’oppresseur.
Et permanebit cum sole, et ante lunam, * in generatione et generationem. Son règne sur la terre durera autant que le soleil et la lune, de génération en génération.
Descendet sicut pluvia in vellus : * et sicut stillicídia stillantia super terram. Il descendra comme la rosée sur la toison, et comme les gouttes d’une pluie rafraîchissante sur la terre.
Orietur in diebus ejus justítia, et abundantia pacis : * donec auferatur luna. Sous son règne, la justice se lèvera avec l’abondance de la paix, aussi longtemps que la lune brillera au ciel.
Et dominabitur a mari usque ad mare : * et a flumine usque ad terminos orbis terrarum. Et il dominera de la mer à la mer, et du fleuve du Jourdain jusqu’aux confins de la terre.
Coram illo procident Aethíopes : * et inimíci ejus terram lingent. Devant lui se prosterneront les Éthiopiens, et ses ennemis baiseront la poussière.
Reges Tharsis, et ínsulae munera offerent : * reges Arabum et Saba dona adducent. Les rois de Tharsis et les insulaires lui offriront des présents ; les rois d’Arabie et de Saba lui apporteront leurs dons.
Et adorabunt eum omnes reges terrae : * omnes gentes servient ei. Et tous les rois de la terre l’adoreront : toutes les nations lui seront assujetties ;
Quia liberabit pauperem a potente : * et pauperem cui non erat adjutor. Car il arrachera le pauvre des mains du puissant, le pauvre qui n’avait point d’appui.
Parcet pauperi et ínopi : * et animas pauperum salvas faciet. Il sera miséricordieux au genre humain pauvre et indigent ; et il sauvera les âmes de ces pauvres créatures.
Ex usuris et iniquitate redimet animas eorum : * et honorabile nomen eorum coram illo. Il rachètera ces âmes des usures et de l’injustice de Satan, et il daignera rendre leur nom honorable devant ses propres yeux.
Et vivet, et dabitur ei de auro Arabiae, et adorabunt de ipso semper : * tota die benedícent ei. Il vivra, et on lui offrira l’or de l’Arabie ; et son règne sera l’objet de tous les vœux au Seigneur ; on le bénira durant tout le jour.
Et erit firmamentum in terra in summis montium, superextolletur super Líbanum fructus ejus : * et florebunt de civitate sicut fœnum terrae. Il est le Pain de vie ; c’est pourquoi, sous son règne, le froment croîtra sur la terre jusqu’au plus aride sommet des montagnes, et son fruit s’élèvera plus haut que les cèdres du Liban ; et les habitants de sa cité fleuriront comme l’herbe des prairies.
Sit nomen ejus benedíctum in saecula : * ante solem permanet nomen ejus. Que son nom soit béni dans les siècles : ce nom éternel qui subsistait avant le soleil
Et benedicentur in ipso omnes tribus terrae : * omnes gentes magnificabunt eum. Et toutes les tribus de la terre seront bénies en lui : toutes les nations chanteront sa gloire.
Benedíctus Dominus Deus Israël, * qui facit mirabília solus. Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël qui seul opère de telles merveilles !
Et benedíctum nomen majestatis ejus in aeternum : * et replebitur majestate ejus omnis terra ; fiat, fiat. Et béni soit à jamais le nom de sa majesté, et toute la terre soit remplie de sa majesté ! Amen ! Amen !

 

Ant. Liberavit Dominus pauperem a potente, et inopem, cui non erit adjutor.
Ant. Le Seigneur a arraché le pauvre des mains du puissant, le pauvre qui n avait point d’appui.

Le cinquième Psaume renferme une leçon morale destinée à réformer les idées du monde. Souvent il arrive que les hommes se scandalisent en voyant le triomphe des pécheurs et l’humiliation des justes. Ce fut en ces jours l’écueil des Apôtres, qui désespérèrent de la mission de leur maître, lorsqu’ils le virent aux mains de ses ennemis. Le Psalmiste confesse que cette tentation l’a aussi ébranlé ; mais il n’a pas tardé à reconnaître que si Dieu laisse pour un temps dominer l’iniquité, il vient au jour marqué, pour punir les méchants, et venger le juste qu’ils avaient abreuvé d’amertumes.

Ant. Cogitaverunt impii, et locuti sunt nequitiam : iniquitatem in excelso locuti sunt.
Ant. Les pensées et les paroles des méchants ne tendent qu’au crime ; ils publient hautement leur iniquité.

Psaume 72

Quam bonus Israel Deus * his qui recto sunt corde ! Que Dieu est bon envers Israël, envers ceux dont le cœur est droit !
Mei autem pene moti sunt pedes : * pene effusi sunt gressus mei. Cependant mes pieds ont été presque ébranlés, mes pas ont presque chancelé ;
Quia zelavi super iniquos : * pacem peccatorum videns. Parce que j’ai regardé les méchants avec jalousie ; je me suis scandalisé de la paix dont ils jouissent.
Quia non est respectus morti eorum : * et firmamentum in plaga eorum. Leur mort n’a rien qui la fasse remarquer, et les plaies dont ils sont frappés ne durent pas.
In labore hominum non sunt : * et cum hominibus non flagellabuntur. Ils ne participent point aux misères humaines, et ils ne ressentent pas les fléaux des autres hommes.
Ideo tenuit eos superbia : * operti sunt iniquitate, et impietate sua. C’est pourquoi l’orgueil les domine : leurs crimes et leur impiété semblent leur servir de protection.
Prodiit quasi ex adipe iniquitas eorum * transierunt in affectum cordis. L’abondance dont ils jouissent est pour eux une source d’iniquité ; ils s’aban­donnent à toutes les passions de leur cœur.
Cogitaverunt, et locuti sunt nequitiam : * iniquitatem in excelso locuti sunt. Leurs pensées et leurs paroles ne tendent qu’au crime ; ils publient hautement leur iniquité.
Posuerunt in cœlum os suum : * et lingua corum transivit in terra. En leurs discours ils attaquent le ciel même, et leur langue impie parcourt la terre.
Ideo convertetur populus meus hic : * et dies pleni invenientur in eis. C’est ce qui fait que mon peuple, voyant que leurs jours sont pleins et heureux, se tourne vers eux,
Et dixerunt : Quomodo scit Deus : * et si est scientia in Excelso ? Et dit : Comment croire que Dieu le sait ? comment croire que le Très‑Haut s’occupe de ce qui se passe ?
Ecce ipsi peccatores, et abundantes in saeculo : * obtinuerunt divitias. Voilà ces méchants et ces heureux du siècle, qui multiplient leurs richesses de plus en plus.
Et dixi Ergo sine causa justificavi cor meum : * et lavi inter innocentes manus meas. Et j’ai dit à mon tour : C’est donc en vain que je prends soin de conserver mon cœur dans la justice, que j’ai lavé mes mains avec ceux qui sont innocents ;
Et fuit flagellatus tota die : * et castigatio mea in matutinis. Puisque je n’en ai pas moins éprouvé les fléaux de chaque jour, et que chaque matin a été marqué par mes disgrâces.
Si dicebam, Narrabo sic : * ecce nationem filiorum tuorum reprobavi. Mais quand je parlais ainsi, je faisais injure à toute la race de vos enfants.
Existimabam ut cognoscerem hoc : * labor est ante me. J’ai cherché en vain à pénétrer ce mystère, et cette pensée a été mon tourment,
Donec intrem in sanctuarium Dei : * et intelligam in novissimis eorum. Jusqu’à ce que je sois entré dans la pensée intime de Dieu ; c’est alors que j’ai compris la destinée dernière des méchants.
Verumtamen propter dolos posuisti eis : * dejecisti eos, dum allevarentur. J’ai vu alors que c’était un piège que vous tendiez devant eux ; que vous les précipitez au moment même où ils s’élèvent le plus.
Quomodo facti sunt in desolationem, subito defecerunt : *perierunt propter iniquitatem suam. Comme ils sont tombés tout à coup dans la désolation ! que leur chute a été subite ! Ils ont péri : leur iniquité les a perdus.
Velut somnium surgentium, Domine : * in civitate tua imaginem ipsorum ad nihilum rediges. Leur bonheur est devenu comme le rêve d’un homme qui s’éveille ; ils seront exterminés, Seigneur, de votre cité sainte ; il n’en restera pas même l’ombre.
Quia inflammatum est cor meum, et renes mei commutati sunt : * et ego ad nihilum redactus sum, et nescivi. Mon cœur avait été soulevé, ma force avait été ébranlée, à l’idée de leur bonheur ; j’étais comme réduit au néant, et ne comprenant rien.
Ut jumentum factus sum apud te : * et ego semper tecum. J’étais devant vous comme une bête de somme ; néanmoins je suis demeuré toujours avec vous.
Tenuisti manum dexteram meam ; et in voluntate tua deduxisti me : * et cum gloria suscepisti me. Vous m’avez pris par la main, et vous m’avez dirigé selon votre volonté, et comblé de gloire en me recevant entre vos bras.
Quid enim milli est in cœlo ? * et a te quid volui super terram ? Que désiré-je au ciel, sinon vous ? Et qu’aimé-je sur la terre que vous seul ?
Defecit caro mea, et cor meum : * Deus cordis mei, et pars mea, Deus, in aeternum. Ma chair et mon cœur languissent d’amour : vous êtes le Dieu de mon cœur et mon partage, ô Dieu, pour toujours.
Quia ecce qui elongant se a te, peribunt : * perdidisti omnes qui fornicantur abs te. Ceux qui s’éloignent de vous périront : vous perdrez tous ceux qui se prostituent à l’étranger.
Mihi autem adhaerere Deo bonum est : * ponere in Domino Deo spem meam. Pour moi, mon bonheur est de me tenir attaché à Dieu, de mettre dans le Seigneur Dieu mon espérance.
Ut annuntiem omnes praedicationes tuas : * in portis filiae Sion. Et je veux publier toutes vos merveilles aux portes de la fille de Sion.

Ant. Cogitaverunt impii, et locuti sunt nequitiam : iniquitatem in excelso locuti sunt.
Ant. Les pensées et les paroles des méchants ne tendent qu’au crime ; ils publient hautement leur iniquité.

Le sixième Psaume s’élève contre un peuple ennemi du culte de Dieu. Israël le chanta longtemps contre les Gentils ; le peuple chrétien l’applique à la Synagogue qui, après avoir crucifié le Messie, employa tous ses efforts pour renverser son Église, immola les premiers martyrs, et voulut contraindre les Apôtres à ne plus prononcer le nom de Jésus‑Christ.

Ant. Exsurge, Domine, et judica causam meam.
Ant. Levez-vous, Seigneur, et jugez ma cause.

Psaume 73.

Ut quid Deus repulisti in finem ? * iratus est furor tuus super oves pascuae tuae ? O Dieu, nous avez-vous donc rejetés pour toujours ? Votre fureur s’est‑elle donc allumée contre les brebis de votre bercail ?
Memor esto congregationis tuae : * quam possedisti ab initio. Souvenez-vous de votre peuple, que vous avez acquis dès le commencement ;
Redemisti virgam haereditatis tuae : * mons Sion, in quo habitasti in eo. Que vous avez racheté pour en faire le sceptre de votre héritage ; souvenez-vous de Sion, où vous aviez établi votre demeure.
Leva manus tuas in superbias eorum in finem : * quanta malignatus est inimicus in Sancto ! Levez votre bras contre un orgueil qui n’a point de terme : que d’impiétés l’ennemi n’a-t-il pas commises dans votre sanctuaire !
Et gloriati sunt qui oderunt te : * in medio solemnitatis tuae. Ils vous haïssent, et ils ont mis leur gloire à vous insulter au milieu de vos solennités.
Posuerunt signa sua, signa : * et non cognoverunt, sicut in exitu super summum. Ils ont arboré leurs étendards comme des signaux qu’on élève sur les hauteurs, et ils ont méconnu votre puissance.
Quasi in silva lignorum securibus exciderunt januas ejus in idipsum : * in securi et ascia dejecerunt eam. Ils ont abattu les portes du lieu saint, comme on abat les arbres dans les forêts : ils les ont brisées à coups de haches et de cognées.
Incenderunt igni sanctuarium tuum : * in terra polluerunt tabernaculum nominis tui. Ils ont incendié votre Saint des saints ; ils ont souillé le tabernacle de votre nom, et l’ont renversé par terre.
Dixerunt in corde suo cognatio eorum simul : * Quiescere faciamus omnes dies festos Dei a terra. Eux et leur race ont dit dans leur cœur : Faisons cesser sur la terre tous les jours de fêtes consacrés à Dieu.
Signa nostra non vidimus, jam non est propheta * et nos non cognoscet amplius Et nous, nous ne voyons plus de prodiges en notre faveur ; il n’y a plus de prophète, et il semble que notre Dieu ne nous connaît plus.
Usquequo, Deus, improperabit inimicus ? * irritat adversarius nomen tuum in finem ? O Dieu, jusques à quand l’ennemi nous insultera-t-il ? Votre ennemi et le nôtre outragera-t-il donc toujours votre nom ?
Ut quid avertis manum tuam, et dexteram tuam : * de medio sinu tuo in finem ? Pourquoi tenez-vous toujours cachée votre main ? que ne la tirez-vous enfin de votre sein, où elle est immobile ?
Deus autem Rex noster ante saecula : * operatus est salutem in medio terrae. Dieu est notre roi dès avant tous les siècles ; il a opéré plus d’une fois notre salut à la face de la terre entière.
Tu confirmasti in virtute tua mare : * contribulasti capita draconum in aquis. Vous avez suspendu les eaux de la mer par votre puissance ; vous avez brisé dans ses flots les têtes des dragons.
Tu confregisti capita draconis : * dedisti eum escam populis Aethiopum. Vous avez écrasé la tête du dragon ; vous l’avez donné en proie aux peuples de l’Éthiopie.
Tu dirupisti fontes et torrentes : * tu siccasti fluvios Aethan. Vous avez rompu la roche, et elle a versé des torrents ; vous avez desséché les fleuves d’Ethan.
Tuus est dies, et tua est nox : * tu fabricatus es auroram et solem. Le jour est à vous, et la nuit vous appartient : vous avez créé l’aurore et le soleil.
Tu fecisti omnes terminos terra : * aestatem et ver tu plasmasti ea. C’est vous qui avez fixé les bornes de la terre : le printemps et l’été, c’est vous qui les avez formés.
Memor esto hujus, inimicus improperavit Domino : * et populus insipiens incitavit nomen tuum. Souvenez-vous, Seigneur, des outrages de votre ennemi, de ce peuple insensé qui a défié votre nom.
Ne tradas bestiis animas confitentes tibi : * et animas pauperum tuorum ne obliviscaris in finem. N’abandonnez pas aux bêtes farouches ceux qui chantent vos louanges, et n’oubliez pas pour toujours les âmes de vos pauvres.
Respice in testamentum tuum : * quia repleti sunt, qui obscurati sunt terrae, domibus iniquitatum. Ayez égard à votre alliance ; votre terre est couverte de ténèbres, et elle est peuplée d’impies, couverte de maisons d iniquités.
Ne avertatur humilis factus confusus : * pauper et inops laudabunt Nomen tuum. Que l’humble qui s’adresse à vous ne s’en retourne pas couvert de confusion ; le pauvre et l’indigent loueront votre nom.
Exsurge, Deus, judica causam tuam : * memor esto improperiorum tuorum, eorum quae ab insipiente sunt tota die. O Dieu ! levez-vous et jugez votre cause : souvenez-vous des outrages que les insensés vous font durant tout le jour.
Ne obliviscaris voces inimicorum tuorum : * superbia eorum qui te oderunt, ascendit semper. N’oubliez pas les blasphèmes de vos ennemis ; car l’insolence de ceux qui vous haïssent monte toujours.

Ant. Exsurge, Domine, et judica causam meam.
V. Deus meus, eripe me de manu peccatoris.
R. Et de manu contra legem agentis et iniqui.

Ant. Levez-vous, Seigneur, et jugez ma cause.
V/. Mon Dieu, arrachez-moi des mains du pécheur.
R/. Tirez-moi de la puissance du violateur de votre loi et de l’injuste.

L’Église lit, au second Nocturne, un passage des Énarrations de saint Augustin sur les Psaumes prophétiques de la Passion du Sauveur.

Du traité de saint Augustin, Évêque, sur les Psaumes.

Quatrième leçon

Exaucez, ô Dieu, ma prière, et ne méprisez pas ma supplication ; soyez attentif à mes paroles, et exaucez-moi. Ces paroles sont d’un homme qui est dans l’inquiétude et dans l’affliction. Dans le fort de ses souffrances, il demande d’être délivré du mal qui le presse. Il nous reste maintenant à entendre en quoi consiste le mal dont il se plaint ; et quand il aura commencé à parler, nous reconnaîtrons que nous sommes dans la même peine ; afin que, ayant part à son affliction, nous joignions notre prière à la sienne. J’ai été, dit-il, accablé de tristesse, dans la peine qui m’exerce ; et j’ai été troublé. Où a-t-il été accablé de tristesse ? où a-t-il été troublé ? C’est, dit-il, dans la peine qui m’exerce. Il parle des méchants qui le font souffrir, et la persécution des méchants est ce qu’il appelle son exercice. Ne pensez pas que les méchants soient en ce monde pour rien, et que Dieu ne tire aucun bien d’eux. Il les laisse vivre, ou afin qu’ils se corrigent, ou afin qu’ils exercent les bons.

R/. Mon ami m’a trahi par le signal d’un baiser : Celui que je baiserai, a‑t‑il dit, c’est lui-même ; arrêtez-le. Tel est le signal coupable que donna celui qui par un baiser consomma l’homicide. * Le malheureux ! il ne garda pas même le prix du sang, et à la fin il se pendit. V/. Il eût été bon pour cet homme de n’être pas né.  * Le mal­heureux ! il ne garda pas même le prix du sang, et à la fin il se pendit.

Cinquième leçon

Puissent donc se convertir et mériter d’être exercés avec nous ceux qui maintenant nous exercent ! Mais pendant qu’ils nous sont ainsi à charge, gardons-nous de les haïr, parce que nous ne savons pas si le méchant persévérera jusqu’à la fin dans sa malice. Il arrive souvent qu’en pensant haïr votre ennemi, c’est votre frère que vous haïssez, sans le savoir. Il n’y a que le diable et ses anges que nous sachions, par les saintes Écritures, être présentement dans les flammes éternelles. Il n’y a qu’eux dont nous ne pouvons espérer de changement, eux contre lesquels nous avons à soutenir ce combat invisible, auquel l’Apôtre nous prépare, lorsqu’il dit : Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, c’est-à-dire contre les hommes que vous voyez, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce monde de ténèbres. Afin que nous ne crussions pas que les démons soient les maîtres du ciel et de la terre, quand il dit : Les princes de ce monde, il ajoute : de ce monde de ténèbres. Ainsi, par ce monde, il entend les amateurs du monde ; par ce monde, il entend les impies et les méchants ; par ce monde, il entend celui dont l’Évangile parle quand il dit : Et le monde ne l’a pas connu.

R/. Judas, le marchand sacrilège, s’approcha du Seigneur pour le baiser ; comme un agneau innocent, le Seigneur ne refusa pas le baiser de Judas. * Pour quelques deniers, le traître a livré le Christ aux Juifs. V/. Il eût été meilleur pour lui de n’être jamais né. * Pour quelques deniers, le traître a livré le Christ aux Juifs.

Sixième leçon

Je n’ai vu dans la ville qu’iniquité et contradiction. Considérez la gloire de la Croix du Christ. Objet des insultes de ses ennemis, la voilà maintenant placée sur le front des rois. Sa puissance a paru par ses effets. Le Christ a conquis l’univers, non par le fer, mais par le bois. Le bois de la croix ne parut digne que d’opprobres à ses ennemis, lorsqu’ils se tenaient devant elle, branlant la tête et disant : S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix. Lui cependant étendait ses mains vers le peuple incrédule et rebelle. Si c’est le juste qui vit de la foi, le méchant est celui qui n’a pas la foi. C’est pourquoi, par l’iniquité dont parle le Prophète, il faut entendre l’infidélité. Le Seigneur voyait donc l’iniquité et la contradiction dans cette ville ; il étendait ses mains vers le peuple incrédule et rebelle, et néanmoins il les attendait avec patience, en disant : Père, pardonnez-leur ; car ils ne savent ce qu’ils font.

R/.Un de mes disciples me trahira aujourd’hui : malheur à celui par qui je serai trahi ! * Mieux vaudrait pour lui n’être jamais né. V/. Celui qui met en ce moment la main au plat avec moi, est celui qui doit me livrer entre les mains des pécheurs. * Mieux vaudrait pour lui n’être jamais né. On répète : Un de mes disciples.

Troisième nocturne

Le septième Psaume dénonce les vengeances de Dieu à ceux qui ont allumé sa colère. On y voit le sort de la Synagogue qui, après avoir contraint le juste par excellence à boire le calice amer de sa Passion, épuisera à son tour, et jusqu’à la lie, celui que la colère du Seigneur lui tient en réserve.

Ant. Dixi iniquis : Nolite loqui adversus Deum iniquitatem.
Ant. J’ai dit aux méchants : Cessez de tenir contre Dieu des discours impies.

Psaume 74

Confitebimur tibi Deus : * confitebimur, et invocabimus Nomen tuum. Nous vous louerons, ô Dieu ! nous vous louerons et nous invoquerons votre nom ;
Narrabimus mirabilia tua : * cum accepero tempus, ego justitias judicabo. Et nous publierons vos merveilles. Lorsque le temps sera arrivé, dit le Seigneur, je jugerai selon la justice.
Liquefacta est terra, et omnes qui habitant in ea : * ego confirmavi columnas ejus. La terre se fondra et s’écoulera comme l’eau, avec tous ses habitants ; c’est moi qui en avais affermi les colonnes.
Dixi iniquis : Nolite inique agere : * et delinquentibus : Nolite exaltare cornu. J’ai dit aux méchants : Cessez de faire le mal ; j’ai dit aux pécheurs : Ne soyez plus si vains de votre puissance.
Nolite extollere in altum cornu vestrum : * nolite loqui adversus Deum iniquitatem. Cessez d’élever votre orgueil contre le ciel ; cessez de tenir contre Dieu des discours impies.
Quia neque ab Oriente, neque ab Occidente, neque a desertis montibus : * quoniam Deus judex est. Il ne vous viendra de secours contre moi ni de l’Orient, ni de l’Occident, ni des montagnes désertes du .Midi ; car Dieu est le juge souverain.
Hunc humiliat, et hunc exaltat : * quia calix in manu Domini, vini meri plenus mixto. Il abaisse l’un, et il élève l’autre ; une coupe dans laquelle il a mêlé le vin de sa colère est en la main du Seigneur.
Et inclinavit ex hoc in hoc : verumtamen faex ejus non est exinanita : * bibent omnes peccatores terrae. Il la penche d’un côté et de l’autre ; mais la lie n’en est pas épuisée : tous les pécheurs de la terre en boiront.
Ego autem annuntiabo in saeculum : * cantabo Deo Jacob. Pour moi, je célébrerai sa justice dans tous les siècles, je chanterai au Dieu de Jacob ;
Et omnia cornua peccatorum confringam : * et exaltabuntur cornua justi. Je briserai toute la puissance des pécheurs ; je relèverai celle du juste.

Ant. Dixi iniquis : Nolite loqui adversus Deum iniquitatem.
Ant. J’ai dit aux méchants : Cessez de tenir contre Dieu des discours impies.

Le huitième Psaume fut composé après les nombreuses victoires de David. Il célèbre la paix rendue à Sion, et la vengeance de Dieu éclatant tout à coup contre les méchants. Ils dormaient, les ennemis du Messie ; mais tout à coup la terre a tremblé, et le Seigneur a paru devant eux comme un juge inexorable.

Ant. Terra tremuit et quievit, dum exurgeret in judicio Deus.
Ant. La terre a tremblé et s’est tenue dans le silence, lorsque vous vous leviez pour régner, ô Dieu !

Psaume 75

Notus in Judaea Deus : * in Israel magnum nomen ejus. Dieu est connu dans la Judée : son nom est grand en Israël.
Et factus est in pace locus ejus : * et habitatio ejus in Sion. Il a choisi son lieu de repos et sa demeure dans Sion.
Ibi confregit potentias arcuum : * scutum, gladium, et bellum. C’est là qu’il a brisé les arcs, les boucliers, les épées, la guerre elle-même.
Illuminans tu mirabiliter a montibus aeternis : * turbati sunt omnes insipientes corde. De merveilleux éclairs ont jailli des montagnes éternelles : tous les cœurs insensés en ont été troublés.
Dormierunt somnum suum : * et nihil invenerunt omnes vini divitiarum in manibus suis. Ces puissants ont dormi leur sommeil, et en se réveillant, ils ont trouvé que leurs mains étaient vides.
Ab increpatione tua, Deus Jacob : * dormitaverunt qui ascenderunt equos. Votre voix menaçante, ô Dieu de Jacob, a frappé d’assoupissement ceux qui montaient leurs coursiers.
Tu terribilis es, et quis resistet tibi ? * ex tunc ira tua. Vous êtes terrible ; et qui vous résistera ? c’est le moment de votre colère.
De caelo auditum fecisti judicium : * terra tremuit, et quievit. Vous avez fait entendre du haut du ciel votre arrêt ; la terre a tremblé et s’est tenue dans le silence ;
Cum exsurgeret in judicium Deus : * ut salvos faceret omnes mansuetos terrae. Lorsque vous vous leviez pour régner, ô Dieu ! pour sauver tous ceux qui sont humbles et pacifiques sur la terre.
Quoniam cogitatio hominis confitebitur tibi : * et reliquiae cogitationis diem festum agent tibi. L’homme méditera sans cesse et célébrera vos merveilles ; le souvenir de vos œuvres réjouira son cœur comme une fête.
Vovete, et reddite Domino Deo vestro : * omnes qui in circuitu ejus affertis munera. Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les, vous tous qui apportez votre offrande dans ses parvis.
Terribili, et ei qui aufert spiritum principum : * terribili apud reges terrae. Faites des vœux à ce Dieu terrible qui ôte la vie aux princes, et qui se montre redoutable aux rois de la terre.

Ant. Terra tremuit et quievit, dum exsurgeret in judicio Deus.
Ant. La terre a tremblé et s’est tenue dans le silence, lorsque vous vous leviez pour régner, ô Dieu !

Le neuvième Psaume se rapporte aux tribulations de David, lorsque Absalon, son fils parricide, figure du peuple juif, leva l’étendard contre lui. Le Roi-Prophète, figure du Christ, se laisse aller à la confiance au milieu de ses douleurs ; et le souvenir des œuvres que Dieu a opérées en faveur de son peuple rassure son courage, et lui fait espérer la délivrance.

Ant. In die tribulationis meae Deum exquisivi manibus meis.
Ant. Au jour de mon affliction j’ai cherché le Seigneur en élevant mes mains vers lui.

Psaume 76

Voce mea ad Dominum clamavi : * voce mea ad Deum, et intendit mihi. J’ai crié vers le Seigneur ; j’ai élevé ma voix vers Dieu, et il a prêté l’oreille à mes cris.
In die tribulationis meae Deum exquisivi, manibus meis nocte contra eum : * et non sum deceptus. Au jour de mon affliction j’ai cherché le Seigneur ; j’ai tenu toute la nuit mes mains étendues vers lui ; et mon attente n’a pas été trompée.
Renuit consolari anima mea : * memor fui Dei, et delectatus sum, et exercitatus sum, et defecit spiritus meus. Mon âme accablée rejetait toute consolation ; je me suis souvenu de Dieu, et ce souvenir m’a rendu la joie ; mais la pensée de mes maux me rejetait dans l’abattement.
Anticipaverunt vigilias oculi mei : * turbatus sum, et non sum locutus. Mes yeux devançaient les sentinelles de la nuit ; j’étais troublé, et ne pouvais parler.
Cogitavi dies antiquos : * et annos aeternos in mente habui. Je rappelais dans mon esprit les temps passés, et je perçais jusque dans les siècles à venir.
Et meditatus sum nocte cum corde meo : * et exercitabar, et scopebam spiritum meum. Je m’entretenais avec moi-même durant la nuit, et dans mon agitation je roulais ces pensées dans mon esprit :
Numquid in aeternum projiciet Deus : * aut non apponet ut complacitior sit adhuc ? Le Seigneur nous a-t-il donc rejetés pour toujours ? Ne nous donnera-t-il plus de témoignages de sa bienveillance ?
Aut in finem misericordiam suam abscindet : * a generatione in generationem ? A-t-il retiré pour toujours ses miséricordes ? a-t-il abandonné la suite des générations ?
Aut obliviscetur misereri Deus : * aut continebit in ira sua misericordias suas ? Dieu oubliera-t-il désormais de faire grâce ? sa colère enchaînera-t-elle sa miséricorde ?
Et dixi : Nunc cœpi : * haec mutatio dexterae Excelsi.. J’ai dit alors : Déjà je sens l’espérance renaître en moi ; ce changement vient de la droite du Très-Haut.
Memor fui operum Domini : * quia memor ero ab initio mirabilium tuorum. Je me suis souvenu de vos œuvres, Seigneur ; j’ai rappelé à ma mémoire les merveilles que vous avez opérées.
Et meditabor in omnibus operibus tuis : * et in adinventionibus tuis exercebor. J’ai réfléchi sur vos œuvres ; j’ai médité les voies de votre sagesse.
Deus in sancto via tua ; quis Deus magnus sicut Deus noster ? * tu es Deus qui facis mirabilia. O Dieu ! vos voies sont toutes saintes. Est-il un Dieu grand comme notre Dieu ? Vous êtes le Dieu qui opère les prodiges.
Notam fecisti in populis virtutem tuam : * redemisti in brachio tuo populum tuum, filios Jacob et Joseph. Vous avez fait connaître votre puissance parmi les nations ; par la force de votre bras, vous avez délivré votre peuple, les enfants de Jacob et de Joseph.
Viderunt te aquae, Deus, viderunt te aquae : * et timuerunt, et turbatae sunt abyssi. Les eaux vous ont vu, ô Dieu ! les eaux vous ont vu, et elles ont tremblé de frayeur, et les abîmes ont été troublés.
Multitudo sonitus aquarum : * vocem dederunt nubes. Le bruit de la tempête a retenti ; du sein des nuages, le fracas s’est fait entendre.
Etenim sagittae tuae transeunt * vox tonitrui tui in rota. Vos flèches ardentes ont traversé les airs ; la voix de votre tonnerre a résonné comme le bruit d’un chariot.
Illuxerunt coruscationes tuae orbi terrae : * commota est, et contremuit terra. Vos éclairs ont ébloui les habitants de la terre ; elle en a été émue jusqu’à trembler sur ses bases.
In mari via tua, et semitae tuae in aquis multis : * et vestigia tua non cognoscentur. Vous avez marché à travers la mer, vous vous êtes fait un sentier au milieu des eaux ; et l’on n’a pu reconnaître la trace de vos pas.
Deduxisti sicut oves populum tuum : * in manu Moysi et Aaron. Vous conduisiez après vous votre peuple comme un troupeau, par la main de Moïse et d’Aaron.

Ant. In die tribulationis meae Deum exquisivi manibus meis.
V. Exsurge, Domine.
R. Et judica causam meam.

Ant. Au jour de mon affliction j’ai cherché le Seigneur en élevant mes mains vers lui.
V/. Levez-vous, Seigneur,
R/. Et jugez ma cause.

Les Leçons du troisième Nocturne sont empruntées à saint Paul. Après avoir repris les fidèles de Corinthe des abus qui s’étaient introduits dans leurs assemblées, il raconte l’institution de la sainte Eucharistie, qui a eu lieu aujourd’hui ; et, après avoir expliqué les dispositions avec lesquelles on doit se présenter à la table sainte, il nous montre la grandeur du crime que commet celui qui s’en approche indignement.

De la première Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. Chap. 11.

Septième leçon

J’ai encore quelque chose à vous dire, et il ne s’agit pas de louanges : c’est que, dans vos assemblées, vous ne vous conduisez pas de la meilleure façon, mais de la pire. Car premièrement, j’apprends que, lorsque vous vous assemblez dans l’église, il y a des scissions entre vous ; et je le crois en partie, parce qu’il faut qu’il y ait des hérésies, afin que l’on découvre par là ceux d’entre vous qui ont une vertu éprouvée. Lors donc que vous vous assemblez comme vous faites, ce n’est plus manger la Cène du Seigneur. Car chacun se hâte de manger son souper à part, en sorte que l’un n’a rien à manger, tandis que l’autre fait des excès. N’avez-vous pas vos maisons pour y manger et y boire ? Méprisez-vous l’Église de Dieu ? Voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvres ? Que vous dirai-je ? Faut-il vous louer ? Non, certes, je ne vous louerai pas.

R/. J’étais comme un agneau innocent ; j’ai été traîné pour être immolé, comme si j’eusse ignoré leur dessein ; ils ont conspiré contre moi, et ont dit : * Venez, mettons du bois dans son pain, et exterminons-le de la terre des vivants. V/. Tous mes ennemis formaient contre moi de mauvais desseins ; ils ont arrête contre moi un injuste projet, et ils ont dit :  * Venez, mettons du bois dans son pain, et exterminons-le de la terre des vivants.

Huitième leçon

C’est du Seigneur lui-même que j’ai appris ce que je vous ai enseigné, savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit même où il fut livré, prit du pain, et ayant rendu grâces, le rompît et dit : Prenez et mangez : ceci est mon corps qui sera livré pour vous : faites ceci en mémoire de moi. Il prit de même le calice, après avoir soupé, en disant : Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez ; car toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

R/. Vous n’avez pu veiller une heure avec moi, vous qui vous exhortiez l’un l’autre à mourir pour moi ? * Quoi ! ne voyez-vous pas que Judas ne dort point, mais qu’il se hâte de me livrer aux mains des Juifs ? V/. Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez, de peur d’entrer en tentation. * Quoi ! ne voyez-vous pas que Judas ne dort point, mais qu’il se hâte de me livrer aux mains des Juifs ?

Neuvième leçon

Ainsi donc, celui qui mangera ce pain, ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve soi-même, et qu’il mange ainsi de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son propre jugement, ne faisant pas le discernement qu’il doit faire du corps du Seigneur. C’est pour cela que parmi vous beaucoup sont malades et languissants, et que beaucoup même sont morts. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. Mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c’est le Seigneur lui-même qui nous châtie ; afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. Ainsi, mes Frères, quand vous vous réunissez pour ces repas, attendez-vous les uns les autres. Si quelqu’un a faim, qu’il mange chez lui, afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation. Le reste, je remets à le régler quand je viendrai.

R/. Les anciens du peuple tinrent conseil, * Pour trouver moyen de se saisir adroitement de Jésus, et de le faire mourir ; ils vinrent armés d’épées et de bâtons, comme pour prendre un voleur. V/. Les Pontifes et les Pharisiens se réunirent en conseil, * Pour trouver moyen de se saisir adroitement de Jésus, et de le faire mourir ; ils vinrent armés d’épées et de bâtons, comme pour prendre un voleur. On répète : Les anciens du peuple.

À Laudes

Le premier Psaume est celui que David composa après son péché, et dans lequel il épanche d’une manière si vive et si humble les sentiments de sa pénitence. L’Église l’emploie toutes les fois qu’elle veut implorer la miséricorde de Dieu ; et de tous les Cantiques du Roi-Prophète il n’en est aucun qui soit plus familier aux âmes chrétiennes.

Ant. Justificeris, Domine, in sermonibus tuis, et vincas cum judicaris.
Ant. Faites connaître, Seigneur, que vous êtes véritable dans vos promesses, et irréprochable dans vos jugements.

Psaume 50

Miserere mei Deus : * secundum magnam misericordiam tuam. Avez pitié de moi, Seigneur, selon votre grande miséricorde.
Et secundum multitudinem miserationum tuarum : * dele iniquitatem meam. Et, dans l’immensité de votre clémence, daignez effacer mon péché.
Amplius lava me ab iniquitate mea : * et a peccato meo munda me. Lavez-moi de plus en plus de mon iniquité, et purifiez-moi de mon offense.
Quoniam iniquitatem meam ego cognosco : * et peccatum meum contra me est semper. Car je reconnais mon iniquité ; et mon péché est toujours devant moi.
Tibi soli peccavi, et malum coram te feci : * ut justificeris in sermonibus tuis et vincas cum judicaris. C’est contre vous seul que j’ai péché, et j’ai fait le mal en votre présence : Je le confesse ; daignez me pardonner, afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles, et que vous demeuriez victorieux dans les jugements qu’on fera de vous.
Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum : * et in peccatis concepit me mater mea. J’ai été conçu dans l’iniquité ; ma mère m’a conçu dans le péché.
Ecce enim veritatem dilexisti : * incerta et occulta sapientiæ tuae manifestasti mihi. Vous aimez la vérité, vous m’avez découvert ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus caché dans votre sagesse.
Asperges me hyssopo, et mundabor : * lavabis me, et super nivem dealbabor. Vous m’arroserez d’eau avec l’hysope, comme le lépreux, et je serai purifié : vous me laverez, et je deviendrai plus blanc que la neige.
Auditui meo dabis gaudium et laetitiam : * et exsultabunt ossa humiliata. Vous me ferez entendre des paroles de joie et de consolation ; et mes os humiliés tressailliront d’allégresse.
Averte faciem tuam a peccatis meis : * et omnes iniquitates meas dele. Détournez votre face de mes péchés, et effacez toutes mes offenses.
Cor mundum crea in me, Deus : * et spiritum rectum innova in visceribus meis. O Dieu, créez en moi un cœur pur, et renouvelez l’esprit droit dans mes entrailles.
Ne projicias me a facie tua : * et Spiritum Sanctum tuum ne auferas a me. Ne me rejetez pas de votre face, et ne retirez pas de moi votre Esprit‑Saint.
Redde mihi laetitiam salutaris tui : * et Spiritu principali confirma me. Rendez-moi la joie en celui par qui vous voulez me sauver, et confirmez‑moi par l’Esprit de force.
Docebo iniquos vias tuas : * et impii ad te convertentur. J’enseignerai vos voies aux méchants, et les impies se convertiront à vous.
Libera me de sanguinibus, Deus, Deus salutis meae : * et exsultabit lingua mea justitiam tuam. Délivrez-moi du sang que j’ai versé, ô Dieu, ô Dieu mon Sauveur ! et ma langue publiera avec joie votre justice.
Domine, labia mea aperies : * et os meum annuntiabit laudem tuam. Seigneur, ouvrez mes lèvres ; et ma bouche chantera vos louanges.
Quoniam si voluisses sacrificium, dedissem utique : * holocaustis non delectaberis. Si vous aimiez les sacrifices matériels, je vous en offrirais ; mais les holocaustes ne sont pas ce qui vous est agréable.
Sacrificium Deo spiritus contribulatus : * cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies. Une âme brisée de regrets est le sacrifice que Dieu demande ; ô Dieu, vous ne mépriserez pas un cœur contrit et humilié.
Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion : * ut aedificentur muri Jerusalem. Seigneur, traitez Sion selon votre miséricorde, et bâtissez les murs de Jérusalem.
Tune acceptabis sacrificium justitiae, oblationes, et holocausta : * tunc imponent super altare tuum vitulos. Vous agréerez alors le sacrifice de justice, les offrandes et les holocaustes : et on vous offrira des génisses sur votre autel.

 

Ant. Justificeris, Domine, in sermonibus tuis, et vincas cum judicaris.                    
Ant. Faites connaître, Seigneur, que vous êtes véritable dans vos promesses, et irréprochable dans vos jugements.

Le deuxième Psaume est particulier au jeudi de chaque semaine ; c’est un Cantique du matin. Le Psalmiste y confesse le néant de l’homme et la brièveté de sa vie, et il demande à Dieu qu’il daigne répandre sa bénédiction sur les œuvres de la journée. Le fidèle doit se rappeler que l’Office des Laudes est le service du matin, et qu’on ne l’anticipe, en ces trois jours, que par exception.

Ant. Dominus tamquam ovis ad victimam ductus est, et non aperuit os suum.
Ant. Le Seigneur a été mené à la mort comme une brebis, et il n’a pas ouvert la bouche.

Psaume 89

Domine, refugium factus es nobis : * a generatione in generationem. Seigneur, vous avez été notre refuge, de génération en génération.
Priusquam montes fierent, aut formaretur terra et orbis : * a saeculo et usque in saeculum tu es Deus. Avant que les montagnes fussent créées, et que vous eussiez formé la terre et le monde, vous étiez éternellement Dieu, et le serez à jamais.
Ne avertas hominem in humilitatem : * et dixisti : Convertimini, filii hominum. Ne réduisez pas l’homme au dernier abaissement, vous qui avez dit : Enfants des hommes, tournez-vous vers moi.
Quoniam mille anni ante oculos tuos : * tamquam dies hesterna quae praeteriit. Mille ans sont à vos yeux comme la journée d’hier, qui est déjà passée,
Et custodia in nocte : * quae pro nihilo habentur, eorum anni erunt. Comme la durée d’une des veilles de la nuit ; devant vous, nos années sont comme un néant.
Mane sicut herba transeat, mane floreat, et transeat : * vespere decidat, induret, et arescat. L’homme est comme l’herbe que l’on voit fleurir le matin, et qui bientôt est flétrie ; le soir, elle est sans force, elle durcit et se dessèche.
Quia defecimus in ira tua : * et in furore tuo turbati sumus. Votre colère nous a consumés, et votre indignation nous a jetés dans le trouble.
Posuisti iniquitates nostras in conspectu tuo : * saeculum nostrum in illuminatione vultus tui. Vous avez mis nos péchés devant vos yeux, exposé le cours de notre vie à la lumière de votre visage.
Quoniam omnes dies nostri defecerunt : * et in ira tua defecimus. Nos jours se sont écoulés ; et nous avons défailli en face de votre colère.
Anni nostri sicut aranea meditabuntur : * dies annorum nostrorum in ipsis septuaginta anni. Nos années n’ont pas plus de consistance que le fragile travail de l’araignée, notre carrière est réduite à soixante-dix ans :
Si autem in potentatibus, octoginta anni : * et amplius eorum labor et dolor. À quatre-vingts pour les plus forts ; au delà, il n’y a que peine et douleur.
Quoniam supervenit mansuetudo : * et corripiemur. Et quand arrive l’inoffensive vieillesse, nous ne tardons pas à être enlevés.
Quis novit potestatem irae tuae ? *et prae timore tuo iram tuam dinumerare ? Qui connaît la puissance de votre colère ? Qui peut vous craindre assez pour en mesurer l’étendue ?
Dexteram tuam sic notam fac : * et eruditos corde in sapientia. Signalez la puissance de votre bras, et instruisez notre cœur dans la sagesse.
Convertere, Domine, usquequo ? * et deprecabilis esto super servos tuos. Revenez à nous, Seigneur ; jusqu’à quand différerez-vous ? Laissez-vous fléchir aux prières de vos serviteurs.
Repleti sumus mane misericordia tua : * et exsultavimus et delectati sumus omnibus diebus nostris. Remplissez-nous dès le matin de votre miséricorde ; nous tressaillirons et nous prendrons notre joie en vous, tous les jours de notre vie.
Laetati sumus pro diebus, quibus nos humiliasti : * annis, quibus vidimus mala. Nous nous réjouirons pour les jours que nous avons été affligés, pour les années où nous avons éprouvé tant de maux.
Respice in servos tuos, et in opera tua : * et dirige filios eorum. Jetez les yeux sur vos serviteurs, qui sont votre ouvrage, et prenez soin de leurs enfants.
Et sit splendor Domini Dei nostri super nos, et opera manuum nostrarum dirige super nos : * et opus manuum nostrarum dirige. Que la lumière du Seigneur soit sur nous ; conduisez, Seigneur, pour notre bien, les œuvres de nos mains, et daignez diriger toutes nos actions

 

Ant. Dominus tamquam ovis ad victimam ductus est, et non aperuit os suum.
Ant. Le Seigneur a été mené à la mort comme une brebis, et il n’a pas ouvert la bouche.

Troisième Psaume [1].

Ant. Contritum est cor meum in medio mei, contremuerunt omnia ossa mea.
Ant. Mon cœur est brisé au milieu de ma poitrine ; tous mes os sont ébranlés.

Psaume 35

Dixit injustus ut delinquat, in semet ipso ; non est timor Dei ante oculos ejus. L’homme injuste en lui-même s’est dit qu’il pécherait ; la crainte de Dieu n’est point devant ses yeux.
Quoniam dolose egit in conspectu ejus ; ut inveniatur iniquitas eius ad odium. Car il a agi frauduleusement en sa présence ; en sorte que son iniquité s’est trouvée portée jusqu’à la haine.
Verba oris ejus iniquitas et dolus ; noluit intellegere ut bene ageret. Les paroles de sa bouche sont iniquité et tromperie ; il n’a pas voulu acquérir l’intelligence pour qu’il fît bien.
Iniquitatem meditatus est in cubili suo ; astitit omni viae non bonae, malitiam autem non audivit. Il a médité l’iniquité sur sa couche ; il s’est tenu à toute voie méchante, mais il n’a pas haï la malice.
Domine in caelo misericordia tua, et veritas tua usque ad nubes. Seigneur, dans le ciel, grande comme le ciel est ta miséricorde, et ta vérité s’élève jusqu’aux nues.
Justitia tua sicut montes Dei ; judicia tua abyssus multa. Homines et jumenta salvabis Domine : Ta justice est comme les montagnes de Dieu, les montagnes les plus élevées ; tes jugements sont comme le grand abîme, l’Océan.
Quemadmodum multiplicasti misericordiam tuam, Deus ! Filii autem hominum in tegmine alarum tuarum sperabunt. Seigneur, tu sauveras, c’est toi qui sauves les hommes et les animaux en proportion que tu les multiplies, tu as répandu ta miséricorde, Ô Dieu.
Inebriabuntur ab ubertate domus tuae, et torrente voluntatis tuae potabis eos. Mais les enfants des hommes, objets de ton amour spécial, sous le couvert de tes ailes espéreront, auront toute confiance.
Quoniam apud te fons vitae, et in lumine tuo videbimus lumen. Ils seront enivrés de l’abondance des biens de ta maison, et tu les abreuveras du torrent de tes délices.
Praetende misericordiam tuam scientibus te, et justitiam tuam his qui recto sunt corde. Parce que en toi est la source de la vie, et en ta lumière, la lumière de la foi puis celle de la gloire, nous te verrons toi-même qui es la lumière incréée.
Non veniat mihi pes superbiae, et manus peccatoris non moveat me. Étends, répands ta miséricorde sur ceux qui te connaissent et ta justice sur ceux qui ont le cœur droit.
Ibi ceciderunt qui operantur iniquitatem, expulsi sunt, nec potuerunt stare. Que le pied de l’orgueil, de l’orgueilleux ne vienne pas jusqu’à moi, ne m’atteigne pas ; et que la main de l’homme pécheur ne m’ébranle pas, et ne me fasse pas tomber.

 

Ant. Contritum est cor meum in medio mei, contremuerunt omnia ossa mea.
Ant. Mon cœur est brisé au milieu de ma poitrine ; tous mes os sont ébranlés.

Le sublime Cantique de Moïse après le passage de la mer Rouge fait partie, chaque semaine, de l’Office du Jeudi à Laudes. Il emprunte un à‑propos tout particulier aux approches du grand jour où nos catéchumènes obtiendront la régénération. La fontaine baptismale sera pour eux la mer Rouge, dans laquelle seront submergées toutes leurs iniquités, qui sont figurées par les Égyptiens. Les Israélites s’avancèrent à travers les flots suspendus pour leur laisser passage, après avoir offert le sacrifice de l’agneau pascal ; nos catéchumènes se présenteront au bain sacré dans la confiance que leur inspirera le sacrifice de l’Agneau véritable, dont le sang divin a donné à l’élément de l’eau la vertu de produire la purification des âmes.

Ant. Exhortatus es in virtute tua, et in refectione sancta tua, Domine.
Ant. Vous nous avez ranimés, Seigneur, par votre puissance, et par le banquet sacré que vous nous avez offert.

Cantique de Moïse, Exode, 15

Cantemus Domino gloriose enim magnificatus est : * equum et ascensorem dejecit in mare. Chantons au Seigneur ; car il a fait éclater sa grandeur et sa gloire ; il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier.
Fortitudo mea et laus mea Dominus : * et factus est mihi in salutem. Le Seigneur est ma force et le sujet de mes chants : il est mon Sauveur.
Iste Deus meus, et glorificabo eum : * Deus patris mei, et exaltabo eum. Il est mon Dieu, et je publierai sa gloire ; le Dieu de mon père, et je célébrerai ses grandeurs.
Dominus quasi vir pugnator, Omnipotens nomen ejus : * currus Pharaonis, et exercitum ejus projecit in mare. Le Seigneur s’est montré comme un guerrier invincible ; son nom est le Tout-Puissant ; il a précipité dans la mer les chariots de Pharaon et son armée.
Electi principes ejus submersi sunt in mari Rubro : * abyssi operuerunt eos, descenderunt in profundum quasi lapis. Les plus grands d’entre les princes ont été submergés dans la mer Rouge, ils ont été ensevelis dans les abîmes ; ils sont tombés comme une pierre au fond des eaux.
Dextera tua, Domine, magnificata est in fortitudine, dextera tua, Domine, percussit inimicum ; * et in multitudine gloriae tuae deposuisti adversarios tuos. Votre droite, Seigneur, a fait éclater sa force ; votre droite, Seigneur, a frappé l’ennemi ; votre puissance a terrassé ceux qui osaient s’élever contre vous.
Misisti iram tuam, quae devoravit eos sicut stipulam : * et in spiritu furoris tui congregatae sunt aquae. Vous avez envoyé votre colère ; elle les a consumés comme de la paille ; au souffle de votre fureur, les eaux se sont resserrées.
Stetit unda fluens : * congregatae sunt abyssi medio mari. Les ondes qui coulaient sont demeurées suspendues ; les abîmes ont ouvert un sentier au milieu de la mer.
Dixit inimicus : Persequar, et comprehendam : * dividam spolia, implebitur anima mea. L’ennemi a dit : Je les poursuivrai, je les atteindrai, je partagerai leurs dépouilles : je satisferai ma fureur ;
Evaginabo gladium menin : * interficiet eos manus mea. Je tirerai mon glaive ; ma main les percera.
Flavit spiritus tuus, et operuit eos mare : * submersi sunt quasi plumbum in aquis vehementibus. Votre vent a soufflé, et la mer les a engloutis ; ils ont été submergés comme le plomb dans les ondes bouillonnantes.
Quis similis tui in fortibus, Domine ? * quis similis tui, magnificus in sanctitate, terribilis, atque laudabilis, faciens mirabilia ? Qui d’entre les forts est semblable à vous Seigneur ? Qui vous est semblable, à vous le Dieu grand et saint, terrible et digne de louange, auteur des merveilles ?
Extendisti manum tuam, et devoravit eos terra : * dux fuisti in misericordia tua populo, quem redemisti. Vous n’avez fait qu’étendre votre main, et la terre les a dévorés. Par votre miséricorde, vous vous êtes fait le guide de ce peuple que vous avez racheté ;
Et portasti eum in fortitudine tua : * ad habitaculum sanctum tuum. Par votre puissance, vous le conduirez jusqu’au lieu de votre demeure sainte.
Ascenderunt populi, et irati sunt : * dolores obtinuerunt habitatores Philisthiim. Les peuples se soulèveront et entreront en fureur ; les Philistins seront saisis d’une douleur profonde.
Tunc conturbati sunt principes Edom, robustos Moab obtinuit tremor : * obriguerunt omnes habitatores Chanaan. Les princes de l’Idumée seront dans le trouble ; les chefs de Moab trembleront de frayeur ; tous les habitants de Chanaan seront glacés de crainte.
Irruat super eos formido et pavor : * in magnitudine brachii tui. Que l’épouvante et l’effroi fondent sur eux, quand ils verront la puissance de votre bras.
Fiant immobiles quasi lapis, donec pertranseat populus tuus, Domine : *donec pertranseat populus tuus iste, quem possedisti. Qu’ils deviennent immobiles comme une pierre, jusqu’à ce que votre peuple soit passé ; jusqu’à ce que soit passé ce peuple que vous vous êtes acquis.
Introduces eos, et plantabis in monte haereditatis tuae : * firmissimo habitaculo tuo, quod operatus es, Domine. Vous les introduirez, Seigneur, et vous les établirez sur la montagne de votre héritage, dans ce lieu que vous construirez pour vous servir de demeure ;
Sanctuarium tuum, Domine, quod firmaverunt manus tuae : * Dominus regnabit in aeternum, et ultra. Dans ce sanctuaire que vos mains, Seigneur, affermiront. Le Seigneur régnera dans l’éternité, et au delà de tous les siècles.
Ingressus est enim eques Pharao cum curribus et equitibus ejus in mare : * et reduxit super eos Dominus aquas maris. Pharaon est entré à cheval dans la mer avec ses chars et ses cavaliers ; et le Seigneur a ramené sur eux les eaux de la mer ;
Filii autem Israel ambulaverunt per siccum : * in medio ejus. Et les enfants d’Israël marchaient à pied sec au milieu des eaux.

 

Ant. Exhortatus es in virtute tua, et in refectione sancta tua, Domine.
Ant. Vous nous avez ranimés, Seigneur, par votre puissance, et par le banquet sacré que vous nous avez offert.

Ant. Oblatus est quia ipse voluit, et peccata nostra ipse portavit.
Ant. Il a été offert parce qu’il l’a voulu, et il a porté sur lui nos péchés.

Psaume 146

laudate Dominum quoniam bonum psalmus Deo nostro sit iucunda * decoraque ; laudatio Louez le Seigneur, parce que le psaume est bon : que la louange soit belle et agréable à notre Dieu.
aedificans Hierusalem Dominus dispersiones Israhel congregabit Le Seigneur rebâtit Jérusalem, il rassemblera les dispersions d’Israël.
qui sanat contritos corde et alligat contritiones illorum C’est lui qui guérit les brisés de cœur, et qui lie leur brisures, bande leurs plaies.
qui numerat multitudinem stellarum et omnibus eis nomina vocans Qui compte la multitude des étoiles et à elles toute appelle leurs propres noms.
magnus Dominus noster et magna virtus eius et sapientiae eius non est numerus Grand est notre Seigneur et grande sa puissance, et de sa sagesse il n’est point nombre, elle est infinie.
suscipiens mansuetos Dominus humilians autem peccatores usque ad terram Le Seigneur est soutenant les doux, les humbles, mais : humiliant les pêcheurs jusqu’à terre.
praecinite Domino in confessione psallite Deo nostro in cithara Chantez au Seigneur avec action de grâces, musique à notre Dieu avec la harpe.
qui operit caelum nubibus et parat terrae pluviam C’est lui qui couvre le ciel de nuages et prépare la pluie à la terre.
qui producit in montibus faenum et herbam servituti hominum Qui produit le foin sur les montagnes et l’herbe pour le service des hommes.
Qui dat iumentis escam ipsorum et pullis corvorum invocantibus eum Qui donne aux bêtes de charge leur nourriture et aux petits, des corbeaux qui l’invoquent.
non in fortitudine equi voluntatem habebit nec in tibiis viri beneplacitum erit ei Il n’aura pas sa volonté, il ne mettra pas sa faveur dans la force du cheval, et il ne se com­plaira pas dans les jambes, dans l’agilité de l’homme.
beneplacitum est Domino super timentes eum et in eis qui sperant super misericordia eius Le Seigneur se complaît sur ceux qui le craignent, et ceux qui espèrent en sa miséricorde.

 

Ant. Oblatus est quia ipse voluit, et peccata nostra ipse portavit.

Homo pacis meae, in quo speravi.
R. Qui edebat panes meos, ampliavit adversum me supplantationem.

Ant. Il a été offert parce qu’il l’a voulu, et il a porté sur lui nos péchés.

V/. L’homme qui m’était uni, et sur qui je me reposais ;
R/. Celui qui mangeait mon pain, a signalé contre moi sa trahison.

L’Église chante ensuite le beau Cantique de Zacharie qu’elle répète chaque matin. Il contraste en ces jours par son accent de jubilation avec les tristes ombres qui couvrent notre divin Soleil. Nous sommes au moment où la rémission des péchés s’opère par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu ; mais le divin Orient ne se lève plus sur nous du haut du ciel ; l’astre de notre salut va s’éteindre dans la mort. Pleurons sur nous, en pleurant sur lui ; mais attendons avec confiance sa résurrection et la nôtre.

Ant. Traditor autem dedit eis signum, dicens : Quem osculatus fuero, ipse est, tenete eum.
Ant. Le traître leur avait donné ce signal : Celui que je baiserai, c’est lui‑même, emparez vous de lui.

Cantique de Zacharie

Benedictus Dominus Deus Israel : * quia visitavit, et fecit redemptionem plebis suae. Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël ; car il a visité et racheté son peuple.
Et erexit cornu salutis nobis : * in domo David pueri sui. Et il nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur ;
Sicut locutus est per os Sanctorum : * quia a saeculo sunt Prophetarum ejus. Comme il l’avait promis par la bouche des saints, de ses Prophètes, qui ont prédit, dans les siècles passés,
Salutem ex inimicis nostris : * et de manu omnium qui oderunt nos. Qu’il nous sauverait de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent ;
Ad faciendam misericordiam cum Patribus nostris : * et memorari testamenti sui sancti. Qu’il ferait la miséricorde promise à nos pères, et se souviendrait de son alliance sainte,
Jusjurandum quod juravit ad Abraham patrem nostrum : * daturum se nobis. Du serment par lequel il avait juré à Abraham, notre père, de faire, dans sa bonté,
Ut sine timore de manu inimicorum nostrorum liberati : * serviamus illii. Que, délivrés de la main de nos ennemis, nous le puissions servir sans crainte,
In sanctitate et justitia coram ipso : * omnibus diebus nostris. Dans la sainteté et la justice, marchant devant lui tous les jours de notre vie.
Et tu puer, propheta Altissimi vocaberis : * praeibis enim ante faciem Domini, parare vias ejus. Et vous, petit enfant, vous serez appelé prophète du Très-Haut ! car vous marcherez devant la face du Seigneur pour préparer ses voies,
Ad dandam scientiam salutis plebi ejus : * in remissionem peccatorum eorum. Pour donner à son peuple la connaissance du salut, et annoncer la rémission des péchés,
Per viscera misericordiae Dei nostri : * in quibus visitavit nos, Oriens ex alto. Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, ce divin Orient qui s’est levé sur nous du haut du ciel ;
Illuminare his qui in tenebris et in umbra mortis sedent : * ad dirigendos pedes nostros in viam pacis. Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ; pour diriger nos pas dans la voie du salut.

Ant. Traditor autem dedit eis signum, dicens : Quem osculatus fuero, ipse est, tenete eum.
Ant. Le traître leur avait donné ce signal : Celui que je baiserai, c’est lui‑même ; emparez-vous de lui.

Après cette Antienne, le chœur chante sur un mode touchant les paroles suivantes que l’Église, en ces trois jours, a sans cesse à la bouche :

Le Christ s’est fait obéissant pour nous jusqu’à la mort.

Ce chant ayant cessé de retentir, on dit à voix basse Pater noster. Enfin, celui qui préside prononce pour conclusion l’Oraison qui suit :

Daignez, Seigneur, jeter un regard sur votre famille ici présente, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être livré aux mains des méchants, et souffrir le supplice de la Croix ; Lui qui, étant Dieu, vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

L’extinction successive des cierges, la réserve que l’on fait de l’un d’eux, sa disparition et son retour, le bruit qui se fait entendre à la fin : tous ces rites, qui sont propres à ces trois jours, sont expliqués ci-dessus.

Au matin

Ce jour est le premier des Azymes. Au coucher du soleil, les Juifs doivent manger la Pâque dans Jérusalem. Jésus est encore à Béthanie ; mais il rentrera dans la ville avant l’heure du repas pascal : ainsi le demande la Loi ; et jusqu’à ce qu’il l’ait abrogée par l’effusion de son sang, il veut l’observer. Il envoie donc à Jérusalem deux de ses disciples pour préparer le festin légal, sans rien leur faire connaître de la manière merveilleuse dont doit se terminer ce festin. Nous qui connaissons le divin mystère dont l’institution remonte à cette dernière Cène, nous comprenons pourquoi le Sauveur choisit de préférence, en cette occasion, Pierre et Jean pour remplir ses intentions (s. Luc 22, 8). Pierre, qui confessa le premier la divinité de Jésus, représente la foi ; et Jean, qui se reposa sur la poitrine de l’Homme-Dieu, représente l’amour. Le mystère qui va être déclaré dans la Cène mystique de ce soir, se révèle à l’amour par la foi ; telle est l’instruction que le Christ nous donne par le choix des deux Apôtres ; mais ceux-ci ne pénétraient pas la pensée de leur Maître.

Jésus, qui savait toutes choses, leur indique le signe auquel ils reconnaîtront la maison à laquelle il veut accorder aujourd’hui l’honneur de sa présence. Ils n’auront qu’à suivre un homme qu’ils rencontreront portant une cruche d’eau. La maison où se rend cet homme est habitée par un Juif opulent qui reconnaît la mission céleste de Jésus. Les deux Apôtres transmirent à ce personnage les intentions de leur maître ; et aussitôt on mit à leur disposition une salle vaste et ornée. Il convenait, en effet, que le lieu où devait s’accomplir le plus auguste des mystères ne fût pas un lieu vulgaire. Cette salle, au sein de laquelle la réalité allait enfin succéder à toutes les figures, était bien au-dessus du temple de Jérusalem. Dans son enceinte allait s’élever le premier autel sur lequel serait offerte « l’oblation pure » annoncée par le Prophète (Malach. 1, 2). Là devait commencer dans peu d’heures le sacerdoce chrétien ; là enfin, dans cinquante jours, l’Église de Jésus-Christ, rassemblée et visitée par l’Esprit‑Saint, devait se déclarer au monde, et promulguer la nouvelle et universelle alliance de Dieu avec les hommes. Ce sublime sanctuaire de notre foi n’est pas effacé de la terre ; son emplacement est toujours marqué sur la montagne de Sion. Les infidèles l’ont profané par leur culte, car eux-mêmes le regardent comme un lieu sacré ; mais comme si la divine Providence, qui conserve sur la terre les traces du Rédempteur, voulait nous annoncer des temps plus prospères, les portes de ce lieu à jamais béni se sont ouvertes, dans notre siècle, à plusieurs prêtres de Jésus-Christ ; et par l’effet d’une tolérance toute nouvelle, le divin Sacrifice a été célébré dans le lieu même de son institution. Jésus s’est rendu dans la journée à Jérusalem avec ses autres disciples. Il a trouvé toutes choses préparées.

L’agneau pascal, après avoir été présenté au temple, en a été rapporté ; on l’apprête pour le repas légal ; les pains azymes, avec les laitues amères, vont être servis aux convives. Bientôt, autour d’une même table, debout, la ceinture aux reins, le bâton à la main, le Maître et les disciples accompliront pour la dernière fois le rite solennel que Jéhovah prescrivit a son peuple au moment de la sortie d’Égypte.

Mais attendons l’heure de la sainte Messe pour reprendre la suite de ce récit, et parcourons en détail les nombreuses cérémonies qui signaleront cette grande journée. Nous avons d’abord la réconciliation des Pénitents, qui de nos jours n’est plus qu’un souvenir ; mais qu’il importe cependant de décrire, pour donner, sous ce point de vue, un complément nécessaire à la Liturgie quadragésimale. Vient ensuite la consécration des saintes Huiles, qui n’a lieu que dans les églises cathédrales, mais qui intéresse tous les fidèles. Après l’exposition abrégée de cette fonction, nous avons à traiter de la Messe de ce jour, anniversaire de l’institution du Sacrifice de la loi nouvelle. Il nous faut parler ensuite de la préparation de la Messe des Présanctifiés pour la Fonction de demain, du dépouillement des Autels, et du Mandatum, ou lavement des pieds. Nous allons donc développer successivement ces divers rites, qui font du Jeudi saint l’un des jours les plus sacrés de l’Année liturgique.

La réconciliation des pénitents

Dans l’antiquité, on célébrait aujourd’hui trois messes solennelles, dont la première était précédée de l’absolution solennelle des Pénitents publics et de leur réintégration dans l’Église. La réconciliation avait lieu en cette manière. Ils se présentaient aux portes de l’église, en habits négligés, nu‑pieds, et ayant laissé croître leurs cheveux et leur barbe depuis le Mercredi des Cendres, jour où ils avaient reçu l’imposition de la pénitence. L’Évêque récitait dans le sanctuaire les sept Psaumes dans lesquels David épanche son regret d’avoir offensé la majesté divine ; on ajoutait ensuite les Litanies des Saints.

Durant ces prières, les pénitents se tenaient prosternés sous le portique, sans oser franchir le seuil de l’église. Trois fois dans le cours des Litanies, l’Évêque leur députait plusieurs clercs qui venaient leur apporter en son nom des paroles d’espérance et de consolation. La première fois, deux Sous-Diacres venaient leur dire : « Je vis, dit le Seigneur ; je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. » La seconde fois, deux autres Sous-Diacres leur portaient cet avertissement : « Le Seigneur dit : Faites pénitence ; car le royaume des cieux approche. » Enfin, un troisième message leur était porté par le Diacre, qui leur disait : « Levez vos têtes ; votre rédemption est proche. »

Après ces avertissements qui annonçaient les approches du pardon, l’Évêque sortait du sanctuaire, et descendait vers les pénitents jusqu’au milieu de la grande nef ; en cet endroit, on lui avait préparé un siège tourné vers le seuil de la porte de l’église, où les pénitents demeuraient toujours prosternés. Le Pontife étant assis, l’Archidiacre lui adressait ce discours :

Pontife vénérable, voici le temps favorable, les jours où Dieu s’apaise, où l’homme est sauvé, où la mort est détruite, où la vie éternelle commence. C’est le temps où, dans la vigne du Seigneur des armées, on fait de nouveaux plants pour remplacer ceux qui étaient mauvais. Sans doute il n’est aucun jour sur lequel ne se répandent les largesses de la bonté et de la miséricorde de Dieu ; néanmoins le temps où nous sommes est marqué plus spécialement par l’abondante rémission des péchés, et par la fécondité de la grâce en ceux qui reçoivent une nouvelle naissance. Notre nombre s’accroît, et par ces nouveau-nés, et par le retour de ceux qui s’étaient éloignés de nous. S’il y a le bain d’eau purifiante, il y a aussi le bain des larmes. De la double joie pour l’Église : l’enrôlement de ceux qui sont appelés, l’absolution de ceux qu’a ramenés le repentir. Voici donc vos serviteurs qui, ayant oublié les commandements célestes et transgressé la loi des saintes mœurs, étaient tombés dans divers crimes ; les voici maintenant humiliés et prosternés. Il crient au Seigneur avec le Prophète : « Nous avons péché, nous avons commis l’iniquité ; ayez pitié de nous, Seigneur ! » Ils ont compté avec une entière confiance sur cette parole de l’Évangile : « Heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. » Ils ont, comme il est écrit, mangé le pain de la douleur ; leur couche a été arrosée de leurs larmes ; ils ont affligé leur cœur par la douleur et leur corps par le jeûne, afin de recouvrer la santé de l’âme qu’ils avaient perdue. La pénitence est une ; mais elle est à la disposition de tous ceux qui veulent y recourir.

L’Évêque se levait alors et se rendait auprès des pénitents. Il leur adressait une exhortation sur la miséricorde divine, et leur enseignait la manière dont ils devaient vivre désormais ; puis il leur disait : « Venez, mes enfants, venez ; écoutez-moi : je vous enseignerai la crainte du Seigneur. » Le Chœur chantait ensuite cette Antienne tirée du Psaume 33 : « Approchez du Seigneur, et soyez illuminés ; et vos visages ne seront plus dans la confusion. » Alors les pénitents, se levant de terre, venaient se jeter aux pieds de l’Évêque ; et l’Archiprêtre, prenant la parole, lui disait :

Rétablissez en eux, Pontife apostolique, tout ce que les suggestions du diable avaient détruit ; par l’entremise de vos prières, par la grâce de la divine réconciliation, faites que ces hommes soient rapprochés de Dieu. Jusqu’à cette heure, le mal leur était à charge ; maintenant qu’ils triomphent de l’auteur de leur mort, ils jouiront du bonheur de plaire au Seigneur dans la terre des vivants.

L’Évêque répondait : « Mais savez-vous s’ils sont dignes d’être réconciliés ? » Et l’Archiprêtre ayant dit : « Je sais et j’atteste qu’ils en sont dignes », un Diacre leur ordonnait de se lever. Alors l’Évêque prenait l’un d’entre eux par la main ; celui-ci donnait son autre main au suivant, et successivement tous les autres pénitents se tenant de la même manière, on arrivait au siège dressé pour l’Évêque au milieu de la nef. On chantait pendant ce temps-là cette Antienne : « Je vous le dis, il y a de la joie parmi les Anges de Dieu, même pour un seul pécheur qui fait pénitence » ; et cette autre : « Il vous faut vous réjouir, mon fils ; car votre frère qui était mort est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé. » L’Évêque ensuite, prenant la parole sur le ton solennel de la Préface, s’adressait ainsi à Dieu :

Il est juste de vous rendre grâces, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, par Jésus-Christ notre Seigneur, à qui vous avez donné dans le temps une naissance ineffable, afin qu’il vint acquitter la dette d’Adam envers vous, détruire notre mort par la sienne, recevoir sur son corps nos blessures, effacer nos taches par son sang ; en sorte que nous qui étions tombés par la jalousie de l’antique ennemi, nous revinssions à la vie par la miséricorde de ce Sauveur. C’est par lui, Seigneur, que nous vous supplions de nous exaucer au sujet des péchés d’autrui, nous qui sommes hors d’état de vous implorer suffisamment pour les nôtres. Rappelez donc, Seigneur très clément, ces hommes que leurs péchés avaient séparés de vous. Vous n’avez pas repoussé l’humiliation d’Achab ; mais vous avez suspendu, à cause de son amende honorable, la vengeance que méritaient ses crimes. Vous avez exaucé les larmes de Pierre, et vous lui avez ensuite confié les clefs du royaume des cieux. Daignez donc, Seigneur miséricordieux, accueillir ceux-ci qui sont l’objet de nos prières ; restituez‑les au giron de votre Église, afin que l’ennemi ne triomphe plus à leur sujet ; mais que votre Fils, qui vous est semblable, les purifie de tous leurs péchés ; qu’il daigne les admettre au festin de cette très sainte Cène ; qu’il les nourrisse de sa chair et de son sang, et qu’après le cours de cette vie il les conduise au royaume céleste.

Après cette Prière, toute l’assistance, clercs et laïques, se prosternait avec les pénitents devant la majesté divine ; et l’on récitait les trois Psaumes qui commencent par le mot Miserere. L’Évêque se levait ensuite et prononçait sur les pénitents, toujours prosternés, ainsi que l’assistance tout entière, six Oraisons solennelles dont nous donnerons ici les principaux traits :

Écoutez nos supplications, Seigneur, et quoique j’aie besoin plus que tous de votre miséricorde, daignez m’exaucer. Vous m’avez établi, non à cause de mes mérites, mais par le don de votre grâce, votre ministre dans cette œuvre de réconciliation ; donnez-moi la confiance nécessaire pour l’accomplir, et opérez vous-même dans mon ministère qui est celui de votre bonté. C’est vous qui avez rapporté au bercail, sur vos épaules, la brebis égarée ; vous qui avez exaucé la prière du publicain. Rendez donc la vie à ces hommes, vos serviteurs, dont vous ne voulez pas la mort. Vous, dont la bonté nous poursuit quand nous errons loin de vous, reprenez à votre service ceux-ci qui sont corrigés. Laissez-vous toucher de leurs soupirs et de leurs larmes ; guérissez leurs blessures, tendez-leur une main salutaire. Ne permettez pas que votre Église éprouve une perte dans la moindre partie de ses membres, que votre troupeau souffre un détriment, que l’ennemi triomphe d’un désastre dans votre famille, que la seconde mort dévore ceux qui avaient pris une nouvelle naissance dans le bain sacré. Pardonnez, Seigneur, à ces hommes qui confessent leur iniquité ; qu’ils échappent aux peines que décrète la sentence du jugement à venir ; qu’ils ignorent l’horreur des ténèbres, et le pétillement de la flamme. Ramenés du sentier de l’erreur et rentrés dans la voie de la justice, qu’ils ne reçoivent plus désormais de blessures ; mais que l’intégrité d’âme qu’ils avaient d’abord reçue de votre grâce, et que votre miséricorde va réparer, demeure en eux à jamais. Ils ont macéré leurs corps sous les livrées de la pénitence ; rendez-leur maintenant la robe nuptiale, et permettez-leur de s’asseoir de nouveau au festin royal dont ils étaient exclus.

À la suite de ces Oraisons, l’Évêque, étendant la main sur les pénitents, les réintégrait par cette formule imposante :

Que le Seigneur Jésus-Christ, qui a daigné effacer tous les péchés du monde en se livrant pour nous, et en répandant son sang très pur ; qui a dit à ses disciples : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel » ; qui a bien voulu m’admettre, quoique indigne, parmi les dépositaires de ce pouvoir ; qu’il daigne, par l’intercession de Marie, Mère de Dieu, du bienheureux Archange Michel, de l’Apôtre saint Pierre à qui a été donné le pouvoir de lier et de délier, de tous les Saints, et par mon ministère, vous absoudre, par les mérites de son sang répandu pour la rémission des péchés, de tout ce que vous avez commis en pensées, en paroles et en œuvres ; et qu’ayant délié les liens de vos péchés, il vous conduise à la vie éternelle ; lui qui vit et qui règne avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

L’Évêque s’approchait ensuite des pénitents toujours prosternés ; il répandait l’eau sainte, et faisait fumer l’encens sur eux. Enfin il leur adressait pour adieu ces paroles de l’Apôtre : « Levez-vous, vous qui dormez ; levez-vous d’entre les morts ; et le Christ sera votre lumière ». Les pénitents se levaient alors, et en signe de la joie qu’ils éprouvaient d’être réconciliés avec Dieu, ils allaient promptement déposer leur extérieur négligé, et se revêtir d’habits convenables pour s’asseoir à la table du Seigneur, avec les autres fidèles.

Un vestige de cette imposante cérémonie s’est conservé dans plusieurs Églises de France, où l’on récite sur les fidèles, le Jeudi saint, des prières expiatoires que l’on appelle l’Absoute. À Rome, l’antique absolution des pénitents, en ce jour, a donné origine à la magnifique cérémonie connue sous le nom de Bénédiction papale. Après la Messe du Jeudi saint, le Souverain Pontife, en pluvial et la tiare en tête, paraît à la loggia qui s’ouvre au-dessus de la porte principale de la Basilique Vaticane. Un peuple immense couvre la vaste place Saint-Pierre ; d’innombrables fidèles, venus de toutes les régions du monde, attendent le moment où les mains du Vicaire de Jésus-Christ vont faire descendre sur eux la rémission des peines dues à leurs péchés. Cependant, aux pieds du Pontife assis sur son trône, un des Prélats récite la formule générale de la Confession des péchés, au nom de l’immense famille que la foi a rassemblée sous les yeux du Père commun de la chrétienté. Après un moment de silence, le Pontife implore la miséricorde divine pour les pécheurs qui ont purifié leurs consciences dans le tribunal de la réconciliation ; il invoque sur eux le secours des saints Apôtres Pierre et Paul ; puis, se levant, il étend ses bras vers le ciel comme pour y puiser les trésors de l’éternelle indulgence, et les abaissant ensuite, il bénit ce peuple composé en ce moment de tous les peuples de la terre. Cette bénédiction, qui porte avec elle la grâce de l’indulgence plénière, pour tous ceux qui ont rempli les conditions requises, et que l’on appelle si improprement Bénédiction Urbi et orbi, puisqu’elle ne s’adresse qu’aux fidèles présents, fut d’abord particulière au Jeudi saint ; elle s’est étendue ensuite au jour de Pâques ; enfin, le Pontife Romain la donne encore le jour de l’Ascension, à Saint-Jean-de-Latran, et le jour de l’Assomption, à Sainte-Marie-Majeure.

La bénédiction des saintes Huiles

La seconde Messe que l’on célébrait le Jeudi saint, dans l’antiquité, était accompagnée de la consécration des Huiles saintes, rite annuel et qui requiert toujours le ministère de l’Évêque comme consécrateur. Depuis un grand nombre de siècles, cette importante cérémonie s’accomplit à l’unique Messe qui se célèbre aujourd’hui en commémoration de la Cène du Seigneur. Cette bénédiction n’ayant lieu que dans les églises cathédrales, nous n’en donnerons point ici tous les détails ; nous ne voulons pas cependant priver nos lecteurs chrétiens de l’instruction qui peut leur être utile sur le mystère des Huiles saintes. La foi nous enseigne que si nous sommes régénérés dans l’eau, nous sommes confirmés et fortifiés par l’huile consacrée ; enfin l’huile est un des principaux éléments que le divin auteur des Sacrements a choisis pour signifier à la fois et opérer la grâce dans nos âmes. L’Église a fixé de bonne heure ce jour, en chaque année, pour renouveler cette liqueur mystique dont la vertu est si grande, sous ses différentes formes, parce que le moment approche où elle en doit faire un abondant usage sur les néophytes qu’elle enfantera dans la nuit pascale. Mais il importe aux fidèles de connaître en détail la doctrine sacrée sur un si haut sujet ; et nous l’expliquerons ici, quoique brièvement, afin d’exciter leur reconnaissance envers le divin Rédempteur, qui a appelé les créatures visibles à servir dans les œuvres de sa grâce, et leur a donné par son sang la vertu sacramentelle qui désormais réside en elles.

La première des Huiles saintes qui reçoit la bénédiction de l’Évêque, est celle qui est appelée l’Huile des Malades, et qui est la matière du sacrement de l’Extrême-Onction. C’est elle qui efface dans le chrétien mourant les restes du péché, qui le fortifie dans le dernier combat, et qui, par la vertu surnaturelle qu’elle possède, lui rend même quelquefois la santé du corps. Dans l’antiquité, la bénédiction de cette Huile n’était pas plus affectée au Jeudi saint qu’à tout autre jour, parce que son usage est, pour ainsi dire, continuel. Plus tard, on a placé cette bénédiction au jour où sont consacrées les deux autres Huiles, à cause de la similitude de l’élément qui leur est commun. Les fidèles doivent assister avec recueillement à la sanctification de cette liqueur qui coulera un jour sur leurs membres défaillants, et parcourra leurs sens pour les purifier. Qu’ils pensent à leur dernière heure, et qu’ils bénissent l’inépuisable bonté du Sauveur, « dont le sang coule si abondamment avec cette précieuse liqueur » (Bossuet, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre).

La plus noble des Huiles saintes est le Chrême ; c’est aussi celle dont la consécration s’opère avec plus de pompe et avec des circonstances plus mystérieuses. C’est par le Chrême que l’Esprit-Saint imprime son sceau ineffaçable sur le chrétien déjà membre de Jésus-Christ par le Baptême. L’Eau nous donne la naissance ; l’Huile du Chrême nous confère la force, et tant que nous n’en avons pas reçu l’onction, nous ne possédons pas encore la perfection du caractère de chrétien. Oint de cette huile sacrée, le fidèle devient visiblement un membre de l’Homme-Dieu, dont le nom de Christ signifie l’onction qu’il a reçue comme Roi et comme Pontife. Cette consécration du chrétien par le Chrême est tellement dans l’esprit de nos mystères, qu’au sortir de la fontaine baptismale, avant même d’être admis à la Confirmation, le néophyte reçoit sur la tête une première onction, quoique non sacramentelle, de cette Huile royale, pour montrer qu’il participe déjà à la royauté de Jésus-Christ.

Afin d’exprimer par un signe sensible la haute dignité du Chrême, la tradition apostolique veut que l’Évêque y mêle du baume, qui représente ce que l’Apôtre appelle « la bonne odeur du Christ » (2 Cor. 2, 15), dont il est écrit aussi « que nous courrons à l’odeur de ses parfums » (Cant. 1, 3). La rareté et le haut prix des parfums dans l’Occident a obligé l’Église Latine d’employer le baume seul dans la confection du saint Chrême ; l’Église Orientale, plus favorisée par le climat et les produits des régions qu’elle habite, y fait entrer jusqu’à trente-trois sortes de parfums qui, condensés avec l’Huile sainte, en forment une sorte d’onguent d’une odeur délicieuse.

Le saint Chrême, outre son usage sacramentel dans la Confirmation, et l’emploi que l’Église en fait sur les nouveaux baptisés, est encore employé par elle dans le sacre des Évêques, pour l’onction de la tête et des mains ; dans la consécration des calices et des autels, dans la bénédiction des cloches ; enfin dans la dédicace des Églises, où l’Évêque en marque les douze croix qui doivent attester aux âges futurs la gloire de la maison de Dieu.

La troisième des Huiles saintes est celle qui est appelée l’Huile des Catéchumènes. Sans être la matière d’aucun sacrement, elle n’en est pas moins d’institution apostolique. La bénédiction que l’Église en fait aujourd’hui, quoique moins pompeuse que celle du Chrême, est cependant plus solennelle que celle de l’Huile des malades. L’Huile des Catéchumènes sert dans les cérémonies du Baptême, pour les onctions que l’on fait au catéchumène sur la poitrine et entre les épaules, avant l’immersion ou l’infusion de l’eau. On l’emploie aussi à l’ordination des Prêtres, pour l’onction des mains, et au sacre des Rois et des Reines.

Telles sont les notions que le fidèle doit posséder, pour avoir une idée de la solennelle fonction que remplit l’Évêque à la Messe d’aujourd’hui, où, comme le chante saint Fortunat dans la belle Hymne que nous donnerons tout à l’heure, il acquitte sa dette en opérant cette triple bénédiction qui ne peut venir que de lui seul.

La sainte Église déploie en cette circonstance un appareil inaccoutumé. Douze Prêtres en chasuble, sept Diacres et sept Sous-Diacres, tous revêtus des habits de leurs ordres, assistent à la fonction. Le Pontifical romain nous apprend que les douze Prêtres sont là pour être les témoins et les coopérateurs du saint Chrême. La Messe commence et se continue avec les rites propres à ce jour ; mais, avant de faire entendre l’Oraison Dominicale, l’Évêque laisse inachevée la prière du Canon qui la précède, et descend de l’autel. Il se rend au siège qui lui a été préparé, près de la table sur laquelle on apporte l’ampoule remplie de l’huile qu’il doit bénir pour le service des mourants. Il prélude à cette bénédiction en prononçant les paroles de l’exorcisme sur cette huile, afin d’éloigner d’elle toute influence des esprits de malice, qui, dans leur haine pour l’homme, cherchent sans cesse à infecter les éléments de la nature ; puis il la bénit par ces paroles :

Envoyez, Seigneur, du haut des cieux, votre Esprit-Saint Paraclet sur cette huile que vous avez daigné produire d’un arbre fécond, et qu’elle devienne propre à soulager l’âme et le corps. Que votre bénédiction en fasse un médicament céleste qui nous protège, qui chasse nos douleurs, nos infirmités, nos maladies de L’âme et du corps ; car vous vous êtes servi de l’huile pour consacrer vos Prêtres, vos Rois, vos Prophètes et vos Martyrs. Que celle-ci devienne une onction parfaite que vous aurez bénie pour nous, Seigneur, et dont les effets nous pénétreront tout entiers. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ.

Après cette bénédiction, l’un des sept Sous-Diacres qui avait apporté l’ampoule la remporte avec respect ; et le Pontife retourne à l’autel pour achever le Sacrifice. Lorsqu’il a distribué la sainte communion au clergé, il revient au siège préparé près de la table. Alors les douze Prêtres, les sept Diacres et les sept Sous-Diacres se rendent au lieu où sont déposées les deux autres ampoules. L’une contient l’huile qui doit devenir le Chrême du salut, et l’autre la liqueur qui doit être sanctifiée comme Huile des Catéchumènes. Bientôt le cortège sacré reparaît, et s’avance solennellement vers le Pontife. Les deux ampoules sont portées chacune par un des Diacres ; un Sous-Diacre tient le vase qui renferme le baume. L’Évêque bénit d’abord le baume, qu’il appelle dans sa prière « une larme odorante sortie de l’écorce d’une heureuse branche, pour devenir le parfum sacerdotal ». Puis il prélude à la bénédiction de l’Huile du Chrême en soufflant sur elle trois fois en forme de croix. Les douze Prêtres viennent tour à tour faire cette même insufflation, dont nous voyons le premier exemple dans l’Évangile. Elle signifie la vertu du Saint-Esprit, qui est figuré par le souffle, à cause de son nom, Spiritus, et qui va bientôt faire de cette huile un instrument de son divin pouvoir. Mais auparavant l’Évêque prononce sur elle l’exorcisme ; et, après avoir ainsi préparé cette substance à recevoir l’action de la grâce d’en haut, il célèbre la dignité du Chrême par cette magnifique Préface qui remonte aux premiers siècles de notre foi :

Il est juste et raisonnable que nous vous rendions grâces partout et toujours, Dieu tout-puissant, par Jésus-Christ notre Seigneur ; à vous qui, au commencement de toutes choses, entre autres dons de votre bonté, avez fait produire à la terre les arbres, et parmi eux l’olivier qui nous donne cette onctueuse liqueur qui devait servir au Chrême sacré. David, dans un esprit prophétique, prévoyant l’institution des Sacrements de votre grâce, chanta dans ses vers l’huile qui doit rendre la joie à notre visage ; et lorsque les crimes du monde eurent été expiés par le déluge, la colombe vint annoncer la paix rendue à la terre par le rameau d’olivier qu’elle portait, symbole des faveurs que nous réservait l’avenir. Cette figure se réalise aujourd’hui, dans ces derniers temps, lorsque, les eaux du baptême ayant effacé tous nos péchés, l’onction de l’huile vient donner à nos visages beauté et sérénité. C’est aussi en présage de cette grâce que vous ordonnâtes à Moïse votre serviteur, après qu’il aurait purifié dans l’eau son frère Aaron, de l’établir prêtre par une onction. Mais le plus grand honneur déféré à l’huile fut lorsque, votre Fils Jésus-Christ notre Seigneur ayant exigé de Jean qu’il le baptisât dans les eaux du Jourdain, vous envoyâtes sur lui l’Esprit-Saint en forme de colombe, désignant ainsi votre Fils unique, en qui vous déclariez, par une voix qui se fit entendre, avoir mis vos complaisances, et faisant connaître qu’il était celui que le prophète David a célébré comme devant recevoir l’onction de l’huile de l’allégresse, au-dessus de tous ceux qui doivent y participer avec lui. Nous vous supplions donc, Dieu éternel, par le même Jésus-Christ votre Fils notre Seigneur, de sanctifier par votre bénédiction cette huile votre créature, et de la remplir de la vertu du Saint-Esprit, par la puissance du Christ votre Fils, dont le Chrême sacré a emprunté son nom, ce Chrême par lequel vous avez consacré les Prêtres, les Rois, les Prophètes et les Martyrs. Faites que la sanctification étant répandue dans l’homme par l’onction, la corruption de la première nature soit anéantie, et que le temple de chacun exhale la suave odeur que produit l’innocence de la vie ; que, selon les conditions établies par vous dans ce mystère, ils y reçoivent la dignité de rois, de prêtres et de prophètes, avec l’honneur d’un vêtement d’immortalité ; que cette huile enfin soit pour ceux qui renaîtront de l’eau et du Saint-Esprit un Chrême de salut qui les rende participants de la vie éternelle, et les mette en possession de la gloire du ciel.

Le Pontife, après ces paroles, prend le baume qu’il a d’abord mêlé avec de l’huile sur une patène, et versant ce mélange dans l’ampoule, il consomme ainsi la consécration du Chrême. Ensuite, pour rendre honneur à l’Esprit‑Saint qui doit opérer par cette huile sacramentelle, il salue l’ampoule qui la contient, en disant : « Chrême saint, je te salue ! » Les douze Prêtres immédiatement suivent l’exemple du Pontife, qui procède ensuite à la bénédiction de l’Huile des Catéchumènes.

Après les insufflations et l’exorcisme, qui ont lieu comme pour le saint Chrême, l’Évêque s’adresse à Dieu par cette prière :

O Dieu, qui récompensez les progrès dans les âmes, et qui, par la vertu du Saint-Esprit, confirmez l’ébauche déjà commencée en elles, daignez envoyer votre bénédiction sur cette huile, et accorder par l’onction qui en sera faite, à ceux qui se présentent au bain de l’heureuse régénération, la purification de l’âme et du corps. Que les taches qu’auraient imprimées sur eux les esprits ennemis de l’homme disparaissent au contact de cette huile sanctifiée ; qu’il ne reste plus à ces esprits pervers aucune place pour leur malice, aucun refuge pour leur pouvoir, aucune liberté pour leurs perfides embûches ; mais que l’onction de cette huile soit utile à vos serviteurs qui arrivent à la foi et qui doivent être purifiés par l’opération de votre Esprit ; qu’elle les dispose au salut qu’ils obtiendront en naissant à la régénération céleste dans le sacrement du Baptême : par Jésus-Christ notre Seigneur, qui doit venir pour juger les vivants et les morts et détruire le monde par le feu.

L’Évêque salue ensuite l’ampoule qui contient l’huile à laquelle il vient de conférer de si hautes prérogatives, en disant :« Huile sainte, je te salue ! » Il est imité dans cet acte de respect par les douze Prêtres ; après quoi deux des Diacres ayant pris, l’un le saint Chrême et l’autre l’Huile des Catéchumènes, le cortège se met en marche pour reconduire les deux ampoules au lieu d’honneur où elles doivent être conservées. Elles sont l’une et l’autre couvertes d’une enveloppe d’étoffe de soie : blanche pour le saint Chrême, et violette pour l’huile des Catéchumènes.

Nous n’avons donné qu’en les abrégeant les détails de cette grande cérémonie ; mais nous ne voulons pas priver le lecteur catholique de la belle Hymne composée par saint Venance Fortunat, Évêque de Poitiers, au VIème siècle, et dont les strophes majestueuses, empruntées par l’Église romaine à l’antique Église des Gaules, accompagnent si noblement l’arrivée et le retour des saintes ampoules.

Hymne

O Rédempteur, agréez les cantiques de ce chœur qui vous célèbre.

On répète : O Rédempteur.

Juge des morts, espoir unique des mortels, écoutez les voix de ceux qui s’avancent portant le suc de l’olive, symbole de paix.

O Rédempteur.

Un arbre fertile, sous un soleil fécond, l’a produit pour qu’il devînt sacré ; ce cortège vient humblement l’offrir au Sauveur du monde.

O Rédempteur.

Debout à l’autel, où il offre ses prières, le Pontife paie sa dette annuelle en consacrant le Chrême.

O Rédempteur.

Roi de l’éternelle patrie, daignez bénir cette huile, symbole de vie, instrument de victoire contre les démons.

O Rédempteur.

L’Onction du Chrême renouvelle l’un et l’autre sexe ; elle rétablit dans l’homme sa dignité violée.

O Rédempteur.

Quand l’âme est lavée dans la fontaine sacrée, le péché la quitte ; quand le front est marqué de l’huile sainte, les dons divins descendent en elle.

O Rédempteur.

Vous qui, sorti du sein du Père, avez habité le sein d’une Vierge, maintenez dans la lumière et préservez de la mort ceux qu’un même Chrême a unis.

O Rédempteur.

Que cette journée demeure pour nous à jamais une journée de fête ; qu’elle soit sainte et glorieuse, et que son souvenir résiste au temps.

O Rédempteur.

La messe du Jeudi saint

La sainte Église se proposant aujourd’hui de renouveler, avec une solennité toute particulière, l’action qui fut accomplie par le Sauveur dans la dernière Cène, selon le précepte qu’il en fit à ses Apôtres, lorsqu’il leur dit : « Faites ceci en mémoire de moi », nous allons reprendre le récit évangélique que nous avons interrompu au moment où Jésus entrait dans la salle du festin pascal.

Il est arrivé de Béthanie ; tous les Apôtres sont présents, même le perfide Judas, qui garde son affreux secret. Jésus s’approche de la table sur laquelle l’agneau est servi ; ses disciples y prennent place avec lui ; et l’on observe fidèlement les rites que le Seigneur prescrivit à Moïse pour être suivis par son peuple. Au commencement du repas, Jésus prend la parole, et il dit à ses Apôtres : « J’ai désiré ardemment de manger avec vous cette Pâque, avant de souffrir. » (s. Luc 22, 15) Il parlait ainsi, non que cette Pâque eût en elle-même quelque chose de supérieur à celles des années précédentes, mais parce qu’elle allait donner occasion à l’institution de la Pâque nouvelle qu’il avait préparée dans son amour pour les hommes ; car « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, dit saint Jean, il les aima jusqu’à la fin » (s. Jean 13, 1).

Pendant le repas, Jésus, pour qui les cœurs n’avaient rien de caché, proféra cette parole qui émut les disciples : « En vérité, je vous le dis, l’un de vous me trahira ; oui, l’un de ceux qui mettent en ce moment la main au plat avec moi est un traître. » (s. Matth. 26, 21, 23) Que de tristesse dans cette plainte ! que de miséricorde pour le coupable qui connaissait la bonté de son Maître ! Jésus lui ouvrait la porte du pardon ; mais il n’en profite pas : tant la passion qu’il avait voulu satisfaire par son infâme marché avait pris d’empire sur lui ! Il ose même dire comme les autres : « Est-ce moi, Seigneur ? » Jésus lui répond à voix basse, pour ne pas le compromettre devant ses frères : « Oui, c’est toi ; tu l’as dit ». Judas ne se rend pas ; il reste, et va souiller de sa présence les augustes mystères qui se préparent. Il attend l’heure de la trahison.

Le repas légal est terminé. Un festin qui lui succède réunit encore à une même table Jésus et ses disciples. Les convives, selon l’usage de l’Orient, se placent deux par deux sur des lits qu’a préparés la munificence du disciple qui prête sa maison et ses meubles au Sauveur pour cette dernière Cène. Jean le bien-aimé est à côté de Jésus, en sorte qu’il peut, dans sa tendre familiarité, appuyer sa tête sur la poitrine de son Maître. Pierre est placé sur le lit voisin, près du Seigneur, qui se trouve ainsi entre les deux disciples qu’il avait envoyés le matin disposer toutes choses, et qui représentent l’un la foi, l’autre l’amour. Ce second repas fut triste ; les disciples étaient inquiets par suite de la confidence que leur avait faite Jésus ; et l’on comprend que l’âme tendre et naïve de Jean eût besoin de s’épancher avec le Sauveur, sur le lit duquel il était étendu, par les touchantes démonstrations de son amour.

Mais les Apôtres ne s’attendaient pas qu’une troisième Cène allait succéder aux deux premières. Jésus avait gardé son secret ; mais, avant de souffrir, il devait remplir une promesse. Il avait dit en présence de tout un peuple : « Je suis le pain vivant descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde. Ma chair est vraiment nourriture, et mon sang est vraiment breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. » (s. Jean 6, 41 – 59) Le moment était venu où le Sauveur allait réaliser cette merveille de sa charité pour nous. Mais comme il avait promis de nous donner sa chair et son sang, il avait dû attendre l’heure de son immolation. Voici maintenant que sa Passion est commencée ; déjà il est vendu à ses ennemis ; sa vie est désormais entre leurs mains ; il peut donc maintenant s’offrir en sacrifice, et distribuer à ses disciples la propre chair et le propre sang de la victime.

Le second repas finissait, lorsque Jésus se levant tout à coup, aux yeux des Apôtres étonnés, se dépouille de ses vêtements extérieurs, prend un linge, s’en ceint comme un serviteur, met de l’eau dans un bassin, et annonce par ces indices qu’il s’apprête à laver les pieds à des convives. L’usage de l’Orient était qu’on se lavât les pieds avant de prendre part à un festin ; mais le plus haut degré de l’hospitalité était lorsque le maître de la maison remplissait lui-même ce soin à l’égard de ses hôtes. C’est Jésus qui invite en ce moment ses Apôtres au divin repas qu’il leur destine, et il daigne agir avec eux comme l’hôte le plus empressé. Mais comme ses actions renferment toujours un fonds inépuisable d’enseignement, il veut, par celle-ci, nous donner un avertissement sur la pureté qu’il requiert dans ceux qui devront s’asseoir à sa table. « Celui qui est déjà lavé, dit-il, n’a plus besoin que de se laver les pieds » (s. Jean 23, 10) ; comme s’il disait : Telle est la sainteté de cette divine table, que pour en approcher, non seulement il faut que l’âme soit purifiée de ses plus graves souillures ; mais elle doit encore chercher à effacer les moindres, celles que le contact du monde nous fait contracter, et qui sont comme cette poussière légère qui s’attache aux pieds. Nous expliquerons plus loin les autres mystères signifiés dans le lavement des pieds.

Jésus se dirige d’abord vers Pierre, le futur Chef de son Église. L’Apôtre se refuse à permettre une telle humiliation à son Maître ; Jésus insiste, et Pierre est contraint de céder. Les autres Apôtres qui, ainsi que Pierre, étaient restés sur les lits, voient successivement leur Maître s’approcher d’eux et laver leurs pieds. Judas même n’est pas excepté. Il avait reçu un second et miséricordieux avertissement quelques instants auparavant, lorsque Jésus, parlant à tous, avait dit : « Pour vous, vous êtes purs, mais non pas tous cependant. » (s. Jean 13, 10) Ce reproche l’avait laissé insensible. Jésus, ayant achevé de laver les pieds des douze, vient se replacer sur le lit près de la table, à côté de Jean.

Alors, prenant du pain azyme qui était resté du repas, il élève les yeux au ciel, bénit ce pain, le rompt et le distribue à ses disciples, en leur disant : « Prenez et mangez ; ceci est mon corps ». Les Apôtres reçoivent ce pain devenu le corps de leur Maître ; ils s’en nourrissent ; et Jésus n’est plus seulement avec eux à la table, il est en eux. Ensuite, comme ce divin mystère n’est pas seulement le plus auguste des Sacrements, mais qu’il est encore un Sacrifice véritable, qui demande l’effusion du sang, Jésus prend la coupe ; et, transformant en son propre sang le vin dont elle est remplie, il la passe à ses disciples, et leur dit : « Buvez-en tous ; car c’est le sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu pour vous. » Les Apôtres participent les uns après les autres à ce divin breuvage, et Judas à son tour ; mais il boit sa condamnation, comme tout à l’heure, dans le pain sacré, il a mangé son propre jugement (1 Cor. 11, 29). L’inépuisable bonté du Sauveur cherche cependant encore à faire rentrer le traître en lui‑même. En donnant la coupe aux disciples, il a ajouté ces terribles paroles : « La main de celui qui me trahit est avec moi à cette table. » (s. Luc 22, 21)

Pierre a été frappé de cette insistance de son Maître. Il veut connaître enfin le traître qui déshonore le collège apostolique ; mais n’osant interroger Jésus, à la droite duquel il est place, il fait signe à Jean, qui est à la gauche du Sauveur, pour tâcher d’obtenir un éclaircissement. Jean se penche sur la poitrine de Jésus et lui dit à voix basse : « Maître, quel est‑il ? » Jésus lui répond avec la même familiarité : « Celui à qui je vais envoyer un morceau de pain trempé. » Il restait sur la table quelques débris du repas ; Jésus prend un peu de pain, et l’ayant trempé, il l’adresse à Judas. C’était encore une invitation inutile à cette haine endurcie à tous les traits de la grâce ; aussi l’Évangéliste ajoute : « Après qu’il eut reçu ce morceau, Satan entra en lui. » (s. Jean 23, 27) Jésus lui dit encore ces deux mots : « Ce que tu as à faire, fais-le vite. » (Ibid. )Et le misérable sort de la salle pour l’exécution de son forfait.

Telles sont les augustes circonstances de la Cène du Seigneur, dont l’anniversaire nous réunit aujourd’hui ; mais nous ne l’aurions point suffisamment racontée aux âmes pieuses, si nous n’ajoutions un trait essentiel. Ce qui se passe aujourd’hui dans le Cénacle n’est point un événement arrivé une fois dans la vie mortelle du Fils de Dieu, et les Apôtres ne sont pas seulement les convives privilégiés de la table du Seigneur. Dans le Cénacle, de même qu’il y a plus qu’un repas, il y a autre chose qu’un sacrifice, si divine que soit la victime offerte par le souverain Prêtre. Il y a ici l’institution d’un nouveau Sacerdoce. Comment Jésus aurait-il dit aux hommes : « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’aurez point la vie en vous » (s. Jean 6, 54), s’il n’eût songé à établir sur la terre un ministère par lequel il renouvellerait, jusqu’à la fin des temps, ce qu’il vient d’accomplir en présence de ces douze hommes ?

Or voici ce qu’il dit à ces hommes qu’il a choisis : « Vous ferez ceci en mémoire de moi. » (s. Luc 22, 19) Il leur donne par ces paroles le pouvoir de changer, eux aussi, le pain en son corps et le vin en son sang ; et ce pouvoir sublime se transmettra dans l’Église, par la sainte ordination, jusqu’à la fin des siècles. Jésus continuera d’opérer, par le ministère d’hommes mortels et pécheurs, la merveille qu’il accomplit dans le Cénacle ; et en même temps qu’il dote son Église de l’unique et immortel Sacrifice, il nous donne, selon sa promesse, par le Pain du ciel, le moyen de « demeurer en lui, et lui en nous ». Nous avons donc à célébrer aujourd’hui un autre anniversaire non moins merveilleux que le premier : l’institution du Sacerdoce chrétien.

Afin d’exprimer d’une manière sensible aux yeux du peuple fidèle la majesté et l’unité de cette Cène que le Sauveur donna à ses disciples, et à nous tous en leur personne, la sainte Église interdit aujourd’hui aux Prêtres la célébration des Messes privées, hors le cas de nécessité. Elle veut qu’il ne soit offert dans chaque église qu’un seul Sacrifice, auquel tous les Prêtres assistent ; et au moment de la communion, on les voit tous s’avancer vers l’autel, revêtus de l’étole, insigne de leur sacerdoce, et recevoir le corps du Seigneur des mains du célébrant.

La Messe du Jeudi saint est une des plus solennelles de l’année ; et quoique l’institution de la fête du Très-Saint-Sacrement ait pour objet d’honorer avec plus de pompe le même mystère, l’Église, en l’établissant, n’a pas voulu que l’anniversaire de la Cène du Seigneur perdît rien des honneurs auxquels il a droit. La couleur adoptée à cette Messe pour les vêtements sacrés est le blanc, comme aux jours mêmes de Noël et de Pâques ; tout l’appareil du deuil a disparu. Cependant plusieurs rites extraordinaires annoncent que l’Église craint encore pour son Époux, et qu’elle ne fait que suspendre un moment les douleurs qui l’oppressent. À l’autel, le Prêtre a entonné avec transport l’Hymne angélique : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » Tout à coup les cloches ont retenti en joyeuse volée, accompagnant jusqu’à la fin le céleste cantique ; mais à partir de ce moment elles vont demeurer muettes, et leur silence durant de longues heures va faire planer sur la cité une impression de terreur et d’abandon. La sainte Église, en nous sevrant ainsi du grave et mélodieux accent de ces voix aériennes, qui chaque jour parcourent les airs et vont jusqu’à notre cœur, veut nous faire sentir que ce monde, témoin des souffrances et de la mort de son divin Auteur, a perdu toute mélodie, qu’il est devenu morne et désert ; et joignant un souvenir plus précis à cette impression générale, elle nous rappelle que les Apôtres, qui sont la voix éclatante du Christ, et sont figurés par les cloches dont le son appelle les fidèles à la maison de Dieu, se sont enfuis et ont laissé leur Maître en proie à ses ennemis.

Le Sacrifice poursuit son cours ; mais au moment où le Prêtre élève l’Hostie sainte et le Calice du salut, la cloche reste déjà dans son silence, et rien n’annonce plus au dehors du temple l’arrivée du Fils de Dieu. La communion générale est proche, et le Prêtre ne donne pas le baiser de paix au Diacre, qui, selon la tradition apostolique, doit le transmettre aux communiants par le Sous-Diacre. La pensée se reporte alors sur l’infâme Judas, qui, aujourd’hui même, a profané le signe de l’amitié, et en a fait l’instrument du meurtre. C’est pour cela que l’Église, en exécration du traître, et comme si elle craignait de renouveler un si fatal souvenir en un tel moment, s’abstient aujourd’hui de ce témoignage de la fraternité chrétienne qui fait partie essentielle des rites de la Messe solennelle.

Mais un rite non moins insolite s’est accompli à l’autel, dans l’action même du Sacrifice. Le Prêtre a consacré deux hosties, et, après en avoir consommé une, il a réservé l’autre, et l’a placée dans un calice qu’il a soigneusement enveloppé. C’est que l’Église a résolu d’interrompre demain le cours du Sacrifice perpétuel dont l’offrande sanctifie chaque journée. Telle est l’impression que lui fait éprouver ce cruel anniversaire, qu’elle n’osera renouveler sur l’autel, en ce jour terrible, l’immolation qui eut lieu sur le Calvaire. Elle restera sous le coup de ses souvenirs, et se contentera de participer au Sacrifice d’aujourd’hui, dont elle aura réservé une seconde hostie. Ce rite s’appelle la Messe des Présanctifiés, parce que le Prêtre n’y consacre pas, mais consomme seulement l’hostie consacrée le jour précédent. Autrefois, comme nous le dirons plus tard, la journée du Samedi saint se passait aussi sans qu’on offrît le saint Sacrifice ; mais on n’y célébrait pas, comme le Vendredi, la Messe des Présanctifiés.

Toutefois, si l’Église suspend durant quelques heures l’offrande du Sacrifice éternel, elle ne veut pas cependant que son divin Époux y perde quelque chose des hommages qui lui sont dus dans le Sacrement de son amour. La piété catholique a trouvé le moyen de transformer en un triomphe pour l’auguste Eucharistie ces instants où l’Hostie sainte semble devenue inaccessible à notre indignité. Elle prépare dans chaque temple un reposoir pompeux. C’est là qu’après la Messe d’aujourd’hui l’Église transportera le corps de son Époux ; et bien qu’il y doive reposer sous des voiles, ses fidèles l’assiégeront de leurs vœux et de leurs adorations. Tous viendront honorer le repos de l’Homme-Dieu ; « là où sera le corps, les aigles s’assembleront » (s. Matth. 24, 28) ; et de tous les points du monde catholique un concert de prières vives et plus affectueuses qu’en tout autre temps de l’année, se dirigera vers Jésus, comme une heureuse compensation des outrages qu’il reçut en ces mêmes heures de la part des Juifs. Près de ce tombeau anticipé se réuniront et les âmes ferventes en qui Jésus vit déjà, et les pécheurs convertis par la grâce et déjà en voie de réconciliation.

À Rome, la Station est dans la Basilique de Latran. La grandeur de ce jour, la réconciliation des Pénitents, la consécration du Chrême, ne demandaient pas moins que cette métropole de la ville et du monde. De nos jours cependant, la fonction papale a lieu au palais du Vatican, et ainsi que nous l’avons dit plus haut, la bénédiction apostolique est donnée par le Pontife Romain, à la loggia de la Basilique de Saint-Pierre.

Dans l’Introït, l’Église se sert des paroles de saint Paul pour glorifier la Croix de Jésus-Christ ; elle célèbre avec effusion ce divin Rédempteur qui, en mourant pour nous, a été notre salut ; qui, par son Pain céleste, est la vie de nos âmes, et, par sa Résurrection, l’auteur de la nôtre.

Introït

Glorifions-nous dans la Croix de Jésus-Christ notre Seigneur ; c’est lui qui est notre salut, notre vie et notre résurrection, lui par qui nous sommes sauvés et délivrés. Ps. Que Dieu ait pitié de nous, et qu’il nous bénisse ; qu’il fasse luire sur nous la lumière de son visage, et qu’il ait pitié de nous. Glorifions-nous.

Dans la Collecte, l’Église nous remet sous les yeux le sort si différent de Judas et du bon larron : tous deux coupables, mais l’un condamné, tandis que l’autre est pardonné. Elle demande pour nous au Seigneur que la Passion de son Fils, dans le cours de laquelle s’accomplissent cette justice et cette miséricorde, soit pour nous la rémission des péchés et la source de la grâce.

Collecte

O Dieu, de qui Judas a reçu la punition de son crime, et le larron la récompense de sa confession : faites-nous ressentir l’effet de votre miséricorde, afin que, comme notre Seigneur Jésus-Christ, dans sa Passion, a traité l’un et l’autre selon son mérite, de même il détruise en nous le mal qui procède du vieil homme, et nous accorde d’avoir part à sa résurrection, Lui qui, étant Dieu, vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

Épître
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. I, Chap. 11.

Mes Frères, lorsque vous vous assemblez comme vous faites, ce n’est plus manger la Cène du Seigneur. Car chacun se hâte de manger son souper à part, en sorte que l’un n’a rien à manger, tandis que l’autre fait des excès. N’avez-vous pas vos maisons pour y manger et y boire ? Méprisez-vous l’Église de Dieu ? Voulez‑vous faire honte à ceux qui sont pauvres ? Que vous dirai‑je ? Faut-il vous louer ? Non, certes ; je ne vous louerai pas. C’est du Seigneur lui-même que j’ai appris ce que je vous ai enseigné, savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit même où il fut livré, prit du pain, et ayant rendu grâces, le rompit et dit : Prenez et mangez ; ceci est mon corps qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. Il prit de même le calice, après avoir soupé, en disant : Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez ; car tous les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. Ainsi donc, celui qui mangera ce pain, ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur ! Que l’homme donc s’éprouve soi-même, et qu’il mange ainsi de ce pain, et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son propre jugement, ne faisant pas le discernement qu’il doit faire du corps du Seigneur. C’est pour cela que parmi vous beaucoup sont malades et languissants, et que beaucoup même sont morts. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés ; mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c’est le Seigneur lui-même qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde.

Le grand Apôtre, après avoir repris les chrétiens de Corinthe des abus auxquels donnaient lieu ces repas nommés Agapes, que l’esprit de fraternité avait fait instituer, et qui ne tardèrent pas à être abolis, raconte la dernière Cène du Sauveur. Il appuie son récit, conforme en tout à celui des Évangélistes, sur le propre témoignage du Sauveur lui-même, qui daigna lui apparaître et l’instruire en personne après sa conversion. L’Apôtre insiste sur le pouvoir que le Sauveur donna à ses disciples de renouveler l’action qu’il venait de faire, et il nous enseigne en particulier que chaque fois que le Prêtre consacre le corps et le sang de Jésus-Christ, « il annonce la mort du Seigneur », exprimant par ces paroles l’unité de sacrifice sur la croix et sur l’autel. Nous avons expliqué cette doctrine fondamentale de la sainte Eucharistie au chapitre 6, en tête de ce volume. La conséquence d’un tel enseignement est facile a déduire. L’Apôtre nous la propose lui-même : « Que l’homme donc s’éprouve, dit-il, et qu’ensuite il mange de ce pain et boive de ce calice. » En effet, pour être initié d’une manière si intime au sublime mystère de la Rédemption, pour contracter une telle union avec la divine Victime, nous devons bannir de nous tout ce qui est du péché et de l’affection au péché. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui », dit le Sauveur. Se peut‑il rien de plus intime ? Dieu devient l’homme, et l’homme devient Dieu, dans cet heureux moment. Avec quel soin devons-nous purifier notre âme, unir notre volonté à celle de Jésus, avant de nous asseoir à cette table qu’il a dressée pour nous, à laquelle il nous convie ! Demandons-lui de nous préparer lui-même, comme il prépara ses Apôtres, en leur lavant les pieds. Il le fera aujourd’hui et toujours, si nous savons nous prêter à sa grâce et à son amour.

Le Graduel est formé de ces belles paroles que l’Église répète à chaque instant durant ces trois jours, et dans lesquelles saint Paul ranime notre reconnaissance envers le Fils de Dieu qui s’est livré pour nous.

Graduel

Le Christ s’est fait obéissant pour nous jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix. V/. C’est pourquoi Dieu l’a exalté, et lui a donné un nom qui est au‑dessus de tout nom.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 13

Avant le jour de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin. Et le souper étant fini, lorsque déjà le diable avait mis dans le cœur de Judas Iscariote de le trahir, Jésus sachant que son Père avait tout remis entre ses mains, et qu’il était sorti de Dieu, et retournait à Dieu, se leva de table, ôta ses vêtements, et, ayant pris un linge, il se ceignit. Ensuite il mit de l’eau dans un bassin, et commença à laver les pieds de ses disciples, et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. Il vint donc à Simon Pierre ; et Pierre lui dit : Vous, Seigneur, vous me laveriez les pieds ! Jésus lui dit : Ce que je fais, tu l’ignores présentement ; mais tu le sauras plus tard. Pierre lui dit : Jamais vous ne me laverez les pieds. Jésus lui répondit : Si je ne te lave, tu n’auras point de part avec moi. Simon Pierre lui dit : Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tète. Jésus lui dit : Celui qui est déjà lavé n’a besoin que de laver ses pieds, et il est pur et net dans tout le reste ; pour vous, vous êtes purs ; mais non pas tous. Car il savait qui le trahirait ; c’est pourquoi il dit : Vous n’êtes pas tous purs. Après qu’il leur eut lavé les pieds, et qu’il eut repris ses vêtements, s’étant remis à table, il leur dit : Savez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien ; car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi Maître et Seigneur, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Car je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi.

L’action du Sauveur lavant les pieds à ses disciples avant de les admettre à la participation de son divin mystère, renferme une leçon pour nous. Tout à l’heure l’Apôtre nous disait : « Que l’homme s’éprouve lui-même » ; Jésus dit à ses disciples : « Pour vous, vous êtes purs ». Il est vrai qu’il ajoute : « mais non pas tous ». De même l’Apôtre nous dit « qu’il en est qui se rendent coupables du corps et du sang du Seigneur ». Craignons le sort de ceux-là, et éprouvons-nous nous-mêmes ; sondons notre conscience avant d’approcher de la table sacrée. Le péché mortel, l’affection au péché mortel, transformeraient pour nous en poison l’aliment qui donne la vie à l’âme. Mais si nous devons respecter assez la table du Seigneur, pour ne pas nous y présenter avec la souillure qui fait perdre à l’âme la ressemblance de Dieu et lui donne les traits hideux de Satan, nous devons aussi, par respect pour la sainteté divine qui va descendre en nous, purifier les taches légères qui la blesseraient. « Celui qui est déjà lavé, dit le Seigneur, n’a besoin que de laver ses pieds. » Les pieds sont les attaches terrestres dans lesquelles nous sommes si souvent exposés à pécher. Veillons sur nos sens, sur les mouvements de notre âme. Purifions ces taches par une confession sincère, par la pénitence, par le regret et l’humiliation ; afin que le divin Sacrement, entrant en nous, soit reçu dignement, et qu’il opère dans toute la plénitude de sa vertu.

Dans l’Antienne de l’Offertoire, le chrétien fidèle, appuyé sur la parole du Christ qui lui a promis le Pain de vie, se livre à la joie. Il rend grâces pour cet aliment divin qui sauve de la mort ceux qui s’en nourrissent.

Offertoire

La droite du Seigneur a signalé sa force ; la droite du Seigneur m’a élevé en gloire. Je ne mourrai point ; mais je vivrai, et je raconterai les œuvres du Seigneur.

L’Église, dans la Secrète, rappelle au Père céleste que c’est aujourd’hui même qu’a été institue l’auguste Sacrifice qu’elle célèbre en ce moment.

Secrète

Seigneur saint. Père tout-puissant, Dieu éternel, que notre Sacrifice vous soit rendu agréable par Jésus-Christ, votre Fils, notre Seigneur, qui, en l’instituant en ce jour, a enseigné à ses disciples de le célébrer en mémoire de lui ; Qui, étant Dieu, vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

Le Prêtre, après avoir communié sous les deux espèces, et placé dans un calice l’Hostie réservée pour le lendemain, distribue au clergé la sainte Eucharistie ; et lorsque les fidèles l’ont reçue à leur tour, le chœur chante l’Antienne suivante qui rappelle le mystère du lavement des pieds :

Communion

Le Seigneur Jésus, quand il eut soupé avec ses disciples, leur lava les pieds, et leur dit : Vous savez ce que je viens de vous faire, moi votre Seigneur et Maître ? Je vous ai donné l’exemple, afin que vous fassiez de même.

La sainte Église demande pour nous, dans la Postcommunion, que nous conservions jusque dans l’éternité le don qui vient de nous être confère.

Postcommunion

Faites, s’il vous plaît, Seigneur notre Dieu, qu’étant rassasiés de cette nourriture de vie, nous recevions par votre grâce, au sein de l’immortalité, ce que nous célébrons dès le temps même de notre vie mortelle. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Procession au reposoir

La Messe étant terminée, une Procession solennelle se dirige vers le lieu où doit reposer l’Hostie sainte, qui sera consommée demain. Le célébrant la porte sous le dais, comme à la fête du très saint Sacrement ; mais aujourd’hui le corps sacré du Rédempteur contenu dans le calice est voilé, et non entouré de rayons comme au jour de ses triomphes. Adorons ce divin Soleil de justice, dont nous saluâmes le lever avec tant d’allégresse ; il décline vers son couchant ; encore quelques heures, et sa lumière va s’éteindre. Les ombres alors couvriront la terre ; et ce ne sera que le troisième jour que nous le verrons reparaître tout brillant d’un éclat nouveau.

Pendant la marche vers le reposoir, le chœur chante l’Hymne du Saint‑Sacrement si connue des fidèles.

Hymne

Pange, lingua, gloriosi Corporis mysterium, Sanguinisque pretiosi, Quem in mundi pretium, Fructus ventris generosi, Rex effudit gentium. Chante, ô ma langue, le mystère du glorieux corps et du sang précieux que le Roi des nations, fils d’une noble mère, a versé pour la rédemption du monde.
Nobis datus, nobis natus Ex intacta Virgine, Et in mundo conversatus, Sparso verbi semine, Sui moris incolatus Miro clausit ordine. Il nous fut donné ; pour nous il naquit de la Vierge sans tache ; il vécut avec les hommes, et après avoir jeté la semence de sa parole, il termina son pèlerinage par une admirable merveille.
In supremae nocte coenae Recumbens cum fratribus, Observata lege plene Cibis in legalibus, Cibum turbae duodenae Se dat suis manibus. Dans la nuit de la dernière cène, étant à table avec ses frères, après avoir observé ce que prescrivait la loi pour les nourritures légales, il se donne lui-même de ses propres mains, pour nourriture, aux douze qu’il a choisis.
Verbum caro, panem verum Verbo carnem efficit : Fitque sanguis Christi merum : Et si sensus deficit, Ad firmandum cor sincerum, Sola fides sufficit. Le Verbe fait chair change d’une seule parole le pain en sa chair divine ; le vin devient le propre sang du Christ ; et si la raison défaille à comprendre un tel prodige, la foi suffit pour rassurer un cœur fidèle.
Tantum ergo Sacramentum Veneremur cernui Et antiquum documentum Novo cedat ritui Praestet fides supplementum Sensuum defectui. Adorons prosternés un si grand Sacrement ; que les rites antiques cèdent la place à ce nouveau mystère ; et que la foi supplée à la faiblesse de nos sens.
Genitori, Genitoque Laus et jubilatio, Salus, honor, virtus quoque Sit et benedictio Procedenti ab utroque Compar sit laudatio. Amen. Gloire, honneur et louange, puissance, actions de grâces et bénédiction soient au Père et au Fils ; pareil hommage à celui qui procède de l’un et de l’autre.  Amen.

Arrivé au lieu où doit être déposée l’Hostie sainte, le célébrant l’ayant encensée, le diacre prend le calice qui la contient et le renferme pour le soustraire à tous les regards. On prie quelques instants, et bientôt le cortège retourne au chœur en silence. Tout aussitôt commencent les Vêpres. Aujourd’hui et demain, cet Office si solennel aux jours de fêtes a perdu sa pompe accoutumée. Les Psaumes y sont récités sans chant, sans même une inflexion. C’est l’Église veuve de son Époux s’enveloppant de son deuil comme d’un vêtement.

À Vêpres[2]

Le premier Psaume renferme une allusion au Calice du salut que le Rédempteur a préparé pour son Église, en répandant son propre sang, qu’il lui donne aujourd’hui pour breuvage.

Le deuxième Psaume exprime la patience du Sauveur en butte aux calomnies de ses ennemis, et les angoisses de son exil sur la terre.

Dans le troisième Psaume, le Messie se plaint de la perfidie de Judas et des persécutions de la Synagogue ; il prédit la juste vengeance qui doit éclater

Le quatrième Psaume nous montre le Sauveur élevant sa prière vers Dieu comme l’encens du soir, les bras étendus sur la croix. Ses os sont disloqués, il penche vers le tombeau ; mais il espère dans le secours promis.

Dans le cinquième Psaume, le Christ se plaint d’être abandonné de tous. Personne ne se déclare pour lui ; ses ennemis le tiennent, et ne le laisseront pas fuir. Il se tourne vers son Père, et lui demande de le tirer de la prison du tombeau où bientôt il va descendre.

On récite ensuite, sur un ton très bas, le Psaume Miserere et l’on finit par l’Oraison suivante :

Daignez, Seigneur, jeter un regard sur votre famille ici présente, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être livré aux mains des méchants, et souffrir le supplice de la Croix ; Lui qui, étant Dieu, vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

Le dépouillement des autels

Les Vêpres étant terminées, le Célébrant reparaît assisté du Diacre et du Sous-Diacre, et se dirige vers l’autel majeur. Il y monte avec eux, et aidé de leur secours, il enlève les nappes qui couvrent et ornent la table sainte. Ce rite lugubre annonce que le Sacrifice est suspendu. L’autel doit demeurer nu et dépouillé, jusqu’à ce que l’offrande journalière puisse être de nouveau présentée à la Majesté divine ; mais il faut pour cela que l’Époux de la sainte Église, vainqueur de la mort, s’élance vivant du sein de la tombe. En ce moment, il est aux mains des Juifs qui vont le dépouiller de ses vêlements, comme nous dépouillons son autel. Il va être exposé nu aux outrages de tout un peuple : c’est pourquoi l’Église a choisi pour accompagner cette triste cérémonie le Psaume 21, dans lequel le Messie expose d’une manière si frappante l’action des soldats romains qui, au pied de sa croix, partagent ses dépouilles.

Ant. Diviserunt vestimenta mea, et super vestem miserunt sortem.                        
Ant. Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe.

Psaume 21

O Dieu ! mon Dieu ! jetez les yeux sur moi : pourquoi m’avez-vous abandonné ? sont-ce donc mes péchés qui éloignent de moi votre secours ?

Mon Dieu, je crie vers vous durant le jour, et vous ne m’exaucez pas ; durant la nuit, et ma crainte était fondée.

Mais vous, la gloire d’Israël, vous habitez dans votre sanctuaire.

Nos pères espérèrent en vous ; ils mirent en vous leur confiance, et ils furent délivrés par vous.

Ils crièrent vers vous, et ils furent sauvés ; ils espérèrent en vous, et leur espoir ne fut pas confondu.

Pour moi, je ne suis qu’un ver, et non pas un homme : l’opprobre des hommes et le mépris du peuple.

Tous ceux qui me voient me couvrent d’injures : ils parlent contre moi, et ils branlent la tête.

Il a espéré, disent-ils, dans le Seigneur ; que le Seigneur le délivre, qu’il le sauve, puisqu’il lui est si cher.

C’est vous, Seigneur, qui m’avez tiré du sein de ma mère ; vous avez été mon espérance dès le temps que je suçais ses mamelles.

J’ai été jeté entre vos bras au sortir de ses entrailles ; vous êtes mon Dieu dès le sein de ma mère. Ne vous éloignez pas de moi.

Car la tribulation me presse ; et il n’y a personne pour me secourir.

Une bande de taureaux m’a environné ; mes ennemis, comme des taureaux forts et furieux, m’ont assiégé.

Ce sont des lions affamés et rugissants qui ouvrent leur gueule contre moi.

Je suis sans force comme l’eau que l’on répand ; tous mes os sont disjoints.

Mon cœur est comme la cire : il se fond au milieu de ma poitrine.

Ma vigueur s’est desséchée comme l’argile qui a passé par le fourneau ; ma langue s’est attachée à mon palais ; et vous m’avez réduit à la poussière du tombeau.

Une troupe de chiens affamés m’a environné ; une foule de furieux m’a assiégé.

Ils ont percé mes mains et mes pieds ; ils ont compté tous mes os.

Ils sont là à me regarder, à me considérer ; ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe.

Mais vous, Seigneur, ne vous éloignez pas de moi, hâtez-vous de venir à mon secours.

O Dieu ! détournez le glaive qui menace ma vie : délivrez de la fureur des

chiens mon âme qui est seule à lutter contre eux.

Sauvez-moi de la gueule du lion : soutenez ma faiblesse contre les attaques des licornes.

J’annoncerai votre nom à mes frères : je vous louerai au milieu de l’assemblée.

Louez le Seigneur, vous qui le craignez ; enfants d’Israël, glorifiez-le.

Postérité d’Israël, crains le Seigneur ; car il n’a point méprisé ni dédaigné l’humble prière du pauvre.

Il n’a pas détourné de moi son visage, et il m’a exaucé lorsque j’ai crié vers lui.

Vos bienfaits, Seigneur, seront le sujet de mes louanges dans la grande assemblée ; je remplirai mes vœux en présence de ceux qui vous craignent.

Les pauvres mangeront et seront rassasiés ; ceux qui cherchent le Seigneur le glorifieront ; et leurs cœurs vivront éternellement.

Toutes les contrées de la terre se ressouviendront du Seigneur et se convertiront à lui.

Et toutes les familles des nations adoreront sa présence ;

Car c’est au Seigneur de régner ; et il exercera son empire sur les nations.

Tous les puissants de la terre mangeront à sa table et l’adoreront ; tous les mortels se prosterneront devant lui.

Mon âme vivra pour lui, et ma postérité le servira.

On célébrera devant le Seigneur la génération qui doit venir ; et les cieux annonceront sa justice à ce peuple qui doit naître, à ce peuple que le Seigneur créera.

Ant. Diviserunt sibi vestimenta mea, et super vestem meam miserunt sortem.
Ant. Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe.

Après avoir dépouillé l’autel majeur, le Célébrant se rend aux autres autels de l’église, et enlève pareillement les nappes qui les couvraient. L’image de la désolation est partout. Le saint tabernacle lui-même a perdu son hôte divin. Le ciboire, dans lequel est réservée la divine hostie pour le viatique des mourants, a été transporté au reposoir, près du calice qui contient le corps du Seigneur. Tout est muet, tout est glacé dans le saint temple. La majesté de notre Dieu s’est retirée dans le sanctuaire écarté où repose la Victime universelle ; et on n’approche de cet asile mystérieux qu’avec le silence du respect et de la componction.

L’après-midi, en quelques églises, selon un usage antique, le Prêtre vient laver les autels dépouillés avec du vin et de l’eau, qu’il étend au moyen de quelques branches d’hysope réunies en faisceau. Cette coutume, qui s’observe encore dans la Basilique de Saint-Pierre, au Vatican, et qui a cessé presque partout, est, selon le témoignage de saint Isidore de Séville (De Ecclesiasticis Officiis, 1 1 , c. 28), et de saint Éloi, évêque de Noyon (Homi. 8 de Coena Domini), un hommage rendu au Christ, en retour de l’humilité qu’il a daigné faire paraître en lavant aujourd’hui les pieds de ses disciples.

Le lavement des pieds

(Le lavement des pieds est désormais le plus souvent intégré à la messe. Note de l’éditeur)

Le Sauveur, aujourd’hui, après avoir lavé les pieds à ses disciples, leur a dit : « Savez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien ; car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi Maître et Seigneur, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi. » L’Église a recueilli et mis en pratique cette parole ; et quoique le précepte qu’elle contient n’ait pas d’autre portée obligatoire que de nous astreindre, par l’exemple même de l’Homme‑Dieu, aux procédés de la charité fraternelle, dans tous les siècles on a vu les chrétiens suivre cet exemple à la lettre, et se laver les pieds les uns aux autres.

À l’origine du christianisme, cette action d’humble charité était fréquente ; saint Paul, énumérant les qualités de la veuve chrétienne, recommande à Timothée d’observer si elle a été empressée « à laver les pieds des saints » (1 Tim. 5, 10), c’est-à-dire des fidèles. Nous voyons, en effet, cette pieuse pratique en usage au temps des martyrs, et même plus tard, dans les siècles de la paix. Les Actes des Saints des six premiers siècles, les Homélies et les traités des Pères y font mille allusions Dans la suite, la charité se refroidit, et le lavement des pieds tendit à n’être plus qu’une pratique pour les monastères. Toutefois de grands exemples étaient donnés de temps en temps, et jusque sur le trône, comme pour empêcher la prescription que l’orgueil humain cherchait à établir contre l’exemple du Rédempteur. La France vit son pieux roi Robert, et plus tard son incomparable saint Louis, laver avec délices les pieds des pauvres. De saintes princesses, une Marguerite d’Écosse, une Élisabeth de Hongrie et tant d’autres, tinrent à honneur d’imiter à la lettre l’action du Christ. Enfin l’Église, qui ne peut rien laisser perdre des traditions que lui a recommandées celui qui est son Chef et son Époux, a voulu que du moins une fois dans l’année la représentation de l’humilité sublime du Sauveur envers ses serviteurs fût mise sous les yeux des fidèles. Elle veut que, dans chaque église importante, le Prélat, ou le supérieur, honore les abaissements du Fils de Dieu, en accomplissant le rite touchant du lavement des pieds. Le Pontife suprême donne aujourd’hui, comme il convient, l’exemple à toute l’Église, dans le palais du Vatican ; et son action est répétée, par ses frères les Évêques, dans le monde entier ; bien plus, dans les cours catholiques, on voit les rois et les reines s’agenouiller aux pieds de leurs sujets, leur laver humblement les pieds, et les combler de pieuses largesses.

Douze pauvres sont ordinairement choisis pour représenter, en cette occasion, les douze Apôtres ; mais le Pontife Romain lave les pieds à treize prêtres de treize nations différentes : ce qui a porté la sainte Église, dans son Cérémonial, à exiger ce nombre pour la fonction du lavement des pieds dans les Églises cathédrales. Cet usage a été diversement interprété. Les uns y ont vu l’intention de représenter le nombre parfait du Collège Apostolique, qui est de treize : le traître Judas ayant été remplacé par saint Mathias, et une disposition extraordinaire du Christ ayant adjoint saint Paul aux Apôtres antérieurement choisis. D’autres sont plus fondés à dire, avec le savant pape Benoît XIV (De Festis D. N. J. lib. J, cap. 6, n°57), qu’il faut aller chercher la raison de ce nombre dans un fait de la vie de saint Grégoire le Grand, dont Rome a voulu conserver le touchant souvenir. Cet illustre Pontife lavait chaque jour les pieds à douze pauvres qu’il admettait ensuite à sa table. Un jour, un treizième pauvre se trouva mêlé avec les autres, sans que personne l’eût vu entrer ; ce personnage était un Ange que Dieu avait envoyé afin qu’il témoignât, par sa miraculeuse présence, combien était agréable au ciel la charité de Grégoire.

La cérémonie du lavement des pieds, qui est aussi appelée le Mandatum, à cause du premier mot de l’Antienne que l’on chante à cette fonction, commence par la lecture de l’Évangile de la Messe du Jeudi saint, ci‑dessus. Après cet Évangile, où est racontée l’action du Sauveur, le Célébrant se dépouille du pluvial ; on le ceint ensuite d’un linge, et il se dirige vers ceux dont il doit laver les pieds. Il s’agenouille devant chacun d’eux, et baise le pied après l’avoir lavé. Pendant ce temps-là, le Chœur chante les Antiennes suivantes :

Ant. Mandatum novum do vobis : ut diligatis invicem sicut dilexi vos, dicit Dominus. Etc.

Ant. Je vous donne un commandement nouveau, qui est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés, dit le Seigneur.  V/. Heureux ceux dont la voie est pure, et qui marchent dans la loi du Seigneur. Je vous donne, etc.

Ant. Quand le Seigneur se fut levé de table, il mit de l’eau dans un bassin, et commença à laver les pieds de ses disciples : il leur laissa ceci en exemple. V/. Le Seigneur est grand et digne de toute louange, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte. Quand le Seigneur, etc.

Ant. Le Seigneur Jésus, lorsqu’il eut soupé avec ses disciples, leur lava les pieds et leur dit : Vous savez ce que je viens de vous faire, moi votre Seigneur et Maître ? Je vous ai donné l’exemple, afin que vous fassiez de même.V/. Vous avez, Seigneur, répandu vos bénédictions sur la terre qui est à vous ; vous avez affranchi Jacob de la captivité. Le Seigneur Jésus, etc.

Ant. Seigneur, vous me laveriez les pieds ! Jésus répondit, et lui dit : Si je ne te lave les pieds, tu n’auras point de part avec moi. V/. Il vint donc à Simon Pierre, et Pierre lui dit : Seigneur, etc. V/. Ce que je fais, tu l’ignores présentement, mais tu le sauras plus tard. Seigneur, etc.

Ant. Si moi votre Seigneur et Maître je vous ai lavé les pieds, combien plus devez-vous vous laver les pieds l’un à l’autre ! V/. Nations, entendez cette parole ; écoutez-la, habitants de la terre. Si moi votre Seigneur, etc.

Ant. Tous les hommes connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. V/. Jésus dit à ses disciples : Tous les hommes, etc.

Ant. Que la foi, l’espérance et la charité, ces trois vertus, demeurent en vous ; mais la charité est la plus grande des trois. V/. Présentement, sont la foi, l’espérance, la charité, trois vertus ; mais la plus grande est la charité. Que la foi, etc.

Ant. Bénie soit la sainte Trinité et l’unité indivisible : nous chanterons se louanges, car elle a exercé sur nous ses miséricordes. V/.Bénissons le Père, le Fils et le Saint-Esprit. V/.Que vos tabernacles sont aimés, Dieu des armées ! En songeant aux parvis du Seigneur, mon âme se laisse aller aux transports de l’amour. Bénie soit.

Après ces Antiennes, on chante le Cantique suivant, qui est une exhortation touchante à la charité fraternelle dont le lavement des pieds est le symbole :

Cantique

Ubi charitas et amor, Deus ibi est.

La où sont la charité et l’amour, Dieu y est aussi.

V/. C’est l’amour du Christ qui nous a rassemblés.

V/. Réjouissons-nous et prenons en lui nos délices.

V/. Craignons et aimons le Dieu vivant ;

V/. Et aimons-nous d’un cœur sincère.

Là où sont la charité et l’amour, Dieu y est aussi.

V/. Réunis en une seule assemblée,

V/. Gardons-nous de ce qui pourrait diviser nos cœurs.

V/. Loin de nous les rixes et les dissensions :

V/. Que le Christ notre Dieu soit au milieu de nous.

Là où sont la charité et l’amour, Dieu y est aussi.

V/. Faites-nous voir avec les bienheureux,

V/. Votre visage dans la gloire, ô Dieu Christ !

V/. Faites-nous goûter cette joie qui est immense et pure,

V/. Durant les siècles éternels. Amen.

Le Célébrant, s’étant revêtu de nouveau du pluvial, conclut la fonction par les prières suivantes :

Pater noster. Notre Père.

Le reste de l’Oraison Dominicale se continue à voix basse jusqu’aux deux dernières demandes.

V/. Et ne nous laissez pas succomber à la tentation ;

R/. Mais délivrez-nous du mal.

V/. Vous avez ordonné, Seigneur,

R/. Que vos commandements fussent gardés.

V/. Vous avez lavé les pieds de vos disciples ;

R/. Ne méprisez pas en nous l’œuvre de vos mains.

V/. Seigneur, exaucez ma prière,

R/. Et que mon cri s’élève jusqu’à vous.

V/. Le Seigneur soit avec vous ;

R/. Et avec votre esprit.

Prions

Recevez favorablement, Seigneur, les humbles devoirs que nous vous rendons ; et puisque vous n’a pas dédaigné de laver vous‑même les pieds de vos disciples, ne méprisez pas cette œuvre de vos mains dont vous nous avez imposé l’imitation ; afin qu’après avoir lavé nous-mêmes les taches extérieures de nos corps, nous ayons le bonheur d’être purifiés par vous des souillures intérieures de nos péchés. Accordez-nous cette grâce, vous qui, étant Dieu, vivez et régnez dans les siècles des siècles. Amen.

Le soir

Judas est sorti de la salle, et il s’est dirigé, à la faveur des ténèbres, vers les ennemis du Sauveur. Jésus, s’adressant alors à ses Apôtres fidèles, a dit : « C’est maintenant que le Fils de l’homme va être glorifié » (s. Jean, 13, 31). Il parlait de la gloire qui devait suivre sa Passion ; mais cette douloureuse Passion commençait déjà, et la trahison de Judas en était le premier acte. Cependant les Apôtres, oubliant trop la tristesse dont ils avaient été saisis, lorsque Jésus leur avait annoncé que l’un d’eux devait le trahir, se laissèrent aller à une contestation. Ils disputaient pour savoir qui d’entre eux était le plus grand. Ils se souvenaient des paroles que Jésus avait adressées à Pierre, lorsqu’il le créa fondement de son Église ; ils venaient de voir leur Maître lui laver les pieds avant tous les autres ; mais la familiarité de Jean avec Jésus, durant la Cène, les avait frappés ; et ils se demandaient si enfin le suprême honneur ne serait pas pour celui qui semblait être le plus aimé.

Jésus met fin à ce débat en donnant à ces futurs Pasteurs des peuples une leçon d’humilité. Il y aura parmi eux un Chef ; mais « celui de vous, dit-il, qui est le plus grand, doit être comme le moindre, et celui qui gouverne, comme celui qui sert. Ne suis-je pas moi-même au milieu de vous comme celui qui sert ? » (s. Luc 22, 26, 27) Puis, s’adressant à Pierre : « Simon, Simon, lui dit-il, Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. » (Ibid. 31, 32) Ce dernier entretien est comme le testament du Sauveur ; il pourvoit au sort de son Église, avant de la quitter. Les Apôtres seront les frères de Pierre ; mais Pierre sera leur Chef. Cette qualité sublime sera relevée en lui par l’humilité ; il sera le « serviteur des serviteurs de Dieu ». Le collège apostolique aurait tout à craindre de la fureur de l’enfer ; mais Pierre seul suffira à confirmer dans la foi ses frères. Son enseignement sera toujours conforme à la vérité divine, toujours infaillible ; Jésus a prié pour qu’il en soit ainsi. Cette prière est toute-puissante, et par elle l’Église, toujours docile à la voix de Pierre, gardera à jamais la doctrine du Fils de Dieu.

Jésus, après avoir ainsi assuré l’avenir de son Église par ces paroles qu’il adressait à Pierre, leur dit à tous avec une incomparable tendresse : « Mes petits enfants, je suis encore avec vous un peu de temps. Aimez-vous les uns les autres. On connaîtra que vous êtes mes disciples à l’amour que vous vous porterez mutuellement. » Pierre lui dit : « Seigneur, où allez‑vous ? — Tu ne peux maintenant me suivre où je vais, répondit Jésus ; mais tu me suivras plus tard. — Et pourquoi, dit Pierre, ne vous suivrais-je pas dès cette heure ? Je donnerais ma vie pour vous. —Tu donnerais ta vie pour moi ! répondit Jésus. En vérité, en vérité ; je te le dis : le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois. » (s. Jean 13, 33 – 38) L’amour de Pierre pour Jésus était trop humain ; car il n’était pas fondé sur l’humilité. La présomption vient de l’orgueil ; elle ne sert qu’à préparer nos chutes. Afin de disposer Pierre à son ministère d’indulgence, et aussi pour nous donner à tous une leçon utile, Dieu permit que celui qui devait bientôt devenir le prince des Apôtres tombât dans une faute aussi honteuse qu’elle était grave. Mais recueillons encore quelques traits dans les paroles si pénétrantes de notre Sauveur, à ce moment d’adieu.

« Je suis, dit-il encore, la Voie, la Vérité et la Vie. Si vous m’aimez, gardez mes commandements. Je prierai mon Père, et il vous enverra un autre consolateur qui restera avec vous toujours. Je ne vous laisserai point orphelins, je reviendrai vers vous. Je vous laisse la paix ; je vous donne ma paix ; je ne vous donne pas une paix comme celle que donne le monde. Que votre cœur ne se trouble donc pas ; qu’il ne craigne rien. Si vous m’aimez, vous vous réjouirez de ce que je vais à mon Père. Je n’ai plus que peu de temps à vous parler ; car voici le prince de ce monde qui approche ; il n’a rien pour lui en moi. Mais afin que le monde sache que j’aime mon Père, et que je fais ce qu’il me commande, levez-vous ; sortons d’ici. » (s. Jean 14) Les disciples émus se levèrent ; on récita l’hymne d’action de grâces, et Jésus, toujours accompagné de ses Apôtres, se dirigea vers le mont des Oliviers.

Durant le trajet, le Sauveur continue ses divins épanchements, et la rencontre d’une vigne lui fournit occasion d’en tirer une précieuse comparaison qui nous apprend la relation que la grâce divine établit entre lui et nos âmes. « Je suis, dit-il, la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Toute branche qui ne porte point de fruit en moi, il la retranchera ; et toute branche qui en portera, il la taillera, afin qu’elle en porte davantage. Demeurez en moi, et moi en vous. Comme la branche ne peut porter de fruit qu’autant qu’elle adhère au cep, ainsi vous n’en pouvez porter qu’autant que vous demeurez en moi. Je suis le cep, et vous êtes les branches ; celui qui demeure en moi et moi en lui, porte beaucoup de fruit ; car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il sera retranché comme une branche, et se desséchera ; on le ramassera, on le jettera au feu, et il brûlera. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi : c’est moi qui vous ai choisis, et je vous ai établis afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. » (s. Jean 26, 31, 32)

Il leur parla ensuite des persécutions qui les attendaient, et de la haine que le monde aurait pour eux. Il renouvela la promesse qu’il leur avait faite de leur envoyer son Esprit consolateur, et leur dit qu’il était avantageux pour eux qu’il les quittât ; mais qu’ils obtiendraient tout en le demandant au Père en son nom. « Le Père, ajouta-t-il, vous aime, parce que vous m’aimez et que vous croyez que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; maintenant je quitte le monde, et je m’en retourne à mon Père. » Les disciples lui dirent : « Nous connaissons maintenant que vous savez toutes choses, et que vous n’avez pas besoin que l’on vous interroge ; c’est pour cela que nous croyons que vous êtes sorti de Dieu. — Vous croyez maintenant ? leur répondit Jésus ; voici l’heure cependant où vous allez vous disperser tous, et vous me laisserez seul (s. Jean 16). Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon sujet ; car il est écrit : Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées ; mais lorsque je serai ressuscité, j’irai devant vous en Galilée.  » (s. Matth. 26, 31, 32)

Pierre essaya de protester de sa fidélité qui, disait-il, serait plus grande encore que celle des autres. Il en eût dû être ainsi, puisqu’il était de la part de son Maître l’objet d’une distinction particulière ; mais Jésus répéta l’humiliante prédiction qu’il avait faite à cet Apôtre ; puis élevant les yeux au ciel avec un calme tout divin, il dit : « Mon Père, l’heure est venue ; glorifiez votre Fils, afin qu’il vous glorifie. J’ai consommé l’ouvrage que vous m’aviez donné à faire ; j’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés. Ils savent maintenant que je suis sorti de vous ; maintenant ils croient véritablement que c’est vous qui m’avez envoyé. Je prie pour eux ; mais je ne prie pas pour le monde. Déjà je ne suis plus dans le monde ; je viens à vous ; mais eux, ils restent dans le monde. Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m’avez donnés, afin qu’ils soient un, comme nous sommes un. Pendant que j’étais avec eux, je les conservais en votre nom ; j’ai conservé ceux que vous m’aviez donnés, et aucun d’eux n’a péri, si ce n’est le fils de perdition, afin que l’Écriture fût accomplie. Je leur ai donné votre parole ; et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi aussi je ne lui appartiens pas. Je ne vous prie pas cependant de les ôter du monde, mais de les garder du mal. Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole : afin que tous ils soient un, comme vous, mon Père, êtes en moi, et moi en vous ; afin que le monde croie que vous m’avez envoyé. O Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m’avez donnés y soient aussi avec moi ; et qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée, parce que vous m’aimiez déjà avant que le monde fût créé. Père juste, le monde ne vous a point connu ; mais moi je vous ai connu ; et ceux-ci savent que vous m’avez envoyé. Et je leur ai manifesté votre nom, et je le leur manifesterai encore, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et moi en eux. » (s. Jean 17)

Tels étaient les élans d’amour qui s’échappaient du cœur de Jésus, lorsqu’il traversait le torrent de Cédron, et gravissait avec ses disciples la montagne des Oliviers. Arrivé au lieu nommé Gethsémani. il entre dans un jardin, où souvent il avait conduit ses Apôtres pour s’y reposer avec eux. À ce moment, un saisissement douloureux s’empare de son âme ; sa nature humaine éprouve comme une suspension de cette béatitude que lui procurait l’union avec la divinité. Elle sera soutenue intérieurement jusqu’à l’entier accomplissement du sacrifice, mais elle portera tout le fardeau qu’elle peut porter. Jésus se sent pressé de se retirer à l’écart ; dans son abattement, il veut fuir les regards de ses disciples. Il ne prend avec lui que Pierre, Jacques et Jean, témoins naguère de sa glorieuse transfiguration. Seront-ils plus fermes que les autres en face de l’humiliation de leur Maître ? Les paroles qu’il leur adresse montrent assez quelle révolution subite vient de s’accomplir dans son âme. Lui dont le langage était si calme tout à l’heure, dont les traits étaient si sereins, la voix si affectueuse, voici maintenant qu’il leur dit : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ; restez ici et veillez avec moi. » (s. Matth. 26, 38)

Il les quitte, et se dirige vers une grotte située à un jet de pierre, et qui conserve encore aujourd’hui la mémoire de la terrible scène dont elle fut témoin. Là Jésus se prosterne la face contre terre, et s’écrie : « Mon Père, tout vous est possible ; éloignez de moi ce calice ; néanmoins que votre volonté se fasse, et non la mienne. » (s. Marc 14, 36) En même temps une sueur de sang s’échappait de ses membres et baignait la terre. Ce n’était plus un abattement, un saisissement : c’était une agonie. Alors Dieu envoie un secours à cette nature expirante, et c’est un Ange qu’il charge de la soutenir. Jésus est traité comme un homme ; et son humanité, toute brisée qu’elle est, doit, sans autre aide sensible que celle qu’il reçoit de cet Ange que la tradition nous dit avoir été Gabriel, se relever et accepter de nouveau le calice qui lui est préparé. Et pourtant, quel calice que celui qu’il va boire ! toutes les douleurs de l’âme et du corps, avec tous les brisements du cœur ; les péchés de l’humanité tout entière devenus les siens et criant vengeance contre lui ; l’ingratitude des hommes qui rendra inutile pour beaucoup le sacrifice qu’il va offrir. Il faut que Jésus accepte toutes ces amertumes, en ce moment où il semble, pour ainsi dire, réduit à la nature humaine ; mais la vertu de la divinité qui est en lui le soutient, sans lui épargner aucune angoisse. Il commence sa prière en demandant de ne pas boire le calice ; il la termine en assurant son Père qu’il n’a point d’autre volonté que la sienne. Jésus se lève donc, laissant sur la terre les traces sanglantes de la sueur que la violence de son agonie a fait couler de ses membres ; ce ne sont là cependant que les prémices de ce sang rédempteur qui est notre rançon. Il va vers ses trois disciples et les trouve endormis. « Quoi ! leur dit-il, vous n’avez pu veiller une heure avec moi ? » (s. Matth. 26, 40) L’abandon des siens commence déjà pour lui. Il retourne deux fois encore à la grotte, où il fait la même prière désolée et soumise ; deux fois il en revient, et c’est pour rencontrer toujours la même insensibilité dans ces hommes qu’il avait choisis pour veiller près de lui. « Dormez donc, leur dit-il, et reposez-vous ; voilà l’heure où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. » Puis, ranimant toutes ses forces avec un courage sublime : « Levez-vous, dit-il ; marchons, celui qui me trahit est près d’ici . » (s. Matth. 26, 46)

Il parlait encore, et tout à coup le jardin est envahi par une troupe de gens armés, portant des flambeaux et conduits par Judas. La trahison se consomme par la profanation du signe de l’amitié. « Judas ! tu trahis le Fils de l’homme par un baiser ! » (s. Luc 22, 48) Paroles si vives et si touchantes qu’elles auraient dû abattre ce malheureux aux pieds de son Maître ; mais il n’était plus temps. Le lâche n’eût pas osé braver la soldatesque qu’il avait amenée. Mais les gens du grand-prêtre ne mettront pas la main sur Jésus qu’il ne l’ait permis. Déjà une seule parole sortie de sa bouche les a renversés par terre ; Jésus permet qu’ils se relèvent ; puis il leur dit avec la majesté d’un roi : « Si c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-ci se retirer. Vous êtes venus avec des armes pour me saisir, moi qui tous ces jours me tenais dans le Temple sans que vous ayez tenté de m’arrêter ; mais c’est maintenant votre heure et le règne des ténèbres. » Et se tournant vers Pierre qui avait tiré l’épée : « Est-ce que je ne pourrais pas, si je le voulais, prier mon Père qui m’enverrait aussitôt plus de douze légions d’Anges ? Mais alors comment s’accompliraient les Écritures ? » (s. Jean 18, 8) (s. Luc 21, 52 , 53) (s. Matth. 26, 53)

Après ces paroles, Jésus se laisse emmener. C’est alors que les Apôtres, découragés et saisis de frayeur, se dispersent ; et pas un ne s’attache aux pas de son Maître, si ce n’est Pierre qui suivait de loin, avec un autre disciple. La vile soldatesque qui entraînait Jésus lui faisait parcourir cette même route qu’il avait suivie le dimanche précédent, lorsque le peuple vint au-devant de lui avec des palmes et des branches d’olivier. On traversa le torrent de Cedron ; et la tradition de l’Église de Jérusalem porte que les soldats y précipitèrent le Sauveur qu’ils traînaient avec brutalité. Ainsi s’accomplissait la prédiction de David sur le Messie : « Il boira en passant de l’eau du torrent ». (Psalm. 109)

Cependant on est arrivé sous les remparts de Jérusalem. La porte s’ouvre devant le divin prisonnier ; mais la ville, enveloppée des ombres de la nuit, ignore encore l’attentat qui vient de s’accomplir. C’est demain seulement qu’elle apprendra, au lever du jour, que Jésus de Nazareth, le grand Prophète, est tombé entre les mains des princes des prêtres et des pharisiens. La nuit est avancée ; cependant le soleil tardera longtemps encore à paraître. Les ennemis de Jésus ont projeté de le livrer dans la matinée au gouverneur Ponce-Pilate, comme un perturbateur de la tranquillité publique ; mais en attendant ils veulent le juger et le condamner comme un coupable en matière religieuse. Leur tribunal a le droit de connaître des causes de cette nature, bien que ses sentences ne puissent pas s’élever jusqu’à la peine capitale. On conduit donc Jésus chez Anne, beau-père du grand-prêtre Caïphe, où, selon les dispositions qui avaient été prises, devait avoir lieu un premier interrogatoire. Ces hommes de sang avaient passé la nuit sans prendre aucun repos. Depuis le départ de leurs gardes pour le jardin des Oliviers, ils avaient compté les moments, incertains qu’ils étaient de l’issue du complot ; on leur amène enfin leur proie ; leurs désirs cruels vont être satisfaits.

Suspendons ce récit douloureux, pour le reprendre demain, lorsque la marche du temps aura ramené les heures auxquelles s’opérèrent les augustes mystères qui sont pour nous instruction et salut. Cette journée est assez remplie des bienfaits de notre Sauveur : il nous a donné sa chair pour nourriture ; il a institué le sacerdoce nouveau ; son cœur s’est ouvert pour nous dans les plus tendres épanchements. Nous l’avons vu aux prises avec la faiblesse humaine, en face du calice de sa Passion, triompher de lui-même pour nous sauver. Maintenant le voilà trahi, enchaîné, conduit captif dans la ville sainte, pour y consommer son sacrifice. Adorons et aimons ce Fils de Dieu, qui pouvait, par la moindre de ces humiliations, nous sauver tous, et qui n’est encore qu’au début du grand acte de dévouement que son amour pour nous lui a fait accepter.

Les autres liturgies

Nous plaçons ici cette belle Préface du Missel gothique des Églises d’Espagne, qui a pour objet l’un des mystères de cette sainte journée.

Il est digne et juste, Seigneur saint, Père tout-puissant, que nous vous rendions grâces, à vous et à Jésus-Christ votre Fils, dont la bonté a recueilli notre misère, dont l’humilité a relevé notre bassesse ; qui étant livré nous a dégagés, étant condamné nous a rachetés, étant crucifié nous a sauvés ! Son sang nous purifie, sa chair nous nourrit. C’est aujourd’hui qu’il s’est livré pour nous, aujourd’hui qu’il a délié les liens de nos péchés. Pour signaler sa bonté et son humilité sublime aux yeux de ses fidèles, il n’a pas dédaigné de laver les pieds du traître, dont il voyait déjà la main engagée dans le crime. Mais quoi d’étonnant si, la veille de sa mort, remplissant l’office d’un serviteur, il dépose ses vêtements, lui qui, étant dans la nature même de Dieu, avait daigné s’anéantir lui-même ? Quoi d’étonnant, si nous le voyons ceint d’un linge, lui qui, prenant la forme d’esclave, a paru dans la nature humaine ? Quoi d’étonnant s’il verse de l’eau dans un bassin pour laver les pieds de ses disciples, lui qui a répandu son sang sur la terre pour enlever les souillures des pécheurs ? Quoi d’étonnant si, avec le linge dont il était ceint, il essuya les pieds qu’il avait lavés, lui qui, revêtu de la chair, a affermi les pas de ceux qui devaient annoncer son Évangile ? Avant de s’entourer de ce linge, il déposa les vêtements qu’il avait ; lorsqu’il s’anéantit en prenant la nature d’esclave, il ne déposa pas ce qui était en lui, mais il prit ce qu’il n’avait pas. Quand on le crucifia, il fut dépouillé de ses vêtements ; mort, il fut enveloppé de linceuls ; et sa Passion tout entière a été la purification des croyants. Avant de souffrir la mort, il donna des marques de sa bonté, non seulement à ceux auxquels sa mort devait être utile, mais à celui même qui devait le livrer à la mort. Certes, l’humilité est utile à l’homme, puisque la majesté divine daigne la recommander par un tel exemple. L’homme superbe était perdu à jamais, si un Dieu humble ne se fût mis à sa recherche ; si celui qui avait péri en partageant l’orgueil de son séducteur, n’eût été sauvé par l’abaissement de son miséricordieux Rédempteur, à qui les Anges et les Archanges ne cessent de chanter tout d’une même voix : Saint ! Saint ! Saint !

 

Le Vendredi Saint

À l’office de la nuit

Les cérémonies particulières que pratique la sainte Église à l’Office des Ténèbres ayant été expliquées ci-dessus, et ne présentant aucune différence dans ces trois jours, il est inutile d’en transcrire ici de nouveau les détails et les explications. Le lecteur les trouvera en tête de l’Office de la nuit du Jeudi saint.

Au premier nocturne

Le premier Psaume annonce prophétiquement la génération éternelle du Fils de Dieu, sa royauté sur les nations, et la vengeance qu’il exercera, au dernier jour, contre ses ennemis. Comme ce magnifique Cantique parle aussi de la révolte des puissants du monde contre le Christ, l’Église l’emploie en ce jour où les complots de la Synagogue ont produit la mort du Rédempteur.

Ant.  Adstiterunt reges terrae, et principes convenerunt in unum, adversus Dominum, et adversus Christum ejus.

Ant. Les rois de la terre se sont levés, les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ.

Psame 2

Quare fremuerunt Gentes : * et populi meditati sunt inania ? Pourquoi les nations ont-elles frémi ? Pourquoi les peuples ont-ils médité des choses vaines ?
Astiterunt reges terrae, et príncipes convenerunt in unum * adversus Dominum, et adversus Christum ejus. Les rois de la terre se sont levés, les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ.
Dirumpamus víncula eorum : * et projiciamus a nobis jugum ipsorum. Ils ont dit : Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous.
Qui habitat in cœlis, irridebit eos : * et Dominus subsannabit eos. Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux ; le Seigneur insultera à leurs efforts.
Tunc loquetur ad eos in ira sua, * et in furore suo conturbabit eos. Il leur parlera dans sa colère ; il les confondra dans sa fureur.
Ego autem constitutus sum Rex ab eo super Sion montem sanctum ejus, * praedicans praeceptum ejus. J’ai été établi par lui roi sur Sion, sa montagne sainte, pour annoncer sa loi.
Dominus dixit ad me : * Fílius meus es tu, ego hodie genui te. Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré aujourd’hui.
Postula a me, et dabo tibi Gentes hereditatem tuam, * et possessionem tuam terminos terrae. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et pour empire jusqu’aux confins de la terre.
Reges eos in virga ferrea, * et tamquam vas fíguli confrínges eos. Vous les régirez avec la verge de fer, et les briserez comme le vase d’argile.
Et nunc, reges, intellígite : * erudímini, qui judicatis terram. Maintenant donc, ô rois, comprenez : instruisez-vous, arbitres du monde !
Servíte Domino in timore : * et exsultate ei cum tremore. Servez le Seigneur dans la crainte ; réjouissez-vous en lui, mais avec tremblement.
Apprehendite disciplínam, nequando irascatur Dominus, * et pereatis de via justa. Embrassez sa loi, de peur que le Seigneur ne s’irrite, et que vous ne périssiez de la voie droite,
Cum exarserit in brevi ira ejus : * beati omnes qui confídunt in eo. Quand sa colère s’allumera soudain. Heureux alors tous ceux qui ont mis en lui leur confiance !

Ant.  Adstiterunt reges terrae, et principes convenerunt in unum, adversus Dominum, et adversus Christum ejus.
Ant. Les rois de la terre se sont levés, les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ.

Le deuxième Psaume est, à proprement parler, le Psaume de la Passion. Le premier verset contient une des dernières paroles de Jésus-Christ sur la croix. Ses pieds et ses mains percées, l’extension violente de ses membres, ses vêtements partagés, sa robe jouée au sort, les langueurs de son agonie, les insultes de ceux qui l’ont crucifié, sont autant de traits qui font de ce divin Cantique comme un récit anticipé des faits évangéliques.

Ant. Diviserunt sibi vestimenta mea ; et super vestem meam miserunt sortem.
Ant. Ils se sont partagés mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe.

Psaume 21.

Deus Deus meus respice me ; quare me dereliquisti longe a salute mea verba delictorum meorum O Dieu ! mon Dieu ! jetez les yeux sur moi : pourquoi m’avez-vous abandonné ? sont-ce donc mes péchés qui éloignent de moi votre secours ?
Deus meus clamabo per diem et non exaudies et nocte et non ad insipientiam mihi Mon Dieu, je crie vers vous durant le jour, et vous ne m’exaucez pas ; durant la nuit, et ma crainte était fondée.
tu autem in sancto habitas Laus Israhel Mais vous, la gloire d’Israël, vous habitez dans votre sanctuaire.
in te speraverunt patres nostri speraverunt et liberasti eos Nos pères espérèrent en vous ; ils mirent en vous leur confiance, et ils furent délivrés par vous.
ad te clamaverunt et salvi facti sunt in te speraverunt et non sunt confusi Ils crièrent vers vous, et ils furent sauvés ; ils espérèrent en vous, et leur espoir ne fut pas confondu.
ego autem sum vermis et non homo obprobrium hominum et abiectio plebis Pour moi, je ne suis qu’un ver, et non pas un homme : l’opprobre des hommes et le mépris du peuple.
omnes videntes me deriserunt me locuti sunt labiis moverunt caput Tous ceux qui me voient me couvrent d’injures : ils parlent contre moi, et ils branlent la tête.
speravit in Domino eripiat eum salvum faciat eum quoniam vult eum Il a espéré, disent-ils, dans le Seigneur ; que le Seigneur le délivre, qu’il le sauve, puisqu’il lui est si cher.
quoniam tu es qui extraxisti me de ventre spes mea ab uberibus matris meae C’est vous, Seigneur, qui m’avez tiré du sein de ma mère ; vous avez été mon espérance dès le temps que je suçais ses mamelles.
in te proiectus sum ex utero de ventre matris meae Deus meus es tu J’ai été jeté entre vos bras au sortir de ses entrailles ; vous êtes mon Dieu dès le sein de ma mère.
ne discesseris a me quoniam tribulatio proxima est quoniam non est qui adiuvet Ne vous éloignez pas de moi.Car la tribulation me presse ; et il n’y a personne pour me secourir.
circumdederunt me vituli multi tauri pingues obsederunt me Une bande de taureaux m’a environné ; mes ennemis, comme des taureaux forts et furieux, m’ont assiégé.
aperuerunt super me os suum sicut leo rapiens et rugiens Ce sont des lions affamés et rugissants qui ouvrent leur gueule contre moi.
sicut aqua effusus sum et dispersa sunt universa ossa mea Je suis sans force comme l’eau que l’on répand ; tous mes os sont disjoints.
factum est cor meum tamquam cera liquescens in medio ventris mei Mon cœur est comme la cire : il se fond au milieu de ma poitrine.
aruit tamquam testa virtus mea et lingua mea adhesit faucibus meis et in limum mortis deduxisti me Ma vigueur s’est desséchée comme l’argile qui a passé par le fourneau ; ma langue s’est attachée à mon palais ; et vous m’avez réduit à la poussière du tombeau.
quoniam circumdederunt me canes multi concilium malignantium obsedit me Une troupe de chiens affamés m’a environné ; une foule de furieux m’a assiégé.
foderunt manus meas et pedes meos dinumeraverunt omnia ossa mea Ils ont percé mes mains et mes pieds ; ils ont compté tous mes os.
ipsi vero consideraverunt et inspexerunt me Ils sont là à me regarder, à me considérer ;
diviserunt sibi vestimenta mea et super vestem meam miserunt sortem ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe.
tu autem Domine ne elongaveris auxilium tuum ad defensionem meam conspice Mais vous, Seigneur, ne vous éloignez pas de moi, hâtez-vous de venir à mon secours.
erue a framea animam meam et de manu canis unicam meam O Dieu ! détournez le glaive qui menace ma vie : délivrez de la fureur des chiens mon âme qui est seule à lutter contre eux.
salva me ex ore leonis et a cornibus unicornium humilitatem meam Sauvez-moi de la gueule du lion : soutenez ma faiblesse contre les attaques des licornes.
narrabo nomen tuum fratribus meis in medio ecclesiae laudabo te J’annoncerai votre nom à mes frères : je vous louerai au milieu de l’assemblée.
qui timetis Dominum laudate eum universum semen Iacob glorificate eum Louez le Seigneur, vous qui le craignez ; enfants d’Israël, glorifiez-le.
timeat eum omne semen Israhel quoniam non sprevit neque despexit deprecationem pauperis Postérité d’Israël, crains le Seigneur ; car il n’a point méprisé ni dédaigné l’humble prière du pauvre.
nec avertit faciem suam a me et cum clamarem ad eum exaudivit me ; Il n’a pas détourné de moi son visage, et il m’a exaucé lorsque j’ai crié vers lui.
apud te laus mea in ecclesia magna vota mea reddam in conspectu timentium eum Vos bienfaits, Seigneur, seront le sujet de mes louanges dans la grande assemblée ; je remplirai mes vœux en présence de ceux qui vous craignent.
edent pauperes et saturabuntur et laudabunt Dominum qui requirunt eum vivent corda eorum in saeculum saeculi Les pauvres mangeront et seront rassasiés ; ceux qui cherchent le Seigneur le glorifieront ; et leurs cœurs vivront éternellement.
reminiscentur et convertentur ad Dominum universi fines terrae et adorabunt in conspectu eius universae familiae gentium Toutes les contrées de la terre se ressouviendront du Seigneur et se convertiront à lui. Et toutes les familles des nations adoreront sa présence ;
quoniam Dei est regnum et ipse ; dominabitur gentium Car c’est au Seigneur de régner ; et il exercera son empire sur les nations.
manducaverunt et adoraverunt omnes pingues terrae in conspectu eius cadent omnes qui descendunt in terram Ont mangé et ont adoré tous les gras, les riches de la terre, en sa présence tomberont à genoux tous ceux qui descendent en la terre, tous les mortels.

 

et anima mea illi vivet et semen meum serviet ipsi Et mon âme vivra pour lui, je vivrai pour lui, et mes enfants le serviront.

 

adnuntiabitur Domino generatio ventura et adnuntiabunt iustitiam eius populo qui nascetur quem fecit Dominus ; Sera annoncée appartenante au Seigneur une génération qui doit venir ; et les cieux annonceront sa justice à un peuple qui naîtra, au peuple chrétien, que le Seigneur a fait.

Le troisième Psaume fut composé par David, lorsqu’il fuyait la persécution de Saul. Il offre un contraste frappant entre les périls qui environnent le serviteur de Dieu, et la confiance inaltérable qu’il conserve dans le Seigneur. David est ici la figure du Christ au milieu des épreuves de sa Passion.

Ant. Insurrexerunt in me testes iniqui, et mentita est iniquitas sibi.
Ant. De faux témoins se sont élevés contre moi, et l’iniquité s’est menti à elle-même.

Psaume 26

Dominus illuminatio mea, et salus mea : * quem timebo ? Le Seigneur est ma lumière et mon salut : qui craindrai-je ?
Dominus protestor vitae meae : * a quo trepidabo ? Le Seigneur est le défenseur de ma vie ; qui pourrait m’intimider,
Dum appropiant super me nocentes : *ut edant carnes meas. En ce moment où les méchants m’ont cerné pour me dévorer ?
Qui tribulant me inimici mei : * ipsi infirmati sunt, et ceciderunt. Mes persécuteurs se sont affaiblis, et ils sont tombés.
Si consistant adversum me castra : * non timebit cor meum. Quand même une armée ennemie m’assiégerait, mon cœur serait sans crainte.
Si exsurgat adversum me prœlium : * in hoc ego sperabo. Si elle me déclarait la bataille, c’est alors que je serais plein de confiance.
Unam petii a Domino, hanc requiram * ut inhabitem in domo Domini omnibus diebus vitae meae. Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur ; je la lui demanderai sans cesse : c’est d’habiter dans sa maison tous les jours de ma vie ;
Ut videam voluptatem Domini : * et visitem templum ejus. Afin de goûter les délices du Seigneur, et de contempler les beautés de son temple.
Quoniam abscondit me in tabernaculo suo : * in die malorum protexit me in abscondito tabernaculi sui. Car il me couvrira de l’ombre de son tabernacle ; au jour de mon affliction, il me protégera dans le secret de son temple.
In petra exaltavit me : * et nunc exaltavit caput meum super inimicos meos. Il m’a établi sur le roc ; il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis.
Circuivi, et immolavi in tabernaculo ejus hostiam vociferationis : * cantabo, et psalmum dicam Domino. Après une marche sacrée, j’offrirai dans son tabernacle un sacrifice accompagné de cris de joie ; je chanterai des cantiques au Seigneur.
Exaudi, Domine, vocem meam, qua clamavi ad te : * miserere mei, et exaudi me. Exaucez, Seigneur, le cri que je vous adresse ; ayez pitié de moi, et exaucez-moi.
Tibi dixit cor meum, exquisivit te facies mea : * faciem tuam, Domine, requiram. Mon cœur vous parle : mes yeux vous cherchent : Seigneur, je ne cesserai de chercher votre présence.
Ne avertas faciem tuam a me : * ne declines in ira a servo tuo. Ne détournez pas de moi votre visage ; dans votre colère, ne vous éloignez pas de votre serviteur.
Adjutor meus esto : * ne derelinquas me, neque despicias me, Deus salutaris meus. Soyez mon appui ; ne m’abandonnez pas ; ne me dédaignez pas, ô Dieu de mon salut.
Quoniam pater meus, et mater mea dereliquerunt me : * Dominus autem assumpsit me. Mon père et ma mère m’ont abandonné ; mais le Seigneur a pris soin de moi.
Legem pone mihi, Domine, in via tua : * et dirige me in semitam rectam propter inimicos meos. Enseignez-moi vos sentiers, Seigneur ; dirigez-moi dans la voie droite pour confondre mes ennemis.
Ne tradideris me in animas tribulantium me : * quoniam insurrexerunt in me testes iniqui, et mentita est iniquitas sibi. Ne m’abandonnez pas à la fureur de ceux qui me persécutent ; car de faux témoins se sont élevés contre moi, et l’iniquité s’est menti à elle‑même.
Credo videre bona Domini : * in terra viventium. J’ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Seigneur, dans la terre des vivants.
Exspecta Dominum, viriliter age : * et confortetur cor tuum, et sustine Dominum. Attends le Seigneur, ô mon âme, sois ferme ; fortifie ton courage, et attends le Seigneur.

Ant. Insurrexerunt in me testes iniqui, et mentita est iniquitas sibi.

  1. Diviserunt sibi vestimenta mea.
    R. Et super Vestem meam miserunt sortem.

Ant. De faux témoins se sont élevés contre moi, et l’iniquité s’est menti à elle-même.

V/. Ils se sont partagé mes vêtements,
R/. Et ils ont jeté le sort sur ma robe.

Les Leçons du premier Nocturne continuent d’être empruntées aux Lamentations de Jérémie. Nous avons expliqué ci-dessus les motifs qui ont porté l’Église à lire, en ces trois jours, cette triste élégie. Les deux premières Leçons ont rapport à la ruine de Jérusalem ; nous donnons ci‑après une explication en tête de la troisième.

Des Lamentations du Prophète Jérémie. Chap. 2

Première Leçon

Heth. Le Seigneur a résolu de renverser les murailles de la fille de Sion. Il a tendu son cordeau, et il n’a point retiré sa main que tout ne fût renversé. Le boulevard s’est écroulé, et la muraille a été pareillement détruite.

Teth. Ses portes renversées sont enfoncées dans la terre ; le Seigneur en a rompu et broyé les gonds ; il a banni son roi et ses princes parmi les nations. Elle n’a plus de loi ; et ses prophètes n’ont plus de visions de la part du Seigneur.

Jod. Les vieillards de la fille de Sion se sont assis sur la terre, et demeurent dans le silence ; ils ont couvert leurs têtes de cendre ; ils se sont revêtus de cilices ; les vierges de Jérusalem tiennent leurs têtes penchées vers la terre.

Caph. Mes yeux se sont affaiblis à force de pleurer : le trouble a saisi mes entrailles : mon cœur a défailli jusqu’à terre, à l’aspect des malheurs de la fille de mon peuple, en voyant les petits enfants et ceux qu’on allaitait encore tomber morts par les rues de la ville.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Tous mes amis m’ont abandonné ; ceux qui m’ont dressé des embûches ont pris le dessus ; celui que j’aimais m’a trahi : * Et jetant sur moi des regards furieux, après m’avoir cruellement couvert de plaies, ils m’ont donné du vinaigre à boire.  V/. Ils m’ont mis au rang des méchants ; et ils n’ont point épargné ma vie ;  * Et jetant sur moi des regards furieux, après m’avoir cruellement couvert de plaies, ils m’ont donné du vinaigre à boire.

Deuxième Leçon

Lamed. Ils disaient à leurs mères : Où est le pain ? où est le vin ? Et on les voyait tomber par les places de la ville comme blessés à mort, et ils expiraient entre les bras de leurs mères.

Mem. À qui te comparerai-je ? À qui dirai-je que tu ressembles, fille de Jérusalem ? Où trouverai-je quelque chose d’égal à tes maux ? Et comment pourrai-je te consoler, ô vierge fille de Sion ! Ta blessure est large comme la mer : qui pourra y appliquer le remède ?

Nun. Tes prophètes n’ont eu pour toi que des visions fausses et extravagantes ; ils ne découvraient point ton iniquité, pour te porter à la pénitence ; ils ne voyaient pour toi dans leurs visions que de faux triomphes, et pour tes ennemis de fausses défaites.

Samech. Tous ceux qui passaient par le chemin ont frappé des mains en te voyant : ils ont sifflé, ils ont branlé la tête sur la fille de Jérusalem en disant : Est-ce donc là cette ville d’une beauté si parfaite, qui était les délices de la terre entière ?

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Le voile du temple se déchira, * et toute la terre trembla ; le larron s’écriait de dessus la croix : Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez entré dans votre royaume. V/. Les pierres se fendirent : les tombeaux s’ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient dans le sommeil de la mort, ressuscitèrent. * Et toute la terre trembla ; le larron s’écriait de dessus la croix : Souvenez‑vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez entré dans votre royaume.

Dans cette troisième Leçon, Jérémie change de sujet. Selon l’usage de tous les Prophètes, il s’interrompt pour parler du Messie, la grande préoccupation d’Israël. Mais ce n’est pas le Messie triomphant qu’il offre à nos regards : c’est le Fils de l’homme, objet du courroux de Dieu, parce qu’il porte sur lui les péchés du monde entier.

Troisième Leçon

Aleph. Je suis un homme, je vois ma misère sous la verge de son indignation.

Aleph. Il m’a conduit et m’a amené dans un cachot ténébreux, loin de la lumière.

Aleph. Il n’a fait que tourner et retourner sa main sur moi, toute la journée.

Beth. Il a rendu ma peau et ma chair sèches et ridées : il a brisé mes os.

Beth. Il a bâti un cachot autour de moi, et m’a environné de fiel et de chagrin.

Beth. Il m’a plongé dans un lieu ténébreux, comme ceux qui sont morts pour toujours.

Ghimel. Il m’a enfermé de tous côtés, et je ne saurais sortir : il a appesanti mes fers.

Ghimel. En vain j’ai crié vers lui, et je l’ai supplié : il a repoussé ma prière.

Ghimel. Il m’a fermé le passage avec des pierres de taille : il m’a coupé le chemin.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/.O ma vigne que j’avais choisie ! c’est moi-même qui t’avais plantée : * Comment as-tu changé ta douceur en amertume, jusqu’à me crucifier, et délivrer Barabbas ? V/. Je t’ai environnée d’une haie ; j’ai ôté les pierres qui pouvaient te nuire, et j’ai bâti une tour pour ta défense. * Comment as-tu changé ta douceur en amertume, jusqu’à me crucifier et délivrer Barabbas ? On répète : O ma vigne.

Au deuxième Nocturne

Dans le quatrième Psaume, David, après son péché, en butte à la révolte d’Absalon, se livre au regret des fautes qui ont déchaîné sur lui les vengeances célestes. Il est la figure du Messie qui, dans son agonie, confesse aussi que les iniquités dont il s’est chargé l’accablent, que son cœur est dans le trouble, et que ses forces l’ont abandonné.

Ant. Vim faciebant, qui quaerebant animam meam.
Ant. Ceux qui cherchaient à m’ôter la vie me faisaient violence.

Psaume 37

Domine, ne in furore tuo arguas me : * neque in ira tua corripias me. Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère.
Quoniam sagittæ tuæ infixae sunt mihi : * et confirmasti super me manum tuam. Car vous m’avez percé de vos flèches, et vous avez appesanti votre main sur moi.
Non est sanitas in carne mea a facie ire tuae : * non est pax ossibus meis a facie peccatorum meorum. Il n’y a plus rien de sain dans ma chair à la vue de votre colère ; il n’y a point de paix dans mes os à la vue de mes péchés.
Quoniam iniquitates meae supergressae sunt caput meum : * et sicut onus grave gravatae sunt super me. Car mes iniquités se sont élevées au-dessus de ma tête ; et elles m’ont accablé comme un poids insupportable.
Putruerunt, et corruptae sunt cicatrices meae, * a facie insipientiae meae. Mes plaies se sont corrompues et putréfiées, à cause de ma folie.
Miser factus sum, et curvatus sum usque in finem : * tota die contristatus ingrediebar. Je suis devenu misérable et tout courbé ; je passe tout le jour dans la tristesse.
Quoniam lumbi mei impleti sunt illusionibus : * et non est sanitas in carne mea. Mes reins sont remplis d’illusions ; et il n’y a plus rien de sain dans ma chair.
Afflictus sum, et humiliatus sum nimis : * rugiebam a gemitu cordis mei. J’ai été affligé et humilié jusqu’à l’excès ; je pousse du fond de mon cœur des sanglots et des cris.
Domine, ante te omne desiderium meum : * et gemitus meus a te non est absconditus. Tous mes désirs vous sont connus, Seigneur : et mon gémissement ne vous est point caché.
Cor meum conturbatum est, dereliquit me virtus mea : * et lumen oculorum meorum, et ipsum non est mecum. Mon cœur est dans le trouble : mes forces me quittent ; et la lumière même de mes yeux m’a abandonné.
Amici mei et proximi mei : * adversum me appropinquaverunt et steterunt. Mes amis et mes proches sont venus vers moi, et se sont élevés contre moi.
Et qui juxta me erant de longe steterunt : * et vim faciebant qui quaerebant animant meam. Ceux qui étaient auprès de moi s’en sont éloignés ; et ceux qui cherchaient à m’ôter la vie me faisaient violence.
Et qui inquirebant mala mihi, locuti sunt vanitates : * et dolos tota die meditabantur. Ceux qui cherchaient à me faire du mal ont publié des mensonges ; et ils méditaient quelque tromperie pendant tout le jour.
Ego autem tanquam surdus non audiebam : * et sicut mutus non aperiens os suum. Pour moi, j’étais comme un sourd qui n’entend point, et comme un muet qui n’ouvre point la bouche.
Et factus sum sicut homo non audiens : * et non habens in ore suo redargutiones. Je suis devenu comme un homme qui n’entend plus, et qui n’a rien à répliquer.
Quoniam, in te, Domine, speravi : * tu exaudies me, Domine Deus meus. Parce que j’ai mis en vous, Seigneur, toute mon espérance, vous m’exaucerez, ô Seigneur mon Dieu !
Quia dixi : Nequando supergaudeant mihi inimici mei : * et dum commoventur pedes mei, super me magna locuti sont. Car je me suis dit à moi-même : À Dieu ne plaise que je devienne un sujet de joie à mes ennemis, qui ont déjà parlé insolemment de moi, lorsque mes pieds se sont ébranlés.
Quoniam ego in flagella paratus sum : * et dolor meus in conspectu meo semper. Je suis préparé au châtiment, et ma douleur est toujours devant mes yeux.
Quoniam iniquitatem meam annuntiabo : * et cogitabo pro peccato meo. Je confesserai mon iniquité, et je serai sans cesse occupé du désir d’expier mon péché.
Inimici autem mei vivunt, et confirmati sunt super me : * et multiplicati sont qui oderunt me inique. Et toutefois mes ennemis vivent, et sont devenus plus puissants que moi, et le nombre de ceux qui me haïssent injustement s’accroît tous les jours.
Qui retribuunt mala pro bonis, detrahebant mihi * quoniam sequebar bonitatem. Ceux qui rendent le mal pour le bien m’ont déchiré dans leurs propos, parce que j’embrassais la justice.
Ne derelinquas me, Domine Deus meus : * ne discesseris a me. Ne m’abandonnez point, ô Seigneur mon Dieu ; ne vous éloignez point de moi.
Intende in adjutorium meum : * Domine, Deus salutis meae. Hâtez-vous de me secourir, ô Seigneur, Dieu de mon salut !

Ant. Vim faciebant, qui quaerebant animam meam.

Ant. Ceux qui cherchaient à m’ôter la vie me faisaient violence.

David persécuté est encore, dans ce cinquième Psaume, la figure du Messie ; mais ce divin Cantique renferme un trait qui n’est applicable qu’au Christ : c’est l’endroit où celui qui parle dit à Dieu : « Vous n’avez pas agréé les victimes, ni les offrandes ; alors j’ai dit : « Voici que je viens pour faire votre volonté. »

Ant. Confundantur et revereantur, qui quaerunt animam meam, ut auferant eam.
Ant. Que ceux qui cherchent à m’ôter la vie soient couverts de honte et saisis de crainte.

Psaume 39

Exspectans exspectavi Dominum : *et intendit mihi. J’ai attendu le Seigneur avec persévérance, et il s’est enfin tourné vers moi.
Et exaudivit preces meas : * et eduxit me de lacu miseriae, et de luto faecis. Il a exaucé ma prière ; il m’a tiré d’un abîme de misère et d’un bourbier profond.
Et statuit super petram pedes meos : * et direxit gressus meos. Il a établi mes pieds sur le roc, et dirigé lui-même mes pas.
Et immisit in os meum canticum novum : * carmen Deo nostro. Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, un cantique de louanges pour notre Dieu.
Videbunt multi et timebunt : * et sperabunt in Domino. Plusieurs verront ceci, et seront dans la crainte ; ils espéreront dans le Seigneur.
Beatus vir, cujus est nomen Domini spes ejus : * et non respexit in vanitates, et insanias falsas. Heureux l’homme qui met son espérance dans le nom du Seigneur, et qui ne cherche pas des appuis vains et insensés !
Multa fecisti tu, Domine, Deus meus, mirabilia tua : * et cogitationibus tuis non est qui similis sit tibi. Seigneur mon Dieu, vous avez opéré d’innombrables merveilles ; et nulle créature, dans ses desseins, ne peut être comparée à vous.
Annuntiavi, et locutus sum : * multiplicati sunt super numerum. Si je veux parler de vos œuvres et les annoncer, elles se trouvent au‑dessus de mes paroles.
Sacrificium et oblationem noluisti : * aures autem perfecisti mihi. Vous n’avez pas agréé les victimes ni les offrandes ; mais vous m’avez formé des oreilles dociles.
Holocaustum et pro peccato non postulasti : * tunc dixi : Ecce venio. Vous n’avez point demandé d’holocaustes, ni de sacrifices pour le péché ; alors j’ai dit : Voici que je viens.
In capite libri scriptum est de me, ut facerem voluntatem tuam : * Deus meus, volui, et legem tuam in medio cordis mei. Il est écrit de moi en tête du livre que je ferai votre volonté ; je le veux ainsi, mon Dieu, et votre commandement est gardé dans le plus intime de mon cœur.
Annuntiavi justitiam tuam in ecclesia magna : * ecce labia mea non prohibebo ; Domine, tu scisti. J’ai annoncé votre justice dans une grande assemblée ; je n’ai point fermé mes lèvres : vous le savez, Seigneur.
Justitiam tuam non abscondi in corde meo : * veritatem tuam, et salutare tuum dixi. Je n’ai point retenu votre justice dans le secret de mon cœur : j’ai publié votre vérité et le salut qui vient de vous.
Non abscondi misericordiam tuam, et veritatem tuam : * a concilio multo. Je n’ai point caché votre miséricorde et votre vérité à cette réunion nombreuse.
Tu autem, Domine, ne longe facias miserationes tuas a me : * misericordia tua et veritas tua semper susceperunt me. Mais vous, Seigneur, n’éloignez pas de moi vos bontés ; que votre miséricorde et votre vérité m’accompagnent toujours.
Quoniam circumdederunt me mala, quorum non est numerus : * comprehenderunt me iniquitates meae, et non potui ut viderem. Des maux sans nombre sont venus fondre sur moi ; mes iniquités m’ont enveloppé de toutes parts ; et je n’ai pu en soutenir la vue.
Multiplicatae sunt super capillos capitis mei : * et cor meum dereliquit me. Elles surpassent le nombre des cheveux de ma tête ; et mon cœur en est tombé dans la défaillance.
Complaceat tibi, Domine, ut eruas me : * Domine, ad adjuvandum me respice. Que votre bonté, Seigneur, vous porte à me délivrer ; jetez sur moi, Seigneur, un regard de protection.
Confundantur et revereantur simul qui quaerunt animam meam : * ut auferant eam. Que ceux qui cherchent à m’ôter la vie soient couverts de honte et saisis de crainte.
Convertantur retrorsum, et revereantur : * qui volunt mihi mala. Que ceux qui désirent ma perte soient mis en fuite et livrés à l’ignominie.
Ferant confestim confusionem suam : * qui dicunt mihi : Euge, euge. Qu’ils soient couverts de confusion, ceux qui disent en m’insultant : Allons, allons !
Exultent, et laetentur super te omnes quaerentes te : * et dicant semper : Magnificetur Dominus, qui diligunt salutare tuum. Que tous ceux qui vous cherchent soient dans l’allégresse ; que tous ceux qui n’attendent leur salut que de vous disent sans cesse : Soit glorifié le Seigneur !
Ego autem mendicus sum, et pauper : * Dominus sollicitus est mei. Pour moi, je suis pauvre et affligé ; mais le Seigneur prend soin de moi.
Adjutor meus, et protector meus tu es : * Deus meus, ne tardaveris. Vous êtes mon libérateur et mon appui : mon Dieu, ne tardez pas.

Ant. Confundantur et revereantur, qui quaerunt animam meam, ut auferant eam.
Ant. Que ceux qui cherchent à m’ôter la vie soient couverts de honte et saisis de crainte.

Dans le sixième Psaume, David, poursuivi par les embûches de Saül, représente le Christ en butte à la Synagogue.

Ant. Alieni insurrexerunt in me, et fortes quaesierunt animam meam.
Ant. Des étrangers sont venus fondre sur moi ; des hommes puissants cherchent à m’ôter la vie.

Psaume 53

Deus, in nomine tuo salvum me fac : * et in virtute tua judica me. O Dieu, pour la gloire de votre nom, sauvez-moi, et déployez votre puissance pour soutenir la justice de ma cause.
Deus, exaudi orationem meam : * auribus percipe verba oris mei. O Dieu. exaucez ma prière : soyez attentif aux paroles de ma bouche.
Quoniam alieni insurrexerunt adversum me, et fortes quaesierunt animam meam : * et non proposuerunt Deum ante conspectum suum. Car des étrangers sont venus fondre sur moi ; des hommes puissants cherchent à m’ôter la vie, et ils n’ont point la crainte de Dieu devant les yeux.
Ecce enim Deus adjuvat me : * et Dominus susceptor est animae meae. Mais voici mon Dieu qui vient à mon secours : le Seigneur se rend protecteur de ma vie.
Averte mala inimicis meis : * et in veritate tua disperde illos. Détournez sur mes ennemis le mal qu’ils veulent me faire : exterminez-les selon la vérité de vos promesses.
Voluntarie sacrificabo tibi : et confitebor nomini tuo, Domine, quoniam bonum est. Je vous offrirai un sacrifice d’actions de grâces, et je célébrerai hautement votre nom, Seigneur ; car il est la bonté.
Quoniam ex omni tribulatione eripuisti me : * et super inimicos meos despexit oculus meus. Vous m’avez arraché à toutes mes tribulations, et par vous mon œil a pu dédaigner tous mes ennemis.

Ant. Alieni insurrexerunt in me, et fortes quaesierunt animam meam.                   

  1. Insurrexerunt in me testes iniqui.
    R. Et mentita est iniquitas sibi.

Ant. Des étrangers sont venus fondre sur moi ; des hommes puissants cherchent à m’ôter la vie.

V/. De faux témoins se sont élevés contre moi ;
R/. Et l’iniquité s’est menti à elle-même.

L’Église continue de lire, au deuxième Nocturne, les Énarrations de saint Augustin sur les Psaumes prophétiques de la Passion du Sauveur.

Du traité de saint Augustin, Évêque, sur les Psaumes.

Quatrième Leçon

Mon Dieu, vous m’avez mis à couvert de la conspiration des méchants ; vous m’avez délivré de l’assemblée des hommes injustes. Jetons maintenant les yeux sur notre chef. Plusieurs martyrs ont souffert les mêmes peines ; mais le chef des martyrs les a tous effacés C’est en lui que nous pouvons mieux apprécier ce qu’ils ont souffert. Il a été mis à couvert de la conspiration des méchants par la protection de Dieu, et par celle que lui-même donnait à sa propre chair, et à la nature humaine dont il était revêtu ; étant en même temps Fils de l’homme et Fils de Dieu : Fils de Dieu par la nature divine ; Fils de l’homme par la nature de serviteur qu’il a prise, ayant le pouvoir de quitter la vie et celui de la reprendre. Qu’ont pu lui faire ses ennemis ? Ils ont tué le corps, mais ils n’ont pu tuer l’âme. Comprenez donc ceci : le Seigneur ne s’est pas contenté d’exhorter les martyrs par sa parole : il a voulu encore les fortifier par son exemple.

R/. Vous êtes venus armés d’épées et de bâtons pour me prendre, comme si j’étais un voleur. * Tous les jours j’étais avec vous, enseignant dans le Temple, et vous ne m’avez point arrêté ; et maintenant, après m’avoir flagellé, vous m’emmenez pour me crucifier. V/. Comme ils mettaient la main sur Jésus, et se saisissaient de lui, il leur dit : * Tous les jours j’étais avec vous, enseignant dans le Temple, et vous ne m’avez point arrêté ; et maintenant, après m’avoir flagellé, vous m’emmenez pour me crucifier.

Cinquiéme Leçon

Vous savez quelle était la conspiration des perfides Juifs et quelle était l’assemblée de ces ouvriers d’iniquité. Mais de quelle iniquité ? C’est qu’ils ont voulu faire mourir le Seigneur Jésus-Christ. J’ai fait beaucoup de bonnes œuvres devant vous, leur disait-il ; pour laquelle est-ce que vous voulez me faire mourir ? En effet, il avait soulagé tous ceux qui étaient infirmes parmi eux, et guéri tous leurs malades ; il leur avait annoncé le royaume des cieux ; il n’avait point dissimulé leurs désordres, afin qu’ils conçussent de la haine pour leurs crimes, et non pour le médecin qui venait les guérir. Mais eux, ne répondant que par l’ingratitude à de tels services, et semblables à des frénétiques qu’une fièvre ardente irrite contre le médecin qui était venu pour les guérir, ils formèrent le dessein de le perdre, comme s’ils eussent voulu éprouver s’il était véritablement homme, par la mort qu’il subirait, ou s’il était une nature supérieure à l’homme, en se garantissant de cette mort. Nous reconnaissons leur langage dans le livre de la Sagesse de Salomon : Condamnons-le, disent‑ils, à la mort la plus infâme ; interrogeons-le ; car il sera protégé, si ses paroles sont véritables. S’il est vraiment le Fils de Dieu, qu’il le délivre.

R/. Des ténèbres se répandirent sur la terre, lorsque les Juifs eurent crucifié Jésus ; et vers la neuvième heure, Jésus poussa un grand cri, en disant : Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? * Et, baissant la tête, il rendit l’esprit. V/. Jésus, s’écriant à haute voix, dit : Père, je remets mon esprit entre vos mains. * Et baissant la tête, il rendit l’esprit.

Sixième Leçon

Ils ont aiguisé leurs langues comme un glaive. Que les Juifs ne disent pas : Nous n’avons pas tué le Christ. Il est vrai qu’ils le mirent entre les mains du juge Pilate, afin de paraître en quelque sorte innocents de sa mort. Car Pilate leur ayant dit : Faites-le mourir vous-mêmes ; ils répondirent : Il ne nous est pas permis de faire mourir quelqu’un. Ils voulaient par là rejeter l’injustice de leur forfait sur la personne du juge ; mais pouvaient-ils tromper Dieu qui est juge aussi. Il est vrai que le procédé de Pilate l’a rendu participant de leur crime ; mais si on le compare à eux, on le trouve beaucoup moins criminel. Car il fit tout ce qu’il put pour le tirer de leurs mains ; et ce fut pour cela qu’il le leur montra tout déchiré de coups de fouet. Il fit flageller le Seigneur, non à dessein de le perdre, mais pour donner quelque chose à leur fureur ; afin que du moins la vue de l’état dans lequel l’avait mis la flagellation pût les adoucir, et qu’ils cessassent de demander sa mort ; voilà ce qu’il fit. Mais voyant qu’ils persévéraient dans leur poursuite, vous savez qu’il lava ses mains, et qu’il leur dit que ce n’était pas lui qui était l’auteur de la mort de Jésus, et qu’il en était innocent. Il le fit mourir néanmoins. Mais s’il est coupable pour l’avoir condamné malgré lui, sont-ils innocents, ceux qui lui firent violence pour obtenir cette condamnation ? Non, sans doute. Pilate, en rendant sa sentence, et en ordonnant qu’il fût crucifié, l’a comme immolé lui-même. Mais c’est vous, ô Juifs, qui l’avez réellement immolé. Et comment ? Par le glaive de votre langue ; car vous avez aiguisé vos langues comme l’épée. Et quand l’avez-vous frappé, si ce n’est au moment où vous poussâtes ce cri : Crucifiez-le, crucifiez-le ?

R/. J’ai livré ma vie au pouvoir des méchants ; le peuple qui était mon héritage a été pour moi comme un lion rugissant au fond d’une forêt. Mon ennemi a crié contre moi, disant : Rassemblez-vous, et hâtez-vous d’accourir pour le dévorer. Ils m’ont mis dans une affreuse solitude, et toute la terre a pleuré sur moi ; * Et il ne s’est trouvé personne qui voulût me reconnaître, et consentît à me faire du bien. V/. Des hommes sans pitié se sont élevés contre moi, et ils n’ont point épargné ma vie. * Et il ne s’est trouvé personne qui voulût me reconnaître, et consentît à me faire du bien. On répète : J’ai livré ma vie.

Au troisième nocturne

Le septième Psaume fut aussi composé par David, dans le temps où il était l’objet des poursuites de Saül. Le Prophète décrit la rage de ses persécuteurs, et trace en même temps le portrait des ennemis du Messie.

Ant. Ab insurgentibus in me libera me, Domine, quia occupaverunt animam meam.

Ant. Délivrez-moi de mes ennemis, Seigneur ; arrachez-moi à ceux qui poursuivent ma vie.

Psaume 58

Eripe me de inimicis meis, Deus meus : * et ab insurgentibus in me libera me. Arrachez-moi à mes ennemis, ô mon Dieu ; délivrez-moi de ceux qui me persécutent.
Eripe me de operantibus iniquitatem : * et de viris sanguinum salve me. Enlevez-moi aux ouvriers d’iniquité : sauvez-moi des hommes sanguinaires.
Quia ecce ceperunt animam meam : * irruerunt in me fortes. Car voici qu’il m’ont saisi ; des hommes puissants se sont élancés sur moi.
Neque iniquitas mea, neque peccatum meum, Domine : * sine iniquitate cucurri, et direxi. Ce n’est pas pour mon iniquité ni pour mon péché, Seigneur ; j’ai marché dans les voies de la justice, et dirigé ma course avec équité.
Exsurge in occursum meum, et vide : * et tu, Domine Deus virtutum, Deus Israel. Levez-vous pour me secourir : jetez un regard sur moi, Seigneur Dieu des armées, Dieu d’Israël.
Intende ad visitandas omnes gentes : * non miserearis omnibus qui operantur iniquitatem. Venez visiter tous les peuples ; n’épargnez aucun de ceux qui commettent l’iniquité.
Convertentur ad vesperam, et famem patientur ut canes : * et circuibunt civitatem. Mes ennemis reviennent vers le soir ; affamés comme des chiens, ils font la ronde dans la ville.
Ecce loquentur in ore suo, et gladius in labiis eorum : * quoniam quis audivit ? Les voilà qui parlent contre l’innocent ; leurs lèvres sont armées de traits. Qui nous entend ? disent-ils.
Et te, Domine, deridebis eos : * ad nihilum deduces omnes gentes. Mais vous, Seigneur, vous vous rirez d’eux ; tous les hommes sont devant vous comme rien.
Fortitudinem meam ad te custodiam, quia Deus susceptor meus es : * Deus meus, misericordia ejus praeveniet me. C’est en vous que je mets mon ferme appui : car vous êtes, ô Dieu, mon protecteur ; la miséricorde de mon Dieu viendra au-devant de moi.
Deus ostendet mihi super inimicos meos, ne occidas eos : * nequando obliviscantur populi mei. Dieu m’a fait connaître la vengeance qu’il tirera de mes ennemis, ne les exterminez pas entièrement, de peur que mon peuple n’oublie leur châtiment.
Disperge illos in virtute tua : * et depone eos, protector meus Domine. Dispersez-les dans votre puissance ; humiliez-les, ô Dieu, mon appui !
Delictum oris eorum, sermonem labiorum ipsorum : * et comprehendantur in superbia sua. C’est la punition du péché que leur bouche a commis, leur orgueil a été pour eux comme un piège.
Et de exsecratione et mendacio annuntiabuntur in consummatione : * in ira consummationis, et non erunt. À cause de leurs blasphèmes et de leurs mensonges, ils seront déclarés infâmes jusqu’à la fin ; votre colère les poursuivra jusqu’à l’anéantissement.
Et scient quia Deus dominabitur Jacob : * et finium terrae. Ils sauront alors que Dieu règne sur Jacob et sur la terre entière.
Convertentur ad vesperam, et famem patientur ut canes : * et circuibunt civitatem. Maintenant ils reviennent vers le soir ; affamés comme des chiens, ils font la ronde dans la ville.
Ipsi dispergentur ad manducandum : * si vero non fuerint saturati, et murmurabunt. Ils vont errer de tous côtés, cherchant leur proie pour la dévorer ; s’ils ne s’en rassasient pas, ils éclatent en murmures.
Ego autem cantabo fortitudinem tuam : * et exsultabo mane misericordiam tuam. Pour moi, je chanterai votre puissance ; je publierai dès le matin votre miséricorde,
Quia factus es susceptor meus : *et refugium meum in die tribulationis meae. Parce que c’est vous qui êtes mon protecteur et mon asile, au jour de mon affliction.
Adjutor meus tibi psallam, quia Deus susceptor meus es : * Deus meus, misericordia mea. O Dieu qui êtes mon aide, je vous célébrerai ; car vous êtes mon appui : vous êtes pour moi un Dieu de miséricorde.

Ant. Ab insurgentibus in me libera me, Domine, quia occupaverunt animam meam.
Ant. Délivrez-moi de mes ennemis, Seigneur ; arrachez-moi à ceux qui poursuivent ma vie.

Dans le huitième Psaume, le Messie est en face de la mort qui va le dévorer ; il fait entendre ses plaintes, et se lamente sur l’abandon de ses disciples.

Ant. Longe fecisti notos meos a me : traditus sum, et non egrediebar.
Ant. Vous avez éloigné de moi tous mes proches ; j’ai été livré sans pouvoir échapper.

Psaume 87

Domine Deus salutis meae : * in die clamavi et nocte coram te. Seigneur mon Dieu qui êtes mon Sauveur, je crie vers vous le jour et la nuit.
Intret in conspectu tuo oratio mea : * inclina aurem tuam ad precem meam. Que ma prière pénètre en votre présence ; inclinez votre oreille à mes supplications.
Quia repleta est malis anima mea .* et vita mea inferno appropinquavit. Car mon âme est accablée de maux, et ma vie s’avance vers la tombe.
Aestimatus sum cum descendentibus in lacum : * factus sum sicut homo sine adjutorio, inter mortuos liber. Déjà l’on me met au rang de ceux qui descendent dans le sépulcre ; on me regarde comme un homme sans appui, rangé entre les morts et quitte de la vie.
Sicut vulnerati dormientes in sepulchris, quorum non es memor amplius : * et ipsi de manu tua repulsi sunt. On me considère comme un de ceux qui ont été tués et renfermés dans le tombeau, que vous avez effacés de votre mémoire, et que votre main a retranchés du nombre des vivants.
Posuerunt me in lacu inferiori : * in tenebrosis, et in umbra mortis Ils m’ont précipité dans le plus profond de l’abîme ; ils m’ont jeté dans les lieux les plus ténébreux, dans les ombres de la mort.
Super me confirmatus est furor tuus : * et omnes fluctus tuos induxisti super me. Votre indignation est venue fondre sur moi, et vous avez amassé sur moi tous les flots de votre colère.
Longe fecisti notos meos a me : * posuerunt me abominationem sibi. Vous avez éloigné de moi tous mes proches ; et je suis devenu pour eux un objet d’horreur.
Traditus sum, et non egrediebar : * oculi mei languerunt prae inopia. J’ai été livré sans pouvoir échapper ; mes yeux, à force de pleurer, sont devenus languissants.
Clamavi ad te, Domine, tota die : * expandi ad te manus meas. J’ai crié vers vous, Seigneur, tout le jour ; j’ai étendu vers vous mes mains.
Numquid mortuis facies mirabilia ? * aut medici suscitabunt, et confitebuntur tibi ? Est-ce donc en faveur des morts que vous faites vos prodiges ? Les médecins les ressusciteront-ils pour chanter vos louanges ?
Numquid narrabit aliquis in sepulchro misericordiam tuam : * et veritatem tuam in perditione ? Est-ce dans le tombeau que l’on célèbre vos miséricordes ? est-ce dans le séjour de la mort qu’on annonce votre vérité ?
Numquid cognoscentur in tenebris mirabilia tua : * et justitia tua in terra oblivionis ? Au sein des ténèbres, connaît-on vos merveilles, et votre justice dans la terre de l’oubli ?
Et ego ad te, Domine, clamavi : * et mane oratio mea praeveniet te. Mais moi, Seigneur, j’élève mon cri vers vous ; et dès le matin je vous adresse ma prière.
Ut quid, Domine, repellis orationem meam : * avertis faciem tuam a me ? Pourquoi, Seigneur, rejetez-vous mes vœux ? pourquoi me cachez-vous votre visage ?
Pauper sum ego, et in laboribus a juventute mea : * exaltatus autem, humiliatus sum et conturbatus. Dès ma jeunesse, j’ai été dans la pauvreté et dans les traverses ; relevé un moment, je suis tombé dans l’humiliation et le trouble.
In me transierunt irae tuae : * et terrores tui conturbaverunt me. Les impressions de votre colère ont pénétré mon âme ; et j’ai été saisi des frayeurs de vos jugements.
Circumdederunt me sicut aqua tota die : * circumdederunt me simul. Elles m’ont environné tout le jour comme des torrents ; elles m’ont inondé de toutes parts.
Elongasti a me amicum et proximum : * et notos meos a miseria. Vous avez éloigné de moi mes amis et mes proches, ceux qui me connaissaient n’ont pu soutenir la vue de ma misère.

Ant. Longe fecisti notos meos a me : traditus sum, et non egrediebar.
Ant. Vous avez éloigné de moi tous mes proches ; j’ai été livré sans pouvoir échapper.

Le neuvième Psaume appelle la vengeance de Dieu sur ces juges pervers qui versent le sang innocent, comme si le juste n’avait pas au ciel un témoin de son immolation. Les princes des prêtres, les docteurs de la loi, le lâche Ponce-Pilate, y sont désignés sous les traits des juges iniques que le Psalmiste voue à la colère céleste.

Ant. Captabunt in animam justi, et sanguinem innocentem condemnabunt.
Ant. Ils ont conspiré contre la vie du juste, et ils ont condamné le sang innocent.

Psaume 93

Deus ultionum Dominus : * Deus ultionum libere egit. Le Seigneur est le Dieu des vengeances ; il a fait éclater son pouvoir, le Dieu des vengeances.
Exaltare qui judicas terram : * redde retributionem superbis. Vous qui jugez la terre, montez sur votre siège : rendez aux superbes ce qu’ils méritent.
Usquequo peccatores, Domine : * usquequo peccatores gloriabuntur ? Jusques à quand, Seigneur, les pécheurs triompheront-ils ?
Effabuntur, et loquentur iniquitatem : * loquentur omnes, qui operantur injustitiam ? Jusques à quand tous ces ouvriers d’iniquité, ces auteurs de l’injustice se répandront-ils en discours ?
Populum tuum, Domine, humiliaverunt : * et haereditatem tuam vexaverunt. Ils ont écrasé votre peuple, Seigneur, et tenu dans l’oppression votre héritage.
Viduam et advenam interfecerunt : * et pupillos occiderunt. Ils ont tué la veuve et l’étranger, répandu le sang de l’orphelin.
Et dixerunt : Non videbit Dominus : * nec intelliget Deus Jacob. Et ils disent : Le Seigneur ne le verra pas ; le Dieu de Jacob n’en aura pas connaissance.
Intelligite insipientes in populo : *et stulti aliquando sapite. Hommes plus stupides que les derniers du peuple., faites-y attention : insensés, devenez donc sages enfin.
Qui plantavit aurem, non audiet : * aut qui finxit oculum, non considerat ? Celui qui a fait l’oreille, selon vous n’entendrait pas ? Celui qui a formé l’œil ne verrait pas ?
Qui corripit gentes, non arguet : * qui docet hominem scientiam ? Celui qui châtie les nations ne vous condamnerait pas ? Celui qui donne la science à l’homme ignorerait quelque chose ?
Dominus scit cogitationes hominum : * quoniam vanae sunt. Le Seigneur connaît les pensées des hommes : il sait qu’elles sont vaines.
Beatus homo, quem tu erudieris, Domine : * et de lege tua docueris eum. Heureux l’homme que vous instruisez, Seigneur, et à qui vous enseignez votre loi ;
Ut mitiges ei a diebus malis : * donec fodiatur peccatori fovea. Afin de lui adoucir l’amertume des jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse du pécheur soit creusée.
Quia non repellet Dominus plebem suam : * et haereditatem suam non derelinquet. Car le Seigneur ne rejettera pas son peuple, et n’abandonnera pas son héritage,
Quoadusque justitia convertatur in judicium : * et qui juxta illam omnes qui recto sunt corde. Jusqu’à ce que sa justice prononce un jugement décisif, et auquel applaudiront tous ceux qui ont le cœur droit.
Quis consurget mihi adversus malignantes : * aut quis stabit mecum adversus operantes iniquitatem ? Qui viendra se joindre à moi contre les méchants ? Qui s’unira avec moi contre ceux qui commettent l’iniquité ?
Nisi quia Dominus adjuvit me : * paulo minus habitasset in inferno anima mea. Si le Seigneur ne m’eût secouru, mon âme allait habiter les horreurs du tombeau.
Si dicebam : Motus est pes meus : * misericordia tua, Domine, adjuvabat me. Lorsque je vous disais : Mes pieds chancellent, Seigneur, votre miséricorde venait aussitôt à mon secours.
Secundum multitudinem dolorum meorum in corde meo : * consolationes tuae laetificaverunt animam meam. À proportion des douleurs dont mon cœur a été pénétré, vos consolations ont rempli mon âme de joie.
Numquid adhaeret tibi sedes iniquitatis : * qui fingis laborem in praecepto ? Pouviez vous avoir quelque chose de commun avec le maître injuste qui écrase ses sujets sous le poids de ses préceptes ?
Captabunt in animam justi : * et sanguinem innocentem condemnabunt. Mais eux, ils ont conspiré contre la vie du juste, et condamné le sang innocent.
Et factus est mihi Dominus in refugium * et Deus meus in adjutorium spei meae. Et le Seigneur est devenu mon asile ; mon Dieu est mon appui et mon espérance.
Et reddet illis iniquitatem ipsorum, et in malitia eorum disperdet eos : * disperdet illos Dominus Deus noster. Il fera retomber sur eux leur iniquité, et il les perdra dans leur malice : le Seigneur notre Dieu les perdra.

Ant. Captabunt in animam justi, et sanguinem innocentem condemnabunt.

  1. Locuti sunt adversum me lingua dolosa.
    R. Et sermonibus odii circumdederunt me, et expugnaverunt me gratis.

Ant. Ils ont conspiré contre la vie du juste, et ils ont condamné le sang innocent.

V/. Ils ont parlé contre moi avec une langue trompeuse.
R/. Ils m’ont attaqué par des propos haineux, et m’ont fait la guerre sans sujet.

Au troisième Nocturne, la sainte Église lit un passage de l’Épître aux Hébreux, dans lequel saint Paul nous montre le Fils de Dieu devenu Pontife et intercesseur pour les hommes auprès de son Père, au moyen de l’effusion de son sang, par lequel il efface nos péchés, et nous ouvre le ciel que la prévarication d’Adam nous avait fermé.

Septième Leçon

De l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Hébreux. Chap. 4 et 5

Hâtons-nous d’entrer dans ce repos, de peur que quelqu’un ne tombe encore, et ne devienne un exemple d’incrédulité ; car la parole de Dieu est vive et efficace ; elle pénètre plus avant qu’un glaive à deux tranchants ; elle entre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, et elle démêle les pensées et les affections du cœur. Nulle créature ne se dérobe à ses regards : tout est nu et à découvert aux yeux de celui dont nous parlons. Ayant donc pour grand Pontife Jésus, Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux, tenons fermement la confession de notre foi. Car le Pontife que nous avons n’est pas tel qu’il ne puisse compatir à nos infirmités ; comme nous, il a éprouvé toutes sortes de tentations, hors le péché.

R/. Ils m’ont livré aux mains des impies ; ils m’ont confondu avec les méchants, et n’ont pas épargné ma vie ; des hommes puissants se sont ligués contre moi : * Et ils sont venus fondre sur moi comme des géants. V/. Des étrangers se sont élevés contre moi, et des ennemis puissants ont cherché à m’ôter la vie. * Et ils sont venus fondre sur moi comme des géants.

Huitième Leçon

Présentons-nous donc avec confiance au trône de la grâce, afin d’y recevoir miséricorde et d’y trouver le secours de la grâce dans nos besoins. Car tout Pontife étant pris parmi les hommes, est établi pour les hommes en ce qui regarde Dieu, afin qu’il offre des dons et des sacrifices pour les péchés, et qu’il puisse compatir à ceux qui pèchent par ignorance et par erreur, puisque lui-même est environné d’infirmités ; et c’est ce qui l’oblige d’offrir pour lui-même, aussi bien que pour le peuple, les sacrifices d’expiation des péchés.

R/. L’impie a livré Jésus aux princes des prêtres et aux anciens du peuple ; * Pierre le suivait de loin, pour voir quelle serait la fin. V/. Ils l’emmenèrent chez Caïphe, qui était grand-prêtre : c’était là que les Scribes et les Pharisiens étaient assemblés. * Pierre le suivait de loin, pour voir quelle serait la fin.

Neuvième Leçon

Et nul ne s’attribue à soi-même un tel honneur ; mais il faut y être appelé de Dieu comme Aaron. Ainsi le Christ n’a point cherché de lui-même la gloire du pontificat ; mais il l’a reçu de celui qui a dit : Tu es mon Fils : je t’ai engendré aujourd’hui. Comme il lui dit aussi dans un autre endroit : Tu es Prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisedech. Aussi, dans les jours de sa chair, ayant offert ses prières et ses supplications avec un grand cri et avec ses larmes, à celui qui pouvait le délivrer de la mort, il a été exaucé à cause de son religieux respect. Et quoiqu’il fût le Fils de Dieu, il a appris l’obéissance au moyen de tout ce qu’il a souffert ; et par sa consommation il est devenu l’auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent. Dieu l’ayant déclaré pontife, selon l’ordre de Melchisedech.

R/. Mes yeux se sont obscurcis à force de pleurer ; parce que celui qui était ma consolation m’a été enlevé. Peuples, voyez tous * S’il est une douleur semblable à la mienne. V/. Vous tous qui passez par le chemin, considérez, et voyez * S’il est une douleur semblable à la mienne. On répète : Mes yeux se sont obscurcis.

À Laudes

Le premier Psaume des Laudes est le Miserere. (voir ci-dessus aux laudes du Jeudi saint.) Il se chante sous l’Antienne suivante :

Ant. Proprio Filio suo non pepercit Deus, sed pro nobis omnibus tradidit illum.
Ant. Dieu n’a pas épargné son propre Fils ; mais il l’a livré à la mort pour nous tous.

Le deuxième Psaume est aussi du nombre de ceux que David composa au temps de la révolte d’Absalon. Il est affecté à l’Office des Laudes du Vendredi pendant l’année, et convient au mystère d’aujourd’hui, en ce qu’il exprime l’abandon de la part des hommes et la confiance en Dieu, sentiments qu’éprouva le Messie sur la croix.

Ant. Anxiatus est super me spiritus meus, in me turbatum est cor meum.
Ant. Mon âme a été remplie d’angoisses ; mon cœur s’est troublé au dedans de moi.

Psaume 142

Domine, exaudi orationem meam, auribus percipe obsecrationem meam in veritate tua : * exaudi me in tua justitia. Seigneur, écoutez ma prière ; prêtez l’oreille à ma demande selon votre vérité ; exaucez-moi selon votre justice ;
Et non intres in judicium cum servo tuo : * quia non justificabitur in conspectu tuo omnis vivens. Et n’entrez pas en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne pourra être trouvé juste devant vous.
Quia persecutus est inimicus animam meam : * humiliavit in terra vitam meam. Car l’ennemi a poursuivi mon âme ; il a humilié ma vie jusqu’en terre ;
Collocavit me in obscuris sicut mortuos saeculi : * et anxiatus est super me spiritus meus, in me turbatum est cor meum. Il m’a confiné dans une obscure retraite, comme les morts ensevelis depuis longtemps. Mon âme a été remplie d’angoisses ; mon cœur s’est troublé au dedans de moi.
Memor fui dierum antiquorum, meditatus sum in omnibus operibus tuis : * in factis manuum tuarum meditabar. Je me suis souvenu des jours anciens ; j’ai médité sur toutes vos œuvres, et sur les ouvrages de vos mains.
Expandi manus meas ad te : * anima mea sicut terra sine aqua tibi. J’ai élevé mes mains vers vous ; mon âme est devant vous comme une terre sans eau.
Velociter exaudi me, Domine : * defecit spiritus meus. Hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer : mon âme tombe en défaillance.
Non avertas faciem tuam a me : * et similis ero descendentibus in lacum. Ne détournez pas votre face de dessus moi, de peur que je ne sois semblable à ceux qui descendent dans l’abîme.
Auditam fac mihi mane misericordiam tuam : * quia in te speravi. Faites-moi ressentir dès le matin votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous.
Notam fac mihi viam in qua ambulem : * quia ad te levavi animam meam. Montrez-moi la voie par laquelle je dois marcher, puisque j’ai élevé mon âme vers vous.
Eripe me de inimicis meis, Domine, ad te confugi : * dote me facere voluntatem tuam, quia Deus meus es tu. Seigneur, délivrez-moi de mes ennemis, j’ai recours à vous ; enseignez‑moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu.
Spiritus tuus bonus deducet me in terram rectam : * propter nomen tuum, Domine, vivificabis me in aequitate tua. Votre Esprit plein de bonté me conduira dans un chemin droit ; vous me donnerez la vie, Seigneur, dans votre justice, pour la gloire de votre nom.
Educes de tribulatione animam meam : * et in misericordia tua disperdes inimicos meos. Vous tirerez mon âme de l’affliction, et vous détruirez tous mes ennemis, selon votre miséricorde.
Et perdes omnes qui tribulant animam meam : * quoniam ego servus tuus sum. Vous ferez périr tous ceux qui affligent mon âme, parce que je suis votre serviteur.

Ant. Anxiatus est super me spiritus meus, in me turbatum est cor meum.
Ant. Mon âme a été remplie d’angoisses ; mon cœur s’est troublé au dedans de moi.

Troisième Psaume.

Ant. Ait latro ad latronem : Nos quidem digna factis recipimus : hic autem quid fecit ? Memento mei, Domine, dum veneris in regnum tuum.
Ant. L’un des deux voleurs dit à l’autre : Nous souffrons la peine due à nos crimes ; mais celui-ci, quel mal a-t-il fait ? Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume.

Psaume 84

benedixisti Domine terram tuam avertisti captivitatem Iacob Seigneur tu as béni ta terre, la terre d’Israël, tu as détourné la captivité de Jacob, tu l’as fait cesser.
remisisti iniquitates plebis tuae operuisti omnia peccata eorum diapsalma Tu as remis l’iniquité de ton peuple, tu as couvert tous leurs péchés.
mitigasti omnem iram tuam avertisti ab ira indignationis tuae Tu as adouci toute ta colère, tu t’es détourné de la colère de ton indignation.
converte nos Deus salutum nostrarum et averte iram tuam a nobis Convertis-nous, ramène-nous, Ô Dieu notre Sauveur, et détourne ta colère de nous.
numquid in aeternum irasceris nobis aut extendes iram tuam a generatione in generationem Est-ce que éternellement tu seras courroucé contre nous, ou bien étendras-tu ta colère de génération en génération ?
Deus tu conversus vivificabis nos et plebs tua laetabitur in te Ô Dieu, toi étant retourné vers nous, tu nous donneras la vie, et ton peuple se réjouira en toi.
ostende nobis Domine misericordiam tuam et salutare tuum da nobis Montre-nous, Seigneur, ta miséricorde, et donne nous ton salut.
audiam quid loquatur in me ; Dominus Deus quoniam loquetur pacem in plebem suam et super sanctos suos et in eos qui convertuntur ad cor J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu, car il dira la paix à son peuple,
verumtamen prope timentes eum salutare ipsius ut inhabitet gloria in terra nostra Et à ses saints et à ceux qui se convertis­sent au cœur, qui tournent leurs cœurs vers lui.
misericordia et veritas obviaverunt sibi ; iustitia et pax osculatae sunt Certes, près de ceux qui le craignent est le salut venant de lui, afin que la gloire habite sur notre terre.
veritas de terra orta est et iustitia de caelo prospexit La miséricorde et la vérité, se sont rencontrées, la justice et la paix se sont embras­sées.
etenim Dominus dabit benignitatem et terra nostra dabit fructum suum La vérité est sortie de la terre, et la justice a regardé du haut du ciel.
iustitia ante eum ambulabit et ponet in via gressus suos Car le Seigneur donnera sa bénignité et notre terre donnera son fruit.

Ant. Ait latro ad latronem : Nos quidem digna factis recipimus : hic autem quid fecit ? Memento mei, Domine, dum veneris in regnum tuum.
Ant. L’un des deux voleurs dit à l’autre : Nous souffrons la peine due à nos crimes ; mais celui-ci, quel mal a-t-il fait ? Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume.

Le Cantique du Prophète Habacuc fait partie chaque semaine, de l’Office du Vendredi à Laudes. Il célèbre avec magnificence la victoire du Christ sur ses ennemis, au jour où il viendra juger le monde, et forme un contraste sublime avec les humiliations auxquelles l’Homme-Dieu est en proie aujourd’hui.

Ant. Cum conturbata fuerit anima mea : Domine, misericordiae memor eris.
Ant. Mon âme sera dans le trouble ; mais vous vous souviendrez, Seigneur, de votre miséricorde.

Cantique d’Habacuc

Domine, audivi auditionem tuam : * et timui. Seigneur, j’ai entendu votre parole, et j’ai été saisi de crainte.
Domine, opus tuum : * in medio annorum vivifica illud. Seigneur, accomplissez votre œuvre au milieu des temps.
In medio annorum notum facies : * cum iratus fueris, misericordiae recordaberis. Au milieu des temps, manifestez votre œuvre ; après la colère, souvenez‑vous de la miséricorde.
Deus ab Austro veniet : * et Sanctus de monte Pharan. Dieu viendra du Midi, et le Saint de la montagne de Pharan.
Operuit coelos gloria ejus : * et laudis ejus plena est terra. Sa gloire a couvert les cieux ; sa louange remplit la terre.
Splendor ejus ut lux erit : * cornua in manibus ejus. Son éclat est comme la lumière ; sa force est dans ses mains.
Ibi abscondita est fortitudo ejus : * ante faciem ejus ibit mors. C’est là que sa puissance est cachée : il fait marcher la mort devant lui ;
Et egredietur diabolus ante pedes ejus : * stetit et mensus est terram. Et le diable précède ses pas. Il s’arrête et mesure la terre.
Aspexit et dissolvit gentes : * et contriti sunt montes saeculi. D’un regard il anéantit les nations, et met en poudre les antiques montagnes.
Incurvati sunt colles mundi : * ab itineribus aeternitatis ejus. Les collines se courbent sous les pas de son éternité.
Pro iniquitate vidi tentoria Aethiopiae : * turbabuntur pelles terrae Madian. J’ai vu les tentes des Éthiopiens renversées, à cause de l’iniquité de ce peuple ; j’ai vu les tentes de Madian dans l’épouvante.
Numquid in fluminibus iratus es, Domine : * aut in fluminibus furor tuus ? vel in mari indignatio tua ? Est-ce contre les fleuves que vous êtes irrité, Seigneur ? Les fleuves sont‑ils l’objet de votre indignation ? Est-ce contre la mer que s’est élevée votre colère ?
Qui ascendes super equos tuos : *et quadrigae tuae salvatio. Vous qui montez sur vos chevaux, et qui apportez la délivrance sur vos chariots :
Suscitans suscitabis arcum tuum : * juramenta tribubus, quae locutus es. Vous prendrez enfin votre arc, pour accomplir les serments que vous avez faits à nos tribus.
Fluvios scindes terrae, viderunt te, et doluerunt montes : * gurges aquarum transiit. Vous vous êtes ouvert un passage à travers les fleuves de la terre ; les montagnes vous ont vu, et elles en ont gémi ; les grandes eaux se sont écoulées ;
Dedit abyssus vocem suam : * altitudo manus suas levavit. L’abîme a fait entendre sa voix, et ses flots suspendus ont élevé vers vous leurs mains suppliantes.
Sol et luna steterunt in habitaculo suo : * in luce sagittarum tuarum,ibunt in splendore fulgurantis hastae tuae. Le soleil et la lune se sont arrêtés dans leur demeure. Israël a marché à la lueur de vos traits enflammés, de votre lance qui étincelle d’éclairs.
In fremitu conculcabis terram : * et in furore obstupefacies gentes. Dans votre fureur, vous foulerez aux pieds la terre ; dans votre colère, vous épouvanterez les nations.
Egressus es in salutem populi tui : * in salutem cum Christo tuo. Vous êtes sorti pour apporter le salut à votre peuple, pour le sauver par votre Christ.
Percussisti caput de domo impii : *denudasti fundamentum ejus usque ad collum. Vous avez frappé le chef de la race impie ; vous avez mis sa maison à découvert depuis le fondement jusqu’au faîte.
Maledixisti sceptris ejus, capiti bellatorum ejus : * venientibus ut turbo, ad dispergendum me, Vous avez maudit son sceptre, et terrassé le chef de ses guerriers, qui venaient fondre sur moi comme un tourbillon,
Exsultatio eorum : * sicut ejus qui devorat pauperem in abscondito. Semblables dans leur joie cruelle à celui qui dévore le pauvre en secret.
Viam fecisti in mari equis tuis : * in luto aquarum multarum. Vous avez ouvert à vos chevaux un sentier à travers la mer, à travers la fange des grandes eaux.
Audivit et conturbatus est venter meus : *a voce contremuerunt labia mea. À cette annonce de votre terrible arrivée, mon cœur s’est troublé, mes lèvres ont tremblé à de tels récits.
Ingrediatur putredo in ossibus meis : * et subter me scateat. Que la pourriture entre jusqu’au fond de mes os, et qu’elle me consume entièrement dans le tombeau ;
Ut requiescam in die tribulationis : *ut ascendam ad populum accinctum nostrum. Afin qu’au jour de cette tribulation je sois déjà dans le repos ; que j’aie été me joindre à mon peuple pour marcher avec lui.
Ficus enim non florebit : *et non erit germen in vineis. En ces jours le figuier ne fleurira pas, et la vigne ne portera point de fruit.
Mentietur opus olivae : * et arva non afferent cibum. L’olivier trompera l’attente de son maître, et les campagnes ne donneront point de moisson.
Abscindetur de ovili pecus : * et non erit armentum in praesepibus. Les bergers seront sans brebis ; et les étables sans troupeaux.
Ego autem in Domino gaudebo : * et exsultabo in Deo Jesu meo. Et moi alors, je serai déjà rendu dans la joie du Seigneur ; je tressaillirai d’allégresse en Dieu mon Sauveur.
Deus Dominus fortitudo mea : * et ponet pedes meos quasi cervorum. Le Seigneur Dieu est ma force : c’est lui qui donnera à mes pieds l’agilité des cerfs ;
Et super excelsa mea deducet me victor : * in psalmis canentem. Et après avoir vaincu nos ennemis, il me ramènera sur mes montagnes ; et je chanterai des cantiques à sa louange.

Ant. Cum conturbata fuerit anima mea : Domine, misericordiae memor eris.
Ant. Mon âme sera dans le trouble ; mais vous vous souviendrez, Seigneur, de votre miséricorde.

Le dernier Psaume de Laudes.

Ant. Memento mei Domine, dum veneris in regnum tuum.
Ant. Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez dans votre royaume.

Lauda Hierusalem Dominum * lauda Deum tuum Sion Jérusalem, loue le Seigneur;loue ton Dieu, Sion.
Quoniam confortavit seras portarum tuarum * benedixit filiis tuis in te Parce qu’il a fortifié les serrures, les barreaux de tes portes, il a béni en toi tes enfants.
Qui posuit fines tuos pacem * et adipe frumenti satiat te Il a posé en paix tes limites, ton territoire, et il te rassasie de la graisse du froment.
Qui emittit eloquium suum terrae * velociter currit sermo eius Il envoie sa parole à la terre, sa parole court rapidement.
Qui dat nivem sicut lanam * nebulam sicut cinerem spargit Il donne la neige comme de la laine, il répand le givre comme la cendre.
Mittit cristallum suum sicut buccellas * ante faciem frigoris eius quis sustinebit Il envoie la glace, la grêle, comme des bouchées de pain : en face de son froid, qui tiendra bon ?
Emittet verbum suum et liquefaciet ea * flabit spiritus eius et fluent aquae Il enverra sa parole, un ordre nouveau et il les fondra : son souffle soufflera et les eaux couleront.
Qui adnuntiat verbum suum Iacob*  iustitias et iudicia sua Israhel C’est lui qui annonce sa parole à Jacob, ses justices et ses jugements à Israël.
Non fecit taliter omni nationi * et iudicia sua non manifestavit eis Il n’a pas fait de même à toute nation, et il ne leur a pas manifesté ses jugements.

Ant. Memento mei Domine, dum veneris in regnum tuum.
Ant. Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez dans votre royaume

  1. Collocavit me in obscuris,
    R. Sicut mortuus saeculi.

V/. Il m’a mis dans un lieu ténébreux,
R/. Comme ceux qui sont morts depuis longtemps.

Après ce Verset, on chante la Cantique Benedictus sous l’Antienne suivante :

Ant. Posuerunt super caput ejus causam ipsius scriptam : Jesus Nazarenus Rex Judaeorum.
Ant. Ils placèrent au-dessus de sa tête cette inscription pour expliquer sa condamnation : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs.

Après la répétition de cette Antienne, le chœur chante sur un mode mélodieux et touchant les paroles suivantes que l’Église répète, en ces jours, à la fin de tous ses Offices ; mais elle ajoute aujourd’hui que la mort à laquelle le Fils de Dieu a daigné se soumettre a été la mort de la Croix, c’est-à-dire la plus honteuse et la plus cruelle.

Le Christ s’est fait obéissant pour nous jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix.

On dit ensuite à voix basse Pater noster, suivi du Miserere, qui est récité à deux chœurs, sans chanter. Enfin, celui qui préside prononce pour conclusion l’Oraison suivante :

Daignez Seigneur, jeter un regard sur votre famille ici présente, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être livré aux mains des méchants, et souffrir le supplice de la Croix : Lui qui vit et règne avec vous, dans les siècles des siècles. Amen.

Au Matin

Le soleil s’est levé sur Jérusalem ; mais les pontifes et les docteurs de la loi n’ont pas attendu sa lumière pour satisfaire leur haine contre Jésus. Anne, qui avait d’abord reçu l’auguste prisonnier, l’a fait conduire chez son gendre Caïphe. L’indigne pontife a osé faire subir un interrogatoire au Fils de Dieu. Jésus, dédaignant de répondre, a reçu un soufflet d’un des valets. De faux témoins avaient été préparés ; ils viennent déposer leurs mensonges à la face de celui qui est la Vérité ; mais leurs témoignages ne s’accordent pas. Alors le grand-prêtre, voyant que le système qu’il a adopté pour convaincre Jésus de blasphème n’aboutit qu’à démasquer les complices de sa fraude, veut tirer de la bouche même du Sauveur le délit qui doit le rendre justiciable de la Synagogue. « Je vous adjure, par le Dieu vivant, de répondre. Êtes-vous le Christ Fils de Dieu ? » (s. Matth. 26, 63) Telle est l’interpellation que le pontife adresse au Messie. Jésus, voulant nous apprendre les égards qui sont dus à l’autorité, aussi longtemps qu’elle en conserve les titres, sort de son silence, et répond avec fermeté : « Vous l’avez dit : je le suis ; au reste, je vous déclare qu’un jour vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Vertu de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. » (Ibid. 64) (s. Marc 14, 62) À ces mots, le pontife sacrilège se lève, il déchire ses vêtements, et s’écrie : « Il a blasphémé ! qu’avons-nous besoin de témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème, que vous en semble ? » De toutes parts, dans la salle, on crie : « Il mérite la mort ! » (s. Matth. 26, 65, 66)

Le propre Fils de Dieu est descendu sur la terre pour rappeler à la vie l’homme qui s’était précipité dans la mort ; et par le plus affreux renversement, c’est l’homme qui, en retour d’un tel bienfait, ose traduire à son tribunal ce Verbe éternel, et le juge digne de mort. Et Jésus garde le silence, et il n’anéantit pas dans sa colère ces hommes aussi audacieux qu’ils sont ingrats ! Répétons en ce moment ces touchantes paroles par lesquelles l’Église Grecque interrompt souvent aujourd’hui la lecture du récit de la Passion : « Gloire à votre patience, Seigneur ! »

À peine ce cri épouvantable : « Il mérite la mort ! » s’est-il fait entendre, que les valets du grand-prêtre se jettent sur Jésus. Ils lui crachent au visage, et lui ayant ensuite bandé les yeux, ils lui donnent des soufflets, en lui disant : « Prophète, devine qui t’a frappé. » (s. Luc 22, 64) Tels sont les hommages de la Synagogue au Messie dont l’attente la rend si fière. La plume hésite à répéter le récit de tels outrages faits au Fils de Dieu ; et cependant ceci n’est que le commencement des indignités qu’a dû subir le Rédempteur.

Dans le même temps, une scène plus affligeante encore pour le cœur de Jésus se passe hors de la salle, dans la cour du grand-prêtre. Pierre, qui s’y est introduit, se trouve aux prises avec les gardes et les gens de service, qui l’ont reconnu pour un Galiléen de la suite de Jésus. L’Apôtre, déconcerté et craignant pour sa vie, abandonne lâchement son maître, et va jusqu’à affirmer par serment qu’il ne le connaît même pas. Triste exemple du châtiment réservé à la présomption ! Mais, o miséricorde de Jésus ! les valets du grand-prêtre l’entraînent vers le lieu où se tenait l’Apôtre ; il lance sur cet infidèle un regard de reproche et de pardon ; Pierre s’humilie et pleure. Il sort à ce moment de ce palais maudit ; et désormais tout entier à ses regrets, il ne se consolera plus qu’il n’ait revu son maître ressuscité et triomphant. Qu’il soit donc notre modèle, ce disciple pécheur et converti, en ces heures de compassion où la sainte Église veut que nous soyons témoins des douleurs toujours croissantes de notre Sauveur ! Pierre se retire ; car il craint sa faiblesse ; restons, nous, jusqu’à la fin ; nous n’avons rien à redouter ; et daigne le regard de Jésus, qui fond les cœurs les plus durs, se diriger vers nous !

Cependant les princes des prêtres, voyant que le jour commence à luire, se disposent à traduire Jésus devant le gouverneur romain. Ils ont instruit sa cause comme celle d’un blasphémateur, mais il n’est pas en leur pouvoir de lui appliquer la loi de Moïse, selon laquelle il devrait être lapidé. Jérusalem n’est plus libre, et ses propres lois ne la régissent plus. Le droit de vie et de mort n’est plus exercé que par les vainqueurs, et toujours au nom de César. Comment ces pontifes et ces docteurs ne se rappellent-ils pas en ce moment l’oracle de Jacob mourant, qui déclara que le Messie viendrait, lorsque le sceptre serait enlevé à Juda ? Mais une noire jalousie les a égarés ; et ils ne sentent pas non plus que le traitement qu’ils vont faire subir à ce Messie se trouve décrit par avance dans les prophéties qu’ils lisent et dont ils sont les gardiens.

Le bruit qui se répand dans la ville que Jésus a été saisi cette nuit, et qu’on se dispose à le traduire devant le gouverneur, arrive aux oreilles du traître Judas. Ce misérable aimait l’argent ; mais il n’avait aucun motif de désirer la mort de son maître. Il connaissait le pouvoir surnaturel de Jésus, et se flattait peut-être que les suites de sa trahison seraient promptement arrêtées par celui à qui la nature et les éléments ne résistaient jamais. Maintenant qu’il voit Jésus aux mains de ses plus cruels ennemis, et que tout annonce un dénouement tragique, un remords violent s’empare de lui ; il court au Temple, et va jeter aux pieds des princes des prêtres ce fatal argent qui a été le prix du sang. On dirait que cet homme est converti, et qu’il va implorer son pardon. Hélas ! il n’en est rien. Le désespoir est le seul sentiment qui lui reste, et il a hâte d’aller mettre fin à ses jours. Le souvenir de tous les appels que Jésus fit à son cœur, hier encore, durant la Cène et jusque dans le jardin, loin de lui donner confiance, ne sert qu’à l’accabler ; et pour avoir douté d’une miséricorde qu’il devrait cependant connaître, il se précipite dans l’éternelle damnation, au moment même où le sang qui lave tous les crimes a déjà commencé de couler.

Or les princes des prêtres, conduisant avec eux Jésus enchaîné, se présentent au gouverneur Pilate, demandant d’être entendus sur une cause criminelle. Le gouverneur paraît, et leur dit avec une sorte d’ennui : « Quelle accusation apportez-vous contre cet homme ?— Si ce n’était pas un malfaiteur, répondent-ils, nous ne vous l’aurions pas livré. » Le mépris et le dégoût se trahissent déjà dans les paroles du gouverneur, et l’impatience dans la réponse que lui adressent les princes des prêtres. On voit que Pilate se soucie peu d’être le ministre de leurs vengeances : « Prenez-le, leur dit-il, et jugez-le selon votre loi. — Mais, répondent ces hommes de sang, il ne nous est pas permis de faire mourir personne. » (s. Jean 18, 29, 32)

Pilate, qui était sorti du Prétoire pour parler aux ennemis du Sauveur, y rentre et fait introduire Jésus. Le Fils de Dieu et le représentant du monde païen sont en présence. « Êtes-vous donc le roi des Juifs ? demande Pilate.— Mon royaume n’est pas de ce monde, répond Jésus ; il n’a rien de commun avec ces royaumes formés par la violence ; sa source est d’en haut. Si mon royaume était de ce monde, j’aurais des soldats qui ne m’eussent pas laissé tomber au pouvoir des Juifs. Bientôt, à mon tour, j’exercerai l’empire terrestre ; mais à cette heure mon royaume n’est pas d’ici bas.— Vous êtes donc roi, enfin ? reprend Pilate. — Oui, je suis roi, » dit le Sauveur. Après avoir confessé sa dignité auguste, l’Homme‑Dieu fait un effort pour élever ce Romain au-dessus des intérêts vulgaires de sa fortune ; il lui propose un but plus digne de l’homme que la recherche des honneurs de la terre. « Je suis venu en ce monde, lui dit-il, pour rendre témoignage à la Vérité ; quiconque est de la Vérité écoute ma voix. — Et qu’est-ce que la Vérité ? » reprend Pilate ; et sans attendre la réponse à sa question, pressé d’en finir, il laisse Jésus, et va retrouver les accusateurs. « Je ne reconnais en cet homme aucun crime, » leur dit-il. (s. Jean 18, 33, 38) Ce païen avait cru rencontrer en Jésus un docteur de quelque secte juive dont les enseignements ne valaient pas la peine d’être écoutés, mais en même temps un homme inoffensif dans lequel on ne pouvait, sans injustice, chercher un homme dangereux.

À peine Pilate a-t-il exprimé son avis favorable sur Jésus, qu’un amas d’accusations est produit contre ce Roi des Juifs par les princes des prêtres. Le silence de Jésus, au milieu de tant d’atroces mensonges, émeut le gouverneur :« Mais n’entendez-vous pas, lui dit-il, tout ce qu’ils disent contre vous ? » Cette parole, d’un intérêt visible, n’enlève point Jésus à son noble silence ; mais elle provoque de la part de ses ennemis une nouvelle explosion de fureur. « Il agite le peuple, s’écrient les princes des prêtres ; il va prêchant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu’ici. » (s. Matth. 27, 13, 14) (s. Luc 23, 5) Dans ce mot de Galilée, Pilate croit voir un trait de lumière. Hérode, tétrarque de Galilée, est en ce moment à Jérusalem. Il faut lui remettre Jésus ; il est son sujet ; et cette cession d’une cause criminelle débarrassera le gouverneur, en même temps qu’elle rétablira la bonne harmonie entre Hérode et lui.

Le Sauveur est donc traîné dans les rues de Jérusalem, du Prétoire au palais d’Hérode. Ses ennemis l’y poursuivent avec la même rage, et Jésus garde le même silence. Il ne recueille là que le mépris du misérable Hérode, du meurtrier de Jean-Baptiste ; et bientôt les habitants de Jérusalem le voient reparaître sous la livrée d’un insensé, entraîné de nouveau vers le Prétoire. Ce retour inattendu de l’accusé contrarie Pilate ; cependant il croit avoir trouvé un nouveau moyen de se débarrasser de cette cause qui lui est odieuse. La fête de Pâque lui fournit occasion de gracier un coupable ; il va essayer de faire tomber cette faveur sur Jésus. Le peuple est ameuté aux portes du Prétoire ; il n’y a qu’à mettre en parallèle Jésus, ce même Jésus que la ville a vu conduire en triomphe il y a quelques jours, avec Barabbas, ce malfaiteur qui est un objet d’horreur pour Jérusalem ; le choix du peuple ne peut manquer d’être favorable à Jésus. « Qui voulez-vous que je vous délivre, leur dit-il, de Jésus ou de Barabbas ? » La réponse ne se fait pas attendre ; des voix tumultueuses s’écrient : « Non Jésus, mais Barabbas ! — Que faire donc de Jésus ? reprend le gouverneur interdit. — Crucifiez-le ! — Mais quel mal a-t-il fait ? Je vais le châtier, et je le renverrai ensuite. — Non, non ; crucifiez‑le ! » (s. Matth. 27) (s. Luc 23)

L’épreuve n’a pas réussi ; et la situation du lâche gouverneur est devenue plus critique qu’auparavant. En vain il a cherchée à ravaler l’innocent au niveau d’un malfaiteur ; la passion d’un peuple ingrat et soulevé n’en a tenu aucun compte. Pilate est réduit à promettre qu’il va faire châtier Jésus d’une manière assez barbare pour étancher un peu la soif de sang qui dévore cette populace ; mais il n’a fait que provoquer un nouveau cri de mort.

N’allons pas plus loin sans offrir au Fils de Dieu une réparation pour l’indigne outrage dont il vient d’être l’objet. Mis en balance avec un homme infâme, c’est ce dernier qu’on lui préfère. Si Pilate essaie par pitié de lui sauver la vie, c’est à condition de lui faire subir cette ignoble comparaison, et c’est en pure perte. Les voix qui chantaient Hosannah au fils de David, il y a quelques jours, ne font plus entendre que des hurlements féroces ; et le gouverneur, qui craint une sédition, a osé promettre de punir celui dont il a tout à l’heure confessé l’innocence.

Jésus est livré aux soldats pour être flagellé par eux. On le dépouille avec violence de ses vêtements, et on l’attache à la colonne qui servait pour ces exécutions. Les fouets les plus cruels sillonnent son corps tout entier, et le sang coule par ruisseaux le long de ses membres divins. Recueillons cette seconde effusion du sang de notre Rédempteur, par laquelle Jésus expie pour l’humanité tout entière les complaisances et les crimes de la chair. C’est par la main des Gentils que ce traitement lui est infligé ; les Juifs l’ont livré, et les Romains sont les exécuteurs ; tous nous avons trempé dans l’affreux déicide.

Mais cette soldatesque est lasse enfin de frapper ; les bourreaux détachent leur victime, en auront-ils enfin pitié ? Non, ils vont faire succéder à tant de cruauté une dérision sacrilège. Jésus a été appelé le Roi des Juifs ; les soldats prennent occasion de ce titre pour donner une forme nouvelle à leurs outrages. Un roi porte la couronne ; les soldats vont en imposer une au fils de David. Tressant à la hâte un horrible diadème avec des branches d’arbrisseaux épineux, ils la lui enfoncent sur la tête, et pour la troisième fois, le sang de Jésus coule avec abondance. Puis, afin de compléter l’ignominie, les soldats lui jettent sur les épaules un manteau de pourpre, et placent dans sa main un roseau, en guise de sceptre. Alors ils se mettent à genoux devant lui, et disent : « Roi des Juifs, salut ! » Et cet hommage insultant est accompagné de soufflets sur le visage de l’Homme-Dieu, et d’infâmes crachats ; et de temps en temps on lui arrache le roseau des mains pour l’en frapper sur la tête, afin d’enfoncer toujours davantage les cruelles épines dont elle est ceinte.

À ce spectacle, le chrétien se prosterne dans un douloureux respect, et dit à son tour. « Roi des Juifs, salut ! Oui, vous êtes le fils de David, et à ce titre, notre Messie et notre Rédempteur. Israël renie votre royauté qu’il proclamait naguère ; la gentilité n’y trouve qu’une occasion de plus pour vous outrager ; mais vous n’en régnerez pas moins par la justice sur Jérusalem, qui ne tardera pas à sentir le poids de votre sceptre vengeur ; par la miséricorde sur les Gentils, que bientôt vos Apôtres amèneront à vos pieds. En attendant, recevez notre hommage et notre soumission. Régnez dès aujourd’hui sur nos cœurs et sur notre vie tout entière. »

On conduit Jésus à Pilate dans l’affreux état où l’a mis la cruauté des soldats. Le gouverneur ne doute pas qu’une victime réduite aux abois n’obtienne grâce devant le peuple ; et faisant monter avec lui le Sauveur à une galerie du palais, il le montre à la multitude, en disant : « Voilà l’homme ! » (s. Jean 19, 5) Cette parole était plus profonde que ne le croyait Pilate. Il ne disait pas : Voilà Jésus, ni voilà le Roi des Juifs ; il se servait d’une expression générale dont il n’avait pas la clef, mais dont le chrétien possède l’intelligence. Le premier homme, dans sa révolte contre Dieu, avait bouleversé, par son péché, l’œuvre entière du Créateur ; en punition de son orgueil et de sa convoitise, la chair avait asservi l’esprit ; et la terre elle-même, en signe de malédiction, ne produisait plus que des épines. Le nouvel homme qui porte, non la réalité, mais la ressemblance du péché, paraît ; et l’œuvre du Créateur reprend en lui son harmonie première ; mais c’est par la violence. Pour montrer que la chair doit être asservie à l’esprit, la chair en lui est brisée sous les fouets ; pour montrer que l’orgueil doit céder la place à l’humilité, s’il porte une couronne, ce sont les épines de la terre maudite qui la forment sur sa tête. Triomphe de l’esprit sur les sens, abaissement de la volonté superbe sous le joug de la sentence : voilà l’homme.

Israël est comme le tigre ; la vue du sang irrite sa soif ; il n’est heureux qu’autant qu’il s’y baigne. À peine a-t-il aperçu sa victime ensanglantée, qu’il s’écrie avec une nouvelle fureur : « Crucifiez-le ! crucifiez-le ! —Eh bien ! dit Pilate, prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; pour moi. je ne trouve aucun crime en lui. » Et cependant on l’a mis, par son ordre, dans un état qui, à lui seul, peut lui causer la mort. Sa lâcheté sera encore déjouée. Les Juifs répliquent en invoquant le droit que les Romains laissaient aux peuples conquis : « Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir ; car il s’est dit le Fils de Dieu. » À cette réclamation, Pilate se trouble ; il rentre dans la salle avec Jésus, et lui dit : « D’où êtes-vous ? » Jésus se tait ; Pilate n’était pas digne d’entendre le Fils de Dieu lui rendre raison de sa divine origine. Il s’irrite cependant : « Vous ne me répondez pas ? dit-il ; ne savez-vous pas que j’ai le pouvoir de vous crucifier, et le pouvoir de vous absoudre ? » Jésus daigne parler ; et c’est pour nous apprendre que toute puissance de gouvernement, même chez les infidèles, vient de Dieu, et non de ce qu’on appelle le pacte social : « Vous n’auriez pas ce pouvoir, répondit-il, s’il ne vous avait été donné d’en haut : c’est pour cela que le péché de celui qui m’a livré à vous est d’autant plus grand. » (s. Jean 19)

La noblesse et la dignité de ces paroles subjuguent le gouverneur ; et il veut encore essayer de sauver Jésus. Mais les cris du peuple pénètrent de nouveau jusqu’à lui : « Si vous le laissez aller, lui dit-on. vous n’êtes pas l’ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » À ces paroles, Pilate. essayant une dernière fois de ramener à la pitié ce peuple furieux, sort de nouveau, et monte sur un siège en plein air ; il s’assied et fait amener Jésus : « Le voilà, dit-il, votre roi ; voyez si César a quelque chose à craindre de lui. » Mais les cris redoublent : « Ôtez-le ! ôtez-le ! Crucifiez-le ! — Mais, dit le gouverneur, qui affecte de ne pas voir la gravite du péril, crucifierai-je donc votre roi ? » Les Pontifes répondent : « Nous n’avons point d’autre roi que César. » (Ibid.) Parole indigne qui, lorsqu’elle sort du sanctuaire, annonce aux peuples que la foi est en péril ; en même temps parole de réprobation pour Jérusalem ; car si elle n’a pas d’autre roi que César, le sceptre n’est plus dans Juda. et l’heure du Messie est arrivée.

Pilate, voyant que la sédition est au comble, et que sa responsabilité de gouverneur est menacée, se résout à abandonner Jésus à ses ennemis. Il porte enfin quoique à contre-cœur, cette sentence qui doit produire en sa conscience un affreux remords dont bientôt il cherchera la délivrance dans le suicide. Il trace lui-même sur une tablette, avec un pinceau, l’inscription qui doit être placée au-dessus de la tête de Jésus. Il accorde même à la haine des ennemis du Sauveur que, pour une plus grande ignominie, deux voleurs seront crucifiés avec lui. Ce trait était nécessaire à l’accomplissement de l’oracle prophétique : il sera mis au rang des scélérats. » (Isaï 53, 12) Puis, lavant ses mains publiquement, à ce moment où il souille son âme du plus odieux forfait, il s’écrie en présence du peuple : « Je suis innocent du sang de ce juste : cela vous regarde. » Et tout le peuple répond par ce souhait épouvantable : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. » (s. Matth. 27, 24, 25) Ce fut le moment où le signe du parricide vint s’empreindre sur le front du peuple ingrat et sacrilège, comme autrefois sur celui de Caïn ; dix-huit siècles de servitude, de misère et de mépris ne l’ont pas effacé. Pour nous, enfants de la gentilité, sur lesquels ce sang divin est descendu comme une rosée miséricordieuse, rendons grâce à la bonté du Père céleste, qui « a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique » (s.Jean 3, 16) ; rendons grâces à l’amour de ce Fils unique de Dieu, qui, voyant que nos souillures ne pouvaient être lavées que dans son sang, nous le donne aujourd’hui jusqu’à la dernière goutte.

Le chemin de la Croix

Ici commence la Voie douloureuse, et le Prétoire de Pilate, où fut prononcée la sentence de Jésus, en est la première Station. Le Rédempteur est abandonné aux Juifs par l’autorité du gouverneur. Les soldats s’emparent de lui et l’emmènent hors de la cour du Prétoire. Ils lui enlèvent le manteau de pourpre, et le revêtent de ses vêtements qu’ils lui avaient ôtés pour le flageller ; enfin ils chargent la croix sur ses épaules déchirées. Le lieu où le nouvel Isaac reçut ainsi le bois de son sacrifice est désigné comme la seconde Station. La troupe des soldats, renforcée des exécuteurs, des princes des prêtres, des docteurs de la loi, d’un peuple immense, se met en marche. Jésus s’avance sous le fardeau de sa croix ; mais bientôt, épuisé par le sang qu’il a perdu et par les souffrances de tout genre, il ne peut plus se soutenir, et tombant sous le faix, il marque par sa chute la troisième Station.

Les soldats relèvent avec brutalité le divin captif qui succombait plus encore sous le poids de nos péchés que sous celui de l’instrument de son supplice. Il vient de reprendre sa marche chancelante, lorsque tout à coup sa mère éplorée se présente à ses regards. La femme forte, dont l’amour maternel est invincible, s’est rendue sur le passage de son fils ; elle veut le voir, le suivre, s’attacher à lui, jusqu’à ce qu’il expire. Sa douleur est au‑dessus de toute parole humaine ; les inquiétudes de ces derniers jours ont déjà épuisé ses forces ; toutes les souffrances de son fils lui ont été divinement manifestées ; elle s’y est associée, et elle les a toutes endurées une à une. Mais elle ne peut plus demeurer loin du regard des hommes ; le sacrifice avance dans son cours, la consommation est proche ; il lui faut être avec son fils, et rien ne la pourrait retenir en ce moment. La fidèle Madeleine est près d’elle, noyée dans ses pleurs ; Jean, Marie mère de Jacques avec Salomé, l’accompagnent aussi ; ils pleurent sur leur maître ; mais elle, c’est sur son fils qu’elle pleure. Jésus la voit, et il n’est pas en son pouvoir de la consoler, car tout ceci n’est encore que le commencement des douleurs. Le sentiment des angoisses qu’éprouve en ce moment le cœur de la plus tendre des mères vient oppresser d’un nouveau poids le cœur du plus aimant des fils. Les bourreaux n’accorderont pas un moment de retard dans la marche, en faveur de cette mère d’un condamné ; elle peut se traîner, si elle le veut. à la suite du funeste convoi ; c’est beaucoup pour eux qu’ils ne la repoussent pas ; mais la rencontre de Jésus et de Marie sur le chemin du Calvaire désignera pour jamais la quatrième Station.

La route est longue encore ; car, selon la loi, les criminels devaient subir leur supplice hors des portes de la ville. Les Juifs en sont à craindre que la victime n’expire avant d’être arrivée au lieu du sacrifice. Un homme qui revenait de la campagne nommé Simon de Cyrène, rencontre le douloureux cortège ; on l’arrête, et par un sentiment cruellement humain envers Jésus, on oblige cet homme à partager avec lui l’honneur et la fatigue de porter l’instrument du salut du monde. Cette rencontre de Jésus avec Simon de Cyrène consacre la cinquième Station.

À quelques pas de là, un incident inattendu vient frapper d’étonnement et de stupeur jusqu’aux bourreaux eux-mêmes. Une femme fend la foule, écarte les soldats et se précipite jusqu’auprès du Sauveur. Elle tient entre ses mains son voile qu’elle a détaché, et elle en essuie d’une main tremblante le visage de Jésus, que le sang, la sueur et les crachats avaient rendu méconnaissable. Elle l’a reconnu cependant, parce qu’elle l’a aimé ; et elle n’a pas craint d’exposer sa vie pour lui offrir ce léger soulagement. Son amour sera récompensé : la face du Rédempteur, empreinte par miracle sur ce voile, en fera désormais son plus cher trésor ; et elle aura eu la gloire de désigner, par son acte courageux, la sixième Station de la Voie douloureuse.

Cependant les forces de Jésus s’épuisent de plus en plus, à mesure que l’on approche du terme fatal. Une subite défaillance abat une seconde fois la victime, et marque la septième Station. Jésus est bientôt relevé avec violence par les soldats, et se traîne de nouveau sur le sentier qu’il arrose de son sang. Tant d’indignes traitements excitent des cris et des lamentations dans un groupe de femmes qui, émues de compassion pour le Sauveur, s’étaient mises à la suite des soldats et avaient bravé leurs insultes. Jésus, touché de l’intérêt courageux de ces femmes qui, dans la faiblesse de leur sexe, montraient plus de grandeur d’âme que le peuple entier de Jérusalem, leur adresse un regard de bonté, et reprenant toute la dignité de son langage de prophète, il leur annonce, en présence des princes des prêtres et des docteurs de la loi, l’épouvantable châtiment qui suivra bientôt l’attentat dont elles sont témoins, et qu’elles déplorent avec tant de larmes. « Filles de Jérusalem, leur dit-il. à cet endroit même qui est compté pour la huitième Station ; filles de Jérusalem ! ce n’est pas sur moi qu’il faut pleurer ; c’est sur vous et sur vos enfants ; car il viendra des jours où l’on dira : Heureuses les stériles, et les entrailles qui n’ont point porté, et les mamelles qui n’ont point allaité ! Alors ils diront aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous ; mais si l’on traite ainsi le bois vert aujourd’hui, comment alors sera traité le bois sec ? (s. Luc 23, 27 – 31)

Enfin on est arrivé au pied de la colline du Calvaire, et Jésus doit encore la gravir avant d’arriver au lieu de son sacrifice. Une troisième fois son extrême fatigue le renverse sur la terre, et sanctifie la place où les fidèles vénéreront la neuvième Station. La soldatesque barbare intervient encore pour faire reprendre à Jésus sa marche pénible, et après bien des coups il parvient enfin au sommet de ce monticule qui doit servir d’autel au plus sacré et au plus puissant de tous les holocaustes. Les bourreaux s’emparent de la croix et vont l’étendre sur la terre, en attendant qu’ils y attachent la victime. Auparavant, selon l’usage des Romains, qui était aussi pratiqué par les Juifs, on offre à Jésus une coupe qui contenait du vin mêlé de myrrhe. Ce breuvage, qui avait l’amertume du fiel, était un narcotique destiné à engourdir jusqu’à un certain point les sens du patient, et à diminuer les douleurs de son supplice. Jésus touche un moment de ses lèvres cette potion que la coutume, plutôt que l’humanité, lui faisait offrir ; mais il refuse d’en boire, voulant rester tout entier aux souffrances qu’il a daigné accepter pour le salut des hommes. Alors les bourreaux lui arrachent avec violence ses vêtements collés à ses plaies, et s’apprêtent à le conduire au lieu où la croix l’attend. L’endroit du Calvaire où Jésus fut ainsi dépouillé, et où on lui présenta le breuvage amer, est désigné comme la dixième Station de la Voie douloureuse. Les neuf premières sont encore visibles dans les rues de Jérusalem, de l’emplacement du Prétoire jusqu’au pied du Calvaire ; mais cette dernière, ainsi que les quatre suivantes, sont dans l’intérieur de l’Église du Saint‑Sépulcre, qui renferme dans sa vaste enceinte le théâtre des dernières scènes de la Passion du Sauveur.

Mais il nous faut suspendre ce récit ; déjà même nous avons devancé un peu les heures de cette grande journée, et nous avons à revenir plus tard sur le Calvaire. Il est temps de nous unir à la sainte Église dans la lugubre fonction par laquelle elle s’apprête à célébrer le trépas de son divin Époux. L’airain sacré ne convoquera pas aujourd’hui les fidèles à la maison de Dieu ; la foi et la componction seules les invitent à franchir au plus tôt les degrés du temple.

L’office Liturgique [3]

Le service divin de cette matinée se divise en quatre parties, dont nous allons expliquer successivement les mystères. Il y a d’abord les Lectures ; elles sont suivies des Prières ; vient ensuite l’adoration de la Croix, et enfin la Messe des Présanctifiés. Ces rites solennels et inaccoutumés annoncent au peuple fidèle la grandeur de cette journée, en même temps qu’ils font sentir la suspension du Sacrifice quotidien dont ils occupent la place. L’autel est nu ; la croix voilée de noir s’élève entre les chandeliers qui ne portent plus que des flambeaux d’une cire grossière ; le pupitre de l’Évangile est sans tapis ; tout annonce la désolation. L’Heure de None ayant été récitée, le Célébrant s’avance avec ses ministres ; leurs ornements noirs expriment le deuil de la sainte Église. Arrivés au pied de l’autel, ils se prosternent sur les degrés et prient quelque temps en silence. En même temps, les acolytes étendent sur la table de l’autel une seule nappe, en place de trois qui sont nécessaires pour offrir le Sacrifice. Le Célébrant s’étant relevé de sa prostration, on commence aussitôt les Lectures.

Les lectures

La première partie de cet Office est employée à lire d’abord deux passages des Prophéties, et ensuite le récit de la Passion. On commence par un fragment du prophète Osée, dans lequel le Seigneur annonce ses vues de miséricorde envers son peuple nouveau, le peuple de la gentilité, qui était mort, et qui doit, dans trois jours, ressusciter avec ce Christ qu’il ne connaît pas encore. Ephraïm et Juda ne seront pas traités ainsi ; leurs sacrifices matériels n’ont point apaisé un Dieu qui n’aime que la miséricorde, et qui rejette ceux qui n’ont que la dureté du cœur.

1ère lecture, Osée, Chap. 6

Voici ce que dit le Seigneur : Dans la tribulation ils se hâteront de venir vers moi dès le matin. Venez, diront-ils, et retournons au Seigneur ; car c’est lui-même qui nous a blessés et qui nous guérira. Après deux jours il nous rendra la vie ; le troisième jour il nous ressuscitera, et nous vivrons en sa présence. Nous saurons alors ; et nous suivrons le Seigneur, afin de le connaître davantage. Son lever se prépare comme celui de l’aurore ; et il descendra sur nous comme les pluies de l’automne et du printemps sur la terre. Et le Seigneur dira : Que ferai-je de toi, ô Ephraïm ? Que ferai-je de toi, ô Juda ? Vos bons sentiments n’ont pas eu plus de durée que les nuages du matin, et que la rosée qui sèche en un instant. C’est pourquoi je les ai traités durement par mes prophètes, et je les ai mis à mort par les paroles de ma bouche ; et je rendrai claire comme le jour l’équité de mes jugements sur toi. Car c’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice : et je préfère la connaissance de Dieu à tous les holocaustes que vous pouvez m’offrir.

Le Trait emprunté au Cantique du Prophète Habacuc, que nous avons chanté à Laudes, prédit le second avènement du Christ, quand il viendra entouré de gloire et d’épouvante faire justice de ceux qui l’ont crucifié.

Trait

Seigneur, j’ai entendu votre parole, et j’ai été saisi de crainte ; j’ai considéré vos œuvres, et j’ai été épouvanté. V/. Vous vous manifesterez au milieu de deux animaux ; lorsque les années seront accomplies, et quand le temps sera venu, vous vous ferez voir de nouveau. V/. Alors mon âme sera troublée ; mais vous vous souviendrez de votre miséricorde envers elle, au jour de votre colère. V/. Dieu viendra du Liban, et celui qui est saint descendra de la montagne ombragée et boisée. V/. Sa majesté couvrira les cieux ; et la terre sera remplie de sa gloire.

L’Église recueille les vœux de ses enfants dans la Collecte qui suit, où rappelant au Père céleste sa terrible justice envers Judas et son ineffable miséricorde envers le larron, elle demande que les dernières traces du vieil homme soient enlevées de nos âmes, et que nous méritions de ressusciter avec Jésus-Christ.

Le Diacre dit :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

Collecte

O Dieu, de qui Judas a reçu la punition de son crime, et le larron la récompense de sa confession, faites-nous ressentir l’effet de votre miséricorde ; afin que, comme notre Seigneur Jésus-Christ, dans sa Passion, a traité l’un et l’autre selon son mérite, de même il détruise en nous le mal qui procède du vieil homme, et nous accorde d’avoir part à sa résurrection ; Lui qui, étant Dieu, vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

À cette Oraison succède la deuxième lecture prophétique. Elle est empruntée au livre de l’Exode, et remet sous les yeux le touchant symbole de l’Agneau pascal, en ce moment où la figure s’évanouit devant la réalité. Cet agneau est sans tache comme notre Emmanuel ; son sang préserve de la mort ceux dont les demeures en sont marquées. Il ne doit pas seulement être immolé ; il faut qu’il soit la nourriture de ceux qui sont sauvés par lui. Il est le mets du voyageur, qui le mange debout, comme n’ayant pas le loisir de s’arrêter dans la course rapide de cette vie. L’immolation de l’Agneau ancien, comme celle du nouveau, est le signal de la Pâque.

2ème lecture Exod. Chap. 12

Dans ces jours-là, le Seigneur dit à Moïse et à Aaron dans la terre d’Égypte : Ce mois-ci sera pour vous le commencement des mois ; il sera le premier des mois de l’année. Parlez à toute l’assemblée des enfants d’Israël, et dites-leur : Au dixième jour de ce mois, chacun prendra un agneau pour sa famille et pour sa maison. S’il n’y a pas dans sa maison un nombre de personnes suffisant pour pouvoir manger l’agneau, il en prendra chez son voisin, dont la maison tient à la sienne, autant qu’il en faut pour pouvoir manger l’agneau. Cet agneau sera sans tache, mâle, et de l’année ; vous pourrez même, au défaut, prendre un chevreau qui soit dans les mêmes conditions. Vous garderez cet agneau jusqu’au quatorzième jour de ce mois ; et sur le soir, la multitude des enfants d’Israël l’immolera. Et ils prendront de son sang, et ils en mettront sur les deux poteaux et sur le haut des portes des maisons où ils le mangeront. Cette même nuit, ils en mangeront la chair rôtie au feu, avec des pains sans levain et des laitues sauvages. Vous ne mangerez rien de cet agneau qui soit cru ou qui ait été cuit dans l’eau, mais il sera seulement rôti au feu. Vous en mangerez la tête avec les pieds et les intestins ; et il n’en devra plus rien rester pour le matin suivant. S’il en restait quelque chose, vous aurez soin de le consumer par le feu. Voici en quelle tenue vous le mangerez : vous ceindrez vos reins ; vous aurez des souliers aux pieds et un bâton à la main, et vous mangerez à la hâte. Car c’est la Pâque, c’est‑à‑dire le Passage du Seigneur.

À la suite de cette admirable page de l’Ancien Testament, l’Église chante le Trait suivant, qui est formé du Psaume 139. C’est le cri de détresse du Messie tombé, par la trahison, entre les mains de ses ennemis.

Trait

Arrachez-moi, Seigneur, à l’homme méchant ; délivrez-moi de l’homme injuste. V/. Ils forment dans leurs cœurs des desseins iniques ; tous les jours ils me livrent des combats. V/. Ils aiguisent leurs langues comme des serpents ; un venin d’aspic est sous leurs lèvres. V/. Défendez-moi, Seigneur, des attaques du pécheur, et délivrez‑moi des hommes injustes. V/. Ils cherchent le moyen de me renverser par terre ; ces superbes m’ont dressé secrètement des pièges. V/. Ils ont tendu des filets et préparé des embûches sur ma route. V/. J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu ; exaucez, Seigneur, mon humble prière. V/. Seigneur, Seigneur, ma force et mon salut, couvrez ma tête de votre bouclier, au jour du combat. V/. Ne livrez pas, Seigneur, à la haine des pécheurs celui qui vous implore ; ils ont résolu ma perte : ne m’abandonnez pas, de peur qu’ils n’en triomphent. V/. Mais tous leurs détours, tout l’artifice de leurs propos retomberont sur eux. V/. Les justes loueront votre nom, Seigneur ; et ceux qui ont le cœur droit habiteront avec vous.

Les Prophètes nous ont préparés à entendre l’accomplissement de leurs divins oracles. La sainte Église va nous faire entendre le récit même de la Passion du Rédempteur. C’est le quatrième Évangéliste, saint Jean, le témoin des scènes du Calvaire, qui doit nous raconter les dernières heures de la vie mortelle de l’Homme-Dieu, et faire passer dans nos âmes l’émotion dont la sienne fut pénétrée lorsque, en ce jour, la victime du genre humain expira sur la croix.

La Passion de notre Seigneur Jésus-Christ selon saint Jean. Chap. 18

En ce temps-là, Jésus s’en alla avec ses disciples au delà du torrent de Cédron. Or il y avait là un jardin dans lequel il entra, lui et ses disciples. Judas qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y venait souvent avec ses disciples. Judas donc ayant pris une cohorte et des gens que les princes des prêtres et les pharisiens lui donnèrent, vint en ce lieu avec des lanternes, des torches et des armes. Jésus donc, sachant ce qui devait arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi. Or Judas, qui le trahissait, était avec eux. Lors donc qu’il leur eut dit : C’est moi, ils reculèrent de quelques pas et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi ; si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. Afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : De ceux que vous m’avez donnés, je n’en ai perdu aucun. Alors Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, et frappa un serviteur du grand-prêtre, et lui coupa l’oreille droite ; or ce serviteur avait nom Malchus. Mais Jésus dit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau. Le calice que mon Père m’a donné, ne le boirai-je donc pas ?

Alors la cohorte et le tribun, et les satellites des Juifs, se saisirent de Jésus et le lièrent. Et ils l’emmenèrent d’abord chez Anne, parce qu’il était le beau-père de Caïphe, qui était grand-prêtre cette année‑là. Or Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : Il est expédient qu’un seul homme meure pour le peuple. Simon Pierre suivait Jésus, et aussi un autre disciple ; or ce disciple étant connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans la cour du grand‑prêtre. Et comme Pierre se tenait à la porte au dehors, l’autre disciple, qui était connu du grand-prêtre, sortit et parla à la portière, et elle fit entrer Pierre. Cette servante commise à la porte dit donc à Pierre : Es-tu aussi des disciples de cet homme ? Il répondit : Je n’en suis point. Les serviteurs et les gardes, rangés autour d’un brasier, se chauffaient ; car il faisait froid. Et Pierre était aussi avec eux, debout et se chauffant.

Cependant le grand-prêtre interrogea Jésus touchant ses disciples et sa doctrine. Jésus lui répondit : J’ai parlé publiquement au monde ; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interrogez-vous ? Interrogez ceux qui m’ont entendu, sur ce que je leur ai dit ; ceux-là savent ce que j’ai dit. Après qu’il eut dit cela, un des gardes là présent donna un soufflet à Jésus, disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre : Jésus lui dit : Si j’ai mal parlé, fais voir ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? Et Anne l’envoya lié chez Caïphe le grand-prêtre. Cependant Simon Pierre était debout et se chauffait. Quelques-uns donc lui dirent : N’es-tu pas aussi de ses disciples ? Il le nia, et dit : Je n’en suis point. Un des serviteurs du grand-prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, lui dit : Ne t’ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? Pierre le nia de nouveau ; et aussitôt le coq chanta.

Ils amenèrent Jésus de chez Caïphe dans le prétoire. Or c’était le matin, et eux n’entrèrent point dans le prétoire, afin de ne se point souiller, et de pouvoir manger la Pâque. Pilate vint donc à eux dehors, et dit : Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? Ils répondirent : Si ce n’était pas un malfaiteur, nous ne vous l’aurions point amené. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et le jugez selon votre loi. Les Juifs lui dirent : Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort ; afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite touchant la mort dont il devait mourir. Pilate donc rentra dans le prétoire, et appela Jésus, et lui dit : Êtes-vous le Roi des Juifs ? Jésus répondit : Dites-vous cela de vous-même, ou d’autres vous l’ont-ils dit de moi ? Pilate répondit : Est-ce que je suis Juif ? Votre nation et vos prêtres vous ont livré à moi. Qu’avez-vous fait ? Jésus répondit : Mon royaume n’est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne fusse point livré aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n’est pas de ce monde. Pilate lui dit : Vous êtes donc Roi ? Jésus répondit : Vous le dites, je suis Roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ; quiconque est de la vérité, écoute ma voix. Pilate lui dit : Qu’est-ce que la vérité ? Et ayant dit cela, il sortit encore, et alla vers les Juifs, et leur dit : Je ne trouve en lui aucun crime. La coutume est que je vous délivre un criminel à la fête de Pâque ; voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs ? Alors de nouveau tous s’écrièrent : Pas celui-ci, mais Barabbas. Or Barabbas était un voleur.

Alors donc Pilate prit Jésus et le fit flageller. Et les soldats ayant tressé une couronne d’épines, la mirent sur sa tête, et le revêtirent d’un manteau de pourpre. Et venant à lui, ils disaient : Salut, Roi des Juifs ! Et ils lui donnaient des soufflets. Pilate sortit de nouveau, et leur dit : Voici que je vous l’amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Jésus donc sortit, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : Voilà l’homme. Les prêtres et les gardes l’ayant vu, crièrent : Crucifiez-le, crucifiez-le. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et le crucifiez ; car moi je ne trouve point de crime en lui. Les Juifs répondirent : Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. Ayant entendu cette parole, Pilate fut plus effrayé. Et entrant dans le prétoire, il dit à Jésus : D’où êtes-vous ? Jésus ne lui fit pas de réponse. Pilate lui dit donc : Vous ne me parlez point ? Ignorez-vous que j’ai le pouvoir de vous crucifier et le pouvoir de vous délivrer ? Jésus lui répondit : Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, s’il ne vous était donné d’en haut ; et c’est pour cela que le péché de celui qui m’a livré à vous est d’autant plus grand. Et depuis ce moment, Pilate cherchait à le délivrer. Mais les Juifs criaient, disant : Si vous le délivrez, vous n’êtes point ami de César ; car quiconque se fait Roi, se déclare contre César. Ayant entendu cette parole, Pilate fit amener Jésus dehors ; et il s’assit sur le tribunal, au lieu appelé en grec Lithostrotos, et en hébreu Gabbatha.

C’était le jour de la préparation de la Pâque. vers la sixième heure ; et Pilate dit aux Juifs : Voilà votre Roi. Mais eux criaient : Ôtez-le ! ôtez-le ! crucifiez-le ! Pilate leur dit : Que je crucifie votre Roi ? Les princes des prêtres répondirent : Nous n’avons de roi que César. Alors il le leur livra pour être crucifié. Et ils prirent Jésus et l’emmenèrent. Emportant sa croix, il vint au lieu nommé Calvaire, et en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate écrivit une inscription, et la fit mettre au haut de la croix. Voici ce qu’elle portait : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus était crucifié était près de la ville, et qu’elle était écrite en hébreu, en grec, et en latin. Les pontifes des Juifs dirent donc à Pilate : N’écrivez point : Roi des Juifs ; mais bien qu’il a dit : Je suis le Roi des Juifs. Pilate répondit : Ce qui est écrit, est écrit. Les soldats, après avoir crucifié Jésus, prirent ses habits dont ils firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi sa tunique ; et, comme elle était sans couture, d’un seul tissu d’en haut jusqu’en bas, ils se dirent entre eux : Ne la divisons point, mais tirons au sort à qui elle sera, afin que s’accomplit ce que dit l’Écriture : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté ma robe au sort. Voilà ce que firent les soldats.

Debout près de la croix de Jésus, étaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. Jésus ayant vu sa mère, et debout près d’elle, le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre fils. Et ensuite il dit au disciple : Voilà ta mère. Et depuis cette heure, le disciple la prit chez lui. Après cela, Jésus sachant que tout était accompli, afin qu’une parole de l’Écriture s’accomplît encore, il dit : J’ai soif. Il y avait là un vase plein de vinaigre. Ils entourèrent d’hysope une éponge pleine de vinaigre, et la présentèrent à sa bouche. Et Jésus ayant pris le vinaigre, dit : Tout est consommé. Et baissant la tête, il rendit l’esprit.

Ici on fait une pause comme au Dimanche des Rameaux. Toute l’assistance se met à genoux ; et, selon l’usage des lieux, on se prosterne et on baise humblement la terre.

Or ce jour-là étant celui de la Préparation, afin que les corps ne demeurassent pas en croix durant le sabbat (car ce sabbat était un jour très solennel), les Juifs prièrent Pilate qu’on leur rompît les jambes, et qu’on les enlevât. Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes du premier, puis de l’autre qui avait été crucifié avec lui. Étant venus à Jésus, et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Et celui qui le vit en rend témoignage, et son témoignage est vrai. Et il sait qu’il dit vrai, afin que vous croyiez aussi. Ceci advint pour que cette parole de l’Écriture fut accomplie : Vous ne briserez pas un seul de ses os. Et il est dit encore ailleurs dans l’Écriture : Ils verront celui qu’ils ont percé.

Ici le Diacre vient prier en silence au pied de l’autel pour implorer sur lui‑même la bénédiction de Dieu ; mais il ne demande point celle du Prêtre, et ne fait point bénir l’encens. Les Acolytes ne l’accompagnent point non plus à l’ambon avec des flambeaux. Quand il a terminé la lecture de l’Évangile, le Sous-Diacre ne porte point le livre à baiser au Célébrant. La suppression de toutes les cérémonies ordinaires atteste la profonde tristesse à laquelle l’Église est livrée.

Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs, pria Pilate de lui laisser enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Il vint donc, et enleva le corps de Jésus. Nicomède, celui qui, autrefois, était venu trouver Jésus de nuit, vint aussi apportant une composition de myrrhe et d’aloès, environ cent livres. Or il y avait un jardin dans le lieu où Jésus avait été crucifié, et dans le jardin un sépulcre tout neuf, où personne n’avait encore été mis. Là donc, à cause de la préparation du sabbat des Juifs, et que ce sépulcre était proche, ils mirent Jésus.

Les Prieres ou oraisons solennelles

La sainte Église vient de repasser avec ses enfants l’histoire des derniers moments de son Époux ; que lui reste-t-il à faire, sinon d’imiter ce divin Médiateur qui, sur la Croix, comme nous l’apprend saint Paul, a offert pour tous les hommes à son Père « des prières et des supplications mêlées de larmes et accompagnées d’un grand cri ? » (Hebr. 5, 7) C’est pourquoi, dès les premiers siècles, elle a présenté elle-même, en ce jour, à la majesté divine, un ensemble de prières qui, se dirigeant sur les besoins du genre humain tout entier, montrent qu’elle est véritablement la mère des hommes et l’épouse charitable du Fils de Dieu. Tous, même les Juifs, ont part à cette solennelle intercession que la sainte Église, au milieu de son deuil, présente au Père des siècles, du pied de la croix de Jésus-Christ.

Chacune de ces prières est précédée d’une annonce qui en explique l’objet. Le Diacre avertit ensuite les fidèles de se mettre à genoux ; ils se relèvent un moment après, au signal du Sous-Diacre, et s’unissent à la demande du Prêtre.

Prions, nos très chers Frères, pour la sainte Église de Dieu, afin que le Seigneur notre Dieu daigne lui donner la paix et l’union et la garder par toute la terre, en lui assujettissant les principautés et les puissances ; et qu’il nous accorde une vie calme et tranquille, pour que nous puissions glorifier Dieu le Père tout-puissant.

Prions

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout puissant et éternel, qui par le Christ avez révélé votre gloire à toutes les nations, conservez l’œuvre de votre miséricorde ; et faites que votre Église, répandue dans le monde entier, persévère, avec une ferme foi, dans la confession de votre Nom. Par Jésus‑Christ notre Seigneur.

R/. Amen.

Prions pour notre saint Père le Pape N., afin que le Seigneur notre Dieu, qui l’a élu dans l’ordre de l’épiscopat, le conserve en santé pour le bien de sa sainte Église, et pour la conduite du saint peuple de Dieu.

Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux

Le Sous-Diacre : Levez -vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui faites subsister toutes choses par votre sagesse, recevez favorablement nos prières, et, dans votre bonté, conservez le Pontife que vous nous avez choisi ; afin que le peuple chrétien qui est gouverné par votre autorité, croisse dans le mérite de la foi, sous la conduite d’un si grand Pontife. Par Jésus‑Christ notre Seigneur.

R/. Amen.

Prions pour tous les Évêques, Prêtres, Diacres, Sous-Diacres, Acolytes, Exorcistes, Lecteurs, Portiers, Confesseurs, Vierges, Veuves, et pour tout le saint peuple de Dieu.

Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui. par votre Esprit, sanctifiez et gouvernez tout le corps de l’Église, exaucez nos supplications pour tous les Ordres qu’elle renferme ; afin que, par le don de votre grâce, ces divers degrés soient fidèles dans votre service. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. R/. Amen.

L’Église Romaine, dans la prière qui suit, avait en vue l’Empereur d’Allemagne, autrefois chef du corps germanique, et chargé par l’Église, au Moyen Âge, de propager la foi chez les nations du Nord. On omet maintenant cette prière dans les pays qui ne sont pas soumis à la domination autrichienne.

Prions pour notre très chrétien Empereur, afin que le Seigneur Dieu lui soumette toutes les nations barbares, et que nous jouissions d’une paix continuelle.

Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui tenez en main les droits et les forces de tous les États, regardez d’un œil favorable l’Empire Romain, et domptez par la puissance de votre droite les nations ennemies à qui leur barbarie donne tant d’audace. Par Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

Prions pour nos catéchumènes, afin que le Seigneur Dieu ouvre les oreilles de leur cœur et la porte de sa miséricorde, et que, ayant reçu la rémission de tous leurs péchés dans le bain de la régénération, ils soient incorporés avec nous à Jésus-Christ notre Seigneur.

Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui donnez sans cesse de nouveaux enfants à votre Église, accroissez la foi et l’intelligence de nos catéchumènes ; afin que, recevant la régénération dans la fontaine baptismale, ils soient agrégés à vos enfants d’adoption. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. R/. Amen.

Prions, nos très chers Frères, Dieu Père tout-puissant, qu’il daigne purger le monde de toute erreur, dissiper les maladies, chasser la famine, ouvrir les prisons, rompre les liens des captifs, accorder aux voyageurs un heureux retour, aux malades la santé, aux navigateurs un port de salut.

Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui êtes la consolation des affligés et la force de ceux qui sont dans la peine, laissez monter jusqu’à vous les cris et les prières de ceux qui vous invoquent du sein de leur affliction, afin qu’ils ressentent tous avec joie, dans leurs besoins, les secours de votre miséricorde. Par Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

Prions pour les hérétiques et les schismatiques, afin que le Seigneur notre Dieu les arrache à toutes leurs erreurs, et daigne les ramener à notre sainte mère l’Église catholique.

Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui sauvez tous les hommes et ne voulez pas qu’aucun périsse, jetez les yeux sur les âmes qui ont été séduites par les artifices du diable ; afin que, déposant la perversité hérétique, leurs cœurs égarés viennent à résipiscence, et retournent à l’unité de votre vérité. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

R/. Amen.

Prions pour les perfides Juifs, afin que le Seigneur notre Dieu enlève le voile qui couvre leurs cœurs, et qu’ils reconnaissent avec nous Jésus-Christ notre Seigneur.

Après cette annonce, le Diacre ne donne point l’avertissement ordinaire de fléchir les genoux. La sainte Église prie aujourd’hui même pour les fils des bourreaux de son divin Époux, mais la génuflexion ayant été tournée en outrage contre lui par leurs pères, à l’heure même où nous sommes, elle craint de rappeler le souvenir de cette indignité, en renouvelant le geste de l’adoration à propos des Juifs.

Dieu tout puissant et éternel, qui, dans votre miséricorde, ne repoussez pas même les perfides Juifs ; exaucez-les prières que nous vous adressons au sujet de l’aveuglement de ce peuple, afin que, reconnaissant la lumière de votre vérité qui est le Christ, ils soient enfin arrachés à leurs ténèbres. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

Prions pour les païens, afin que le Dieu tout-puissant ôte l’iniquité de leurs cœurs ; et que, laissant là leurs idoles, ils se convertissent au Dieu vivant et véritable, et à son Fils unique Jésus-Christ, notre Dieu et Seigneur.

Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui ne voulez point la mort, mais la vie des pécheurs, daignez exaucer notre prière ; délivrez les païens du culte des idoles, et agrégez-les à votre sainte Église pour l’honneur et la gloire de votre Nom. Par Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

L’adoration de la Croix

Les prières générales sont terminées ; et après avoir imploré Dieu pour la conversion des païens, l’Église se trouve avoir visité, dans sa charité, tous les habitants de la terre, et sollicité sur eux tous l’effusion du sang divin qui coule, en ce moment, des veines de l’Homme-Dieu. Maintenant elle se tourne vers les chrétiens ses fils, et, tout émue des humiliations auxquelles est en proie son céleste Époux, elle va les convier à en diminuer le poids, en dirigeant leurs hommages vers cette Croix, jusqu’alors infâme et désormais sacrée, sous laquelle Jésus marche au Calvaire, et dont les bras vont le porter aujourd’hui. Pour Israël, la croix est un objet de scandale ; pour le gentil, un monument de folie (1 Cor. 1, 23) ; nous chrétiens, nous vénérons en elle le trophée de la victoire du Fils de Dieu, et l’instrument auguste du salut des hommes. L’instant donc est arrivé où elle doit recevoir nos adorations, à cause de l’honneur que lui a daigné faire le Fils de Dieu en l’arrosant de son sang, et en l’associant ainsi à l’œuvre de notre réparation. Nul jour, nulle heure dans l’année ne conviennent mieux pour lui rendre nos humbles devoirs.

Ce touchant hommage offert, en ce jour, au bois sacré qui nous sauve, a commencé, dès le VIème  siècle, à Jérusalem. On venait de découvrir la vraie Croix par les soins de la pieuse impératrice sainte Hélène ; et le peuple fidèle aspirait à contempler de temps en temps cet arbre de vie, dont la miraculeuse Invention avait comblé de joie l’Église tout entière. Il fut réglé qu’on l’exposerait à l’adoration des chrétiens une fois l’année, le Vendredi saint. Le désir de prendre part au bonheur de le contempler amenait chaque année un concours immense de pèlerins à Jérusalem, pour la Semaine sainte. La renommée répandit partout les récits de cette imposante cérémonie ; mais tous ne pouvaient espérer d’en être témoins, même une seule fois dans leur vie. La piété catholique voulut du moins jouir par imitation d’une cérémonie dont la vue réelle était refusée au grand nombre ; et, vers le VIIème  siècle, on songea à répéter dans toutes les églises, au Vendredi saint, l’ostension et l’adoration de la Croix qui avaient lieu à Jérusalem. On ne possédait, il est vrai, que la figure de la Croix véritable ; mais les hommages rendus à ce bois sacré se rapportant au Christ lui-même, les fidèles pouvaient lui en offrir de semblables, lors même qu’ils n’avaient pas sous les yeux le propre bois lui-même que le Rédempteur a arrosé de son sang. Tel a été le motif de l’institution de ce rite imposant que la sainte Église va accomplir sous nos yeux, et auquel elle nous invite à prendre part.

À l’autel, le Célébrant se dépouille de la chasuble, qui est le vêtement sacerdotal, afin de paraître avec plus d’humilité dans l’amende honorable qu’il doit offrir le premier au Fils de Dieu outragé par ses créatures. Il se rend ensuite sur le degré qui côtoie l’autel, au côté de l’Épître, et s’y tient la face tournée vers le peuple. Le Diacre prend alors la croix voilée de noir qui est entre les chandeliers de l’autel, et vient la déposer entre les mains du Célébrant. Celui-ci, aidé du Diacre et du Sous-Diacre, détache la partie du voile qui enveloppait le haut de cette croix, et la découvre jusqu’à la traverse. Il l’élève alors un peu, et chante sur un ton de voix médiocre ces paroles :

Voici le bois de la Croix ;

Puis il continue, aidé de ses ministres, qui chantent avec lui :

auquel le salut du monde a été suspendu.

Alors toute l’assistance se met à genoux et adore, pendant que le chœur chante :

Venez, adorons-le.

Cette première ostension, qui a lieu comme à l’écart, et à voix modérée, représente la première prédication de la Croix, celle que les Apôtres se firent entre eux, lorsque, n’ayant pas encore reçu le Saint-Esprit, ils ne pouvaient s’entretenir du divin mystère de la Rédemption qu’avec les disciples de Jésus, et craignaient d’exciter l’attention des Juifs. C’est pour cela aussi que le Prêtre n’élève que médiocrement la Croix. Ce premier hommage qu’elle reçoit est offert en réparation des outrages que le Sauveur reçut dans la maison de Caïphe.

Le Prêtre s’avance alors sur le devant du degré, toujours au côté de l’Épître, et se trouve plus en vue du peuple Ses ministres l’aident à dévoiler le bras droit de la croix, et après avoir découvert cette partie de l’instrument sacré, il montre de nouveau le signe du salut, l’élevant plus haut que la première fois, et chante avec plus de force :

Voici le bois de la Croix ;

Le Diacre et le Sous-Diacre continuent avec lui :

auquel le salut du monde a été suspendu.

L’assistance se met à genoux et adore, pendant que le chœur chante :

Venez, adorons-le.

Cette seconde extension, qui a lieu avec plus d’éclat que la première, représente la prédication du mystère de la Croix aux Juifs, lorsque les Apôtres, après la venue de l’Esprit-Saint, jettent les fondements de l’Église au sein de la Synagogue, et amènent les prémices d’Israël aux pieds du Rédempteur. Cette seconde adoration rendue à la Croix est offerte par la sainte Église en réparation des outrages que le Sauveur reçut dans le Prétoire de Pilate.

Le Prêtre vient se placer ensuite au milieu du degré, ayant toujours la face tournée vers le peuple. Il achève alors le dévoilement de la Croix, en dégageant le bras gauche avec l’aide du Diacre et du Sous-Diacre. Prenant ensuite cette Croix, qui paraîtra désormais sans voile, il l’élève plus haut que les deux autres fois, et chante avec triomphe sur un ton plus éclatant :

Voici le bois de la Croix ;

Les ministres continuent avec lui :

auquel le salut du monde a été suspendu.

L’assistance se met à genoux et adore, pendant que le chœur chante :

Venez, adorons-le.

Cette dernière ostension si solennelle représente la prédication du mystère de la Croix dans le monde entier, lorsque les Apôtres, repoussés par la masse de la nation juive, se tournent vers les Gentils, et vont annoncer le Dieu crucifié jusqu’au delà des limites de l’Empire romain. Ce troisième hommage offert à la Croix est une réparation des outrages que le Sauveur reçut sur le Calvaire.

La sainte Église, en nous présentant d’abord la Croix couverte d’un voile qui disparaît ensuite, pour laisser arriver nos regards jusqu’à ce divin trophée de notre rédemption, veut aussi exprimer tour à tour l’aveuglement du peuple juif qui ne voit qu’un instrument d’ignominie dans ce bois adorable, et l’éclatante lumière dont jouit le peuple chrétien, auquel la foi révèle que le Fils de Dieu crucifié, loin d’être un objet de scandale, est, au contraire, comme parle l’Apôtre, le monument éternel de « la puissance et de la sagesse de Dieu. » (I Cor. 1, 24) Désormais la Croix, qui vient d’être si solennellement arborée, ne sera plus couverte ; elle va attendre sans voile, sur l’autel, l’heure de la glorieuse résurrection du Messie. Toutes les autres images de la Croix, placées sur les divers autels, seront aussi découvertes, à l’imitation de celle qui va bientôt reprendre sa place d’honneur sur l’autel majeur.

Mais la sainte Église ne se borne pas à exposer, en ce moment, aux regards de ses fidèles la Croix qui les a sauvés ; elle les convie à venir tous imprimer leurs lèvres respectueuses sur ce bois sacré. Le Célébrant doit les précéder, et ils viendront après lui. Non content d’avoir dépouillé la chasuble, il quitte encore sa chaussure, et ce n’est qu’après avoir fait trois génuflexions qu’il approche de la Croix que ses mains ont d’abord placée sur les degrés de l’autel. Le Diacre et le Sous-Diacre se présentent ensuite, puis le Clergé tout entier, enfin les laïques.

Les chants qui accompagnent l’adoration de la Croix sont de la plus grande beauté. Il y a d’abord les Impropères, ou reproches que le Messie adresse aux Juifs. Les trois premières strophes de cette Hymne plaintive sont entrecoupées par le chant du Trisagion, ou prière au Dieu trois fois Saint, dont il est juste de glorifier l’immortalité, en ce moment où il daigne, comme homme, souffrir la mort pour nous. Cette triple glorification, qui était en usage à Constantinople dès le Vème  siècle, a passé dans l’Église Romaine qui l’a maintenue dans la langue primitive, se contentant d’alterner la traduction latine des paroles. Le reste de ce beau chant est du plus haut intérêt dramatique. Le Christ rappelle toutes les indignités dont il a été l’objet de la part du peuple juif, et met en regard les bienfaits qu’il a répandus sur cette ingrate nation.

Les Impropères

O mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je affligé ? Réponds-moi. Est‑ce parce que je t’ai tiré de la terre d’Égypte que tu as dressé une croix pour ton Sauveur ?

Dieu saint.
Dieu saint.
Saint et fort.
Saint et fort.
Saint et immortel, ayez pitié de nous.
Saint et immortel, ayez pitié de nous.

Est-ce parce que, durant quarante ans, j’ai été ton conducteur dans le désert, que je t’y ai nourri de la manne, que je t’ai ensuite introduit dans une terre excellente ; est-ce pour ces services que tu as préparé une croix  ton Sauveur ?

Dieu saint, etc.

Qu’ai-je dû faire pour toi, que je n’aie pas fait ? Je t’ai plantée comme la plus belle de mes vignes, et tu n’as eu pour moi qu’une amertume extrême ; car dans ma soif tu m’as donné du vinaigre à boire, et tu as percé de la lance le côté de ton Sauveur.

Dieu saint, etc.

Pour l’amour de toi, j’ai frappé l’Égypte avec ses premiers-nés ; toi, tu m’as livré à la mort, après m’avoir flagellé.
O mon peuple, que t’ai-je fait ? en quoi t’ai-je affligé ? Réponds-moi.

Je t’ai tiré de l’Égypte, et j’ai submergé Pharaon dans la mer Rouge : toi, tu m’as livré aux princes des prêtres.
O mon peuple.

Je t’ai ouvert un passage dans la mer : toi, tu m’as ouvert le flanc avec une lance.
O mon peuple.

J’ai marché devant toi dans une colonne de nuée : toi, tu m’as mené au prétoire de Pilate.
O mon peuple.

Je t’ai nourri de la manne dans le désert : j’ai reçu de toi des soufflets et des coups de fouet.
O mon peuple.

Je t’ai abreuvé de l’eau salutaire sortie du rocher : dans ma soif, tu m’as présenté du fiel et du vinaigre.
O mon peuple.

À cause de toi j’ai exterminé les rois de Chanaan : toi, tu m’as frappé à la tète avec un roseau.
O mon peuple.

Je t’ai donné le sceptre de la royauté : toi, tu as mis sur ma tête une couronne d’épines.
O mon peuple.

Je t’ai élevé en déployant une haute puissance : toi, tu m’as attaché au gibet de la croix.
O mon peuple.

Les impropères sont suivis de cette solennelle Antienne, dans laquelle le souvenir de la Croix vient s’unir à celui de la Résurrection pour la gloire de notre divin Rédempteur.

Nous adorons votre Croix, Seigneur ; nous célébrons et glorifions votre sainte Résurrection ; car c’est par la Croix que vous avez rempli de joie le monde entier.

Ps. Que Dieu ait pitié de nous et qu’il nous bénisse ; qu’il fasse luire sur nous la lumière de son visage, et qu’il nous envoie sa miséricorde.

Si l’adoration de la Croix n’est pas encore terminée, on entonne cette Hymne célèbre que Mamert Claudien composa au VIème siècle, en l’honneur de l’arbre sacré de notre rédemption. Une des strophes, divisée en deux, sert de refrain pendant la durée de ce beau cantique.

Hymne.

O Croix, notre espérance, arbre le plus noble de tous ; nulle forêt n’a produit ton pareil pour le feuillage, la fleur et le fruit.

Tu nous es cher, ô bois, et plus cher encore le doux fardeau suspendu à tes clous sacrés.

Chantons, ma langue, la couronne du glorieux combat ; célèbre le noble triomphe dont la Croix est le trophée, et la victoire que le Rédempteur du monde remporta dans sa propre immolation.
On répète : O Croix, notre espérance.

Le Créateur, compatissant au malheur que la séduction enfanta pour le premier homme notre père, précipité dans la mort pour avoir mangé d’un fruit funeste, daigna dès ce jour désigner le bois pour réparer le désastre causé par le bois.
On répète : Tu nous es cher.

Tel fut le plan divin dressé pour notre salut, afin que la sagesse y déjouât la ruse de notre cauteleux ennemi, et que le remède nous arrivât par le moyen même qui avait servi pour nous faire la blessure.
On répète : O Croix, notre espérance.

Lors donc que le temps marqué par le décret divin fut arrivé, celui par qui le monde a été créé fut envoyé du trône de son Père, et avant pris chair au sein d’une Vierge, il parut en ce monde.
On répète : Tu nous es cher.

À sa naissance, on le couche dans une crèche ; c’est de là qu’il fait entendre ses vagissements ; la Vierge-Mère enveloppe de langes ses membres délicats ; les mains et les pieds d’un Dieu sont captifs sous les bandelettes, comme ceux des autres enfants.
On répète : O Croix, notre espérance.

Après avoir vécu six lustres, le temps de sa vie mortelle approche de son terme ; c’est librement qu’il est descendu pour être notre Rédempteur ; et le jour est venu où cet Agneau est élevé sur l’arbre de la Croix, pour y être immolé.
On répète : Tu nous es cher.

C’est là qu’on l’abreuve de fiel dans son agonie ; là que les épines, les clous, la lance, déchirent son corps délicat ; l’eau et le sang s’épanchent de sa plaie ; la terre, la mer, les astres, le monde tout entier, reçoivent ce jet qui les purifie.
On répète : O Croix, notre espérance.

Arbre auguste, laisse fléchir tes rameaux ; soulage, en pliant, les membres tendus de l’Agneau ; amollis cette dureté que la nature t’avait donnée, et sois un lit plus doux pour le corps du souverain Roi.
On répète : Tu nous es cher.

Seule tu as été trouvée digne de porter entre tes bras la victime du monde ; pour ce monde naufragé, tu as été l’arche qui le ramène au port, toi qui fus inondée du sang divin de l’Agneau.
On répète : O Croix, notre espérance

Gloire éternelle à l’heureuse Trinité ; honneur égal au Père, au Fils, au Paraclet ; louange de la part de tous les êtres à celui qui réunit la Trinité à l’Unité. Amen.
On répète : Tu nous es cher.

Vers la fin de l’adoration de la Croix, on allume les cierges de l’autel, et le Diacre vient y étendre un corporal, pour recevoir l’Hostie sainte qui va bientôt y être déposée. Tous les fidèles ayant rendu leur hommage à la Croix, le Célébrant la rapporte à l’autel, sur lequel elle est placée découverte au lieu qu’elle occupait auparavant.

La messe des présanctifiés.

Le souvenir du grand sacrifice accompli aujourd’hui sur le Calvaire occupe tellement la pensée de l’Église en ce douloureux anniversaire, qu’elle renonce à renouveler sur l’autel l’immolation de la divine victime ; elle se borne à participer au mystère sacré par la communion. Autrefois, tout le clergé et les fidèles même étaient admis à cette faveur ; dans la discipline actuelle, le Prêtre célébrant est le seul à qui elle soit accordée. Après qu’il a repris le vêtement sacerdotal, une procession formée de tout le cierge se dirige en silence vers le reposoir, où, la veille, a été placée mystérieusement l’Hostie sainte. Le Diacre extrait d’un asile secret le calice qui la contient ; et lorsque le Prêtre a offert l’hommage de l’encens au Rédempteur des hommes, il prend entre ses mains le calice qui renferme celui que le ciel et la terre ne peuvent contenir. La procession se met en marche vers l’autel, portant des cierges allumés, et chantant l’Hymne de la Croix.

Hymne.

L’étendard du Roi s’avance ; voici briller le mystère de la Croix, sur laquelle celui qui est la Vie a souffert la mort, et par cette mort, nous a donné la vie.

C’est là que, transpercé du fer cruel d’une lance, son côté épancha l’eau et le sang, pour laver la souillure de nos crimes.

Il s’est accompli, l’oracle de David qui, dans ses vers inspirés, avait dit aux nations : Dieu régnera par le bois.

Tu es beau, tu es éclatant, arbre paré de la pourpre du Roi ; noble tronc appelé à l’honneur de toucher des membres si sacrés !

Heureux es-tu d’avoir porté suspendu à tes bras celui qui fut le prix du monde ! Tu es la balance où fut pesé ce corps, notre rançon ; tu as enlevé à l’enfer sa proie.

Salut, ô Croix, notre unique espérance ! En ces jours de la Passion du Sauveur, accrois la grâce dans le juste, efface le crime du pécheur.

Que toute âme vous glorifie, ô Trinité, principe de notre salut ! vous nous donnez la victoire par la Croix ; daignez y ajouter la récompense.

Amen.

Le pieux cortège étant de retour dans le sanctuaire, le Diacre reçoit à l’autel, sur la patène, l’Hostie sainte que le Prêtre retire du calice, et il verse du vin et de l’eau dans ce même calice. Tous les regards sont tournés respectueusement vers le divin mystère. Le Prêtre encense l’offrande et ensuite l’autel, selon le rite accoutumé ; mais, afin de marquer le deuil de l’Église, il n’est pas encensé lui-même par le Diacre. Après s’être lavé les mains, il revient au milieu de l’autel, et adresse à Dieu une oraison secrète ; puis, se tournant un peu vers le peuple fidèle, il réclame ses prières ; après quoi il fait entendre, sur le ton le plus simple, l’Oraison dominicale. Unissons-nous avec confiance et empressement aux sept demandes qu’elle renferme, à cette heure où notre divin intercesseur, les bras étendus sur la Croix, les présente pour nous à son Père. C’est dans ce moment même qu’il obtient de lui que toute prière adressée au ciel, par sa médiation, sera exaucée.

Après le Pater, le Prêtre ajoute à haute voix une oraison qui se récite secrètement à toutes les Messes. Il y demande que nous soyons délivrés des maux, affranchis du péché, établis dans la paix.

Mais, avant de consommer l’Hostie sainte, le Prêtre veut la présenter à notre adoration. Prenant donc de la main droite le Corps sacré du Rédempteur, il l’élève à nos regards comme le Sauveur fut élevé sur la Croix. Toute l’assistance, qui se tient à genoux durant cette scène touchante, s’incline profondément, et rend au Fils de Dieu crucifié l’hommage de son adoration et de son amour.

Alors le Prêtre rompt l’Hostie en trois parts, et en fait tomber une dans le calice, afin de sanctifier le vin et l’eau qu’il doit prendre après avoir communié. Le mélange de la parcelle sacrée avec ce breuvage ne le change point dans le sang du Seigneur ; mais il lui confère une bénédiction particulière, comme celle qui s’attachait aux vêtements de l’Homme-Dieu.

Le Prêtre récite ensuite à voix basse la troisième des Oraisons qui précèdent la communion aux Messes ordinaires ; et ayant pris dans sa main gauche, avec la patène, les deux grands fragments de l’Hostie, il frappe trois fois sa poitrine avec la main droite, en disant :

Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi ; mais dites seulement une parole, et mon âme sera guérie.

Il se communie ensuite ; puis il prend le vin et l’eau avec la particule sacrée qu’il avait mise dans le calice ; et ayant lavé ses doigts, il revient au milieu de l’autel, où il récite à voix basse la prière de conclusion. Ainsi se termine la Messe des Présanctifiés. Lorsque tous ces rites sont accomplis, le Célébrant accompagné de ses ministres, toujours en silence, fait une génuflexion à la Croix et se retire. Aussitôt qu’il a disparu, le Chœur commence les Vêpres, qui sont simplement récitées comme le jour précèdent, sans aucun chant.

À Vêpres [4]

Les cinq Psaumes et les cinq Antiennes sont les mêmes qu’hier.

Antienne de Magnificat.

Ayant pris le vinaigre, il dit : Tout est consommé ; et baissant la tête, il rendit l’esprit.

Après le Cantique Magnificat et la répétition de l’Antienne, on dit :

Le Christ  s’est fait pour nous obéissant  jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix.

On dit ensuite à voix basse Pater noster, (suivi du Psaume Miserere). Enfin, celui qui préside prononce pour conclusion l’Oraison suivante :

Daignez Seigneur,  jeter  un regard sur votre famille ici présente, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être livré aux mains des méchants et subir le supplice de la Croix ; Lui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.

L’après-midi

Bientôt la sainte Église nous invitera de nouveau à venir prendre part à ses divins Offices ; en attendant, il convient que, durant ces heures qui furent celles de notre salut, nous suivions du cœur et de la pensée notre miséricordieux Rédempteur. Nous l’avons laissé sur le Calvaire au moment où on le dépouillait de ses vêtements, après lui avoir présenté l’amer breuvage. Assistons avec recueillement et componction à la consommation du sacrifice qu’il offre pour nous à la justice divine.

Jésus est conduit à quelques pas de là par ses bourreaux, à l’endroit où la Croix étendue par terre marque la onzième Station de la Voie douloureuse. Il se couche, comme un agneau destiné à l’holocauste, sur le bois qui doit servir d’autel. On étend ses membres avec violence, et des clous qui pénètrent entre les nerfs et les os, fixent au gibet ses mains et ses pieds. Le sang jaillit en ruisseaux de ces quatre sources vivifiantes où nos âmes viendront se purifier. C’est la quatrième fois qu’il s’échappe des veines du Rédempteur. Marie entend le bruit sinistre du marteau, et son cœur de mère en est déchiré. Madeleine est en proie à une désolation d’autant plus amère, qu’elle sent son impuissance à soulager le Maître tant aimé que les hommes lui ont ravi. Cependant Jésus élève la voix ; il profère sa première parole du Calvaire : « Père, dit-il. pardonnez-leur ; car ils ne savent ce qu’ils font. » (s. Luc 23, 34) O bonté infinie du Créateur ! il est venu sur cette terre, ouvrage de ses mains, et les hommes l’ont crucifié ; jusque sur la Croix, il a prié pour eux, et dans sa prière il semble vouloir les excuser !

La Victime est attachée au bois sur lequel il faut qu’elle expire ; mais elle ne doit pas rester ainsi étendue à terre. Isaïe a prédit que « le royal rejeton de Jessé serait arboré comme un étendard à la vue de toutes les nations ». (Isaï 11, 10) Il faut que le divin crucifié sanctifie les airs infestés de la présence des esprits de malice ; il faut que le Médiateur de Dieu et des hommes, le souverain Prêtre et intercesseur, soit établi entre le ciel et la terre, pour traiter la réconciliation de l’un et de l’autre. À peu de distance de l’endroit où la Croix est étendue, on a pratiqué un trou dans la roche ; il faut que la Croix y soit enfoncée, afin qu’elle domine toute la colline du Calvaire. C’est le lieu de la douzième Station. Les soldats opèrent avec de grands efforts la plantation de l’arbre du salut. La violence du contre‑coup vient encore accroître les douleurs de Jésus dont le corps tout entier est déchiré, et qui n’est soutenu que sur les plaies de ses pieds et de ses mains. Le voila exposé nu aux yeux de tout un peuple, lui qui est venu en ce monde pour couvrir la nudité que le péché avait causée en nous. Au pied de la Croix, les soldats se partagent ses vêtements ; ils les déchirent et en font quatre parts ; mais un sentiment de terreur les porte à respecter la tunique. Selon une pieuse tradition, Marie l’avait tissée de ses mains virginales. Ils la jettent au sort, sans l’avoir rompue ; et elle devient ainsi le symbole de l’unité de l’Église que l’on ne doit jamais rompre sous aucun prétexte.

Au-dessus de la tête du Rédempteur est écrit en hébreu, en grec et en latin : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Tout le peuple lit et répète cette inscription ; il proclame ainsi de nouveau, sans le vouloir, la royauté du fils de David. Les ennemis de Jésus l’ont compris ; ils courent demander à Pilate que cet écriteau soit changé ; mais ils n’en reçoivent d’autre réponse que celle-ci : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » (s. Jean 19, 22) Une circonstance que la tradition des Pères nous a transmise, annonce que ce Roi des Juifs, repoussé par son peuple, n’en régnera qu’avec plus de gloire sur les nations de la terre qu’il a reçues de son Père en héritage. Les soldats, en plantant la Croix dans le sol, l’ont disposée de sorte que le divin crucifié tourne le dos à Jérusalem, et étend ses bras vers les régions de l’occident. Le Soleil de la vérité se couche sur la ville déicide et se lève en même temps sur la nouvelle Jérusalem, sur Rome, cette fière cité, qui a la conscience de son éternité, mais qui ignore encore qu’elle ne sera éternelle que par la Croix.

L’arbre de salut, en plongeant dans la terre, a rencontré une tombe ; et cette tombe est celle du premier homme. Le sang rédempteur coulant le long du bois sacré descend sur un crâne desséché ; et ce crâne est celui d’Adam, le grand coupable dont le crime a rendu nécessaire une telle expiation. La miséricorde du Fils de Dieu vient planter sur ces ossements endormis depuis tant de siècles le trophée du pardon, pour la honte de Satan, qui voulut un jour faire tourner la création de l’homme à la confusion du Créateur. La colline sur laquelle s’élève l’étendard de notre salut s’appelait le Calvaire, nom qui signifie un Crâne humain ; et la tradition de Jérusalem porte que c’est en ce lieu que fut enseveli le père des hommes et le premier pécheur. Les saints Docteurs des premiers siècles ont conservé à l’Église la mémoire d’un fait si frappant ; saint Basile, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome, saint Épiphane, saint Jérôme, joignent leur témoignage à celui d’Origène, si voisin des lieux ; et les traditions de l’iconographie chrétienne s’unissant à celles de la piété, on a de bonne heure adopté la coutume de placer, en mémoire de ce grand fait, un crâne humain au pied de l’image du Sauveur en croix.

Mais levons nos regards vers cet Homme-Dieu, dont la vie s’écoule si rapidement sur l’instrument de son supplice. Le voilà suspendu dans les airs, à la vue de tout Israël, « comme le serpent d’airain que Moïse avait offert aux regards du peuple dans le désert » (s. Jean 3, 14) ; mais ce peuple n’a pour lui que des outrages. Leurs voix insolentes et sans pitié montent jusqu’à lui : « Toi qui détruis le temple de Dieu, et le rebâtis en trois jours, délivre-toi maintenant ; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix, si tu peux. » (s. Matth. 27, 40) Puis les indignes pontifes du judaïsme enchérissent encore sur ces blasphèmes : « Il est le sauveur des autres, et il ne peut se sauver lui-même ! Allons ! Roi d’Israël, descends de la croix, et nous croirons en toi ! Tu as mis ta confiance en Dieu ; c’est à lui de te délivrer. N’as-tu pas dit : Je suis le Fils de Dieu ? » (s. Matth. 27, 42, 43) Et les deux voleurs crucifiés avec lui s’unissaient à ce concert d’outrages.

Jamais la terre, depuis quatre mille ans, n’avait reçu de Dieu un bienfait comparable à celui qu’il daignait lui accorder à cette heure ; et jamais non plus l’insulte à la majesté divine n’était montée vers elle avec tant d’audace. Nous chrétiens, qui adorons celui que les Juifs blasphèment, offrons-lui en ce moment la réparation à laquelle il a tant de droits. Ces impies lui reprochent ses divines paroles, et les tournent contre lui : rappelons-lui à notre tour celle-ci qu’il a dite aussi, et qui doit remplir nos cœurs d’espérance : « Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » ( s. Jean 12, 32) Le moment est venu, Seigneur Jésus, de remplir votre promesse ; attirez-nous à vous. Nous tenons encore à la terre ; nous y sommes enchaînés par mille intérêts et par mille attraits ; nous y sommes captifs de l’amour de nous-mêmes, et sans cesse notre essor vers vous en est arrêté ; soyez l’aimant qui nous attire et qui rompe nos liens, afin que nous montions jusqu’à vous, et que la conquête de nos âmes vienne enfin consoler votre cœur oppressé.

Cependant on est arrivé au milieu du jour ; il est la sixième heure, celle que nous appelons midi. Le soleil qui brillait au ciel, comme un témoin insensible, refuse tout à coup sa lumière ; et une nuit épaisse étend ses ténèbres sur la terre entière. Les étoiles paraissent au ciel, les mille voix de la nature s’éteignent et le monde semble prêt à retomber dans le chaos. On dit que le célèbre Denys de l’Aréopage d’Athènes, qui fut plus tard l’heureux disciple du Docteur des Gentils, s’écria, au moment de cette affreuse éclipse : « Ou le Dieu de la nature est dans la souffrance, ou la machine de ce monde est au moment de se dissoudre ». Phlégon, auteur païen, qui écrivait un siècle après, rappelle encore l’épouvante que répandirent dans l’empire romain ces ténèbres inattendues, dont l’invasion vint tromper tous les calculs des astronomes.

Un phénomène si imposant, témoignage trop visible du courroux céleste, glace de crainte les plus audacieux blasphémateurs. Le silence succède à tant de clameurs. C’est alors que celui des deux voleurs, dont la croix était à la droite de celle de Jésus, sent le remords et l’espérance naître à la fois dans son cœur. Il ose reprendre son compagnon avec lequel tout à l’heure il insultait l’innocent : « Ne crains-tu point Dieu, lui dit-il, toi non plus qui subis la même condamnation ? Pour nous, c’est justice ; car nous recevons ce que nos actions méritent ; mais celui-ci, il n’a rien fait de mal. » Jésus défendu par un voleur, en ce moment où les docteurs de la loi juive, ceux qui sont assis dans la chaire de Moïse, n’ont pour lui que des outrages ! Rien ne fait mieux sentir le degré d’aveuglement auquel la Synagogue est arrivée. Dimas, ce larron, cet abandonné, figure en ce moment la gentilité qui succombe sous le poids de ses crimes, mais qui bientôt se purifiera en confessant la divinité du crucifié. Il tourne péniblement sa tête vers la Croix de Jésus, et s’adressant au Sauveur : « Seigneur, dit-il, souvenez-vous de moi quand vous serez entré dans votre royaume ». Il croit à la royauté de Jésus, à cette royauté que les prêtres et les magistrats de sa nation tournaient tout à l’heure en dérision. Le calme divin, la dignité de l’auguste victime sur le gibet, lui ont révélé toute sa grandeur ; il lui donne sa foi, il implore d’elle avec confiance un simple souvenir, lorsque la gloire aura succédé à l’humiliation. Quel chrétien la grâce vient de faire de ce larron ! Et cette grâce, qui oserait dire qu’elle n’a pas été demandée et obtenue par la Mère de miséricorde, en ce moment solennel où elle s’offre dans un même sacrifice avec son fils ? Jésus est ému de rencontrer dans un voleur supplicié pour ses crimes cette foi qu’il a cherchée en vain dans Israël ; il répond à son humble prière : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis. » (s. Luc 23, 43) C’est la deuxième parole de Jésus sur la Croix. L’heureux pénitent la recueille dans la joie de son cœur ; il garde désormais le silence, et attend dans l’expiation l’heure fortunée qui doit le délivrer.

Cependant Marie s’est approchée de la Croix sur laquelle Jésus est attaché. Il n’est point de ténèbres pour le cœur d’une mère qui l’empêchent de reconnaître son fils. Le tumulte s’est apaisé depuis que le soleil a dérobé sa lumière, et les soldats ne mettent pas obstacle à ce douloureux rapprochement. Jésus regarde tendrement Marie, il voit sa désolation ; et la souffrance de son cœur, qui semblait arrivée au plus haut degré, s’en accroît encore. Il va quitter la vie ; et sa mère ne peut monter jusqu’à lui, le serrer dans ses bras, lui prodiguer ses dernières caresses ! Madeleine est là aussi, éplorée, hors d’elle-même. Les pieds de son Sauveur qu’elle aimait tant, qu’elle arrosait encore de ses parfums il y a quelques jours, ils sont blessés, noyés dans le sang qui en a jailli et qui déjà se fige sur les plaies. Elle peut encore les baigner de ses larmes ; mais ses larmes ne les guériront pas. Elle est venue pour voir mourir celui qui récompensa son amour par le pardon. Jean le bien-aimé, le seul Apôtre qui ait suivi son maître jusqu’au Calvaire, est abîmé dans sa douleur ; il se rappelle la prédilection que Jésus daigna lui témoigner, hier encore, au festin mystérieux ; il souffre pour le fils, il souffre pour la mère ; mais son cœur ne s’attend pas au prix inestimable dont Jésus a résolu de payer son amour. Marie de Cléophas a accompagné Marie près de la Croix ; les autres femmes forment un groupe à quelque distance (s. Matth. 27, 55).

Tout à coup, au milieu d’un silence qui n’était interrompu que par des sanglots, la voix de Jésus mourant a retenti pour la troisième fois. C’est à sa mère qu’il s’adresse : « Femme, lui dit-il » ; car il n’ose l’appeler sa mère, afin de ne pas retourner le glaive dans la plaie de son cœur ; « Femme, voilà votre fils ». Il désignait Jean par cette parole. Puis il ajoute, en s’adressant à Jean lui-même : « Fils, voilà votre mère ». (s. Jean 19, 26) Échange douloureux au cœur de Marie, mais substitution fortunée qui assure pour jamais à Jean, et en lui à la race humaine, le bienfait d’une mère. Nous avons exposé cette scène avec plus de détail, au Vendredi de la semaine de la Passion. Aujourd’hui, en cet anniversaire, acceptons ce généreux testament de notre Sauveur, qui par son incarnation nous avait procuré l’adoption de son Père céleste. et dans ce moment nous fait don de sa propre mère.

Déjà la neuvième heure (trois heures de l’après-midi) approche ; c’est celle que les décrets éternels ont fixée pour le trépas de l’Homme-Dieu. Jésus éprouve en son âme un nouvel accès de ce cruel abandon qu’il a ressenti dans le jardin. Il sent tout le poids de la disgrâce de Dieu qu’il a encourue en se faisant caution pour les pécheurs. L’amertume du calice de la colère de Dieu, qu’il lui faut boire jusqu’à la lie, lui cause une défaillance qui s’exprime par ce cri plaintif : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous abandonné ? » (s. Matth. 27, 46) C’est la quatrième parole ; mais cette parole ne ramène pas la sérénité au ciel. Jésus n’ose plus dire : « Mon Père ! » on dirait qu’il n’est plus qu’un homme pécheur, au pied du tribunal inflexible de Dieu. Cependant une ardeur dévorante consume ses entrailles, et de sa bouche haletante s’échappe à grand’peine cette parole qui est la cinquième : « J’ai soif » (s. Jean 19, 28). Un des soldats vient présenter à ses lèvres mourantes une éponge imbibée de vinaigre ; c’est tout le soulagement que lui offre dans sa soif brûlante cette terre qu’il rafraîchit chaque jour de sa rosée, et dont il a fait jaillir les fontaines et les fleuves.

Le moment est enfin venu où Jésus doit rendre son âme à son Père. Il parcourt d’un regard les oracles divins qui ont annoncé jusqu’aux moindres circonstances de sa mission ; il voit qu’il n’en est pas un seul qui n’ait reçu son accomplissement, jusqu’à cette soif qu’il éprouve, jusqu’à ce vinaigre dont on l’abreuve. Proférant alors la sixième parole, il dit : « Tout est consommé ». (S. Jean 19, 28) Il n’a donc plus qu’à mourir, pour mettre le dernier sceau aux prophéties qui ont annoncé sa mort comme le moyen final de notre rédemption. Mais il faut qu’il meure en Dieu. Cet homme épuisé, agonisant, qui tout à l’heure murmurait à peine quelques paroles, pousse un cri éclatant qui retentit au loin, et saisit à la fois de crainte et d’admiration le centurion romain qui commandait les gardes au pied de la Croix. « Mon Père ! s’écrie-t-il, je remets mon esprit entre vos mains ». (s. Luc 23, 40) Après cette septième et dernière parole, sa tête s’incline sur sa poitrine, d’où s’échappe son dernier soupir.

À ce moment terrible et solennel, les ténèbres cessent, le soleil reparaît au ciel ; mais la terre tremble, les pierres éclatent, la roche même du Calvaire se fend entre la Croix de Jésus et celle du mauvais larron ; la crevasse violente est encore visible aujourd’hui. Dans le Temple de Jérusalem, un phénomène effrayant vient épouvanter les piètres juifs. Le voile du Temple qui cachait le Saint des Saints se déchire de haut en bas, annonçant la fin du règne des figures. Plusieurs tombeaux où reposaient de saints personnages s’ouvrent d’eux-mêmes, et les morts qu’ils contenaient vont revenir à la vie. Mais c’est surtout au fond des enfers que le contre-coup de cette mort qui sauve le genre humain se fait sentir. Satan comprend enfin la puissance et la divinité de ce Juste contre lequel il a imprudemment ameuté les passions de la Synagogue. C’est son aveuglement qui a fait répandre ce sang dont la vertu délivre le genre humain, et lui rouvre les portes du ciel. Il sait maintenant à quoi s’en tenir sur Jésus de Nazareth, dont il osa approcher au désert pour le tenter. Il reconnaît avec désespoir que ce Jésus est le propre Fils de l’Éternel, et que la rédemption refusée aux anges rebelles vient d’être accordée surabondante à l’homme, par les mérites du sang que lui-même Satan a fait verser sur le Calvaire.

Fils adorable du Père, nous vous adorons expiré sur le bois de votre sacrifice. Votre mort si amère nous a rendu la vie. Nous frappons nos poitrines, à l’exemple de ces Juifs qui avaient attendu votre dernier soupir, et qui rentrent dans la ville émus de componction. Nous confessons que ce sont nos péchés qui vous ont arraché violemment la vie ; daignez recevoir nos humbles actions de grâces pour l’amour que vous nous avez témoigné jusqu’à la fin. Vous nous avez aimés en Dieu ; désormais c’est à nous de vous servir comme rachetés par votre sang. Nous sommes en votre possession, et vous êtes notre Seigneur. Voici que votre sainte Église nous convoque au service divin ; il nous faut descendre du Calvaire, pour nous joindre à elle et célébrer vos louanges. Bientôt nous reviendrons près de votre corps inanimé ; nous assisterons à vos funérailles, et nous les accompagnerons de nos regrets et de nos larmes. Marie, votre mère, demeure au pied de la Croix ; rien ne la peut séparer de votre dépouille mortelle. Madeleine est enchaînée à vos pieds glacés par la mort ; Jean et les saintes femmes forment autour de vous un cortège de désolation. Nous adorons encore une fois votre corps sacré, votre sang précieux, votre Croix qui nous a sauvés.

Le soir

Retournons sur le Calvaire achever cette journée du deuil universel. Nous y avons laissé Marie, en la compagnie de Madeleine, de Jean et des autres saintes femmes. Une heure s’est à peine écoulée depuis le moment où Jésus a rendu le dernier soupir, et voici que des soldats, conduits par un centurion, viennent troubler du bruit de leurs pas et de leurs voix le silence qui régnait sur la colline. Ils sont chargés d’un commandement de Pilate. Sur la demande des princes des prêtres, le gouverneur a ordonné que l’on achève les trois crucifiés, en leur brisant les jambes, qu’on les détache de la croix, et qu’ils soient ensevelis avant la nuit. Les Juifs comptaient les jours à partir du coucher du soleil ; bientôt donc va commencer le grand Samedi. Les soldats s’avancent vers les croix ; ils vont d’abord aux deux larrons, auxquels ils brisent les jambes. Ce dernier tourment achève leur existence ; Dimas expire avec résignation, confiant dans la promesse de Jésus ; son compagnon, obstiné dans le blasphème, meurt sans consolation. C’est maintenant vers la Croix du Rédempteur que se dirigent les soldats ; le cœur de Marie frémit à leur approche ; quel nouvel outrage ces hommes barbares réservent-ils au corps ensanglanté de son fils ? Ils inspectent le divin supplicié, et constatent que la vie a déjà cessé en lui ; cependant, pour s’assurer de la mort, l’un d’eux brandit sa lance et l’enfonce dans le flanc droit de la victime. Le fer pénètre jusqu’au cœur ; et quand le soldat le retire, du sang et de l’eau coulent de cette dernière plaie. C’est la cinquième effusion du sang rédempteur ; et c’est aussi la cinquième des plaies que Jésus reçut sur la Croix. Mais réservons le touchant mystère du Cœur ouvert de notre Sauveur, pour le jour où l’Église le proposera spécialement à notre adoration.

Marie a senti jusqu’au fond de son âme la pointe de cette lance cruelle ; les pleurs et les sanglots redoublent autour d’elle. Comment donc finira cette lamentable journée ? Quelles mains descendront de la Croix l’innocent Agneau qui y demeure suspendu ? Qui le rendra enfin à sa mère ? Les soldats se retirent, et parmi eux Longin, celui qui a osé porter le coup de lance, et qui sent déjà en lui-même un mouvement inconnu, présage de la foi dont il doit être un jour le martyr. Mais voici d’autres hommes qui s’avancent. Un noble juif, Joseph d’Arimathie, un vénérable docteur, Nicodème, gravissent respectueusement la colline, et s’arrêtent avec émotion au pied de la Croix de Jésus. Marie fixe sur eux un regard de reconnaissance. Ils sont venus pour remettre en ses bras maternels le corps de son fils, et pour rendre ensuite à leur maître les honneurs de la sépulture. Ces fidèles disciples sont munis de l’autorisation du gouverneur ; Pilate a accordé à Joseph le corps de Jésus.

On se hâte de détacher de la Croix les membres du Juste ; car le temps est court, le soleil est sur son déclin, et la première heure du Sabbat est proche. Près du lieu où est plantée la Croix, au bas du monticule, se trouve un jardin, et dans ce jardin une chambre sépulcrale taillée dans le roc. Aucun corps n’a été placé jusqu’ici dans ce tombeau. C’est là que Jésus va reposer. Joseph et Nicodème, chargés du précieux fardeau, descendent de la colline et déposent le corps sacré sur un quartier de roche, à peu de distance du sépulcre. C’est là que la mère de Jésus reçoit de leurs mains le fils de sa tendresse ; c’est là qu’elle arrose de ses larmes, qu’elle parcourt de ses baisers tant de plaies cruelles dont son corps est couvert. Jean, Madeleine et les autres saintes femmes compatissent à la Mère des douleurs ; mais l’heure presse d’embaumer ces restes inanimés. Sur cette pierre qui s’appelle aujourd’hui encore la Pierre de l’onction, et qui marque la treizième Station de la Voie douloureuse, Joseph déploie le linceul qu’il a apporté ( s.Marc 15, 46) ; Nicodème, dont les serviteurs ont pris avec eux, par ses ordres, jusqu’à cent livres de myrrhe et d’aloès (s. Jean 19, 39), dispose les parfums. On lave le sang des blessures ; on enlève doucement la couronne d’épines de la tête du divin roi ; enfin le moment est venu d’envelopper le corps du linceul funèbre. Marie serre une dernière fois dans ses bras la dépouille insensible de son bien-aimé, qui bientôt disparaît à ses regards sous les plis des voiles et sous les bandelettes.

Joseph et Nicodème se lèvent, et reprenant leur noble fardeau, ils le portent dans le sépulcre. C’est la quatorzième Station de la Voie douloureuse. Il y avait deux chambres taillées dans la roche et se communiquant l’une à l’autre ; c’est dans la seconde, sur la main droite, dans une niche pratiquée au ciseau, qu’ils étendent le corps du Sauveur. Ils sortent promptement ; et réunissant leurs efforts, ils roulent à l’entrée du monument une grande pierre carrée qui doit servir de porte, et que bientôt, à la demande des ennemis de Jésus, l’autorité publique viendra sceller de son sceau et protéger par un poste de soldats romains.

Cependant le soleil est sur le point de disparaître au couchant, et le grand Samedi va s’ouvrir avec ses sévères prescriptions. Madeleine et les autres femmes ont observé les lieux et la disposition du corps dans le sépulcre. Elles suspendent leurs plaintives lamentations, et descendent en hâte à Jérusalem. Leur dessein est d’acheter des parfums et de les préparer ; afin que, lorsque le Sabbat sera passé, elles puissent revenir au tombeau, dès le dimanche, au grand matin, et compléter l’embaumement trop précipité du corps de leur maître. Marie, après avoir salué une dernière fois le tombeau qui renferme le cher objet de sa tendresse, suit le cortège de deuil qui se dirige vers la ville. Jean, son fils d’adoption, est près d’elle. Dès cette heure, cet heureux mortel est devenu le gardien de celle qui, sans cesser d’être la Mère de Dieu, devient en lui la Mère des hommes. Mais au prix de quelles angoisses elle a obtenu ce nouveau titre ! quelle blessure son cœur a reçue au moment où nous lui avons été confiés ! Tenons-lui, nous aussi, fidèle compagnie durant ces cruelles heures qui doivent s’écouler jusqu’au moment où la résurrection de Jésus viendra consoler son immense douleur.

Mais nous ne quitterons pas votre sépulcre, ô Rédempteur, sans y déposer le tribut de nos adorations et l’amende honorable de notre repentir. Vous voilà donc, ô Jésus, le captif de la mort ! Cette fille du péché a donc étendu sur vous son empire. Vous vous êtes soumis à la sentence portée contre nous, et vous avez daigné nous devenir semblable jusqu’au tombeau. Quelle réparation pourrait égaler l’humiliation que vous subissez en cet état qui nous était dû, mais qui n’est devenu le vôtre, ô souverain auteur de la vie, que par l’amour que vous nous avez porté ? Les saints Anges qui font la garde autour de cette pierre sur laquelle sont étendus vos membres glacés, s’étonnent que vous ayez pu aimer à un tel excès l’homme, cette chétive et ingrate créature. Jusqu’alors ils n’avaient pas compris l’infinie bonté de celui qui les a tirés comme nous du néant. Ce n’est pas pour leurs frères tombés que vous avez subi la mort ; c’est pour nous, les derniers de la création. Mais quel indissoluble lien forme désormais entre vous et nous ce sacrifice que vous venez d’offrir ? C’est pour nous que vous mourez ; c’est donc pour vous maintenant que nous devons vivre. Nous vous le promettons, ô Jésus, sur ce tombeau que nos péchés avaient creusé pour vous. Nous aussi, nous voulons mourir, mourir au péché et vivre à votre grâce. Nous suivrons désormais vos préceptes et vos exemples ; nous nous éloignerons du péché, qui nous a rendus responsables de votre mort si amère et si douloureuse. Nous recevons, en union de votre Croix, toutes les croix, si légères en comparaison, dont la vie humaine est semée. Enfin, nous acceptons de mourir à notre tour, lorsque le moment sera venu de subir la sentence si méritée que la justice de votre Père a prononcée contre nous. Vous avez adouci par votre mort ce moment si redoutable à la nature. Par vous, la mort n’est plus qu’un passage à la vie ; et de même qu’en ce moment nous nous séparons de votre sépulcre avec l’espoir prochain de saluer bientôt votre glorieuse résurrection ; de même, en laissant à la terre sa dépouille mortelle, notre âme, pleine de confiance, montera vers vous, avec l’espoir de se réunir un jour à cette poussière coupable que la tombe doit rendre après l’avoir purifiée.

Les autres liturgies

Nous plaçons à la fin de cette journée quelques strophes empruntées à la Liturgie de l’Église Grecque, en l’Office du grand Vendredi.

Aujourd’hui est attaché à la Croix celui qui a suspendu la terre au‑dessus des eaux. On met une couronne d’épines à celui qui est le roi des Anges ; on revêt d’une pourpre dérisoire celui qui a étendu les nuages sur le ciel. On donne un soufflet à celui qui, dans le Jourdain, a rendu la liberté à Adam. L’Époux de l’Église est percé de clous ; le fils de la Vierge est traversé d’une lance ; nous adorons vos souffrances, ô Christ ! Manifestez-nous aussi votre glorieuse résurrection.

La brebis voyait traîner son agneau à la mort ; Marie affligée suivait avec les autres femmes ; elle s’écriait : Mon fils, où allez-vous ? pourquoi cette marche si rapide ? Y a-t-il encore des noces à Cana, et vous y rendez-vous en hâte pour y changer de nouveau l’eau en vin ? Irai-je avec vous, mon fils, ou vous attendrai-je ? O Verbe, dites-moi une parole ; ne passez pas sans me répondre, vous qui, dans votre naissance, m’avez conservée chaste, ô mon fils et mon Dieu !

Chacun des membres de votre corps sacré a souffert son outrage à cause de nous, ô Christ ! La tête a enduré les épines ; le visage, les crachats ; les joues, les soufflets ; la bouche, le vinaigre mêlé de fiel ; les oreilles, d’impies blasphèmes ; le dos, des coups de fouet ; la main, le roseau ; le corps tout entier, l’extension violente sur la Croix ; les membres, les clous ; et le côté, la lance. Vous qui avez souffert pour nous, qui par votre souffrance nous avez rendus à la liberté, qui par vos travaux pour les hommes nous avez élevés en vous abaissant, Sauveur tout-puissant, ayez pitié de nous !

Aujourd’hui la Vierge sans tache vous considérant sur la Croix, ô Verbe, était émue de douleur dans ses entrailles maternelles. Une blessure amère transperçait son cœur, et du fond de son âme désolée elle s’écriait d’un ton plaintif : Divin Fils, hélas ! lumière du monde, hélas ! pourquoi avez‑vous disparu de mes regards, Agneau de Dieu ? L’armée des Esprits bienheureux était saisie de terreur. Seigneur que nul ne peut comprendre, gloire a vous !

Lorsque vous montâtes sur la Croix, Seigneur, la crainte et le tremblement se répandirent sur toute créature. Vous défendîtes à la terre d’engloutir ceux qui vous crucifiaient, et vous permîtes à la tombe de rendre ses captifs. O Juge des vivants et des morts, vous êtes venu pour donner la vie et non la mort. Ami des hommes, gloire à vous !

La Liturgie de l’antique Église Gallicane nous fournit, dans son Office d’aujourd’hui, cette éloquente et touchante prière.

O heure salutaire de la Passion ! heure de None, signalée par la plus grande des grâces, ô la plus célèbre des heures ! À ce moment, ô notre Époux aimé, donnez-nous le baiser du haut de votre Croix, après avoir triomphé par elle. Nous l’implorons, ce baiser ; accordez-nous le salut qui vient de vous seul, admirable triomphateur, qui conduisez votre char avec tant de noblesse, Dieu clément, notre glorieux champion ! Dites-nous : Hommes, je vous envoie le salut ; reprenez vos forces et combattez vaillamment ; soyez fermes et robustes. O Christ qui pénétrez nos cœurs, daignez leur parler. Vous qui aujourd’hui accomplîtes une telle œuvre, ne pouvez-vous la renouveler à ce moment ? Oui, vous le pouvez ; car vous êtes tout-puissant. Vous le pouvez ; car vous êtes plein d’amour ; et votre puissance s’élève au-dessus de nos pensées. Rien ne vous est impossible, ô Dieu tout-puissant ! Vous qui êtes remonté triomphant vers le Père, avec lequel vous demeurâtes toujours, et qui est avec vous une même chose, Jésus très aimé, donnez-nous votre baiser ; car votre baiser est doux, et vos caresses plus délicieuses que le vin, plus suaves que les meilleurs parfums. Votre nom est une essence odorante ; les jeunes filles qui représentent les âmes vous ont donné leur amour ; les cœurs droits vous aiment, et vous les entraînez après vous. Votre lit est couvert de fleurs ; son pavillon est la Croix. C’est à cette heure que vous arrivez d’Edom, c’est-à-dire de votre Croix, vos vêtements ayant changé de couleur à Bosra. Après avoir foulé seul le grand pressoir, vous monterez au ciel ; les Anges et les Archanges diront : Quel est celui qui arrive de Bosra, avec ses vêtements dont la couleur est changée ? À cette demande : Pourquoi votre vêtement est-il empourpré ? vous répondrez : À moi seul j’ai foulé le pressoir, et, de toutes les nations, nul homme n’a partagé mon travail. Oui, votre corps, ô Sauveur, a été pour nous empourpré ; vous avez lavé votre tunique dans le vin, et votre manteau dans le sang de la grappe. Vous qui êtes le seul Dieu, vous avez été crucifié pour nous, que l’antique prévarication avait livrés à la mort ; vos blessures ont guéri les blessures innombrables que nous avaient faites nos péchés. O Christ crucifié, dans votre bonté faites-nous part de votre rédemption, avec ceux qui vous sont le plus chers. Dieu plein de miséricorde, sauvez-nous ; vous qui régnez avec le Père et le Saint‑Esprit, en l’unité, à jamais, dans les siècles des siècles.

 

Le Samedi Saint

À l’office de la nuit

Les cérémonies particulières que pratique la sainte Église à l’Office des Ténèbres, ayant été expliquées ci-dessus, et ne présentant aucune différence dans ces trois jours, il est inutile d’en transcrire ici de nouveau les détails et les explications. Le lecteur les trouvera, en tête de L’Office de la nuit du Jeudi saint.

Au premier nocturne

Le premier Psaume est un de ceux que l’Église emploie chaque jour dans l’Office des Complies, parce qu’il exprime la confiance avec laquelle le chrétien se livre au sommeil. Aujourd’hui il est destiné à rappeler le repos du Christ dans le sépulcre, où il dort assuré de son prochain réveil.

Ant. In pace in idipsum dormiam et requiescam.
Ant. Je dormirai et me reposerai dans la paix.

Psaume 4

Cum invocarem exaudivit me Deus iustitiae meae : * in tribulatione dilatasti mihi.  Au milieu de ma prière, le Dieu de ma justice m’a exaucé ; vous m’avez mis au large, quand j’étais dans l’affliction.
Miserere mei : * et exaudi orationem meam. Ayez pitié de moi, et exaucez ma prière.
Filii hominum, usquequo gravi corde ? * ut quid diligitis vanitatem, et quaeritis mendacium ? Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti, aimerez-vous la vanité, et chercherez-vous le mensonge ?
Et scitote quoniam mirificavit Dominus sanctum suum : * Dominus exaudiet me, cum clamavero ad eum. Sachez que le Seigneur a rendu admirable celui qui lui est consacré : le Seigneur m’exaucera quand je crierai vers lui.
Irascimini, et nolite peccare : * quae dicitis in cordibus vestris, in cubilibus vestris compungimini. Si vous vous irritez, faites-le sans pécher ; repassez avec componction, dans le repos de votre couche, les pensées de vos cœurs.
Sacrificate sacrificium justitine, et sperate in Domino : * multi dicunt : Quis ostendit nobis bona ? Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. Il en est plusieurs qui disent : Qui nous montrera le bonheur que nous cherchons ?
Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine : * dedisti laetitiam in corde meo. La lumière de votre visage, Seigneur, a daigné luire sur nous : c’est vous qui donnez la joie à mon cœur.
A fructu frumenti, vini et olei sui : * multiplicati sunt. Pour eux, la richesse est dans l’abondance du vin, de l’huile et du froment.
In pace in idipsum : * dormiam et requiescam. Mais moi, je dormirai et me reposerai dans la paix ;
Quoniam tu, Domine, singulariter in spe : * constituisti me. Parce que vous seul, Seigneur, m avez affermi dans l’espérance.

Ant. In pace in idipsum dormiam et requiescam.
Ant. Je dormirai et me reposerai dans la paix.

Le deuxième Psaume célèbre le bonheur réservé à l’homme juste, et le repos qui sera sa récompense, après son labeur. L’Église en fait l’application au Christ, le Juste par excellence, qui a passé en faisant le bien.

Ant. Habitabit in tabernaculo tuo : requiescet in monte sancto tuo.
Ant. Il habitera dans votre tabernacle, il se reposera sur votre montagne sainte.

Psaume 14

Domine, quis habitabit in tabernaculo tuo ? * aut quis requiescet in monte sancto tuo ? Seigneur, qui sera digne d’habiter dans votre tabernacle, et de se reposer sur votre montagne sainte ?
Qui ingreditur sine macula : * et operatur justitiam. Celui qui marche dans l’innocence et qui pratique la justice ;
Qui loquitur veritatem in corde suo : * qui non egit dolum in lingua sua. Celui dont le cœur parle selon la vérité, et dont la langue ne se livre pas à la tromperie ;
Nec fecit proximo suo malum : * et opprobrium non accepit adversus proximos suos. Celui qui ne fait de tort à personne, et ne prête pas l’oreille aux discours qui déshonorent le prochain ;
Ad nihilum deductus est in conspectu ejus malignus : * timentes autem Dominum glorificat. Celui devant qui le méchant est réduit à l’impuissance, et qui honore ceux qui craignent le Seigneur ;
Qui jurat proximo suo, et non decipit : * qui pecuniam suam non dedit ad usuram, et munera super innocentem non accepit. Celui qui n’élude point le serment qu’il a fait à son prochain ; qui n’a point prêté son argent à usure, et qui n’a pas accepté de présents contre l’innocent.
Qui facit haec : * non movebitur in aeternum. Celui qui agit ainsi sera affermi pour l’éternité.

Ant. Habitabit in tabernaculo tuo : requiescet in monte sancto tuo.
Ant. Il habitera dans votre tabernacle, il se reposera sur votre montagne sainte.

Le troisième Psaume, composé par David, durant son exil, au temps de Saül, est une prophétie de la résurrection du Messie ; et il fut cité, en cette qualité, aux Juifs par saint Pierre, le jour de la Pentecôte. Celui qui parle dans ce divin Cantique dit que sa chair reposera dans l’espérance, et que le Seigneur ne lui laissera point éprouver la corruption du tombeau. Ces circons­tances, qui ne se vérifient pas en David, n’ont rapport qu’au Christ.

Ant. Caro mea requiescet in spe.
Ant. Ma chair reposera dans l’espérance.

Psaume 15

Conserva me, Domine, quoniam speravi te : * dixi Domino, Deus meus es tu, quoniam bonorum meorum non eges. Conservez-moi, Seigneur ; car j’ai mis en vous mon espérance. J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, et vous n’avez pas besoin de mes biens.
Sanctis, qui sunt in terra ejus : * mirificavit omnes voluntates meas in eis. Mais ils peuvent servir aux saints qui sont sur la terre, et en faveur desquels le Seigneur a manifesté mon affection.
Multiplicatae sunt infirmitates eorum : * postea acceleraverunt. Que d’autres multiplient leurs infirmités, et qu ils se hâtent de courir après la vanité ;
Non congregabo conventicula eorum de sanguinibus : * nec memor ero nominum eorum per labia mea. Pour moi, je ne prendrai point part à leurs sacrifices sanglants ; et mes lèvres ne prononceront pas même leurs noms.
Dominus pars haereditatis meae, et calicis mei : * tu es qui restitues haereditatem meam mihi. Le Seigneur est mon partage et mon calice ; c’est vous-même, ô Dieu, qui me rendrez mon héritage.
Funes ceciderunt mihi in praeclaris : * etenim haereditas mea praeclara est mihi. La part qui m’est échue est excellente ; et mon héritage m’est glorieux.
Benedicam Dominum, qui tribuit mihi intellectum : * insuper et usque ad noctem increpuerunt me renes mei. Je bénirai le Seigneur qui m’a donné l’intelligence ; et jusque dans la nuit, les mouvements de mon cœur m’ont agité.
Providebam Dominum in conspectu meo semper : * quoniam a dextris est mihi, ne commovear. J’avais toujours le Seigneur présent à ma pensée ; car il est à ma droite, de peur que je ne sois ébranlé.
Propter hoc laetatum est cor meum, et exsultavit lingua mea : * insuper et caro mea requiescet in spe. C’est pour cela que mon cœur est dans la joie, et ma langue dans l’allégresse ; c’est pour cela que ma chair reposera dans l’espérance.
Quoniam non derelinques animam meam in inferno : * nec dabis Sanctum tuum videre corruptionem. Car vous ne laisserez pas mon âme dans les lieux bas de la terre ; et vous ne permettrez pas que votre Saint éprouve la corruption du tombeau.
Notas mihi fecisti vias vitae, adimplebis me laetitia cum vultu tuo : * delectationes in dextera tua usque in finem. Vous me découvrirez les sentiers de la vie ; vous me comblerez de joie par votre présence : et vous me ferez goûter à votre droite des délices éternelles.

Ant. Caro mea requiescet in spe.
Ant. Ma chair reposera dans l’espérance.

  1. In pace in idipsum.
    R. Dormiam et requiescam.

V/. Je dormirai dans la paix,
R/. Et j’y prendrai mon repos.

Les Leçons du premier Nocturne continuent d’être empruntées aux Lamentations de Jérémie. La première a rapport au Christ. Elle exprime sa fidélité à Dieu et sa touchante résignation. Les soufflets qu’il reçut durant sa Passion, y sont prédits.

Des Lamentations du Prophète Jérémie. Chap. 3

Première Leçon

Heth. Si nous n’avons pas été entièrement détruits, c’est l’effet des miséricordes du Seigneur ; c’est que sa compassion est sans bornes.

Heth. Vous renouvelez chaque jour vos bontés, Seigneur ; vous êtes fidèle dans vos promesses.

Heth. Mon âme a dit : Le Seigneur est mon partage ; c’est pourquoi je l’attendrai.

Teth. Le Seigneur est bon envers ceux qui espèrent en lui : il a pitié de l’âme qui le cherche.

Teth. Il est bon d’attendre en silence le salut que Dieu nous promet.

Teth. Il est avantageux à l’homme de porter le joug du Seigneur dès sa jeunesse.

Jod. Il demeurera seul et gardera le silence, parce qu’il s’est chargé de ce joug.

Jod. Il mettra sa bouche dans la poussière, attendant s’il a encore quelque espérance.

Jod. Il tendra la joue à celui qui le frappera : il sera rassasié d’opprobres.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Il a été mené à la mort comme une brebis, et lorsqu’on le maltraitait, il n’a pas ouvert la bouche : il a été livré à la mort, * Pour rendre la vie à son peuple. V/. Il s’est livré à la mort, et il a été mis au rang des scélérats, * Pour rendre la vie à son peuple.

La deuxième Leçon reprend le ton de l’élégie sur les malheurs de Jérusalem. La gravité des crimes de cette cité ingrate y est exprimée dans les termes les plus énergiques.

Deuxième Leçon

Aleph. Comment l’or s’est-il obscurci ? Comment sa couleur éclatante est-elle ternie ? Comment les pierres du sanctuaire ont-elles été dispersées au coin de toutes les rues ?

Beth. Comment les fils de Sion, illustres et couverts de l’or le plus fin, ont-ils été traités comme des vases de terre, ouvrage du potier ?

Ghimel. Les bêtes farouches découvrent leur mamelle, elles allaitent leurs petits ; la fille de mon peuple est donc devenue cruelle comme l’autruche du désert.

Daleth. La langue de l’enfant à la mamelle s’est collée à son palais, dans l’ardeur de sa soif ; les autres enfants ont demandé du pain, et personne n’était là pour leur en donner.

He. Ceux qui se nourrissaient des viandes les plus délicates sont morts de faim dans les rues ; ceux qui prenaient leurs repas sur des lits de pourpre sont maintenant étendus sur le fumier.

Vau. Et l’iniquité de la fille de mon peuple a surpassé le péché de Sodome, qui fut renversée en un instant, sans qu’aucune main eût part à sa ruine.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Lève-toi, Jérusalem, dépouille tes habits de réjouissance ; couvre-toi de la cendre et du cilice ; * Parce que c’est dans ton enceinte qu’on a fait mourir le Sauveur d’Israël. V/. Fais couler tes larmes jour et nuit comme un torrent, et que la prunelle de ton œil ne cesse d’en répandre ; * Parce que c’est dans ton enceinte qu’on a fait mourir le Sauveur d’Israël.

La troisième Leçon est formée d’une partie de la prière que Jérémie adresse à Dieu pour le peuple Juif, après l’avoir vu emmener en captivité. Rien n’égale la désolation du tableau qu’elle retrace des infortunes auxquelles est en proie la nation déicide.

Ici commence la Prière du Prophète Jérémie. Chap. 5

Troisième Leçon

Souvenez-vous, Seigneur, de ce qui nous est arrivé ; regardez et voyez l’opprobre que nous souffrons. Notre héritage a passé à ceux d’un autre pays, nos maisons à des étrangers. Nous sommes devenus comme des orphelins qui n’ont plus de père ; nos mères sont comme des femmes veuves. Nous avons bu notre eau à prix d’argent, payé chèrement le bois qui était à nous. On nous a entraînés la chaîne au cou, sans donner de repos à ceux qui étaient las. Nous avons tendu la main à l’Égypte et aux Assyriens, pour avoir du pain à manger. Nos pères ont péché, et ils ne sont plus ; et nous portons la peine de leur iniquité. Nos esclaves sont devenus nos maîtres ; et il ne s’est trouvé personne pour nous racheter de leurs mains. Nous allions chercher notre pain dans le désert, au travers des épées nues, au péril de notre vie. L’ardeur de la faim a rendu notre peau sèche et noire comme le four. Ils ont déshonoré les femmes dans Sion, et les vierges dans les villes de Juda.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

R/. Pleure, ô mon peuple, comme une jeune femme en deuil ; pasteurs, frémissez dans la cendre et le cilice ; * Car le grand jour du Seigneur est venu, jour plein d’amertume. V/. Prêtres, revêtez-vous de cilices, et pleurez ; ministres de l’autel, couvrez vos têtes de cendre ; * Car le grand jour du Seigneur est venu, jour plein d’amertume. On répète : Pleure.

Au deuxième nocturne

Le quatrième Psaume annonce déjà l’entrée triomphante que doit faire au ciel le Fils de Dieu, lorsqu’il se sera réveillé du sommeil de la tombe.

Ant. Elevamini portae aeternales, et introibit Rex gloriae.
Ant. Portes éternelles, levez-vous, et le Roi de gloire entrera.

Psaume 23

Domini est terra, et plenitudo ejus : * orbis terrarum, et universi qui habitant in eo. La terre est au Seigneur avec tout ce qu’elle contient ; la terre est à lui, et tous ceux qui l’habitent.
Quia ipse super maria fundavit eum : * et super flumina praeparavit eum. Car c’est lui qui l’a fondée au-dessus des mers, et qui l’a établie au-dessus des fleuves.
Quis ascendet in montem Domini : * aut quis stabit in loco sancto ejus ? Qui montera sur la montagne du Seigneur ? Qui pourra demeurer dans son sanctuaire ?
Innocens manibus, et mundo corde : * qui non accepit in vano animam suam, nec juravit in dolo proximo suo. Celui dont les mains sont innocentes, et dont le cœur est pur ; qui n’a point pris son âme en vain, ni fait serment pour tromper son prochain.
Hic accipiet benedictionem a Domino : * et misericordiam a Deo salutari suo. Celui-là recevra du Seigneur la bénédiction, et obtiendra miséricorde de Dieu son Sauveur.
Haec est generatio quaerentium eum : * quaerentium faciem Dei Jacob. Telle est la race de ceux qui le cherchent, de ceux qui cherchent la face du Dieu de Jacob.
Attollite portas principes vestras, et elevamini portae aeternales : * et introibit Rex gloriae. Princes, levez vos portes ; portes éternelles, levez-vous, et le Roi de gloire entrera.
Quis est iste Rex gloriae ? * Dominus fortis et potens, Dominus potens in prœlio. Quel est ce Roi de gloire ? Le Seigneur fort et puissant ; le Seigneur puissant dans les combats.
Attollite portas principes vestras, et elevamini portae aeternales : * et introibit Rex gloriae. Princes, levez vos portes ; portes éternelles, levez-vous, et le Roi de gloire entrera.
Quis est iste Rex gloriae ? * Dominus virtutum ipse est Rex gloriae. Quel est ce Roi de gloire ? Le Seigneur des armées est lui-même ce Roi de gloire.

Ant. Elevamini portae aeternales, et introibit Rex gloriae.
Ant. Portes éternelles, levez-vous, et le Roi de gloire entrera.

Le cinquième Psaume que l’Église a chanté hier pour exprimer le sentiment de confiance qui n’a point abandonné le Messie, durant les épreuves de sa Passion, revient aujourd’hui pour annoncer sa prochaine délivrance. L’Église ne choisit plus pour Antienne le Verset où le Christ se plaint des faux témoins qui ont déposé contre lui ; elle insiste sur celui où il montre l’espérance d’être bientôt arrivé dans la terre des vivants.

Ant. Credo videre bona Domini in terra viventium.
Ant. J’ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Seigneur dans la terre des vivants.

Psaume 26

Dominus illuminatio mea, et salus mea : * quem timebo ? Le Seigneur est ma lumière et mon salut : qui craindrai-je ?
Dominus protestor vitae meae : * a quo trepidabo ? Le Seigneur est le défenseur de ma vie ; qui pourrait m’intimider,
Dum appropiant super me nocentes : *ut edant carnes meas. En ce moment où les méchants m’ont cerné pour me dévorer ?
Qui tribulant me inimici mei : * ipsi infirmati sunt, et ceciderunt. Mes persécuteurs se sont affaiblis, et ils sont tombés.
Si consistant adversum me castra : * non timebit cor meum. Quand même une armée ennemie m’assiégerait, mon cœur serait sans crainte.
Si exsurgat adversum me prœlium : * in hoc ego sperabo. Si elle me déclarait la bataille, c’est alors que je serais plein de confiance.
Unam petii a Domino, hanc requiram * ut inhabitem in domo Domini omnibus diebus vitae meae. Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur ; je la lui demanderai sans cesse : c’est d’habiter dans sa maison tous les jours de ma vie ;
Ut videam voluptatem Domini : * et visitem templum ejus. Afin de goûter les délices du Seigneur, et de contempler les beautés de son temple.
Quoniam abscondit me in tabernaculo suo : * in die malorum protexit me in abscondito tabernaculi sui. Car il me couvrira de l’ombre de son tabernacle ; au jour de mon affliction, il me protégera dans le secret de son temple.
In petra exaltavit me : * et nunc exaltavit caput meum super inimicos meos. Il m’a établi sur le roc ; il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis.
Circuivi, et immolavi in tabernaculo ejus hostiam vociferationis : * cantabo, et psalmum dicam Domino. Après une marche sacrée, j’offrirai dans son tabernacle un sacrifice accompagné de cris de joie ; je chanterai des cantiques au Seigneur.
Exaudi, Domine, vocem meam, qua clamavi ad te : * miserere mei, et exaudi me. Exaucez, Seigneur, le cri que je vous adresse ; ayez pitié de moi, et exaucez-moi.
Tibi dixit cor meum, exquisivit te facies mea : * faciem tuam, Domine, requiram. Mon cœur vous parle : mes yeux vous cherchent : Seigneur, je ne cesserai de chercher votre présence.
Ne avertas faciem tuam a me : * ne declines in ira a servo tuo. Ne détournez pas de moi votre visage ; dans votre colère, ne vous éloignez pas de votre serviteur.
Adjutor meus esto : * ne derelinquas me, neque despicias me, Deus salutaris meus. Soyez mon appui ; ne m’abandonnez pas ; ne me dédaignez pas, ô Dieu de mon salut.
Quoniam pater meus, et mater mea dereliquerunt me : * Dominus autem assumpsit me. Mon père et ma mère m’ont abandonné ; mais le Seigneur a pris soin de moi.
Legem pone mihi, Domine, in via tua : * et dirige me in semitam rectam propter inimicos meos. Enseignez-moi vos sentiers, Seigneur ; dirigez-moi dans la voie droite pour confondre mes ennemis.
Ne tradideris me in animas tribulantium me : * quoniam insurrexerunt in me testes iniqui, et mentita est iniquitas sibi. Ne m’abandonnez pas à la fureur de ceux qui me persécutent ; car de faux témoins se sont élevés contre moi, et l’iniquité s’est menti à elle‑même.
Credo videre bona Domini : * in terra viventium. J’ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Seigneur, dans la terre des vivants.
Exspecta Dominum, viriliter age : * et confortetur cor tuum, et sustine Dominum. Attends le Seigneur, ô mon âme, sois ferme ; fortifie ton courage, et attends le Seigneur.

Ant. Credo videre bona Domini in terra viventium.
Ant. J’ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Seigneur dans la terre des vivants.

Le sixième Psaume annonce que le divin captif de la mort ne tardera pas à sortir des lieux sombres. Le Prophète nous montre le deuil se prolongeant encore jusqu’au soir, et l’allégresse qui doit éclater au matin.

Ant. Domine, abstraxisti ab inferis animam meam.
Ant. Seigneur, vous avez retiré mon âme des lieux bas de la terre.

Psaume 29

Exaltabo te, Domine, quoniam suscepisti me : * nec delectasti inimicos meos super me. Je vous chanterai, Seigneur ; car vous avez pris soin de moi ; et vous n’avez pas voulu faire de moi un sujet de joie pour mes ennemis.
Domine Deus meus, clamavi ad te : * et sanasti me. Seigneur, mon Dieu, j’ai crié vers vous, et vous avez guéri mes plaies.
Domine, eduxisti ab inferno animam meam : * salvasti me a descendentibus in lacum. Seigneur, vous m’avez tiré du tombeau : vous m’avez séparé de ceux qui demeurent dans le sépulcre.
Psallite Domino sancti ejus : * et confitemini memoriae sanctitatis ejus. Saints du Seigneur, chantez ses louanges, et célébrez la sainteté de son nom.
Quoniam ira in indignatione ejus : * et vita in voluntate ejus. Le châtiment est la suite de son indignation, et la vie un effet de sa bonté.
Ad vesperum demorabitur fletus : * et ad matutinum laetitia. Le soir, on était dans les pleurs ; au matin, c’est l’allégresse.
Ego autem dixi in abundantia mea : * Non movebor in aeternum. Lorsque tout m’était favorable, je disais en moi-même : Je ne serai jamais ébranlé.
Domine, in voluntate tua : * praestitisti decori meo virtutem. C’était alors votre bonté, Seigneur, qui me donnait l’éclat de la puissance.
Avertisti faciem tuam a me : * et factus sum conturbatus. Vous avez détourné votre visage de dessus moi ; et je suis tombé dans le trouble.
Ad te, Domine, clamabo : * et ad Deum meum deprecabor. Alors j’ai poussé des cris vers vous, Seigneur ; et j’ai adressé ma prière à mon Dieu.
Quae utilitas in sanguine meo : * dum descendo in corruptionem ? Je lui ai dit : À quoi vous servira mon sang : Que gagnerez-vous si je descends dans la tombe ?
Numquid confitebitur tibi pulvis : * aut annuntiabit veritatem tuam ? Est-ce la poussière qui vous glorifiera, qui annoncera votre vérité ?
Audivit Dominus, et misertus est mei : * Dominus factus est adjutor meus. Le Seigneur m’a entendu, et il a pris pitié de moi : le Seigneur s’est fait mon soutien.
Convertisti planctum meum in gaudium mihi : * conscidisti saccum meum, et circumdedisti me laetitia. Vous avez changé mes gémissements en chants de réjouissance ; vous avez déchiré le sac qui me couvrait, et vous m’avez revêtu d’allégresse ;
Ut cantet tibi gloria mea, et non compungar : * Domine Deus meus, in aeternum confitebor tibi. Afin que je vous chante dans la gloire, et non plus dans l’abattement. Seigneur mon Dieu, je vous célébrerai à jamais.

Ant. Domine, abstraxisti ab inferis animam meam.
Ant. Seigneur, vous avez retiré mon âme des lieux bas de la terre.

  1. Tu autem, Domine, miserere mei.
    R. Et ressuscita me, et retribuam eis.

V/. Mais vous, Seigneur, avez pitié de moi ;
R/. Ressuscitez-moi, et je leur rendrai ce qu’ils méritent.

L’Église continue de lire, au deuxième Nocturne, les Énarrations de saint Augustin sur les Psaumes prophétiques de la Passion du Sauveur.

Du traité de saint Augustin, Évêque, sur les Psaumes.

Quatrième Leçon

L’homme pénétrera le fond du cœur et Dieu sera glorifié. Ils ont dit : Qui nous verra ? Ils se sont épuisés dans la recherche des moyens d’exécuter leurs mauvais desseins. Le Christ comme homme s’est mis à portée de leurs intentions perverses ; car c’était comme homme seulement qu’il leur était possible de le saisir, de le voir, de le maltraiter, de le crucifier ; et il ne pouvait mourir que comme homme. C’est donc comme homme qu’il s’est exposé à toutes ces souffrances, qui ne pouvaient avoir de prise sur lui s’il n’eût été homme ; mais aussi, s’il n’eût été homme, l’homme n’eût jamais été délivré. Cet homme donc a pénétré le fond du cœur, c’est-à-dire les secrètes pensées de ses ennemis, offrant à leurs regards son humanité, leur dérobant sa nature de Dieu, dans laquelle il est égal à son Père ; ne leur laissant voir que la nature de serviteur, par laquelle il est inférieur à son Père.

R/. Notre Pasteur, la source des eaux vives, a disparu ; à son passage, le soleil s’est obscurci : * Celui qui tenait en captivité le premier homme a été fait captif lui-même ; aujourd’hui notre Sauveur a brisé les portes et les verrous du séjour de la mort. V/. Il a détruit les prisons de l’enfer, et il a renversé la puissance du diable. * Celui qui tenait en captivité le premier homme a été fait captif lui-même ; aujourd’hui notre Sauveur a brisé les portes et les verrous du séjour de la mort.

Cinquième Leçon

Jusqu’où n’ont-ils pas porté ces précautions dans lesquelles ils se sont épuisés ? Au point de placer des gardes au sépulcre où le Seigneur avait été enseveli après sa mort. Car ils dirent à Pilate : Ce séducteur. Notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être appelé ainsi, pour la consolation de ses serviteurs, lorsqu’on leur donne ce nom. Ils dirent donc à Pilate : Ce séducteur a dit, lorsqu’il était encore en vie : Je ressusciterai après trois jours. Commandez donc que son sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent l’enlever, et ne disent au peuple : Il est ressuscité d’entre les morts ; et alors la dernière erreur serait pire que la première. Pilate leur répondit : Vous avez des gardes ; allez, faites-le garder comme vous l’entendrez. Ils s’en allèrent donc, fermèrent le sépulcre, scellèrent la pierre, et placèrent des gardes.

R/. O vous tous qui passez par le chemin, considérez et voyez * S’il est une douleur semblable à la mienne. V/. Peuples de la terre, considérez mon affliction, et voyez * S’il est une douleur semblable à la mienne.

Sixième Leçon

Ils placèrent des soldats au sépulcre pour le garder. Cependant la terre tremble, et le Seigneur ressuscite ; il se passe de tels prodiges au sépulcre, que les soldats eux-mêmes qui étaient venus pour la garde, en pouvaient rendre témoignage, s’ils eussent voulu dire la vérité. Mais l’avarice qui avait enchaîné un disciple et compagnon du Christ, enchaîna aussi les soldats du sépulcre. Nous vous donnons cet argent, leur disent les Juifs ; mais dites que ses disciples sont venus pendant que vous dormiez, et ont enlevé son corps. Il est donc bien vrai de dire qu’ils se sont épuisés en vaines recherches. Fourbes indignes, que prétendez-vous ? Avez-vous donc perdu la lumière du bon sens et de la probité ? Êes-vous donc plongés sans retour dans l’abîme du mensonge, pour aller dire à ces gens : Dites que pendant que vous dormiez, ses disciples sont venus, et ont enlevé son corps ? Ainsi les témoins que vous produisez sont des témoins qui dormaient ; vraiment, il faut que vous dormiez vous-mêmes, pour vous être consumés à chercher une telle défaite.

R/. Voilà donc comment le juste meurt, sans que personne s’en émeuve ; les hommes de bien disparaissent, et nul n’y fait attention. Il a été enlevé, le Juste, à cause de l’iniquité des hommes ; * Mais sa mémoire sera conservée en paix. V/. Semblable à l’agneau devant celui qui le tond, il s’est tu et n’a pas ouvert la bouche ; il a été enlevé au milieu des tourments, et après une injuste sentence ; * Mais sa mémoire sera conservée en paix. On répète : Voilà donc.

Au troisieme Nocturne

Le septième Psaume que l’Église chantait hier. en songeant aux poursuites des Juifs contre le Messie, revient aujourd’hui pour annoncer que le triomphe du Fils de David ne tardera pas à éclater, parce que Dieu a pris en main sa cause.

Ant. Deus adjuvat me, et Dominus susceptor est animae meae.
Ant. Mon Dieu vient à mon secours : le Seigneur se rend le protecteur de ma vie.

Psaume 53

Deus, in nomine tuo salvum me fac : * et in virtute tua judica me. O Dieu, pour la gloire de votre nom, sauvez-moi, et déployez votre puissance pour soutenir la justice de ma cause.
Deus, exaudi orationem meam : * auribus percipe verba oris mei. O Dieu. exaucez ma prière : soyez attentif aux paroles de ma bouche.
Quoniam alieni insurrexerunt adversum me, et fortes quaesierunt animam meam : * et non proposuerunt Deum ante conspectum suum. Car des étrangers sont venus fondre sur moi ; des hommes puissants cherchent à m’ôter la vie, et ils n’ont point la crainte de Dieu devant les yeux.
Ecce enim Deus adjuvat me : * et Dominus susceptor est animae meae. Mais voici mon Dieu qui vient à mon secours : le Seigneur se rend protecteur de ma vie.
Averte mala inimicis meis : * et in veritate tua disperde illos. Détournez sur mes ennemis le mal qu’ils veulent me faire : exterminez-les selon la vérité de vos promesses.
Voluntarie sacrificabo tibi : et confitebor nomini tuo, Domine, quoniam bonum est. Je vous offrirai un sacrifice d’actions de grâces, et je célébrerai hautement votre nom, Seigneur ; car il est la bonté.
Quoniam ex omni tribulatione eripuisti me : * et super inimicos meos despexit oculus meus. Vous m’avez arraché à toutes mes tribulations, et par vous mon œil a pu dédaigner tous mes ennemis.

Ant. Deus adjuvat me, et Dominus susceptor est animae meae.
Ant. Mon Dieu vient à mon secours : le Seigneur se rend le protecteur de ma vie.

Le huitième Psaume a été employé par l’Église le Jeudi saint ; il exprimait la prochaine vengeance de Dieu sur les ennemis de son Fils. Il reparaît aujourd’hui, et nous montre le Messie endormi d’un sommeil de paix en Sion. Tout à l’heure il va sortir du tombeau. À leur réveil, ses adversaires qui croyaient le tenir en leur puissance, vont se trouver les mains vides. La terre tremblera, et le Seigneur se lèvera pour être la terreur de ses adversaires et le salut des humbles, qui reconnaîtront sa fidélité à ses paroles.

Ant. In pace factus est locus ejus ; et in Sion habitatio ejus.
Ant. Il a choisi son lieu de repos et sa demeure dans Sion.

Psaume 75

Notus in Judaea Deus : * in Israel magnum nomen ejus. Dieu est connu dans la Judée : son nom est grand en Israël.
Et factus est in pace locus ejus : * et habitatio ejus in Sion. Il a choisi son lieu de repos et sa demeure dans Sion.
Ibi confregit potentias arcuum : * scutum, gladium, et bellum. C’est là qu’il a brisé les arcs, les boucliers, les épées, la guerre elle-même.
Illuminans tu mirabiliter a montibus aeternis : * turbati sunt omnes insipientes corde. De merveilleux éclairs ont jailli des montagnes éternelles : tous les cœurs insensés en ont été troublés.
Dormierunt somnum suum : * et nihil invenerunt omnes vini divitiarum in manibus suis. Ces puissants ont dormi leur sommeil, et en se réveillant, ils ont trouvé que leurs mains étaient vides.
Ab increpatione tua, Deus Jacob : * dormitaverunt qui ascenderunt equos. Votre voix menaçante, ô Dieu de Jacob, a frappé d’assoupissement ceux qui montaient leurs coursiers.
Tu terribilis es, et quis resistet tibi ? * ex tunc ira tua. Vous êtes terrible ; et qui vous résistera ? c’est le moment de votre colère.
De caelo auditum fecisti judicium : * terra tremuit, et quievit. Vous avez fait entendre du haut du ciel votre arrêt ; la terre a tremblé et s’est tenue dans le silence ;
Cum exsurgeret in judicium Deus : * ut salvos faceret omnes mansuetos terrae. Lorsque vous vous leviez pour régner, ô Dieu ! pour sauver tous ceux qui sont humbles et pacifiques sur la terre.
Quoniam cogitatio hominis confitebitur tibi : * et reliquiae cogitationis diem festum agent tibi. L’homme méditera sans cesse et célébrera vos merveilles ; le souvenir de vos œuvres réjouira son cœur comme une fête.
Vovete, et reddite Domino Deo vestro : * omnes qui in circuitu ejus affertis munera. Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les, vous tous qui apportez votre offrande dans ses parvis.
Terribili, et ei qui aufert spiritum principum : * terribili apud reges terrae. Faites des vœux à ce Dieu terrible qui ôte la vie aux princes, et qui se montre redoutable aux rois de la terre.

Ant. In pace factus est locus ejus ; et in Sion habitatio ejus.
Ant. Il a choisi son lieu de repos et sa demeure dans Sion.

Le neuvième Psaume, qui hier faisait partie de l’Office de la nuit, est employé de nouveau aujourd’hui. On y entend le Christ demander à son Père qu’il daigne le retirer d’entre les morts. Assez longtemps il a été plongé dans les ténèbres du tombeau ; il est temps qu’il revienne à la vie.

Ant. Factus sum sicut homo sine adjutorio, inter mortuos liber.
Ant. On me regarde comme un homme sans appui, rangé entre les morts, et quitte de la vie.

Psaume 87

Domine Deus salutis meae : * in die clamavi et nocte coram te. Seigneur mon Dieu qui êtes mon Sauveur, je crie vers vous le jour et la nuit.
Intret in conspectu tuo oratio mea : * inclina aurem tuam ad precem meam. Que ma prière pénètre en votre présence ; inclinez votre oreille à mes supplications.
Quia repleta est malis anima mea .* et vita mea inferno appropinquavit. Car mon âme est accablée de maux, et ma vie s’avance vers la tombe.
Aestimatus sum cum descendentibus in lacum : * factus sum sicut homo sine adjutorio, inter mortuos liber. Déjà l’on me met au rang de ceux qui descendent dans le sépulcre ; on me regarde comme un homme sans appui, rangé entre les morts et quitte de la vie.
Sicut vulnerati dormientes in sepulchris, quorum non es memor amplius : * et ipsi de manu tua repulsi sunt. On me considère comme un de ceux qui ont été tués et renfermés dans le tombeau, que vous avez effacés de votre mémoire, et que votre main a retranchés du nombre des vivants.
Posuerunt me in lacu inferiori : * in tenebrosis, et in umbra mortis Ils m’ont précipité dans le plus profond de l’abîme ; ils m’ont jeté dans les lieux les plus ténébreux, dans les ombres de la mort.
Super me confirmatus est furor tuus : * et omnes fluctus tuos induxisti super me. Votre indignation est venue fondre sur moi, et vous avez amassé sur moi tous les flots de votre colère.
Longe fecisti notos meos a me : * posuerunt me abominationem sibi. Vous avez éloigné de moi tous mes proches ; et je suis devenu pour eux un objet d’horreur.
Traditus sum, et non egrediebar : * oculi mei languerunt prae inopia. J’ai été livré sans pouvoir échapper ; mes yeux, à force de pleurer, sont devenus languissants.
Clamavi ad te, Domine, tota die : * expandi ad te manus meas. J’ai crié vers vous, Seigneur, tout le jour ; j’ai étendu vers vous mes mains.
Numquid mortuis facies mirabilia ? * aut medici suscitabunt, et confitebuntur tibi ? Est-ce donc en faveur des morts que vous faites vos prodiges ? Les médecins les ressusciteront-ils pour chanter vos louanges ?
Numquid narrabit aliquis in sepulchro misericordiam tuam : * et veritatem tuam in perditione ? Est-ce dans le tombeau que l’on célèbre vos miséricordes ? est-ce dans le séjour de la mort qu’on annonce votre vérité ?
Numquid cognoscentur in tenebris mirabilia tua : * et justitia tua in terra oblivionis ? Au sein des ténèbres, connaît-on vos merveilles, et votre justice dans la terre de l’oubli ?
Et ego ad te, Domine, clamavi : * et mane oratio mea praeveniet te. Mais moi, Seigneur, j’élève mon cri vers vous ; et dès le matin je vous adresse ma prière.
Ut quid, Domine, repellis orationem meam : * avertis faciem tuam a me ? Pourquoi, Seigneur, rejetez-vous mes vœux ? pourquoi me cachez-vous votre visage ?
Pauper sum ego, et in laboribus a juventute mea : * exaltatus autem, humiliatus sum et conturbatus. Dès ma jeunesse, j’ai été dans la pauvreté et dans les traverses ; relevé un moment, je suis tombé dans l’humiliation et le trouble.
In me transierunt irae tuae : * et terrores tui conturbaverunt me. Les impressions de votre colère ont pénétré mon âme ; et j’ai été saisi des frayeurs de vos jugements.
Circumdederunt me sicut aqua tota die : * circumdederunt me simul. Elles m’ont environné tout le jour comme des torrents ; elles m’ont inondé de toutes parts.
Elongasti a me amicum et proximum : * et notos meos a miseria. Vous avez éloigné de moi mes amis et mes proches, ceux qui me connaissaient n’ont pu soutenir la vue de ma misère.

Ant. Factus sum sicut homo sine adjutorio, inter mortuos liber.
Ant. On me regarde comme un homme sans appui, rangé entre les morts, et quitte de la vie.

V/. In pace factus est locus ejus.
R/. Et in Sion habitatio ejus.

V/. Il a choisi son lieu de repos.
R/. Et sa demeure dans Sion.

Au troisième Nocturne, la sainte Église continue de lire, dans l’Épître aux Hébreux, la doctrine de saint Paul sur la vertu du sang divin. L’Apôtre explique comment le Testament du Christ en notre faveur n’a pu avoir d’effet que par sa mort.

De l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Hébreux. Chap. 9

Septième Leçon

Le Christ, Pontife des biens futurs, étant venu, est entré une fois dans le sanctuaire par un tabernacle plus grand et plus excellent, qui n’a point été fait de main d’homme, c’est-à-dire qui n’a point été formé selon la loi ordinaire ; il y est entré, non par le sang des boucs et des taureaux, mais par son propre sang, nous ayant procuré une rédemption éternelle. Car si le sang des boucs et des taureaux, si l’aspersion avec la cendre de la génisse, sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant une purification charnelle ; combien plus le sang du Christ qui, par le Saint‑Esprit, s’est offert lui-même immaculé à Dieu, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes, afin de nous mettre en état de servir le Dieu vivant ?

R/. Les rois de la terre se sont levés ; les princes se sont ligués * Contre le Seigneur et contre son Christ. V/. Pourquoi les nations ont-elles frémi ? Pourquoi les peuples ont-ils médité des choses vaines ? * Contre le Seigneur et contre son Christ ?

Huitième Leçon

C’est pourquoi il est le médiateur du Testament nouveau, afin que par la mort qu’il a subie pour le rachat des prévarications qui se commettaient sous le premier Testament, ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage éternel qui leur a été promis ; car où il y a un testament, il est nécessaire que la mort du testateur intervienne, parce que le testament n’est confirmé que par la mort, n’ayant point de force tant que le testateur vit encore. C’est pourquoi le premier Testament lui-même ne fut pas confirmé sans effusion de sang.

R/. Déjà l’on me met au rang de ceux qui descendent dans le sépulcre ; * On me regarde comme un homme sans appui, rangé entre les morts, et quitte de la vie.

V/. Ils m’ont précipité dans le plus profond de l’abîme ; ils m’ont jeté dans les lieux les plus ténébreux, dans les ombres de la mort.

* On me regarde comme un homme sans appui, rangé entre les morts, et quitte de la vie.

Neuvième Leçon

Car Moïse ayant lu devant tout le peuple toutes les ordonnances de la loi, prit du sang des veaux et des boucs, avec de l’eau, de la laine écarlate et de l’hysope, et en aspergea le livre même et le peuple tout entier, en disant : C’est le sang de l’alliance que Dieu a faite en votre faveur. Il aspergea aussi de sang le tabernacle et tous les vases de service ; et, selon la loi, presque tout se purifie avec le sang ; et sans l’effusion du sang, le péché n’est pas remis.

V/. Après qu’on eut enseveli le Seigneur, le sépulcre fut scellé ; on avait roulé une pierre pour fermer l’entrée du tombeau. * On y plaça des soldats pour le garder. R/. Les princes des prêtres allèrent trouver Pilate, et lui demandèrent permission. * On y plaça des soldats pour le garder. On répète : Après qu’on eut enseveli le Seigneur.

À Laudes

Le premier Psaume des Laudes est le Miserere. Il se chante sous l’Antienne suivante :

Ant. O mors, ero mors tua : morsus tuus ero, inferne.
Ant. O Mort, je sera ta mort ; enfer, je serai ta ruine.

Miserere mei Deus : * secundum magnam misericordiam tuam. Avez pitié de moi, Seigneur, selon votre grande miséricorde.
Et secundum multitudinem miserationum tuarum : * dele iniquitatem meam. Et, dans l’immensité de votre clémence, daignez effacer mon péché.
Amplius lava me ab iniquitate mea : * et a peccato meo munda me. Lavez-moi de plus en plus de mon iniquité, et purifiez-moi de mon offense.
Quoniam iniquitatem meam ego cognosco : * et peccatum meum contra me est semper. Car je reconnais mon iniquité ; et mon péché est toujours devant moi.
Tibi soli peccavi, et malum coram te feci : * ut justificeris in sermonibus tuis et vincas cum judicaris. C’est contre vous seul que j’ai péché, et j’ai fait le mal en votre présence : Je le confesse ; daignez me pardonner, afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles, et que vous demeuriez victorieux dans les jugements qu’on fera de vous.
Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum : * et in peccatis concepit me mater mea. J’ai été conçu dans l’iniquité ; ma mère m’a conçu dans le péché.
Ecce enim veritatem dilexisti : * incerta et occulta sapientiæ tuae manifestasti mihi. Vous aimez la vérité, vous m’avez découvert ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus caché dans votre sagesse.
Asperges me hyssopo, et mundabor : * lavabis me, et super nivem dealbabor. Vous m’arroserez d’eau avec l’hysope, comme le lépreux, et je serai purifié : vous me laverez, et je deviendrai plus blanc que la neige.
Auditui meo dabis gaudium et laetitiam : * et exsultabunt ossa humiliata. Vous me ferez entendre des paroles de joie et de consolation ; et mes os humiliés tressailliront d’allégresse.
Averte faciem tuam a peccatis meis : * et omnes iniquitates meas dele. Détournez votre face de mes péchés, et effacez toutes mes offenses.
Cor mundum crea in me, Deus : * et spiritum rectum innova in visceribus meis. O Dieu, créez en moi un cœur pur, et renouvelez l’esprit droit dans mes entrailles.
Ne projicias me a facie tua : * et Spiritum Sanctum tuum ne auferas a me. Ne me rejetez pas de votre face, et ne retirez pas de moi votre Esprit‑Saint.
Redde mihi laetitiam salutaris tui : * et Spiritu principali confirma me. Rendez-moi la joie en celui par qui vous voulez me sauver, et confirmez‑moi par l’Esprit de force.
Docebo iniquos vias tuas : * et impii ad te convertentur. J’enseignerai vos voies aux méchants, et les impies se convertiront à vous.
Libera me de sanguinibus, Deus, Deus salutis meae : * et exsultabit lingua mea justitiam tuam. Délivrez-moi du sang que j’ai versé, ô Dieu, ô Dieu mon Sauveur ! et ma langue publiera avec joie votre justice.
Domine, labia mea aperies : * et os meum annuntiabit laudem tuam. Seigneur, ouvrez mes lèvres ; et ma bouche chantera vos louanges.
Quoniam si voluisses sacrificium, dedissem utique : * holocaustis non delectaberis. Si vous aimiez les sacrifices matériels, je vous en offrirais ; mais les holocaustes ne sont pas ce qui vous est agréable.
Sacrificium Deo spiritus contribulatus : * cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies. Une âme brisée de regrets est le sacrifice que Dieu demande ; ô Dieu, vous ne mépriserez pas un cœur contrit et humilié.
Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion : * ut aedificentur muri Jerusalem. Seigneur, traitez Sion selon votre miséricorde, et bâtissez les murs de Jérusalem.
Tune acceptabis sacrificium justitiae, oblationes, et holocausta : * tunc imponent super altare tuum vitulos. Vous agréerez alors le sacrifice de justice, les offrandes et les holocaustes : et on vous offrira des génisses sur votre autel.

Ant. O mors, ero mors tua : morsus tuus ero, inferne.
Ant. O Mort, je sera ta mort ; enfer, je serai ta ruine.

Deuxième Psaume

Ant. Plangent eum quasi unigenitum : quia innocens Dominus occisus est.
Ant. Ils le pleureront comme un fils unique ; car le Seigneur innocent a été mis à mort.

Psaume 91

bonum est confiteri Domino * et psallere nomini tuo Altissime Il est bon de rendre gloire au Seigneur et de musiquer à ton nom, ô Très-Haut.
ad adnuntiandum mane misericordiam tuam * et veritatem tuam per noctem Il est bon d’annoncer le matin ta miséricorde et ta vérité durant la nuit ;
in decacordo psalterio*  cum cantico in cithara Sur le psaltérion à dix cordes, avec un cantique sur la harpe ;
quia delectasti me Domine in factura tua * et in operibus manuum tuarum exultabo Parce que tu m’as fait trouver des délices, Seigneur, dans ton ouvrage, et dans les œuvres de tes mains je me réjouirai.
quam magnificata sunt opera tua Domine * nimis profundae factae sunt cogitationes tuae Que tes ouvrages ont été faits magnifi­ques, Seigneur, tes pensées ont été faites profondes à l’excès,
vir insipiens non cognoscet * et stultus non intelleget haec L’homme insensé ne saura pas et le sot ne comprendra pas ces choses.
cum exorti fuerint peccatores sicut faenum * et apparuerint omnes qui operantur iniquitatem Quand les pécheurs se seront levés comme l’herbe, et quand se seront montrés tous ceux qui opèrent l’iniquité ; ce sera
ut intereant in saeculum saeculi ; *tu autem Altissimus in aeternum Domine Pour qu’ils périssent à tout jamais ; mais toi tu demeures le Très-Haut, éternellement Seigneur.
quoniam ecce inimici tui Domine ; quoniam ecce inimici tui peribunt * et dispergentur omnes qui operantur iniquitatem Car voici tes ennemis Seigneur, voici, tes ennemis périront ; et seront dispersés tous ceux qui opèrent l’iniquité.
et exaltabitur sicut unicornis cornu meum * et senectus mea in misericordia uberi Et ma corne sera exaltée comme celle de la licorne, et ma vieillesse se soutiendra par ta miséricorde abondante.
et despexit oculus meus inimicis meis * et insurgentibus in me malignantibus audiet auris mea Et pour cela mon oeil a regardé avec dédain mes ennemis : et mon oreille entendra la nouvelle du châtiment venu sur les méchants qui s’élèvent contre moi.
iustus ut palma florebit * sicut cedrus Libani multiplicabitur Le juste, au contraire, fleurira comme le palmier, il se multipliera comme le cèdre du Liban.
plantati in domo Domini * in atriis Dei nostri florebunt Les justes plantés en la maison du Seigneur fleuriront dans les parvis de la maison de notre Dieu.
adhuc multiplicabuntur in senecta uberi * et bene patientes erunt ut adnuntient se multiplieront encore dans une vieillesse comblée de biens
quoniam rectus Dominus Deus noster * et non est iniquitas in eo A savoir que le Seigneur notre Dieu est droit

 

Ant. Plangent eum quasi unigenitum : quia innocens Dominus occisus est.
Ant. Ils le pleureront comme un fils unique ; car le Seigneur innocent a été mis à mort.

Le troisième Psaume est communément rapporté au temps de la persécution de Saül ; il est spéciale­ment dirigé contre ceux qui entouraient ce prince, et qui par, des calomnies et des faux rapports ne cherchaient qu’à l’envenimer contre David lequel est, ici, la figuer du Christ.

Psaume 63

Ant. Attendite universi populi, et videte dolorem meum.
Ant. Peuples, jetez un regard, et voyez ma douleur.

exaudi Deus orationem meam cum deprecor * a timore inimici eripe animam meam Exauce, Ô Dieu, mon oraison lorsque je prie ; de la crainte de l’ennemi délivre mon âme.
protexisti me a conventu malignantium * a multitudine operantium iniquitatem Tu m’as protégé contre l’assemblée des méchants, de la multitude de ceux qui opèrent l’iniquité.
quia exacuerunt ut gladium linguas suas * intenderunt arcum rem amaram ut sagittent in occultis inmaculatum Parce qu’ils ont aiguisé leur langue comme un glaive, ils ont tendu leur arc, chose amère, ils ont lancé des paroles enveni­mées, pour frapper comme de flèches et en cachette l’innocent.
subito sagittabunt eum et non timebunt * firmaverunt sibi sermonem nequam Ils le frapperont subitement, et ils ne craindront pas, ils ont formé un complot scélérat
narraverunt ut absconderent laqueos * dixerunt quis videbit eos Ils ont dit qu’ils cacheraient leurs pièges, ils ont dit : Qui les verra ?
scrutati sunt iniquitates * defecerunt scrutantes scrutinio Ils ont recherché des iniquités, ils se sont lassés dans leur recherche, s’étudiant à avancer dans l’art de nuire.
accedet homo et cor altum * et exaltabitur Deus L’homme méchant descendra en son cœur profond, y cherchant les moyens d’accomplir le mal, et Dieu sera exalté ;
sagittae parvulorum factae sunt plagae eorum * et infirmatae sunt contra eos linguae eorum Leurs coups sont devenus flèches d’enfants, et leurs langues ont été affaiblies contre eux : leurs paroles malignes n’ont blessé que leurs auteurs.
conturbati sunt omnes qui videbant eos * et timuit omnis homo Tous ceux qui les voyaient ont été dans le trouble, et tout homme qui les a vus ainsi réduits à l’impuissance a été dans la crainte de Dieu.
et adnuntiaverunt opera Dei * et facta eius intellexerunt Et ils proclamèrent les œuvres de Dieu et ils ont compris ses divines actions.
laetabitur iustus in Domino et sperabit in eo * et laudabuntur omnes recti corde Le juste se réjouira dans le Seigneur et il espérera en lui ; et seront loués, se glorifieront en lui tous les droits de cœur.

 

Le cantique d’Ézéchias, que l’Église emploie le Mardi à Laudes, est substitué aujourd’hui à celui du Deutéronome qui est propre au Samedi, mais qui n’aurait aucune relation avec le mystère de ce jour. Ézéchias implorant de Dieu, sur sa couche, le retour à la vie, est le type du Christ dans le tombeau, suppliant son Père de le rendre promptement à la lumière du jour.

Ant. A porta inferi erue, Domine, animam meam.
Ant. Seigneur, délivrez mon âme des portes du tombeau.

Cantique d’Ézéchias

Ego dixi : In dimidio dierum meorum : * vadam ad portas inferi. J’ai dit : À la moitié de ma vie, je vais donc voir les portes de la mort.
Quaesivi residuum annorum meorum : * dixi : Non videbo Dominum Deum in terra viventium. J’ai cherché en vain le reste de mes années ; et j’ai dit : Je ne verrai donc plus le Seigneur mon Dieu sur la terre des vivants.
Non aspiciam hominem ultra : * et habitatorem quietis. Je ne verrai plus les hommes désormais, ceux qui habitent ce monde dans la paix.
Generatio mea ablata est, et convoluta est a me : * quasi tabernaculum pastorum. Le tissu de ma vie est enlevé et replié, comme la tente d’un berger.
Praecisa est velut a texente vita mea, dum adhuc ordirer, succidit me : * de mane usque ad vesperam finies me. La trame en est coupée comme par le tisserand ; il vient de la couper pendant qu’on l’ourdissait encore ; du matin au soir vous aurez achevé ma vie.
Sperabam usque ad mane : * quasi leo sic contrivit omnia ossa mea. J’espérais encore vivre jusqu’au matin ; mais le mal comme un lion a broyé tous mes os.
De mane usque ad vesperam finies me : * sicut pullus hirundinis sic clamabo : meditabor ut columba. Du matin au soir vous aurez achevé ma vie ; mes cris sont semblables à ceux du petit de l’hirondelle ; je gémis comme la colombe.
Attenuati sunt oculi mei : * suspicientes in excelsum. À force de regarder en haut, mes yeux se sont épuisés.
Domine, vim patior, responde pro me : * quid dicam, aut quid respondebit mihi, cum ipse fecerit ? Seigneur, je souffre violence : soyez ma caution. Mais que dirai-je et que me répondra-t-il, quand c’est lui-même qui m’a frappé ?
Recogitabo tibi omnes annos meos : * in amaritudine animae meae. Je repasserai devant vous toutes mes années dans l’amertume de mon âme.
Domine, si sic vivitur et in talibus vita spiritus mei, corripies me, et vivificabis me : * ecce in pace amaritudo mea amarissima. Seigneur, si j’ai vécu ainsi, si mon âme s’est ainsi rendue coupable, châtiez-moi ; mais ensuite rendez-moi la vie. Déjà je sens la paix qui vient succéder aux plus amères douleurs.
Tu autem eruisti animam meam, ut non periret : * projecisti post tergum tuum omnia peccata mea. Vous retirez ma vie du tombeau ; vous jetez derrière vous tous mes péchés.
Quia non infernus confitebitur tibi, neque mors laudabit te : *non expectabunt qui descendunt in lacum veritatem tuam. Le tombeau, en effet, ne vous rendrait plus d’actions de grâces ; la mort ne saurait vous louer ; et ceux qui descendent dans le sépulcre n’attendent plus la vérité de vos promesses.
Vivens, vivens ipse confitebitur tibi, sicut et ego hodie : * pater filiis notam faciet veritatem tuam. Ce sont les vivants qui vous louent, comme je fais aujourd’hui ; le père racontera à ses enfants combien vous êtes fidèle à vos promesses.
Domine, salvum me fac : * et psalmos nostros cantabimus cunctis diebus vitae nostrae in domo Domini. Seigneur sauvez-moi et nous chanterons nos psaumes dans la maison du Seigneur tous les jours de de notre vie.

Ant. A porta inferi erue, Domine, animam meam.
Ant. Seigneur, délivrez mon âme des portes du tombeau.

Le dernier Psaume des Laudes

Psaume 150

laudate Dominum in sanctis eius * laudate eum in firmamento virtutis eius Louez le Seigneur dans son sanctuaire : dans le ciel où éclate sa puissance.
laudate eum in virtutibus eius * laudate eum secundum multitudinem magnitudinis eius Louez-le dans ses œuvres puissantes : louez-le selon la multitude de sa grandeur.
laudate eum in sono tubae * laudate eum in psalterio et cithara Louez-le au son de la trompette : louez-le sur le psaltérion et la harpe.
laudate eum in tympano et choro * laudate eum in cordis et organo Louez-le sur le tambour et en chœur : louez-le sur les cordes de la lyre et sur l’orgue.
laudate eum in cymbalis bene sonantibus, laudate eum in cymbalis iubilationis * omnis spiritus laudet Dominum Louez-le sur les cymbales bien résonnan­tes, louez-le sur les cymbales de jubilation : que tout esprit loue le Seigneur.

 

Ant. O vos omnes, Qui transitis per viam, attendite et videte, si est dolor sicut dolor meus.
O vous tous qui passez par le chemin, considérez et voyez s’il est une douleur semblable à la mienne.

  1. Caro mea requiescet in spe.
    R. Et non dabis Sanctum tuum videre corruptionem.

V/. Ma chair reposera dans l’espérance ;
R/. Et vous ne permettrez pas que votre Saint éprouve la corruption du tombeau.

Benedictus

Ant. Mulieres sedentes ad monumentum lamentabantur, flentes Dominum.
Ant. Les femmes étaient assises près du tombeau ; elles se lamentaient, elles pleuraient le Seigneur.

Benedictus Dominus Deus Israel : * quia visitavit, et fecit redemptionem plebis suae. Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël ; car il a visité et racheté son peuple.
Et erexit cornu salutis nobis : * in domo David pueri sui. Et il nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur ;
Sicut locutus est per os Sanctorum : * quia a saeculo sunt Prophetarum ejus. Comme il l’avait promis par la bouche des saints, de ses Prophètes, qui ont prédit, dans les siècles passés,
Salutem ex inimicis nostris : * et de manu omnium qui oderunt nos. Qu’il nous sauverait de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent ;
Ad faciendam misericordiam cum Patribus nostris : * et memorari testamenti sui sancti. Qu’il ferait la miséricorde promise à nos pères, et se souviendrait de son alliance sainte,
Jusjurandum quod juravit ad Abraham patrem nostrum : * daturum se nobis. Du serment par lequel il avait juré à Abraham, notre père, de faire, dans sa bonté,
Ut sine timore de manu inimicorum nostrorum liberati : * serviamus illii. Que, délivrés de la main de nos ennemis, nous le puissions servir sans crainte,
In sanctitate et justitia coram ipso : * omnibus diebus nostris. Dans la sainteté et la justice, marchant devant lui tous les jours de notre vie.
Et tu puer, propheta Altissimi vocaberis : * praeibis enim ante faciem Domini, parare vias ejus. Et vous, petit enfant, vous serez appelé prophète du Très-Haut ! car vous marcherez devant la face du Seigneur pour préparer ses voies,
Ad dandam scientiam salutis plebi ejus : * in remissionem peccatorum eorum. Pour donner à son peuple la connaissance du salut, et annoncer la rémission des péchés,
Per viscera misericordiae Dei nostri : * in quibus visitavit nos, Oriens ex alto. Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, ce divin Orient qui s’est levé sur nous du haut du ciel ;
Illuminare his qui in tenebris et in umbra mortis sedent : * ad dirigendos pedes nostros in viam pacis. Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ; pour diriger nos pas dans la voie du salut.

 

Après la répétition de cette Antienne, le chœur chante, sur un mode mélodieux et touchant, les paroles suivantes que l’Église répète, en ces jours, à la fin de tous ses Offices ; mais aujourd’hui elle ne se borne plus à annoncer la mort du Christ. Elle complète le discours de l’Apôtre, en ajoutant le reste du texte, dans lequel est prédite la gloire de l’Homme‑Dieu, vainqueur des ombres du tombeau.

Le Christ s’est fait obéissant pour nous jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix ;

C’est pourquoi Dieu l’a exalté, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom.

On dit ensuite à voix basse Pater noster, suivi du Miserere, qui est récité à deux chœurs. Enfin celui qui préside prononce pour conclusion l’Oraison suivante :

Daignez, Seigneur, jeter un regard sur votre famille ici présente, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être livré aux mains des méchants, et souffrir le supplice de la Croix : Lui qui vit et règne avec vous, dans les siècles des siècles. Amen.

Au Matin

La nuit a passé sur le sépulcre où repose le corps de l’Homme-Dieu. Mais si la mort triomphe au fond de cette grotte silencieuse, si elle tient dans ses liens celui qui donne la vie à tous les êtres, son triomphe sera court. Les soldats ont beau veiller à l’entrée du tombeau, ils ne retiendront pas le divin captif, quand il prendra son essor. Les saints Anges adorent, dans un respect profond, le corps inanimé de celui dont le sang va « pacifier le ciel et la terre ». (Coloss. 1, 20) Ce corps séparé de l’âme pour un court intervalle est demeuré uni au Verbe divin ; l’âme qui a cessé un moment de l’animer, n’a point non plus perdu son union avec la personne du Fils de Dieu. La divinité reste unie même au sang épanché sur le Calvaire, et qui doit rentrer dans les veines de l’Homme-Dieu, au moment de sa prochaine résurrection.

Nous aussi, approchons de ce tombeau, et vénérons à notre tour la froide dépouille du Fils de Dieu. Nous comprenons maintenant les effets du péché. « C’est par le péché que la mort est entrée dans le monde et qu’elle a passé dans tous les hommes. » (Rom. 5, 12) Jésus, « qui n’a point connu le péché » (2 Cor. 5, 21), a cependant permis à la mort d’étendre jusque sur lui son empire, afin d’en diminuer pour nous les horreurs et de nous rendre, en ressuscitant, cette immortalité que le péché nous avait ravie. Adorons dans toute notre reconnaissance ce dernier anéantissement du Fils de Dieu. Il avait daigné, dans son incarnation, prendre « la forme d’esclave » (Philipp. 2, 7) ; en ce moment, il est descendu plus bas encore. Le voilà sans vie et glacé dans un tombeau ! Si ce spectacle nous révèle l’affreux pouvoir de la mort, il nous montre bien plus encore l’immense et incompréhensible amour de Dieu pour l’homme. Cet amour n’a reculé devant aucun excès ; et nous pouvons dire que si le Fils de Dieu s’est abaissé outre mesure, nous avons été d’autant plus glorifiés par ses abaissements. Qu’elle nous soit donc chère cette tombe sacrée qui doit nous enfanter à la vie ; et après avoir rendu grâces au Fils de Dieu de ce qu’il a daigné mourir pour nous sur la Croix, remercions-le aussi d’avoir accepté pour nous l’humiliation du sépulcre.

Descendons maintenant dans Jérusalem, et visitons humblement la Mère des douleurs. La nuit aussi a passé sur son cœur affligé ; et les scènes lamentables de la journée n’ont cessé d’assiéger sa mémoire. Le fils de sa tendresse a été foulé sous les pieds des hommes, elle a vu couler son sang par torrents ; et maintenant il est dans le tombeau, comme le dernier des mortels ! Que de larmes a versées déjà la fille de David durant ces longues heures ; et son fils ne lui est pas rendu encore ! Près d’elle, Madeleine, toute brisée des secousses qu’elle a ressenties dans les rues de Jérusalem et sur le Calvaire, éclate en sanglots, muette de douleur. Elle aspire au lever du jour suivant pour retourner au tombeau, et revoir les restes de son cher maître. Les autres femmes, moins aimées que Madeleine, mais cependant chères à Jésus, elles qui ont bravé les Juifs et les soldats pour l’assister jusqu’à la fin, entourent avec discrétion l’inconsolable mère, et songent aussi à soulager leur propre douleur, en allant avec Madeleine lorsque le Sabbat sera écoulé, de poser dans le sépulcre le tribut de leur amour et de leurs parfums.

Jean, le fils d’adoption, le bien-aimé de Jésus, pleure sur le Fils et sur la mère. D’autres apôtres, des disciples, Joseph d’Arimathie, Nicodème, visitent tour à tour cette maison de deuil. Pierre, dans l’humilité de son repentir, n’a pas craint de reparaître aux regards de la Mère de miséricorde. On s’entretient à voix basse du supplice de Jésus, de l’ingratitude de Jérusalem. La sainte Église, dans l’Office de cette nuit, nous suggère quelques traits des entretiens de ces hommes qu’une si terrible catastrophe a ébranlés jusqu’au fond de l’âme. « C’est donc ainsi, disent-ils, que meurt le juste, et personne ne s’en émeut ! Il a disparu devant l’iniquité ; semblable à l’agneau, il n’a pas ouvert la bouche ; il a été enlevé au milieu des angoisses ; mais son souvenir est un souvenir de paix. » (Répons 6ème de l’Office de la nuit)

Ainsi parlent ces hommes fidèles, pendant que les femmes, en proie à leur douleur, songent aux soins des funérailles. La sainteté, la bonté, la puissance, les douleurs et la mort de Jésus, tout est présent à leur pensée ; mais sa résurrection qu’il a annoncée et qui ne doit pas tarder, ne leur revient pas en souvenir. Marie seule vit dans cette attente certaine. L’Esprit-Saint dit de la femme forte : « Durant la nuit, sa lampe ne s’éteint jamais » (Prov. 31, 18) ; cette parole s’accomplit aujourd’hui en la Mère de Jésus. Son cœur ne succombe pas, parce qu’elle sait que bientôt la tombe doit rendre son fils à la vie. La foi de la résurrection du Sauveur, cette foi sans laquelle, comme dit l’Apôtre, notre religion serait vaine (1 Cor. 15, 17), est, pour ainsi dire, concentrée dans l’âme de Marie. La Mère de la Sagesse conserve ce dépôt précieux ; et de même qu’elle a tenu dans ses chastes flancs celui que le ciel et la terre ne peuvent contenir, ainsi aujourd’hui, par sa croyance ferme et constante aux paroles de son fils, elle résume en elle-même toute l’Église. Sublime journée du Samedi qui, au milieu de toutes ses tristesses, vient encore ajouter aux grandeurs de Marie ! La sainte Église en garde à jamais le souvenir ; et c’est pour cela que, désirant consacrer à sa grande Reine un jour spécial chaque semaine, elle lui a dédié pour toujours le Samedi.

Le Soir [5]

Il nous est utile de méditer quelques instants sur le mystère des trois jours durant lesquels l’âme du Rédempteur demeura séparée de son corps. Ce matin nous sommes allés visiter le sépulcre au sein duquel repose la dépouille mortelle du Fils de Dieu ; nous avons adoré ce sacré corps, auquel Madeleine et ses compagnes se préparent à aller rendre demain, dès le grand matin, de nouveaux devoirs. En ce moment, il convient d’offrir nos hommages à l’âme sainte de Jésus. Elle n’habite point le tombeau où son corps est étendu ; suivons-la dans les lieux où elle réside, en attendant qu’elle vienne ranimer les membres sacrés dont la mort l’a séparée pour un temps.

Au centre de la terre s’étendent quatre vastes régions où nul homme vivant ne pénétrera jamais ; la révélation divine nous a seule renseignés sur leur existence. La plus éloignée de nous est l’enfer des damnés, séjour épouvantable où Satan et ses anges sont voués, avec les réprouvés de la race humaine, aux flammes vengeresses de l’éternité. C’est l’affreuse cour du prince des ténèbres, au sein de laquelle il ne cesse de former contre Dieu et contre son œuvre des plans pervers et sans cesse déjoués. Plus près de nous est le limbe où sont détenues les âmes des enfants qui sortirent de ce monde avant d’avoir été régénérés. Selon la doctrine la plus autorisée dans l’Église, les hôtes de ce séjour ne souffrent aucun tourment, et quoiqu’ils ne soient point appelés à voir jamais l’essence divine, ils ne sont pas incapables d’un bonheur naturel et proportionné à leurs désirs. Une troisième région au-dessus de celle qu’habitent les âmes de ces enfants, est le lieu des expiations où les âmes sorties de ce monde avec le don de la grâce achèvent de purifier leurs souillures, pour être admises à la récompense éternelle. Enfin, plus près de nous encore, est le limbe où le peuple entier des saints qui sont morts depuis le juste Abel jusqu’au moment où le Christ a expiré sur la croix, est retenu captif sous les ombres. Là sont nos premiers parents, Noé, Abraham, Moïse, David, les Prophètes anciens ; Job, le saint Arabe, et les autres justes de la gentilité ; les saints personnages dont la vie tient déjà à celle du Christ : Joachim, père de Marie, et Anne sa mère ; Joseph, l’Époux de la Vierge et le Père nourricier de Jésus ; Jean, son précurseur, avec ses vertueux parents Zacharie et Élisabeth.

Jusqu’à ce que la porte du ciel ait été ouverte par le sang rédempteur, aucun juste ne peut monter vers Dieu. Au sortir de ce monde, les âmes les plus saintes ont dû descendre dans les entrailles de la terre. Mille endroits de l’Ancien Testament désignent les enfers comme le séjour des justes qui ont le mieux servi et honoré Dieu ; et c’est seulement dans le Nouveau qu’il est parlé du Royaume des Cieux. Cette demeure temporaire ne connaît cependant pas d’autres peines que celles de l’attente et de la captivité. Les âmes qui l’habitent sont pour toujours dans la grâce, assurées d’un bonheur sans fin ; elles supportent avec résignation cette relégation sévère, suite du péché ; mais elles voient avec une joie toujours croissante approcher le moment de leur délivrance.

Le Fils de Dieu ayant accepté toutes les conditions de l’humanité, et ne devant triompher que par sa résurrection, et n’ouvrir les portes du ciel que par son Ascension, son âme, séparée du corps par le glaive de la mort, devait descendre aussi dans ces lieux bas de la terre, et partager un moment le séjour des justes exilés. « Le Fils de l’homme, avait-il dit, sera trois jours dans le cœur de la terre. » (s. Matth. 12, 40) Mais autant son entrée dans ces lieux sombres devait être saluée par les acclamations du peuple saint, autant devait-elle déployer de majesté, et montrer la force et la gloire de l’Emmanuel. Au moment où Jésus a rendu sur la croix son dernier soupir, le limbe des justes s’est vu tout à coup illuminé des splendeurs du ciel. L’âme du Rédempteur unie à la divinité du Verbe est descendue en un instant au milieu de ces ombres, et du lieu de l’exil elle a fait un paradis. C’est la promesse du Christ mourant au voleur repentant : « Aujourd’hui tu seras avec moi en Paradis. »

Qui pourrait dire le bonheur des justes, à ce moment attendu depuis tant de siècles ; leur admiration et leur amour à la vue de cette âme divine qui vient à la fois partager et dissiper leur exil ? Quels regards de bonté l’âme de Jésus arrête sur cet immense troupeau d’élus que quarante siècles lui ont fourni, sur cette portion de son Église qu’il a acquise par son sang, et à qui les mérites de ce sang divin furent appliqués par la miséricorde du Père, avant même qu’il fût versé ! Nous qui,  au sortir de ce monde, avons l’espoir de monter vers celui qui est allé nous préparer une place dans les cieux (s. Jean 14, 2), unissons-nous aux joies de nos pères, et adorons la condescendance de notre Emmanuel, qui daigne s’arrêter trois jours dans ces demeures souterraines, pour ne laisser rien dans les destinées, même passagères, de l’humanité, qu’il n’ait accepté et sanctifié.

Mais, dans cette visite aux lieux infernaux, le Fils de Dieu vient aussi manifester son pouvoir. Sans descendre substantiellement au séjour de Satan, il y fait sentir sa présence ; et il faut à ce moment que le superbe prince de ce monde fléchisse le genou et s’humilie. Dans ce Jésus qu’il a fait crucifier par les Juifs, il reconnaît maintenant le propre Fils de Dieu. L’homme est sauvé, la mort est détruite, le péché est effacé ; désormais ce n’est plus au sein d’Abraham que descendront les âmes des justes : c’est au ciel, avec les Anges fidèles, qu’elles s’élèveront pour y régner avec le Christ, leur divin Chef. Le règne de l’idolâtrie va succomber ; les autels sur lesquels Satan recevait l’encens de la terre sont ébranlés et crouleront partout. La maison du fort armé est forcée par son adversaire divin ; ses dépouilles lui sont enlevées (s. Matth 12, 29) ; la cédille de notre condamnation est arrachée au serpent, et la croix qu’il avait vu s’élever pour le Juste, avec tant de joie, a été pour lui, selon l’énergique expression de saint Antoine, comme un hameçon meurtrier que l’on présente sous un appât au monstre marin qui meurt en se débattant, après l’avoir avalé.

L’âme de Jésus fait sentir aussi sa présence aux justes qui soupirent dans les feux de l’expiation. Sa miséricorde allège leurs souffrances et abrège le temps de leur épreuve. Plusieurs d’entre eux voient finir leurs peines durant ces trois jours, et se joignent à la foule des saints, pour entourer de leurs vœux et de leur amour celui qui ouvre les portes du ciel. Il n’est pas contraire à la foi chrétienne de penser, avec de doctes théologiens, que le séjour de l’Homme-Dieu dans la région voisine du limbe des enfants leur apporta aussi quelque consolation ; et qu’ils connurent alors qu’un jour ils reprendront leurs corps, et verront s’ouvrir pour eux une demeure moins sombre et plus riante que celle où la divine justice les retient captifs jusqu’au jour du grand jugement.

Nous vous saluons et nous vous adorons, âme de notre Rédempteur, durant ces heures que vous daignez passer avec nos pères, dans les entrailles de la terre. Nous glorifions votre bonté ; nous admirons votre tendresse envers vos élus dont vous avez daigné faire vos frères. Nous vous rendons grâces d’avoir humilié notre redoutable ennemi ; daignez l’abattre toujours sous nos pieds. Mais, ô Emmanuel, assez longtemps vous avez habité la tombe, il est temps de réunir votre âme à son corps. Le ciel et la terre attendent votre résurrection, et déjà votre Église impatiente de revoir son Époux a prononcé l’Alleluia ! Sortez du sépulcre, auteur de la vie ! triomphez de la mort et régnez à jamais.

Mais l’heure est venue de se rendre à la maison de Dieu. Les cloches ne retentiront pas encore ; mais les mystères de la sainte Liturgie qui doivent remplir cette matinée n’en appellent pas moins les fidèles aux plus touchantes émotions. Conservons le souvenir de celles que nous venons de ressentir au sépulcre et aux pieds de la Mère des douleurs, et disposons nos âmes aux saintes jouissances que la foi nous prépare.

L’office liturgique

De toute antiquité, la journée d’aujourd’hui, comme celle d’hier, s’est passée sans l’offrande du divin Sacrifice. Hier, l’Église ne la célébrait pas, parce que l’anniversaire de la mort du Christ lui semblait remplir de ses souvenirs le jour tout entier, et qu’une sainte terreur lui interdisait d’appeler sur ses autels la victime du Calvaire. La même raison la porte à se priver aujourd’hui encore de la célébration du Sacrifice. La sépulture du Christ est la suite de sa Passion ; et pendant que son corps repose inanimé dans le tombeau, il ne convient pas de renouveler le divin mystère dans lequel il est offert glorieux et ressuscité. L’Église grecque elle-même qui, dans le cours du Carême, affecte de ne pas jeûner le Samedi, imite l’Église latine, en étendant à cette journée ses plus austères pratiques ; elle s’abstient même de célébrer aujourd’hui la Messe des Présanctifiés.

Depuis environ huit siècles, une modification importante s’est introduite, en ce jour, dans les Églises de l’Occident, relativement à la célébration de la Messe. On n’a pas dérogé à la coutume antique qui omet au Samedi saint l’offrande du Sacrifice ; mais on a cru devoir anticiper à cette journée la Messe qui se célébrait durant la nuit prochaine, vers l’heure de la résurrection du Sauveur. L’adoucissement du jeûne a amené insensiblement ce changement dans la Liturgie. Dans les premiers siècles, les fidèles veillaient toute la nuit à l’Église, en attendant le moment où le Christ triomphant de la mort s’échappa du sépulcre. Ils prenaient part en même temps, comme témoins, à l’administration solennelle du Baptême conféré aux catéchumènes ; fonction sublime dans laquelle se manifestait le passage de la mort spirituelle à la vie de la grâce. De toutes les Veilles saintes de l’année, aucune n’était fréquentée avec autant d’affluence et d’enthousiasme ; mais on comprend aisément qu’elle dut perdre une grande partie de son intérêt, lorsque le christianisme ayant triomphé partout où il avait été prêché, il n’y eut plus d’adultes à baptiser. Les Orientaux ont continué cependant jusqu’à nos jours à suivre l’antique tradition ; mais dans l’Occident, à partir du XIème siècle, on a peu à peu anticipé l’heure de la Messe nocturne de la Résurrection, jusqu’à ce qu’enfin on l’ait définitivement avancée jusqu’au matin même du Samedi saint. Durand de Mende, qui écrivait son Rational des divins Offices vers la fin du XIIIème siècle, atteste que, de son temps, quelques Églises à peine étaient restées fidèles à la coutume primitive ; et elles ne tardèrent pas à se réunir à la pratique générale de l’Église latine. [6]

Il résulte de cette modification une sorte de contradiction entre le mystère de cette journée et le service divin que l’on y célèbre. Le Christ est encore dans le tombeau, et l’on célèbre sa résurrection ; les heures qui précèdent la Messe sont encore données à la tristesse, et dès le milieu du jour l’allégresse pascale a déjà rempli les cœurs des fidèles. Nous nous conformerons à ces formes actuelles de la sainte Liturgie, entrant ainsi dans l’esprit de l’Église, qui a jugé à propos de donner à ses enfants, dès aujourd’hui, un avant-goût des joies chrétiennes qui devront éclater demain. Nous allons d’abord tracer le plan de l’auguste fonction qui va s’accomplir ; nous en exposerons ensuite toutes les parties.

L’administration du Baptême aux catéchumènes est le grand objet de cette vaste cérémonie ; elle est le point central auquel tout aboutit. Les fidèles doivent donc l’avoir sans cesse présente à la pensée, s’ils veulent suivre avec intelligence et utilité ce drame aussi sacré qu’imposant. Il y a d’abord la bénédiction du feu nouveau et de l’encens ; vient ensuite l’inauguration du Cierge Pascal. Elle est suivie des lectures prophétiques, qui font corps avec ce qui précède et ce qui suit. Quand elles sont achevées, a lieu le départ pour le Baptistère, où se fait la bénédiction de l’eau. La matière du baptême étant préparée, les catéchumènes reçoivent le sacrement de la régénération. La Confirmation leur est ensuite administrée par l’Évêque. Aussitôt après, commence le divin Sacrifice en l’honneur de la Résurrection du Christ, et les néophytes y participent aux saints Mystères. Enfin, l’Office joyeux des Vêpres vient promptement terminer la plus longue et la plus laborieuse fonction que l’Église latine ait à accomplir dans tout le cours de son Cycle liturgique. Pour donner au lecteur la clef de ce magnifique ensemble, nous remonterons avec lui mille ans en arrière ; et nous supposerons qu’il prend part à la Veille solennelle du Samedi saint, dans quelqu’une des antiques églises de l’Italie ou des Gaules.

À Rome, la Station est à Saint-Jean-de-Latran, l’Église mère et maîtresse ; et le sacrement de la régénération est administré dans le Baptistère de Constantin. Les grands souvenirs du IVème siècle planent encore aujourd’hui sur ces antiques sanctuaires ; chaque année y voit célébrer le baptême de quelque adulte ; et une nombreuse ordination ajoute encore par ses pompes aux splendeurs de la plus grande journée liturgique que Rome ait à célébrer dans l’année.

La Bénédiction du feu nouveau et de l’encens

Mercredi dernier, les catéchumènes furent convoqués pour aujourd’hui à l’heure de tierce (neuf heures du matin). C’est le dernier Scrutin. Les prêtres y président ; on demande le Symbole à ceux qui ne l’ont pas rendu encore. L’Oraison Dominicale et les attributs bibliques des quatre Évangélistes ayant été répétés aussi, l’un des prêtres congédie les aspirants au baptême, après leur avoir recommandé de se maintenir dans le recueillement et la prière.

L’Évêque se rend avec tout le clergé à l’Église, et c’est à ce moment que commence la Veille du Samedi saint. Le premier rite à accomplir est la bénédiction du feu nouveau, dont la lumière doit éclairer la fonction durant toute la nuit qui va suivre. Dans les premiers siècles, c’était l’usage, chaque jour, de tirer le feu d’un caillou avant les Vêpres, pour en allumer les lampes et les cierges, durant cet office ; et cette lumière brûlait dans l’église jusqu’aux Vêpres du jour suivant. L’Église de Rome pratiquait cet usage avec une plus grande solennité le Jeudi saint, au matin ; et ce jour-là le feu nouveau recevait une bénédiction spéciale. D’après un renseigne­ment donné par le Pape saint Zacharie dans une lettre à saint Boniface, Archevêque de Mayence au VIIIème siècle, on allumait trois lampes avec ce feu, et on les tenait dans un lieu secret, où elles étaient entretenues avec soin. C’était à ces lampes que l’on empruntait la lumière pour la nuit du Samedi saint. Dès le siècle suivant, sous le Pape saint Léon IV, qui était sur le Saint‑Siège en 847, l’Église de Rome avait fini par étendre même au Samedi saint l’usage des autres jours de l’année, qui consistait à tirer d’un caillou le feu nouveau.

Le sens de cet usage symbolique, qui ne se pratique plus qu’en ce jour dans l’Église latine, est aussi profond qu’il est facile à saisir. Le Christ a dit : « Je suis la Lumière du monde » (s. Jean 8, 12) ; la lumière matérielle est donc la figure du Fils de Dieu. La Pierre est aussi l’un des types sous lesquels le Sauveur du monde apparaît dans les Écritures. « Le Christ est la Pierre angulaire », nous disent d’un commun accord saint Pierre (1 s. Pierre 2, 6) et saint Paul (Ephes. 2, 20) qui ne font que lui appliquer les paroles de la prophétie d’Isaïe (Isaï 28, 16). Mais en ce moment l’étincelle vive qui s’échappe de la pierre présente un symbole plus complet encore. C’est Jésus-Christ s’élançant hors du sépulcre taillé dans la roche, à travers la pierre qui en ferme l’entrée.

Il est donc juste que ce feu mystérieux, appelé à fournir la lumière au Cierge pascal, et plus tard à l’autel lui-même, reçoive une bénédiction particulière, et qu’il soit accueilli avec triomphe par le peuple chrétien. Dans l’église, toutes les lampes ont été éteintes ; autrefois même, les fidèles éteignaient le feu dans leurs maisons, avant de se rendre à l’église ; et il ne se rallumait dans toute la cité que par la communication de ce feu qui avait reçu la bénédiction, et qui était confié ensuite aux fidèles comme un gage de la divine Résurrection. N’oublions pas de remarquer ici un nouveau symbole non moins expressif que les autres. L’extinction de toute lumière en ce moment figure l’abrogation de la loi ancienne, qui a pris fin au moment où le voile du Temple s’est déchiré ; et l’arrivée du feu nouveau représente la publication miséricordieuse de la loi nouvelle que Jésus-Christ, Lumière du monde, vient apporter, en dissipant toutes les ombres de la première alliance.

L’importance du mystère du feu nouveau est telle que Dieu a daigné, durant plusieurs siècles, opérer chaque année, en ce jour, un prodige dans l’Église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, pour produire la présence de ce feu sous les yeux du peuple fidèle rassemblé. Le clergé et le peuple se tenaient en silence devant le saint tombeau, attendant la manifestation de la faveur céleste. Tout à coup, l’une des lampes éteintes qui étaient suspendues au-dessus de ce monument sacré de la victoire du Christ, s’allumait d’elle-même. Sa lumière, après avoir servi à allumer les autres lampes et les flambeaux de l’église, était communiquée aux fidèles, qui s’en servaient avec foi pour renouveler le feu dans leurs habitations. Ce prodige annuel paraît avoir commencé à se manifester à Jérusalem, après la conquête de cette ville par les Sarrasins ; afin qu’il servit aux yeux de ces infidèles comme d’un signe de la divinité de la religion chrétienne. Il est attesté unanimement par les historiens contemporains, qui nous ont laissé le récit des événements du royaume latin de Jérusalem ; et lorsque le Pape Urbain II vint en France pour y prêcher la première croisade, entre autres motifs qui devaient rendre cher aux chrétiens de l’Occident l’honneur du sépulcre du Christ, il ne manqua pas d’insister sur ce prodige de chaque année comme attesté par tous les pèlerins de la ville sainte. Lorsque le Seigneur, dans les desseins de son impénétrable justice, eut abandonné de nouveau au pouvoir des infidèles la ville où se sont accomplis les mystères de notre salut, le prodige cessa, et ne s’est plus renouvelé depuis. On connaît les scènes grossières et sacrilèges qui souillent, tous les ans, L’Église du Saint-Sépulcre, lorsque, sous les yeux d’un peuple ignorant et enthousiaste, le clergé grec cherche en ce jour à reproduire, par une supercherie odieuse, le miracle qui a cessé depuis tant de siècles.

Outre le feu nouveau, la sainte Église bénit aussi de l’encens aujourd’hui. Cet encens représente les parfums que Madeleine et les autres saintes femmes ont préparés pour embaumer le corps du Rédempteur. Il est en cinq larmes ou grains ; et nous verrons tout à l’heure l’emploi auquel il est destiné. L’Oraison que l’Évêque prononce sur cet encens nous apprend déjà les rapports qu’il doit avoir avec la lumière ; en même temps qu’elle nous instruit sur la puissance de ces divers éléments sacrés contre les embûches des esprits de ténèbres.

L’Évêque et son cortège sortent de l’Église pour se rendre au lieu où est la crédence, sur laquelle sont déposés le feu nouveau et l’encens. Ce feu représente le Christ, ainsi que nous venons de le dire ; or, le tombeau du Christ, le lieu d’où il doit ressusciter, est situé hors des portes de Jérusalem. Les saintes femmes et les Apôtres devront sortir de la ville pour se rendre au sépulcre et constater la résurrection.

Le Pontife, étant arrivé en présence des symboles, bénit d’abord le feu par les Oraisons suivantes :

V/. Le Seigneur soit avec vous ;
R/. Et avec votre esprit.

Prions.

O Dieu qui, par votre Fils, la pierre angulaire, avez allumé en vos fidèles le feu de votre charité, sanctifiez ce feu nouveau que nous avons tiré de la pierre pour servir à nos usages ; et accordez-nous, durant ces fêtes pascales, d’être enflammés du désir des biens célestes, de telle sorte que nous puissions, par la pureté de nos cœurs, arriver à cette fête éternelle où nous jouirons d’une lumière qui ne s’éteindra jamais. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Prions.

Seigneur Dieu, Père tout-puissant, lumière éternelle et créateur de toute lumière, bénissez celle-ci, à laquelle vous avez déjà donné le principe de la bénédiction, en éclairant le monde entier. Faites-en naître un feu qui nous échauffe et nous éclaire de votre clarté ; et de même que vous avez conduit Moïse par votre flambeau, lorsqu’il sortait d’Égypte, daignez aussi illuminer nos cœurs et nos esprits, afin que nous méritions d’arriver à la vie et à la lumière éternelle. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Prions.

Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, nous bénissons ce feu en votre nom, et en celui de votre Fils unique, notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, et du Saint-Esprit ; daignez y coopérer avec nous, aidez-nous à repousser les traits enflammés de l’ennemi, et éclairez-nous de la grâce céleste : Vous qui, étant Dieu, vivez et régnez avec ce même Fils unique et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen.

L’Évêque bénit ensuite l’encens, en adressant à Dieu cette prière :

Répandez, s’il vous plaît, Dieu tout-puissant, sur cet encens, une effusion abondante de vos bénédictions ; allumez vous-même cette lumière qui doit nous éclairer durant cette nuit, vous qui êtes le régénérateur invisible : afin que le Sacrifice que l’on vous prépare pour cette nuit soit illuminé de vos feux mystérieux, et qu’en tout lieu où l’on portera quelque chose de ce que nous bénissons ici, les artifices et la malice du diable en soient expulsés, et que la puissance de votre divine Majesté y réside et y triomphe. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.

Après ces Oraisons, un Acolyte met dans l’encensoir quelques charbons du feu bénit. L’Évêque ayant jeté de l’encens sur ces charbons, fait fumer l’encensoir sur le feu et sur l’encens mystérieux, après les avoir d’abord aspergés de l’eau sainte. Un autre Acolyte allume un cierge aux charbons du feu nouveau ; c’est ce cierge qui doit introduire dans l’Église la lumière nouvelle. En même temps, le Diacre revêt une dalmatique de couleur blanche qui vient contraster avec le pluvial violet de l’Évêque. Cette parure de joie s’expliquera bientôt par la fonction toute d’allégresse dont le Diacre est chargé. En attendant, il prend dans sa main droite un roseau, au haut duquel est fixé un cierge en trois branches. Ce roseau est un souvenir de la Passion du Sauveur et de la faiblesse de la nature humaine qu’il a daigné s’unir par l’incarnation ; il est surmonté d’un triple cierge qui est appelé à signifier la glorieuse Trinité à laquelle participe le Verbe incarné.

Le cortège sacré rentre dans l’église. Après avoir fait quelques pas, le Diacre incline le roseau, et l’Acolyte qui porte la lumière nouvelle allume une des trois branches du cierge. Le Diacre alors se met à genoux, et tous imitent son exemple. Élevant dans les airs la lumière qu’il vient de recevoir, il chante d’un ton de voix ordinaire :

La lumière du Christ !

Toutes les voix répondent :

Rendons grâces à Dieu !

Cette première ostension de la lumière proclame la divinité du Père qui nous a été manifestée par Jésus- Christ. « Nul ne connaît le Père, nous dit-il, sinon le Fils, et celui à qui il aura plu au Fils de le révéler. » (s. Matth. 11, 27) On se relève, et on continue d’avancer dans l’église. À l’endroit marqué, le Diacre incline une seconde fois le roseau, et l’Acolyte allume la seconde branche du cierge. Le Diacre observe les mêmes cérémonies que la première fois, et chante d’un ton de voix plus élevé :

La lumière du Christ !

Toutes les voix répondent :

Rendons grâces à Dieu !

Cette seconde ostension de la lumière annonce la divinité du Fils, qui s’est montré lui-même aux hommes dans l’Incarnation, et leur a révélé son égalité de nature avec le Père. On se relève encore, et l’on arrive en face de l’autel. Le Diacre incline encore le roseau, et l’Acolyte allume la troisième branche du cierge. Alors le Diacre chante une dernière fois, mais sur un ton de voix toujours plus éclatant :

La lumière du Christ !

Et toutes les voix répondent :

Rendons grâces à Dieu !

Cette troisième ostension proclame la divinité du Saint-Esprit qui nous a été révélée par Jésus-Christ, lorsqu’il a donné à ses Apôtres le précepte solennel que l’Église se dispose à accomplir en cette nuit même : « Enseignez toutes les nations et baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » (s. Matth. 28, 19) C’est donc par le Fils, qui est « la Lumière du monde ». que les hommes ont connu la glorieuse Trinité dont le Pontife va demander la confession aux catéchumènes, avant de les plonger dans la fontaine sacrée, et dont le cierge à trois branches doit rappeler le mystère durant toute cette sainte fonction.

Tel est le premier emploi du feu nouveau : annoncer les splendeurs de la Trinité divine. Maintenant il va servir à la gloire du Verbe incarné, en donnant son complément au magnifique symbole qui doit désormais attirer nos regards. L’Évêque est monté à son trône ; le Diacre, ayant déposé le roseau, vient s’agenouiller à ses pieds, demandant la bénédiction pour le solennel ministère qu’il va remplir. Le Pontife lui adresse ces paroles : « Que Le Seigneur soit dans votre cœur et sur vos lèvres ; afin que vous accomplissiez comme il convient la proclamation de la Pâque ». Le Diacre se relève et se dirige vers l’ambon. Les clercs qui portent le roseau surmonté du cierge à trois branches et les cinq larmes d’encens, l’accompagnent. Sur l’ambon s’élève une colonne de marbre, et cette colonne est surmontée d’une colonne de cire : c’est le Cierge pascal.

Le Cierge Pascal

Le soleil descend à l’horizon, et bientôt il aura cédé la place aux ombres de la nuit. La sainte Église a préparé, pour luire avec éclat durant la longue Veille qui déjà commence, un flambeau supérieur en poids et en grosseur à tous ceux que l’on allume dans les autres solennités. Ce flambeau est unique ; il a la forme d’une colonne ; et il est appelé à représenter le Christ. Avant qu’il ait été allumé, son type est dans la colonne de nuée qui couvrit le départ des Hébreux, au sortir de L’Égypte ; sous cette première forme, il figure le Christ dans le tombeau, inanimé, sans vie. Lorsqu’il aura reçu la flamme, nous verrons en lui la colonne de feu qui éclaire les pas du peuple saint ; et aussi la figure du Christ tout radieux des splendeurs de sa résurrection. La majesté de ce symbole est si grande, que la sainte Église emploie toutes les magnificences de son langage inspiré, pour exciter à son endroit l’enthousiasme des fidèles. Dès le commencement du Vème siècle, on voit le Pape saint Zozime étendre à toutes les églises de la ville de Rome le privilège de bénir aujourd’hui ce Cierge, bien que le baptême ne fût conféré qu’au seul Baptistère du Latran. Le but de cette concession était de mettre tous les fidèles à portée de jouir des saintes impressions que ce grand rite est appelé à produire. C’est dans la même intention que la cérémonie du Cierge pascal peut s’accomplir aujourd’hui dans toutes les églises, même dans celles qui ne possèdent pas de fonts baptismaux.

L’annonce de la Pâque retentit au milieu des éloges que le Diacre prodigue à ce Cierge glorieux ; et c’est en célébrant le divin flambeau dont celui-ci est l’emblème, qu’il remplit sa noble fonction de héraut de la Résurrection de l’Homme-Dieu. Seul vêtu de blanc, à cette heure où le Pontife lui-même porte encore les couleurs du deuil quadragésimal, il fait éclater sa voix dans la bénédiction du Cierge, avec une liberté qui d’ordinaire n’est pas accordée au Diacre en présence du Prêtre, et moins encore de l’Évêque. Les interprètes de la sainte Liturgie nous enseignent que le Diacre représente en ce moment Madeleine et les autres saintes femmes qui eurent l’honneur d’être initiées les premières par le Christ lui‑même au mystère de sa résurrection, et furent chargées par lui, malgré l’infériorité de leur sexe, d’annoncer aux Apôtres qu’il était sorti du tombeau, et qu’il les précéderait en Galilée.

Mais il est temps d’écouter les accents forts et mélodieux de ce chant sacré qui vient faire battre nos cœurs, et nous donner un avant-goût des allégresses que nous réserve cette nuit merveilleuse. Le Diacre débute par cet exorde lyrique :

Que la troupe angélique tressaille de joie dans les cieux ; que les divins mystères se célèbrent avec allégresse, et que la trompette sacrée publie la victoire du souverain Roi. Que la terre se réjouisse, illuminée des rayons d’une telle gloire ; que l’éclat du Monarque éternel qui resplendit sur elle, l’avertisse que l’univers entier est délivré des ténèbres qui le couvraient. Que l’Église notre mère, environnée des clartés de cette brillante lumière, se réjouisse aussi ; et que ce temple retentisse de la grande voix du peuple fidèle. C’est pourquoi, très chers frères, qui êtes ici pour prendre part aux splendeurs de cette sainte lumière, je vous prie d’invoquer avec moi la miséricorde du Dieu tout-puissant. Demandez pour moi qu’après m’avoir placé, sans mérite de ma part, au nombre des Lévites, il daigne m’illuminer de ses feux, et m’aider à célébrer dignement la gloire de ce Cierge. Par Jésus-Christ notre Seigneur son Fils, qui, étant Dieu, vit et règne avec lui en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles, R/. Amen.

V/. Le Seigneur soit avec vous ;
R/. Et avec votre esprit.

V/. Les cœurs en haut !
R/. Nous les avons vers le Seigneur.

V/. Rendons grâces au Seigneur notre Dieu.
R/. C’est une chose digne et juste.

Il est vraiment juste et raisonnable d’employer nos cœurs et nos voix à louer le Dieu invisible, le Père tout-puissant, et son Fils Jésus-Christ notre Seigneur qui a payé pour nous au Père éternel la dette d’Adam, et effacé de son propre sang la cédule des peines qu’avait méritées l’antique péché. Car voici arrivées les fêtes Pascales dans lesquelles est immolé l’Agneau véritable, dont le sang consacre les portes des fidèles.

Voici la nuit dans laquelle, après avoir tiré de l’Égypte les enfants d’Israël nos pères, vous leur avez fait passer la mer Rouge à pied sec. C’est cette nuit qui a dissipé les ténèbres du péché par les rayons de la colonne de feu. C’est cette nuit qui, dans le monde entier, enlève aux vices du siècle ceux qui croient au Christ, les arrache aux ténèbres du péché, les rend à la grâce, les unit à la société des saints. C’est cette nuit qui voit le Christ sortir victorieux des enfers, après avoir brisé les liens de la mort. Pour nous, à quoi nous eût servi de naître, si nous n’eussions eu le bonheur d’être rachetés ?

O admirable effusion de votre bonté sur nous ! O excès incompréhensible de votre charité ! pour racheter l’esclave, vous avez livré le Fils ! O nécessité du péché d’Adam, qui devait être effacé par la mort du Christ ! O heureuse faute, à qui il a fallu un tel réparateur !

O nuit fortunée, qui seule a connu le temps et l’heure auxquels le Christ est ressuscité des enfers ! C’est à cette nuit que l’on peut appliquer ces paroles : La nuit deviendra lumineuse comme le jour ; et celles-ci : La nuit deviendra claire comme le jour, pour éclairer mes délices. La sainteté de cette nuit bannit les crimes, lave les péchés, rétablit le coupable dans l’innocence, rend ta joie aux affligés, dissipe les haines, ramène la concorde, et soumet à Dieu les empires.

Ici le Diacre s’interrompt, et prenant successivement les cinq grains d’encens, il les enfonce dans le Cierge, et les y dispose de manière à figurer une croix. Le nombre de ces grains d’encens ainsi insérés dans la masse du Cierge, représente les cinq plaies du Christ sur la croix ; en même temps que leur emploi signifie celui des parfums que Madeleine et ses compagnes avaient préparés, pendant que le Christ reposait dans le tombeau. Jusqu’ici, comme nous l’avons dit plus haut, le Cierge pascal est le symbole de l’Homme-Dieu que sa résurrection n’a pas encore glorifie.

Recevez donc, Père saint, en cette nuit sacrée, l’offrande que la sainte Église vous présente par la main de ses ministres, comme un encens du soir, par l’oblation solennelle de ce Cierge dont les abeilles ont fourni la matière. Nous connaissons maintenant ce que figure cette colonne de cire qu’une flamme éclatante va allumer à l’honneur de Dieu.

Après ces paroles, le Diacre s’interrompt de nouveau, et prenant des mains de l’Acolyte le roseau qui porte la triple lumière, il allume le Cierge pascal à une des branches. Cette action symbolique signifie l’instant de la résurrection du Christ, lorsque la vertu divine vint tout à coup ranimer son corps, en lui réunissant l’âme sainte que la mort en avait séparée. Désormais le flambeau sacré, image du Christ-Lumière, est inauguré ; et la sainte Église se réjouit dans la pensée de revoir bientôt son céleste Époux, triomphant de la mort.

Cette flamme, quoique partagée, ne souffre aucune diminution en communiquant sa lumière. Elle a pour aliment la cire, que la mère abeille a produite pour la composition de ce précieux flambeau.

À ce moment, on allume avec le feu nouveau les lampes qui sont suspendues dans l’église. Cette illumination n’a lieu que quelque temps après celle du Cierge pascal, parce que la connaissance de la résurrection du Sauveur ne s’est répandue que successivement, jusqu’à ce qu’enfin elle ait éclairé tous les fidèles. Cette sucession nous avertit aussi que notre résurrection sera la suite et l’imitation de celle de Jésus-Christ, qui nous ouvre la voie par laquelle nous devons rentrer en possession de l’immortalité, après avoir comme lui traversé le tombeau.

O nuit vraiment heureuse, qui dépouilla les Égyptiens pour enrichir les Hébreux ! Nuit dans laquelle le ciel s’unit à la terre, les choses divines aux choses humaines ! Faites donc, Seigneur, que ce Cierge consacré à l’honneur de votre nom brûle durant toute cette nuit pour en dissiper les ténèbres, et que sa lumière s’élevant comme un parfum d’agréable odeur, se mêle à celle des flambeaux célestes. Que l’Étoile du matin le trouve encore allumé, cette Étoile qui n’a pas de couchant ; qui, se levant des lieux sombres, est venue répandre sa lumière sereine sur le genre humain.

Maintenant donc, Seigneur, nous vous supplions de nous accorder la paix et la tranquillité dans ces joies Pascales ; et de couvrir de votre protection, tous vos serviteurs, tout le clergé, le peuple fidèle, et de conserver notre bienheureux Pape X., et notre Évêque N. (Jetez aussi un regard sur notre très pieux Empereur N., et connaissant les désirs de son cœur, faites, dans votre ineffable bonté et miséricorde, qu’il jouisse d’une paix continuelle en cette vie, et qu’il remporte avec tout son peuple cette victoire qui assure le royaume des cieux.)[7] Par le même Jésus-Christ notre Seigneur votre Fils, qui, étant Dieu, vit et règne avec vous, en l’unité du Saint‑Esprit, dans tous les siècles des siècles. R/. Amen.

Le Diacre ayant terminé cette prière, se dépouille de la dalmatique blanche, et après avoir revêtu la couleur violette, revient auprès du Pontife. Alors commencent les lectures puisées dans les livres de l’Ancien Testament, et qui doivent occuper l’attention des fidèles durant une partie de cette nuit.

Les Lectures

Le flambeau de la résurrection répand maintenant sa lumière du haut de l’ambon par toute l’église, et son éclat réjouit saintement le cœur des fidèles. Après cet imposant prélude d’une scène qui s’annonce avec tant de grandeur, tout l’intérêt se réunit désormais sur les heureux catéchumènes dont nous suivons, depuis quarante jours, l’instruction et le progrès dans la foi et les bonnes œuvres. Ils sont en ce moment rassemblés sous le portique extérieur de l’Église. Des prêtres accomplissent sur eux les rites préparatoires au baptême qui ont été institués par les Apôtres, et sont remplis d’un sens si profond. D’abord les prêtres tracent sur le front de chacun d’eux le signe de la croix ; puis, imposant la main sur sa tête, ils adjurent Satan de sortir de cette âme et de ce corps, et de céder la place au Christ. À l’exemple du Sauveur, ils touchent de leur salive les oreilles et les narines du néophyte, en disant aux oreilles : « Ouvrez-vous ; » aux narines : « Respirez la douceur des parfums. » Le néophyte reçoit ensuite l’onction de l’Huile des Catéchumènes sur la poitrine et entre les épaules ; mais avant cette cérémonie, qui doit le désigner déjà comme l’athlète de Dieu, le prêtre l’a fait renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres.

Ces rites s’accomplissent d’abord sur les hommes, ensuite sur les femmes. Les enfants des fidèles, quoique en bas âge, sont admis à leur rang, selon leur sexe ; et si, parmi les catéchumènes, il en est qui soient atteints de maladie, et cependant aient voulu se faire porter à l’église pour recevoir, en cette nuit, la grâce de la régénération, les prêtres prononcent sur eux une touchante Oraison, dans laquelle on demande à Dieu qu’il daigne les secourir et confondre la malice de Satan.

Cet ensemble de rites, qui se nomme la Catéchization, exige un long temps, à raison du grand nombre des aspirants au baptême. C’est pour cette raison que l’Évêque s’est rendu à l’église dès l’heure de None et que l’on a commencé si tôt la grande Veille. Afin de tenir attentive toute l’assemblée, durant les heures nécessaires à l’accomplissement de tous les rites, on lit du haut de l’ambon les passages des Écritures les plus analogues à cette solennelle circonstance. Cet ensemble de lectures complète le cours d’instruction dont nous avons suivi le développement, durant tout le Carême.

Les Leçons qui doivent être lues s’élèvent jusqu’au nombre de douze ; et dans l’Église de Rome, où on les lit successivement en latin et en grec, leur nombre équivaut à vingt-quatre. Afin de ranimer l’attention et de résumer la doctrine et les sentiments des Prophètes, une Oraison vient après chaque Leçon servir d’expression aux vœux de la sainte Église. De temps en temps, des Cantiques empruntés à l’Ancien Testament et amenés par les lectures elles-mêmes, réunissent toutes les voix sur le mode touchant et mélodieux des Traits. Les aspirants au baptême sur lesquels les rites de la Catéchization sont accomplis, ont la liberté d’entrer dans l’église, et d’y occuper leur place ordinaire. Ils achèvent de se préparer au bain sacré, en écoutant les Lectures, et en s’unissant aux Prières. Toutefois l’ensemble de la fonction présente encore un aspect de gravité austère : on sent que l’heure désirée n’a pas sonné encore. De fréquentes génuflexions, la couleur sombre des parements sacrés continuent de faire contraste avec la splendeur du Cierge mystérieux, qui répand silencieusement sa lumière sur l’assemblée sainte, encore émue des accents de triomphe que le Diacre a fait retentir, et avide de voir arriver l’heure où le Christ va ressusciter dans ses néophytes.

Première prophétie. Genèse. Chap.1

Cette première lecture retrace le récit de la création, l’Esprit de Dieu porté sur les eaux, la lumière séparée des ténèbres, l’homme créé à l’image de Dieu. L’œuvre de Dieu avait été troublée et déformée par la malice de Satan. Le moment est venu où elle va revivre dans toute sa beauté. L’Esprit-Saint se prépare à opérer la régénération par les eaux, le Christ‑Lumière va sortir des ombres du tombeau, et la ressemblance de Dieu reparaître en l’homme purifié par le sang de son Rédempteur, nouvel Adam descendu du ciel, pour rétablir dans ses droits l’ancien qui avait été formé de la terre.

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et nue, et les ténèbres couvraient la face de l’abîme ; et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. Et Dieu dit : Que la lumière soit ; et la lumière fut. Et Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière d’avec les ténèbres. Il donna à la lumière le nom de Jour, et aux ténèbres le nom de Nuit ; et du soir et du matin se fit le premier jour.

Dieu dit aussi : Que le firmament soit au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux. Et Dieu fit le firmament : et il sépara les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient au-dessus du firmament. Et cela se fit ainsi. Et Dieu donna au firmament le nom de Ciel ; et du soir et du matin se fit le second jour. Dieu dit encore : Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et que l’élément aride paraisse. Et cela se fit ainsi. Dieu donna à l’élément aride le nom de Terre ; et il appela Mer les eaux assemblées. Et Dieu vit que cela était bon. Et il dit : Que la terre produise l’herbe verte qui porte de la graine, et les arbres fruitiers qui produisent du fruit, selon leur espèce, et qui renferment leur semence en eux-mêmes, pour se reproduire sur la terre. Et cela se fit ainsi. Et la terre produisit l’herbe verte qui portait la graine selon son espèce, et les arbres fruitiers qui renfermaient leur semence en eux-mêmes, chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. Et du soir et du matin se fit le troisième jour.

Dieu dit aussi : Que des corps lumineux soient dans le firmament du ciel ; qu’ils séparent le jour d’avec la nuit ; et qu’ils servent de signes pour marquer les temps et les saisons, les jours et les années ; qu’ils luisent au firmament du ciel, et qu’ils éclairent la terre. Et cela se fit ainsi. Dieu fit donc deux grands corps lumineux : l’un plus grand, pour présider au jour, et l’autre moindre, pour présider à la nuit. Il fit aussi les étoiles, et il les plaça dans le firmament du ciel, pour luire sur la terre, présider au jour et à la nuit, et séparer la lumière des ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon. Et du soir et du matin se fit le quatrième jour.

Dieu dit encore : Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l’eau, et des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel. Et Dieu créa les grands poissons, et tous les animaux qui ont vie et mouvement, que les eaux produisirent chacun selon son espèce. Il créa aussi tous les oiseaux selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon. Et il les bénit, en disant : Croissez et multipliez-vous, et remplissez les eaux de la mer ; et que les oiseaux se multiplient sur la terre. Et du soir et du matin se fit le cinquième jour.

Dieu dit aussi : Que la terre produise des animaux vivants, chacun selon son espèce ; les animaux domestiques, les reptiles et les bêtes de la terre, selon leurs espèces. Et cela se fit ainsi. Dieu fit donc les bêtes de la terre selon leurs espèces, les animaux domestiques et tous les reptiles, chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. Il dit ensuite : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ; et qu’il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes, à toute la terre, et à tous les reptiles qui se remuent sur la terre.

Et Dieu créa l’homme à son image ; il le créa à l’image de Dieu ; il les créa mâle et femelle. Et Dieu les bénit et leur dit : Croissez et multipliez-vous ; remplissez la terre et vous l’assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui se remuent sur la terre. Dieu dit encore : Voici que je vous ai donné toutes les herbes qui portent leur graine sur la terre, et tous les arbres qui portent en eux-mêmes leur semence, chacun selon son espèce ; afin qu’ils vous servent de nourriture, et à tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, et à tous les êtres qui ont mouvement et vie sur la terre ; afin qu’ils aient de quoi se nourrir. Et cela se fit ainsi. Et Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites ; et elles étaient très bonnes. Et du soir et du matin se fit le sixième jour.

Le ciel et la terre furent donc ainsi achevés avec toute leur parure. Et le septième jour Dieu accomplit tout l’ouvrage qu’il avait fait ; et il se reposa le septième jour, après avoir achevé son œuvre tout entière.

Après la lecture, l’Évêque dit :

Prions.

Le Diacre s’adressant à l’assemblée :

Fléchissons les genoux.

Puis le Sous-Diacre :

Levez-vous.

L’Évêque dit alors cette Oraison :

O Dieu, qui avez créé l’homme d’une manière admirable, et l’avez racheté d’une façon plus admirable encore ; donnez-nous, s’il vous plaît, de résister par la vigilance de l’esprit aux attraits du péché, afin que nous méritions d’arriver aux joies éternelles. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.

Deuxième prophétie. Genèse. Chap. 5

Le récit du déluge fait l’objet de la deuxième lecture. Nous y voyons Dieu faisant servir à sa justice les eaux qui, par Jésus-Christ, vont devenir l’instrument de sa miséricorde ; l’arche, figure de l’Église, asile de salut pour ceux qui ne veulent pas périr sous les flots vengeurs ; le genre humain se régénérant par une seule famille qui représentait les disciples du Christ, d’abord faibles en nombre, et bientôt répandus par toute la terre.

Noé, ayant atteint l’âge de cinq cents ans, engendra Sem, Cham et Japhet. Les hommes ayant commencé à se multiplier sur la terre, et ayant engendré des filles, les enfants de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et prirent pour femmes celles d’entre elles qui leur avaient plu. Et Dieu dit : Mon esprit ne demeurera pas pour toujours dans l’homme ; car l’homme n’est que chair ; le temps de sa vie ne sera plus que de cent vingt ans.

Or il y avait des géants sur la terre en ce temps-là : car depuis que les enfants de Dieu avaient eu commerce avec les filles des hommes, il en était sorti des enfants qui furent des hommes puissants et fameux dans le siècle. Mais Dieu voyant que la malice des hommes était extrême sur la terre, et que toutes les pensées de leurs cœurs se tournaient continuellement vers le mal, il se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Et étant touché de douleur jusqu’au fond du cœur, il dit : J’exterminerai de dessus la terre l’homme que j’ai créé ; je les détruirai tous, depuis l’homme jusqu’aux animaux, depuis ceux qui rampent sur la terre jusqu’aux oiseaux du ciel ; car je me repens de les avoir faits.

Mais Noé trouva grâce devant le Seigneur. Voici la postérité de Noé : Noé, l’homme juste et parfait, au milieu des hommes de son temps, marcha avec Dieu ; et il engendra trois fils, Sem, Cham et Japhet. Or la terre était corrompue devant Dieu, et remplie d’iniquité. Dieu voyant donc cette corruption de la terre (car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre), dit à Noé : J’ai résolu de faire périr tous les hommes ; ils ont rempli la terre d’iniquité, et je les exterminerai avec la terre. Fais-toi donc une arche de pièces de bois aplanies. Tu feras de petites demeures dans cette arche, et tu l’enduiras de bitume au dedans et au dehors. Voici la forme que tu lui donneras : Sa longueur sera de trois cents coudées, sa largeur de cinquante, et sa hauteur de trente. Tu feras à cette arche une fenêtre. Le comble qui la couvrira sera haut d’une coudée ; tu établiras la porte de cette arche sur un de ses flancs ; tu feras un étage en bas, un au milieu, et un troisième. Voici que je vais amener les eaux du déluge sur la terre, pour faire périr toute chair qui respire et qui vit sous le ciel. Tout ce qui est sur la terre sera détruit. J’établirai mon alliance avec toi, et tu entreras dans l’arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi. Tu feras aussi entrer dans l’arche deux de chaque espèce de tous les animaux, mâle et femelle, afin qu’ils vivent avec vous. De chaque espèce des oiseaux tu en prendras deux ; et deux de chaque espèce des animaux terrestres ; deux de chaque espèce de ceux qui rampent sur la terre. Deux de toute espèce rentreront avec toi, afin qu’ils puissent se conserver. Tu prendras donc avec toi de tout ce qui se peut manger, et tu le porteras avec toi ; et ce sera pour ta nourriture et pour la leur. Noé accomplit tout ce que Dieu lui avait commandé.

Il avait six cents ans, lorsque les eaux du déluge inondèrent la terre. Les sources du grand abîme des eaux furent rompues, et les cataractes du ciel furent ouvertes ; et la pluie tomba sur la terre durant quarante jours et quarante nuits. Le jour marqué étant arrivé, Noé entra dans l’arche avec ses fils, Sem, Cham, Japhet, sa femme, et les trois femmes de ses fils. Tous les animaux sauvages, selon leur espèce, entrèrent aussi avec eux ; tous les animaux domestiques selon leur espèce ; tout ce qui se meut sur la terre selon son espèce ; tous les volatiles. Or l’arche était portée sur les eaux. Et les eaux s’élevèrent beaucoup au-dessus de la terre ; toutes les montagnes les plus élevées qui sont sous le ciel en furent couvertes. L’eau monta à quinze coudées au-dessus des montagnes qu’elle couvrait. Toute chair qui avait mouvement sur la terre fut anéantie, les oiseaux, les animaux, les bêtes et tout ce qui rampait sur la terre. Il ne demeura que Noé seul et ceux qui étaient avec lui dans l’arche. Et les eaux couvrirent la terre durant cent cinquante jours.

Mais Dieu s’étant souvenu de Noé, de tous les animaux et de toutes les bêtes qui étaient avec lui dans l’arche, fit souffler un vent sur la terre, et les eaux commencèrent à diminuer. Les sources de l’abîme et les cataractes du ciel furent fermées, et les pluies qui tombaient du ciel s’arrêtèrent. Les eaux allant et revenant se retirèrent de dessus la terre ; ce fut après cent cinquante jours qu’elles commencèrent à diminuer. Quarante jours s’étant encore écoulés, Noé ouvrit la fenêtre qu’il avait faite, et lâcha le corbeau, qui étant sorti ne revint plus, jusqu’à ce que les eaux se fussent desséchées sur la terre. Il envoya aussi la colombe après le corbeau, pour voir si les eaux avaient disparu de la surface de la terre. Mais la colombe n’ayant pas trouvé où reposer son pied, parce que les eaux étaient encore sur toute la terre, elle revint à lui dans l’arche ; et Noé étendant la main, la prit et la remit dans l’arche. Il attendit encore sept autres jours, et envoya de nouveau la colombe hors de l’arche. Elle revint à lui vers le soir, portant en son bec un rameau d’olivier, dont les feuilles étaient verdoyantes. Noé reconnut alors que les eaux s’étaient retirées de dessus la terre. Il attendit néanmoins sept autres jours, après lesquels il envoya la colombe, qui ne revint plus à lui. Alors Dieu parla à Noé et lui dit : Sors de l’arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils. Fais-en sortir aussi tous les animaux qui sont avec toi, de toutes les espèces, tant des oiseaux que des bêtes, et de tout ce qui rampe sur la terre ; rentrez sur la terre ; croissez-y et multipliez.

Noé sortit donc avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils. Toutes les bêtes sauvages sortirent aussi de l’arche, les animaux domestiques et tout ce qui rampe sur la terre, chacun selon son espèce. Noé éleva un autel au Seigneur et prenant de tous les animaux et de tous les oiseaux purs, il offrit un holocauste sur cet autel. Et le Seigneur reçut ce sacrifice comme une offrande d’agréable odeur.

L’Évêque :

Prions.

Le Diacre :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

O Dieu, puissance invariable et lumière éternelle, jetez un regard favorable sur les merveilles de votre Église, et daignez opérer le salut du genre humain par l’effet de votre éternelle résolution ; en sorte que le monde entier éprouve et voie que ce qui était abattu est relevé, que ce qui était envieilli est renouvelé, et que tout est rétabli dans son intégrité première par celui qui est le commencement de tout : notre Seigneur Jésus-Christ votre Fils. Amen.

Troisième prophétie. Genèse. Chap. 22

La foi ferme et courageuse d’Abraham, Père des croyants, est offerte ici pour modèle à nos catéchumènes. Ils y reçoivent une leçon sur la dépendance dans laquelle l’homme doit vivre à l’égard de Dieu, et sur la fidélité qu’il doit lui garder. L’obéissance d’Isaac retrace celle dont le Fils de Dieu vient de nous donner le gage dans le sacrifice du Calvaire. Le bois porté sur les épaules du fils d’Abraham jusque sur la montagne, rappelle le souvenir de la croix.

En ces jours-là, Dieu tenta Abraham et lui dit : Abraham ! Abraham ! Il répondit : Me voici. Dieu lui dit : Prends Isaac, ton fils unique, que tu aimes, et va dans la terre de vision ; et là tu me l’offriras en holocauste sur une des montagnes que je te montrerai. Abraham se leva donc de nuit, prépara son âne, et prit avec lui deux jeunes serviteurs et son fils Isaac. Et ayant coupé le bois pour l’holocauste, il s’en alla au lieu que Dieu lui avait désigné. Le troisième jour, ayant levé les yeux, il aperçut de loin ce lieu. Et il dit à ses serviteurs : Attendez ici avec l’âne ; nous ne ferons qu’aller jusque-là, moi et l’enfant ; et après avoir adoré, nous reviendrons à vous. Il prit aussi le bois pour l’holocauste, et le mit sur son fils Isaac ; lui, portait en ses mains le feu et le glaive. Et comme ils marchaient tous deux ensemble, Isaac dit à son père : Mon père ? Abraham répondit : Que veux-tu, mon fils ? Isaac dit : Voici le feu et le bois : où est la victime pour l’holocauste ? Abraham dit : Dieu pourvoira lui-même à la victime pour l’holocauste, mon fils.

Ils continuèrent donc à marcher ensemble, et vinrent au lieu que Dieu avait montré à Abraham. Celui-ci y dressa un autel, et déposa sur cet autel le bois ; et ayant lié son fils Isaac, il le plaça sur le bois qu’il avait arrangé sur l’autel. Il étendit ensuite la main et prit le glaive pour immoler son fils. Mais voici que l’Ange du Seigneur lui cria du ciel : Abraham ! Abraham ! Il répondit : Me voici. L’Ange lui dit : Ne mets pas la main sur l’enfant, et ne lui fais aucun mal. Je connais maintenant que tu crains Dieu, puisque, pour m’obéir, tu n’as pas épargné ton fils unique. Abraham, levant les yeux, aperçut derrière lui un bélier qui s’était embarrassé avec ses cornes dans un buisson ; et l’ayant pris, il l’offrit en holocauste en place de son fils. Et il appela ce lieu d’un nom qui signifie : Le Seigneur voit. C’est pourquoi on dit encore aujourd’hui : Le Seigneur verra sur la montagne.

L’Ange du Seigneur appela Abraham du ciel une seconde fois, et lui dit : Je jure par moi-même, dit le Seigneur ; parce que tu as fait cette action, et que, pour m’obéir, tu n’as pas épargné ton fils unique, je te bénirai, et je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel, et comme le sable qui est sur le rivage de la mer. Ta postérité possédera les villes de ses ennemis, et toutes les nations de la terre seront bénies en celui qui sortira de toi ; parce que tu as obéi à ma voix. Abraham revint ensuite vers ses serviteurs, et ils s’en retournèrent ensemble à Bersabée, où il demeura.

L’Évêque :

Prions.

Le Diacre :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

O Dieu, souverain Père des fidèles, qui, répandant par toute la terre la grâce de l’adoption, y multipliez les enfants de la promesse ; et qui, par le sacrement conféré dans la Pâque, rendez père des nations, selon votre serment, Abraham votre serviteur : accordez à vos peuples d’entrer dignement dans la grâce de votre appel. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Quatrième prophétie. Exode. Chap. 14

C’est ici le grand symbole du Baptême. Le peuple de Dieu, échappé au dur esclavage de Pharaon, trouve son salut dans les eaux, tandis que l’Égyptien y est englouti. Les catéchumènes, après avoir traversé la fontaine baptismale, vont en sortir affranchis de la servitude de Satan, laissant leurs péchés submergés pour jamais dans les eaux qui sont devenues leur salut.

En ces jours-là, lorsque la vigile du matin fut venue, le Seigneur ayant regardé le camp des Égyptiens au travers de la colonne de feu et de nuée, fit périr une grande partie de leur armée. Il renversa les roues des chariots, et ils furent entraînés au fond de la mer. Les Égyptiens se dirent alors : Fuyons Israël ; car le Seigneur combat pour eux contre nous. Et le Seigneur dit à Moïse : Étends la main sur la mer, afin que les eaux retournent sur les Égyptiens, sur leurs chariots, et sur leur cavalerie. Moïse étendit donc la main sur la mer ; et dès le point du jour elle retourna au même lieu où elle était auparavant ; et lorsque les Égyptiens voulaient s’enfuir, les eaux vinrent au-devant d’eux, et le Seigneur les enveloppa au milieu des flots. Les eaux étant retournées de la sorte, couvrirent les chariots et la cavalerie de l’armée entière de Pharaon, qui étaient entrés dans la mer à la suite d’Israël ; et il n’en échappa pas un seul. Mais les enfants d’Israël passèrent à pied sec au milieu de la mer, ayant les eaux à droite et à gauche comme un mur. Et le Seigneur délivra en ce jour-là Israël de la main des Égyptiens. Et ils virent les cadavres des Égyptiens sur le rivage de la mer, et les effets de la main puissante que le Seigneur avait étendue contre eux. Et le peuple craignit le Seigneur, et ils crurent au Seigneur et à Moïse son serviteur. Alors Moïse et les enfants d’Israël chantèrent ce cantique au Seigneur, et dirent :

Après cette lecture, la sainte Église entonne le Cantique de Moïse, qui fut chanté sur les bords de la mer Rouge, par sa sœur Marie, assistée du chœur des jeunes filles d’Israël, à la vue des cadavres flottants des Égyptiens.

Trait

Chantons au Seigneur, car il a fait éclater sa grandeur ; il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier ; il s’est fait mon appui et mon protecteur, pour me sauver. V/. Il est mon Dieu, et je publierai sa gloire ; le Dieu de mon père, et je l’exalterai. V/. Le Seigneur a détruit la guerre : son nom est Jéhovah.

L’Évêque :

Prions.

Le Diacre :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

O Dieu, qui nous faites revoir de nos jours vos antiques merveilles, en opérant pour le salut de toutes les nations, par l’eau de la régénération, ce que vous opérâtes autrefois par la puissance de votre bras, en délivrant un seul peuple de la persécution des Égyptiens ; faites que le monde tout entier parvienne à la dignité des enfants d’Abraham et aux honneurs du peuple d’Israël. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Cinquieme prophétie. Isaïe. Chap. 54

Le plus sublime des Prophètes, Isaïe, invite nos catéchumènes à s’approcher des eaux, pour y étancher leur soif ; il les engage à venir apaiser leur faim par le mets le plus délicieux ; il vante l’héritage que le Seigneur leur a préparé, et rassure leur pauvreté, en promettant que le Dieu souverainement riche les comblera gratuitement de tous ses biens.

Voici l’héritage des serviteurs du Seigneur ; voici la justice qu’ils doivent attendre de moi, dit le Seigneur. Vous tous qui avez soif, approchez-vous des eaux ; et vous qui n’avez point d’argent, hâtez‑vous, achetez et mangez. Venez, achetez sans argent, et sans aucun échange, le vin et le lait. Pourquoi employez-vous votre argent à ce qui ne peut vous nourrir, et votre travail à ce qui ne peut vous rassasier ? Écoutez-moi avec attention ; nourrissez-vous de ce qui est bon ; et votre âme qui en sera engraissée s’en délectera. Inclinez votre oreille, et venez à moi ; écoutez, et votre âme vivra ; et je ferai avec vous une alliance éternelle, selon la miséricorde que j’ai promise à David. Voilà celui que j’ai donné aux peuples pour témoin, aux nations pour chef et pour maître. Tu appelleras à toi une nation que tu ne connaissais pas ; et les peuples à qui tu étais inconnu accourront vers toi, à cause du Seigneur ton Dieu, et du Saint d’Israël qui t’a glorifié. Cherchez le Seigneur pendant qu’on peut le trouver : invoquez-le, pendant qu’il est proche. Que l’impie quitte sa voie, et l’injuste ses pensées, et qu’il retourne au Seigneur ; et il lui fera miséricorde : qu’il retourne à notre Dieu, parce qu’il est plein de bonté pour pardonner. Car mes pensées ne sont point vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies, dit le Seigneur. Mais autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre ; autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, mes pensées au-dessus de vos pensées. Et comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y retournent plus, mais abreuvent la terre, la rendent féconde, la font germer, et font produire la semence pour semer, et le pain pour s’en nourrir : ainsi ma parole qui sort de ma bouche, ne retournera point à moi sans fruit ; mais elle fera tout ce que je veux, et produira l’effet pour lequel je l’ai envoyée, dit le Seigneur tout‑puissant.

L’Évêque :

Prions.

Le Diacre :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, multipliez, pour la gloire de votre nom, cette-postérité que vous avez promise à la foi de nos pères ; et par une adoption sainte, augmentez le nombre des enfants de la promesse ; afin que votre Église connaisse que vous avez déjà accompli au milieu d’elle, en grande partie, ce que les premiers saints ont connu devoir arriver. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Sixième prophétie. Baruch. Chap. Iii.

Dans ce beau passage du prophète Baruch, Dieu rappelle à nos élus du saint Baptême leurs égarements passés qui les rendaient indignes du pardon ; mais, dans sa miséricorde toute gratuite, il a daigné répandre sur eux sa divine Sagesse, et ils sont venus à lui. Le Seigneur leur parle ensuite de tous ces hommes de la gentilité, riches, puissants et industrieux, qui ont laissé leur nom dans les annales de la terre. Ils ont péri, et leur sagesse mondaine avec eux. Le peuple nouveau que le Seigneur se forme aujourd’hui ne s’égarera pas ainsi. Il aura la vraie Sagesse en partage. Dieu avait autrefois parlé mystérieusement à Jacob ; mais cette parole ne parvint pas à tous les hommes : aujourd’hui il est venu en personne sur la terre ; il a habité avec nous ; voilà pourquoi le peuple qu’il se crée aujourd’hui lui demeurera fidèle.

Écoute, Israël, les ordonnances de vie : prête l’oreille pour apprendre la Sagesse. D’où vient, ô Israël. que tu es présentement dans le pays de tes ennemis ; que tu vieillis dans une terre étrangère ; que tu te souilles avec les morts ; que tu es regardé comme ceux qui sont descendus dans le tombeau ? C’est que tu as abandonné la source de la Sagesse. Car si tu eusses marché dans la voie de Dieu, tu serais resté dans une paix éternelle. Apprends où est la prudence, où est la force ; afin que tu saches en même temps où est la stabilité de la vie, la vraie nourriture, la lumière des yeux et la paix.

Qui a découvert le lieu où réside la Sagesse ? qui a pénétré dans ses trésors ? Où sont maintenant ces princes des nations qui dominaient sur les bêtes de la terre, qui se jouaient des oiseaux du ciel ; qui amassaient en trésors l’argent et l’or, dans lequel les hommes placent leur confiance, et qu’ils cherchent sans cesse à acquérir ; qui mettaient l’argent en œuvre avec un soin extrême, et en faisaient des ouvrages rares ? Ils sont été exterminés ; ils sont descendus dans la tombe, et d’autres se sont élevés à leur place. Ils étaient jeunes et environnés de splendeur ; ils ont été les maîtres de la terre ; mais ils ont ignoré la voie de la vraie science, et n’en ont point compris les sentiers. Leurs enfants ne l’ont point reçue, et ils se sont écartés bien loin d’elle. On n’en a point entendu parler dans la terre de Chanaan ; et elle n’a point été vue dans Théman. Les enfants d’Agar qui recherchent une prudence terrestre, les négociateurs de Merrha et de Théman, ces conteurs de fables et ces inventeurs de prudence et d’intelligence, ont ignoré la voie de la vraie Sagesse, et n’ont pu en découvrir les sentiers.

O Israël, qu’elle est grande, la maison de Dieu ! et qu’il est vaste le lieu de sa possession ! Il est grand et n’a point de bornes : il est élevé, il est immense. C’est là qu’ont habité ces géants célèbres qui furent au commencement : hommes de si haute stature, qui savaient la guerre. Ce n’est pas eux cependant que le Seigneur a choisis : ils n’ont point trouvé la voie de la Sagesse ; et c’est pour cela qu’ils se sont perdus ; et comme ils n’ont point eu la Sagesse, leur propre folie les a précipités dans la mort. Qui est monté au ciel pour y aller prendre la Sagesse ? Quel est l’homme qui l’a fait descendre du haut des nuées ? Qui a passé la mer, et l’a trouvée, et l’a apportée de préférence à l’or le plus pur ? Il n’est personne qui soit capable d’en connaître les voies, ni qui puisse en reconnaître les sentiers. Mais celui qui sait tout la connaît, et il la trouve en lui-même par sa propre science ; lui qui a affermi la terre pour jamais ; qui l’a peuplée de bêtes et d’animaux ; qui envoie la lumière, et elle part aussitôt ; qui l’appelle, et elle obéit avec tremblement. Les étoiles répandent leur clarté, chacune à son poste ; et elles sont dans la joie. Il les appelle, et elles disent : Nous voici ! Et elles prennent plaisir à luire pour celui qui les a créées. C’est lui qui est notre Dieu, et nul autre ne peut être comparé avec lui. C’est lui qui possède toutes les voies de la science, et qui l’a donnée à Jacob son serviteur, à Israël son bien-aimé. Plus tard, il s’est fait voir sur la terre, et il a vécu avec les hommes.

L’Évêque :

Prions.

Le Diacre :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

O Dieu,qui multipliez sans cesse votre Église par la vocation des Gentils, daignez accorder votre continuelle assistance à ceux que vous allez purifier dans l’eau du baptême. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Septième prophétie. Ezéchiel. Chap. 38

Cette lecture a pour objet de proclamer devant les catéchumènes le grand dogme de la résurrection des corps, pour lequel l’esprit superbe et sensuel de la gentilité avait tant de répugnance. C’est le moment de rappeler la promesse que Dieu a daigné nous faire à ce sujet, quand l’heure est proche où le Christ, sortant du tombeau, va nous en montrer en sa personne le gage et l’accomplissement. Nos catéchumènes sont aussi figurés par ces ossements arides que le souffle du Seigneur va faire revivre tout à l’heure ; et qui, par toute la terre, vont lui former, cette nuit même, un grand peuple.

En ces jours-là, la main du Seigneur fut sur moi, et m’ayant mené dehors par l’Esprit du Seigneur, elle me laissa au milieu d’une campagne qui était toute couverte d’ossements, et elle me conduisit tout autour de ces ossements. Il y en avait une très grande quantité sur la surface de la terre, et ils étaient très secs. Et le Seigneur me dit : Fils de l’homme, penses-tu que ces os puissent revivre ? Et je dis : Seigneur Dieu, vous le savez. Et il me dit : Prophétise sur ces ossements, et dis-leur : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur. Voici ce que dit le Seigneur à ces ossements : Je vais envoyer un esprit en vous, et vous vivrez. Et je mettrai sur vous des nerfs, et j’y formerai de la chair, et j’y étendrai de la peau, et je vous donnerai un esprit, et vous vivrez ; et vous saurez que je suis le Seigneur. Je prophétisai donc comme le Seigneur me l’avait commandé. Et lorsque je prophétisais, un bruit se fit entendre ; il y eut une agitation dans ces ossements, et ils s’approchèrent l’un de l’autre, et chacun s’emboîta dans sa jointure. Et je vis tout à coup se former sur eux des nerfs, et des chairs les couvrirent ; et de la peau s’étendit par-dessus ; mais l’esprit n’y était pas encore. Et le Seigneur me dit : Prophétise à l’Esprit, fils de l’homme, et dis-lui : Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Esprit, viens des quatre vents, et souffle sur ces morts, afin qu’ils revivent. Et je prophétisai, comme le Seigneur me l’avait commandé. Et l’Esprit entra dans ces ossements, et ils devinrent vivants ; ils se dressèrent sur leurs pieds, et il s’en forma comme une grande armée. Et le Seigneur me dit : Fils de l’homme, tous ses ossements sont la maison d’Israël. Ils disent : Nos ossements sont desséchés ; notre espérance est perdue, et nous sommes retranchés du nombre des hommes. Prophétise donc, et dis-leur : Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux, et vous faire sortir de vos sépulcres, ô mon peuple ! et je vais vous introduire dans la terre d’Israël. Et vous saurez que je suis le Seigneur, lorsque j’aurai ouvert vos sépulcres, que je vous aurai tirés de vos tombeaux, ô mon peuple ; lorsque j’aurai répandu mon Esprit en vous, que vous vivrez et goûterez le repos sur la terre qui sera à vous, dit le Seigneur tout-puissant.

L’Évêque :

Prions.

Le Diacre :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

O Dieu, qui par les pages des deux Testaments, nous mettez en état de célébrer dignement le Mystère Pascal, donnez-nous de comprendre les desseins de votre miséricorde ; afin que les grâces que nous recevons en cette vie nous soient un motif d’espérer fermement les biens futurs. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Huitième prophétie. Isaïe. Chap. 4

Les sept femmes délivrées de l’opprobre et purifiées de leurs souillures, représentent ici les âmes des catéchumènes sur lesquelles la miséricorde du Seigneur va descendre. Elles désirent porter le nom de leur libérateur ; ce désir sera exaucé. Tous ceux qui remonteront de la fontaine sacrée s’appelleront Chrétiens, nom formé de celui du Christ. Elles se reposeront désormais sur la montagne sainte, à l’abri des orages. Ce séjour de lumière et de rafraîchissement que leur promet le prophète est l’Église, où elles habiteront avec l’Époux céleste.

En ce jour-là, sept femmes prendront un homme et lui diront : Nous mangerons notre pain, nous nous vêtirons par nous-mêmes ; agréez seulement que nous portions votre nom, et délivrez-nous de l’opprobre où nous sommes. En ce jour-là le Germe du Seigneur sera dans la magnificence et dans la gloire, le Fruit de la terre sera élevé en honneur, et ceux qui auront été sauvés de la ruine d’Israël seront comblés de joie. Alors tous ceux qui seront restés dans Sion, et qui seront réservés dans Jérusalem, seront appelés saints ; tous ceux qui ont été écrits dans Jérusalem au rang des vivants, après que le Seigneur aura purifié les souillures des filles de Sion, et qu’il aura lavé Jérusalem du sang impur qui est au milieu d’elle, en envoyant l’Esprit de justice, l’Esprit qui consume. Et le Seigneur fera naître sur toute la montagne de Sion, et au lieu où il a été invoqué, une nuée obscure pendant le jour, et l’éclat d’une flamme ardente pendant la nuit ; car il protégera de toutes parts le lieu de sa gloire, et son tabernacle sera un ombrage pendant la chaleur du jour, une retraite assurée et un abri contre l’orage et la pluie.

Après cette lecture, on chante un Trait emprunté aussi à Isaïe, dans lequel le Prophète célèbre les faveurs que le Christ a prodiguées à son Église, qui est sa Vigne chérie, l’objet de son amour et de tous ses soins.

Trait

Mon bien-aimé a une vigne sur un lieu élevé et fertile. V/. Il l’a environnée de haies et de fossés ; il y a mis du plant de Sorec, et bâti une tour au milieu. V/. Il y a fait aussi un pressoir. Or la maison d’Israël est la Vigne du Seigneur des armées.

L’Évêque :

Prions.

Le Diacre :

Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre :

Levez-vous.

O Dieu, qui avez déclaré par la bouche de vos saints Prophètes que, dans les enfants de votre Église, c’est vous qui semez la bonne semence et qui cultivez le plant choisi, en tous lieux de votre empire ; accordez à vos peuples qui sont désignés dans vos Écritures sous le nom de Vignes et de Moissons, d’arracher par votre secours les ronces et les épines, afin de produire des fruits en abondance. Par Jésus-Christ notre Seigneur, Amen.

Neuvième prophétie. Exode. Chap. 12

C’est par le sang de l’Agneau figuratif que le peuple d’Israël a été protégé contre le glaive de l’Ange exterminateur, qu’il a pu sortir de l’Égypte et se mettre en marche vers la terre promise ; c’est par le sang de l’Agneau véritable dont ils seront marqués, que nos catéchumènes vont être délivrés des terreurs de la mort éternelle et de la servitude de Satan. Bientôt ils prendront part au festin où l’on mange la chair de cet Agneau divin ; car nous touchons à la Pâque du Seigneur, et ils doivent la célébrer avec nous.

Dans ces jours-là, le Seigneur dit à Moïse et à Aaron dans la terre d’Égypte : Ce mois-ci sera pour vous le commencement des mois. Il sera le premier des mois de l’année. Parlez à toute l’assemblée des enfants d’Israël, et dites-leur : Au dixième jour de ce mois, chacun prendra un agneau pour sa famille et pour sa maison. S’il n’y a pas dans sa maison un nombre de personnes suffisant pour manger l’agneau, il en prendra chez son voisin, dont la maison tient à la sienne, autant qu’il en faut pour pouvoir manger l’agneau. Cet agneau sera sans tache, mâle et de l’année : vous pourrez même au défaut prendre un chevreau qui soit dans les mêmes conditions. Vous garderez cet agneau jusqu’au quatorzième jour de ce mois ; et, sur le soir, la multitude des enfants d’Israël l’immolera. Et ils prendront de son sang, et ils en mettront sur les deux poteaux et sur le haut des portes des maisons où ils le mangeront. Cette même nuit, ils en mangeront la chair rôtie au feu, avec des pains sans levain et des laitues sauvages. Vous ne mangerez rien de cet agneau qui soit crû, ou qui ait été cuit dans l’eau ; mais il sera seulement rôti au feu. Vous en mangerez la tète avec les pieds et les intestins ; et il n’en devra plus rien rester pour le matin suivant. S’il en restait quelque chose, vous aurez soin de le consumer par le feu. Voici en quelle tenue vous le mangerez : vous ceindrez vos reins, vous aurez des souliers aux pieds et un bâton à la main, et vous mangerez à la hâte. Car c’est la Pâque, c’est-à-dire le Passage du Seigneur.

L’Évêque : Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

Dieu tout-puissant et éternel, qui vous montrez admirable dans la disposition de toutes vos œuvres ; faites comprendre à ceux que vous avez rachetés, que la création du monde qui a eu lieu au commencement n’est pas une plus grande merveille que l’immolation du Christ, notre Pâque, qui a signalé la dernière partie des temps. Lui qui vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

Dixième prophétie. Jonas. Chap. 3

Ninive est la gentilité couverte de crimes et aveuglée par toutes les erreurs. Dieu a eu pitié d’elle et lui a envoyé les Apôtres au nom de son Fils. À leur voix, elle a abjuré son idolâtrie et ses vices, elle a fait pénitence ; et le Seigneur s’est mis à choisir ses élus dans le sein même de cette cité abandonnée. Nos catéchumènes étaient enfants de Ninive ; et bientôt ils vont être comptés au nombre des enfants de Jérusalem. La grâce du Seigneur et les œuvres de leur pénitence ont préparé cette merveilleuse adoption.

En ces jours-là, le Seigneur parla une seconde fois au prophète Jonas, et lui dit : Lève-toi, va dans la grande ville de Ninive, et y prêche ce que je t’ordonne de leur dire. Et Jonas se leva, et il alla à Ninive, selon l’ordre du Seigneur. Et Ninive était une grande ville qui avait trois journées de chemin. Et Jonas étant entré dans la ville, marcha pendant une journée, et ensuite il cria en disant : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite. Et les Ninivites crurent en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne public, et se couvrirent de sacs, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. La chose ayant été rapportée au roi de Ninive, il se leva de son trône, dépouilla ses habits royaux, se revêtit d’un sac, et s’assit sur la cendre. Ensuite il fit crier partout et publier dans Ninive cet ordre de la bouche du roi et de ses grands : Que les hommes et les bêtes, les bœufs et les brebis ne mangent rien ; qu’on ne les mène point au pâturage, et qu’ils ne boivent point d’eau ; que les hommes et les bêtes se couvrent de sacs et qu’ils crient au Seigneur de toute leur force ; que l’homme se retire de sa mauvaise voie, et de l’iniquité dont ses mains sont souillées. Qui sait si Dieu ne se retournera pas vers nous, pour nous pardonner, et s’il ne reviendra pas de la fureur de sa colère, en sorte que nous ne périssions pas ? Et Dieu considéra leurs œuvres : il vit qu’ils s’étaient convertis de leur voie mauvaise ; et le Seigneur notre Dieu eut pitié de son peuple.

L’Évêque : Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

O Dieu,qui avez réuni tant de nations diverses dans la confession de votre nom, donnez-nous la volonté et le pouvoir de faire ce que vous commandez ; afin que, au sein de votre peuple qui est appelé à la gloire éternelle, tous soient unis par une même foi et par la même sainteté dans les œuvres. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Onzieme prophétie. Deutéronome. Chap. 31

La sainte Église, par la lecture de ce passage de Moïse, avertit les catéchumènes de la grandeur des obligations qu’ils sont près de contracter avec Dieu. La grâce de régénération va leur être conférée sur la promesse solennelle qu’ils feront de renoncer à Satan, l’ennemi de Dieu. Qu’ils se montrent fidèles à cette promesse, et qu’ils n’oublient jamais que Dieu est le vengeur de la foi violée.

Moïse écrivit un Cantique, et l’apprit aux enfants d’Israël. Et le Seigneur donna ses ordres à Josué fils de Nun, et lui dit : Sois ferme et courageux ; car c’est toi qui introduiras les enfants d’Israël dans la terre que je leur ai promise, et je serai avec toi. Après donc que Moïse eut achevé d’écrire dans le livre les paroles de cette loi, il commanda aux Lévites qui portaient l’Arche de l’Alliance du Seigneur, et leur dit : Prenez ce livre et mettez-le à côté de l’Arche de l’Alliance du Seigneur votre Dieu ; afin qu’il y soit un témoignage contre toi, peuple d’Israël. Car je sais quelle est ton obstination, et combien ta tête est dure. Pendant tout le temps que j’ai vécu et que j’ai été parmi vous, vous avez toujours disputé et murmuré contre le Seigneur ; combien plus le ferez-vous lorsque je serai mort ? Assemblez devant moi tous les anciens de vos tribus et les docteurs, et je prononcerai devant eux les paroles de ce Cantique, et j’appellerai contre eux en témoignage le ciel et la terre. Car je sais qu’après ma mort, vous agirez mal, et que vous vous écarterez promptement de la voie que je vous ai prescrite ; et à la fin, des malheurs fondront sur vous, lorsque vous aurez fait le mal devant le Seigneur, en l’irritant par vos œuvres coupables. Moïse prononça donc les paroles de ce Cantique, et le récita jusqu’à la fin devant toute l’assemblée d’Israël.

Après cette lecture, on entonne les premières strophes du sublime Cantique que Moïse récita en présence d’Israël, avant de quitter la terre ; et dans lequel il exprime avec tant de vigueur les châtiments que Dieu exerce sur ceux qui ont osé rompre l’alliance qu’il avait daigné contracter avec eux.

Trait

Ciel, écoute mes paroles ; terre, entends ce que je vais dire. V/. Que mon discours soit attendu comme la pluie par les campagnes ; que mes paroles descendent comme la rosée. V/. Comme l’eau sur le gazon, et comme la neige sur l’herbe des champs ; car je vais célébrer le Nom du Seigneur. V/. Rendez hommage à la grandeur de notre Dieu ; il est le Dieu de vérité ; ses œuvres et toutes ses voies sont la justice. V/. Dieu est fidèle ; en lui, point d’injustice ; le Seigneur est juste et saint.

L’Évêque : Prions.

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

O Dieu qui êtes la grandeur des humbles et la force des justes ; vous qui, par Moïse votre saint serviteur, avez voulu instruire votre peuple dans ce sacré Cantique, qui est tout à la fois une répétition de votre loi et une instruction pour nous ; faites éclater votre puissance sur toutes les nations que vous avez sanctifiées par vos mystères ; apaisez les craintes, répandez la joie ; afin que les péchés étant effacés par votre miséricorde, la menace de vos vengeances se transforme en une assurance de salut. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Douzième prophétie. Daniel. Chap. III.

Une dernière instruction est offerte à nos catéchumènes, avant qu’ils descendent à la fontaine du salut. Il faut qu’ils sachent à quoi ils s’engagent en donnant leurs noms à la milice du Christ. Peut-être un jour seront-ils appelés à confesser leur Dieu devant les puissances de la terre. Sont-ils résolus à souffrir les tourments, à mourir plutôt que de trahir sa cause ? N’y a-t-il pas eu, plus d’une fois, des apostats dans les rangs de ceux dont le baptême avait le plus réjoui l’Église ? Il leur est donc nécessaire de connaître les épreuves qui peuvent les attendre La sainte Église va relire en leur présence l’histoire des trois jeunes Juifs qui, plutôt que d’adorer la statue du roi de Babylone, préférèrent se laisser jeter dans une fournaise ardente. Depuis la publication de la loi chrétienne, des millions de martyrs ont imité leur exemple. À chaque pas, dans les Catacombes romaines, des peintures retracent l’image de ces trois héros du vrai Dieu. La paix a été rendue à l’Église ; mais le monde est toujours l’ennemi de Jésus-Christ, et qui sait si Julien l’Apostat ne doit pas succéder à Constantin ?

En ces jours-là le roi Nabuchodonosor fit faire une statue d’or qui avait soixante coudées de haut et six de large ; et il la fit dresser dans la campagne de Dura, en la province de Babylone. Nabuchodonosor envoya ensuite un ordre pour faire assembler les satrapes, les magistrats, les juges, les officiers de l’armée, les intendants, les préfets et tous les gouverneurs des provinces, afin qu’ils se trouvassent au jour où l’on dédierait la statue que le roi Nabuchodonosor avait dressée. Alors les satrapes, les magistrats, les juges, les officiers de l’armée, les intendants, les préfets et tous les gouverneurs des provinces, s’assemblèrent pour assister à la dédicace de la statue que le roi Nabuchodonosor avait dressée. Ils se tenaient debout devant la statue que le roi Nabuchodonosor avait dressée, et un héraut criait à haute voix : On vous ordonne à vous, peuples, tribus et langues, qu’au moment où vous entendrez le son de la trompette, de la flûte, de la harpe, du hautbois, de la lyre et des concerts de toute sorte de musiciens, vous vous prosterniez en terre, adorant la statue d’or que le roi Nabuchodonosor a dressée. Que si quelqu’un ne se prosterne pas et ne l’adore pas, il sera jeté sur l’heure dans une fournaise enflammée.

Lors donc que tous les peuples entendirent le son de la trompette, de la flûte, de la harpe, du hautbois, de la lyre et des concerts de toute sorte de musiciens, les peuples, les tribus et les langues se prosternèrent et adorèrent la statue d’or que le roi Nabuchodonosor avait dressée. Aussitôt et dans le même moment, les Chaldéens approchèrent et accusèrent les Juifs, disant au roi Nabuchodonosor : O roi, vivez à jamais ! Vous avez fait une ordonnance, ô roi, que tout homme au moment où il entendrait le son de la trompette, de la flûte, de la harpe, du hautbois, de la lyre, et des concerts de toute sorte de musiciens, se prosterne et adore aussitôt la statue d’or. Si quelqu’un ne se prosterne pas et n’adore pas cette statue, il sera jeté dans une fournaise enflammée. Cependant il y a ici des Juifs à qui vous avez donné l’intendance des affaires de la province de Babylone, Sidrach, Misach et Abdénago ; ils méprisent, ô roi, votre ordonnance ; ils n’honorent point vos dieux, et ils n’adorent point la statue d’or que vous avez élevée.

Alors Nabuchodonosor, dans sa fureur et sa colère, ordonna qu’on amenât devant lui Sidrach, Misach et Abdénago. Et ils furent aussitôt amenés en présence du roi. Et le roi Nabuchodonosor leur dit ces paroles : Est-il vrai, Sidrach, Misach et Abdénago, que vous n’honorez point la statue d’or que j’ai élevée ? Maintenant donc, si vous êtes prêts à m’obéir, au moment où vous entendrez le son de la trompette, de la flûte, de la harpe, du hautbois, de la lyre et des concerts de toute sorte de musiciens, prosternez-vous et adorez la statue que j’ai élevée. Que si vous ne l’adorez pas, vous serez aussitôt jetés dans une fournaise enflammée : et quel est le Dieu qui vous arrachera d’entre mes mains ?

Sidrach, Misach et Abdenago répondirent au roi Nabuchodonosor et lui dirent : Il n’est pas besoin, ô roi, que nous vous répondions sur ce sujet ; car notre Dieu, celui que nous adorons, est assez puissant pour nous retirer des flammes de la fournaise ardente, et nous délivrer de vos mains, ô roi ! Que s’il ne le veut pas faire, nous vous déclarons, ô roi, que nous n’honorons point vos dieux, ni la statue d’or que vous avez élevée. Alors Nabuchodonosor fut rempli de fureur ; il changea de visage, et regarda d’un œil de colère Sidrach, Misach et Abdénago. Et il commanda d’allumer la fournaise sept fois plus ardente qu’elle n’avait coutume de l’être. Et il donna ordre aux plus forts soldats de sa garde de lier les pieds à Sidrach, Misach et Abdénago, et de les jeter ainsi au milieu des flammes de la fournaise. Et tout aussitôt, ces trois hommes furent liés et jetés au milieu des flammes de la fournaise avec leurs chausses, leur coiffure, leurs souliers et tous leurs vêtements ; car le commandement du roi pressait fort. Et comme la fournaise était extraordinairement embrasée, la flamme dévora les hommes qui y jetèrent Sidrach, Misach et Abdénago. Cependant ces trois hommes, Sidrach, Misach et Abdénago, tombèrent tout liés au milieu des feux de la fournaise ; et ils se promenaient à travers les flammes, louant Dieu et bénissant le Seigneur.

Après cette dernière lecture, l’Évêque prononce l’Oraison, à l’ordinaire ; mais le Diacre n’avertit point l’assemblée de se mettre à genoux. L’Église omet la génuflexion à cet endroit, pour apprendre aux catéchumènes combien ils doivent détester l’idolâtrie des Babyloniens, qui fléchirent le genou devant la statue de Nabuchodonosor.

Prions.

Dieu tout-puissant et éternel, unique espérance du monde, qui par la voix de vos Prophètes avez annoncé les mystères qui s’accomplissent en notre temps ; daignez accroître encore l’ardeur des vœux de votre peuple ; parce que nul de vos fidèles ne peut faire de progrès dans les vertus, si vous ne l’inspirez vous-même. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

La Bénédiction de l’eau baptismale

Durant ces longues lectures, ces prières et ces chants, le soleil a dès longtemps disparu, et la nuit a avancé dans son cours. Toutes les préparations sont achevées, et le moment est venu de se mettre en marche vers le Baptistère. Déjà sept Sous-Diacres s’y sont rendus pendant les lectures prophétiques, et y ont fait entendre la Litanie, répétant ses invocations d’abord sept fois, puis cinq fois, enfin trois fois. Le cortège sacré se dirige vers le lieu où est l’eau. C’est un édifice détaché de l’église, construit en rotonde ou de forme octogone. Au centre est un vaste bassin où l’on descend et d’où l’on remonte par plusieurs marches. Des canaux y amènent une eau pure, qu’un cerf en métal y verse par sa bouche. Au-dessus de la fontaine s’élève une coupole, au centre de laquelle plane l’image de l’Esprit-Saint, les ailes étendues, fécondant les eaux. Une balustrade entoure le bassin, afin que l’enceinte demeure libre pour les baptisés, et pour leurs parrains et marraines, qui seuls y pénétreront avec l’Évêque et ses prêtres. À peu de distance, on a dressé deux tentes, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes ; c’est là que se retireront un moment les nouveaux baptisés, au sortir de la fontaine, pour s’essuyer et changer d’habits.

Voici l’ordre de la marche vers le Baptistère. Le Cierge pascal, représentant la colonne lumineuse qui dirigea Israël, à travers les ombres de la nuit, vers la mer Rouge, dans les flots de laquelle il devait trouver son salut, s’avance d’abord à la tête du corps des catéchumènes. Ceux-ci viennent à la suite, ayant à leur droite, les hommes leur parrain, les femmes leur marraine ; car c’est sur la présentation d’un chrétien de son sexe que chacun d’eux est admis à la régénération. Deux Acolytes portent, l’un le saint Chrême, l’autre l’Huile des Catéchumènes ; et à la suite du clergé, l’Évêque s’avance entouré de ses ministres. Cette marche s’accomplit à la lueur des flambeaux ; les étoiles brillent au ciel de tout leur éclat, et les airs retentissent de chants mélodieux. On répète les strophes du Psaume dans lequel David, soupirant après son Dieu, compare son ardeur à celle du cerf qui aspire à l’eau de la fontaine. Le cerf, dont l’image a été placée dans le Baptistère, est la figure de l’ardent catéchumène.

Trait.

Comme le cerf aspire à l’eau de la fontaine, ainsi mon âme, ô Dieu, soupire après vous. V/. Mon âme brûle d’une soif ardente pour le Dieu vivant : quand paraîtrai-je devant la face du Seigneur ? V/. Mes larmes sont ma nourriture jour et nuit, pendant qu’on me dit à toute heure : Où est ton Dieu ?

On arrive bientôt au lieu du baptême ; et l’Évêque, en présence de la fontaine dont les eaux limpides appellent ses bénédictions, prononce d’abord l’Oraison suivante, dans laquelle il emploie, à son tour, la comparaison du cerf altéré, pour exprimer devant Dieu l’ardeur de son nouveau peuple vers la vie nouvelle dont le Christ est la source. Il dit :

V/. Le Seigneur soit avec vous ;

R/. Et avec votre esprit.

Prions.

Dieu tout-puissant et éternel, regardez favorablement la dévotion de ce peuple qui va prendre une nouvelle naissance, et aspire, comme le cerf, à la fontaine de vos eaux salutaires ; daignez faire que la soif que lui inspire sa foi sanctifie les âmes et les corps, dans le mystère sacré du Baptême. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

La bénédiction de l’eau pour le baptême est d’institution apostolique ; et l’antiquité de cette pratique nous est attestée par les plus grands docteurs, entre autres par saint Cyprien, saint Ambroise, saint Cyrille de Jérusalem, et saint Basile. Il est juste, en effet, que cette eau, instrument de la plus divine des merveilles, soit entourée de tout ce qui peut, en glorifiant Dieu qui a daigné l’associer à ses desseins de miséricorde sur l’humanité, la glorifier elle-même à la face du ciel et de la terre. Les chrétiens sont sortis de l’eau ; ils sont, comme disaient nos pères des premiers siècles, les heureux Poissons du Christ ; rien donc d’étonnant qu’ils tressaillent de joie, en présence de l’élément auquel ils doivent la vie, et qu’ils rendent à cet élément des honneurs qui se rapportent à l’auteur même des prodiges de grâce qui vont s’opérer. La prière dont le Pontife va se servir pour bénir l’eau nous ramène au berceau de notre foi, par la noblesse et l’énergie du style de sa rédaction, par l’autorité de son langage, et par les rites antiques et primitifs dont elle est accompagnée. Elle est sur le mode pompeux de la Préface, et empreinte d’un lyrisme inspiré. Le Pontife prélude par une simple Oraison, à la suite de laquelle éclate l’enthousiasme de la sainte Église, qui, pour s’assurer de l’attention de tous ses enfants, provoque leurs acclamations, et les avertit de tenir leurs cœurs en haut : Sursum corda !

V/. Le Seigneur soit avec vous ;
R/. Et avec votre esprit.

Prions.

Dieu tout-puissant et éternel, soyez attentif à ces grands mystères de votre bonté, à ces augustes sacrements. Envoyez l’Esprit d’adoption pour régénérer ces nouveaux peuples que la fontaine baptismale va vous enfanter ; et fortifiez par votre puissance ce que notre humble ministère s’apprête à accomplir. Par Jésus-Christ, votre Fils, notre Seigneur, qui, étant Dieu, vit et règne avec vous, en l’unité du Saint-Esprit. Dans tous les siècles des siècles.

R/. Amen.

V/. Le Seigneur soit avec vous :
R/. Et avec votre esprit.

V/. Les cœurs en haut !
R/. Nous les avons vers le Seigneur.

V/. Rendons grâces au Seigneur notre Dieu.
R/. C’est une chose digne et juste.

Oui, c’est une chose digne et juste, équitable et salutaire, de vous rendre grâces en tout temps et en tous lieux, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, qui opérez par une puissance invisible les merveilleux effets de vos sacrements ; et quoique nous soyons indignes d’être les ministres de si grands mystères, daignez néanmoins ne pas délaisser les dons de votre grâce, mais être toujours prêt à incliner vers nous les oreilles de votre bonté. O Dieu, dont l’Esprit était porté sur les eaux à l’origine du monde, afin que dès lors cet élément conçût la puissance de sanctification ! O Dieu qui, en lavant par les eaux les crimes d’un monde coupable, fîtes voir dans le déluge une image de la régénération, lorsqu’un même élément devenait ainsi mystérieusement la cessation du péché et le retour à la vertu ; jetez aujourd’hui, Seigneur, vos regards sur la face de votre Église, et multipliez en elle vos nouvelles générations, vous qui comblez de joie votre Cité par le cours abondant de votre grâce, et ouvrez en ce jour la fontaine baptismale par toute la terre, pour y produire des nations nouvelles ; afin que par un acte souverain de votre divine Majesté, cette Église reçoive la grâce de votre Fils unique, par la vertu du Saint-Esprit.

Ici le Pontife s’arrête un moment, et plongeant sa main dans les eaux, il les divise en forme de croix, montrant par ce signe que c’est par la vertu de la Croix qu’elles ont acquis le pouvoir de régénérer les âmes. Jusqu’à la mort du Christ sur la croix, cette puissance merveilleuse leur était seulement promise ; il fallait l’effusion du sang divin pour qu’elle leur fût conférée. C’est ce sang qui opère dans l’eau sur les âmes, avec la vertu de l’Esprit-Saint que le Pontife rappellera tout à l’heure.

Qu’il daigne, cet Esprit-Saint, féconder, par l’impression secrète de sa divinité, cette eau préparée pour la régénération des hommes, afin que cette divine fontaine ayant conçu la sanctification, on voie sortir de son sein très pur une race toute céleste, une créature renouvelée ; et que la grâce, comme une mère, réunisse dans un même enfantement ceux que le sexe distingue selon le corps, ou l’âge selon le temps. Commandez donc, Seigneur, que tout esprit immonde soit écarté d’ici ; éloignez de cet élément toute la malice et tous les artifices du diable. Que la puissance ennemie ne vienne pas se mêler dans ces eaux, ni voltiger autour, en tendant des embûches, ni s’y glisser secrètement, ni les corrompre et les souiller.

Après ces paroles, par lesquelles l’Évêque demande à Dieu qu’il daigne éloigner de ces eaux l’influence des esprits mauvais qui cherchent à infecter toute la création, il étend la main sur elles et les touche. Le caractère auguste du Pontife et du Prêtre est une source de sanctification ; et le contact de leur main sacrée opère déjà à lui seul sur les créatures, quand il s’exerce en vertu du sacerdoce de Jésus-Christ qui réside en eux.

Que cette créature sainte et innocente soit à couvert de toute attaque de l’ennemi, purifiée par l’expulsion de toute sa malice. Qu’elle soit une source de vie, une eau régénérante, une fontaine purifiante ; afin que tous ceux qui seront lavés dans ce bain salutaire reçoivent, par l’opération de l’Esprit-Saint, la grâce d’une pureté parfaite.

En prononçant les paroles suivantes, l’Évêque bénit par trois fois les eaux de la fontaine, en produisant sur elles le signe de la croix.

Je te bénis donc, créature d’eau, par le Dieu vivant, par le Dieu véritable, par le Dieu saint, par le Dieu qui, au commencement, te sépara de la terre d’une seule parole, et dont l’Esprit était porté sur toi.

Ici l’Évêque, nous montrant les eaux appelées déjà à féconder le Paradis terrestre, qu’elles parcouraient en quatre fleuves, les divise encore avec sa main, et les répand vers les quatre parties du monde qui plus tard devaient recevoir la prédication du saint baptême. Il accomplit ce rite si expressif, en proférant les paroles qui suivent :

Par le Dieu qui te fit jaillir de la fontaine du Paradis, et te divisa en quatre fleuves, en te commandant d’arroser toute la terre ; qui dans le désert t’enleva ton amertume, et te restituant ta douceur, te rendit potable, et qui plus tard te fit sortir de la pierre pour apaiser la soif de son peuple. Je te bénis aussi par Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui, à Cana de Galilée, par un signe admirable de son pouvoir, te changea en vin ; qui marcha sur toi à pied sec ; qui fut baptisé en toi par Jean, dans le Jourdain ; qui te fit sortir, avec le sang, de son côté ouvert ; et qui commanda à ses disciples de baptiser en toi ceux qui croiraient, leur disant : Allez, enseignez toutes les nations, et baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

À ce moment, l’Évêque suspend le mode triomphant de la Préface, et prononce les paroles qui vont suivre sur un ton plus simple. Après avoir marqué les eaux du signe de la croix, il invoque sur elles l’action fécondante de l’Esprit-Saint.

Dieu tout-puissant, regardez favorablement ce que nous faisons pour obéir à ce précepte, et daignez répandre le souffle de votre Esprit.

L’Esprit-Saint porte un nom qui signifie Souffle ; il est le souffle divin, ce vent violent qui se fit entendre dans le Cénacle. Le Pontife exprime ce divin caractère de la troisième personne divine, en soufflant trois fois sur les eaux de la fontaine en forme de croix ; puis il continue, sans reprendre encore le mode de la Préface.

Bénissez vous-même de votre bouche ces eaux pures, afin que, outre la vertu qu’elles ont de nettoyer les corps, elles reçoivent encore celle de purifier les âmes.

Prenant ensuite le Cierge pascal, il en plonge l’extrémité inférieure dans le bassin. Ce rite exprime le mystère du baptême du Christ dans le Jourdain, au jour où les eaux reçurent les arrhes de leur divin pouvoir Le Fils de Dieu était descendu dans le fleuve, et l’Esprit-Saint reposait sur sa tête en forme de colombe. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les arrhes qui sont données ; l’eau reçoit véritablement la vertu promise, par l’action des deux divines personnes. C’est pour cela que l’Évêque, reprenant le ton de la Préface, s’écrie en plongeant dans l’eau le Cierge mystérieux, symbole du Christ, sur lequel plane la céleste Colombe :

Que la vertu du Saint-Esprit descende sur toute l’eau de cette fontaine.

Après ces paroles, le Pontife retire le Cierge de l’eau, puis le replongeant plus avant, il répète d’un ton de voix plus élevé :

Que la vertu du Saint-Esprit descende sur toute l’eau de cette fontaine.

Ayant encore retiré le Cierge, il le plonge une troisième fois jusqu’au fond du bassin, chantant d’une voix plus éclatante encore ces mêmes paroles :

Que la vertu du Saint-Esprit descende sur toute l’eau de cette fontaine.

Cette fois, avant de retirer le Cierge de l’eau, l’Évêque se penche sur la fontaine ; et, pour unir dans un symbole visible la puissance de l’Esprit‑Saint à la vertu du Christ, il fait une nouvelle insufflation sur les eaux, non plus en forme de croix, mais en traçant avec son souffle cette lettre de l’alphabet grec, ψ qui est la première du mot Esprit en cette langue ; puis il reprend sa solennelle prière par ces paroles :

Qu’elle donne la fécondité à cette eau, et la rende capable de régénérer.

On enlève alors le Cierge pascal de la fontaine, et l’Évêque continue.

Que toutes les taches de péchés soient ici effacées ; que la nature créée à votre image, étant rétablie dans la dignité de son origine, soit purifiée de toutes ses souillures ; afin que tout homme auquel sera appliqué ce mystère de régénération, renaisse à l’innocence d’une enfance nouvelle.

L’Évêque quitte après ces paroles le ton de la Préface, et prononce sans chanter la conclusion suivante :

Par notre Seigneur Jésus-Christ votre Fils, qui doit venir juger les vivants et les morts, et détruire le monde par le feu.

R/. Amen.

Après que le peuple a répondu Amen, un des Prêtres asperge l’assemblée avec l’eau de la fontaine, et un des clercs inférieurs vient y plonger un vase qu’il retire plein de cette eau, et qui est destiné pour le service de l’église et pour l’aspersion des maisons des fidèles.

Les prières de la bénédiction de l’eau sont achevées ; et cependant la sainte Église n’a pas accompli encore, en faveur de cet élément, tout ce qu’elle a résolu de faire. Jeudi dernier, elle a été mise de nouveau en possession des grâces de l’Esprit-Saint par le don des Huiles sacrées ; et elle veut aujourd’hui honorer la fontaine du salut, en épanchant dans ses eaux les précieuses liqueurs dont le renouvellement a été accueilli avec tant de joie. Le peuple fidèle apprendra à vénérer toujours davantage la source purifiante du salut des hommes, dans laquelle se réunissent tous les symboles de l’adoption divine. L’Évêque, prenant l’ampoule qui contient l’Huile des catéchumènes, en répand sur les eaux, disant ces paroles :

Que cette fontaine soit sanctifiée et rendue féconde par l’infusion de l’huile du salut, pour donner la vie éternelle à ceux qui renaîtront de son sein. Amen.

Puis, prenant le vase du Saint-Chrême, il en verse aussi dans la fontaine, en disant :

Que l’infusion du Chrême de notre Seigneur Jésus-Christ et du Saint-Esprit Consolateur s’opère au nom de la sainte Trinité. Amen.

Enfin, tenant dans sa main droite le Chrême et dans sa main gauche l’Huile des catéchumènes, il verse des deux fioles à la fois sur les eaux, et dit en accomplissant cette libation sacrée qui exprime la surabondance de la grâce baptismale :

Que le mélange du Chrême de sanctification et de l’Huile d’onction avec l’Eau baptismale s’opère, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. R/. Amen.

Après ces paroles, l’Évêque étend avec la main les Huiles saintes sur la surface de l’eau, afin qu’elle participe tout entière à ce dernier degré de sanctification ; et après avoir essuyé ses mains, il se retire un moment à l’écart, pour dépouiller ceux des vêtements sacrés qui pourraient gêner son action dans l’administration du baptême.

Le Baptême

Le Pontife reparaît bientôt au bord de la fontaine sacrée, et l’on appelle successivement les élus. Ils s’avancent un à un, conduits, les hommes par le parrain, et les femmes par la marraine. L’Évêque se place sur une estrade d’où il domine la fontaine. Le catéchumène, dépouillé de ses habits en la partie supérieure, descend les degrés du bassin et pénètre dans l’eau, à portée de la main du Pontife. Alors celui-ci, élevant la voix, l’interroge : « Croyez-vous, lui dit-il, en Dieu Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ? — J’y crois, répond le catéchumène. — Croyez‑vous en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui est né et a souffert ? —J’y crois. — Croyez-vous au Saint-Esprit, la sainte Église catholique, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle ? — J’y crois. » Après avoir reçu la confession de la foi, le Pontife adresse à l’élu cette demande : « Voulez‑vous être baptisé ? — Je le veux, » répond l’élu. Alors le Pontife, étendant la main sur la tête du catéchumène, la plonge par trois fois dans les eaux de la fontaine, en disant : « Je vous baptise, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »

Trois fois l’élu a disparu entièrement sous les eaux ; elles se sont refermées au-dessus de lui, et le dérobaient à tous les regards. Le grand Apôtre nous explique cette partie du mystère. Les eaux ont été pour l’élu le tombeau où il s’est trouvé enseveli avec le Christ ; et comme le Christ, il en sort rendu à la vie. La mort qu’il vient de subir est la mort au péché ; la vie qu’il possède désormais est la vie de la grâce (Rom. 6, 4). Le mystère complet de la résurrection de l’Homme-Dieu se reproduit ainsi dans le chrétien baptisé. Mais avant que l’élu sorte de l’eau, un rite profond vient compléter en lui la ressemblance avec le Fils de Dieu. Jésus était encore dans les eaux du Jourdain, lorsque la divine Colombe descendit sur sa tête ; avant que le néophyte soit sorti de la fontaine, un prêtre répand aussi sur sa tête le Chrême, don de l’Esprit-Saint. Cette onction indique dans l’élu le caractère royal et sacerdotal du chrétien qui, par son union avec Jésus-Christ son chef, participe, dans un certain degré, à la Royauté et au Sacerdoce de ce divin Médiateur. Comblé ainsi des faveurs du Verbe éternel et de l’Esprit-Saint, adopté par le Père qui voit en lui un membre de son propre Fils, le néophyte sort de la fontaine par les degrés du bord opposé, semblable à ces brebis du divin Cantique qui remontent du lavoir où elles ont purifié leur blanche toison (Cant. 4, 2). Le parrain l’attend sur le bord ; il lui donne la main pour remonter, et s’empresse de le couvrir d’un linge et d’essuyer l’eau sainte qui ruisselle de ses membres.

L’Évêque continue sa noble fonction ; autant de fois qu’il plonge un pécheur dans les eaux, autant de fois un juste renaît de la fontaine. Mais il ne peut continuer longtemps d’opérer à lui seul un ministère dans lequel les prêtres peuvent le suppléer. Lui seul peut conférer aux néophytes l’auguste sacrement qui doit les confirmer par le don de l’Esprit-Saint ; et s’il attendait pour exercer ce pouvoir divin le moment où tous les catéchumènes auront été régénérés, on arriverait au grand jour avant d’avoir accompli tous les mystères de cette sainte nuit. Il se borne donc à conférer par lui-même le saint baptême à quelques élus, hommes, femmes et enfants, et laisse aux prêtres le soin de recueillir le reste de la moisson du Père de famille. Dans le baptistère, est un lieu spécial appelé Chrismarium, parce que c’est là que le Pontife doit conférer le sacrement du Chrême ; il s’y rend, et monte sur le trône qui lui a été préparé. On le revêt de nouveau des ornements sacrés qu’il avait déposés pour descendre à la fontaine ; et tout aussitôt on amène à ses pieds les néophytes qu’il vient de baptiser, et successivement ceux qui sont régénérés par le ministère des prêtres. Il remet à chacun d’eux une robe blanche qu’ils porteront jusqu’au Samedi suivant, et il leur dit : « Recevez le vêtement blanc, saint et immaculé ; et portez-le au tribunal de notre Seigneur Jésus‑Christ pour avoir la vie éternelle. » Les néophytes, ayant reçu cet éloquent symbole, se retirent sous les tentes qui ont été dressées dans le Baptistère ; ils y dépouillent leurs vêtements trempés d’eau, en prennent d’autres qui leur ont été préparés, et avec l’aide de leurs parrains ou de leurs marraines, se revêtent par-dessus de la robe blanche qu’ils ont reçue de l’Évêque. Ils retournent alors au Chrismarium, où le sacrement de la Confirmation va leur être conféré solennellement par le Pontife.

La Confirmation

Jeudi, au milieu des solennités de la consécration du Chrême, le Pontife rappelait à Dieu lui-même, dans un langage sublime, que lorsque les eaux eurent accompli leur ministère, en purifiant la terre, la Colombe parut sur le monde renouvelé, portant en son bec le rameau d’olivier qui annonçait la paix et le règne de celui qui a emprunté à l’Onction le nom sacré qu’il porte à jamais. Nos néophytes, purifiés aussi dans l’eau, attendent maintenant aux pieds du Pontife les faveurs de la divine Colombe, et le gage de paix dont l’olive est le symbole. Déjà le Chrême sacré a été répandu sur leur tête ; mais il n’était alors que le signe de la dignité à laquelle ils venaient d’être élevés. À ce moment, il ne signifie plus seulement la grâce, il l’opère dans les âmes ; mais il n’est pas au pouvoir du Prêtre de donner cette onction qui confirme le chrétien ; elle réclame la main sacrée du Pontife, de qui seul aussi procède la consécration du Chrême.

Devant lui sont rangés les néophytes : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre ; les enfants entre les bras de leurs parrains et de leurs marraines. Les adultes appuient leur pied droit sur le pied droit de ceux qui leur ont servi de père ou de mère, marquant par ce signe d’union la filiation de la grâce dans l’Église.

À la vue de ce troupeau tendre et fidèle réuni autour de lui, le Pasteur se réjouit dans son cœur, et se levant bientôt de son trône, il s’écrie : « Que l’Esprit-Saint descende en vous, et que la vertu du Très-Haut vous garde de tout péché ! » Puis imposant les mains, il appelle sur eux l’Esprit aux sept dons, à qui seul appartient de confirmer dans les néophytes les grâces qu’ils ont reçues dans les eaux de la divine fontaine.

Conduits par leurs répondants, ils s’approchent ensuite du Pontife, les uns après les autres, saintement avides de recevoir la plénitude du caractère de chrétien. L’Évêque ayant plongé son pouce dans le vase qui contient le Chrême, marque chacun d’eux au front du sceau ineffaçable, en disant : « Je vous marque du signe de la Croix, et je vous confirme du Chrême du salut, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Et donnant sur leur joue un léger soufflet, qui était chez les anciens le signe de l’affranchissement d’un esclave, il les introduit dans la liberté complète des enfants de Dieu, en leur disant : « La paix soit avec vous ! » Les ministres du Pontife entourent la tête des nouveaux confirmés d’une bandelette destinée à garantir de tout contact profane la partie du front qui a reçu l’impression du Chrême sacré. Le néophyte doit garder durant sept jours ce bandeau, et ne le déposer qu’avec la robe blanche dont il vient de se revêtir.

Cependant au milieu de tous ces sublimes mystères, les heures de la nuit se sont succédé ; et le moment approche de célébrer, par un sacrifice de joie, l’instant suprême où le Christ va sortir du tombeau. Il est temps que le Pasteur reconduise au temple saint son heureux troupeau qui vient de prendre un si glorieux accroissement. Il est temps de donner à ces chères brebis la nourriture divine à laquelle elles ont droit désormais. Les portes du Baptistère s’ouvrent, et la procession se met en marche vers la Basilique. Le Cierge pascal, colonne de feu, précède l’essaim des néophytes, dont les robes blanches reçoivent les premiers rayons de l’aurore. Le peuple fidèle suit le Pontife et le clergé, qui rentrent triomphants dans l’église. Durant la marche, on chante de nouveau le cantique de Moïse, après le passage de la mer Rouge. L’Évêque se rend au Secrétarium, où il se revêt des habits sacrés, tout resplendissants de la pompe pascale ; et durant cet intervalle, les chantres exécutent la dernière Litanie, dont les invocations se répètent trois fois. Dans la liturgie actuelle, on ne chante plus qu’une seule fois la Litanie, dans tout le cours de cette Fonction ; elle accompagne le retour du clergé au chœur, après la bénédiction des Fonts, et les invocations ne s’y répètent que deux fois. Dans les églises qui ne possèdent pas de Fonts baptismaux, on chante cette Litanie après l’Oraison qui suit la douzième Prophétie ; et jusqu’à l’invocation qui commence par le mot Peccatores, le Célébrant et ses ministres se tiennent prosternés sur les marches de l’autel, implorant la bénédiction céleste pour les néophytes que l’Église enfante aujourd’hui, sur les divers points de la terre. Nous donnons ici la Litanie telle qu’elle se chante actuellement, avec les divers accroissements dont elle s’est enrichie par le cours des siècles.

La Litanie

Seigneur, ayez pitié !
Christ, ayez pitié !
Seigneur, avez pitié !
Christ, écoutez-nous.
Christ, exaucez-nous.
Dieu Père, du haut des cieux, ayez pitié de nous.
Dieu Fils, Rédempteur du monde, ayez pitié de nous.
Dieu Esprit-Saint, ayez pitié de nous.
Trinité sainte, un seul Dieu, ayez pitié de nous.
Sainte Marie, priez pour nous.
Sainte Mère de Dieu, priez pour nous.
Sainte Vierge des vierges, priez pour nous.
Saint Michel, priez pour nous.
Saint Gabriel,
Saint Raphaël,
Tous les saints Anges et Archanges, priez pour nous.
Tous les saints ordres des Esprits bienheureux, priez pour nous.
Saint Jean-Baptiste, priez pour nous.
Saint Joseph,
Tous les saints Patriarches et Prophètes, priez pour nous.
Saint Pierre, priez pour nous.
Saint Paul,
Saint André,
Saint Jean,
Tous les saints Apôtres et Évangélistes, priez pour nous.
Tous les saints Disciples du Seigneur, priez pour nous.
Saint Étienne, priez pour nous.
Saint Laurent,
Saint Vincent,
Tous les saints Martyrs, priez pour nous.
Saint Sylvestre, priez pour nous.
Saint Grégoire,
Saint Augustin,
Tous les saints Pontifes et Confesseurs, priez pour nous.
Tous les saints Docteurs, priez pour nous.
Saint Antoine, priez pour nous.
Saint Benoît,
Saint Dominique, priez pour nous.
Saint François,
Tous les saints Prêtres et Lévites, priez pour nous.
Tous les saints Moines et Ermites, priez pour nous.
Sainte Marie-Madeleine, priez pour nous.
Sainte Agnès,
Sainte Cécile,
Sainte Agathe,
Sainte Anastasie,
Toutes les saintes Vierges et Veuves, priez pour nous.
Tous les Saints et Saintes de Dieu, intercédez pour nous.
Soyez propice, pardonnez-nous, Seigneur !
Soyez propice, exaucez-nous, Seigneur !
De tout mal, délivrez-nous, Seigneur !
De tout péché, délivrez-nous, Seigneur !
De la mort éternelle, délivrez-nous, Seigneur !
Par le mystère de votre sainte Incarnation, délivrez-nous, Seigneur !
Par votre Avènement, délivrez-nous, Seigneur !
Par votre Nativité, délivrez-nous, Seigneur !
Par votre Baptême et votre saint Jeûne, délivrez-nous, Seigneur !
Par votre Croix et votre Passion, délivrez-nous, Seigneur !
Par votre mort et votre sépulture, délivrez-nous, Seigneur !
Par votre sainte Résurrection, délivrez-nous, Seigneur !
Par votre admirable Ascension, délivrez-nous, Seigneur !
Par la venue du Saint-Esprit Paraclet, délivrez-nous, Seigneur !
Au jour du jugement, délivrez-nous, Seigneur !
Pécheurs que nous sommes, nous vous en supplions, exaucez‑nous !
Pardonnez-nous, nous vous en supplions, exaucez nous !
Daignez gouverner et conserver votre Église sainte : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Maintenez dans votre sainte religion le Seigneur Apostolique, et tous les Ordres de la hiérarchie ecclésiastique : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Abaissez les ennemis de la sainte Église : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Établissez une paix et une concorde sincères entre les rois et les princes chrétiens : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Conservez-nous et fortifiez-nous dans votre saint service : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Accordez à tous nos bienfaiteurs les biens éternels : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Donnez les fruits de la terre et daignez les conserver : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Accordez à tous les fidèles défunts le repos éternel : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Daignez écouter nos vœux : nous vous en supplions, exaucez-nous !
Agneau de Dieu, qui ôtez les péchés du monde, pardonnez-nous, Seigneur !
Agneau de Dieu, qui ôtez les péchés du monde, exaucez-nous, Seigneur !
Agneau de Dieu, qui ôtez les péchés du monde, ayez pitié de nous !
Christ, écoutez-nous !
Christ, exaucez-nous !

La Messe

La Litanie solennelle tire à sa fin ; et déjà le chœur des chantres est arrivé au cri d’invocation qui la termine : Kyrie eleison ! Le Pontife s’avance du Secretarium vers l’autel, avec la majesté des plus grands jours. À sa vue, les chantres prolongent la mélodie sur les paroles de supplication, et les répètent trois fois ; trois fois ils y ajoutent la prière au Fils de Dieu : Christe Eleison ! et enfin trois fois l’invocation à l’Esprit-Saint : Kyrie eleison ! Pendant qu’ils exécutent ces chants, l’Évêque a présenté à Dieu, au pied de l’autel, ses premiers hommages et offert l’encens au Très-Haut ; en sorte que l’Antienne ordinaire, qui porte le nom d’Introït, n’a point été nécessaire pour accompagner la marche sacrée du Secrétarium à l’autel.

La Basilique commence à s’illuminer des premières lueurs de l’aurore ; et l’étoile du matin qui, selon les paroles du Diacre, est venue mêler sa clarté à la flamme du Cierge pascal, pâlit déjà devant l’astre du jour, figure du divin Soleil de justice. L’assemblée des fidèles, partagée en diverses sections, les hommes sous la galerie à droite, les femmes sous la galerie à gauche, a reçu dans ses rangs les nouvelles recrues. Près des portes, la place des catéchumènes est vide ; et sous les nefs latérales, aux places d’honneur, on distingue les néophytes à leur robe blanche, à leur bandeau, au cierge allumé qu’ils tiennent dans leurs mains.

L’encensement de l’autel est terminé. Tout à coup, ô triomphe du Fils de Dieu ressuscité ! la voix du Pontife entonne avec transport l’Hymne Angélique : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté ! » À ces accents, les cloches, muettes depuis trois jours, retentissent en volée dans le Campanile aérien de la Basilique ; et l’enthousiasme de notre sainte foi fait palpiter tous les cœurs. Le peuple saint continue avec ardeur le Cantique céleste ; et lorsqu’il est achevé, l’Évêque résume dans l’Oraison suivante les vœux de toute l’Église en faveur de ses nouveaux enfants.

Collecte.

Dieu, qui illuminez cette nuit sacrée des splendeurs de la Résurrection du Seigneur, conservez dans ces nouveaux enfants de votre famille l’Esprit d’adoption que vous leur avez donné, afin que, renouvelés de corps et d’esprit, ils vous servent dans la pureté. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Après la Collecte, le Sous-Diacre monte à l’ambon de l’Épître, et lit ces imposantes paroles que le grand Apôtre adresse aux néophytes en ce moment même où ils viennent de ressusciter avec Jésus-Christ.

Épître.
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Colossiens. Chap. 3.

Mes Frères, si vous êtes ressuscites avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre ; car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Lorsque le Christ qui est votre vie, apparaîtra, vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire.

Cette lecture si brève, mais dont tous les mots sont si profonds, étant achevée, le Sous-Diacre descend de l’ambon, et vient s’arrêter devant le trône de l’Évêque. Après avoir salué la majesté du Pontife par une profonde inclination, il prononce d’une voix éclatante ces paroles qui retentissent dans toute la Basilique, et vont réveiller de nouveau l’allégresse dans toutes les âmes : « Vénérable Père, je vous annonce une grande joie : c’est l’Alleluia ! » L’Évêque se lève, et plein d’un feu divin, il chante Alleluia ! sur un mode joyeux. Le chœur répète après lui Alleluia ! et deux fois encore l’échange de ce cri céleste a lieu entre le chœur et le Pontife. À ce moment, toutes les tristesses passées s’évanouissent ; on sent que les expiations de la sainte Quarantaine ont été agréées par la majesté divine, et que le Père des siècles, par les mérites de son Fils ressuscité, pardonne à la terre, puisqu’il lui rend le droit de faire entendre le cantique de l’éternité. Le chœur ajoute ce verset du Roi-Prophète, qui célèbre la miséricorde de Jéhovah.

Célébrez le Seigneur, parce qu il est bon ; parce que sa miséricorde est à jamais.

Il manque cependant quelque chose encore aux joies de cette journée. Jésus est sorti du tombeau ; mais à l’heure où nous sommes, il ne s’est pas encore manifesté à tous. Sa sainte Mère, Madeleine et les autres saintes femmes, sont seules à l’avoir vu ; ce soir seulement, il se montrera à ses Apôtres. Nous sommes donc encore à l’aurore de la Résurrection ; c’est pourquoi l’Église exprime une dernière fois la louange du Seigneur, sous la forme quadragésimale du Trait.

Trait

Toutes les nations, louez le Seigneur ; tous les peuples, proclamez sa gloire. V/. Car sa miséricorde s’est affermie sur nous, et la vérité du Seigneur demeure éternellement.

Pendant que le chœur chante ce cantique de David sur un mode qui retient encore quelque accent de tristesse, le Diacre se dirige vers l’ambon, d’où il doit faire entendre les paroles du saint Évangile. Les Acolytes ne l’accompagnent pas avec leurs flambeaux ; mais le thuriféraire le précède avec l’encens. C’est encore ici une allusion aux événements de cette grande matinée. Les femmes sont venues au tombeau avec des parfums ; mais la foi de la résurrection ne brillait pas dans leurs âmes. L’encens figure leurs parfums ; l’absence des flambeaux signifie que cette foi n’était pas encore en elles.

Évangile.
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. 28.

Après le Sabbat, à la première lueur du jour qui suit le Sabbat, Marie-Madeleine et une autre Marie vinrent pour voir le sépulcre. Et tout à coup il se fit un grand tremblement de terre. Car l’Ange du Seigneur descendit du ciel ; et s’approchant, il roula la pierre et s’assit dessus. Son visage était comme l’éclair, et son vêtement comme la neige. Les gardes, à sa vue, frappés d’épouvante, devinrent comme morts. Et l’Ange dit aux femmes : Vous, ne craignez point ; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. Il n’est point ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit : venez, et voyez le lieu où le Seigneur avait été mis. Et allez promptement dire à ses disciples qu’il est ressuscité. Il sera avant vous en Galilée ; c’est là que vous le verrez : je vous le dis à l’avance.

Après la lecture de l’Évangile, le Pontife n’entonne point le majestueux Symbole de la foi. La sainte Église le réserve pour la Messe solennelle qui réunira de nouveau le peuple fidèle. Elle suit heure par heure les phases du divin mystère, et veut rappeler en ce moment l’intervalle qui s’écoula avant que les Apôtres, qui devaient annoncer partout la foi de la résurrection, lui eussent eux-mêmes rendu hommage.

Après avoir donné le salut au peuple, le Pontife se prépare à offrir à la majesté divine le pain et le vin qui vont servir au Sacrifice ; et par une dérogation à l’usage observé dans toutes les Messes, le chœur des chantres n’exécute pas la solennelle Antienne connue sous le nom d’Offertoire. Chaque jour, cette Antienne accompagne la marche des fidèles vers l’autel, lorsqu’ils vont présenter le pain et le vin qui doivent leur être rendus, dans la communion, transformés au corps et au sang de Jésus-Christ. Mais la fonction s’est déjà beaucoup prolongée ; si l’ardeur des âmes est toujours la même, la fatigue des corps se fait sentir, et les petits enfants que l’on tient à jeun pour la communion annoncent déjà par leurs cris la souffrance qu’ils éprouvent. Le pain et le vin, matière du divin Sacrifice, seront aujourd’hui fournis par l’Église ; et les néophytes n’en viendront pas moins s’asseoir à la table du Seigneur, bien qu’ils n’aient pas présenté eux-mêmes le pain et le vin à la barrière sacrée.

Après avoir fait l’offrande, et encensé le pain et le vin préparés, puis l’autel lui-même, le Pontife résume les vœux de l’assistance dans la Secrète, qui est suivie de la Préface pascale.

Secrète.

Daignez, Seigneur, recevoir les prières de votre peuple avec les hosties que nous vous offrons, afin que, sanctifiées par le mystère pascal, elles opèrent en nous, par votre grâce, le secours qui conduit à l’éternité. Par Jésus-Christ votre Fils notre Seigneur, qui, étant Dieu, vit et règne avec vous, en l’unité du Saint-Esprit. Dans tous les siècles des siècles.

R/. Amen.

V/. Le Seigneur soit avec vous ;
R/. Et avec votre esprit.

V/. Les cœurs en haut !
R/. Nous les avons vers le Seigneur.

V/. Rendons grâces au Seigneur notre Dieu.
V/. C’est une chose digne et juste.

Oui, c’est une chose digne et juste, équitable et salutaire, de vous louer, Seigneur, en tout temps, mais surtout et avec plus de gloire en cette nuit où le Christ, notre Pâque, est immolé. Car il est le véritable Agneau qui a ôté les péchés du monde ; qui a détruit notre mort par la sienne, et nous a rendu la vie en ressuscitant lui-même. Donc, avec les Anges et les Archanges, avec les Trônes et les Dominations, avec l’armée entière des cieux, nous chantons l’hymne de votre gloire, disant sans jamais cesser : Saint ! Saint ! Saint !

Le Canon s’ouvre, et le mystère divin s’opère. Rien n’est changé dans l’ordre des cérémonies sacrées, jusqu’au moment qui précède la Communion. C’est un usage qui remonte aux temps apostoliques, que les fidèles, avant de participer au corps et au sang du Seigneur, se donnent mutuellement le baiser fraternel, en prononçant ces paroles : « La paix soit avec vous ! » À cette première Messe pascale, on omet cette touchante coutume. Ce n’est qu’au soir du jour de sa résurrection que Jésus adressa ces mêmes paroles à ses disciples rassemblés. La sainte Église, pleine de respect pour les moindres circonstances de la vie de son céleste Époux, aime à les retracer dans sa conduite. C’est par le même motif qu’elle omet aujourd’hui le chant de l’Agnus Dei, qui, du reste, ne date que du VIIème siècle, et qui présente à sa troisième répétition ces paroles : « Donnez-nous la paix ».

Mais le moment est venu auquel les néophytes vont, pour la première fois, goûter le pain de vie et boire le breuvage céleste que le Christ a institués à la dernière Cène. Initiés par l’eau et l’Esprit-Saint, ils ont désormais le droit de s’asseoir au banquet sacré ; et la tunique blanche qui les couvre annonce assez que leur âme a revêtu la robe nuptiale exigée des convives au festin de l’Agneau. Ils s’approchent du saint autel avec joie et respect. Le Diacre leur donne le corps du Seigneur, et leur présente ensuite le calice du sang divin. Les petits enfants sont admis aussi ; et le Diacre, plongeant son doigt dans la coupe sacrée, fait tomber dans leur bouche innocente quelques gouttes de la divine liqueur. Enfin, pour montrer que, dans ces premières heures de leur baptême, tous sont « semblables à de tendres enfants qui viennent de naître, » comme parle le prince des Apôtres, on donne à tous, après la Communion sainte, un peu de lait et un peu de miel, symboles de l’enfance, et en même temps souvenir de la terre promise par le Seigneur à son peuple.

Enfin, tout étant accompli, l’Évêque achève les prières du Sacrifice, en demandant au Seigneur l’esprit de concorde entre tous les frères qu’une même Pâque a réunis dans la participation aux mêmes mystères. La même Église les a portés dans son sein maternel, la même fontaine les a enfantés à la vie ; ils sont les membres d’un même Chef divin ; le même Esprit les a marqués de son sceau, le même Père céleste les réunit dans son adoption. Le signal ayant été donné par le Diacre au nom du Pontife, l’assemblée se sépare, et les fidèles, sortant de l’Église, se retirent dans leurs maisons, en attendant que l’heure du Sacrifice solennel les rassemble de nouveau, pour célébrer avec plus de pompe encore la fête des fêtes, la Pâque de la Résurrection.

Les vêpres

Dans les siècles où l’Église célébrait la grande Veille de Pâques, dont nous venons de donner la description, le Samedi saint n’avait pas l’Office de Vêpres. La Veille commençait vers l’heure de None, et se poursuivait, comme on l’a vu, jusqu’aux premières heures de la matinée du lendemain. Ce ne fut que plus tard, lorsque la coutume eut autorisé l’anticipation de la Messe de la nuit de Pâques à la matinée du Samedi saint, que l’on songea à disposer un Office des Vêpres pour ce dernier jour de la Semaine sainte. La matinée étant entièrement remplie par les grands rites que nous avons exposés, l’Église résolut d’adopter pour cet Office une forme très brève, et empreinte en même temps du caractère joyeux qui convient après le retour de l’Alleluia. Ces Vêpres furent disposées de manière à faire corps avec la Messe. On les entonne après la Communion, et la Postcommunion sert pour conclure à la fois la Messe et les Vêpres. C’est cette même Oraison qui terminait autrefois la grande Veille pascale, et que nous avons rappelée tout à l’heure.[8]

Les laudes[9]

Aussitôt que la Communion est accomplie à l’autel, on entonne au chœur l’Antienne suivante, sous laquelle on chante le petit Psaume qui la suit :

Ant. Alleluia, alleluia, alleluia.

Psaume 116

Toutes les nations, louez le Seigneur ; tous les peuples, proclamez sa gloire.

Car sa miséricorde s’est affermie sur nous, et la vérité du Seigneur demeure éternellement.

Gloire au Père, etc.

Ant. Alleluia, alleluia, alleluia.

On ne chante pas d’autre Psaume à cet Office ; et on omet le Capitule, l’Hymne et le Verset, pour passer de suite au Magnificat.

Antienne de Benedictus.

Après le Sabbat, à la première lueur du jour qui suit le Sabbat, Marie‑Madeleine et une autre Marie vinrent pour voir le sépulcre. Alleluia.

Le Célébrant encense l’autel à l’ordinaire pendant le Cantique évangélique ; et lorsque l’Antienne a été répétée, il chante à l’autel l’Oraison suivante :

Postcommunion

Répandez sur nous, Seigneur, l’Esprit de votre charité ; afin que ceux qui ont été nourris par vous dans le mystère pascal conservent désormais entre eux, par votre secours, une pareille concorde. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

L’Oraison terminée, le Diacre, en donnant aux fidèles le signal de se retirer, ajoute à la formule ordinaire deux Alleluia ; et cette pratique s’observe à la fin de toutes les Messes, jusqu’à samedi prochain inclusivement.

V/. Retirez-vous, la Messe est finie, alleluia, alleluia.
R/. Rendons grâces à Dieu, alleluia, alleluia.

La Messe se conclut par la bénédiction du Célébrant, et par la lecture accoutumée de l’Évangile de saint Jean.

Telle est la fonction de ce grand jour, qui n’a presque rien perdu sous le rapport des prières et des cérémonies, mais qui néanmoins, avec l’anticipation actuelle des heures et l’absence de la célébration du baptême, avait besoin d’être rapprochée, comme nous l’avons fait, des usages de l’antiquité, pour recouvrer toute sa grandeur et toute sa signification.[10]

Dans le courant de l’après-midi, selon l’usage des lieux, le Curé visite toutes les maisons de sa paroisse, et les asperge avec l’eau baptismale qui a été tirée des Fonts, avant l’infusion de l’Huile sainte. Cette pieuse coutume, qui s’exerce peu dans nos contrées, rappelle le commandement que Dieu fit à son peuple, en la première Pâque, de sanctifier par le sang de l’Agneau leurs maisons pour le passage de l’Ange ; et elle attire sur nos demeures une protection particulière de Dieu.

Les autres liturgies

Le Missel ambrosien nous donnera, pour terminer cette journée et ce volume, l’une de ses plus belles pièces liturgiques. C’est la Préface pour la bénédiction du Cierge pascal, dans laquelle le mystère de cette dernière nuit est traite avec une onction touchante et un accent poétique digne d’un si grand sujet.

Préface.

Il est digne et juste, équitable et salutaire que nous vous rendions de continuelles actions de grâces, ici et en tout lieu, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, qui avez consacré la Pâque à laquelle vous conviez tous les peuples, non par le sang et la graisse des agneaux, mais par le sang et par le corps de votre Fils unique Jésus-Christ notre Seigneur. En abolissant le rite d’une nation ingrate, vous avez fait succéder la grâce à la loi ; et une victime unique offerte une seule fois et par elle-même à votre Majesté, a suffi à la réparation des offenses du monde entier.

C’est là cet Agneau figuré sur les tables de pierre ; non tiré d’un troupeau, mais venu du ciel ; non conduit par un pasteur, mais lui‑même le bon et unique Pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis, et qui l’a reprise de nouveau ; la bonté divine nous donnant en lui la leçon de l’humilité et l’espérance de la résurrection pour nos corps. Cet agneau ne fit point entendre son bêlement plaintif à celui qui le tondait ; mais il prononça alors cet oracle évangélique : Un jour vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Majesté divine. Qu’il daigne donc nous réconcilier avec vous, Père tout-puissant ; et qu’il nous soit propice lui-même dans sa Majesté égale à la vôtre.

Voici maintenant que s’accomplit pour nous en réalité ce qui arriva en figure à nos pères. Déjà resplendit la colonne de feu qui guida, durant la nuit sacrée, le peuple du Seigneur vers les eaux dans lesquelles il devait trouver son salut ; vers ces eaux qui engloutissent le persécuteur, et du sein desquelles le peuple du Christ remonte délivré. Conçu de nouveau dans l’eau fécondée par le Saint-Esprit, le fils d’Adam, né pour la mort, renaît à la vie par le Christ. Hâtons-nous donc de rompre notre jeûne solennel ; car le Christ notre Pâque a été immolé. Non seulement nous sommes conviés au festin du corps de l’Agneau, mais nous devons encore nous enivrer de son sang. Ce breuvage n’est point imputé à crime pour ceux qui le boivent, mais il est en eux le principe du salut. Nourrissons-nous aussi de celui qui est l’Azyme ; car l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu. Le Christ est le pain descendu du ciel, bien supérieur à celui qui pleuvait du ciel dans la manne, et dont Israël fit son festin pour mourir ensuite. Celui dont ce corps sacré est l’aliment devient possesseur de l’éternelle vie. Les choses anciennes ont disparu, tout est devenu nouveau : le couteau de la circoncision mosaïque est émoussé, et le rude tranchant de la pierre employée par Josué est hors d’usage.

C’est au front et non en secret, que le peuple du Christ reçoit sa marque glorieuse ; c’est par un bain et non par une blessure, par le Chrême et non par le sang.

Il convient donc, en cette nuit de la résurrection de notre Seigneur et Sauveur, d’allumer un flambeau dont la blancheur flatte les regards, dont le parfum réjouisse l’odorat, dont l’éclat illumine, dont la matière ne cause pas de dégoût, dont la flamme n’exhale pas une noire fumée. Quoi, en effet, de plus convenable, de plus joyeux, que de célébrer les veilles de la nuit en l’honneur de celui qui est la fleur de Jessé, avec des torches dont la matière est empruntée aux fleurs ? La Sagesse a chanté, parlant d’elle-même : Je suis la fleur des champs et le lis des vallons. La cire n’est point une sueur arrachée au pin par le feu ; elle n’est point une larme enlevée au cèdre par les coups répétés de la hache ; sa source est mystérieuse et virginale ; et si elle éprouve une transformation, c’est en prenant la blancheur de la neige. Devenue liquide par la fusion, sa surface est unie comme le papyrus ; pareille à l’âme innocente, aucune division ne vient la briser, et sa substance, toujours pure, descend en ruisseaux pour devenir l’aliment de la flamme.

Il convient que l’Église attende l’arrivée de son Époux à la lueur de si doux flambeaux, et qu’elle reconnaisse par ses démonstrations le don si abondant de sainteté qu’elle en a reçu. Il convient que les ténèbres n’aient aucune part dans une si sainte veille, et que cette Vierge sage prépare son flambeau, pour préluder à l’éternelle lumière ; de peur que si nous avions encore à verser l’huile dans nos lampes, nous ne fussions tardifs dans nos hommages, à l’avènement du Seigneur qui doit arriver en un clin d’œil, et semblable à l’éclair.

Le soir de ce jour recueille à lui seul la plénitude des plus augustes mystères. Tout ce qui fut figuré ou accompli en divers temps est rassemblé dans la solennité de la nuit qui va suivre. Ce flambeau du soir ouvre d’abord la fête, semblable à l’étoile qui conduisit les Mages. La fontaine mystérieuse de régénération parait ensuite, semblable au Jourdain, théâtre de la miséricorde du Seigneur. Vient après la voix apostolique du prêtre, annonçant la Résurrection du Christ. Enfin, pour complément du mystère tout entier, la foule des fidèles se nourrit de la chair du Sauveur. Rendue sainte par la prière et les mérites de votre grand Prêtre et Pontife Ambroise, qu’elle reçoive donc, par le secours du Christ, toutes les faveurs du grand jour de la résurrection.

 

[1] Du temps de Dom Guéranger on chantait ici les psaumes 62 et 66. Depuis la réforme de saint Pie X, on chante le psaume 35. Nous donnons le texte de celui-ci et non de ceux-là.

 

 

[2] Depuis la restauration des horaires de la Semaine sainte, les vêpres ne sont dites que par ceux qui n’ont pu participer à la messe de la Sainte Cène.

[3] Pour des raisons de commodité, cet office avait été progressivement anticipé au matin. Pie XII l’a rétabli à son heure normale, celle de la mort de Jésus en croix. Note de l’éditeur.

[4] Depuis la réforme de Pie XII, les vêpres ne sont dites que par ceux qui ne participent pas à l’office solennel. Note de l’éditeur.

[5] Nous avons rétabli l’ordre normal des commentaires pour correspondre aux horaires normaux restaurés par Pie XII. Les explications de ces changements d’horaire sont données plus loin par Dom Guéranger. Note de l’éditeur.

[6] Pie XII a rétabli cet office à son heure normale, en pleine nuit. Note de l’éditeur.

[7] Ces paroles se disent seulement dans les États soumis à l’empire d’Autriche. Voyez ci-dessus, au Vendredi saint. Note de l’auteur.

[8] Du fait du raccourcissement de la vigile, les vêpres ont été restaurées, complètes, par Pie XII dans l’après-midi. C’est désormais l’office de laudes qui est très bref et qui est inséré à la fin de la messe. Note de l’éditeur.

[9] Ce sous-titre est rajouté par nous pour une meilleure compréhension selon l’ordre restauré. Note de l’éditeur.

[10] C’est ce que Pie XII a heureusement fait. Note de l’éditeur.