Dom Guéranger ~ L’année liturgique
Deuxième dimanche après l’Épiphanie
À l’époque de Dom Guéranger, la fête du Saint Nom de Jésus était fixée au deuxième dimanche après l’Épiphanie, c’est la réforme de saint Pie X qui la fixa au dimanche entre le 2 et le 5 janvier ou, à défaut, au 2 janvier. C’est pourquoi Dom Guéranger ne commente que brièvement la messe du deuxième dimanche après l’Épiphanie. Note de l’éditeur.
Le troisième mystère de l’Épiphanie nous montre la consommation des plans de la divine miséricorde sur le monde, en même temps qu’il nous manifeste une troisième fois la gloire de l’Emmanuel. L’étoile a conduit l’âme à la foi, l’eau sanctifiée du Jourdain lui a conféré la pureté, le festin nuptial l’unit à son Dieu. Nous avons chanté l’époux sortant radieux au-devant de l’épouse ; nous l’avons entendu l’appeler des sommets du Liban ; maintenant qu’il l’a éclairée et purifiée, il veut l’enivrer du vin de son amour.
Un festin est préparé, un festin nuptial ; la mère de Jésus y assiste ; car, après avoir coopéré au mystère de l’incarnation du Verbe, il convient qu’elle soit associée à toutes les œuvres de son Fils, à toutes les faveurs qu’il prodigue à ses élus. Mais, au milieu de ce festin, le vin vient à manquer. Jusqu’alors la gentilité n’avait point connu le doux vin de la charité ; la Synagogue n’avait produit que des raisins sauvages. Le Christ est la vraie vigne, comme il le dit lui-même. Lui seul pouvait donner ce vin qui réjouit le cœur de l’homme [2], et nous présenter à boire de ce calice enivrant qu’avait chanté David [3].
Marie dit au Sauveur : « Ils n’ont point de vin. » C’est à la mère de Dieu de lui représenter les besoins des hommes, dont elle est aussi la mère. Cependant, Jésus lui répond avec une apparente sécheresse : « Femme, qu’importe à moi et à vous ? Mon heure n’est pas encore venue. » C’est que, dans ce grand mystère, il allait agir, non plus comme fils de Marie, mais comme Fils de Dieu. Plus tard, à une heure qui doit venir, il apparaîtra aux yeux de cette même mère, expirant sur la croix, selon cette humanité qu’il avait reçue d’elle. Marie a compris tout d’abord l’intention divine de son Fils, et elle profère ces paroles qu’elle répète sans cesse à tous ses enfants : Faites ce qu’il vous dira.
Or, il y avait là six grands vases de pierre, et ils étaient vides. Le monde, en effet, était parvenu à son sixième âge, comme l’enseignent saint Augustin et les autres docteurs après lui. Durant ces six âges, la terre attendait son sauveur, qui devait l’instruire et la sauver. Jésus commande de remplir d’eau ces vases ; mais l’eau ne convient pas pour le festin de l’époux. Les figures, les prophéties de l’ancien monde étaient cette eau ; et nul homme, jusqu’à l’ouverture du septième âge, où le Christ, qui est la vigne, devait se communiquer, n’avait contracté l’alliance avec le Verbe divin.
Mais lorsque l’Emmanuel est venu, il n’a qu’une parole à dire : « Puisez maintenant. » Le vin de la nouvelle alliance, ce vin qui avait été réservé pour la fin, remplit seul maintenant les vases. En prenant notre nature humaine, nature faible comme l’eau, il en a ménagé la transformation ; il l’a élevée jusqu’à lui, nous rendant participants de la nature divine [4] ; il nous a rendus capables de contracter l’union avec lui, de former ce seul corps dont il est le Chef, cette Église dont il est l’époux, et qu’il aimait de toute éternité d’un si ardent amour, qu’il est descendu du ciel pour célébrer ces noces avec elle.
Ô sort admirable que le nôtre ! Dieu a daigné, comme dit l’apôtre, montrer les richesses de sa gloire sur des vases de miséricorde [5]. Les urnes de Cana, figures de nos âmes, étaient insensibles, et nullement destinées à tant d’honneur. Jésus ordonne à ses ministres d’y verser l’eau ; et déjà, par cette eau, il les purifie ; mais il pense n’avoir rien fait encore tant qu’il ne les a pas remplies jusqu’au haut de ce vin céleste et nouveau, qui ne devait se boire qu’au royaume de son Père. Ainsi la divine charité, qui réside dans le sacrement d’amour, nous est-elle communiquée ; et pour ne pas déroger à sa gloire, l’Emmanuel, qui veut épouser nos âmes, les élève jusqu’à lui. Préparons-les donc pour cette union ; et, selon le conseil de l’apôtre, rendons-les semblables à cette vierge pure qui est destinée à un époux sans tache [6].
Saint Matthieu, évangéliste de l’humanité du Sauveur, a reçu de l’Esprit-Saint la charge de nous annoncer le mystère de la foi par l’étoile ; saint Luc, évangéliste du sacerdoce, a été choisi pour nous instruire du mystère de la purification par les eaux ; il appartenait au disciple bien-aimé de nous révéler le mystère des noces divines. C’est pourquoi, suggérant à la sainte Église l’intention de ce troisième mystère, il se sert de cette expression : Ce fut le premier des miracles de Jésus, et il y manifesta sa gloire. À Bethléhem, l’or et l’encens des mages prophétisèrent la divinité et la royauté cachées de l’enfant ; sur le Jourdain, la descente de l’Esprit-Saint, la voix du Père, proclamèrent Fils de Dieu l’artisan de Nazareth ; à Cana, Jésus agit lui-même et il agit en Dieu : « car, dit saint Augustin, celui qui transforma l’eau en vin dans les vases ne pouvait être que celui-là même qui, chaque année, opère un prodige semblable dans la vigne. » Aussi, de ce moment, comme le remarque saint Jean, « ses disciples crurent en lui », et le collège apostolique commença à se former.
À la messe
Introït
Que la terre vous adore, ô Dieu, et chante en votre honneur, qu’elle dise un hymne à votre nom, ô Très-Haut. Poussez vers Dieu des cris de joie, ô terre entière ; chantez un hymne à son nom ; rendez glorieuse sa louange.
Collecte
Dieu tout-puissant et éternel qui régissez tout à la foi le ciel et la terre : écoutez avec clémence les prières de votre peuple, et accordez votre paix à nos temps.
Épître
Lecture de l’Épître de saint Paul apôtre aux Romains.
Mes Frères : nous avons des dons différents selon la grâce qui nous a été donnée : soit de prophétie, selon la mesure de notre foi, soit de ministère, pour nous exercer dans le ministère ; celui-ci a reçu le don d’enseigner : qu’il enseigne ; celui-là, le don d’exhorter : qu’il exhorte ; un autre distribue : qu’il s’en acquitte avec simplicité ; un autre préside : qu’il le fasse avec zèle ; un autre exerce les œuvres de miséricorde : qu’il s’y livre avec joie. Que votre charité soit sans hypocrisie. Ayez le mal en horreur ; attachez-vous fortement au bien. Quant à l’amour fraternel, soyez pleins d’affection les uns pour les autres, vous prévenant d’honneur les uns les autres ; pour ce qui est du zèle, ne soyez pas nonchalants. Soyez fervents d’esprit ; c’est le Seigneur que vous servez. Soyez pleins de la joie que donne l’espérance, patients dans l’affliction, assidus à la prière, prêts à subvenir aux nécessités des saints, empressés à donner l’hospitalité. Bénissez ceux qui vous persécutent : bénissez et ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie ; pleurez avec ceux qui pleurent. Ayez les mêmes sentiments entre vous ; n’aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble.
Graduel
Le Seigneur envoya sa parole et il les guérit, et les arracha à la mort. Qu’ils louent le Seigneur pour sa miséricorde et pour les merveilles en faveur des enfants des hommes. Louez le Seigneur, vous tous ses anges ; louez-le, toutes ses puissances. Alléluia.
Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 2
En ce temps-là, il se fit des noces à Cana, en Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples. Et le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont point de vin ». Et Jésus lui répondit : « Femme, qu’importe à moi et à vous ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Faites tout ce qu’il vous dira. » Or, il y avait là six grands vases de pierre, pour servir aux purifications des Juifs, et dont chacun tenait deux ou trois mesures. Jésus leur dit : « Emplissez d’eau ces vases. » Et ils les remplirent jusqu’au haut. Et Jésus leur dit : « Puisez maintenant, et portez-en au maître d’hôtel » ; et ils lui en portèrent. Le maître d’hôtel ayant goûté de cette eau qui avait été changée en vin, et ne sachant d’où venait ce vin, quoique les serviteurs qui avaient puisé l’eau le sussent bien, appela l’époux et lui dit : « Tout homme sert d’abord le bon vin, et après qu’on a beaucoup bu, il en sert de moindre ; mais vous, vous avez réservé jusqu’à cette heure le bon vin ». Ce fut là le premier des miracles de Jésus, qui se fit à Cana en Galilée ; et par là, il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Offertoire
Poussez des cris de joie, ô terre entière ; chantez un hymne à son nom. Venez et entendez, vous tous qui craignez Dieu et je vous raconterai tout ce que le Seigneur a fait à mon âme. Alléluia.
Secrète
Sanctifiez, Seigneur, les dons qui vous sont offerts, et purifiez-nous des taches de nos péchés.
Communion
Le Seigneur dit : Remplissez d’eau ces urnes et portez-en au maître du festin. Dès que le maître du festin eut goûté l’eau changée en vin, il dit à l’époux : tu as gardé le bon jusqu’à ce moment. Tel fut le premier miracle que fit Jésus devant ses disciples
Postcommunion
Qu’elle ait en nous plus d’influence, nous vous en supplions, Seigneur, l’action de votre vertu puissante ; afin que nourris de vos divins sacrements, nous soyons disposés par votre grâce à en recueillir les fruits promis.
[2] – Psalm. 103.
[3] – Psalm. 22.
[4] – 2 Petr. 4, 1.
[5] – Rom. 9,23.
[6] – 2 Cor. 11.