Dom Guéranger ~ L’Année liturgique
1er dimanche ou 7 octobre Notre Dame du Rosaire
La fête est le 7, la solennité se fait le premier dimanche d’octobre
Les fils du siècle ont coutume, à la fin d’une année, de récapituler leurs profits. Ainsi s’apprête à faire aussi l’Église. Bientôt nous la verrons dénombrer solennellement ses élus, inventorier leurs reliques saintes et parcourir les tombes de ceux qui dorment dans le Seigneur, rappeler la consécration à l’Époux de sanctuaires anciens et nouveaux. Aujourd’hui, c’est d’un résumé plus auguste encore, d’un profit plus grand qu’il s’agit : l’Église inscrit en tête du bilan sacré le gain provenu à Notre‑Dame des mystères qui composent le Cycle. Noël, la Croix, le triomphe de Jésus, c’est notre sainteté à tous ; c’est aussi, mais combien mieux, et tout d’abord, celle de Marie. Offrant donc premièrement à l’auguste Souveraine du monde le diadème qui lui revient avant tous, l’Église le compose à bon droit de la triple couronne des mystères sanctifiants qui furent pour elle toute joie, toute douleur et toute gloire.
Mystères joyeux, qui nous redisent l’Annonciation, la Visitation, la Nativité de Jésus, la Purification de Marie, Jésus retrouvé au temple. Mystères douloureux d’agonie, de flagellation, de couronnement d’épines, de portement de croix, de crucifiement. Mystères glorieux : Résurrection, Ascension du Sauveur, Pentecôte, Assomption, couronnement de la Mère de Dieu. C’est le Rosaire de Marie ; plant fécond dont le salut de Gabriel fit épanouir les fleurs, dont les guirlandes parfumées relient de Nazareth notre terre au sommet des cieux.
Sous sa forme présente, Dominique le révéla au monde au temps de la crise albigeoise, vraie guerre sociale, laissant trop prévoir ce que serait désormais l’histoire pour la cité sainte. Il fit plus alors que la lutte armée pour la défaite de Satan. Il est aujourd’hui la ressource suprême de l’Église. Sommaire facile, toujours présent, du Cycle liturgique, on dirait que les antiques formes de la prière sociale n’étant plus à la taille des peuples, l’Esprit-Saint veut par lui sauvegarder pour les isolés de nos tristes temps l’essentiel de cette vie d’oraison, de foi, de vertu chrétienne, que la célébration publique du grand Office entretenait jadis parmi les nations. Dès avant le 13ème siècle, la piété populaire connaissait l’usage de ce qu’elle se plut à nommer le psautier laïque, à savoir la Salutation angélique cent cinquante fois répétée ; mais ce fut le partage de ces Ave Maria en dizaines, attribuées à la considération d’un mystère particulier pour chacune, qui constitua le Rosaire. Divin expédient, simple comme l’éternelle Sagesse qui l’avait conçu, et dont la portée fut grande ; car en même temps qu’il amenait à la Reine de miséricorde l’humanité dévoyée, il écartait d’elle l’ignorance, nourricière d’hérésie, et lui réapprenait « les sentiers consacrés par le sang de l’Homme-Dieu et les larmes de sa Mère. (Léon. XIII, Epist. encycl. Magnae Dei Matris, de Rosario Mariali, 8 Sept. 1892) »
C’est l’expression du grand Pontife qui sous l’angoisse universelle, naguère encore, indiquait le salut où plus d’une fois déjà l’ont trouvé nos pères. Les Encycliques de Léon XIII (Supremi Apostolatus, 1 Sept 1883 ; Superiore anno, 3o Aug. 1884 ; etc) ont consacré le présent mois à cette dévotion chérie du ciel ; il a honoré Notre-Dame en ses Litanies d’une invocation nouvelle à la Reine du très saint Rosaire (Litterae Salutaris, 24 Dec. 1883) ; il a donné son dernier développement à la solennité de ce jour (Décret. 11 Sept. 1887, 5 Aug. 1888). Élevée désormais à la dignité de seconde Classe, riche d’un Office propre exprimant son objet permanent, cette fête est deux fois en outre le monument d’insignes victoires, honneur du nom chrétien.
Soliman II, le plus grand des sultans, avait mis à profit la dislocation de l’Occident par Luther, et rempli le 16ème siècle de la terreur de ses exploits. Il laissait à son fils, Sélim II, l’espoir fondé enfin de réaliser le programme de sa race : l’humiliation sous le Croissant de Rome et de Vienne, sièges de la papauté et de l’empire. La flotte turque, maîtresse de la Méditerranée presque entière, menaçait d’aborder bientôt l’Italie, quand, le 7 octobre 1571, eut lieu sa rencontre, au golfe de Lépante, avec les galères pontificales soutenues des forces de l’Espagne et de Venise. C’était un dimanche : par tout le monde, les confréries du Rosaire accomplissaient leur œuvre de supplication ; l’œil éclairé d’en haut, saint Pie V suivait du Vatican l’action engagée par le chef de son choix, don Juan d’Autriche, contre les trois cents vaisseaux de l’Islam. Journée mémorable, où la puissance navale des Ottomans fut anéantie ! L’illustre Pontife, dont l’œuvre était achevée, ne devait point célébrer ici-bas l’anniversaire du triomphe ; mais il voulut toutefois en immortaliser le souvenir par une commémoration annuelle de Sainte-Marie de la Victoire. Son successeur, Grégoire XIII, changea ce titre en celui de Sainte-Marie du Rosaire, et désigna le premier dimanche d’octobre pour la fête nouvelle, autorisant à la célébrer les églises qui posséderaient un autel sous la même invocation.
Cette concession restreinte devait se généraliser un siècle et demi plus tard. Innocent XI avait, en mémoire de la délivrance de Vienne par Sobieski, étendu la fête du Très Saint Nom de Marie à toute l’Église. En 1716, Clément XI voulut de même reconnaître par l’inscription de la fête du Rosaire au calendrier universel la victoire que le prince Eugène venait de remporter, sous les auspices de Notre-Dame des Neiges, à Péterwardin, au cinq août de cette année ; victoire suivie de la levée du siège de Corfou, et que devait compléter, l’année d’après, la prise de Belgrade.
À la messe
Les joies goûtées aux jours des différentes solennités de la Mère de Dieu se retrouvent dans celle-ci, qui les résume toutes pour nous, pour les Anges, pour Notre‑Dame elle-même. Comme les Anges, offrons donc avec elle l’hommage de notre bien juste allégresse au Fils de Dieu, son fils, son roi et le nôtre.
Introït
Réjouissons-nous tous dans le Seigneur, et faisons fête en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie ; de sa solennité se réjouissent les Anges, et ils louent à l’envi le Fils de Dieu.
Ps. Mon cœur a proféré une parole excellente ; c’est au Roi que je dédie mes chants. Gloire au Père. Réjouissons-nous.
Les mystères du Fils et de la Mère sont notre enseignement et notre espérance. Qu’ils soient la règle de notre vie mortelle, pour être la garantie de notre éternité : c’est ce que demande l’Église dans la Collecte.
Collecte
O Dieu dont le Fils unique nous a par sa vie, sa mort et sa résurrection mérité les récompenses éternelles, nous honorons par le très saint Rosaire de la bienheureuse Vierge Marie ces mystères : accordez-nous d’imiter les exemples qu’ils nous donnent, d’obtenir ce dont ils sont pour nous la promesse. Par le même Jésus-Christ.
On fait mémoire du Dimanche correspondant par la Collecte de ce Dimanche.
Épître
Lecture du livre de la Sagesse. Prov. 8
Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies, avant qu’il créât aucune chose au commencement. J’ai été établie dès l’éternité et de toute antiquité, avant que la terre fût créée. Les abîmes n’étaient point encore, et déjà j’étais conçue. Maintenant donc, ô mes enfants, écoutez-moi : Heureux ceux qui gardent mes voies ! Écoutez mes instructions, soyez sages, et ne les rejetez pas. Heureux celui qui m’écoute, qui veille tous les jours à l’entrée de ma maison, et qui se tient tout prêt à ma porte ! Celui qui m’aura trouvée trouvera la vie, et il puisera le salut dans le Seigneur.
Les mystères de Notre-Dame sont, au regard de Dieu, avant tous les temps, comme ceux du Fils qui naquit d’elle ; comme eux encore, ils rempliront l’éternité ; comme eux ils régissent les siècles, qui s’harmonisent sur le Verbe et Marie, préparant au temps des figures le Fils et la Mère, les continuant depuis par l’incessante glorification de la Trinité sainte en laquelle sont baptisées les nations. Or, c’est la suite de ces mystères qu’honore le Rosaire de Marie ; c’est la vue d’ensemble que nous donne sur le Cycle à son déclin la solennité de ce jour. De cette suite, de cette vue, reste à déduire la conclusion formulée par Notre-Dame elle-même en ce passage des Livres Sapientiaux que lui applique l’Église : « Maintenant donc, ô mes fils, considérez mes sentiers, imitez-moi, pour trouver le bonheur. »
Heureux qui veille à sa porte, nous dit le texte sacré ! Rosaire ou chapelet en mains, la priant, l’observant à la fois, méditant sa vie et ses grandeurs, prélevons ne fût-ce qu’un quart d’heure de garde, chaque jour, à l’entrée du palais de cette Reine incomparable. Notre progrès dans la vraie vie, notre salut, seront d’autant plus assurés que nous y demeurerons plus fidèles.
Au Graduel, félicitons la Reine du très saint Rosaire pour cette conduite merveilleuse, toute de vérité, de justice, de douceur, qui lui a valu l’amour du Roi suprême. Chantons au Verset la noblesse de sa race, sans pareille au monde.
Graduel
Par la vérité, par la douceur et la justice, régnez ; vos œuvres nous révèlent une conduite merveilleuse. V/. Écoutez, ô ma fille ! voyez et prêtez l’oreille ; car le Roi est épris de votre beauté. Alleluia, alleluia. V/. C’est la solennité de la glorieuse Vierge Marie, issue de la race d’Abraham, de la tribu de Juda, de la noble souche de David. Alleluia.
L’Évangile est le même qu’en la fête du saint Nom de Marie. « En ce temps-là, l’Ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, à une vierge mariée à un homme de la maison de David, nommé Joseph ; et le nom de la Vierge était Marie. Et l’Ange, étant entré où elle était, lui dit : Salut, ô pleine de grâce ! le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. « — Vous êtes bénie entre les femmes, reprenait quelques jours plus tard Élisabeth, et le fruit de vos entrailles est béni. — Les deux salutations réunies, le nom de Marie ajouté au salut de l’Ange, celui de Jésus au salut d’Élisabeth, c’est tout l’Ave Maria du temps de saint Dominique, instituteur du Rosaire. La prière Sainte Marie, Mère de Dieu, qui complète aujourd’hui très heureusement cette formule de louange, ne reçut qu’au 11ème siècle la sanction de l’Église. On ne pouvait donc mieux choisir l’Évangile du jour ; car il nous donne le Rosaire à la fois dans son texte originel et dans son point de départ, l’Annonciation, premier des mystères qu’il rappelle à l’honneur de la bienheureuse Vierge.
En Notre-Dame se rencontrent toute grâce, toute lumière, toute vie ; par son très saint Rosaire, elle a multiplié les fleurs et les fruits dans le jardin de la sainte Église. C’est ce que chante l’Offertoire : avec et par Jésus, nulle offrande agréée de Dieu qui ne provienne de Marie.
Offertoire
En moi réside toute grâce de conduite et de vérité, toute espérance de vie et de vertu ; j’ai donné des fleurs comme le rosier planté au bord des eaux.
Comme l’indique la Secrète, le Rosaire pieusement médité nous prépare dignement au Sacrifice de l’autel, mémorial auguste et suréminent des mystères dont il a pour but d’entretenir la pensée au cœur du chrétien.
Secrète
Seigneur, nous vous prions de faire que cette oblation nous trouve convenablement préparés ; puissions-nous, par les mystères du très saint Rosaire, être rendus dignes des promesses de votre Fils unique, en nous remémorant sa vie, sa passion et sa gloire. Lui qui vit et règne avec vous.
On fait mémoire du Dimanche.
La Préface est la même que celle du 8 septembre, si ce n’est qu’au lieu de in Nativitate, en la Nativité, on dit in solemnitate, en la solennité de la bienheureuse Marie toujours vierge.
Notre âme, au sortir du banquet sacré, ne saurait demeurer stérile. À l’exemple de Marie, fleurs et parfums des vertus doivent assainir autour d’elle la terre, prouver à l’Époux que sa visite n’a pas été inféconde.
Communion
Comme le lis portez des fleurs, exhalez des parfums, revêtez-vous d’un feuillage de grâces, multipliez les chants de louange, et bénissez le Seigneur dans ses ouvrages.
Puisse Notre-Dame, intercédant près de Dieu, aider en nous l’effet de ce Sacrifice et des mystères auxquels elle a eu part si grande ! L’Église le demande dans la Postcommunion.
Postcommunion
Accordez-nous, Seigneur, d’être secourus par les prières de votre Mère très sainte dont nous célébrons le Rosaire : ainsi éprouverons-nous la vertu des mystères que nous honorons par lui ; ainsi obtiendrons-nous l’effet du Sacrifice auquel nous venons de participer. Vous qui vivez.
On ajoute la Postcommunion du Dimanche correspondant.
À Vêpres
L’Église empruntait, il y a peu de jours, aux Servites de Marie l’Office des Sept Douleurs ; elle demande aujourd’hui ses Répons, ses Hymnes et ses Antiennes à l’illustre famille dont le Rosaire fut comme l’apanage d’origine. Les fils de saint Dominique possèdent un titre nouveau à la reconnaissance du peuple chrétien, depuis que ce bel ensemble liturgique est devenu la richesse de tous. L’Hymne, dont la concision gracieuse résume suavement la triple série des mystères du Rosaire, est la quatrième de l’Office entier : la première célébrant, aux premières Vêpres, les mystères joyeux ; la deuxième, à Matines, les mystères douloureux ; la troisième, à Laudes, les mystères glorieux. « Sur ces mystères, cueillons des roses ; tressons des couronnes à la Mère du bel amour. »
Hymne
O Vierge Mère, nous vous chantons dans la douceur de vos joies, dans les blessures de vos douleurs, dans les splendeurs de votre gloire sans fin.
Nous vous saluons débordante d’allégresse, ô Mère bienheureuse qui concevez, portez en la Visitation, mettez au monde, offrez, retrouvez votre Fils.
Nous vous saluons saturée d’amertume, ô première des Martyrs, qui par le cœur endurez l’agonie, la flagellation, les épines, la croix de votre Fils.
Nous vous saluons resplendissante, ô Reine glorieuse, dans les triomphes de votre Fils, dans l’embrasement du Paraclet, dans l’honneur et l’éclat de votre couronne.
Peuples, venez : sur ces mystères cueillez des roses ; tressez des couronnes à l’auguste Mère du bel amour.
O Jésus, qui êtes né de la Vierge, gloire à vous, avec le Père et l’Esprit-Saint, dans les siècles éternels. Amen.