Année liturgique ~ Le sixième dimanche après la Pentecôte
L’office du sixième dimanche après la Pentecôte s’ouvrait hier soir par l’exclamation poignante d’un immense repentir. David, le roi-prophète, le vainqueur de Goliath, vaincu à son tour par l’entraînement des sens, et d’adultère devenu homicide, s’écriait sous le poids de son double crime : « Je vous en prie, mon Dieu, pardonnez l’iniquité de votre serviteur, car j’ai agi en insensé ! »
Le péché, quels que soient le coupable et la faute, est toujours faiblesse et folie. L’orgueil de l’ange rebelle ou de l’homme déchu aura beau faire : il n’empêchera pas que la flétrissure de ces deux mots ne s’attache, comme un stigmate humiliant, à la révolte contre Dieu, à l’oubli de sa loi, à cet acte insensé de la créature qui, conviée à s’élever dans les régions sereines où réside son auteur, s’échappe et fuit vers le néant, pour retomber plus bas même que ce néant d’où elle était sortie. Folie volontaire cependant, et faiblesse sans excuse ; car si l’être créé ne possède de son fonds que ténèbres et misères, la bonté souveraine met à sa disposition par la grâce, qui ne manque jamais, la force et la lumière de Dieu.
Le dernier, le plus obscur pécheur ne saurait donc avoir de raisons pour justifier ses fautes ; mais l’offense est plus injurieuse à Dieu, quand elle lui vient d’une créature comblée de ses dons et placée par sa bonté plus haut que d’autres dans l’ordre des grâces. Qu’elles ne l’oublient pas ces âmes pour qui le Seigneur a, comme pour David, multiplié ses magnificences (Ps 70, 21). Conduites par les voies réservées de son amour, elles auraient beau avoir atteint déjà les sommets de l’union divine ; une vigilance sans fin peut seule garder quiconque n’a pas déposé le fardeau de la chair. Sur les montagnes comme dans les plaines et les vallées, toujours et partout, la chute est possible ; et combien n’est-elle pas plus effrayante, quand le pied glisse sur ces pics élevés de la terre d’exil qui déjà confinent à la patrie et donnent entrée dans les puissances du Seigneur (Ps 70, 16) ! Alors les précipices béants, que l’âme avait évités dans la montée, semblent tous l’appeler à la fois ; elle roule d’abîme en abîme, effrayant quelquefois jusqu’aux méchants eux-mêmes par la violence des passions longtemps contenues qui l’entraînent.
Âme brisée, que l’orgueil de Satan va chercher à fixer dans la fange ! Mais bien plutôt, du fond du gouffre où l’a jetée sa chute lamentable, qu’elle s’humilie, qu’elle pleure son crime ; qu’elle ne craigne point de lever de nouveau ses yeux humides vers les hauteurs brillantes où naguère elle semblait faire partie déjà des phalanges bienheureuses. Sans plus tarder, qu’elle s’écrie comme David : « J’ai péché contre le Seigneur » ; et comme à lui, il sera répondu : « Le Seigneur a pardonné ton péché, tu ne mourras pas (2 Roi 12, 13) » ; et comme pour David, Dieu pourra faire encore en elle de grandes choses. David innocent avait paru la fidèle image du Christ, objet divin des complaisances de la terre et des cieux ; David pécheur, mais pénitent, resta la très noble figure de l’Homme-Dieu chargé des crimes du monde, et portant sur lui la miséricordieuse et juste vengeance de son Père offensé.
À la Messe
Le rapport qui a pu exister autrefois, pour ce dimanche, entre la messe et l’office de la nuit se laisserait aujourd’hui difficilement saisir. Honorius d’Autun et Durand de Mende appliquaient, de leur temps (12ème et 13ème siècles), l’introït et les autres parties chantées qui vont suivre à l’inauguration du règne de Salomon. On prenait alors en effet pour ce jour, comme Leçons de l’Écriture, les premières pages du second livre des Paralipomènes où sont racontés les commencements glorieux du fils de David. Mais, depuis, l’usage a prévalu dans l’Église de continuer jusqu’au mois d’août la lecture des quatre livres des Rois, en laissant de côté les deux livres des Paralipomènes qui ne faisaient que répéter en partie les récits ayant fait la matière des lectures précédentes. Les anciens rapprochements proposés par les auteurs que nous venons de citer, n’ont donc plus maintenant d’application possible. Nous nous contenterons de puiser, dans l’introït, un nouveau sentiment de ce qui fait la force du chrétien : sa foi dans la puissance du Seigneur qui ne saurait lui manquer, et la conscience de sa misère qui le garde de toute présomption.
Introït
Le Seigneur est la force de son peuple, le protecteur qui opère des merveilles de salut en faveur de son Christ ; sauvez votre peuple, ô Seigneur, bénissez ceux qui sont votre héritage, conduisez-les jusqu’à l’éternité. Ps. Seigneur, je crierai vers vous ; ne gardez point le silence à mon égard, ô mon Dieu, de peur que, si vous ne me répondez pas, je devienne semblable à ceux qui descendent au tombeau. Gloire au Père. Le Seigneur.
La collecte présente un admirable résumé de l’action forte et suave de la grâce sur toute la conduite de la vie chrétienne. Elle s’inspire du texte de saint Jacques : « Tout don excellent, tout don parfait est d’en haut, et descend du Père des lumières (s. Jacques 1, 17). »
Collecte
Dieu des vertus, de qui viennent en entier les fruits excellents, semez l’amour de votre Nom dans nos cœurs, faites croître en nous la religion, nourrissez les bons plants, et conservez par le zèle de la piété ce que vous aurez nourri. Par Jésus-Christ notre Seigneur.
épître
Lecture de l’épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Romains. Chap. 6.
Mes Frères, nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, nous avons été baptisés dans sa mort. Car nous avons été par le baptême ensevelis avec lui pour mourir, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire de son Père, nous marchions nous aussi dans une vie nouvelle. Si en effet nous avons été entés sur la ressemblance de sa mort, nous serons aussi participants de sa résurrection. Sachons bien que notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que le corps du péché soit détruit et que nous ne soyons plus asservis au péché. Car celui qui est mort ne doit plus rien au péché. Or si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que de même nous vivrons aussi avec le Christ : sachant que le Christ ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n’aura plus sur lui d’empire. Car mourant pour le péché, il est mort une fois ; mais vivant maintenant, il vit pour Dieu. Considérez-vous de même vous aussi comme morts au péché, et vivant pour Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur.
Les messes des dimanches après la Pentecôte ne nous avaient présenté qu’une seule fois jusqu’ici les épîtres de saint Paul. C’est à saint Pierre et à saint Jean qu’était réservée de préférence la mission d’enseigner les fidèles au commencement des sacrés Mystères. Il semble que l’Église, en ces semaines qui représentent les premiers temps de la prédication apostolique, ait voulu rappeler ainsi le rôle prédominant du disciple de la foi et de celui de l’amour dans cette première promulgation de l’alliance nouvelle qui eut lieu tout d’abord au sein du peuple juif. Paul en effet n’était alors que Saül le persécuteur, et se montrait l’ennemi le plus violent de la parole qu’il devait porter plus tard avec tant d’éclat jusqu’aux extrémités du monde. Si ensuite sa conversion fit de lui un apôtre ardent et convaincu pour les Juifs eux-mêmes, il parut bientôt pourtant que la maison de Jacob n’était point, dans le domaine de l’apostolat, la part de son héritage (Gal. 2, 9). Après avoir affirmé publiquement sa croyance à Jésus Fils de Dieu et confondu la synagogue par l’autorité de son témoignage (Act. 9, 20, 22), il laissa silencieusement s’écouler la fin de la trêve accordée à Juda pour accepter l’alliance ; il attendit dans la retraite (Gal. 1, 17-22) que le vicaire de l’Homme-Dieu, le chef du collège apostolique, donnât le signal de l’appel des Gentils, et ouvrît en personne les portes de l’Église à ces nouveaux fils d’Abraham (Act. 10).
Mais Israël a désormais trop longtemps abusé des divines condescendances ; l’heure de la répudiation approche pour l’ingrate Jérusalem (Isaï. 1, 1), et l’Époux s’est enfin tourné vers les races étrangères. La parole est maintenant au Docteur des nations ; il la gardera jusqu’au dernier jour ; il ne se taira plus, jusqu’à ce qu’ayant redressé, soulevé vers Dieu la gentilité, il l’ait affermie dans la foi et l’amour. Il ne se donnera point de repos qu’il n’ait amené cette délaissée à la consommation des noces du Christ (2 Cor. 11, 2), à cette pleine fécondité de l’union divine, dont il dira : « Nous n’avons point cessé de demander, de supplier que vous fussiez remplis de toute sagesse et doctrine, dignes de Dieu, lui plaisant en toutes choses, féconds dans toutes les bonnes œuvres et en toute vertu, par la puissance de celui qui nous a rendus dignes d’avoir part au sort des Saints dans la lumière de son Fils bien-aimé (Col. 1, 9-13, épître du 24ème et dernier dimanche après la Pentecôte). »
C’est aux Romains que s’adressent aujourd’hui les instructions inspirées du grand Apôtre. L’Église en effet, dans la lecture de ces épîtres, observera l’ordre même de leur inscription au canon des Écritures : la lettre aux Romains, les deux aux Corinthiens, celles aux Galates, aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, passeront successivement sous nos yeux. Sublime correspondance, où l’âme de Paul, se livrant tout entière, donne en même temps le précepte et l’exemple de l’amour ! « Je vous en prie, dit-il sans cesse, soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ (1 Cor. 4, 16 ; 11, 1 ; Philip, 3, 17 ; 1 Thess. 1, 6). »
C’est qu’en effet l’évangile (1 Thess. 1, 5), le royaume de Dieu (1 Cor. 4, 20), la vie chrétienne, n’est point simplement affaire de discours. Rien de moins spéculatif que la science du salut ; rien qui la fasse pénétrer plus avant dans les âmes que la sainteté de ceux qui l’enseignent. Pour cette raison, celui-là seul, dans le christianisme, est reconnu comme Apôtre ou Docteur, qui sait fournir aux hommes, dans l’unité de sa vie, le double enseignement de la doctrine et des œuvres. Ainsi le premier, Jésus, prince des pasteurs (1 s. Pierre 5, 4), a-t-il traduit l’éternelle vérité, non seulement dans les mots sortis de sa bouche divine, mais encore dans les actes de sa vie sur terre. Ainsi l’Apôtre, devenu lui-même la forme du troupeau, révèle à tous en sa personne les progrès merveilleux qu’une âme fidèle peut accomplir au souffle de l’Esprit sanctificateur. Soyons attentifs aux accents de cette bouche puissante toujours ouverte sur le monde (2 Cor. 6, 11) ; mais, en même temps, ouvrons les yeux de notre âme pour voir à l’œuvre notre Apôtre et marcher à sa suite (Philip, 3, 17). Par ses épîtres si vivantes, il reste véritablement sur la terre ; il demeure avec nous, comme il l’avait dit, pour notre avancement, pour la joie et le triomphe de notre foi.
D’autre part, si nous estimons à leur prix l’exemple et la doctrine de ce père des nations (1 Cor. 4, 14-15), rappelons-nous également ses travaux et ses souffrances ; n’oublions point la sollicitude, l’amour ardent qu’il professait pour tous ceux qui n’avaient point vu son visage en la chair (Col. 2, 1-5). Payons de retour, en dilatant pour lui nos cœurs ; aimons avec la lumière celui qui nous l’apporte, et tous ceux qui, comme lui, l’ont puisée si brillante dans les trésors de Dieu le Père et de son Christ. C’est la touchante recommandation de saint Paul lui-même (2 Cor. 6, 11 -13 ; Héb. 13, 7) ; c’est l’intention voulue par Dieu, lorsqu’il daigna confier à des hommes mortels le soin d’instruire conjointement avec lui les nations (s. Mt 28, 18-20). La Sagesse éternelle ne se montre point directement ici-bas : elle s’est cachée dans l’Homme-Dieu tout entière (Col. 2, 3) ; elle se révèle donc par lui (1 Cor. 1, 24), mais aussi par l’Église (Éph. 3, 10), qui est le corps mystique de cet Homme-Dieu. Nous ne pouvons, en dehors du Christ Jésus, ni l’aimer, ni l’atteindre (1 Cor. 2, 8) ; mais nous n’aimons, nous ne comprenons Jésus, qu’en aimant et comprenant son Église (s. Jean 15, 14, 12 ; s. Luc 10, 16). Or, si dans cette Église, assemblée glorieuse des élus, il n’en est point qui ne réclament légitimement notre amour, est-il douteux pourtant que nous devions aimer et vénérer ceux-là surtout qui sont plus étroitement associés à l’humanité du Sauveur dans la manifestation du Verbe divin, centre unique de nos pensées dès ce monde et pour l’éternité (1 Cor. 2, 6-7) ?
Personne, à ce titre, ne mérita plus que Paul la vénération, la reconnaissance et l’amour du peuple fidèle. Qui en effet, des prophètes et des saints apôtres, pénétra davantage le mystère du Christ (Eph. 3, 4-5) ? Qui comme lui révéla au monde les rayonnements divins de la face du Sauveur (2 Cor. 4, 6) ? La vie d’union, cette union merveilleuse qui multiplie la vie du Verbe et la prolonge en chacun des chrétiens, eut-elle jamais un docteur plus complet, un si éloquent interprète ? À lui, le dernier venu, fut donnée cette grâce d’annoncer aux nations les insondables richesses du Christ ; le plus petit des saints, proclame-t-il dans son humilité sublime, il reçut la mission d’enseigner à toute créature le dernier mot de la création, resté longtemps caché en Dieu comme le secret des siècles et de l’histoire du monde, à savoir : la manifestation de la Sagesse infinie par l’Église, en Jésus-Christ notre Seigneur (Éph. 3, 8-11).
Car l’Église n’étant autre chose que le corps de l’Homme-Dieu et son mystique complément, la formation de l’Église, ses accroissements, ne sont pour saint Paul que la suite régulière de l’Incarnation, le développement continu du mystère apparu dans la crèche aux célestes principautés. Après l’Incarnation, Dieu fut mieux connu des anges ; bien que le même en son immuable essence, il leur apparut plus grand et plus magnifique au reflet de ses perfections infinies dans la chair de son Verbe. Ainsi, bien que sans croissance possible elles-mêmes et fixées dans la plénitude, la perfection et la sainteté créées de l’Homme-Dieu se révèlent plus grandes à leur tour, à mesure que se multiplient dans le monde des merveilles de perfection et de sainteté qui ne trouvent qu’en lui leur source.
Parti de lui, coulant toujours de sa plénitude (s. Jean 1, 16), le flot de la grâce et de la vérité parcourt sans fin chacun des membres de l’immense corps de l’Église. Principe de divine croissance, sève mystérieuse dont les canaux rattachent plus étroitement l’Église à son Chef auguste, que les nerfs et les vaisseaux portant le mouvement et la vie jusqu’aux extrémités de notre corps ne rattachent ses diverses parties à la tête qui dirige et commande. Mais de même que dans le corps humain la vie est une pour la tête et les membres, constituant chacun d’eux dans la proportion et l’harmonie qui font l’homme parfait : ainsi n’y a-t-il dans l’Église qu’une seule vie, celle de l’Homme-Dieu, du Christ chef formant son corps mystique et développant dans l’Esprit-Saint ses divers membres (Éph. 4, 12-16). Un temps viendra qu’il ne manquera plus rien à ce développement ; alors l’humanité, fondue avec son chef divin dans la mesure et la splendeur de l’âge parfait qui convient au Christ, apparaîtra sur le trône du Verbe, pour y faire à jamais l’admiration des Anges et l’objet des complaisances de la Trinité bienheureuse. Mais, en attendant, le Christ se complète en toutes choses et dans tous ; comme autrefois à Nazareth, Jésus grandit encore (s. Luc 2, 46), et ses accroissements manifestent chaque jour davantage la Sagesse infinie dans sa beauté.
La sainteté, les souffrances, et ensuite la gloire du Seigneur Jésus, sa vie même en un mot prolongée dans ses membres (2 Cor. 4, 10-11) telle est pour saint Paul la vie chrétienne : simple et sublime notion, qui résume à ses yeux le commencement, le progrès et la consommation du travail de l’Esprit d’amour en toute âme sanctifiée. Nous le verrons par la suite développer longuement cette vérité pratique, dont il se contente aujourd’hui de poser la base dans l’épître que l’Église nous fait lire. Qu’est-ce que le baptême en effet, cette première entrée dans la voie qui conduit au ciel, sinon l’incorporation du néophyte à l’Homme-Dieu mort une fois au péché pour vivre à jamais en Dieu son Père ? Au Samedi saint, près des bords de la fontaine sacrée, nous avons compris, à l’aide d’un passage semblable de l’Apôtre (Col. 3, 1-4), les divines réalités accomplies sous l’onde mystérieuse. La sainte Église n’y revient aujourd’hui que pour rappeler ce grand principe des commencements de la vie chrétienne, et l’établir comme point de départ des instructions qui vont suivre. Si le premier acte de la sanctification du fidèle enseveli dans son baptême avec Jésus-Christ a pour objet de le refaire tout entier, de le créer de nouveau dans cet Homme-Dieu (Éph. 2, 10), de greffer sa vie nouvelle sur la vie même du Seigneur Jésus pour en produire les fruits, nous ne serons point surpris que l’Apôtre se refuse à tracer aux chrétiens d’autre procédé de contemplation, d’autre règle de conduite, que l’étude et l’imitation du Sauveur. La perfection de l’homme (Col. 1, 28) et sa récompense sont en lui seul : selon donc la connaissance que vous avez reçue de lui, marchez en lui ; car vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ (Gal. 3, 27). Le Docteur des nations le déclare : il ne connaît, il ne saurait prêcher autre chose (1 Cor. 2, 2). À son école, prenant en nous les sentiments qu’avait Jésus-Christ (Philip, 2, 5), nous deviendrons d’autres Christs, ou plutôt un seul Christ avec l’Homme-Dieu, par l’union des pensées et la conformité des vertus sous l’impulsion du même Esprit sanctificateur.
Entre la lecture de l’épître et celle de l’évangile, le graduel et le verset viennent raviver dans les cœurs l’humble et confiante prière qui doit s’élever sans cesse de l’âme du chrétien vers son Dieu.
Graduel
Tournez-vous quelque peu vers nous, Seigneur, et soyez propice à vos serviteurs. V/. Seigneur, vous avez été notre refuge de générations en générations. Alléluia, alléluia. V/. En vous, Seigneur, j’ai mis mon espérance : que je ne sois pas confondu à jamais ; délivrez-moi et sauvez-moi dans votre justice ; inclinez vers moi votre oreille ; hâtez-vous de me délivrer. Alléluia.
Évangile
La suite du saint évangile selon saint Marc. Chap. 8.
En ce temps-là, une grande foule se trouvant avec Jésus, sans avoir de quoi manger, il appela ses disciples et leur dit : J’ai compassion de cette foule ; car voilà déjà trois jours qu’ils demeurent avec moi continuellement, et ils n’ont rien à manger. Si je les renvoie à jeun dans leurs maisons, ils tomberont en défaillance sur le chemin ; car quelques-uns sont venus de loin. Ses disciples lui répondirent : Par quel moyen et qui pourra les rassasier de pain dans le désert ? Sur sa demande : Combien de pains avez-vous ? ils lui dirent : Sept. Alors il fit asseoir la foule sur la terre. Puis prenant les sept pains et rendant grâces, il les rompit et les donna, pour être distribués, à ses disciples qui les servirent à la foule. Ils avaient aussi quelques petits poissons, qu’il bénit de même et fit servir. Ils mangèrent donc et furent rassasiés, et l’on emporta sept corbeilles pleines des morceaux restés en plus. Or ceux qui mangèrent étaient environ quatre mille ; et il les renvoya.
L’explication du texte sacré nous est donnée par saint Ambroise au nom de l’Église, dans l’homélie du jour ; elle n’est point faite pour changer en rien le cours des pensées que nous inspire l’ensemble de la sainte Liturgie dans cette partie de l’année.
« Après la guérison du flux de sang dont souffrait la femme figure de l’Église, après la mission d’évangéliser donnée aux Apôtres, l’aliment de la grâce céleste est distribué aux âmes affamées que ne saurait rassasier l’ancienne Loi mourante (Ambr. Sur s. Luc 6, 69) ». Ainsi s’exprime le saint Docteur. Déjà en effet, comme nous le disions il y a huit jours, la loi du Sinaï, convaincue d’impuissance (Héb. 7, 18-19), a fait place au Testament de l’alliance universelle. C’est de Sion même néanmoins qu’est sortie la loi de la grâce ; Jérusalem, la première cette fois encore, a entendu la parole du Seigneur (Isaï. 2, 3). Mais les porteurs de la bonne nouvelle, conduits par un peuple endurci et jaloux, se sont tournés bientôt vers les nations (Act. 13, 46), en secouant sur Jérusalem la poussière de leurs pieds ; poussière accusatrice (s. Luc 9, 5) qui retombera dans peu sur l’orgueilleuse cité en pluie vengeresse, plus terrible que les torrents de feu déchaînés autrefois sur Sodome et Gomorrhe (s. Mt 10, 15). Déjà, dans la grande famille humaine, c’en est fait de la supériorité de Juda si longtemps maintenue, des droits du premier-né, antique honneur d’Israël ! La primauté a suivi vers l’Occident Simon Pierre ; et le diadème de Sion, tombé de sa tête prévaricatrice (Thren. 5, 16), brille pour jamais au front purifié de la reine des nations.
Comme l’hémorroïsse de l’évangile qui avait dépensé tout son bien en traitements inutiles, la gentilité, épuisée depuis la chute première en pertes incessantes, avait achevé de dissiper dans les mains des docteurs de mensonge jusqu’à cette lumière primitive et ces dons de nature qui formaient, selon l’expression de l’évêque de Milan, « son patrimoine vital ». Mais voici qu’au bruit de l’arrivée du médecin céleste, elle s’est levée dans la conscience de sa misère ; sa foi, triomphant de sa honte, l’a portée à la rencontre du Verbe ; son humble confiance, qui contrastait avec l’insultante arrogance de la synagogue, a touché le Christ ; et la vertu sortie de lui (s. Luc 8, 46) a guéri sa plaie originelle, et répare en un moment ses ruines successives.
Il était juste que le Seigneur, ayant ainsi guéri l’humanité, la relevât de son jeûne séculaire, en lui donnant la nourriture convenable. C’est toujours la pensée de saint Ambroise ; et, rapprochant du repas miraculeux de notre évangile cette autre multiplication des pains dont nous avons célébré le mystère au quatrième dimanche de carême, il remarque qu’il y a pour la nourriture spirituelle, comme pour celle des corps, divers degrés d’excellence. L’Époux ne sert point dès le commencement d’ordinaire son vin le plus enivrant, ses mets les plus exquis aux conviés de son amour (s. Jean 2, 10). Beaucoup d’ailleurs ne sauraient point s’élever, ici-bas, au delà d’une certaine limite vers la divine et substantielle lumière qui nourrit les âmes. À ceux-là donc, au plus grand nombre, figuré par les cinq mille hommes de la première multiplication miraculeuse, conviennent les cinq pains de moindre qualité, les pains d’orge, répondant par leur nombre aux cinq sens qui retiennent encore plus ou moins la multitude sous leur empire. Mais aux privilégiés de la grâce, aux hommes qui, dominant les mille sollicitudes de la vie et méprisant ses jouissances permises, parviennent dès ce monde à faire régner Dieu seul en leur âme, à ceux-là seuls l’Époux destine le pur froment des sept pains, dont le nombre rappelle la plénitude de l’Esprit de sainteté et abonde en mystères.
« Bien que dans le monde, dit saint Ambroise, ils ne sont plus du monde ces hommes qui goûtent l’aliment du mystique repos. » Au commencement, Dieu donna en six jours à l’univers sorti de ses mains sa perfection et sa beauté ; il consacra le septième à la jouissance de ses ouvrages (Gen. 2, 1-3). Sept est le chiffre du repos divin ; il devait être aussi celui du repos fécond des fils de Dieu, de la consommation des âmes dans la paix qui assure l’amour et fait l’invincible force de l’Épouse au Cantique. C’est pourquoi l’Homme-Dieu, proclamant sur la montagne les béatitudes de la loi d’amour, attribua la septième aux pacifiques ou pacifiés, comme les appelle saint Ambroise, comme devant être nommés excellemment fils de Dieu (s. Matth. 2, 9). En eux seuls, en effet, se développe pleinement le germe de la filiation divine (Héb. 3, 14) déposé dans l’âme au baptême. Grâce au silence des passions terrassées, leur esprit, maître de la chair et soumis à Dieu, ne connaît plus les tempêtes intérieures, les brusques variations, les inégalités mêmes si nuisibles toujours à la précieuse semence (1 s. Jean 3, 9) ; échauffée par les feux du Soleil de justice dans une atmosphère continuellement sereine et sans nuages, elle se dilate sans obstacle, elle croît sans déviation ; absorbant tous les sucs humains de cette terre qui l’a reçue, s’assimilant la terre elle-même, elle ne laisse plus rien voir bientôt que de divin dans ces hommes devenus, pour le Père qui est aux cieux, la très fidèle image de son Fils premier-né (Rm 8, 29).
« Elle est donc bien justement la septième cette béatitude des pacifiés, reprend saint Ambroise ; à eux le pain des sept corbeilles, le pain sanctifié, le pain du repos ! C’est quelque chose de grand que ce pain du septième jour ; et j’oserai le dire, si, après avoir mangé des cinq pains, vous goûtez les sept, n’attendez plus rien en terre (Ambr. In Luc 6, 80). »
Mais pour prétendre à ce festin sans pareil, observez diligemment la condition qu’y met l’évangile. « Ce n’est point, dit notre Homélie, aux désœuvrés, aux grands du siècle, aux habitants des villes, qu’est distribué le céleste aliment, mais à ceux qui cherchent le Christ au milieu des déserts ; ceux-là seuls qui ont faim sont reçus par le Christ à la participation du Verbe et du royaume de Dieu. » Plus leur faim est intense, plus elle est pure surtout et va directement à son divin objet, plus aussi le pain merveilleux confortera ces affamés de lumière et d’amour et les rassasiera délicieusement.
Toute la vérité, toute la bonté, toute la beauté que contient l’univers, ne saurait par soi satisfaire une seule âme ; il y faut Dieu même ; et tant que l’homme ne l’a point compris, ce que ses sens et sa raison peuvent lui fournir de bien et de vrai, loin de le nourrir, n’est le plus souvent qu’une distraction lamentable à son besoin pressant et un obstacle à la vraie vie. Voyez comme le Seigneur attend, pour agir en faveur de ceux qui le suivent, que toutes leurs provisions humaines soient épuisées. Ils n’ont pas craint, pour rester avec lui, d’affronter la pénurie du désert ; leur foi, plus grande que celle de leurs frères restés dans les villes, les élève aussi plus haut dans l’ordre de ses grâces ; à cause de cela même, il ne veut plus que rien en eux agisse concurremment avec le mets divin qu’il prépare à leurs âmes.
Telle est l’importance de ce dépouillement complet sur les sommets de la vie chrétienne, telle aussi la difficulté pour les plus courageux d’y arriver par leurs seuls efforts, qu’on voit le Seigneur intervenir lui-même directement dans l’âme de ses saints pour y faire le désert, et obtenir ce vide, nécessaire à ses dons, au seul aspect duquel frémit la pauvre nature. Luttant comme Jacob avec Dieu (Gen. 32, 24) sous l’effort de cette épuration toute-puissante, la créature se sent alors broyée et consumée dans un indicible martyre. Elle est devenue l’objet des ineffables recherches du Fils de Dieu ; mais Celui qui prétend se donner sans réserve aucune, lui si grand à elle si faible et si dénuée, la veut du moins elle aussi tout entière. C’est pour cela que, d’autorité, il la dompte et la brise miséricordieusement, pour la dégager des créatures et d’elle-même. Rien n’échappe des moindres replis, des plus secrets détours de son être au regard transperçant du Verbe ; son action dévorante atteint dans ses poursuites jalouses jusqu’à la division de l’esprit et de l’âme ; pénétrant les moelles et les jointures, scrutant, disséquant sans pitié les intentions et les pensées (Héb. 4, 12, 13). Comme le fondeur en présence du métal précieux qui doit devenir l’ornement des rois, il s’est assis, dit le prophète (Malach. 3, 24) ; il a jeté au creuset cette âme aimée, dont il veut faire pour l’éternité l’un des joyaux éclatants de sa noble parure. Tout entier à ce travail qui lui est cher, à cette opération plus délicate à ses yeux que la création de mille mondes, il surveille et active la flamme purifiante, feu consumant lui-même dans la fournaise. Et lorsque depuis longtemps déjà ont cessé de s’élever les dernières vapeurs parties des sens, que les scories plus résistantes de l’esprit sont détachées à leur tour, la fusion étant complète, goutte à goutte comme l’avare il recueille son or ; il lui rend consistance ; il ne craint plus de le produire aux yeux émerveillés des hommes et des anges : tant est pur son éclat ! tant le divin ciseleur est assuré maintenant d’y retracer selon qu’il le voudra, en traits dignes de lui, sa fidèle image !
« Le Seigneur nous appelle, disait l’ancien peuple sortant d’Égypte à la suite de Moïse ; nous irons à trois journées de chemin dans le désert, pour y sacrifier au Seigneur notre Dieu (Exod. 3, 18). » Les disciples de Jésus-Christ, dans notre évangile, l’ont de même suivi au désert ; après trois jours, ils ont été nourris d’un pain miraculeux qui présageait la victime du grand Sacrifice figuré par celui d’Israël. Bientôt le présage et la figure vont faire place, sur l’autel qui est devant nous, à la plus sublime des réalités. Quittons la terre de servitude, où nous retenaient nos vices ; l’appel miséricordieux du Seigneur est pour nous de chaque jour ; établissons donc pour jamais nos âmes loin des frivolités mondaines, dans la retraite d’un profond recueillement. Prions le Seigneur, en chantant l’Offertoire, qu’il daigne lui-même affermir nos pas dans les sentiers de ce désert intérieur, où il nous écoutera toujours favorablement et multipliera pour nous les merveilles de sa grâce.
Offertoire
Affermissez mes pas dans vos sentiers, afin que ma marche soit sûre ; inclinez votre oreille et exaucez mes paroles ; faites éclater vos miséricordes, Seigneur qui sauvez ceux qui espèrent en vous.
L’efficacité de nos prières n’est assurée qu’autant que la foi les anime et inspire leur objet. L’Église, en recevant les dons de ses fils pour le sacrifice, demande dans la secrète qu’il en soit ainsi pour eux tous.
Secrète
Seigneur, soyez propice a nos supplications, et recevez avec bienveillance ces dons de votre peuple : faites que de personne le désir ne soit vain, la demande inexaucée ; afin que nous obtenions efficacement ce que nous demandons dans la foi. Par notre Seigneur.
Nous admirions tout a l’heure le travail de purification qu’opère dans les âmes de son choix l’Ange de l’alliance. Or le prophète qui nous faisait assister à cette divine refonte des élus, en révèle le motif par ces paroles qui expliquent du même coup l’Antienne de la Communion : « Et ils sacrifieront au Seigneur dans la justice ; et le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira au Seigneur comme aux jours du passé, comme dans les temps antiques (Malach. 3, 4). »
Communion
Je ferai le tour de l’autel, et j’immolerai dans son tabernacle une hostie d’allégresse ; je chanterai, et je dirai des psaumes au Seigneur.
Les mystères sacrés sont le vrai feu purifiant ; ils dégagent pleinement des restes du péché quiconque s’abandonne à leurs ardeurs divines, et raffermissent dans la voie de la perfection. Disons donc avec l’Église :
Postcommunion
Nous avons été remplis de vos dons, ô Seigneur : faites, nous vous en supplions, que nous soyons purifiés par leur vertu et fortifiés par leur secours. Par notre Seigneur.
Autres liturgies
Ajoutons ces deux belles formules dominicales du Missel mozarabe.
Messe
Frères bien-aimés, prions Dieu : c’est tomber que de se détourner de lui, c’est ressusciter que de se convertir à lui ; en sortir c’est la mort, y demeurer c’est la vie, l’affermissement, la croissance ; nul ne le cherche que mû par la raison, nul ne le trouve qu’étant pur de cœur, nul ne le perd que déçu par l’erreur. Donc prions-le instamment qu’en réponse à nos recherches il se trouve en nous, et qu’invoqué il ne s’éloigne pas, mais s’unisse intimement par le labeur de sa miséricorde à nos puissances.
Oraison
Seigneur Dieu prié par nous incessamment, c’est vous dans votre clémence qui nous donnez de vous prier ainsi ; ainsi accordez-vous à qui désire l’objet de ses vœux, et ne refusez-vous rien à qui vit pieusement : inspirez-nous d’acceptables prières, accomplissez les œuvres qui vous plaisent. Donnez-nous ce qu’en nous vous puissiez aimer, afin que vous daigniez toujours être pour nous exorable. Accordez-nous des vœux inspirés par la foi, de saints désirs, des œuvres alertes, l’empressement aux Mystères, les paroles suppliantes, le langage qui vous charme, les chants jamais lassés. Que pures soient les prières, opportunes les demandes, justes les supplications, fréquentes les instances, sans fin la louange : afin qu’à tous vous donniez toutes choses utiles au salut éternel, étant invoqué par tous.