5e semaine après Pâques

Dom Guéranger ~ L’année liturgique
Cinquième semaine après Pâques

V/. In resurrectione tua, Christe, alleluia,
R/. Cœli et terra laetentur, alleluia.
V/. À votre résurrection, ô Christ ! alleluia,
R/. Le ciel et la terre sont dans l’allégresse, alleluia.

 Le lundi

Jésus ressuscité accorde un don inestimable à ses Apôtres, et de ce don procéderont deux Sacrements. Au sixième jour de la création, le Verbe divin avait répandu son souffle sur l’homme dont il avait formé le corps du limon de la terre, et tout aussitôt une âme portant l’image de Dieu vint animer ce corps. Au soir du jour de Pâques, le même Verbe manifesté dans sa chair ressuscitée survient tout à coup au milieu de ses Apôtres. « La paix soit avec vous, leur dit-il. Comme mon Père m’a envoyé, ainsi je vous envoie (s. Jean 20, 12). » Puis il souffle sur eux, et leur dit avec empire : « Recevez le Saint-Esprit. » Quel est ce souffle qui ne s’adresse pas à tout homme, mais qui est réservé pour quelques‑uns ? Jésus l’explique aussitôt : ce souffle communique l’Esprit-Saint. L’Esprit-Saint est donné aux Apôtres, parce qu’ils sont les envoyés de Jésus, de même que Jésus est l’envoyé du Père.

Les Apôtres reçoivent donc cet Esprit divin pour le communiquer aux hommes, de même que Jésus l’a répandu en eux. La tradition de l’Église complète le récit succinct de l’Évangile. Deux Sacrements, ainsi que nous l’avons dit, tirent leur origine de cet acte de Jésus ressuscité ; sa parole a déterminé ensuite les conditions rituelles sous lesquelles le double mystère devra s’accomplir.

Le premier de ces deux Sacrements est la Confirmation, pour l’institution de laquelle nous rendrons grâces aujourd’hui ; le second est l’Ordre, dont nous contemplerons dans quelques jours la dignité : l’un et l’autre, apanage glorieux du caractère épiscopal, qui renferme pour nous la source des dons qui furent conférés aux Apôtres pour la sanctification de l’homme.

Telle est l’importance du Sacrement de Confirmation pour le fidèle, que tant qu’il n’en a pas été marqué, il ne peut être regardé comme chrétien parfait. Sans doute, il jouit, en vertu de son Baptême, des prérogatives d’enfant de Dieu, de membre de Jésus-Christ, de fils de l’Église ; mais le chrétien est un homme de lutte ; il doit confesser sa foi, tantôt devant les tyrans jusqu’à donner son sang, tantôt en présence du monde, dont les maximes séduisantes ou impérieuses chercheront à l’entraîner dans la défection, tantôt contre les démons, dont l’hostilité est redoutable aux serviteurs du Christ. Le sceau de l’Esprit-Saint imprimé sur son âme lui confère un degré de force que le Baptême n’apporte pas ; de citoyen de l’Église qu’il était, la Confirmation en fait le chevalier de Dieu et de son Christ. Nous pouvons, il est vrai, combattre et vaincre avec la seule armure du Baptême ; Dieu nous en a assuré le pouvoir ; car il sait que le Sacrement qui perfectionne le chrétien n’est pas toujours à notre portée ; mais malheur à l’imprudent qui néglige l’occasion d’obtenir le complément de son Baptême ! Nous avons vu, au Samedi saint, avec quel empressement l’Évêque, lorsqu’il administrait en ce grand jour le sacrement de la régénération, achevait son œuvre en donnant l’Esprit‑Saint à tous ceux qui venaient de renaître dans le Fils et de recevoir l’adoption du Père.

C’est en effet au Pontife qu’il appartient de dire à nous tous néophytes : « Recevez le Saint-Esprit. » La dignité de ce divin Esprit n’exige pas moins ; et si quelquefois, à cause de la nécessité, un Prêtre est appelé par le Vicaire du Christ à administrer ce Sacrement auguste, il ne peut l’accomplir d’une manière valide qu’à la condition d’employer le Chrême consacré par l’Évêque ; en sorte que la puissance du Pontife y paraît toujours en première ligne.

Qu’il est sublime le moment où l’Esprit de force qui confirma les Apôtres eux-mêmes, descend sur les néophytes à genoux autour de l’Évêque ! Les bras du Pontife sont étendus au-dessus d’eux ; il répand sur leurs âmes cet Esprit qu’il a reçu pour le communiquer ; et afin que rien ne manque à la solennité du don qu’il va leur faire, il rappelle la prophétie d’Isaïe qui annonce la descente de l’Esprit sur le rejeton de Jessé élevant sa tige du sein des ondes du Jourdain. « O Dieu, dit-il, qui avez déjà régénéré vos serviteurs dans l’eau et le Saint-Esprit, envoyez maintenant du ciel sur eux cet Esprit aux sept dons : Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu ; et marquez-les tout à l’heure du sceau de la croix du Christ (Cérémonie de confirmation, Isaïe 11). »

Alors paraît le Chrême sacré dont nous avons célébré les grandeurs au Jeudi saint. C’est ici le Sacrement du Chrême, pour parler le langage de l’antiquité, du Chrême en qui réside la vertu du Saint-Esprit. Le Pontife en marque au front chacun des néophytes, et l’Esprit-Saint imprime au même moment sur leurs âmes le sceau de la perfection du chrétien. Les voilà confirmés pour jamais. Qu’ils écoutent donc la voix du Sacrement qui s’est incorporé à eux, et nulle épreuve, nul péril ne seront au-dessus de leur courage. L’huile divine avec laquelle la croix a été tracée sur leur front lui a communiqué cette dureté de diamant que reçut le front du Prophète, et qui défiait tous les traits de ses adversaires (Ez 3, 9).

Pour le chrétien, en effet, la force c’est le salut ; car la vie de l’homme est un combat (Jos. 7, 1). Gloire soit donc à Jésus ressuscité qui, prévoyant les assauts que nous aurions à soutenir, n’a pas voulu souffrir que nous fussions inégaux dans la lutte, et nous a donné dans l’admirable Sacrement de Confirmation cet Esprit divin qui procède de lui et du Père, afin qu’il fût notre force invincible ! Remercions-le aujourd’hui d’avoir ainsi complété en nous la grâce baptismale. Le Père qui a daigné nous adopter, a livré son propre Fils pour nous ; le Fils nous donne l’Esprit pour habiter en nous : quelle créature que l’homme devenu ainsi l’objet des complaisances de la Trinité tout entière ! Cependant l’homme est pécheur, infidèle ; tant de merveilleux secours sont dépensés sur lui trop souvent en vain ! Rendons hommage à la divine bonté, en nous tenant unis à la sainte Église ; célébrons avec elle dans toute l’effusion de nos cœurs les mystères de miséricorde que l’Année liturgique ramène tour à tour sous nos yeux.

À Jésus ressuscité, notre bienfaiteur divin, présentons, au nom de son Église enrichie de dons si précieux, ce beau cantique pascal, emprunté encore aux anciens Missels de Saint-Gall.

SÉQUENCE

Que l’Église aujourd’hui entonne avec harmonie un cantique à son bien-aimé ; qu’elle célèbre avec joie son retour triomphant.

Qu’elle essuie les larmes qui coulaient sur son beau visage ; qu’elle accueille dans des transports de joie, à son retour, celui dont naguère elle pleurait le trépas.

Il était venu des cieux, dans un élan d’amour pour elle ; et par le sang de ses propres blessures il l’avait purifiée de la souillure qu’elle avait reçue de sa première mère.

Aujourd’hui son front brille illuminé des rayons de son Époux : à ce moment où ses noces se célèbrent dans l’allégresse, la synagogue enveloppée d’un voile noir est expulsée de la salle du festin.

Attaché sur l’arbre de la croix par amour pour son Épouse, le Christ l’a rendue sacrée par l’eau sortie de son flanc ouvert.

Ève formée d’une côte de l’homme fut sa figure, ainsi que l’arche de Noé voguant sur les eaux.

Tout à l’heure elle était transplantée de son sol, et foulée cruellement par le tyran de Babylone. Touché de ses pleurs, ô Christ, vous avez abattu Babylone, et rappelé votre peuple sur la montagne de Sion.

La floraison de la nature entière nous représente en ce moment l’allégresse et les transports de votre Épouse ; ô Jésus, vous nous avez rachetés de votre sang, rendez-nous participants de votre triomphe.

Pour nous délivrer de captivité, vous avez frappé de mort les princes de l’Égypte, nos oppresseurs ; faites que nos pieds soient protégés, et qu’ils puissent fouler sans péril les serpents de feu dans le désert de ce monde.

Daignez enfin nous accorder d’arriver, sous votre conduite, à la terre promise. Amen.

Le mardi

Le troisième Sacrement, celui de la divine Eucharistie, a un rapport trop intime avec la Passion du Sauveur, pour que son institution eût été retardée jusqu’à la résurrection. Nous avons honoré, au Jeudi saint, l’acte solennel par lequel Jésus préluda au Sacrifice sanglant du lendemain, en inaugurant le mystère de son Corps et de son Sang, véritablement immolés dans la Cène eucharistique. Non seulement nous avons vu les Apôtres admis à participer, au nom de toutes les générations qui suivront jusqu’à la fin des siècles, à l’aliment céleste « qui donne la vie au monde (s. Jean 6, 33) » ; mais encore nous avons entendu le Prêtre éternel leur conférer le pouvoir de faire désormais ce qu’il venait de faire lui-même. Le sublime mystère est établi pour jamais, le sacerdoce nouveau est institué ; et Jésus ressuscité n’a plus qu’à instruire ses Apôtres sur la nature et l’importance du don qu’il daigna faire aux hommes en cette circonstance, et sur la manière dont ils devront exercer l’auguste pouvoir qu’il a placé en eux, lorsque l’Esprit‑Saint descendu du ciel donnera à l’Église le signal d’user de toutes ses prérogatives.

À la dernière Cène, les Apôtres, encore grossiers, préoccupés de l’événement qui allait éclater, émus des paroles de leur Maître qui les avait avertis que cette Pâque était la dernière qu’il célébrerait avec eux, étaient hors d’état de comprendre tout ce que Jésus avait fait pour eux, lorsqu’il leur avait dit : « Prenez et mangez : ceci est mon corps ; buvez‑en tous : ceci est mon sang. » Moins encore avaient-ils pu se rendre compte de l’étendue du pouvoir qu’ils avaient reçu de reproduire le mystère qui venait de s’opérer sous leurs yeux. C’était à Jésus ressuscité qu’il appartenait de leur dévoiler ces merveilles, et il le fait dans les jours où nous sommes. Le Sacrement de l’Eucharistie n’y a pas été institué ; mais il y a été déclaré, exposé, glorifié par la bouche même de son divin instituteur ; et cette circonstance contribue à rendre plus sacrée encore la période que nous traversons en ce moment.

De tous les Sacrements il n’en est aucun qui soit comparable en dignité à celui de la sainte Eucharistie ; les autres nous transmettent la grâce, mais celui-ci contient l’auteur même de la grâce ; les autres sont seulement des Sacrements, et celui-ci est à la fois un Sacrement et un Sacrifice. Nous essaierons d’en développer toutes les magnificences, lorsque bientôt la radieuse fête du Saint-Sacrement apparaîtra sur le Cycle, et fera tressaillir de joie l’Église tout entière. Nous devons seulement aujourd’hui rendre l’hommage de nos adorations et de notre amour à Jésus, « le Pain vivant qui donne la vie au monde (s. Jean 6, 33, 41) », et proclamer sa tendre sollicitude pour ses brebis, qu’il semble abandonner pour retourner à son Père, et au milieu desquelles son amour le retient dans cet auguste mystère, où sa présence, pour être invisible, n’en est pas moins réelle.

Soyez donc béni, Fils éternel du Père, qui dans les divins oracles de l’antique Alliance, nous aviez déjà révélé que « vos délices sont d’être avec les enfants des hommes (Prov. 8, 31) ». Vous nous le montrez aujourd’hui par ce merveilleux Sacrement qui concilie votre absence annoncée et votre séjour permanent au milieu de nous.

Soyez béni d’avoir voulu nourrir nos âmes comme vous nourrissez nos corps. Au Temps de Noël, nous vous vîmes naître en Bethléhem, qui signifie la Maison du Pain. C’était un Sauveur qui naissait alors pour nous, et c’était en même temps un aliment qui descendait du ciel pour nos âmes.

Soyez béni, ô vous qui, non content d’avoir opéré, à la dernière Cène, le plus admirable des prodiges, en changeant le pain en votre corps et le vin en votre sang, voulez encore que cette merveille se renouvelle en tous lieux et jusqu’à la fin des temps, pour soutenir et consoler nos âmes.

Soyez béni de n’avoir mis aucune limite à notre empressement de recourir à ce Pain de vie ; mais de nous avoir au contraire encouragés à en faire notre nourriture habituelle, afin que nous ne soyons pas exposés à défaillir sur le chemin de cette vie.

Soyez béni de la générosité avec laquelle vous avez exposé jusqu’à votre honneur pour vous communiquer à nos âmes, vous résignant aux blasphèmes des hérétiques, aux profanations des mauvais chrétiens, à l’indifférence des tièdes.

Soyez béni, divin Agneau, qui scellez la nouvelle Pâque par l’effusion de votre sang, et convoquez le nouvel Israël à s’asseoir à la table où votre sacré Corps est offert pour aliment à vos fidèles, qui viennent y puiser la vie à sa source même, et prendre leur part des joies ineffables de votre résurrection.

Soyez béni, ô Jésus, d’avoir institué, dans la divine Eucharistie, non seulement le plus noble des Sacrements, mais encore le plus auguste de tous les Sacrifices, celui par lequel nous pouvons offrir à l’éternelle Majesté le seul hommage digne d’elle, lui présenter une action de grâces proportionnée à ses bienfaits, lui fournir une réparation surabondante pour nos péchés, enfin demander et obtenir toutes les grâces dont notre vie passagère a besoin.

Soyez béni, ô notre Emmanuel, qui, dans les jours de votre vie mortelle aviez promis de nous donner ce Pain et ce breuvage ; qui, la veille du jour où vous deviez souffrir, daignâtes nous laisser ce divin Sacrement comme le Testament de votre amour, et qui, dans les dernières heures de votre séjour visible ici-bas, en avez manifesté les excellences à vos Apôtres, afin que notre foi s’élevât à la hauteur du don que vous nous faites.

Nous vous l’offrons, cet hommage de la foi en votre parole, ô notre divin Ressuscité ! Nous confessons que, dans cet auguste Mystère, le pain est changé en votre Corps et le vin en votre Sang ; et nous le croyons ainsi parce que vous l’avez dit, et que rien n’est au-dessus de votre puissance.

À la louange de notre divin Agneau pascal qui daigne se donner en nourriture à ses fidèles, chantons ce beau cantique que Notker composa pour l’Église de Saint-Gall.

SÉQUENCE

Le jour est venu où le festin de l’Agneau pascal nous convie ;

Que les âmes chrétiennes se montrent dignes, par une vie pure, d’un tel mets et d’un tel breuvage.

C’est pour elles que l’Agneau, Pontife souverain, s’est offert à Dieu.

Comme les portes des Israélites, leur front est marqué de son sang. Ce sang divin les met à couvert du désastre qui fond sur l’Égypte,

Lorsque ce cruel ennemi est submergé dans la mer Rouge.

Que les fidèles aient la ceinture, symbole de pureté ; que leurs pieds soient chaussés contre la morsure des serpents ;

Qu’ils tiennent sans cesse à la main le bâton spirituel, pour repousser les chiens infernaux :

Ainsi ils mériteront d’avoir part à la Pâque de Jésus, cette Pâque qui l’a vu remonter victorieux du tombeau.

La nature qui renaît plus brillante et plus belle au moment où ressuscite le Christ, apprend aux fidèles

De quelle vie supérieure ils doivent vivre avec lui, après avoir passé par la mort.

Amen.

Le mercredi

La miséricorde du Rédempteur a donné naissance au quatrième Sacrement, dont nous contemplons aujourd’hui les merveilles. Jésus connaît la faiblesse de l’homme : il sait que, chez le plus grand nombre, la grâce reçue dans le Baptême ne se conservera pas, que le péché viendra le plus souvent flétrir cette plante que la rosée du ciel avait nourrie, et qui, après sa croissance et sa floraison, devait être transplantée dans les jardins de l’éternité. N’y aura-t-il plus d’espoir qu’elle revive, cette fleur autrefois si suave, maintenant fanée comme l’herbe des champs que la faux a coupée ? Celui-là seul qui l’avait produite pourrait lui rendre la vie. O prodige de bonté ! c’est ainsi qu’il a daigné agir. Plus jaloux du salut du pécheur que de sa propre gloire, il a préparé, comme disent les Pères, une seconde planche pour le second naufrage. Le saint Baptême avait été la première après le premier naufrage ; mais le péché mortel est venu replonger l’âme dans l’abîme. Désormais retombée au pouvoir de son ennemi, elle gémit dans des liens qu’il n’est pas en son pouvoir de rompre, et ces liens l’enchaînent pour l’éternité.

Aux jours de sa vie mortelle, Jésus, qui était venu « non pour juger le monde, mais pour le sauver (s. Jean 12, 47) », annonça, dans sa compassion pour les âmes qu’il venait racheter, que ces liens encourus par l’ingratitude du pécheur céderaient devant un pouvoir qu’il daignerait un jour établir. Parlant à ses Apôtres, il leur déclara « que tout ce qu’ils auraient délié sur la terre serait en même temps délié dans le ciel (s. Matth. 18, 18) ». Depuis cette parole si solennelle, Jésus a offert son Sacrifice sur la croix ; son sang d’un prix infini a coulé pour l’expiation surabondante des péchés du monde. Un tel Rédempteur ne saurait oublier l’engagement qu’il a pris. Rien au contraire ne lui tient plus à cœur que de le remplir ; car il connaît les redoutables périls que court notre salut. Le soir même de sa résurrection, il apparaît à ses Apôtres, et dès les premières paroles qu’il leur adresse, il s’empresse de dégager la promesse qu’il fit autrefois. On y sent comme une miséricordieuse impatience de ne pas laisser plus longtemps l’homme dans ces liens humiliants et terribles qu’il a encourus. À peine a-t-il répandu dans leurs âmes son Esprit-Saint en soufflant sur eux, que tout aussitôt il ajoute : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur sont remis (s. Jean 20, 23) ». Et remarquez ici, avec toute l’Église, l’énergie de ces paroles : « ils leur sont remis. » Jésus ne dit pas : « ils leur seront remis ». Ce n’est plus la promesse, c’est le don lui-même. Les Apôtres n’ont pas fait usage encore du divin pouvoir que Jésus leur confère, et déjà toutes les sentences d’absolution qu’eux et leurs successeurs dans ce noble ministère rendront jusqu’à la fin des siècles, sont confirmées au ciel.

Gloire soit donc à notre divin Ressuscité qui a daigné abaisser toutes les barrières de sa justice, pour laisser passage au torrent de sa miséricorde ! Que toute créature humaine chante à son honneur ce beau cantique dans lequel David, entrevoyant les merveilles qui devaient apparaître dans la plénitude des temps, célébrait cette Rémission des péchés, dont les Apôtres devaient faire l’un des articles de leur Symbole. « O mon âme, s’écriait le Roi-Prophète, bénis le Seigneur ; que toutes tes puissances s’unissent pour exalter son saint Nom ; car c’est lui-même qui te pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes maladies, et qui rachète ton âme du trépas.

Semblable à l’aigle, tu recouvres ta première jeunesse ; car le Seigneur est miséricordieux jusqu’à l’excès, et sa colère n’est pas éternelle contre nous. Il a daigné ne pas nous traiter selon nos péchés, et maintenant nos iniquités sont aussi loin de nous que l’orient l’est du couchant.

Comme un père a pitié de ses enfants, ainsi le Seigneur a eu pitié de ceux qui le craignent ; car il connaît l’argile dont nous sommes formés. Il sait que nous ne sommes que poussière, que la vie de l’homme est comme la durée de l’herbe des champs. Il sait que le souffle qui nous anime passe en un moment, et qu’après un peu de temps, on ne retrouve déjà plus la trace de l’homme ici-bas. Mais la miséricorde du Seigneur est en rapport avec son éternité ; et jusqu’à la fin, il daigne l’offrir à ceux qui le craignent. Bénis donc le Seigneur, ô mon âme (Ps 102) ! »

Mais nous, enfants de la promesse, nous connaissons mieux encore que David l’étendue des miséricordes du Seigneur. Jésus ne s’est pas contenté de nous dire que le pécheur recourant avec un humble repentir à la divine Majesté au plus haut des cieux, pourra obtenir son pardon ; car la réponse de miséricorde n’étant pas sensible, une anxiété terrible viendrait trop souvent traverser notre espérance ; ce sont des hommes qu’il a chargés de traiter avec nous en son nom. « Afin que toute créature sache que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre (s. Luc 5, 24) », il a donné pouvoir à ses délégués de prononcer sur nous une sentence d’absolution que nos oreilles seront à même d’entendre, et qui portera jusqu’au fond de nos âmes repentantes la douce confiance du pardon.

O Sacrement ineffable par la vertu duquel le ciel, qui sans lui serait resté presque désert, est peuplé d’innombrables élus, « qui chanteront éternellement les miséricordes du Seigneur (Psalm. 88) » ! O puissance irrésistible des paroles de l’absolution, qui empruntent sa force infinie au sang de la Rédemption, et entraînent après elles toutes les iniquités qui vont se perdre dans l’abîme des divines miséricordes ! L’éternité des douleurs eût roulé sur ces iniquités toutes ses vagues brûlantes, sans leur apporter l’expiation ; et il a suffi de la parole sacerdotale : Je vous absous, pour les faire évanouir sans retour.

Tel est le divin Sacrement de la Pénitence, où, en retour de l’humble confession de ses péchés et du regret sincère de les avoir commis, l’homme rencontre le pardon, et non une fois dans sa vie, mais toujours ; non pour un genre de péchés, mais pour tous. Dans son envie contre le genre humain racheté par un Dieu, Satan a voulu ravir un tel don à l’homme, en lui ôtant la foi à cet ineffable bienfait de Jésus ressuscité. Que n’a pas dit l’hérésie contre cet auguste Sacrement ? D’abord elle osa prétendre qu’il obscurcissait la gloire du saint Baptême, tandis qu’au contraire il l’honore en la renouvelant sur les ruines du péché. Plus tard, elle voulut exiger comme absolument nécessaires au Sacrement des dispositions tellement parfaites, que l’absolution trouverait l’âme déjà réconciliée avec Dieu : piège dangereux dans lequel le jansénisme sut prendre un si grand nombre de chrétiens, perdant les uns par l’orgueil, et les autres par le découragement. Enfin elle a produit ce dicton huguenot trop souvent répété dans notre société incroyante : « Je confesse mes péchés à Dieu » ; comme si Dieu offensé n’était pas maître de fixer les conditions auxquelles il veut bien remettre l’offense.

Les divins Sacrements ne peuvent être acceptés que par la foi ; et cela doit être, puisqu’ils sont divins ; mais celui de la Pénitence est d’autant plus cher au fidèle, qu’il humilie plus profondément son orgueil, en le contraignant de demander à l’homme ce que Dieu aurait pu directement accorder. « Allez, et faites-vous voir aux prêtres (s. Luc 17, 14) », disait Jésus aux lépreux qu’il lui plaisait de guérir : nous devons trouver tout simple qu’il procède de même quand il s’agit de la lèpre des âmes.

Offrons aujourd’hui à notre généreux Rédempteur l’hommage de cette Hymne pascale que la sainte Église emploie en ces jours à l’Office de la nuit.

HYMNE

Éternel roi des habitants des Cieux, Créateur de l’univers, Fils de Dieu, qui avant tous les siècles fûtes toujours égal au Père ;

Lorsque le monde naquit à votre parole, artisan de l’homme, vous donnâtes à Adam vos propres traits, et votre puissance réunit en lui un noble esprit à un corps sorti de la poussière.

L’envie et l’artifice du démon entraînèrent bientôt la race humaine dans une dégradation honteuse ; revêtu de la chair, vous êtes venu rétablir l’œuvre perdue dont vous aviez été l’ouvrier.

Né d’abord de la Vierge, en ces jours vous naissez de nouveau du sépulcre ; et nous qui étions déjà ensevelis, vous nous commandez de nous lever d’entre les morts.

Pasteur éternel, vous lavez votre troupeau dans l’eau baptismale ; cette eau est la fontaine où se purifient les âmes ; elle est le tombeau où disparaît le péché.

Attaché comme Rédempteur à la croix qui nous était due, vous avez prodigué votre sang, la rançon de notre salut.

Pour être à jamais, ô Jésus, la joie pascale de nos âmes, daignez sauver de la cruelle mort du péché ceux que vous avez fait renaître à la vie.

À Dieu le Père soit la gloire ! gloire au Fils ressuscité d’entre les morts ! et gloire au Paraclet dans les siècles éternels !

Amen.

Le jeudi

Jésus a pourvu dans les quatre premiers Sacrements aux divers besoins spirituels de l’homme durant sa vie. Le Baptême est la naissance du fidèle, la Confirmation vient l’armer pour le combat, l’Eucharistie est sa nourriture, la Pénitence son remède ; mais le dernier moment de la vie, le plus grave et le plus redoutable de tous, celui qui décide de l’éternité pour chacun de nous, ne semble-t-il pas exiger un secours sacramentel d’un genre nouveau ? Le passage de cette existence à celle qui va la suivre, cette heure d’angoisse et d’espérance, serons-nous réduits à regretter que le Rédempteur n’ait pas songé à les assister de sa protection par l’institution d’un rite destiné à produire le secours spécial dont le mourant éprouve à ce moment le besoin extrême ? Jésus a pourvu à tout, et la grâce de la rédemption a su revêtir une nouvelle forme pour nous visiter et nous fortifier dans cette dernière crise.

Dès avant sa Passion, il montra un indice de ce qu’il méditait pour l’avenir. Envoyant ses disciples devant lui, afin de préparer les peuples à sa prédication, il leur commanda d’oindre les malades avec l’huile ; et les disciples, fidèles à l’ordre de leur Maître, voyaient les infirmes, après l’emploi de ce remède mystérieux, se lever de leurs lits, guéris et consolés (s. Marc 6, 13). Mais lorsque, après sa résurrection, notre divin Rédempteur s’occupe de doter son Église, c’est alors que, pour alléger les douleurs futures de cette mère commune, il assure à ses fils mourants la douce consolation d’un puissant Sacrement établi uniquement pour eux.

L’huile est le symbole de la force ; l’athlète qui veut lutter dans l’arène en baigne ses membres pour les rendre plus agiles et plus souples. C’est pour cette raison que Jésus la choisit comme élément sacramentel, lorsqu’il voulut assurer à notre âme régénérée par le Baptême la vigueur dont elle allait avoir besoin dans les luttes du salut. L’heure de la mort est aussi un combat, et ce combat est le plus redoutable de tous. À ce moment, Satan, sur le point de voir échapper la proie qu’il a convoitée durant toute une vie, redouble d’efforts pour s’en saisir. L’homme, au bord des abîmes de l’éternité, est circonvenu tour à tour par les attaques d’une confiance présomptueuse et celles d’un découragement contraire à l’espérance. D’ici à quelques instants, il va se trouver aux pieds du juge dont la sentence est sans appel ; et les restes du péché gênent encore les mouvements de son âme. Quelle sera sa force dans cette dernière lutte qui va décider du succès final de toutes celles qui ont précédé dans la vie ? N’est-il pas temps que Jésus vienne au secours avec un Sacrement, et un Sacrement qui puisse fournir à son athlète des forces égales à la situation ? Il est venu, notre divin Ressuscité, et sa main sacrée a préparé l’huile de la dernière Onction, non moins puissante que celle de la première : application suprême du sang rédempteur, « qui coule si abondamment avec cette précieuse liqueur (Bossuet Oraison funèbre de Madame Henriette) ».

Et voyez les effets de cette onction que l’Apôtre saint Jacques, instruit de la bouche même du Sauveur, nous décrit dans son Épître. C’est « la rémission même des péchés (Jacob 5, 15) » ; de ces péchés que la conscience, même attentive, n’avait pas aperçus, et qui n’en pèsent pas moins sur l’âme ; de ces restes du péché remis quant à la coulpe, mais dont les cicatrices n’étaient pas entièrement fermées et exerçaient encore une influence maligne. L’huile sainte s’en va parcourant miséricordieusement chacun des sens qui tour à tour s’avouent pécheurs, et reçoivent aussi tour à tour la purification qui leur est propre. Ces portes ouvertes si périlleusement du côté du monde se ferment l’une après l’autre, et l’âme n’est plus attentive que du côté de l’éternité. Vienne maintenant l’ennemi ; ses attaques n’auront pas de prise. Il comptait sur un adversaire tout terrestre, blessé déjà en cent combats, et il va rencontrer un athlète du Seigneur, plein de vigueur et préparé pour la défense. Le divin Sacrement a opéré cette transformation.

Mais telle est l’étendue des effets de cette onction sacramentelle, qu’étant instituée principalement pour le renouvellement des forces de l’âme, elle a reçu aussi la vertu de rétablir les forces du corps et de rendre la santé aux malades. C’est ce que nous enseigne le même Apôtre saint Jacques. « Le Seigneur, nous dit-il, accordera le soulagement au malade, qui trouvera sa guérison dans l’efficacité de la prière de la foi. » La formule sacrée qui accompagne chaque onction dans ce Sacrement a donc la vertu de restaurer les forces physiques de l’homme, en même temps qu’elle chasse les restes du péché, principale cause des misères de l’homme en son corps aussi bien que dans son âme. Tel est le sens des paroles de saint Jacques interprétées par la sainte Église ; et l’expérience nous montre encore assez souvent que le divin instituteur de ce Sacrement miséricordieux n’a pas oublié la double promesse dont il a daigné enrichir ce rite auguste. C’est dans cette confiance que le prêtre, après avoir fait les onctions sacrées sur les membres du malade, s’adresse ensuite à Dieu, dans de touchantes supplications, pour lui demander de rendre les forces corporelles à celui dont l’âme vient d’expérimenter la puissance du céleste remède ; et la sainte Église regarde comme tellement fondé sur la parole du Christ l’effet sacramentel de l’Extrême-Onction quant au soulagement du corps, qu’elle ne compte pas parmi les miracles proprement dits les guérisons opérées par ce Sacrement.

Offrons donc au vainqueur de la mort l’hommage de notre reconnaissance, à la vue de ce nouveau bienfait de sa compassion pour ses frères. Il a daigné passer par toutes nos misères ; la mort même, nous l’avons vu, n’a pas été exceptée, et les langueurs de l’agonie ne lui ont pas été épargnées. Lorsque, sur l’arbre de la Croix, il était en proie à toutes les angoisses du pécheur mourant, bien qu’il fût la sainteté même, il daigna penser à notre dernier combat, et, dans sa bonté, il dirigea sur les chrétiens agonisants un jet de son sang précieux. De là est provenu le divin Sacrement de l’Extrême-Onction, qu’il promulgue en ces jours, et pour lequel nous lui présentons aujourd’hui nos humbles actions de grâces.

L’Hymne suivante, composée par saint Ambroise, et usitée dans l’Église de Milan au Temps pascal, célèbre avec l’énergie ordinaire au saint Docteur la puissance de salut que renfermait la mort du Christ, puissance qui s’est fait sentir de la façon la plus expressive sur le larron expirant à la droite de Jésus.

HYMNE

Environné de sa lumière sereine, le jour de Pâques est le saint et véritable jour de Dieu, le jour où la vertu du sang divin efface le crime et la honte de l’homme.

Ce jour rend la foi à ceux qui étaient perdus sans elle, il restitue la lumière aux aveugles : qui ne sentirait ses craintes dissipées, à la vue du larron recevant son pardon ?

Cet homme qui a échangé la croix contre la récompense, a gagné Jésus par sa foi d’un moment ; et hâtif dans sa marche, devenu juste en un instant, il est entré au royaume de Dieu.

Les Anges, à ce spectacle, sont dans l’étonnement ; ils ont sous les yeux le Christ en proie au supplice, et voient un coupable s’attacher à lui et saisir la vie bienheureuse.

0 mystère digne d’admiration ! pour effacer la lèpre du monde, pour enlever les péchés de tous, c’est une chair qui purifie les vices de la chair.

Quoi de plus merveilleux que de voir le péché cherchant la grâce, l’amour détruisant la crainte, la mort restituant la vie.

Cette mort, la voici qui dévore l’hameçon, et qui se prend dans ses propres liens ; celui qui est la vie de tous daigne mourir pour rendre à tous la vie.

La mort avait passé par tous les hommes, la résurrection leur devient commune à tous ; transpercée du coup qu’elle a porté, la mort gémit en voyant que seule elle va périr.

Gloire soit à vous, Seigneur, qui êtes ressuscité d’entre les morts ! Gloire au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles éternels ! Amen.

Le vendredi

Nous avons contemplé le Rédempteur instituant les secours sacra­mentels par lesquels l’homme est élevé et maintenu à l’état de la grâce sanctifiante, depuis le moment de son entrée en ce monde jusqu’à celui de son passage à la vision éternelle de Dieu. Il nous faut maintenant considérer le sublime Sacrement que Jésus a établi pour être la source de laquelle émane sur les hommes cette grâce divine qui prend toutes les formes et s’adapte à tous nos besoins.

L’Ordre est ce Sacrement, et il est ainsi appelé parce qu’il est communiqué à des degrés différents aux membres de l’Église qui en sont honorés. De même qu’au ciel les saints Anges sont gradués selon divers rangs inégaux en lumière et en puissance, en sorte que les rangs supérieurs influent sur ceux qui leur sont inférieurs, ainsi dans le Sacrement de l’Ordre, tout est ordonné d’après une harmonie semblable, en sorte que le degré supérieur influe sur celui qui est au-dessous cette puissance et cette lumière qui est la propriété de la Hiérarchie ecclésiastique.

Hiérarchie signifie Principauté sacrée. Cette principauté éclate dans le Sacrement de l’Ordre par trois degrés : l’Épiscopat, la Prêtrise, et le Diaconat, dans lequel il faut comprendre les Ordres inférieurs qui en ont été détachés. On appelle cet ensemble Hiérarchie d’Ordre, pour le distinguer de la Hiérarchie de Juridiction. Cette dernière, destinée au gouvernement de la société chrétienne, se compose du Pape, des Évêques et des membres du clergé inférieur auxquels ils ont délégué une portion de leur pouvoir de gouvernement. Nous avons vu comment cette Hiérarchie prend sa source dans l’acte souverain par lequel Jésus, Pasteur des hommes, a donné à Pierre les clefs du Royaume de Dieu. La Hiérarchie d’Ordre, liée intimement à la première, a pour objet la sanctification des hommes par les dons de la grâce dont elle est dépositaire ici-bas.

Au soir de la Pâque, ainsi que nous l’avons rappelé déjà plusieurs fois, Jésus se présente à ses Apôtres et leur dit : « Comme mon Père m’a envoyé, ainsi je vous envoie. » Or le Père a envoyé son Fils afin qu’il fût le Pasteur des hommes, et nous avons entendu Jésus dire à Pierre de paître agneaux et brebis. Le Père a envoyé son Fils afin qu’il fût le Docteur des hommes, et nous avons vu Jésus confier à ses Apôtres le dépôt des vérités qui seront l’objet de notre foi. Mais le Père a envoyé son Fils pour être aussi le Pontife des hommes ; il faut donc que Jésus laisse sur la terre, pour y être exercée jusqu’à la fin, cette charge de Pontife qu’il a exercée lui-même dans toute sa plénitude. Or, qu’est-ce que le Pontife ? C’est l’intermédiaire entre le ciel et la terre ; c’est lui qui rattache l’homme à Dieu, qui offre le Sacrifice par lequel la majesté divine est honorée et le péché de l’homme réparé ; c’est lui qui purifie la conscience du pécheur et le rend juste ; lui enfin qui l’unit à Dieu par les mystères dont il est le dispensateur.

Jésus, notre Pontife, a accompli toutes ces choses par l’ordre du Père ; mais le Père veut qu’elles se continuent ici-bas, lorsque son Fils sera monté aux cieux. Il faut donc que Jésus communique à quelques hommes sa qualité de Pontife par un Sacrement particulier, de même qu’il a conféré à tous ses fidèles l’honneur de devenir ses membres dans le Baptême. L’Esprit-Saint opérera dans ce nouveau mystère, à chacun des degrés du Sacrement. Ce fut lui dont l’opération toute divine produisit la présence du Verbe incarné dans le sein de la Vierge ; ce sera lui qui imprimera sur l’âme de ceux qui lui seront présentés le caractère auguste de Jésus, le Prêtre éternel. Aussi avons-nous vu notre divin Ressuscité, après les paroles que nous venons de rappeler, envoyer son souffle sur les Apôtres et leur dire : « Recevez le Saint-Esprit », montrant ainsi que c’est par une infusion spéciale de l’Esprit du Père et du Fils que ces hommes sont mis en état d’être envoyés par le Fils, comme le Fils l’a été « lui-même par le Père ».

Mais ce ne sera pas par le souffle, qui est réservé au Verbe, principe de vie, que les Apôtres et leurs successeurs conféreront ce nouveau Sacrement. Ils imposeront les mains sur ceux qui auront été élus pour cette charge et cet honneur. À ce moment l’Esprit divin couvrira de son ombre ceux qui ont été mis à part et destinés à cette initiation suprême. La transmission du don céleste se fera ainsi de génération en génération, selon les degrés respectifs, conformément à la volonté de l’Hiérarque par lequel et avec lequel l’Esprit-Saint opère ; et lorsque Jésus redescendra pour juger le monde, il retrouvera transmis et conservé intact sur la terre ce caractère qu’il imprima lui-même en ses Apôtres lorsqu’il leur conféra son Esprit.

Contemplons avec amour cette échelle lumineuse de la sainte Hiérarchie que Jésus a dressée pour nous conduire jusqu’au ciel. Au sommet, et dominant les autres degrés, resplendit l’Épiscopat qui contient en lui la plénitude de l’Ordre, avec la fécondité pour produire de nouveaux Pontifes, de nouveaux Prêtres, de nouveaux Diacres. Le pouvoir d’offrir le Sacrifice éternel réside en lui, les clefs pour ouvrir et fermer le ciel reposent dans ses mains, tous les Sacrements sont en son pouvoir, la consécration du Chrême et de l’huile sainte lui appartient ; il ne bénit pas seulement, il consacre.

Au-dessous de lui paraît le Prêtre qui est son fils, qu’il a engendré par l’imposition de ses mains ; le Prêtre, dont le caractère est si auguste, mais qui ne possède pas cependant la plénitude du caractère de l’Homme-Dieu. Ses mains, toutes sanctifiées qu’elles sont, n’ont pas reçu la fécondité pour produire d’autres prêtres ; il bénit, mais il ne consacre pas ; il reçoit de l’Évêque le Chrême sacré qu’il est impuissant à faire. Sa dignité est grande cependant ; car le pouvoir d’offrir le Sacrifice est en lui, et son hostie divine est la même que celle du Pontife. Il remet les péchés aux fidèles que le Pontife a placés sous sa conduite. L’administration solennelle du Baptême lui est confiée, quand l’Évêque ne l’exerce pas lui-même, et l’Extrême-Onction lui appartient en propre.

Le degré inférieur est celui du Diacre qui est le serviteur du Prêtre, selon la signification de son nom. Dépourvu du sacerdoce, il ne peut offrir le Sacrifice, il ne peut remettre les péchés, il ne peut donner l’Onction aux mourants ; mais il assiste et sert le Prêtre à l’autel, et pénètre jusque dans la nuée mystérieuse où s’accomplit l’auguste mystère. Les fidèles l’entendent lire avec solennité le saint Évangile du haut de l’ambon. La divine Eucharistie est confiée à sa garde, et il pourrait, au défaut du Prêtre, la distribuer au peuple. Le Baptême pourrait être, dans le même cas, administré par lui solennellement, et il a reçu le pouvoir d’annoncer au peuple la divine parole.

Tels sont les trois degrés de la Hiérarchie d’Ordre, correspondant, selon la doctrine du grand saint Denys, aux trois degrés par lesquels l’homme arrive à s’unir à Dieu : la purification, l’illumination et la perfection. Au Diacre de préparer le catéchumène et le pécheur, en les instruisant de la Parole divine qui les délivrera des erreurs de l’esprit, et leur fera concevoir le repentir de leurs fautes avec le désir d’en être délivrés ; au Prêtre d’éclairer ces âmes, de les rendre lumineuses par le saint Baptême, par la rémission des péchés, par la participation à l’hostie sacrée ; au Pontife de répandre en elles les dons de l’Esprit-Saint, et de les élever, par la contemplation de ce qu’il est lui-même, jusqu’à l’union avec Jésus-Christ, dont il possède le complet caractère de Pontife. C’est là le Sacrement de l’Ordre, moyen essentiel du salut des hommes, canal nécessaire des grâces infinies de la divine Incarnation, et qui perpétue sur la terre la présence et l’action du Rédempteur.

Rendons grâces à Jésus pour ce bienfait inénarrable, et honorons comme le trésor de la terre ce Sacerdoce nouveau qu’il a inauguré en lui-même, et qu’il a ensuite confié à des hommes chargés de continuer dans sa plénitude la mission que le Père lui avait donnée. L’action sacramentelle est le grand ressort du monde ; elle est entre les mains du Sacerdoce. Prions pour ceux qui sont établis dans ces degrés redoutables ; car ces degrés sont tout divins, et ceux qui les occupent ne sont que des hommes. Ils ne forment point une tribu, une caste, comme le sacerdoce de l’ancienne Alliance ; l’imposition des mains les enfante de toute race, de toute famille, et inférieurs par nature aux saints Anges, ils sont au‑dessus d’eux par leurs fonctions.

Célébrons aujourd’hui la résurrection du Pontife éternel par ce joyeux cantique que nous fournit l’antique Missel de l’Église de Liège.

SÉQUENCE

Ange, dis-nous de quelles régions tu arrives, porteur d’une nouvelle allégresse pour le monde ?

Qui t’amène de nouveau sur la terre que nous habitons ?

Il nous répond d’un visage tranquille, et de sa douce voix il nous dit : « Alleluia !

Un Esprit céleste m’a annoncé l’admirable prodige du Christ ;

Il s’est mis à célébrer le Roi des cieux sorti du tombeau.

Tout aussitôt j’ai pris mes ailes rapides, et traversant joyeusement et sans résistance la région de l’air,

Je suis revenu près de vous, serviteurs de Dieu, afin de vous apprendre que la loi ancienne est abolie, et que la grâce nouvelle a commencé son règne. »

Instruits par l’Ange, chantez, serviteurs de Dieu, d’une voix mélodieuse : « Le Christ aujourd’hui nous a délivrés de la mort cruelle.

Le Père avait livré son Fils, et les esclaves l’ont mis à mort pour notre salut.

Le Fils a subi volontairement le trépas, pour nous racheter nous‑mêmes de la mort éternelle. »

Maintenant donc, ô brebis, livrez-vous au repos, et jouissez d’une vie sans fin.

Serviteurs de Dieu, unissez vos voix et chantez la Pâque sacrée.

Le Christ est notre Paix. Alleluia.

Le samedi

En ce jour consacré à Marie, nous ouvrirons le saint Évangile, et nous y lirons ces paroles : « Il se fit des noces à Cana de Galilée, et la Mère de Jésus était là (s. Jean 2, 1). » Le récit sacré ajoute immédiatement que Jésus et ses disciples furent également invités à ces noces ; mais ce n’est pas sans une raison profonde que l’Esprit-Saint qui conduisait la main de l’Évangéliste a voulu qu’il fit d’abord mention de Marie. Il voulait nous apprendre que cette Mère des hommes étend sa protection sur l’alliance conjugale, quand cette alliance est contractée sous les yeux et avec la bénédiction de son fils.

Le Mariage est grand aux yeux de Dieu lui-même. Il l’établit dans le Paradis terrestre en faveur de nos premiers parents encore innocents, et il en détermina dès ce jour les conditions, déclarant que l’unité serait sa base, que la femme n’appartiendrait qu’à un seul homme, et l’homme qu’à une seule femme ; mais il ne manifesta pas dès lors le type glorieux que cette noble unité devait reproduire. Ayant résolu de faire sortir d’une même souche, par génération successive, tous les membres de la famille humaine, à la différence des Anges qui n’ont pas procédé les uns des autres, mais ont été créés simultanément, le Créateur a compté sur le Mariage pour l’accomplissement de ses desseins. Les élus dont il veut former sa cour dans les cieux, qui doivent renforcer les rangs des Esprits bienheureux décimés par la défection des anges déchus, c’est par le Mariage qu’il les obtiendra. Aussi le bénit-il, aux premiers jours du monde, d’une bénédiction permanente qui, comme nous l’enseigne l’Église dans la sainte Liturgie, « n’a été enlevée ni par la sentence que le Seigneur prononça à l’origine contre l’homme pécheur, ni par les eaux vengeresses du déluge (Missel, préface sur les époux). »

Mais avant même que ce second châtiment tombât sur notre race coupable, dans le cours de cette première période où « toute chair avait corrompu « sa voie » (Gen 6, 12), le Mariage déchut de l’élévation où le Créateur l’avait placé. Détourné de sa noble fin, abaissé au niveau d’une vulgaire satisfaction pour les sens, il perdit l’unité sacrée qui faisait sa gloire. La polygamie d’une part, le divorce de l’autre, vinrent lui enlever son caractère primitif : de là l’anéantissement de la famille honteusement sacrifiée au plaisir, de là aussi la dégradation du rôle de la femme, réduite à n’être plus qu’un objet de convoitise. La grande leçon du déluge n’arrêta pas cette décadence chez les petits-fils de Noé ; elle ne tarda pas à reprendre son cours, et la loi de Moïse n’eut pas en elle‑même l’énergie nécessaire pour faire remonter le Mariage à la dignité de son institution première.

Il fallait pour cela que le divin auteur de l’alliance conjugale descendît sur la terre. Lorsque les misères de l’humanité furent arrivées à leur comble, il parut au milieu des hommes, ayant pris en lui-même leur nature, et il déclara qu’il était l’Époux (s. Mt 9, 15), celui que les Prophètes et le divin Cantique avaient annoncé comme devant un jour prendre une Épouse parmi les mortels. Cette Épouse qu’il s’est choisie, c’est la sainte Église, c’est-à-dire l’humanité purifiée par le Baptême et ornée des dons surnaturels. Il l’a dotée de son sang et de ses mérites, et il se l’est unie pour l’éternité. Cette Épouse est unique ; dans son amour, il l’appelle de ce nom : « mon unique (Cant 6, 8) ». Et elle ne saurait non plus avoir d’autre Époux que lui. Ainsi est révélé le type divin de l’alliance conjugale qui, comme nous l’enseigne l’Apôtre, puise son mystère et sa grandeur dans l’union du Christ avec son Église (Eph. 5, 32). La fin de ces deux alliances est commune, et elles s’enchaînent l’une à l’autre. Jésus aime son Église d’un amour d’Époux ; mais son Église procède du mariage humain qui lui donne ses fils, et la renouvelle sans cesse sur la terre. Jésus devait donc relever le Mariage, le ramener à ses conditions primitives, l’honorer comme le puissant auxiliaire de ses desseins.

D’abord, ainsi que nous l’avons vu au deuxième Dimanche après l’Épiphanie, lorsqu’il veut inaugurer son ministère par le premier de ses miracles, il choisit la salle nuptiale de Cana. En acceptant l’invitation de paraître à des noces auxquelles déjà sa Mère avait été conviée, on sent qu’il vient relever par sa divine présence la dignité du contrat sacré qui doit unir les deux époux, et que l’antique bénédiction du Paradis terrestre se renouvelle en leur faveur. Maintenant qu’il a commencé à se manifester comme le Fils de Dieu auquel la nature obéit, il va ouvrir sa prédication. Ses enseignements qui ont pour but de ramener l’homme aux fins de sa création, s’appliqueront souvent et expressément à la réhabilitation du Mariage. Il proclamera le principe de l’unité, en faisant appel à l’institution divine. Il répétera avec autorité la parole du commencement : « Qu’ils soient deux dans une même chair » ; deux et non trois, et non dix. Proclamant l’indissolubilité du lien sacré, il déclarera que l’infidélité de l’un des époux outrage ce lien, mais qu’elle ne saurait le rompre ; car, dit-il, « l’homme ne saurait séparer ce que Dieu même a uni (s. Mt 19, 6) ». Ainsi est rétablie la famille dans ses véritables conditions ; ainsi est abrogée la liberté dégradante de la polygamie et du divorce, monuments de la dureté du cœur de l’homme qui n’avait pas vu encore son Rédempteur. Ainsi fleurira l’alliance de l’homme et de la femme, alliance où tout attire, où rien ne repousse la grâce d’en haut, alliance féconde à la fois pour l’Église de la terre et pour celle du ciel.

Cependant, la munificence de notre divin Ressuscité à l’égard du Mariage ne se borne pas à en renouveler l’essence altérée par la faiblesse de l’homme. Il veut faire bien plus encore. Ce contrat solennel et irrévocable par lequel l’homme prend la femme pour épouse, et la femme prend l’homme pour époux, il l’élève pour jamais à la dignité d’un Sacrement. Au moment où deux chrétiens contractent cette alliance qui les lie pour jamais, une grâce sacramentelle descend en eux, et vient serrer le nœud de leur union qui passe à l’instant même au rang des choses sacrées. À la vue de cette merveille, l’Apôtre s’écrie : « Qu’il est grand ce mystère dans lequel apparaît l’union même du Christ et de l’Église (Eph. 5, 32) ! » Les deux alliances se réunissent en effet ; le Christ et son Église, l’homme et la femme n’ont qu’un même but : la production des élus ; c’est pour cela que le même Esprit divin les scelle l’une et l’autre.

Mais la grâce du septième Sacrement ne vient pas seulement serrer le lien qui unit pour jamais les époux ; elle leur apporte en même temps tous les secours dont ils ont besoin pour remplir leur sublime mission. Elle verse d’abord dans leurs cœurs un amour mutuel « fort comme la mort, et que le torrent des eaux glacées de l’égoïsme n’éteindra jamais (Cant. 8, 6, 7) », s’ils persévèrent dans les sentiments du christianisme ; un amour mêlé de respect et de pureté, capable de commander, s’il le faut, à l’entraînement des sens ; un amour que les années n’affaiblissent pas, mais épurent et développent ; un amour calme comme celui du ciel, et qui dans sa mâle tranquillité s’alimente souvent et comme sans effort des plus généreux sacrifices. La grâce sacramentelle adapte en même temps les époux au grand ministère de l’éducation des enfants que le ciel leur prépare. Elle leur apporte un dévouement sans limites à ces fruits bénis de leur union, une patience toute de tendresse pour attendre et faciliter leur croissance dans le bien, un discernement qu’inspire la foi seule pour apprécier ce qui convient à leur âge et aux tendances qui se révèlent en eux ; le sentiment constant de la destinée immortelle de ces êtres chéris dont Dieu veut faire ses élus ; enfin la conviction intime qu’ils lui appartiennent avant d’appartenir aux parents dont il s’est servi pour leur donner la vie.

Telle est la transformation opérée par la grâce du Sacrement de Mariage dans l’état conjugal ; telle est la révolution que la loi chrétienne fit éclater au sein du monde païen, chez lequel un brutal égoïsme avait étouffé le sentiment de la dignité humaine. Le Christianisme venait révéler, après tant de siècles de dégradation, la vraie notion du Mariage : l’amour dans le sacrifice, et le sacrifice dans l’amour. Il ne fallait pas moins qu’un Sacrement pour porter et maintenir l’homme à cette hauteur. Deux siècles ne s’étaient pas encore écoulés depuis la promulgation de l’Évangile, le droit païen était encore debout, plus impérieux que jamais, et déjà un chrétien traçait ainsi le tableau de la régénération du Mariage, au sein de cette société nouvelle que les édits impériaux proscrivaient, comme si elle eût été le fléau de l’humanité. « Où trouver, disait-il, des paroles pour décrire la félicité d’un mariage dont l’Église forme le nœud, que l’oblation divine vient confirmer, auquel la bénédiction met le sceau, que les Anges proclament, et que le Père céleste ratifie ? Quel joug que celui sous lequel se courbent deux fidèles unis dans une même espérance, sous la même loi et sous la même dépendance ! Tous deux sont frères, tous deux servent le même maître ; tous deux ne sont qu’un dans une même chair, qu’un dans un même esprit. Ensemble ils prient, ensemble ils se prosternent, ensemble ils jeûnent ; l’un l’autre ils s’instruisent, ils s’exhortent, ils se soutiennent. De compagnie on les voit à l’église, de compagnie au banquet divin ; ils partagent également les épreuves, les persécutions et les joies. Nuls secrets à se dérober, jamais d’isolement, jamais de dégoût. Ils n’ont pas à se cacher l’un de l’autre pour visiter les malades, pour assister les indigents ; leurs aumônes sont sans discussion, leurs sacrifices sans froissement, leurs pratiques pieuses sans entraves. Chez eux pas de signes de croix furtifs, pas de timidité dans leurs pieux transports, pas de muettes actions de grâces. Ils chantent à l’envi les Psaumes et les Cantiques, et, s’ils sont rivaux en quelque chose, c’est à qui chantera le mieux les louanges de son Dieu. Voilà les alliances qui réjouissent les yeux et les oreilles du Christ, celles auxquelles il envoie sa paix. Il a dit qu’il se trouverait où deux sont réunis ; il est donc là, et l’ennemi de l’homme en est absent (Tertull. Ad uxorem, Lib. 2, cap. 9). »

Quel langage ! quel tableau ! comme l’on sent que le divin Sacrement a influé sur les relations de l’homme et de la femme, pour les avoir harmonisées déjà sur un tel plan ! Voilà le secret de la régénération du monde : la famille chrétienne était descendue du ciel, et elle s’implanta sur la terre. De longs siècles se passèrent durant lesquels, en dépit de la faiblesse humaine, ce type fut l’idéal admis universellement et dans la conscience et dans les institutions légales. Depuis, l’élément païen, que l’on peut comprimer, mais qui ne meurt jamais, a fait effort pour reprendre le terrain qu’il avait perdu, et il est arrivé à fausser de nouveau, chez la plupart des nations chrétiennes, la théorie du Mariage. La foi nous enseigne que ce contrat, devenu Sacrement, est du domaine de l’Église quant au lien qui le constitue ; l’Église se l’est vu arracher au nom de l’État, aux yeux duquel la loi de l’Église n’est plus qu’un joug suranné dont la liberté moderne a affranchi l’humanité. Il est vrai que tout aussitôt la légitimité du divorce a fait irruption dans les codes, et que la famille est redescendue au niveau païen. La leçon n’a cependant pas été comprise. Le sens moral, préservé encore chez le grand nombre par l’influence séculaire du Mariage chrétien, a pu faire reculer de quelques pas sur ce terrain périlleux ; mais l’inflexible logique ne saurait abdiquer des conséquences dont les prémisses ont été posées : parmi nous aujourd’hui, tel mariage est un lien éternel et sacramentel aux yeux de l’Église ; ce même mariage aux yeux de l’État n’existe pas même ; tel autre a valeur devant la loi civile, et l’Église le déclare nul devant la conscience du chrétien. La rupture est donc consommée.

Mais ce que le Christ a établi dans sa toute-puissance ne saurait périr : ses institutions sont immortelles. Que les chrétiens ne s’émeuvent donc pas ; qu’ils persévèrent à recevoir de l’Église leur mère la doctrine des divins Sacrements, et que le saint Mariage continue à maintenir chez eux, avec les traditions de la famille établie de Dieu, le sentiment de la dignité de l’homme membre du Christ et citoyen du ciel. Ainsi ils sauveront la société peut-être ; mais à coup sûr ils sauveront leurs âmes, et prépareront le salut de leurs enfants.

En terminant cette semaine, et en méditant les grandeurs du divin Sacrement du Mariage, nous avons rencontré votre souvenir, ô Marie ! Le festin nuptial de Cana, où votre présence sanctifia l’union de deux époux, est l’un des grands faits du saint Évangile. Pourquoi donc, ô vous qui êtes le type inaltérable de la virginité, qui eussiez renoncé aux honneurs de Mère de Dieu plutôt que de sacrifier cette noble auréole, paraissez-vous en cette rencontre, sinon afin que les époux chrétiens aient toujours présente la supériorité de la continence parfaite sur le mariage, et que l’hommage qu’ils aiment à rendre à celle-ci assure pour jamais à leurs pensées et à leurs désirs cette chaste réserve qui fait la dignité et maintient la vraie félicité du mariage ? C’est donc à vous, ô Vierge sans tache, qu’il appartient de bénir et d’honorer cette alliance si pure et si élevée dans ses fins. Daignez en ces jours la protéger plus que jamais, en ces jours où les lois humaines l’altèrent et la dénaturent de plus en plus, en même temps que le débordement du sensualisme menace d’éteindre chez un si grand nombre de chrétiens jusqu’au sentiment du bien et du mal. Soyez propice, ô Marie, à ceux qui ne veulent s’unir que sous vos regards maternels. Ils sont l’héritage de votre fils, le sel de la terre qui l’empêchera de se corrompre tout entière, l’espérance d’un avenir meilleur. O Vierge ! ils sont à vous ; gardez-les, et augmentez leur nombre, afin que le monde ne périsse pas sans retour.

À Marie, Vierge des vierges et protectrice du Mariage chrétien, à Marie épouse du Verbe éternel avant de devenir sa Mère par la divine incarnation, nous offrirons aujourd’hui l’anneau nuptial de sa chaste alliance, en lui présentant cette gracieuse Séquence inspirée au génie pieux de l’Allemagne catholique dans les siècles du moyen âge.

SÉQUENCE

Salut, ô Marie, noble Vierge appelée à l’alliance avec le souverain Roi, daignez agréer l’anneau qu’en ce jour nous vous offrons comme un arrhe de vos grandeurs.

Tendre Branche de l’arbre prophétique, votre sein conçoit celui qui est la Fleur ; sur cet anneau le Jaspe au vert reflet figurera la Foi qui vous fit acquiescer à la parole du céleste paranymphe.

En vous l’Espérance ne chancela jamais ; toujours la vérité fut stable dans vos pensées ; il est donc juste de joindre le Saphir qui retrace dans son azur la sérénité du ciel.

La brillante Chalcédoine, plus belle encore à l’éclat du jour, exprimera les feux de la Charité dont votre âme envoie les rayons.

La transparence de l’Émeraude et son éclat verdoyant vous désigneront comme la plus pure, comme la plus gracieuse dans vos actes de vertu.

La Sardoine limpide, bien que sur elle se jouent le blanc, le rouge et le noir, désignera votre vie, aux allures virginales, s’écoulant tranquille et sans trouble.

L’autre Sardoine par sa pourpre indiquera la blessure que le glaive, ô Marie, fit à votre âme au moment où mourut le Christ votre fils.

Le Chrysolithe, qui scintille en jets de feu, servira pour rappeler vos miracles sans nombre, et aussi la Sagesse dont votre âme fut douée.

Le Bérylle est modeste en sa couleur, et cependant il jette une lumière éclatante ; nous l’emploierons pour signifier, avec l’Humilité de votre cœur, la bienveillance que vous fîtes paraître envers le prochain.

Plus précieuse et plus agréable que les autres pierres, la Topaze viendra exprimer que dans la vision de Dieu votre œil dépasse tous les bienheureux.

Votre ferveur d’amour, ô Marie, sera représentée dans ses ardeurs par le Chrysoprase, qui s’émaille de pourpre et d’or.

L’Hyacinthe fond ses teintes avec celles de l’air ; nous en ferons le symbole de ce secours bienfaisant qui s’adapte à toutes les infortunes que votre œil découvre.

Par son mélange de rose et de pourpre, l’Améthyste signifiera à la fois l’Amour que Dieu vous porte, et celui que l’homme vous a voué.

Nous placerons aussi la Perle ; car vous êtes cette Perle de l’Évangile que convoite le joaillier : heureux celui qui a le bonheur de réussir dans ce noble commerce que recommande le Christ !

Grande et sombre, l’Agate est traversée de blanches veines ; nous en ferons, ô Marie ! le symbole de la Modestie qui vous a rendue chère à Dieu.

L’Onyx aux reflets changeants retrace ces dons multipliés que le Seigneur a réunis pour être votre parure, ô vous dont les Prophètes ont désiré la naissance !

Le Diamant sera votre puissant symbole ; il résiste a tous les coups ; et vous, ô Marie ! vous apparûtes forte et patiente dans toutes les adversités.

Par sa fraîcheur, le Cristal exprime le calme des sens ; il retracera la chasteté de votre âme et de votre corps, ô Vierge qui êtes la source de notre espérance !

Semblable à l’Électre, le Ligure désignera la vertu de tempérance et la crainte du Seigneur que sa grâce forme en vous.

Nous enchâsserons aussi l’Aimant ; car il attire le fer dont on l’approche ; ainsi, ô Vierge, par l’attrait de votre bonté, vous faites tressaillir le cœur repentant.

L’Escarboucle qui dissipe l’ombre par son éclat, retrace, ô Marie, votre renommée qui s’étend en tous lieux, et triomphe de toutes les distances.

O vous, Reine des cieux, parée de toutes les vertus, purifiez-nous du péché, et donnez-nous part à vos joies nuptiales.

Quant à l’Or, il abonde en Arabie ; Ophir, Saba et Tharsis nous le fournissent à l’envi l’un de l’autre.

Nous en avons formé cet humble anneau, émaillé de toutes ces pierreries ; aujourd’hui nous vous l’offrons ; daignez, Épouse glorieuse, l’agréer dans votre bonté. Amen.