Dom Guéranger ~ Année liturgique
Quatrième semaine de carême
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4e DIMANCHE DE CARÊME
CE Dimanche, appelé Laetare, du premier mot de l’Introït de la Messe, est un des plus célèbres de l’année. L’Église, en ce jour, suspend les saintes tristesses du Carême ; les chants de la Messe ne parlent que de joie et de consolation ; l’orgue, muet aux trois Dimanches précédents, fait entendre sa voix mélodieuse ; le diacre reprend la dalmatique, le sous-diacre la tunique ; et il est permis de remplacer sur les ornements sacrés la couleur violette par la couleur rose. Nous avons vu, dans l’Avent, ces mêmes rites pratiques au troisième Dimanche appelé Gaudete. Le motif de l’Église, en exprimant aujourd’hui l’allégresse dans la sainte Liturgie, est de féliciter ses enfants du zèle avec lequel ils ont déjà parcouru la moitié de la sainte carrière, et de stimuler leur ardeur pour en achever le cours. Nous avons parlé, au jeudi précédent, de ce jour central du Carême, jour d’encouragement, mais dont la solennité ecclésiastique devait être transférée au Dimanche suivant, dans la crainte qu’une trop grande liberté ne vint altérer en quelque chose l’esprit du jeûne : aujourd’hui rien ne s’oppose a la joie des fidèles et l’Église elle-même les y convie.
La Station, à Rome, est dans la Basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem, l’une des sept principales de la ville sainte. Élevée au IVème siècle par Constantin, dans la villa de Sessorius, ce qui l’a fait appeler aussi la basilique Sessorienne, elle fut enrichie des plus précieuses reliques par sainte Hélène, qui voulait en faire comme la Jérusalem de Rome. Elle y fit transporter, dans cette pensée, une grande quantité de terre prise sur le mont du Calvaire, et déposa dans ce sanctuaire, entre autres monuments de la Passion du Sauveur, l’inscription qui était placée au-dessus de sa tête pendant qu’il expirait sur la Croix, et qu’on y vénère encore sous le nom du Titre de la Croix. Le nom de Jérusalem attaché à cette Basilique, nom qui réveille toutes les espérances du chrétien, puisqu’il rappelle la patrie céleste qui est la véritable Jérusalem dont nous sommes encore exilés, a porté dès l’antiquité les souverains Pontifes à la choisir pour la Station d’aujourd’hui. Jusqu’à l’époque du séjour des Papes à Avignon, c’était dans son enceinte qu’était inaugurée la Rose d’or, cérémonie qui s’accomplit de nos jours dans le palais où le Pape fait sa résidence.
La Rose d’or
La bénédiction de la Rose d’or est donc encore un des rites particuliers du quatrième Dimanche de Carême : et c’est ce qui lui a fait donner aussi le nom de Dimanche de la Rose. Les idées gracieuses que réveille cette fleur sont en harmonie avec les sentiments que l’Église aujourd’hui veut inspirer à ses enfants, auxquels la joyeuse Pâque va bientôt ouvrir un printemps spirituel, dont celui de la nature n’est qu’une faible image ; aussi cette institution remonte-t-elle très haut dans les siècles. Nous la trouvons déjà établie dès le temps de saint Léon IX ; et il nous reste encore un sermon sur la Rose d’or, que le grand Innocent III prononça en ce jour, dans la Basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem. Au Moyen Âge, quand le Pape résidait encore au palais de Latran, après avoir béni la Rose, il partait en cavalcade, la mitre en tête, avec tout le sacré Collège, pour l’Église de la Station, tenant cette fleur symbolique à la main. Arrivé à la Basilique, il prononçait un discours sur les mystères que représente la Rose par sa beauté, sa couleur et son parfum. On célébrait ensuite la Messe. Quand elle était terminée, le Pontife revenait dans le même cortège au palais de Latran, toujours en cavalcade, et traversait l’immense plaine qui sépare les deux Basiliques portant toujours dans sa main la fleur mystérieuse dont l’aspect réjouissait le peuple de Rome. À l’arrivée au seuil du palais, s’il y avait dans le cortège quelque prince, c’était à lui de tenir l’étrier et d’aider le Pontife à descendre de cheval ; il recevait en récompense de sa filiale courtoisie cette Rose, objet de tant d’honneurs et de tant d’allégresse.
De nos jours, la fonction n’est plus aussi imposante ; mais elle a conservé tous ses rites principaux. Le Pape bénit la Rose d’or dans la Salle des parements, il l’oint du Saint-Chrême, et répand dessus une poudre parfumée, selon le rite usité autrefois ; et quand le moment de la Messe solennelle est arrivé, il entre dans la chapelle du palais, tenant la fleur mystique entre ses mains. Durant le saint Sacrifice, elle est placée sur l’autel et fixée sur un rosier en or disposé pour la recevoir ; enfin, quand la Messe est terminée, on l’apporte au Pontife, qui sort de la chapelle la tenant encore entre ses mains jusqu’à la Salle des parements. Il est d’usage assez ordinaire que cette Rose soit envoyée par le Pape à quelque prince ou à quelque princesse qu’il veut honorer ; d’autres fois, c’est une ville ou une Église qui obtiennent cette distinction.
Nous donnerons ici la traduction de la belle prière par laquelle le souverain Pontife bénit la Rose d’or : elle aidera nos lecteurs à mieux pénétrer le mystère de cette cérémonie, qui ajoute tant à la splendeur du quatrième Dimanche de Carême. Voici en quels termes cette bénédiction est conçue : « O Dieu, dont la parole et la puissance ont tout créé, dont la volonté gouverne toutes choses, vous qui êtes la joie et l’allégresse de tous les fidèles ; nous supplions votre majesté de vouloir bien bénir et sanctifier cette Rose, si agréable par son aspect et son parfum, que nous devons porter aujourd’hui dans nos mains, en signe de joie spirituelle : afin que le peuple qui vous est consacré, étant arraché au joug de la captivité de Babylone par la grâce de votre Fils unique qui est la gloire et l’allégresse d’Israël, représente d’un cœur sincère les joies de cette Jérusalem supérieure qui est notre mère. Et comme votre Église, à la vue de ce symbole, tressaille de bonheur, pour la gloire de votre Nom ; vous. Seigneur, donnez-lui un contentement véritable et parfait. Agréez la dévotion, remettez les péchés, augmentez la foi : guérissez par votre pardon, protégez par votre miséricorde ; détruisez les obstacles, accordez tous les biens : afin que cette même Église vous offre le fruit des bonnes œuvres, marchant à l’odeur des parfums de cette Fleur qui, sortie de la tige de Jessé, est appelée mystiquement la fleur des champs et le lis des vallées, et qu’elle mérite de goûter une joie sans fin au sein de la gloire céleste, dans la compagnie de tous les saints, avec cette Fleur divine qui vit et règne avec vous, en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen. »
Le dimanche des cinq pains
Nous avons maintenant à parler d’une autre appellation que l’on a donnée au quatrième Dimanche de Carême, et qui se rapporte à la lecture de l’Évangile que l’Église nous propose aujourd’hui. Ce Dimanche est en effet désigné dans plusieurs anciens documents sous le nom de Dimanche des cinq pains ; et le miracle que ce titre rappelle, en même temps qu’il complète le cycle des instructions quadragésimales, vient encore ajouter aux joies de cette journée. Nous perdons de vue un instant la Passion imminente du Fils de Dieu, pour nous occuper du plus grand de ses bienfaits ; car sous la figure de ces pains matériels multipliés par la puissance de Jésus, notre foi doit découvrir ce « Pain de vie descendu du ciel, qui donne la vie au monde. » (s. Jean, 6, 35) La Pâque est proche, dit notre Évangile ; et sous peu de jours le Sauveur nous dira lui-même : « J’ai désiré d’un extrême désir manger avec vous cette Pâque» (s. Luc 22, 15). Avant de passer de ce monde à son Père, il veut rassasier cette foule qui s’est attachée à ses pas, et pour cela il se dispose à faire appel à toute sa puissance. Vous admirez avec raison ce pouvoir créateur à qui cinq pains et deux poissons suffisent pour nourrir cinq mille hommes, en sorte qu’après le festin il reste encore de quoi remplir douze corbeilles. Un prodige si éclatant suffit sans doute à démontrer la mission de Jésus ; n’y voyez cependant qu’un essai de sa puissance, qu’une figure de ce qu’il s’apprête à faire, non plus une ou deux fois, mais tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles ; non plus en faveur de cinq mille personnes, mais pour la multitude innombrable de ses fidèles. Comptez sur la surface de la terre les millions de chrétiens qui prendront place au banquet pascal ; celui que nous avons vu naître en Bethléhem, la Maison du pain, va lui-même leur servir d’aliment ; et cette nourriture divine ne s’épuisera pas. Vous serez rassasiés comme vos pères l’ont été ; et les générations qui vous suivront seront appelées comme vous à venir goûter combien le Seigneur est doux (Psalm. 33, 9).
Mais remarquez que c’est dans le désert que Jésus nourrit ces hommes qui sont la figure des chrétiens. Tout ce peuple a quitté le tumulte de la ville pour suivre Jésus ; dans l’ardeur d’entendre sa parole, il n’a craint ni la faim, ni la fatigue ; et son courage a été récompensé. C’est ainsi que le Seigneur couronnera les labeurs de notre jeûne et de notre abstinence, à la fin de cette carrière que nous avons déjà parcourue plus d’à moitié. Réjouissons-nous donc, et passons cette journée dans la confiance de notre prochaine arrivée au terme. Le moment vient où notre âme, rassasiée de Dieu, ne plaindra plus les fatigues du corps qui, unies à la componction du cœur, lui auront mérité une place d’honneur au festin immortel.
L’Église primitive ne manquait pas de proposer aux fidèles cet éclatant miracle de la multiplication des pains, comme l’emblème de l’inépuisable aliment eucharistique : aussi le rencontre-t-on fréquemment sur les peintures des Catacombes et sur les bas-reliefs des anciens sarcophages chrétiens. Les poissons donnés en nourriture avec les pains apparaissent aussi sur ces antiques monuments de notre foi, les premiers chrétiens ayant l’usage de figurer Jésus-Christ sous le symbole du Poisson, parce que le mot Poisson, en grec, est formé de cinq lettres dont chacune est la première de ces mots : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur.
En ce jour, qui est le dernier de la semaine Mésonestime, les Grecs honorent saint Jean Climaque, illustre Abbé du monastère du Mont-Sinaï, au VI° siècle.
À la messe
Les soixante-dix ans de la captivité seront bientôt écoulés. Encore un peu de temps, et les exilés rentreront dans Jérusalem : telle est la pensée de l’Église dans tous les chants de cette Messe. Elle n’ose pas encore faire retentir le divin Alléluia ; mais tous ses cantiques expriment la jubilation, parce que, dans peu de jours, la maison du Seigneur dépouillera le deuil et reprendra toutes ses pompes.
INTROÏT.
Réjouis-toi, Jérusalem, et vous tous qui l’aimez, rassemblez-vous ; unissez-vous à sa joie, vous qui avez été dans la tristesse ; tressaillez d’allégresse, rassasiez-vous et soyez consolés dans ses délices. Ps. Je me suis réjoui dans cette parole qui m’a été dite : Nous irons dans la maison du Seigneur. Gloire au Père. Réjouis-toi.
Dans la Collecte, l’Église confesse que ses enfants ont mérité la pénitence qu’ils s’imposent ; mais elle demande pour eux la faveur de pouvoir aujourd’hui respirer un peu, en se livrant à l’espérance des consolations qui leur sont réservées.
COLLECTE.
Faites, s’il vous plaît, Dieu tout-puissant, qu’étant justement affligés à cause de nos péchés, nous respirions par la consolation de votre grâce. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
La deuxième et la troisième Collectes comme au premier Dimanche de Carême.
ÉPÎTRE.
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Galates. Chap. IV.
Mes Frères, il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de la servante, et l’autre de la femme libre ; mais celui qui naquit de la servante naquit selon la chair ; celui qui naquit de la femme libre naquit en vertu de la promesse. Ceci est une allégorie ; car ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, établie sur le mont Sinaï, engendre pour la servitude : c’est celle que figure Agar. En effet, Sinaï est une montagne d’Arabie qui tient à la Jérusalem d’ici-bas, laquelle est esclave avec ses enfants ; au lieu que la Jérusalem d’en haut est libre ; et c’est elle qui est notre mère. Car il est écrit : Réjouis-toi, stérile, toi qui n’enfantais pas ; éclate, pousse des cris de joie, toi qui ne devenais pas mère, parce que celle qui était délaissée a maintenant plus de fils que celle qui a un mari. Nous sommes donc, mes Frères, les enfants de la promesse figurés dans Isaac ; et comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’esprit, ainsi en est-il encore aujourd’hui. Mais que dit l’Écriture ? Chasse la servante et son fils, car le fils de la servante ne sera point héritier avec celui de la femme libre. Ainsi, mes Frères, nous ne sommes pas les fils de la servante, mais de la femme libre, par la liberté que le Christ nous a octroyée.
Réjouissons-nous donc, enfants de Jérusalem et non plus du Sinaï ! La mère qui nous a enfantés, la sainte Église, n’est point esclave, elle est libre ; et c’est pour la liberté qu’elle nous a mis au jour. Israël servait Dieu dans la terreur ; son cœur toujours porté à l’idolâtrie avait besoin d’être sans cesse comprimé par la crainte, et le joug meurtrissait ses épaules. Plus heureux que lui, nous servons par amour ; et pour nous « le joug est doux et le fardeau léger » (s. Matth. 11, 30). Nous ne sommes pas citoyens de la terre ; nous ne faisons que la traverser ; notre unique patrie est la Jérusalem d’en haut. Nous laissons celle d’ici-bas au Juif qui ne goûte que les choses terrestres, et qui, dans la bassesse de ses espérances, méconnaît le Christ, et s’apprête à le crucifier. Trop longtemps nous avons rampé avec lui sur la terre ; le péché nous tenait captifs ; et plus les chaînes de notre esclavage s’appesantissaient sur nous, plus nous pensions être libres. Le temps favorable est arrivé, les jours de salut sont venus ; et, dociles à la voix de l’Église, nous avons eu le bonheur d’entrer dans les sentiments et dans les pratiques de la sainte Quarantaine. Aujourd’hui, le péché nous apparaît comme le plus pesant des jougs, la chair comme un fardeau dangereux, le monde comme un tyran impitoyable ; nous commençons à respirer, et l’attente d’une délivrance prochaine nous inspire de vifs transports. Remercions avec effusion notre libérateur qui nous tire de la servitude d’Agar, qui nous affranchit des terreurs du Sinaï, et, nous substituant à l’ancien peuple, nous ouvre par son sang les portes de la céleste Jérusalem.
Le Graduel exprime la joie des gentils convoqués à venir prendre place dans la maison du Seigneur, qui désormais est à eux. Le Trait célèbre la protection de Dieu sur l’Église, la nouvelle Jérusalem qui ne sera point ébranlée comme la première. Cette sainte cité communique à ses enfants la sécurité dont elle jouit ; car le Seigneur veille sur son peuple comme sur elle-même.
GRADUEL.
J’ai été ravi de joie, quand on m’a dit : Nous irons en la maison du Seigneur. V/. Que la paix règne sur tes remparts, et l’abondance dans tes palais.
TRAIT.
Ceux qui se confient dans le Seigneur sont comme la montagne de Sion ; il ne sera jamais ébranlé, celui qui habite en Jérusalem. V/. Des montagnes environnent cette ville de toutes parts ; et le Seigneur est le boulevard de son peuple, aujourd’hui et à jamais.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. VI.
En ce temps-là, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée, qui est celle de Tibériade, et une grande multitude le suivait, parce qu’ils voyaient les miracles qu’il faisait sur ceux qui étaient malades. Il monta sur une montagne et il s’y assit avec ses disciples. Or la Pâque, qui est la grande fête des Juifs, était proche. Jésus donc, levant les yeux, et voyant qu’une très grande multitude venait à lui, dit à Philippe : Où achèterons-nous des pains pour donner à manger à tout ce monde ? Il disait cela pour le tenter : car il savait bien ce qu’il devait faire. Philippe lui répondit : Quand on aurait du pain pour deux cents deniers, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun quelque peu. Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? Jésus dit : Faites-les asseoir. Il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille. Et Jésus prit les pains, et ayant rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis ; et pareillement des deux poissons, autant qu’ils en voulaient. Après qu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Recueillez les morceaux qui sont restés, pour qu’ils ne se perdent pas. Ils les recueillirent donc, et remplirent douze corbeilles des morceaux restés des cinq pains d’orge, après que tous en eurent mangé. Ces hommes, ayant donc vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde. Mais Jésus, sachant qu’ils devaient venir pour l’enlever et le faire roi, s’enfuit et se retira seul sur la montagne.
Ces hommes que le Sauveur venait de rassasier avec tant de bonté et une puissance si miraculeuse, n’ont plus qu’une pensée : ils veulent le proclamer leur roi. Cette puissance et cette bonté réunies en Jésus le leur font juger digne de régner sur eux. Que ferons-nous donc, nous chrétiens, auxquels ce double attribut du Sauveur est incomparablement mieux connu qu’il ne l’était à ces pauvres Juifs ? Il nous faut dès aujourd’hui l’appeler à régner sur nous. Nous venons de voir dans l’Épître que c’est lui qui nous a apporté la liberté, en nous affranchissant de nos ennemis. Cette liberté, nous ne la pouvons conserver que sous sa loi. Jésus n’est point un tyran, comme le monde et la chair ; son empire est doux et pacifique, et nous sommes plus encore ses enfants que ses sujets. À la cour de ce grand roi, servir c’est régner. Venons donc oublier auprès de lui tous nos esclavages passés ; et si quelques chaînes nous retiennent encore, hâtons-nous de les rompre ; car la Pâque est la fête de la délivrance, et déjà le crépuscule de ce grand jour paraît à l’horizon. Marchons sans faiblesse vers le terme ; Jésus nous donnera le repos, il nous fera asseoir sur le gazon comme ce peuple de notre Évangile ; et le Pain qu’il nous a préparé nous fera promptement oublier les fatigues de la route.
Dans l’Offertoire, l’Église continue d’employer les paroles de David pour louer le Seigneur ; mais c’est sa bonté et sa puissance qu’elle se plaît à célébrer aujourd’hui.
OFFERTOIRE.
Louez le Seigneur, parce qu’il est bon : chantez à son Nom, parce qu’il est doux : il a fait tout ce qu’il a voulu au ciel et sur la terre.
La Secrète demande pour le peuple fidèle un accroissement de dévotion, par les mérites du Sacrifice qui va s’offrir, et qui est le principe du salut.
SECRÈTE.
Daignez, Seigneur, recevoir favorablement le présent Sacrifice ; et qu’il serve à nourrir notre piété et à nous faire obtenir le salut. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
La deuxième et la troisième Secrètes comme au premier Dimanche de Carême.
Dans l’Antienne de la Communion, l’Église exalte la gloire de la Jérusalem céleste, figurée par l’auguste Basilique de Sainte-Croix qui s’honore de ce nom mystérieux. Elle chante l’allégresse des tribus du Seigneur rassemblées dans l’enceinte de ce temple pour y contempler, sous le gracieux symbole de la Rose, le divin Époux de la nature humaine qui attire les fidèles à l’odeur de ses parfums.
COMMUNION.
Jérusalem est bâtie comme une ville, dont toutes les parties sont unies et liées ensemble. C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur, pour célébrer votre Nom, ô Seigneur !
En ce jour où le divin mystère du Pain de vie est proposé à notre foi et à notre amour, l’Église demande pour nous, dans la Postcommunion, la grâce d’y participer toujours avec le respect et la préparation qui conviennent à un si auguste mystère.
POSTCOMMUNION.
Dieu de miséricorde, faites-nous la grâce de nous approcher avec un respect sincère de vos Mystères sacrés, dont nous sommes sans cesse nourris, et de les recevoir toujours dans un cœur fidèle. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
La deuxième et la troisième Postcommunions, ci-dessus, au premier Dimanche de Carême.
Triodion
Nous empruntons au Triodion de l’Église grecque les strophes suivantes, qui se rapportent à l’Office d’aujourd’hui, et expriment les sentiments du chrétien, au milieu de la sainte Quarantaine.
Déjà nous avons parcouru plus de la moitié de la carrière du jeûne ; courons dans le stade, et achevons la course avec allégresse ; oignons nos âmes de l’huile des bonnes œuvres, afin que nous méritions d’adorer la divine Passion du Christ notre Dieu, et d’arriver à la sainte Résurrection digne de tous nos hommages.
Celui qui a planté la vigne et appelé les ouvriers, le Sauveur, est proche ; venez, athlètes du jeûne, recevoir la récompense ; car il est riche, ce dispensateur, et plein de miséricorde. Nous avons peu travaillé ; et cependant nos âmes recevront ses faveurs.
O Dieu ! qui donnes la vie, ouvre-moi les portes de la pénitence. Mon esprit veille dans ton temple saint ; mais le temple du corps qui lui est uni a contracté un grand nombre de taches Prends pitié, et purifie-moi dans ta miséricordieuse bonté.
Venez, produisons des fruits de pénitence dans la vigne mystique ; travaillons, ne nous livrons point au manger et au boire ; accomplissons des œuvres de vertu dans la prière et le jeûne. Le Seigneur y prendra plaisir ; et, pour prix de notre travail, il nous donnera le denier qui délivre les âmes de la dette du péché, lui le seul Dieu, lui dont la miséricorde est grande.
LUNDI
La Station est dans l’antique Église appelée des Quatre-Couronnés, c’est-à-dire des saints martyrs Sévère, Sévérien, Carpophore et Victorin, qui souffrirent la mort sous la persécution de Dioclétien. Leurs corps reposent dans ce sanctuaire, qui s’honore aussi de posséder le chef du grand martyr saint Sébastien.
COLLECTE.
Faites-nous la grâce, Dieu tout-puissant, qu’en observant religieusement chaque année ces saintes pratiques, nous vous soyons agréables et dans nos corps et dans nos âmes. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
LEÇON.
Lecture du livre des Rois. III, Chap. III.
En ces jours-là, deux femmes de mauvaise vie se présentèrent au roi Salomon, et se tinrent devant son tribunal. L’une lui dit : Seigneur, daignez m’écouter : nous demeurions, cette femme et moi, dans une même maison, et je suis accouchée dans la chambre où elle était. Trois jours après, celle-ci est accouchée à son tour. Nous étions ensemble dans cette maison, et il n’y avait personne que nous deux. Or le fils de cette femme est mort pendant la nuit, parce qu’elle l’a étouffé en dormant ; et se levant, sans bruit, au milieu de la nuit, elle a ôté mon fils d’à côté de moi votre servante qui dormais, et l’ayant pris auprès d’elle, elle a mis auprès de moi son fils qui était mort. Lorsque le matin je me suis levée pour allaiter mon fils, il m’a paru qu’il était mort, et l’ayant considéré avec plus d’attention au grand jour, j’ai reconnu que ce n’était pas là celui que j’avais enfanté. L’autre femme répondit : Ce que tu dis n’est pas vrai ; mais c’est ton fils qui est mort, et le mien est vivant. La première au contraire répliquait : Tu mens, car c’est mon fils qui est vivant, et le tien est mort. Et elles disputaient ainsi devant le roi. Alors le roi dit : Celle-ci dit : Mon fils est vivant, et le tien est mort ; et l’autre répond : Non, mais c’est ton fils qui est mort, et le mien est vivant. Le roi ajouta : Qu’on m’apporte une épée. Lorsqu’on eut apporté une épée devant le roi, il dit : Coupez en deux l’enfant qui est vivant, et donnez-en la moitié à l’une, et la moitié à l’autre. Alors la femme dont le fils était vivant dit au roi (car ses entrailles furent émues pour son fils) : Seigneur, donnez-lui, je vous en supplie, l’enfant vivant, et ne le tuez pas. L’autre au contraire disait : Qu’il ne soit ni à moi ni à toi, mais qu’on le partage. Le roi prit la parole et dit : Donnez à celle-ci l’enfant vivant, et qu’on ne le tue point : car c’est elle qui est sa mère. Tout Israël ayant donc su la manière dont le roi avait jugé ce différend, ils furent saisis de crainte devant lui, voyant que la sagesse de Dieu était en lui pour rendre la justice.
Saint Paul nous expliquait, dans l’Épître de la Messe d’hier, l’antagonisme de la Synagogue et de L’Église, et comment le fils d’Agar persécute le fils de Sara qui lui a été préféré par le père de famille. Aujourd’hui, ces deux femmes qui comparaissent devant Salomon nous présentent encore ce double type. Elles se disputent un enfant ; cet enfant est la Gentilité initiée à la connaissance du vrai Dieu. La Synagogue, figurée par la femme qui a laissé mourir son fils, c’est-à-dire le peuple qui lui était confié, réclame injustement celui que son sein n’a point porté ; et comme cette réclamation ne lui est inspirée que par son orgueil, et non par aucune affection maternelle, il lui est indifférent qu’on l’immole, pourvu qu’il soit arraché à sa vraie mère qui est l’Église. Salomon, le Roi pacifique, figure du Christ, adjuge l’enfant à celle qui l’a conçu, qui l’a enfanté, qui l’a nourri ; et la fausse mère est confondue. Aimons donc notre Mère la sainte Église, l’Épouse de notre Sauveur. C’est elle qui par le Baptême nous a faits enfants de Dieu ; elle qui nous a nourris du Pain de vie ; elle qui nous a donné le Saint-Esprit ; elle enfin qui, lorsque nous avons eu le malheur de retomber dans la mort par le péché, nous a rendu la vie par le divin pouvoir qui est en elle. L’amour filial envers l’Église est le signe des élus, et l’obéissance à ses commandements est la marque d’une âme sur laquelle Dieu règne.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. II.
En ce temps-là, la Pâque des Juifs étant proche, Jésus monta à Jérusalem. Et il trouva dans le temple des vendeurs de bœufs, de brebis et de colombes, et des changeurs assis. Et ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, et aussi les brebis et les bœufs ; et il jeta par terre l’argent des changeurs, et renversa leurs tables. Et il dit à ceux qui vendaient des colombes : Ôtez cela d’ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. Alors ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : Le zèle de votre maison me dévore. Les Juifs lui dirent : Quel signe nous montrez-vous, pour faire de telles choses ? Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours. Les Juifs dirent : Ce temple a été quarante-six ans à bâtir ; et vous, vous le relèverez en trois jours ? Mais lui parlait du temple de son corps. Lors donc qu’il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se ressouvinrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. Jésus étant à Jérusalem pendant la Pâque, au jour de la fête, beaucoup crurent en son nom, voyant les miracles qu’il faisait. Mais Jésus ne se fiait pas à eux parce qu’il les connaissait tous, et qu’il n’avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d’aucun homme : car il savait lui-même tout ce qu’il y avait dans l’homme.
Nous avons vu déjà, au Mardi de la première semaine, le Seigneur chasser les vendeurs du Temple ; il accomplit en effet deux fois cet acte de justice et de religion. Le récit que nous lisons aujourd’hui se rapporte à la première expulsion de ces profanes du lieu saint. L’Église insiste sur ce fait dans le Carême, parce qu’il nous présente la sévérité avec laquelle Jésus‑Christ agira contre l’âme qui se sera laissé envahir par les passions terrestres. Que sont, en effet, nos âmes, sinon le temple de Dieu ? de Dieu qui les a créées et sanctifiées pour y habiter ? Mais il veut que tout y soit digne de cette sublime destination. En ces jours où nous scrutons nos âmes, combien de profanes vendeurs ne trouvons-nous pas établis dans la demeure du Seigneur ? Hâtons-nous de les expulser ; prions même le Seigneur de les chasser lui-même avec le fouet de sa justice, dans la crainte qu’il ne nous arrive de trop ménager ces hôtes dangereux. Le jour où le pardon descendra sur nous est proche ; veillons à être dignes de le recevoir. Avons-nous remarqué dans notre Évangile ce qui est dit de ces Juifs qui, plus sincères que les autres, se mirent à croire en lui, à cause des miracles qu’ils lui voyaient faire ? Jésus cependant ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous. Il y a donc des hommes qui arrivent à croire, à reconnaître Jésus-Christ, sans que pour cela leur cœur soit changé ! O dureté du cœur de l’homme ! ô anxiété cruelle pour la conscience des ministres du salut ! Des pécheurs, des mondains assiègent, en ces jours, les tribunaux de la réconciliation ; ils croient, ils confessent leurs péchés : et l’Église n’ose se fier à leur repentir. Elle sait d’avance que, bien peu de temps après le festin pascal, ils seront redevenus ce qu’ils étaient le jour où elle leur imposa les cendres de la pénitence ; elle tremble en songeant au danger que ces âmes, partagées entre Dieu et le monde, encourent en recevant sans préparation, sans conversion véritable, le Saint des Saints ; d’un autre côté, elle se souvient qu’il est écrit de ne pas éteindre la mèche qui fume encore, de ne pas achever de rompre le roseau déjà éclaté (Isai. 42, 3). Prions pour ces âmes dont le sort est si inquiétant, et demandons pour les pasteurs de l’Église quelques rayons de cette lumière par laquelle Jésus connaissait tout ce qu’il y avait dans l’homme.
ORAISON.
Humiliez vos têtes devant Dieu.
Exaucez, Seigneur, nos prières, dans votre bonté ; et accordez le secours de votre protection à ceux auxquels vous inspirez le sentiment de s’adresser à vous par la prière. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Prions pour l’entière conversion des pécheurs, en empruntant au Pontifical Romain cette belle Préface que l’Église employait autrefois dans la réconciliation des Pénitents publics.
PRÉFACE
C’est une chose digne et juste, équitable et salutaire, de vous rendre grâces en tout temps et en tout lieu, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, par Jésus-Christ notre Seigneur, dont vous avez décrété la naissance ineffable, afin qu’il acquittât la dette d’Adam envers vous, Père éternel ; qu’il détruisit notre mort par la sienne, qu’il supportât nos blessures en son corps, qu’il effaçât nos taches dans son sang, nous relevant dans sa bonté de la chute où nous avait précipités la jalousie de l’ancien ennemi. C’est par lui, Seigneur, que nous vous supplions humblement d’exaucer nos prières pour les péchés des autres, nous cependant qui ne suffisons pas à vous prier pour les nôtres. Daignez donc, Seigneur très clément, rappeler à vous, dans votre bonté accoutumée, ces hommes vos serviteurs, que leurs péchés ont séparés de vous. Vous n’avez pas dédaigné l’humiliation du criminel Achab ; mais vous avez suspendu la vengeance qu’il avait méritée. Vous avez exaucé les pleurs de Pierre, et vous lui avez donné ensuite les clefs du royaume céleste, de ce royaume que vous avez daigné promettre au larron qui confessait ses crimes. Recueillez, miséricordieux Seigneur, ceux pour qui nous vous adressons nos prières ; remettez-les au giron de votre Église ; que l’ennemi ne puisse plus triompher d’eux, mais que votre Fils, qui vous est égal, les réconcilie avec vous, qu’il les purifie de tous péchés et daigne les admettre à goûter les mets de votre festin sacré. Qu’il daigne les nourrir de sa chair et de son sang, et les conduise après cette vie au royaume des cieux.
MARDI
La Station est dans l’Église de Saint-Laurent in Damaso, ainsi appelée parce qu’elle fut bâtie, au IVème siècle, en l’honneur du glorieux Archidiacre de l’Église Romaine, par le Pape saint Damase, dont elle conserve encore aujourd’hui le corps.
COLLECTE.
Daignez faire, Seigneur, que les jeûnes qu’il nous faut observer dans ce saint temps nous fassent avancer dans la piété, et nous procurent l’assistance continuelle de votre miséricorde. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
LEÇON.
Lecture du livre de l’Exode. Chap. XXXII.
En ces jours-là, le Seigneur parla à Moïse, et lui dit : Descends de la montagne ; car ton peuple que tu as tiré de l’Égypte a péché. Ils se sont retirés bientôt de la voie que tu leur avais montrée ; ils ont fondu l’image d’un veau et l’ont adoré ; ils lui ont immolé des victimes, et ils ont dit : O Israël, ce sont là les dieux qui t’ont délivré de la terre d’Égypte.Le Seigneur dit encore à Moïse : Je vois que ce peuple a la tête dure : laisse-moi faire, afin que ma colère s’allume contre eux, et que je les extermine ; et je te ferai chef d’un grand peuple. Mais Moïse priait le Seigneur son Dieu, et disait : Pourquoi, Seigneur, votre fureur s’allume-t-elle contre votre peuple que vous avez tiré de la terre d’Égypte, dans votre grande force et votre main puissante ? Ne permettez pas, je vous prie, que les Égyptiens disent : Il les a fait sortir avec adresse pour les tuer sur des montagnes et pour les exterminer de la terre. Que votre colère s’apaise, et laissez-vous fléchir sur la malice de votre peuple. Souvenez-vous d’Abraham, d’Isaac et d’Israël vos serviteurs, auxquels vous avez juré par vous-même, en disant : Je multiplierai votre race comme les étoiles du ciel, et je donnerai à votre postérité toute cette terre dont je vous ai parlé, et vous la posséderez à jamais. Et le Seigneur s’apaisa, et il ne fit point à son peuple le mal dont il l’avait menacé.
Le crime de l’idolâtrie était le plus répandu dans le monde, à l’époque de la prédication de l’Évangile. Durant plusieurs siècles, toutes les générations de Catéchumènes que l’Église initiait, en ces jours, à la vraie foi, étaient entachées de cette souillure. C’est afin d’inspirer à ces élus une horreur salutaire de leur conduite passée, qu’on leur lisait aujourd’hui ces terribles paroles de Dieu qui, sans l’intervention de Moïse, allait exterminer, en punition de sa rechute dans l’idolâtrie, un peuple en faveur duquel il avait opéré des prodiges inouïs, et auquel il venait en personne donner sa loi. Ce culte grossier des faux dieux n’existe plus parmi nous ; mais il est encore exercé chez des peuples nombreux, rebelles jusqu’ici à la prédication de l’Évangile. Disons tout : il pourrait encore renaître au sein de notre Europe civilisée, si la foi en Jésus-Christ venait à s’y éteindre. La génération qui nous a précédés n’a‑t-elle pas vu l’idole de la Raison placée sur l’autel, couronnée de fleurs et recevant l’hommage d’un sacrilège encens ? Un homme ou une société livrés à Satan ne sont pas maîtres de s’arrêter où il leur plaît. Les descendants de Noé devaient sans doute être émus de l’affreuse catastrophe du déluge, dont la terre porta si longtemps les traces ; cependant, l’idolâtrie avait fait déjà d’immenses progrès, lorsque Dieu fut contraint de séquestrer Abraham pour l’en préserver. Soyons reconnaissants envers l’Église qui, par son enseignement et par la morale qui en découle, nous préserve de cette honte et de cet abrutissement, et gardons-nous de suivre nos passions ; car toutes conduiraient à l’idolâtrie, si la lumière de la foi nous était enlevée.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. VII.
En ce temps-là, vers le milieu de la fête, Jésus monta au temple, et il y enseignait. Et les Juifs saisis d’étonnement disaient : Comment cet homme sait-il les Écritures, lui qui n’a point étudié ? Jésus leur répondit : Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de lui, ou si je parle de moi-même. Celui qui parle de soi-même, cherche sa propre gloire ; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est véritable, et il n’y a point d’iniquité en lui. Moïse ne vous a-t-il pas donné la loi ? et néanmoins nul de vous n’accomplit la loi. Pourquoi cherchez-vous à me faire périr ? Le peuple lui répondit : Vous avez en vous le démon : qui est-ce qui cherche à vous faire périr ? Jésus leur répondit : Je n’ai fait qu’une œuvre le jour du Sabbat : et vous vous étonnez tous. Cependant Moïse vous ayant donné la circoncision ( bien qu’elle vienne, non de Moïse, mais des patriarches ), vous ne laissez pas de circoncire, le jour du Sabbat. Or, si un homme peut recevoir la circoncision le jour du Sabbat, afin que la loi de Moïse ne soit pas violée, pourquoi vous indignez-vous contre moi, parce que j’ai rendu un homme sain tout entier le jour du Sabbat ? Ne jugez point sur l’apparence, mais jugez avec justice. Quelques-uns de Jérusalem disaient : N’est-ce pas là celui qu’ils cherchent pour le faire mourir ? Voilà qu’il parle publiquement ; et ils ne lui disent rien. Les princes du peuple auraient-ils reconnu qu’il est véritablement le Christ ? Cependant celui-ci, nous savons bien d’où il est ; mais quand viendra le Christ, personne ne saura d’où il est. Jésus néanmoins continuait à enseigner, et disait à haute voix dans le temple : Vous savez qui je suis, et d’où je suis ; et je ne suis point venu de moi-même ; mais celui qui m’a envoyé est plein de vérité, et vous ne le connaissez pas. Moi, je le connais, parce que je suis de lui, et c’est lui qui m’a envoyé. Ils cherchaient donc à se saisir de lui : et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue. Mais plusieurs du peuple crurent en lui.
La lecture du saint Évangile que l’Église nous propose aujourd’hui, reporte notre pensée sur le prochain sacrifice de l’Agneau divin qui va s’offrir à Jérusalem. L’heure n’est pas encore venue ; mais elle ne doit pas tarder. On le cherche déjà pour le faire mourir. La passion de ses ennemis les aveugle au point de leur faire voir en lui un violateur du Sabbat, parce qu’il guérit les malades par un simple acte de sa volonté, en ce jour du Seigneur. En vain Jésus réfute leurs préjugés, et leur rappelle qu’ils ne font pas difficulté eux-mêmes d’y pratiquer la circoncision, et même, comme il le leur a fait remarquer dans une autre circonstance, de retirer du puits leur bœuf ou leur âne, s’ils y sont tombés. Ils n’écoutent plus rien, ils ne comprennent qu’une seule chose : c’est qu’il faut que Jésus périsse. Ses prodiges sont incontestables, et tous dirigés dans un but de miséricorde pour les hommes ; il refuse seulement d’offrir à la stérile admiration de ses ennemis les signes qu’ils lui demandent d’opérer pour flatter leur curiosité et leur orgueil ; et loin de lui savoir gré de l’usage qu’il daigne faire en faveur des hommes du don des miracles qui brille en lui, ils osent dire, non plus seulement qu’il agit par le pouvoir de Béelzébuth, mais que le démon lui-même est en lui. On frémit d’entendre un si horrible blasphème ; cependant l’orgueil de ces docteurs juifs les entraîne jusqu’à cet excès de déraison et d’impiété ; et la soif du sang s’allume toujours plus ardente dans leur cœur. Pendant qu’une partie du peuple, séduite par ses chefs, se laisse aller à un aveugle fanatisme, d’autres plus indifférents raisonnent sur le Messie, et ne trouvent pas en Jésus les caractères de cet envoyé de Dieu. Ils prétendent que, lorsqu’il paraîtra, on ne saura pas son origine. Cependant, les prophètes ont annoncé qu’il doit sortir du sang de David ; sa généalogie sera un de ses principaux caractères : or, tout Israël sait que Jésus procède de cette race royale. Remarquons d’autre part qu’ils savent aussi que le Messie doit avoir une origine mystérieuse, qu’il doit venir de Dieu. La docilité aux enseignements de Jésus, enseignements confirmés par tant de miracles, les eût éclairés en même temps sur sa naissance temporelle et sur sa filiation divine ; mais l’indifférence et quelque chose de mauvais au fond du cœur de l’homme les empêchaient d’approfondir ; peut-être ceux-là même, au jour du déicide, crieront comme les autres : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. »
ORAISON.
Humiliez vos têtes devant Dieu.
Ayez pitié, Seigneur, de votre peuple : et dans votre bonté laissez-le respirer, au milieu des tribulations continuelles qui l’accablent. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Nous emprunterons aujourd’hui à la Liturgie grecque ces pieuses stances, dans lesquelles saint André de Crète offre à la contrition du pécheur une expression si vive et si touchante.
CANON MAGNUS
Nous avons péché, nous avons commis l’iniquité, nous avons fait l’injustice devant toi ; nous n’avons point obéi, nous n’avons point fait comme tu nous avais commandé ; mais toi, ô Dieu de nos pères ! ne nous abandonne pas jusqu’à la fin.
J’ai péché, j’ai commis l’iniquité, j’ai violé ton commandement ; car je suis né dans le péché ; j’ai ajouté la blessure à mes meurtrissures ; mais toi, miséricordieux, toi qui es le Dieu de nos pères, aie pitié.
À toi, mon juge, j’ai déclaré les secrets de mon cœur ; vois mon abaissement, vois mon affliction, sois propice dans mon jugement ; toi qui es miséricordieux, toi qui es le Dieu de nos pères, aie pitié.
J’ai défiguré ton image, j’ai violé ton précepte ; toute ma bonté a été obscurcie, ma lampe s’est éteinte par mes péchés : ô Sauveur ! aie pitié, rends-moi la joie, comme chante David.
Convertis-toi, mon âme, fais pénitence ; révèle tes plaies cachées ; dis-les à Dieu qui sait tout. Toi seul, ô Sauveur ! tu connais les secrets ; aie pitié de moi selon ta miséricorde, comme chante David.
Mes jours se sont enfuis comme le songe d’un homme qu’on réveille ; comme Ézéchias, je pleure sur ma couche, je te demande d’ajouter des années à ma vie. Mais quel Isaïe, ô mon âme, peut venir à ton aide, si ce n’est le Dieu de l’univers ?
MERCREDI
Ce jour est la Férie du Grand-Scrutin, parce que, dans l’Église de Rome, après les informations et examens nécessaires, on y consommait l’admission du plus grand nombre des Catéchumènes au Baptême. La Station se tenait dans la Basilique de Saint-Paul-hors-les-murs, tant à cause de la vaste étendue de cet édifice, que pour faire hommage à l’Apôtre de la Gentilité des nouvelles recrues que l’Église se disposait à faire au sein du paganisme. Le lecteur verra avec intérêt et édification les formes et les cérémonies observées en cette circonstance.
La cérémonie des scrutins
Les fidèles et les aspirants au Baptême étant réunis dans la Basilique vers l’heure de midi, on recueillait d’abord les noms de ces derniers ; et un acolyte les faisait ranger avec ordre devant le peuple, plaçant les hommes à droite, et les femmes à gauche. Un prêtre récitait ensuite sur chacun d’eux l’Oraison qui les faisait Catéchumènes ; car c’est improprement et par anticipation que nous leur avons jusqu’ici donné ce nom. Il les marquait d’abord du signe de la croix au front, et leur imposait la main sur la tête. Il bénissait ensuite le sel, qui signifie la Sagesse, et le faisait goûter à chacun d’eux.
Après ces cérémonies préliminaires, on les faisait sortir tous de l’église, et ils demeuraient sous le portique extérieur, jusqu’à ce qu’on les rappelât. Après leur départ, l’assemblée des fidèles étant demeurée dans l’église, on commençait l’Introït, qui est composé des paroles du Prophète Ézéchiel, dans lesquelles le Seigneur annonce qu’il réunira ses élus de toutes les nations, et qu’il répandra sur eux une eau purifiante pour laver toutes leurs souillures. L’acolyte rappelait ensuite tous les Catéchumènes par leur nom, et ils étaient introduits par le portier. On les rangeait de nouveau selon la différence des sexes, et les parrains et marraines se tenaient auprès d’eux. Le Pontife chantait alors la Collecte, après laquelle, sur l’invitation du diacre, les parrains et marraines traçaient le signe de la croix sur le front de chacun des aspirants qu’ils devaient cautionner à l’Église. Des acolytes les suivaient, et prononçaient les exorcismes sur chacun des élus, en commençant par les hommes, et passant ensuite aux femmes.
Un lecteur lisait ensuite la Leçon du Prophète Ézéchiel que l’on verra ci-après. Elle était suivie d’un premier Graduel composé de ces paroles de David :
« Venez, mes enfants, écoutez-moi ; je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Approchez de lui, et vous serez illuminés, et vos visages ne seront point dans la confusion. »
Dans la Collecte qui suivait cette Leçon, on demandait pour les fidèles les fruits du jeûne quadragésimal. et cette prière était suivie d’une seconde Leçon du Prophète Isaïe, qui annonce la rémission des péchés pour ceux qui recevront le bain mystérieux.
Un second Graduel, pareillement tiré des Psaumes, était ainsi conçu :
« Heureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu, le peuple que le Seigneur a choisi pour son héritage. »
Pendant la lecture des deux Leçons et le chant des deux Graduels, avait lieu la cérémonie mystérieuse de l’ouverture des oreilles. Des prêtres allaient successivement toucher les oreilles des Catéchumènes, imitant l’action de Jésus-Christ sur le sourd-muet de l’Évangile, et disant comme lui cette parole : Ephpheta, c’est-à-dire : Ouvrez-vous. Ce rite avait pour but de préparer les Catéchumènes à recevoir la révélation des mystères qui jusqu’alors ne leur avaient été montrés que sous le voile de l’allégorie. La première initiation qu’ils recevaient était relative aux saints Évangiles.
Après le second Graduel, on voyait sortir du Secretarium, et précédés des cierges et de l’encensoir, quatre diacres portant chacun un des quatre Évangiles. Ils se dirigeaient vers le sanctuaire, et plaçaient les livres sacrés à chacun des quatre angles de l’autel. Le Pontife, ou un simple prêtre par son ordre, adressait alors aux Catéchumènes l’allocution suivante que nous lisons encore au Sacramentaire Gélasien :
Étant sur le point de vous ouvrir les Évangiles, c’est-à-dire le récit des gestes de Dieu, nous devons d’abord, très chers fils, vous faire connaître ce que sont les Évangiles, d’où ils viennent, de qui sont les paroles qu’on y lit, pourquoi ils sont au nombre de quatre, qui les a écrits ; enfin quels sont ces quatre hommes, qui, annoncés d’avance par l’Esprit-Saint, ont été désignés par le Prophète. Si nous ne vous donnions pas la raison de tous ces détails, nous laisserions de l’étonnement dans vos âmes ; et comme vous êtes venus aujourd’hui pour que vos oreilles soient ouvertes, nous ne devons pas commencer par mettre votre esprit dans l’impuissance. Évangile signifie proprement bonne nouvelle : parce que c’est l’annonce de Jésus-Christ notre Seigneur. L’Évangile est descendu de lui, afin d’annoncer et de montrer que celui qui parlait par les Prophètes est venu dans la chair, ainsi qu’il est écrit : Moi qui parlais, me voici. Ayant à vous expliquer brièvement ce qu’est l’Évangile, et quels sont ces quatre hommes montrés d’avance par le Prophète, nous allons désigner leurs noms d’après les figures qui les indiquent. Le Prophète Ézéchiel dit : Et voici leurs traits : un homme et un lion à sa droite, un taureau et un aigle à sa gauche. Nous savons que ces quatre figures sont celles des Évangélistes, et voici leurs noms : Matthieu, Marc, Luc et Jean.
Après ce grave discours, un diacre, du haut de l’ambon, s’adressant aussi aux Catéchumènes, disait :
Tenez-vous en silence ; écoutez avec attention.
Puis, ouvrant l’Évangile de saint Matthieu, qu’il avait pris sur l’autel, il en lisait le commencement jusqu’au verset vingt-unième.
Cette lecture terminée, un prêtre prenait la parole en ces termes :
Très chers fils, nous ne voulons pas vous tenir plus longtemps en suspens ; nous vous exposerons donc la figure de chaque Évangéliste. Matthieu a la figure d’un Homme, parce que, au commencement de son livre, il raconte tout au long la généalogie du Sauveur. Voici, en effet, son début : Le livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. Vous voyez donc que ce n’est pas sans raison que l’on a assigné à Matthieu la figure de l’Homme, puisqu’il commence par la naissance humaine du Sauveur.
Le diacre resté à l’ambon disait encore :
Tenez-vous en silence ; écoutez avec attention.
Puis il lisait le commencement de l’Évangile de saint Marc, jusqu’au verset huitième. Après cette lecture, le prêtre reprenait la parole en ces termes :
L’Évangéliste Marc porte la figure du Lion, parce qu’il commence par le désert, dans ces paroles : La voix qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur ; ou encore, parce que le Sauveur règne invincible. Ce type du Lion est fréquent dans les Écritures, afin de ne pas laisser sans application cette parole : Juda, mon fils, tu es le petit du Lion ; tu es sorti de ma race. Il s’est couché, il a dormi comme un Lion, et comme le petit de la lionne : qui osera le réveiller ?
Le diacre, ayant ensuite répété son avertissement, lisait le commencement de l’Évangile de saint Luc, jusqu’au verset dix-septième ; et le prêtre reprenant la parole disait :
L’Évangéliste Luc porte la figure du Taureau, pour rappeler l’immolation de notre Sauveur. Cet Évangéliste commence par parler de Zacharie et d’Élisabeth, desquels naquit Jean‑Baptiste, dans leur vieillesse.
Le diacre ayant annoncé avec la même solennité l’Évangile de saint Jean, dont il lisait les quatorze premiers versets, le prêtre reprenait en ces termes :
Jean a la figure de l’Aigle, parce qu’il plane dans les hauteurs. C’est lui qui dit : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était dans le principe en Dieu. Et David, parlant de la personne du Christ, s’exprime ainsi : Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’Aigle : parce que Jésus-Christ notre Seigneur, ressuscité d’entre les morts, est monté jusqu’aux cieux. Ainsi, très chers frères, l’Église qui vous a conçus, qui vous porte encore en son sein, se félicite à la pensée du nouvel accroissement que va recevoir la loi chrétienne, lorsque, au jour vénérable de la Pâque, vous allez renaître dans l’eau baptismale, et recevoir du Christ notre Seigneur, comme tous les saints, le don d’une enfance fidèle.
La manifestation des quatre Évangélistes était suivie de la cérémonie qu’on appelait tradition du Symbole, par laquelle on proposait aux Catéchumènes le Symbole des Apôtres, et dans les siècles suivants celui de Nicée. Un prêtre faisait d’abord entendre cette allocution :
Admis à recevoir le Sacrement de Baptême, et devant être l’objet d’une nouvelle création dans le Saint-Esprit, il vous faut en ce moment, très chers fils, concevoir dans votre cœur la foi qui doit vous justifier : il vous faut, par vos esprits changés désormais par l’habitude de la vérité, approcher de Dieu qui est l’illumination de vos âmes. Recevez donc le secret du Symbole évangélique inspiré parle Seigneur, institué par les Apôtres. Il est en peu de mots ; mais les mystères qu’il contient sont grands : car l’Esprit-Saint, qui a dicté cette formule aux premiers maîtres de l’Église, y a formulé la foi qui nous sauve, avec une grande précision de paroles, afin que les vérités que vous devez croire et considérer toujours ne puissent ni se dérober à l’intelligence, ni fatiguer la mémoire. Soyez donc attentifs pour apprendre ce Symbole, et ce que nous vous donnons traditionnellement comme nous l’avons reçu, écrivez‑le, non sur une matière corruptible, mais sur les pages de votre cœur. Or donc, la confession de la foi que vous avez reçue commence ainsi.
On faisait alors avancer un des Catéchumènes, et le prêtre demandait à l’acolyte qui l’avait amené :
En quelle langue ceux-ci confessent-ils notre Seigneur Jésus-Christ ?
L’acolyte répondait :
En grec.
On sait qu’à Rome, sous les empereurs, l’usage du grec était, pour ainsi dire, aussi répandu que l’usage du latin. Le prêtre disait alors à l’acolyte :
Annoncez-leur la foi qu’ils croient.
Et l’acolyte, tenant la main étendue sur la tête du Catéchumène, prononçait le Symbole en grec, sur un récitatif solennel. On faisait ensuite approcher une des femmes catéchumènes de la langue grecque ; l’acolyte répétait le Symbole de la même manière. Le prêtre disait alors :
Très chers fils, vous avez entendu le Symbole en grec ; écoutez-le maintenant en latin.
On amenait donc successivement deux Catéchumènes de la langue latine, homme et femme, et l’acolyte récitait deux fois devant eux, et à haute voix, de manière à ce que tous les autres pussent entendre, le Symbole en latin. La tradition du Symbole étant ainsi accomplie, le prêtre prononçait cette allocution :
Tel est l’abrégé de notre foi, très chers fils, et telles sont les paroles du Symbole, disposées non d’après les pensées de la sagesse humaine, mais selon la raison divine. Il n’est personne qui ne soit capable de les comprendre et de les retenir. C’est là qu’est exprimée la puissance une et égale de Dieu Père et Fils ; là que nous est montré le Fils unique de Dieu, naissant, selon la chair, de la Vierge Marie par l’opération de l’Esprit-Saint ; là que sont racontés son crucifiement, sa sépulture et sa résurrection le troisième jour ; là que l’on confesse son ascension au-dessus des cieux, sa séance à la droite de la majesté du Père, son futur avènement pour juger les vivants et les morts ; là qu’est annoncé le Saint-Esprit qui a la même divinité que le Père et le Fils ; là enfin que sont enseignées la vocation de l’Église, la rémission des péchés et la résurrection de la chair. Vous quittez donc le vieil homme, mes très chers fils, pour être réformés selon le nouveau ; de charnels, vous commencez à devenir spirituels ; de terrestres, célestes. Croyez d’une foi ferme et constante que la résurrection qui s’est accomplie dans le Christ s’accomplira aussi en vous, et que ce prodige qui s’est opéré dans notre Chef se reproduira dans tous les membres de son corps. Le sacrement du Baptême que vous devez bientôt recevoir nous donne une expression visible de cette espérance. Il s’y manifeste comme une mort et comme une résurrection ; on y quitte l’homme ancien, et on y en prend un nouveau. Le pécheur entre dans l’eau, et il en sort justifié. Celui qui nous avait entraînés dans la mort est rejeté ; et l’on reçoit celui qui nous a ramenés à la vie, et qui, par sa grâce qu’il vous donnera, vous rendra enfants de Dieu, non par la chair, mais par la vertu du Saint-Esprit. Vous devez donc retenir dans vos cœurs cette courte formule, de manière à user en tout temps, comme d’un secours, de la Confession qu’elle contient. Le pouvoir de cette arme est invincible contre toutes les embûches de l’ennemi ; elle doit être familière aux vrais soldats du Christ. Que le diable, qui ne cesse jamais de tenter l’homme, vous trouve toujours armés de ce Symbole. Triomphez de l’adversaire auquel vous venez de renoncer ; conservez, par le secours du Seigneur, jusqu’à la fin, incorruptible et immaculée la grâce qu’il se prépare à vous faire : afin que celui en qui vous allez recevoir la rémission des péchés vous procure la gloire de la résurrection. Ainsi donc, très chers fils, vous connaissez présentement le Symbole de la foi catholique ; apprenez-le avec soin, sans y changer un seul mot. La miséricorde de Dieu est puissante ; qu’elle vous conduise à la foi du Baptême à laquelle vous aspirez ; et nous-mêmes qui vous ouvrons aujourd’hui les mystères, qu’elle nous fasse parvenir avec vous au royaume des cieux, par le même Jésus-Christ notre Seigneur, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.
Après la tradition du Symbole, on donnait aux Catéchumènes l’Oraison Dominicale. Le diacre annonçait d’abord cette nouvelle faveur, et après qu’il avait recommandé le silence et l’attention, un prêtre adressait aux candidats cette nouvelle allocution :
Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, entre divers préceptes salutaires, au jour que ses disciples lui demandaient comment ils devaient prier, leur donna cette forme de prière que vous allez entendre, et dont on va vous révéler le sens dans sa plénitude. Que Votre Charité écoute donc maintenant en quelle manière le Sauveur a appris à ses disciples qu’il faut prier le Dieu Père tout-puissant : Lorsque vous prierez, dit-il, entrez dans votre chambre, et ayant fermé la porte, priez votre Père. Ce qu’il entend par la chambre, ce n’est pas un appartement secret, mais l’intime de votre cœur qui n’est connu que de Dieu seul. Quand il dit que l’on doit adorer Dieu après avoir fermé la porte, il nous avertit que nous devons fermer notre cœur aux pensées mauvaises avec la clef mystique, et, les lèvres fermées, parler à Dieu dans la pureté de notre âme. Ce que notre Dieu écoute, c’est la foi, et non le bruit des paroles. Que notre cœur soit donc fermé avec la clef de la foi aux embûches de l’ennemi ; qu’il ne soit ouvert qu’à Dieu dont nous savons qu’il est le temple ; et le Seigneur habitant ainsi dans nos cœurs, il sera propice à nos prières. Le Verbe, la Sagesse de Dieu, le Christ notre Seigneur, nous a donc appris la prière que voici :
NOTRE PÈRE QUI ÊTES AUX CIEUX.
Remarquez cette parole de liberté et d’une pleine confiance. Vivez donc de manière à pouvoir être les fils de Dieu et les frères du Christ. Quelle ne serait pas la témérité de celui qui oserait appeler Dieu son père, et qui se montrerait dégénéré de lui en supposant à sa volonté ? Très chers fils, montrez-vous dignes de la divine adoption ; car il est écrit : Tous ceux qui ont cru en lui, il leur a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu.
QUE VOTRE NOM SOIT SANCTIFIÉ.
Ce n’est pas que Dieu, qui est toujours saint, ait besoin d’être sanctifié par nous ; nous demandons que son Nom soit sanctifié en nous : en sorte que nous qui sommes rendus saints dans son Baptême, nous persévérions dans le nouvel être que nous avons reçu.
QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE.
Notre Dieu, dont le royaume est immortel, ne règne-t-il donc pas toujours ? assurément ; mais quand nous disons : Que votre règne arrive, nous demandons l’avènement du royaume que Dieu nous a promis, et qui nous a été mérité par le sang et les souffrances du Christ.
QUE VOTRE VOLONTÉ SOIT FAITE SUR LA TERRE COMME AU CIEL.
C’est-à-dire : Votre volonté s’accomplisse, en sorte que ce que vous voulez dans le ciel, nous qui sommes sur la terre le fassions fidèlement.
DONNEZ-NOUS AUJOURD’HUI NOTRE PAIN QUOTIDIEN.
Entendons ici la nourriture spirituelle ; car le Christ est notre pain, lui qui a dit : Je suis le Pain vivant descendu du ciel. Nous l’appelons quotidien, parce que nous devons constamment demander l’exemption du péché, afin d’être dignes de l’aliment céleste.
ET PARDONNEZ-NOUS NOS OFFENSES, COMME NOUS PARDONNONS A CEUX QUI NOUS ONT OFFENSÉS.
Ces paroles veulent dire que nous ne pouvons mériter le pardon des péchés, qu’en remettant d’abord aux autres ce qu’ils ont fait contre nous. C’est ainsi que le Seigneur dit dans l’Évangile : Si vous ne remettez pas aux hommes leurs fautes contre vous, votre Père ne vous remettra pas non plus vos péchés.
ET NE NOUS INDUISEZ PAS EN TENTATION.
C’est-à-dire, ne souffrez pas que nous y soyons induits par celui qui tente, par l’auteur du mal. L’Écriture, en effet, nous dit : Dieu n’est pas celui qui nous tente pour le mal. C’est le diable qui nous tente ; et pour le vaincre, le Seigneur nous dit : Veillez et priez, afin que vous n’entriez pas en tentation.
MAIS DÉLIVREZ-NOUS DU MAL.
Ces paroles se rapportent à ce que dit l’Apôtre : Vous ne savez pas ce qu’il vous convient de demander. Le Dieu unique et tout-puissant doit être supplié par nous, afin que les maux qui ne peuvent être évités par la fragilité humaine le soient cependant par nous, en vertu du secours que daignera nous accorder Jésus-Christ notre Seigneur, qui, étant Dieu, vit et règne en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles.
Après cette allocution, le diacre disait :
Tenez-vous en ordre et en silence, et prêtez une oreille attentive.
Et le prêtre reprenait ainsi :
Vous venez d’entendre, très chers fils, les mystères de l’Oraison Dominicale ; maintenant établissez-les dans vos cœurs, en allant et venant, afin que vous arriviez à devenir parfaits, pour demander et recevoir la miséricorde de Dieu. Le Seigneur notre Dieu est puissant, et vous qui êtes en marche vers la foi, il vous conduira au bain de l’eau qui régénère. Qu’il daigne nous faire arriver avec vous au royaume céleste, nous qui venons de vous livrer les mystères de la foi catholique ; lui qui vit et règne avec Dieu le Père, en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles.
Après la lecture de l’Évangile dans lequel était racontée la guérison de l’aveugle-né, le diacre, selon l’usage, faisait sortir de l’église tous les Catéchumènes ; leurs parrains et marraines les conduisaient eux-mêmes dehors, et rentraient ensuite dans l’église pour assister au Sacrifice avec les autres fidèles. À l’Offrande, ils venaient présenter à l’autel les noms de leurs clients spirituels ; et le Pontife récitait ces noms, ainsi que ceux des parrains et marraines, dans les prières du Canon. Vers la fin de la Messe, on faisait rentrer les Catéchumènes, et on leur déclarait le jour où ils devraient se présenter à l’église, pour rendre compte du Symbole et des autres instructions qu’ils venaient de recevoir.
L’imposante cérémonie dont nous venons d’exposer quelques traits, n’avait pas lieu seulement aujourd’hui ; elle se répétait plusieurs fois, selon le nombre des Catéchumènes, et le plus ou moins de temps nécessaire pour recueillir, sur la conduite de chacun d’eux, les renseignements dont l’Église avait besoin pour juger de leur préparation au Baptême. Dans l’Église Romaine, on tenait, comme nous l’avons dit, jusqu’à sept scrutins ; mais le plus nombreux et le plus solennel était celui d’aujourd’hui ; et ils se terminaient tous par la cérémonie que nous venons de décrire.
À la messe
COLLECTE.
O Dieu qui, par le moyen du jeûne, accordez aux justes la récompense de leurs mérites, et aux pécheurs le pardon de leurs crimes, ayez pitié de ceux qui vous supplient, afin que, par la confession de nos offenses, nous méritions d’en obtenir la rémission. Par notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.
PREMIÈRE LEÇON.
Lecture du Prophète Ézéchiel. Chap. XXXVI.
Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je sanctifierai mon grand Nom qui a été profané parmi les nations, et que vous avez déshonoré au milieu d’elles : afin que les nations sachent que je suis le Seigneur, lorsque j’aurai été sanctifié à leurs yeux, au milieu de vous. Car je vous retirerai d’entre les peuples, et je vous rassemblerai de tous les pays, et je vous amènerai dans la terre qui est à vous. Et je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et je vous purifierai des impuretés de toutes vos idoles. Et je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai un esprit nouveau au milieu de vous. Et j’ôterai de votre chair le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair, et je mettrai mon Esprit au milieu de vous, et je ferai que vous marcherez dans mes préceptes, que vous garderez mes commandements et que vous les pratiquerez. Et vous habiterez dans la terre que j’ai donnée à vos pères ; et vous serez mon peuple, et je serai votre Dieu, dit le Seigneur tout-puissant.
Ces magnifiques promesses qui s’accompliront un jour à l’égard de la nation juive, quand la justice du Seigneur sera satisfaite, se réalisent d’abord dans nos Catéchumènes. Ce sont eux que la grâce divine a rassemblés de tous les pays de la gentilité, pour les conduire à leur vraie patrie qui est l’Église. Dans peu de jours, on répandra sur eux cette eau pure qui doit effacer la souillure de l’idolâtrie ; ils recevront un esprit nouveau, un cœur nouveau, et ils seront pour toujours le vrai peuple du Seigneur.
DEUXIÈME LEÇON.
Lecture du Prophète Isaïe. Chap. I.
Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la malignité de vos pensées, cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien, recherchez l’équité, assistez l’opprimé, faîtes justice à l’orphelin, défendez la veuve, et après cela, venez et soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige ; et quand ils seraient rouges comme le vermillon, ils deviendront blancs comme la laine la plus blanche. Si vous voulez m’écouter, vous serez rassasiés des biens de la terre promise, dit le Seigneur tout-puissant.
C’est maintenant à ses Pénitents que l’Église adresse ce beau passage d’Isaïe. Pour eux aussi un bain est préparé : bain laborieux, mais efficace pour laver toutes les taches de leurs âmes, s’ils s’y présentent avec une contrition sincère, et disposés a réparer le mal qu’ils ont commis. Se peut-il rien de plus énergique que la promesse du Seigneur ? Les couleurs les plus foncées et les plus éclatantes remplacées en un instant par la pure blancheur de la neige, telle est l’image du changement que Dieu se prépare à opérer dans l’âme du pécheur repentant. L’injuste va devenir juste, les ténèbres vont se transformer en lumière, l’esclave de Satan va être fait enfant de Dieu. Réjouissons-nous avec notre heureuse mère la sainte Église, et, redoublant d’ardeur dans la prière et la pénitence, obtenons que le nombre des réconciliés, au grand jour de la Pâque, surpasse encore ses espérances.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. IX.
En ce temps-là, Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance : et ses disciples lui firent cette question : Maître, en quoi celui-ci a-t-il péché, ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? Jésus répondit : Ce n’est point qu’il ait péché, ni ses parents ; mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. Pendant qu’il est jour, il faut que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé ; la nuit vient où personne ne peut travailler ; tandis que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. Ayant dit cela, il cracha à terre, et fit de la boue avec sa salive, et il enduisit de cette boue les yeux de l’aveugle, et il lui dit : Va, et lave-toi dans la piscine de Siloé (qui signifie Envoyé). Il s’en alla donc, se lava, et revint voyant clair. Or, ses voisins et ceux qui l’avaient vu auparavant demander l’aumône, disaient : N’est-ce pas celui-là qui était assis là et qui mendiait ? Les uns disaient : C’est lui ; d’autres : Non ; c’en est un qui lui ressemble. Mais lui disait : C’est moi-même. Ils lui disaient donc : Comment tes yeux se sont-ils ouverts ? Il répondit : Cet homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, en a enduit mes yeux, et m’a dit : Va à la piscine de Siloé, et lave-toi. J’y suis allé, je me suis lavé, et je vois. Et ils dirent : Où est-il ? Il répondit : Je ne sais. Ils amenèrent donc aux Pharisiens cet homme qui avait été aveugle. Or, c’était le jour du Sabbat que Jésus avait fait cette boue, et lui avait ouvert les yeux. Les Pharisiens donc lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur dit : Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. Quelques-uns des Pharisiens disaient : Cet homme n’est pas de Dieu, qui ne garde pas le Sabbat. Mais d’autres disaient : Comment un pécheur peut-il faire ces signes ? Et il y avait division entre eux. Ils dirent donc encore à l’aveugle : Et toi, que dis-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ? Il répondit : C’est un Prophète. Mais les Juifs ne crurent pas que cet homme eût été aveugle et qu’il eût reçu la vue, jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir les parents de celui qui voyait. Et ils les interrogèrent, disant : Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? Ses parents répondirent : Nous savons que c’est là notre fils, et qu’il est né aveugle ; mais nous ne savons pas comment il voit maintenant, et nous ignorons qui lui a ouvert les veux. Interrogez-le ; il a de l’âge : qu’il parle de lui‑même. Les parents dirent cela, parce qu ils craignaient les Juifs ; car déjà les Juifs avaient résolu ensemble que quiconque confesserait que Jésus est le Christ serait chassé de la synagogue. Les parents de l’aveugle dirent donc : Il a assez d’âge ; interrogez-le lui-même. Les Juifs appelèrent de nouveau l’homme qui avait été aveugle, et lui dirent : Rends gloire à Dieu. Nous savons que cet homme est un pécheur. Il leur dit : S’il est un pécheur, je n’en sais rien ; tout ce que je sais, c’est que j’étais aveugle, et qu’à présent je vois. Ils lui dirent encore : Que t’a-t-il fait ? et comment t’a-t-il ouvert les yeux ? Il leur répondit : Je vous l’ai déjà dit, et vous l’avez entendu ; pourquoi voulez-vous l’entendre encore ? vous aussi, voulez-vous devenir ses disciples ? Alors ils le maudirent et lui dirent : Sois toi-même son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui‑ci, nous ne savons d’où il est. Cet homme leur répondit : Cela est surprenant que vous ne sachiez d’où il est ; et cependant il m’a ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n’écoute point les pécheurs ; mais si quelqu’un honore Dieu et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais on n’a ouï dire que personne ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire de semblable. Ils lui répondirent : Tu n’es que péché dès le ventre de ta mère, et tu nous enseignes ? Et ils le chassèrent. Jésus, ayant appris qu’ils l’avaient ainsi chassé, et l’ayant rencontré, lui dit : Crois-tu au Fils de Dieu ? Il répondit : Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? Jésus lui dit : Tu l’as vu ; et celui qui te parle, c’est lui-même. Il répondit : Je crois. Seigneur. Et, se prosternant, il l’adora.
L’Église des premiers siècles désignait le Baptême sous le nom d’Illumination, parce que c’est ce Sacrement qui confère à l’homme la foi surnaturelle par laquelle il est éclairé de la lumière divine. C’est pour cette raison qu’on lisait aujourd’hui le récit de la guérison de l’aveugle-né, symbole de l’homme illuminé par Jésus-Christ. Ce sujet est souvent reproduit sur les peintures murales des catacombes et sur les bas-reliefs des anciens sarcophages chrétiens.
Nous naissons tous aveugles ; Jésus-Christ, par le mystère de son incarnation figuré sous cette boue qui représente notre chair, nous a mérité le don de la vue ; mais pour en jouir, il nous faut aller à la piscine du divin Envoyé, et nous laver dans l’eau baptismale. Alors nous serons éclairés de la lumière même de Dieu, et les ténèbres de notre raison seront dissipées. La docilité de l’aveugle-né, qui accomplit avec tant de simplicité les ordres du Sauveur, est l’image de celle de nos Catéchumènes qui écoutent si docilement les enseignements de l’Église, parce que eux aussi veulent recouvrer la vue. L’aveugle de l’Évangile, dans la guérison corporelle de ses yeux, nous donne la figure de ce que la grâce de Jésus-Christ opère en nous par le Baptême ; mais, afin que l’instruction soit complète, il reparaît à la fin du récit pour nous fournir un modèle de la guérison spirituelle de l’âme frappée de l’aveuglement du péché.
Le Sauveur l’interroge, comme l’Église nous a interrogés nous-mêmes sur le bord de la piscine sacrée. « Crois-tu au Fils de Dieu ? » lui demande-t-il. Et l’aveugle, rempli d’ardeur pour croire, répond avec empressement : « Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? » Telle est la foi, qui unit la faible raison de l’homme à la souveraine sagesse de Dieu, et nous met en possession de son éternelle vérité. À peine Jésus a-t-il affirmé sa divinité à cet homme simple, qu’il reçoit de lui l’hommage de l’adoration ; et celui qui d’abord avait été aveugle dans son corps, et qui ensuite avait reçu la vue matérielle, est maintenant chrétien. Quel enseignement complet et lucide pour nos Catéchumènes ! En même temps, ce récit leur révélait et nous rappelle à nous-mêmes l’affreuse perversité des ennemis de Jésus. Il sera bientôt mis à mort, le juste par excellence ; et c’est par l’effusion de son sang qu’il nous méritera, et à tous les hommes, la guérison de l’aveuglement dans lequel nous sommes nés, et que nos péchés personnels contribuaient encore à épaissir. Gloire donc, amour et reconnaissance à notre divin médecin qui, en s’unissant à la nature humaine, a préparé le collyre par lequel nos yeux sont guéris de leur infirmité, et rendus capables de contempler à jamais les splendeurs de la divinité même !
ORAISON.
Humiliez vos têtes devant Dieu.
Que les oreilles de votre miséricorde, Seigneur, soient ouvertes aux prières de ceux qui l’implorent ; et afin que vous leur accordiez ce qu’ils désirent, faites qu’ils vous demandent ce qui vous est agréable. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
La Liturgie Mozarabe nous fournit, dans son Missel, cette belle Préface, ou Illation, qui se rapporte à l’Évangile d’aujourd’hui :
ILLATIO.
Il est juste et équitable que nous vous rendions grâces, Seigneur saint, Père éternel, Dieu tout-puissant, par Jésus-Christ votre Fils, notre Seigneur, qui, répandant l’illumination de la foi, a chassé les ténèbres de ce monde, et a fait enfants de la grâce ceux qui étaient captifs sous la juste condamnation de la loi. Il est venu en ce monde pour exercer un jugement selon lequel ceux qui ne voyaient pas seraient appelés à voir, et ceux qui voyaient deviendraient aveugles : en sorte que ceux qui confesseraient les ténèbres de leurs erreurs recevraient la lumière éternelle qui les délivrerait des ombres du péché. Quant à ceux qui, fiers de leurs mérites, pensaient avoir en eux-mêmes la lumière de justice, ils devaient, par une juste raison, s’abîmer dans leurs propres ténèbres. Enflés d’orgueil et pleins de confiance en leur propre justice, ils ne songèrent pas à chercher le médecin qui pouvait les guérir. Ils étaient libres d’entrer par Jésus qui disait : Je suis la porte pour aller au Père ; mais parce que dans leur malice ils s’enorgueillissaient de leurs mérites, ils demeurèrent dans leur aveuglement. Nous venons donc dans l’humilité, ô Père très saint ! Ce n’est point en présumant de nos mérites que nous découvrons nos plaies devant votre autel ; nous confessons les ténèbres de nos erreurs, nous dévoilons le secret de nos consciences. Faites nous trouver le remède à nos blessures, la lumière éternelle pour éclairer nos ténèbres, l’innocence pour purifier nos âmes. Nous désirons avec ardeur contempler votre face ; mais nos ténèbres ordinaires nous tiennent aveuglés. Nous voudrions voir le ciel, et nous ne le pouvons, ayant les yeux obscurcis par nos péchés ; nous n’avons point imité dans leur vie sainte ceux qui, à cause de leurs vertus, ont été appelés les Cieux. Venez donc à nous, ô Jésus ! à nous qui prions dans votre temple, et guérissez-nous tous en ce jour, vous qui n’avez pas voulu astreindre au Sabbat ceux qui opèrent vos merveilles. Nous découvrons nos blessures devant la majesté de votre saint Nom ; appliquez le remède à nos infirmités. Secourez vos suppliants, vous qui de rien nous avez créés, faites un collyre, et touchez les yeux de notre cœur et de notre corps, de peur que notre aveuglement ne nous fasse retomber dans les ténèbres de l’erreur. Nous arrosons vos pieds de nos larmes ; ne repoussez point nos abaissements. O bon Jésus ! que nous ne quittions point vos pieds sacrés, vous qui êtes venu sur la terre dans l’humilité. Écoutez la prière de nous tous, et, dissipant l’aveuglement de nos crimes, faites-nous voir la gloire de votre face dans l’heureux séjour de l’éternelle paix.
JEUDI
La Station est à l’Église de Saint-Sylvestre-et-Saint-Martin aux Monts, l’une des plus vénérées de la piété romaine. Élevée d’abord par le pape saint Sylvestre, dont elle a retenu le nom et le patronage, elle était consacrée, dès le VIème siècle, au grand thaumaturge des Gaules, saint Martin. Au VIIème siècle on y apporta de la Chersonèse le corps du saint pape Martin, qui avait mérité la couronne du martyre peu d’années auparavant. Cette Église a été le premier titre cardinalice de saint Charles Borromée, et, au siècle dernier, celui du Bienheureux cardinal Joseph-Marie Tommasi, savant liturgiste, dont on y vénère aussi le corps.
COLLECTE.
Faites, s’il vous plaît, ô Dieu tout-puissant, que, mortifiant nos corps par ces jeûnes solennels, nous ressentions la joie d’une dévotion sainte, et que l’ardeur de nos appétits terrestres étant mitigée, nous goûtions plus aisément les choses du ciel. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
LEÇON.
Lecture du livre des Rois. IV. Chap. IV.
En ces jours-là, il vint une femme de Sunam vers le prophète Élisée, sur la montagne du Carmel. Et l’homme de Dieu, l’ayant aperçue de loin, dit à Giézi son serviteur : Voici cette Sunamite. Va donc au-devant d’elle, et dis-lui : Tout va-t-il bien chez toi ? Ton mari et ton fils se portent-ils bien ? Elle lui répondit : Tout est bien. Et étant venue jusqu’à l’homme de Dieu, sur la montagne, elle embrassa ses pieds, et Giézi s’approcha d’elle pour la retirer. Mais l’homme de Dieu lui dit : Laisse-la ; car son âme est dans l’amertume ; et le Seigneur me l’a caché, et il ne me l’a pas fait connaître. La femme lui dit alors : Avais-je demandé un fils à mon seigneur ? Ne vous avais-je pas dit : Ne me trompez pas ? Et Élisée dit à Giézi : Ceins tes reins, prends mon bâton à la main, et pars. Si tu rencontres quelqu’un, ne le salue pas ; et si quelqu’un te salue, ne lui réponds pas ; et tu mettras mon bâton sur le visage de l’enfant. Mais la mère de l’enfant dit au prophète : Vive le Seigneur et vive votre âme ! je ne vous quitterai pas. Élisée se leva donc et la suivit. Cependant Giezi était parti devant eux, et il avait mis le bâton sur le visage de l’enfant ; et ni la voix ni le sentiment ne lui étaient revenus. Il retourna donc au-devant de son maître, et vint lui dire : L’enfant n’est pas ressuscité. Élisée entra ensuite dans la maison ; et l’enfant mort était couché sur son lit. Et étant entré, il ferma la porte sur lui et sur l’enfant, et il pria le Seigneur. Après cela, il monta sur le lit et s’étendit sur l’enfant ; il mit sa bouche sur sa bouche, ses yeux sur ses yeux, et ses mains sur ses mains ; et il couvrit le corps de l’enfant. Et la chair de l’enfant en fut échauffée. Et étant descendu de dessus le lit, il se promena et fit deux tours dans la chambre ; puis il remonta et s’étendit encore sur l’enfant. Alors l’enfant bâilla sept fois et ouvrit les yeux. Élisée appela ensuite Giézi, et lui dit : Appelle cette Sunamite. Elle vint aussitôt et entra dans la chambre. Élisée lui dit : Emmène ton fils. Elle vint, se précipita à ses pieds, et l’adora le visage contre terre ; et, ayant pris son fils, elle s’en alla ; et Élisée retourna à Galgala.
Toutes les merveilles du plan divin pour le salut de l’homme sont réunies dans cette mystérieuse narration ; empressons-nous de les y découvrir, afin que nous n’ayons rien à envier à nos Catéchumènes. Cet enfant mort, c’est le genre humain que le péché a privé de la vie ; mais Dieu a résolu de le ressusciter. D’abord un serviteur est envoyé près du cadavre ; ce serviteur est Moïse. Sa mission est de Dieu ; mais, par elle-même, la loi qu’il apporte ne donne pas la vie. Cette loi est figurée par le bâton que Giézi tient à la main, et dont il essaie en vain le contact sur le corps de l’enfant. La Loi n’est que rigueur : elle établit un régime de crainte, à cause de la dureté du cœur d’Israël ; mais elle triomphe à peine de cette dureté ; et les justes dans Israël, pour être vraiment justes, doivent aspirer à quelque chose de plus parfait et de plus filial que la loi du Sinaï. Le Médiateur, qui doit tout adoucir en apportant du ciel l’élément de la charité, n’est pas venu encore ; il est promis, il est figuré ; mais il ne s’est pas fait chair, il n’a pas encore habité parmi nous. Le mort n’est pas ressuscité. Il faut que le Fils de Dieu descende lui-même.
Élisée est la figure de ce divin Rédempteur. Voyez comme il se rapetisse à la mesure du corps de l’enfant, comme il s’unit étroitement à tous ses membres dans le mystérieux silence de cette chambre fermée. C’est ainsi que le Verbe du Père, voilant sa splendeur au sein d’une vierge, s’y est uni à notre nature, et, « prenant la forme de l’esclave, s’est anéanti jusqu’à devenir semblable à l’homme » (Philip. 2, 7), « afin de nous rendre la vie, et une vie plus abondante encore » (s. Jean 10, 10) que celle que nous avions eue au commencement. Observez aussi ce qui se passe dans l’enfant, et quelles sont les marques de la résurrection qui s’opère en lui. Sept fois sa poitrine se dilate, et il aspire, afin de marquer par ce mouvement que l’Esprit aux sept dons reprendra possession de l’âme humaine qui doit être son temple. Il ouvre les yeux, pour signifier la fin de cet aveuglement qui est le caractère de la mort ; car les morts ne jouissent plus de la lumière, et les ténèbres du tombeau sont leur partage. Enfin considérez cette femme, cette mère : c’est la figure de l’Église qui implore de notre divin Élisée la résurrection de ses chers Catéchumènes, de tous les infidèles qui sont encore sous les ombres de la mort (Isai. 9, 2) ; unissons-nous à sa prière, et efforçons-nous d’obtenir que la lumière de l’Évangile s’étende de plus en plus, et que les obstacles qu’apporte à sa propagation la perfidie de Satan, jointe à la malice des hommes, disparaissent sans retour.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. VII.
En ce temps-là, Jésus alla dans une ville appelée Naïm ; et ses disciples allaient avec lui, et une foule nombreuse. Comme il approchait de la porte de la ville, voilà qu’on emportait un mort, fils unique de sa mère ; et celle-ci était veuve, et beaucoup de personnes de la ville l’accompagnaient. Le Seigneur l’ayant vue, il fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleure pas. Et il s’approcha, et toucha le cercueil : ceux qui le portaient s’arrêtèrent. Et il dit : Jeune homme, je te le commande, lève-toi. Et le mort se leva, et commença de parler ; et Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, disant : Un grand Prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple.
Aujourd’hui et demain encore, la sainte Église ne cesse de nous offrir des types de la résurrection : c’est l’annonce de la Pâque prochaine, et en même temps un encouragement à l’espérance pour tous les morts spirituels qui demandent à revivre. Avant d’entrer dans les deux semaines consacrées aux douleurs du Christ, l’Église rassure ses enfants sur le pardon qui les attend, en leur offrant le spectacle consolant des miséricordes de celui dont le sang est notre réconciliation. Délivrés de toutes nos craintes, nous serons plus à nous-mêmes pour contempler le sacrifice de notre auguste victime, pour compatir à ses douleurs. Ouvrons donc les yeux de l’âme, et considérons la merveille que nous offre notre Évangile. Une mère éplorée conduit le deuil de son fils unique, et sa douleur est inconsolable. Jésus est touché de compassion ; il arrête le convoi ; sa main divine touche le cercueil ; et sa voix rappelle à la vie le jeune homme dont le trépas avait causé tant de larmes. L’écrivain sacré insiste pour nous dire que Jésus le rendit à sa mère. Quelle est cette mère désolée, sinon la sainte Église qui mène le deuil d’un si grand nombre de ses enfants ? Jésus s’apprête à la consoler. Il va bientôt, par le ministère de ses prêtres, étendre la main sur tous ces morts ; il va bientôt prononcer sur eux la parole qui ressuscite ; et l’Église recevra dans ses bras maternels tous ces fils dont elle pleurait la perte, et qui seront pleins de vie et d’allégresse.
Considérons le mystère des trois résurrections opérées par le Sauveur : celle de la fille du prince de la synagogue[1], celle du jeune homme d’aujourd’hui, et celle de Lazare, à laquelle nous assisterons demain. La jeune fille ne fait que d’expirer ; elle n’est pas ensevelie encore : c’est l’image du pécheur qui vient de succomber, mais qui n’a pas contracté encore l’habitude et l’insensibilité du mal. Le jeune homme représente le pécheur qui n’a voulu faire aucun effort pour se relever, et chez lequel la volonté a perdu son énergie : on le conduit au sépulcre ; et, sans la rencontre du Sauveur, il allait être rangé parmi ceux qui sont morts à jamais. Lazare est un symbole plus effrayant encore. Déjà il est en proie à la corruption. Une pierre roulée sur le tombeau condamne le cadavre à une lente et irrémédiable dissolution. Pourra-t-il revivre ? Il revivra si Jésus daigne exercer sur lui son divin pouvoir. Or, en ces jours où nous sommes, l’Église prie, elle jeûne ; nous prions, nous jeûnons avec elle, afin que ces trois sortes de morts entendent la voix du Fils de Dieu, et qu’ils ressuscitent. Le mystère de la Résurrection de Jésus-Christ va produire son merveilleux effet à ces trois degrés. Associons-nous aux desseins de la divine miséricorde ; faisons instance, jour et nuit, auprès du Rédempteur, afin que, dans quelques jours, nous puissions, à la vue de tant de morts rendus à la vie, nous écrier avec les habitants de Naïm : « Un grand Prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. »
ORAISON.
Humiliez vos têtes devant Dieu.
O Dieu ! instituteur et conducteur de votre peuple, éloignez de lui les péchés qui l’assaillent : afin que, vous étant toujours agréable, il soit en assurance sous votre protection. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.
Nous plaçons ici ce beau cantique de l’Église gothique d’Espagne, aux premiers siècles. Il s’adresse aux Catéchumènes admis au Baptême ; mais plus d’un de ses traits peut s’appliquer aux pécheurs qui vont être réconciliés.
HYMNE
On t’appelle à la vie, peuple saint de Dieu ; le Créateur t’invite ; il aime l’œuvre de ses mains. Le Rédempteur dans sa bénignité attire les hommes ; il leur dit : Venez, je suis votre Dieu unique.
Vous aviez fui l’éclat de la lumière ; un immense chaos vous environnait ; le séjour du bonheur n’était plus pour vous ; la mort sanglante avait fait son entrée sur la terre.
Moi, le Dieu qui crée et qui ressuscite, je suis arrivé plein de douceur ; je viens participer à votre infirmité ; dans ma puissance je vous porterai sans effort ; accourez à moi ; le bercail joyeux est prêt à vous recevoir.
Le front va être marqué du signe de la croix ; les oreilles et la bouche seront consacrées par l’onction ; prêtez l’oreille du cœur à l’enseignement ; chantez avec ardeur le Symbole comme un cantique vivifiant.
Réjouissez vous de votre nom nouveau ; vous êtes appelés à recueillir un nouvel héritage ; nul de vous ne sera désormais l’esclave soumis à son ennemi ; vous serez le royaume permanent du seul Dieu.
Honneur au Dieu éternel ; gloire au Père unique, au Fils unique aussi et à l’Esprit : Trinité qui vit, à jamais puissante, dans les siècles des siècles. Amen.
VENDREDI
La Station est à l’Église de saint Eusèbe, prêtre de Rome, qui souffrit pour la foi dans la persécution des Ariens, sous l’empereur Constance.
COLLECTE.
O Dieu, qui renouvelez le monde par d’ineffables mystères, daignez faire que votre Église se développe par les moyens éternels que vous lui avez conférés, et qu’elle ne soit point dépourvue de votre secours dans ses besoins temporels. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
LEÇON.
Lecture du livre des Rois. III, Chap. XVII.
En ces jours-là , le fils d’une mère de famille tomba malade, et la maladie était si violente qu’il en fut suffoqué. Cette femme dit donc à Élie : Qu’y a-t-il entre vous et moi, homme de Dieu ? Êtes-vous venu chez moi pour renouveler la mémoire de mes péchés, et pour faire mourir mon fils ? Et Élie lui dit : Donne-moi ton fils. Et, l’ayant pris entre ses bras, il le porta dans la chambre où il logeait, et il le mit sur son lit. Et il cria vers le Seigneur et lui dit : Seigneur mon Dieu, avez-vous ainsi affligé cette veuve, jusqu’à faire mourir son fils, elle qui a soin de me nourrir comme elle peut ? Et il s’étendit sur l’enfant par trois fois, se mesurant sur lui, et il cria vers le Seigneur et dit : Seigneur mon Dieu, faites, je vous prie, que l’âme de cet enfant rentre dans son corps. Et le Seigneur exauça la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant rentra en lui, et il recommença à vivre. Élie prit l’enfant, et, le descendant de sa chambre au bas de la maison, il le remit entre les mains de sa mère, et lui dit : Voici ton fils qui est vivant. Et la femme dit à Élie : Je reconnais maintenant que vous êtes un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur est véritable dans votre bouche.
C’est encore une mère aujourd’hui qui vient, en pleurs, solliciter la résurrection de son fils. Cette mère est la veuve de Sarepta, que nous connaissons déjà comme la figure de l’Église des Gentils. Elle a péché autrefois, elle été idolâtre, et le souvenir de son passé l’inquiète ; mais le Seigneur, qui l’a purifiée et l’a appelée à l’honneur d’être son Épouse, la rassure en rendant son fils à la vie. La charité d’Élie est l’image de celle du Fils de Dieu. Voyez comment ce grand prophète s’étend sur le corps de l’enfant, comment il se fait petit à sa mesure, ainsi que nous avons vu faire à Élisée. Reconnaissons encore ici le divin mystère de l’Incarnation. Par trois fois le prophète touche le cadavre ; et aussi par trois fois nos Catéchumènes seront plongés dans la piscine baptismale, avec l’invocation des trois personnes de l’adorable Trinité. Dans la nuit solennelle de la Pâque, Jésus aussi dira à l’Église son épouse : « Voici tes fils qui vivent maintenant » ; et l’Église, transportée de joie, sentira toujours plus la vérité des promesses du Seigneur. Les païens eux-mêmes la sentirent à leur manière, cette vérité, lorsque, voyant les mœurs de ce peuple nouveau qui sortait régénéré des eaux du Baptême, ils reconnurent que la divinité pouvait seule être le principe d’une si haute vertu dans des hommes. Au sein de l’empire romain en proie à toutes les corruptions, une race pure et toute céleste apparut soudain, et les fils de cette race si sainte étaient encore la veille mêlés à toutes les dépravations païennes. Où avaient-ils puisé cette vertu sublime ? dans la doctrine de Jésus, et dans les remèdes surnaturels qu’elle applique à la dégradation de l’homme. On vit alors les infidèles accourir en foule, bravant l’épreuve du martyre, et l’Église dilater son sein, pour accueillir ces générations qui lui disaient avec amour : « Nous reconnaissons que vous êtes de Dieu, et que la parole du Seigneur est dans votre bouche. »
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. XI.
En ce temps-là, un homme nommé Lazare était malade à Béthanie, où demeuraient Marie et Marthe sa sœur. Marie était celle qui répandit sur le Seigneur une huile de parfums, et lui essuya les pieds avec ses cheveux ; et Lazare qui était malade était son frère. Ses sœurs donc envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, celui que vous aimez est malade. Jésus l’ayant entendu, il dit : Cette maladie n’est pas à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. Or, Jésus aimait Marthe, et sa sœur Marie, et Lazare. Ayant donc entendu qu’il était malade, il demeura néanmoins deux jours au lieu où il était. Après ce terme, il dit à ses disciples : Retournons en Judée. Ses disciples lui dirent : Maître, tout à l’heure les Juifs voulaient vous lapider, et vous retournez-là ? Jésus répondit : N’y a-t-il pas douze heures au jour ? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne se heurte point, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais s’il marche durant la nuit, il se heurte, parce qu’il n’a point de lumière. Après ces paroles, il leur dit : Lazare notre ami dort ; mais je vais le réveiller. Ses disciples lui dirent : Seigneur, s’il dort, il sera guéri. Or, Jésus parlait de la mort ; mais eux pensaient qu’il avait parlé seulement de l’assoupissement du sommeil. Alors Jésus leur dit clairement : Lazare est mort, et à cause de vous je me réjouis de n’avoir pas été là, pour que vous croyiez ; mais allons à lui. Thomas appelé Didyme dit aux autres disciples : Allons aussi, nous ; et mourons avec lui. Jésus vint donc, et trouva qu’il y avait déjà quatre jours qu’il était dans le tombeau. Or, Béthanie était environ à quinze stades de Jérusalem ; et beaucoup de Juifs étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler de la mort de leur frère. Marthe, ayant entendu que Jésus venait, alla au-devant de lui ; mais Marie était demeurée assise dans la maison. Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort ; cependant, maintenant même, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le donnera. Jésus lui dit : Ton frère ressuscitera. Marthe lui dit : Je sais bien qu’il ressuscitera en la résurrection, au dernier jour. Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie ; qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais. Le crois-tu ? Elle lui dit : Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde. Ayant dit cela, elle s’en alla et appela secrètement Marie sa sœur, disant : Le Maître est là, et il t’appelle. Ce que celle-ci ayant entendu, elle se leva promptement et vint à lui ; car Jésus n’était pas encore entré dans le bourg, mais il était au même lieu où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs cependant qui étaient avec Marie dans la maison et la consolaient, l’ayant vue se lever en hâte et sortir, la suivirent, disant : Elle s’en va au sépulcre pour y pleurer. Or Marie, étant venue au lieu où était Jésus, tomba à ses pieds et lui dit : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. Jésus, voyant qu’elle pleurait, et que les Juifs qui étaient venus avec elle pleuraient aussi, frémit en son esprit et se troubla lui‑même. Et il dit : Où l’avez-vous mis ? Ils lui dirent : Seigneur, venez et voyez. Et Jésus pleura. Les Juifs dirent : Voyez comme il l’aimait ! Mais il y en eut aussi quelques-uns qui dirent : Ne pouvait-il pas faire que celui-ci ne mourût point, lui qui a ouvert les yeux d’un aveugle-né ? Jésus, frémissant de nouveau en lui-même, arriva au sépulcre. C’était une grotte, et l’on avait placé une pierre à l’entrée. Jésus dit : Ôtez la pierre. Marthe, sœur de celui qui était mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà mauvais : car il y a quatre jours qu’il est là. Jésus lui dit : Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? Ils ôtèrent donc la pierre. Alors Jésus, levant les yeux en haut, dit : Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez exaucé. Pour moi, je savais bien que vous m’exaucez toujours ; mais j’ai dit cela pour ce peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé. Ayant dit cela, il cria d’une voix forte : Lazare, sors dehors Et aussitôt celui qui avait été mort parut ayant les mains et les pieds liés de bandelettes, et le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : Déliez‑le, et le laissez aller. Beaucoup d’entre les Juifs qui étaient venus près de Marie et de Marthe, et qui avaient vu ce que fit Jésus, crurent en lui.
Parcourons avec espérance cet admirable récit qui nous raconte ce que Jésus opère dans les âmes ; rappelons-nous ce qu’il a fait en faveur de la nôtre, et conjurons-le d’avoir enfin pitié de nos Pénitents, qui, en si grand nombre, par toute la terre, se disposent à recevoir ce pardon qui doit leur rendre la vie. Aujourd’hui ce n’est plus une mère qui demande la résurrection de son fils ; ce sont deux sœurs qui implorent cette grâce pour un frère chéri ; l’Église, par cet exemple, nous engage à prier pour nos frères. Mais suivons la sublime narration de notre Évangile.
Lazare a d’abord été malade et languissant ; enfin il est mort. Le pécheur commence par se laisser aller à la tiédeur, à l’indifférence, et bientôt il reçoit la blessure mortelle. Jésus n’a pas voulu guérir l’infirmité de Lazare ; pour rendre ses ennemis inexcusables, il veut opérer un prodige éclatant aux portes même de Jérusalem. Il veut prouver qu’il est le maître de la vie à ceux-là même qui, dans quelques jours, seront scandalisés de sa mort. Au sens moral, Dieu juge quelquefois à propos, dans sa sagesse, d’abandonner à elle-même une âme ingrate, bien qu’il prévoie qu’elle tombera dans le péché. Il la relèvera plus tard ; et la confusion qu’elle ressentira de sa chute servira à la maintenir dans l’humilité qui l’eût préservée.
Les deux sœurs, Marthe et Marie, apparaissent ici avec leurs caractères si tranchés ; toutes deux éplorées, toutes deux unanimes dans leur confiance. À Marthe, Jésus annonce qu’il est lui-même la Résurrection et la Vie, et que celui qui croit en lui ne mourra point de cette mort qui est la seule à craindre ; mais quand il voit les pleurs de Marie, de celle dont il connaissait tout l’amour, il frémit, il se trouble. La mort, châtiment du péché de l’homme, source de tant de larmes, émeut son cœur divin. Arrivé en face du tombeau qui recèle le corps de Lazare son ami, il verse des pleurs : sanctifiant ainsi les larmes que l’affection chrétienne nous arrache sur la tombe de ceux qui nous furent chers. Mais le moment est venu de lever la pierre, d’étaler au grand jour l’affreux triomphe de la mort. Lazare est là depuis quatre jours : c’est le pécheur envieilli dans son péché. N’importe : Jésus ne repousse pas ce spectacle. D’une voix qui commande à toute créature et qui épouvante l’enfer, il crie : Lazare, sors dehors ! et le cadavre s’élance hors du sépulcre. Le mort a entendu la voix ; mais ses membres sont encore enchaînés, son visage est voilé ; il ne peut agir ; la lumière n’a pas lui encore à ses yeux. Jésus commande qu’on le délie ; et par son ordre, des mains humaines rendent aux membres de Lazare la liberté, à ses yeux la vue du soleil. C’est jusqu’à la fin l’histoire du pécheur réconcilié. La voix seule de Jésus pouvait l’appeler à la conversion, émouvoir son cœur, l’amener à confesser son péché ; mais Jésus réserve à la main de ses prêtres de le délier, de l’éclairer, de lui rendre le mouvement. Grâces immortelles au Sauveur qui, par ce prodige opéré dans les jours mêmes où nous sommes, mit le comble à la fureur de ses ennemis, et se dévoua par ce dernier bienfait à toute la rage qu’ils avaient conçue contre lui. Désormais il ne s’éloignera plus de Jérusalem ; Béthanie, où il vient d’accomplir le miracle, n’en est qu’à quelques pas. Dans neuf jours, la ville infidèle verra le triomphe pacifique du fils de David ; il retournera ensuite chez ses amis de Béthanie ; mais bientôt il rentrera dans la ville pour y consommer le sacrifice dont les mérites infinis sont le principe de la résurrection du pécheur.
Cet espoir consolant porta les premiers chrétiens à multiplier sur les peintures des Catacombes l’image de Lazare rappelé à la vie ; et ce type de la réconciliation de l’âme pécheresse, sculpté pareillement sur le marbre des sarcophages des IVème et Vème siècles, se reproduisit jusque sur les verrières de nos cathédrales. L’ancienne France honorait ce symbole de la résurrection spirituelle par une pieuse coutume qui s’est conservée dans l’insigne abbaye de la Trinité de Vendôme, jusqu’au renversement de nos institutions catholiques. Chaque année, en ce jour, un criminel condamné par la justice humaine était amené à l’Église Abbatiale. Il avait la corde au cou et tenait à la main une torche du poids de trente-trois livres, en mémoire des années du divin Libérateur. Les moines faisaient une procession à laquelle le criminel assistait humblement, ainsi qu’au sermon qui la suivait. On le conduisait ensuite au pied de l’autel, où l’Abbé, après une exhortation, lui enjoignait pour pénitence le pèlerinage de Saint-Martin de Tours. Il lui ôtait ensuite du cou la corde qu’il avait portée jusqu’à ce moment, et il le déclarait libre. Cet usage liturgique, si chrétien et si touchant, remontait à Louis de Bourbon, comte de Vendôme, qui, en 1426, durant sa captivité en Angleterre, avait fait le vœu, si Dieu lui rendait la liberté, d’établir dans l’Église de la Trinité, comme monument de sa reconnaissance, cet hommage annuel au Christ qui délivra Lazare du tombeau. Le Ciel agréant la piété du prince, celui-ci ne tarda pas à recevoir la grâce qu’il implorait avec tant de foi.
ORAISON.
Humiliez vos têtes devant Dieu.
Dieu tout-puissant, faites, nous vous en prions, que, pleins du sentiment de notre faiblesse et de confiance en votre puissance, nous ayons toujours à nous réjouir des effets de votre miséricorde. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Nous prierons aujourd’hui pour la conversion des pécheurs, en empruntant cette touchante prière au Pontifical Romain, dans la réconciliation des pénitents.
ORAISON.
O Dieu qui, dans votre bonté, avez créé le genre humain, et dans votre miséricorde l’avez réparé, vous qui avez racheté par le sang de votre Fils unique l’homme que l’envie du diable avait fait déchoir de l’immortalité, rendez la vie à ces pécheurs, vos serviteurs, dont vous ne voulez point la mort, vous qui êtes leur vie. Lorsqu’ils s’écartèrent, vous ne les avez pas abandonnés ; maintenant qu’ils sont corrigés, accueillez-les. Que les larmes et les soupirs de ces malheureux, vos serviteurs, émeuvent votre compassion, Seigneur ! Guérissez leurs blessures ; ils sont étendus à vos pieds, tendez-leur une main secourable ; que votre Église ne soit point privée d’une partie de son corps ; que votre troupeau n’ait point à souffrir un détriment ; que l’ennemi ne triomphe pas du malheur de votre famille ; que la seconde mort n’envahisse pas ceux qui puisèrent une nouvelle naissance dans le bain du salut. Nous vous offrons donc, Seigneur, nos vœux et nos supplications ; nous répandons des larmes du cœur ; pardonnez à ceux qui confessent leur iniquité ; qu’ils ne tombent pas sous la sentence du jugement futur ; que votre miséricorde leur épargne les peines qui les menacent ; qu’ils ignorent l’horreur des ténèbres, le pétillement des flammes. Quittant le sentier de l’erreur, et rentrant dans le chemin de la justice, qu’ils ne soient plus blessés désormais, mais que le bienfait octroyé par votre grâce et rétabli par votre miséricorde demeure en eux en son entier à jamais. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
SAMEDI
Ce jour est célèbre dans l’antiquité sous le nom de Samedi Sitientes, à cause du premier mot de l’Introït de la Messe, dans lequel l’Église, empruntant les paroles d’Isaïe, invite les aspirants au Baptême à venir se désaltérer à la fontaine du salut. À Rome, la Station fut d’abord à la Basilique de Saint-Laurent-hors-les-Murs ; mais l’éloignement rendant cette Église incommode pour la réunion des fidèles, on a désigné de bonne heure pour la remplacer l’Église de Saint-Nicolas in carcere, qui est dans l’intérieur de la ville.
COLLECTE.
Faites, Seigneur, par votre grâce, que le sentiment de notre dévotion ne demeure pas sans effet : car c’est alors que les jeûnes que nous avons entrepris, étant agréés de votre bonté, nous seront utiles. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
LEÇON.
Lecture du Prophète Isaïe. Chap. XLIX.
Voici ce que dit le Seigneur : Je t’ai exaucé au temps favorable, et je t’ai assisté au jour du salut ; je t’ai réservé, et je t’ai donné pour être le réconciliateur du peuple, pour restaurer la terre, pour posséder les héritages qui étaient dissipés, pour dire à ceux qui étaient dans les fers : Soyez libres ; et à ceux qui étaient dans les ténèbres : Faites-vous voir. Ils paîtront librement le long des chemins, et toutes les plaines leur serviront de pâturages. Ils n’auront plus ni faim ni soif ; les feux du soleil ne les brûleront plus : parce que celui qui est miséricordieux les conduira et les mènera aux sources des eaux. Alors j’aplanirai en chemins toutes mes montagnes, et mes sentiers seront rehaussés. Voici qu’ils arrivent de loin, les uns de l’Aquilon, les autres de la mer du Couchant, et les autres de la terre du Midi. Cieux, louez le Seigneur ; terre, sois en allégresse ; montagnes, faites retentir la louange ; car le Seigneur a consolé son peuple, et il aura pitié de ses pauvres. Cependant Sion a dit : Le Seigneur m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée. — Une mère peut-elle oublier son enfant, et n’avoir pas compassion du fils de ses entrailles ? mais quand même elle l’oublierait, moi je ne t’oublierai point, dit le Seigneur tout-puissant.
Que ce langage devait être doux au cœur de nos Catéchumènes ! Jamais la tendresse du Père céleste s’est-elle exprimée d’une manière plus touchante que dans ces paroles qu’il nous transmet par son Prophète ? Il donne à son Fils incarné, à son Christ, la terre entière, non pour la juger et la condamner, comme elle le mérite, mais pour la sauver (s. Jean 3, 17). Ce divin envoyé convoque tous ceux qui gémissent dans les fers, qui languissent dans les ténèbres ; il les appelle à la liberté, à la lumière. Leur faim sera apaisée, leur soif désaltérée ; naguère haletants sous les rayons d’un soleil brûlant, ils trouveront la plus délicieuse fraîcheur au bord des eaux purifiantes vers lesquelles le miséricordieux pasteur les conduit lui-même. Ils viennent de loin, de tous les points du ciel ; cette fontaine inépuisable est le rendez-vous du genre humain. La Gentilité s’appelle désormais Sion, et le Seigneur aime les portes de cette nouvelle « Sion plus qu’il n’aima les tentes de Jacob » (Psalm. 86, 2). Non, il ne l’avait point oubliée, durant ces siècles où elle servait les idoles ; la tendresse du Seigneur est égale à celle d’une mère ; et si le cœur de la mère était jamais fermé pour son fils, le Seigneur déclare que le sien restera toujours ouvert pour Sion. Livrez-vous donc à une confiance sans bornes, vous, chrétiens, qui dès l’entrée de cette vie fûtes admis dans l’Église par le Baptême, et qui depuis avez eu le malheur de servir un autre maître que celui qui vous avait adoptés. Si, en ce moment où, prévenus de la grâce divine, soutenus par les saintes pratiques du Carême et par les suffrages de l’Église qui prie pour vous sans cesse, vous préparez votre retour au Seigneur, quelque inquiétude se glisse dans votre âme, relisez ces paroles du grand Dieu. Vous le voyez : c’est à son propre Fils qu’il vous a donnés ; c’est lui qu’il a chargé de vous sauver, de vous guérir, de vous consoler. Vous êtes dans les liens du péché ? Jésus est assez fort pour les rompre. Vous êtes dans les ténèbres du monde ? il est la lumière devant laquelle les ombres les plus épaisses s’évanouissent sans retour. Vous avez faim ? il est le Pain de vie. Vous avez soif ? il est la source des eaux vives. Vous êtes brûlés, défigurés par les ardeurs de la convoitise ? plongez-vous dans la fontaine qui rafraîchit et purifie : non plus, il est vrai, cette première fontaine qui vous donna la vie que vous avez si tristement perdue ; mais cette autre source jaillissante, le divin sacrement de la réconciliation, d’où vos âmes sortiront pures et renouvelées.
ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. VIII.
En ce temps-là, Jésus disait à la foule des Juifs : Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie. Les Pharisiens donc lui dirent : Vous rendez vous-même témoignage de vous ; votre témoignage n’est pas vrai. Jésus leur répondit : Bien que je rende témoignage de moi‑même, mon témoignage est vrai, parce que je sais d’où je viens et où je vais ; mais pour vous, vous ne savez ni d’où je viens ni où je vais. Vous jugez selon la chair ; moi je ne juge personne ; et si je juge, mon jugement est vrai, parce que je ne suis pas seul, mais moi et le Père qui m’a envoyé. Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux personnes est vrai. Me voici qui rends témoignage de moi-même ; et le Père qui m’a envoyé rend aussi témoignage de moi. Ils lui dirent donc : Où est votre Père ? Jésus répondit : Vous ne connaissez ni moi ni mon Père : si vous me connaissiez, peut-être connaîtriez-vous mon Père. Jésus dit ces paroles, enseignant dans le temple, au lieu où est le trésor ; et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue
Quel contraste entre le langage de Dieu qui invite les hommes à recevoir son Fils comme un libérateur, et la dureté de cœur avec laquelle les Juifs accueillent ce céleste envoyé. Jésus s’est dit le Fils de Dieu, et, en preuve de cette divine origine, il n’a cessé, durant trois années, d’opérer les prodiges les plus éclatants. Beaucoup de Juifs ont cru en lui, parce qu’ils ont pensé que Dieu ne pourrait autoriser l’erreur par des miracles ; et la doctrine de Jésus a été acceptée par eux comme venant du ciel. Les Pharisiens ont la haine de la lumière, l’amour des ténèbres ; leur orgueil ne veut pas s’abaisser devant l’évidence des faits. Tantôt ils nient la vérité des prodiges de Jésus, tantôt ils prétendent les expliquer par une intervention diabolique ; d’autres fois, ils voudraient par leurs questions captieuses amener un prétexte de traduire le Juste comme un blasphémateur ou un violateur de la loi. Aujourd’hui, ils ont l’audace d’objecter à Jésus qu’en se déclarant l’envoyé de Dieu, il se rend témoignage à lui‑même. Le Sauveur, qui voit la perversité de leur cœur, daigne encore répondre à leur impie sarcasme ; mais il évite de leur donner une entière explication. On sent que la lumière s’éloigne peu à peu de Jérusalem, et qu’elle se prépare à visiter d’autres régions. Terrible abandon de l’âme qui a abusé de la vérité, qui l’a repoussée par un instinct de haine ! C’est le péché contre le Saint-Esprit, « qui ne sera pardonné, dit Jésus-Christ, ni en ce monde, ni en l’autre.» (s. Matth. 12, 31) Heureux celui qui aime la vérité, quoiqu’elle combatte ses penchants et trouble ses idées ! car il rend hommage à la sagesse de Dieu ; et si la vérité ne le gouverne pas encore en tout, du moins elle ne l’a pas abandonné. Mais plus heureux est celui qui, s’étant rendu tout entier à la vérité, s’est mis à la suite de Jésus-Christ, comme son humble disciple ! « Celui-là, nous dit le Sauveur, ne marche point dans les ténèbres ; mais il possède la lumière de vie. » Hâtons-nous donc de nous placer dans cet heureux sentier frayé par celui qui est notre lumière et notre vie. Attachés à ses pas, nous avons gravi l’âpre montagne de la Quarantaine, et nous y avons été témoins des rigueurs de son jeûne ; désormais, en ces jours consacrés à sa Passion, il nous convie à le suivre sur une autre montagne, sur le Calvaire, où nous allons contempler ses douleurs et sa mort. Soyons fidèles au rendez-vous, et nous obtiendrons « la lumière de vie ».
ORAISON.
Humiliez vos têtes devant Dieu.
O Dieu ! qui aimez mieux faire paraître votre miséricorde que votre colère sur ceux qui espèrent en vous, donnez-nous de pleurer, comme nous le devons, les péchés que nous avons commis, afin que nous méritions de recevoir la grâce de votre consolation. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Terminons ces quatre premières semaines du Carême, en offrant à Marie, Mère de miséricorde, en ce jour du Samedi, cette gracieuse Prose de nos anciens Missels Romains‑Français.
SÉQUENCE.
Salut, Marie, pleine de grâce !
Le Seigneur est avec vous ô Vierge sereine !
Vous êtes bénie entre les femmes ; vous avez enfanté celui qui donne la paix aux hommes, et aux Anges la gloire.
Et béni est le fruit de vos entrailles, qui par sa grâce nous a faits ses cohéritiers.
Par cet Ave, si doux à la terre, vous avez enfanté contre les lois de la nature ; étoile, vous avez produit un nouveau soleil par un prodige nouveau.
Toujours vierge sans tache, vous avez été le temple de celui qui a réuni la petitesse et la grandeur, le Lion et l’Agneau, le Christ sauveur.
Reine des vierges, rose sans épines, vous êtes devenue la Mère de celui qui est Soleil et Rosée, Pain et Pasteur.
Vous êtes la cité du Roi de justice, la mère de miséricorde ; vous rendez Théophile à la vie de la grâce, en le tirant du bourbier de sa misère.
La cour céleste chante vos louanges ; vous êtes la mère et la fille du Roi ; par vous le coupable obtient le pardon ; par vous la grâce descend sur le juste.
Étoile de la mer, demeure du Verbe divin, aurore du Soleil ;
Porte du Paradis d’où la lumière se lève, suppliez votre Fils.
Qu’il nous délivre du péché, et qu’il nous place pour toujours au royaume de la splendeur, où la lumière luit à jamais. Amen.
[1] L’Église nous présente ce récit dans l’Évangile du XXIIIème Dimanche après la Pentecôte.