2e semaine de Carême

Dom Guéranger ~ Année liturgique
Deuxième semaine de carême


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2e DIMANCHE DE CARÊME

La sainte Église propose aujourd’hui à nos méditations un sujet d’une haute portée pour le temps où nous sommes. La leçon que le Sauveur donna un jour à trois de ses Apôtres, elle nous l’applique à nous-mêmes, en ce second Dimanche de la sainte Quarantaine. Efforçons-nous d’y être plus attentifs que ne le furent les trois disciples de notre Évangile, lorsque leur Maître daigna les préférer aux autres pour les honorer d’une telle faveur.

Jésus s’apprêtait à passer de Galilée en Judée pour se rendre à Jérusalem, où il devait se trouver pour la fête de Pâques. C’était cette dernière Pâque qui devait commencer par l’immolation de l’agneau figuratif, et se terminer par le Sacrifice de l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. Jésus ne devait plus être inconnu à ses disciples. Ses œuvres avaient rendu témoignage de lui, aux yeux même des étrangers ; sa parole si fortement empreinte d’autorité, sa bonté si attrayante, sa patience à souffrir la grossièreté de ces hommes qu’il avait choisis pour sa compagnie : tout avait dû contribuera les attacher à lui jusqu’à la mort. Ils avaient entendu Pierre, l’un d’entre eux, déclarer par un mouvement divin qu’il était le Christ, Fils du Dieu vivant [17] ; mais cependant l’épreuve qui se préparait allait être si redoutable pour leur faiblesse, que Jésus voulut, avant de les y soumettre, leur accorder encore un dernier secours, afin de les prémunir contre la tentation.

Ce n’était pas seulement, hélas ! pour la synagogue que la Croix pouvait devenir un sujet de scandale (1 Cor 1, 23) ; Jésus, à la dernière Cène, disait devant ses Apôtres réunis autour de lui : « Vous serez tous scandalisés, en cette nuit, à mon sujet (s. Mt 26, 31) ». Pour des hommes charnels comme eux, quelle épreuve de le voir traîné chargé de chaînes par la main des soldats, conduit d’un tribunal à l’autre, sans qu’il songe même à se défendre ; de voir réussir cette conspiration des Pontifes et des Pharisiens si souvent confondus par la sagesse de Jésus et par l’éclat de ses prodiges ; de voir le peuple qui tout à l’heure lui criait hosannah demander sa mort avec passion ; de le voir enfin expirer sur une croix infâme, entre deux larrons, et servir de trophée à toutes les haines de ses ennemis !

Ne perdront-ils pas courage, à l’aspect de tant d’humiliations et de souffrances, ces hommes qui depuis trois années se sont attachés à ses pas ? Se souviendront-ils de tout ce qu’ils ont vu et entendu ? La frayeur, la lâcheté ne glaceront-elles pas leurs âmes, au jour où vont s’accomplir les prophéties qu’il leur a faites sur lui-même ? Jésus du moins veut tenter un dernier effort sur trois d’entre eux qui lui sont particulièrement chers : Pierre, qu’il a établi fondement de son Église future, et à qui il a promis les clefs du ciel ; Jacques, le fils du tonnerre, qui sera le premier martyr dans le collège apostolique, et Jean son frère, qui est appelé le disciple bien-aimé. Jésus veut les mener à l’écart, et leur montrer, durant quelques instants, l’éclat de cette gloire qu’il dérobe aux yeux des mortels jusqu’au jour de la manifestation.

Il laisse donc les autres disciples dans la plaine, près de Nazareth, et se dirige, avec les trois préférés, vers une haute montagne appelée le Thabor, qui tient encore à la chaîne du Liban, et dont le Psalmiste nous a dit qu’elle devait tressaillir au nom du Seigneur (Ps 88, 13). A peine Jésus est-il arrivé sur le sommet de cette montagne que tout à coup, aux yeux étonnés des trois Apôtres, son aspect mortel disparaît ; sa face est devenue resplendissante comme le soleil ; ses vêtements si humbles ont pris l’éclat d’une neige éblouissante. Deux personnages dont la présence était inattendue sont là sous les yeux des Apôtres, et s’entretiennent avec leur Maître sur les souffrances qui l’attendent à Jérusalem. C’est Moïse, le législateur, couronné de rayons ; c’est Elie, le prophète, enlevé sur un char de feu, sans avoir passé par la mort. Ces deux grandes puissances de la religion mosaïque, la Loi et la Prophétie, s’inclinent humblement devant Jésus de Nazareth. Et non seulement les yeux des trois Apôtres sont frappés de la splendeur qui entoure leur Maître et qui sort de lui ; mais leur cœur est saisi d’un sentiment de bonheur qui les arrache à la terre. Pierre ne veut plus descendre de la montagne ; avec Jésus, avec Moïse et Elie, il désire y fixer son séjour. Et afin que rien ne manque à cette scène sublime, où les grandeurs de l’humanité de Jésus sont manifestées aux Apôtres, le témoignage divin du Père céleste s’échappe du sein d’une nuée lumineuse qui vient couvrir le sommet du Thabor, et ils entendent Jéhovah proclamer que Jésus est son Fils éternel.

Ce moment de gloire pour le Fils de l’homme dura peu ; sa mission de souffrances et d’humiliations l’appelait à Jérusalem. Il retira donc en lui-même cet éclat surnaturel ; et lorsqu’il rappela à eux les Apôtres, que la voix tonnante du Père avait comme anéantis, ils ne virent plus que leur Maître. La nuée lumineuse du sein de laquelle la parole d’un Dieu avait retenti s’était évanouie ; Moïse et Elie avaient disparu. Se souviendront-ils du moins de ce qu’ils ont vu et entendu, ces hommes honorés d’une si haute faveur ? La divinité de Jésus demeurera-t-elle désormais empreinte dans leur souvenir ? Quand l’heure de l’épreuve sera venue, ne désespéreront-ils pas de sa mission divine ? Ne seront-ils pas scandalisés de son abaissement volontaire ? La suite des Évangiles nous répond.

Peu de temps après, ayant célébré avec eux sa dernière Cène, Jésus conduit ses disciples sur une autre montagne, sur celle des Oliviers, à l’orient de Jérusalem. Il laisse à l’entrée d’un jardin le plus grand nombre d’entre eux ; et ayant pris avec lui Pierre, Jacques et Jean, il pénètre avec eux plus avant dans ce lieu solitaire. « Mon âme est triste jusqu’à la mort, leur dit-il ; demeurez ici, veillez un peu avec moi (s. Mt 26, 38). » Et il s’éloigne à quelque distance pour prier son Père. Nous savons quelle douleur oppressait en ce moment le cœur du Rédempteur. Quand il revient vers ses trois disciples, une agonie affreuse avait passé sur lui ; une sueur de sang avait traversé jusqu’à ses vêtements. Au milieu d’une crise si terrible, les trois Apôtres veillent-ils du moins avec ardeur, dans l’attente du moment où ils vont avoir à se dévouer pour lui ? Non ; ils se sont endormis lâchement ; car leurs yeux sont appesantis (s. Mt 26, 43). Encore un moment, et tous s’enfuiront, et Pierre, le plus ferme de tous, jurera qu’il ne le connaît pas.

Plus tard, les trois Apôtres, témoins de la résurrection de leur Maître, désavouèrent par un repentir sincère cette conduite honteuse et coupable ; et ils reconnurent la prévoyante bonté avec laquelle le Sauveur les avait voulu prémunir contre la tentation, en se faisant voir à eux dans sa gloire, si peu de temps avant les jours de sa Passion. Nous, chrétiens, n’attendons pas de l’avoir abandonné et trahi, pour reconnaître sa grandeur et sa divinité. Nous touchons à l’anniversaire de son Sacrifice ; nous aussi, nous allons le voir humilié par ses ennemis et écrasé sous la main de Dieu. Que notre foi ne défaille pas à ce spectacle ; l’oracle de David qui nous le représente semblable à un ver de terre (Ps 21, 7) que l’on foule aux pieds, la prophétie d’Isaïe qui nous le dépeint comme un lépreux, comme le dernier des hommes, l’homme de douleurs (Isaie 53, 4) : tout va s’accomplir à la lettre. Souvenons-nous alors des splendeurs du Thabor, des hommages de Moïse et d’Elie, de la nuée lumineuse, de la voix du Père immortel des siècles. Plus Jésus va s’abaissera nos yeux, plus il nous faut le relever par nos acclamations, disant avec la milice des Anges, et avec les vingt-quatre vieillards que saint Jean, l’un des témoins du Thabor, a entendus dans le ciel : « Il est digne, l’Agneau qui a été immolé, de recevoir la puissance et la divinité, la sagesse et la force, l’honneur, la gloire et la bénédiction ! (Ap 5, 12) »

Le deuxième Dimanche de Carême est appelé Reminiscere, du premier mot de l’Introït de la Messe, et quelquefois aussi le Dimanche de la Transfiguration, à cause de l’Évangile que nous venons d’exposer.

A LA MESSE.

L’Église, dans l’Introït, nous excite à la confiance en la miséricorde de Dieu, qui nous délivrera de nos ennemis, si nous l’invoquons du fond de notre cœur. Nous avons deux bienfaits à obtenir de lui, dans le Carême : le pardon de nos fautes, et sa protection pour n’y pas retomber.

INTROÏT

Souvenez-vous, Seigneur, de vos miséricordes, qui sont éternelles ; ne laissez jamais dominer sur nous nos ennemis : Dieu d’Israël, délivrez-nous de tous les maux, qui nous pressent.    Ps. Vers vous, ô mon Dieu ! j’ai élevé mon âme ; en vous j’ai mis ma confiance, je n’aurai point à en rougir. Gloire au Père. Souvenez-vous.

Dans la Collecte, nous implorons pour nos besoins intérieurs et extérieurs : Dieu nous accordera les uns et les autres, si notre prière est humble et sincère ; il veillera sur nos nécessités corporelles, et défendra nos âmes contre les suggestions de l’ennemi, qui cherche à souiller jusqu’à nos pensées.

COLLECTE

O Dieu ! qui voyez que nous n’avons de nous-mêmes aucune force, gardez-nous au dedans et au dehors, afin que notre corps soit préservé de toute adversité, et notre âme purifiée de toute pensée mauvaise. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

La seconde et la troisième Collecte comme au premier Dimanche de Carême

ÉPÎTRE
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Thessaloniciens. I, Chap. IV.

Mes Frères, nous vous supplions et nous vous conjurons dans le Seigneur Jésus, qu’ayant appris de nous comment vous devez marcher et plaire à Dieu, ainsi vous marchiez de telle sorte, que vous avanciez de plus en plus. Vous savez quels préceptes je vous ai donnés de la part du Seigneur Jésus. La volonté de Dieu est que vous soyez saints, que vous vous absteniez de la fornication, que chacun de vous sache posséder le vase de son corps dans la sainteté et l’honnêteté, et non dans la fougue des désirs, comme les Gentils, qui ignorent Dieu. Que personne aussi n’opprime son frère, ni ne lui fasse tort dans aucune affaire ; car le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés, ainsi que nous vous l’avons déclare et attesté. En effet, Dieu ne nous a pas appelés à être impurs, mais à être saints en Jésus-Christ notre Seigneur.

L’Apôtre insiste, en ce passage, sur la sainteté des mœurs qui doit reluire dans le chrétien ; et l’Église, qui nous propose ces paroles, avertit les fidèles de songer à profiter du temps où nous sommes pour rétablir en eux la pureté de l’image de Dieu, selon laquelle la grâce baptismale les avait produits. Le chrétien est un vase d’honneur, préparé et embelli par la main de Dieu ; qu’il se préserve donc de l’ignominie qui le dégraderait, et le rendrait digne d’être brisé et jeté sur le fumier avec les immondices. C’est la gloire du Christianisme d’avoir relevé l’homme jusqu’à faire participer le corps à la sainteté de l’âme ; mais sa doctrine céleste nous avertit en même temps que cette sainteté de l’âme s’altère et se perd par la souillure du corps. Relevons donc en nous l’homme tout entier, à l’aide des pratiques de cette sainte Quarantaine. Purifions notre âme par la confession de nos fautes, par la componction du cœur, par l’amour du Seigneur miséricordieux, et réhabilitons notre corps, en lui faisant porter le joug de l’expiation, afin que désormais il demeure le serviteur de l’âme et son docile instrument, jusqu’au jour où celle-ci, entrée en possession d’un bonheur sans fin et sans limites, versera sur lui la surabondance des délices dont elle sera inondée.

Dans le Graduel, l’homme, à la vue des périls qui le menacent, crie vers le Seigneur qui seul peut l’en affranchir, et lui donner la victoire sur l’ennemi intérieur dont il subit trop souvent les insultes.

Le Trait est un cantique inspiré par la confiance dans la divine miséricorde, et en même temps une demande que l’Église adresse à son Époux en faveur du peuple fidèle qu’il daignera visiter et sauver dans la grande Fête, si éloignée encore, mais vers laquelle cependant nous avançons chaque jour.

GRADUEL

Les tribulations de mon cœur se sont accrues ; Seigneur, délivrez-moi de mes nécessités.    V/. Voyez mon humiliation et mon labeur, et pardonnez-moi tous mes péchés.

TRAIT.

Célébrez le Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais.    V/. Qui racontera les effets de la puissance du Seigneur ? Qui publiera toutes ses louanges ?    V/. Heureux ceux qui gardent l’équité et pratiquent la justice en tout temps !    V/. Souvenez-vous de nous, Seigneur, dans votre amour pour votre peuple : visitez-nous pour nous sauver.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. XVII.

En ce temps-là, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les conduisit à part sur une haute montagne, et il fut transfiguré devant eux. Et sa face resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige. Et voici que Moïse et Élie leur apparurent, conversant avec lui. Pierre, s’adressait à Jésus, lui dit : Seigneur, il nous est bon d’être ici : si vous le voulez, faisons-y trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie Comme il parlait encore, une nuée lumineuse vint les couvrir. Et voilà que de la nuée sortit une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu : écoutez-le. Et les disciples entendant cette voix, tombèrent sur leur face, et furent saisis d’une grande frayeur. Et Jésus, s’approchant d’eux, les toucha et leur dit : Levez-vous, et ne craignez point. Alors, levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul. Et comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur fit ce commandement : Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.

C’est ainsi que le Sauveur venait en aide à ses Apôtres à la veille de l’épreuve, et cherchait à imprimer profondément son image glorieuse dans leur pensée, pour le jour où l’œil de la chair n’apercevrait plus en lui que faiblesse et ignominie. O prévoyance de la grâce divine qui ne manque jamais à l’homme, et qui justifie toujours la bonté et la justice de Dieu ! Comme les Apôtres, nous avons péché ; comme eux, nous avons négligé le secours qui nous avait été envoyé du ciel, nous avons fermé volontairement les yeux à la lumière, nous avons oublié son éclat qui d’abord nous avait ravis, et nous sommes tombés. Nous n’avons donc point été tentés au delà de nos forces (1 Cor 10, 13), et nos péchés nous appartiennent bien en propre. Les trois Apôtres furent exposés à une violente tentation, au jour où leur Maître sembla avoir perdu toute sa grandeur ; mais il leur était facile de se fortifier par un souvenir glorieux et récent. Loin de là, ils se laissèrent abattre, ils ne songèrent point à renouveler leur courage dans la prière ; et les fortunés témoins du Thabor se montrèrent lâches et infidèles au Jardin des Oliviers. Il ne leur resta plus d’autre ressource que de se recommander à la clémence de leur Maître, quand il eut triomphé de ses méprisables ennemis ; et ils obtinrent leur pardon de son cœur généreux.

Nous aussi, venons à notre tour implorer cette miséricorde sans bornes. Nous avons abusé de la grâce divine ; nous l’avons rendue stérile par notre infidélité. La source de cette grâce, fruit du sang et de la mort du Rédempteur, n’est point encore tarie pour nous, tant que nous vivons en ce monde ; préparons-nous à y puiser de nouveau. C’est elle déjà qui nous sollicite à l’amendement de notre vie. Cette grâce, elle descend sur les âmes avec abondance au temps où nous sommes ; elle est renfermée principalement dans les saints exercices du Carême. Élevons-nous sur la montagne avec Jésus ; à cette hauteur, on n’entend déjà plus les bruits de la terre. Établissons-y notre tente pour quarante jours en la compagnie de Moïse et d’Elie qui, comme nous et avant nous, sanctifièrent ce nombre par leurs jeûnes ; et, quand le Fils de l’homme sera ressuscité d’entre les morts, nous publierons les faveurs qu’il daigna nous accorder sur le Thabor.

L’Église, dans l’Offertoire, nous avertit de méditer les commandements divins. Puissions-nous les aimer comme les aima le Roi-Prophète, dont nous répétons ici les paroles !

OFFERTOIRE

Je méditerai vos préceptes, pour lesquels j’ai conçu un amour ardent, et j’étendrai mes mains vers vos commandements que je chéris.

Puisons dans l’assistance au saint Sacrifice cette dévotion dont il est la source, comme l’Église le demande pour nous dans la Secrète. Cette hostie qui va s’offrir bientôt est le gage et la rançon de notre salut ; par elle nos cœurs fidèlement préparés obtiendront ce qui leur manquerait encore pour être réconciliés au Seigneur.

SECRÈTE

Daignez regarder favorablement, Seigneur, le présent Sacrifice, afin qu’il serve à l’accroissement de notre dévotion et à notre salut. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

    La seconde et la troisième Secrète comme au premier Dimanche de Carême.

A la vue de celui qui est son Sauveur et son juge, rendu présent dans cet ineffable mystère, l’âme pénitente crie vers lui avec ardeur et avec confiance. Telle est l’intention des paroles du Psalmiste qui forment l’Antienne de la Communion.

COMMUNION

Entendez mes cris, écoutez la voix de ma prière, ô mon Roi et mon Dieu ! car c’est à vous que j’adresse mes vœux, Seigneur.

L’Église recommande spécialement à Dieu, dans la Postcommunion, ceux de ses enfants qui ont participé à la victime qu’elle vient d’offrir. Jésus les a nourris de sa propre chair ; il est juste qu’ils lui fassent honneur par le renouvellement de leur vie.

POSTCOMMUNION

Dieu tout-puissant, nous vous supplions humblement de faire que ceux que vous nourrissez de vos Sacrements vous servent dignement par une conduite qui vous soit agréable. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

    La seconde et la troisième Postcommunion comme au premier Dimanche de Carême.

   Nous achèverons la journée en récitant cette belle prière que le Bréviaire Mozarabe nous fournit pour ce Dimanche :

O Christ ! ô Dieu, source, principe éternel de la lumière ! vous qui avez voulu que le septième jour fût consacré plutôt a la sanctification de nos âmes qu’au travail, nous cherchons aujourd’hui votre face ; mais les ténèbres habituelles de notre conscience nous retiennent ; nous nous efforçons de nous relever, mais nous retombons dans la tristesse. Ne rejetez pas cependant ceux qui vous cherchent, vous qui avez daigné apparaître à ceux qui ne vous cherchaient pas. Nous voici en devoir de vous payer la dîme de nos jours, dans cette saison de l’année, et déjà nous avons accompli la septième journée de cette dîme ; donnez-nous secours pour continuer cette route laborieuse, afin que nous puissions vous offrir un service sans tache. Soulagez nos fatigues par le sentiment de votre amour, et réveillez la lâcheté de nos sens par la ferveur de votre dilection ; afin qu’en vous notre vie soit exempte de chute, et que notre foi trouve sa récompense.

LUNDI

LA MESSE

La Station est dans l’Église de Saint-Clément, Pape et Martyr. De toutes les Églises de Rome elle est celle qui a le plus conservé l’antique disposition des premières basiliques chrétiennes. Sous son autel repose le corps du saint Patron, avec les restes de saint Ignace d’Antioche et du consul saint Flavius Clémens.

COLLECTE

Daignez faire, ô Dieu tout-puissant ! que vos fidèles qui, pour mortifier leur chair, se privent dans leur nourriture, jeûnent aussi du péché, en pratiquant la justice. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

LEÇON
Lecture du prophète Daniel. Chap. IX.

En ces jours-là, Daniel fit cette prière au Seigneur : Seigneur notre Dieu, qui avez tiré votre peuple de la terre d’Égypte par la force de votre bras, et qui en le faisant vous êtes acquis une gloire qui dure jusqu’aujourd’hui ; nous avons péché, nous avons commis l’iniquité, Seigneur, en enfreignant tous vos justes préceptes. Détournez, je vous en conjure, votre colère et votre fureur de Jérusalem, votre cité, et de votre montagne sainte. C’est à cause de nos pèches et des iniquités de nos pères, que Jérusalem et votre peuple sont en opprobre aujourd’hui à toutes les nations qui nous environnent. Maintenant donc, Seigneur notre Dieu, exaucez la prière de votre serviteur et ses supplications ; faites paraître votre face sur votre Sanctuaire abandonné : faites-le pour vous-même. Inclinez votre oreille, ô mon Dieu ! et écoutez ; ouvrez les yeux, et considérez notre désolation et cette ville qui est connue par votre Nom ; car ce n’est point par confiance en notre justice que nous humilions nos prières devant votre face, mais c’est en songeant à la multitude de vos miséricordes. Exaucez, Seigneur ; apaisez-vous. Seigneur : considérez et agissez. Pour l’amour de vous-même, ne différez pas, mon Dieu, parce que cette cité et ce peuple qui est à vous ont l’honneur de porter votre Nom, ô Seigneur notre Dieu !

    Cette lamentable supplication que Daniel adressait à Dieu du sein de la captivité de Babylone fut exaucée ; et après soixante-dix ans d’exil, Israël revit sa patrie, releva le Temple du Seigneur, et reprit le cours de ses destinées merveilleuses. Mais voici qu’aujourd’hui encore, et depuis dix-huit siècles, ces tristes paroles du Prophète sont à peine l’expression suffisante de la nouvelle désolation qui est venue fondre sur Israël. La fureur de Dieu est sur Jérusalem, les ruines mêmes du temple ont péri, le peuple toujours vivant est dispersé par toute la terre et donné en spectacle aux nations. Une malédiction pèse sur lui ; il est errant comme Caïn ; et Dieu veille à ce qu’il ne soit jamais anéanti. Terrible problème pour la science rationaliste ; mais pour le chrétien, châtiment toujours visible du plus grand des forfaits. Telle est l’explication de ce phénomène : « La lumière est venue au milieu des ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise (S. Jean 1, 5). » Si les ténèbres eussent accepté la lumière, aujourd’hui elles ne seraient plus ténèbres ; mais il n’en fut pas ainsi : Israël a mérité son abandon. Plusieurs de ses fils ont consenti à reconnaître le Juste, et ils sont devenus enfants de la lumière ; et c’est même par eux que la lumière s’est levée sur le monde entier. Quand le reste d’Israël ouvrira-t-il les yeux ? Quand ce peuple consentira-t-il à adresser au Seigneur la prière de Daniel ? Il la possède, il la lit souvent : et elle ne pénètre point jusqu’à son cœur fermé par l’orgueil. Nous, les derniers venus de la famille, prions pour nos aînés. Quelques-uns d’entre eux, chaque année, se séparent de la masse maudite ; ils viennent demander à Jésus de les admettre dans le nouvel Israël. Que leur arrivée soit bénie ; et daigne le Seigneur, dans sa bonté, faire que leur nombre s’accroisse de plus en plus, afin que toute créature humaine adore en tous lieux le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, avec son Fils Jésus-Christ qu’il a envoyé !

ÉVANGILE
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. VIII.

En ce temps-là, Jésus dit à la foule des Juifs : Je m’en vais, et vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. Où je vais, vous ne pouvez venir. Les Juifs disaient : Se tuera-t-il lui-même, qu’il dit : Où je vais, vous ne pouvez venir ? Et il leur dit : Vous êtes d’ici-bas : moi je suis d’en haut. Vous êtes de ce monde ; moi je ne suis pas de ce monde. Je vous ai dit que vous mourriez dans votre péché ; car si vous ne croyez pas à ce que je suis, vous mourrez dans votre péché. Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous ? Jésus leur dit : Le Principe, moi-même qui vous parle. J’ai beaucoup de choses à dire de vous et à juger en vous ; mais celui qui m’a envoyé est vrai, et moi ce que j ai entendu de lui, je le dis dans ce monde. Et ils ne comprirent point qu’il disait que son Père était Dieu. Jésus donc leur dit : Lorsque vous aurez élevé en haut le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez qui je suis, et que je ne fais rien de moi-même, et que je parle selon ce que mon Père m’a enseigné. Et celui qui m’a envoyé est avec moi, et il ne m’a point laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable.

Je m’en vais : parole terrible ! Jésus est venu pour sauver ce peuple ; il n’a rien épargné pour lui prouver son amour. Ces jours derniers, nous l’avons vu repousser durement la Chananéenne, et dire qu’il n’est venu que pour les brebis perdues de la maison d’Israël ; et ces brebis perdues méconnaissent leur pasteur. Il avertit les Juifs qu’il va se retirer bientôt, et qu’ils ne pourront le suivre où il va : cette parole ne les éclaire pas. Ses œuvres attestent qu’il est venu du ciel ; mais eux ne songent qu’à la terre. Toute leur espérance est dans un Messie terrestre et glorieux à la façon des conquérants. C’est donc en vain que Jésus passe au milieu d’eux en faisant le bien (Act 10, 38), en vain que la nature est soumise à ses lois, en vain que sa sagesse et sa doctrine surpassent tout ce que les hommes ont entendu de plus sublime ; Israël est sourd, il est aveugle. Les plus farouches passions fermentent dans son cœur ; elles ne seront satisfaites que le jour où la Synagogue pourra laver ses mains dans le sang du Juste. Mais en ce jour, la mesure sera comblée, et la colère de Dieu fera un exemple qui doit retentir dans tous les siècles. On frissonne en songeant aux horreurs de ce siège de Jérusalem, de cette extermination de la ville et du peuple qui avaient demandé la mort de Jésus. Le Sauveur lui-même nous dit que depuis le commencement du monde il n’y avait jamais eu un si affreux désastre, et que la suite des siècles n’en verra pas un pareil. Dieu est patient ; il attend avec longanimité ; mais quand sa fureur si longtemps contenue vient à éclater, elle entraîne tout, et les monuments de ses vengeances sont l’effroi de toutes les générations qui viennent après. O pécheurs, qui jusqu’aujourd’hui n’avez tenu aucun compte des avertissements de l’Église, qui n’avez pas songé encore à convertir votre cœur au Seigneur votre Dieu, tremblez à cette parole : Je m’en vais. Si ce Carême passe comme les autres, sans vous avoir changés. sachez que cette menace vous regarde : Vous mourrez dans votre péché. Voulez-vous aussi demander la mort du Juste, dans quelques jours ? crierez-vous aussi : Qu’il soit crucifié ? Prenez-y garde : il a brisé un peuple entier, un peuple qu’il avait comblé de faveurs, qu’il avait protégé et sauvé mille fois ; ne vous flattez pas qu’il vous ménage. Il faut qu’il triomphe ; si ce n’est par la miséricorde, ce sera par la justice.

ORAISON.

Humiliate capita vestra Deo.
Humiliez vos têtes devant Dieu.

Dieu tout-puissant, soyez attentif à nos supplications, et daignez accorder l’effet de votre miséricorde accoutumée à ceux à qui vous donnez la confiance de l’espérer de votre bonté. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

 

Nous plaçons, aujourd’hui et les jours suivants, la belle Hymne de Prudence sur le Jeûne. Comme elle est d’une grande longueur, nous la partageons en fragments, réservant pour le Lundi de la semaine de la Passion ce qui a rapport à la pénitence de Ninive. Cette Hymne, en usage autrefois, pour quelques-unes de ses strophes, dans plusieurs Églises de la Liturgie Romaine, est employée tout entière au Bréviaire Mozarabe.

HYMNE

O Fils de Nazareth, astre de Bethléhem, Verbe du Père, toi qu’enfanta pour nous un sein virginal ; ô Christ ! agrée nos chastes abstinences. O Roi ! nous t’offrons la victime du jeûne : d’un œil serein regarde notre fête.

Rien de plus saint que ce rite mystérieux qui purifie la fibre vivante du cœur, qui dompte l’intempérance jusque dans son siège, de peur que la plénitude du corps n’étouffe l’ardeur de l’esprit.

Le jeûne subjugue la liberté des sens et la gourmandise honteuse ; l’assoupissement que produisent le vin et le sommeil, la licence qui souille, la mollesse impudente, tous les vices de notre nature paresseuse y ressentent le joug d’une étroite discipline.

Si l’homme se laisse aller sans frein au manger et au boire, s’il ne contient ses membres par le jeûne, la noble flamme de l’esprit s’attiédit bientôt ; elle s’amoindrit dans des jouissances qui la flétrissent ; l’âme s’endort dans la lâcheté du corps.

Refrénons donc le désir de la chair ; que la prudence se ravive et brille au dedans de nous-mêmes ; la pointe de notre esprit s’aiguisera, l’âme aspirera d’un souffle plus libre, et sa prière s’adressera plus dignement à celui qui l’a créée.

MARDI

La Station est dans l’Église de Sainte-Balbine. Cette vierge romaine était fille du tribun Quirinus, qui souffrit le martyre sous le pontificat du pape saint Alexandre, au second siècle. Elle consacra à Dieu sa virginité, et vécut dans les bonnes œuvres jusqu’à son heureuse mort.

LA MESSE

COLLECTE

Continuez de nous assister, Seigneur, dans l’observation de ce saint jeûne, afin que par votre secours nous accomplissions cette œuvre que nous avons appris à faire par votre exemple. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

LEÇON
Lecture du livre des Rois. III, Chap. XVII.

En ces jours-là, la parole du Seigneur se fit entendre à Élie de Thesbé, et lui dit : Lève-toi et va à Sarepta, dans la terre de Sidon, et tu y demeureras : car j’ai commandé à une femme veuve de cette ville d’avoir soin de te nourrir. Élie se leva et alla à Sarepta. Et lorsqu’il fut arrivé à la porte de la ville, il aperçut une femme veuve qui ramassait du bois, et l’ayant appelée, il lui dit : Donne-moi un peu d’eau dans un vase, afin que je boive. Comme elle allait lui en chercher, il lui cria par derrière : Apporte-moi aussi dans ta main une bouchée de pain. Elle lui répondit : Vive le Seigneur votre Dieu ! En fait de pain, je n’ai qu’un peu de farine dans un pot, autant qu’il en peut tenir dans le creux de la main, et un peu d’huile dans un petit vase. Je suis à ramasser deux morceaux de bois, afin d’apprêter ce peu de chose à moi et à mon fils, pour manger et mourir ensuite. Élie lui dit : Ne crains pas : va et fais comme tu as dit ; mais auparavant fais pour moi de ce petit reste de farine un pain cuit sous la cendre, et apporte-le-moi ; tu en feras après cela pour toi et pour ton fils. Car voici ce que dit le Seigneur Dieu d’Israël : La farine qui est dans ce pot ne finira point, et l’huile du petit vase ne diminuera point jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie sur la terre. Elle alla, et elle fit selon la parole d’Élie. Il mangea, et elle aussi, avec toute sa maison ; et depuis ce jour, la farine du petit pot ne manqua point, ni l’huile du petit vase ne diminua, selon la parole que le Seigneur avait prononcée par Élie.

L’instruction des Catéchumènes se poursuit, à l’aide des faits évangéliques qui vont se développant de jour en jour ; et l’Église continue de prendre dans l’Ancien Testament les indices prophétiques qui se réaliseront dans la malédiction des Juifs et la vocation des Gentils. Aujourd’hui, c’est Élie, ce personnage mystérieux qui nous tient fidèle compagnie pendant le Carême ; c’est lui qui vient mettre en action les jugements que Dieu portera un jour sur son peuple ingrat. Une sécheresse de trois ans a réduit aux abois le royaume d’Israël, sans qu’il ait songé à se convertir au Seigneur. Élie cherche encore quelqu’un qui veuille le nourrir. Nourrir le Prophète de Dieu, c’est une grande faveur, car Dieu est avec lui. Cet homme de miracle se dirigera-t-il vers quelque maison du royaume d’Israël ? Passera-t-il dans la terre de Juda ? Non ; il se tourne vers les régions de la gentilité ; c’est au pays de Sidon qu’il se rend, à Sarepta, chez une pauvre veuve. C’est chez cette humble femme qu’il transporte la bénédiction d’Israël. Le Sauveur lui-même a relevé cette circonstance, où paraît si visiblement la justice de Dieu contre les Juifs et sa miséricorde envers nous. « En vérité, je vous le dis, il y avait dans Israël beaucoup de veuves au temps d’Élie ; et cependant il ne fut envoyé à aucune d’elles, mais bien à la veuve de Sarepta, dans la terre de Sidon  (s. Luc 4, 25). »

Cette pauvre femme est donc le type de la gentilité appelée à la foi. Aussi, voyons quels caractères frappants nous présente cette histoire symbolique. Il s’agit d’une veuve sans appui, sans protection ; c’est la gentilité délaissée, n’ayant personne qui la défende contre l’ennemi du genre humain. Pour nourrir la mère et l’enfant, il ne reste plus qu’un peu de farine et un peu d’huile, après quoi il faudra mourir ; c’est l’image de l’affreuse disette de vérités que souffrait le monde païen, dont la vie était près de s’éteindre quand l’Évangile lui fut annoncé. Dans cette extrémité, la veuve de Sarepta reçoit le Prophète avec humanité et confiance ; elle ne doute point de sa parole, et elle est sauvée, elle et son fils. C’est ainsi que la gentilité accueillit les Apôtres, lorsque, secouant la poussière de leurs pieds, ils se virent contraints de tourner le dos à l’infidèle Jérusalem. Nous voyons la veuve tenant dans ses mains deux morceaux de bois ; ce double bois, au jugement de saint Augustin, de saint Césaire d’Arles et de saint Isidore de Séville, échos de la tradition primitive du christianisme, est la figure de la Croix. Avec ce bois, la veuve cuit le pain qui doit la nourrir, parce que c’est de la Croix que procède pour les gentils la nourriture et la vie, par Jésus qui est le Pain vivant. Tandis qu’Israël demeure dans la disette et la sécheresse, l’Église des Gentils ne voit défaillir en son sein ni la farine du froment céleste, ni l’huile, symbole de force et de douceur. Gloire soit donc à Celui qui nous a appelés du sein des ténèbres à l’admirable lumière (1 s. Pierre 2, 9) de la foi ! Mais tremblons à la vue des malheurs que l’abus des grâces a attirés surtout un peuple. Si la justice de Dieu n’a pas reculé devant la réprobation d’une nation, s’arrêtera-t-elle devant notre endurcissement volontaire ?

ÉVANGILE
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. XXIII.

En ce temps-là, Jésus, s’adressant à la foule et à ses disciples, leur dit : Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse : observez donc et faites tout ce qu’ils vous disent ; mais ne faites pas selon leurs œuvres ; car ils disent et ne font pas. Ils lient et placent sur les épaules des hommes des fardeaux pesants et insupportables, qu’ils ne veulent pas même remuer du doigt. Ils font leurs œuvres pour être vus des hommes, ils portent des phylactères plus larges et des franges plus longues. Ils aiment les premières places dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues, et qu’on les salue dans les lieux publies, et que les hommes les appellent Maître. Mais vous, ne recherchez point à être appelés Maître ; car il n’y a qu’un Maître pour vous, et vous êtes tous frères. N’appelez Père qui que ce soit sur la terre ; car vous n’avez qu’un Père, qui est dans les cieux. Qu’on ne vous appelle pas non plus Maîtres ; car vous n’avez qu’un Maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur ; mais quiconque s’élèvera sera abaissé ; et quiconque s’abaissera sera élevé.

Les docteurs de la Loi sont encore assis sur la chaire de Moïse ; Jésus veut qu’on écoute leur enseignement. Mais cette chaire, qui est une chaire de vérité, malgré l’indignité de ceux qui y sont assis, ne restera plus longtemps au sein d’Israël. Caïphe prophétisera encore, parce qu’il est pontife en cette année ; mais sa chaire, qu’il a souillée par d’indignes passions, va bientôt être enlevée et transférée au milieu de la gentilité. Jérusalem, qui aura renié le divin libérateur, va perdre ses honneurs ; et bientôt Rome, le centre de la puissance païenne, verra s’élever dans ses murs cette même chaire qui était la gloire d’Israël, du haut de laquelle se proclamaient les prophéties si visiblement accomplies en Jésus. Cette chaire ne sera plus ébranlée désormais, quelle que soit la fureur des portes de l’enfer ; elle sera toujours l’espoir fidèle des nations qui recevront d’elle l’indéfectible témoignage de la vérité. C’est ainsi que le flambeau de la foi qui luisait dans Jacob a été déplacé, mais ne s’est pas éteint. Jouissons de sa lumière, et méritons par notre humilité que ses rayons viennent toujours jusqu’à nous.

Quelle a été la cause de la perte d’Israël ? Son orgueil. Il s’est complu dans les dons que Dieu avait accumulés sur lui ; il n’a pas voulu reconnaître un Messie dépourvu de toute gloire humaine ; il s’est révolté d’entendre dire à Jésus que les Gentils participeraient au salut, et il a voulu, par le plus grand des forfaits, étouffer cette voix qui lui reprochait la dureté de son cœur. Ces hommes superbes, à la veille du jour de la vengeance divine, que tout leur annonce être prochain, n’ont rien perdu de leur arrogance. C’est toujours le même faste, le même mépris impitoyable pour les pécheurs. Le Fils de Dieu s’est fait le fils de l’homme ; il est notre maître, et c’est lui qui nous sert ; apprenons à cet exemple le prix de l’humilité. Si on nous nomme Maître, si on nous appelle Père, n’oublions pas que nul n’est maître, que nul n’est père que par le Seigneur notre Dieu. Le maître digne de ce nom est celui par la bouche duquel Jésus-Christ enseigne ; et celui-là seul est vraiment père qui reconnaît que son autorité paternelle ne vient que de Dieu ; car, comme le dit l’Apôtre, « c’est du Père de notre Seigneur Jésus-Christ que découle toute paternité au ciel et sur la terre (2 Eph 3, 14) ».

ORAISON.

Humiliate capita vestra Deo.
Humiliez vos têtes devant Dieu.

Soyez propice à nos supplications, Seigneur, et guérissez les langueurs de nos âmes ; afin que, ayant reçu le pardon de nos péchés, nous ressentions toujours la joie de votre bénédiction. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Nous continuons aujourd’hui l’Hymne du prince des poètes chrétiens, que nous avons commencé de lire hier.

HYMNE

L’observance du jeûne ajouta encore à la grandeur d’Élie, ce vieux prêtre, hôte d’un désert aride. Ce prophète, fuyant le bruit des cités et la vue de tant de crimes, goûtait le tranquille silence de la solitude.

Mais bientôt il s’envola dans les airs, entraîné par des chevaux de feu sur un char rapide, de peur que le monde, trop voisin encore, n’exhalât la contagion de ses vices sur cet homme paisible qu’illustrait la rigueur des jeûnes qu’il avait accomplis.

Moïse, fidèle interprète du trône redoutable, ne put contempler le Roi du ciel aux sept régions, avant que le soleil, dans sa course à travers le firmament, ne l’eût revu quarante fois privé de toute nourriture.

Il priait, et son seul aliment étaient ses larmes. Il veillait, et son front pressait la terre arrosée de ses pleurs, jusqu’à ce que, averti par la voix de Dieu, son regard tremblant se dirigea vers ce feu dont il ne pouvait supporter l’éclat.

Jean, qui fut le précurseur du Fils du Dieu éternel, ne fut pas moins puissant dans le jeûne, lui qui abaissa les sentiers raboteux et redressa les voies tortueuses, enseignant aux hommes la voie droite qu’ils avaient à suivre.

Il préparait à son tour les mortels à l’observance du jeûne, ce messager chargé d’ouvrir un chemin au Dieu qui allait venir, enseignant que les montagnes devaient s’aplanir, les voies rocailleuses s’adoucir, afin que la Vérité, descendant sur la terre, ne rencontrât plus aucun sentier négligé.

Sa naissance eut lieu contre les lois ordinaires de la nature : enfant tardivement mis au jour, il suça les mamelles d’une mère au sein de laquelle le lait était tari ; mais sa vieille mère ne l’avait pas encore mis au jour que déjà l’enfant avait annoncé la Vierge qui portait Dieu.

Bientôt il se retira dans un vaste désert ; il se couvrit de peaux de bête au poil dur et hérissé, à la laine grossière, fuyant avec horreur la souillure que produisent les mœurs impures des cités.

Là, se livrant à la règle de l’abstinence, cet homme aux mœurs sévères renvoyait au soir la nourriture et le breuvage, ne donnant à son corps pour aliment que des sauterelles et quelques gouttes de miel sauvage.

Le premier, il prêcha ; le premier, il enseigna le salut nouveau ; ce fut lui qui clans le fleuve sacre purifia les taches qui longtemps avaient souillé les consciences ; mais s’il lavait ainsi les membres des pécheurs, l’Esprit devait bientôt du haut du ciel répandre ses influences dans leurs cœurs.

MERCREDI

La Station est dans la basilique de Sainte-Cécile. Ce temple auguste, l’un des plus vénérables de Rome, fut autrefois la maison de l’illustre Vierge et Martyre dont il porte le nom. Le corps de sainte Cécile y repose sous l’autel majeur, avec ceux des saints Valérien, Tiburce et Maxime, et des pontifes martyrs Urbain et Lucius.

LA MESSE

COLLECTE.

Daignez, Seigneur, regarder favorablement votre peuple, et faites que ceux auxquels vous ordonnez l’abstinence des viandes, s’abstiennent aussi des vices qui nuisent à leurs âmes. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

LEÇON
Lecture du livre d’Esther. Chap. XIII.

En ces jours-là, Mardochée fit sa prière au Seigneur et lui dit : Seigneur, Seigneur, Roi tout-puissant, tout est soumis à votre empire, et nul ne peut résister à votre volonté, si vous avez résolu de sauver Israël. Vous avez fait le ciel et la terre, et tout ce qui est sous le ciel ; vous êtes le Seigneur de toutes choses, et rien ne résiste à votre Majesté. Maintenant donc, Seigneur Roi, Dieu d’Abraham, ayez pitié de votre peuple, parce que nos ennemis ont résolu de nous perdre et d’exterminer votre héritage. Ne méprisez pas ce peuple que vous avez racheté de l’Égypte pour être à vous. Exaucez ma prière, et soyez propice à la nation qui est devenue votre partage. Changez notre deuil en joie, afin que, conservant la vie, nous puissions louer votre Nom : et ne fermez pas la bouche de ceux qui célèbrent vos louanges, ô Seigneur notre Dieu !

Ce cri, poussé vers le ciel en faveur d’un peuple condamné à périr tout entier, représente les supplications des justes de l’Ancien Testament pour le salut du monde. Le genre humain était en butte à la rage de l’ennemi infernal figuré par Aman. Le Roi des siècles avait prononcé l’arrêt fatal : Vous mourrez de mort. Qui pouvait désormais faire révoquer la sentence ? Esther l’osa auprès d’Assuérus, et elle fut écoutée. Marie s’est présentée devant le trône de l’Éternel ; et c’est elle qui, par son Fils divin, écrase la tête du serpent auquel nous devions être livrés. L’arrêt sera donc annulé, et nul ne mourra, si ce n’est ceux qui voudront mourir. L’Église aujourd’hui, émue des dangers auxquels est en proie un si grand nombre de ses enfants, qui si longtemps ont vécu dans le poché, intercède pour eux, en empruntant la prière de Mardochée. Elle supplie son Époux de se rappeler qu’autrefois il les tira de la terre d’Égypte ; qu’ils sont devenus par le baptême les membres de Jésus-Christ, l’héritage du Seigneur. Elle le conjure de remplacer leur deuil par les joies pascales, et de ne pas fermer par la mort ces bouches trop souvent coupables, mais qui aujourd’hui ne s’ouvrent que pour demander grâce, et qui, lorsque le pardon sera descendu, éclateront en cantiques de reconnaissance envers le divin libérateur.

ÉVANGILE
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. XX.

En ce temps-là, Jésus, montant à Jérusalem, prit à part ses douze disciples et leur dit : Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livre aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort, et le livreront aux gentils pour être moqué, et flagellé, et crucifie : et il ressuscitera le troisième jour. Alors la mère des enfants de Zébédée s’approcha de lui avec ses fils, et elle se prosterna pour lui faire une demande. Il lui dit : Que voulez-vous ? Elle répondit : Ordonnez que mes deux fils que voici soient assis, l’un à votre droite et l’autre à votre gauche dans votre royaume. Jésus leur dit : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? Ils lui répondirent : Nous le pouvons. Il leur dit : Vous boirez en effet mon calice ; mais d’être assis à ma droite ou à ma gauche, il ne dépend pas de moi de vous le donner ; mais ceci est pour ceux à qui mon Père l’a préparé. Les dix autres, entendant cela, s’indignèrent contre les deux frères ; mais Jésus, les appelant à soi, leur dit : Vous savez que les princes des nations les dominent, et que les grands exercent la puissance sur elles. Il n’en sera pas ainsi parmi vous ; mais que celui qui voudra être le plus grand parmi vous soit votre serviteur, et que celui qui voudra être le premier parmi vous soit votre esclave : de même que le Fils de l’homme n’est point venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour racheter celle de plusieurs.

Le voici devant nous celui qui s’est dévoué pour apaiser la colère du Roi des siècles et pour sauver son peuple de la mort. C’est lui, le fils de la nouvelle Esther et aussi le Fils de Dieu, qui s’approche pour briser l’orgueil d’Aman, au moment même où ce perfide croit triompher. Il se dirige vers Jérusalem, car c’est là que doit se donner le grand combat. Il avertit ses disciples de tout ce qui va se passer. Il sera livré aux princes des prêtres, qui le déclareront digne de mort ; ceux-ci le mettront au pouvoir du gouverneur et des soldats romains. Il sera couvert d’opprobres, flagellé et crucifié ; mais, le troisième jour, il ressuscitera glorieux. Les Apôtres entendirent tous cette prophétie que Jésus leur fit, les ayant tirés à part ; car l’Évangile nous dit que ce fut aux douze qu’il parla. Judas était présent, et aussi Pierre, Jacques et Jean, que la transfiguration de leur Maître sur le Thabor avait mieux instruits que les autres de la sublime dignité qui résidait en lui. Et cependant tous l’abandonnèrent. Judas le vendit, Pierre le renia, et la terreur dispersa le troupeau tout entier, lorsque le Pasteur fut en butte à la violence de ses ennemis. Nul ne se souvint qu’il avait annoncé sa résurrection pour le troisième jour, si ce n’est peut-être Judas, que cette pensée rassura, quand une basse cupidité lui fit commettre la trahison. Tous les autres ne virent que le scandale de la croix ; et c’en fut assez pour éteindre leur foi et pour les faire rompre avec leur Maître. Quelle leçon pour les chrétiens de tous les siècles ! Combien elle est rare, cette estime de la croix qui la fait considérer, pour soi-même et pour les autres, comme le sceau de la prédilection divine !

Hommes de peu de foi, nous nous scandalisons des épreuves de nos frères, et nous sommes tentés de croire que Dieu les a abandonnés parce qu’il les afflige ; hommes de peu d’amour, la tribulation de ce monde nous semble un mal, et nous regardons comme une dureté de la part du Seigneur ce qui est pour nous le comble de sa miséricorde. Nous sommes semblables à la mère des fils de Zébédée : il nous faut près du Fils de Dieu une place glorieuse, apparente, et nous oublions que, pour la mériter, il faut boire le calice qu’il a bu lui-même, le calice de la Passion. Nous oublions aussi la parole de l’Apôtre, « que pour entrer en part avec Jésus dans sa gloire, il faut avoir goûté à ses souffrances (Rom 8, 17) » ! Le Juste n’est point entré dans son repos par les honneurs et parles délices ; le pécheur ne l’y suivra point sans avoir traversé la voie de l’expiation.

ORAISON.

Humiliate capita vestra Deo.
Humiliez vos têtes devant Dieu.

O Dieu ! ami et réparateur de l’innocence, tournez vers vous les cœurs de vos serviteurs, afin qu’ayant conçu la ferveur de votre Esprit, ils soient trouvés stables dans la foi et actifs dans les œuvres. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Le poète chrétien continue de célébrer le mérite du jeûne, qu’il nous montre aujourd’hui sanctifié par l’exemple de Jésus-Christ lui-même.

HYMNE.

Pourquoi citerai-je en faveur du jeûne l’exemple d’un peuple ancien, quand nous savons que Jésus, vivant encore sous le poids de ses membres mortels, jeûna autrefois, malgré la sainteté de son cœur, lui annoncé par la bouche du Prophète comme l’Emmanuel, le Dieu avec nous ?

Lui qui, par la loi sévère de la vertu, a rendu libre notre corps, dont la nature est la mollesse, et que le joug facile des voluptés tenait captif ; lui qui a émancipe sa créature jusqu’alors asservie ; lui vainqueur des appétits qui régnaient alors ?

Retiré à l’écart dans un lieu inhospitalier, il se refuse pendant quarante jours le bienfait de la nourriture, fortifiant par un jeûne salutaire ce corps dont la faiblesse aspire aux jouissances.

L’ennemi s’étonne qu’un limon périssable puisse supporter et souffrir tant de fatigues. Par d’habiles artifices, il explore si ce n’est point un Dieu caché sous des membres terrestres ; mais il s’entend reprocher sa fraude, et n’a plus qu’à s’enfuir.

JEUDI

La Station est aujourd’hui dans la célèbre basilique de Sainte-Marie-au-delà-du Tibre, la première église de Rome consacrée à Marie, dès le IIIe siècle, sous le pontificat de saint Calliste.

COLLECTE.

Daignez, Seigneur, nous accorder le secours de votre grâce, afin que, demeurant fidèles au jeûne et à la prière, nous soyons affranchis des ennemis de l’âme et du corps. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

LEÇON.
Lecture du prophète Jérémie. Chap. XVII.

Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Maudit est l’homme qui met sa confiance en l’homme, qui se fait un bras de chair, et dont le cœur se retire du Seigneur ; car il sera semblable à la bruyère du désert ; et quand le bien arrivera, il ne le verra pas ; mais il demeurera dans l’aridité du désert, dans une terre saline et inhabitable. Celui-là est béni, qui met sa confiance dans le Seigneur, et dont le Seigneur est l’espérance. Et il sera semblable à un arbre transplanté au bord des eaux, qui pousse ses racines vers l’eau qui l’humecte, et qui ne craint point la chaleur, lorsqu’elle est venue. Et son feuillage sera toujours vert, et il ne sera point en peine au temps de la sécheresse, et il ne cessera jamais de porter du fruit. Le cœur de l’homme est mauvais et impénétrable. Qui pourra le connaître ? Moi, le Seigneur, qui sonde le cœur et qui éprouve les reins ; qui rends à chacun selon sa voie et selon le fruit de ses pensées, dit le Seigneur tout-puissant.

Les lectures de ce jour sont consacrées à fortifier dans nos cœurs les principes de la morale chrétienne. Détournons un instant les yeux du triste spectacle que nous offre la malice des ennemis du Sauveur ; reportons-les sur nous-mêmes, afin de connaître les plaies de nos âmes et d’en préparer le remède. Le prophète Jérémie nous présente aujourd’hui le tableau de deux situations pour l’homme ; laquelle des deux est la nôtre ? Il y a l’homme qui met sa confiance dans un bras de chair, c’est-à-dire qui ne considère sa vie que dans les conditions du présent, qui voit tout dans les créatures, et se trouve par là même entraîné à violer la loi du Créateur. Tous nos péchés sont venus de cette source ; nous avons perdu de vue nos fins éternelles, et la triple concupiscence nous a séduits. Hâtons-nous de revenir au Seigneur notre Dieu : autrement, nous aurions à craindre le sort dont le Prophète menace le pécheur : Quand le bien arrivera, il ne le verra pas. La sainte Quarantaine avance dans son cours ; les grâces les plus choisies se multiplient à chaque heure ; malheur à l’homme qui, distrait par la vaine figure de ce monde qui passe (1 Cor. 7, 31), ne s’aperçoit de rien, et demeure, en ces saints jours, stérile pour le ciel, comme la bruyère du désert l’est pour la terre ! Qu’il est grand, le nombre de ces aveugles volontaires, et que leur insensibilité est effrayante ! Enfants fidèles de la sainte Église, priez pour eux, priez sans cesse ; offrez au Seigneur à leur intention les œuvres de votre pénitence, les largesses de votre charité. Chaque année, plusieurs d’entre eux rentrent au bercail, dont la porte leur a été ouverte par les pieux suffrages de leurs frères ; faisons violence à la divine miséricorde.

Le Prophète nous dépeint ensuite l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur, et qui, n’ayant pas d’autre espérance que lui, veille sans cesse à lui être fidèle. C’est un bel arbre au bord des eaux, dont le feuillage est toujours vert, et dont les fruits sont abondants. « Je vous ai établis, dit le Sauveur, afin que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. » (Johan. 15, 16) Devenons cet arbre béni et toujours fécond. L’Église, en ce saint temps, répand sur ses racines l’eau de la componction ; laissons agir cette eau bienfaisante. Le Seigneur pénètre nos cœurs ; il sonde nos désirs de conversion ; et, quand la Pâque sera venue, « il rendra à chacun selon sa voie ».

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. XVI.

En ce temps-là, Jésus dit aux Pharisiens : Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de lin ; et chaque jour il faisait une chère splendide. Et il y avait aussi un mendiant nommé Lazare qui était étendu à sa porte, couvert d’ulcères, qui eût bien voulu se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche ; et personne ne lui en donnait ; mais les chiens venaient lécher ses ulcères. Or il arriva que le mendiant mourut, et il fut porté par les Anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli dans l’enfer. Comme il était dans les tourments, il leva les yeux et vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein. Et jetant un cri, il dit : Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare, afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir ma langue ; car je souffre extrêmement dans cette flamme. Et Abraham lui dit : Mon fils, souvenez-vous que pendant votre vie vous avez reçu les biens, et Lazare les maux pendant la sienne ; et maintenant il est consolé, et vous êtes dans les tourments. Et dans cet état de choses, il y a un immense abîme placé entre vous et nous, en sorte que ceux qui voudraient passer d’ici à vous, ou venir ici de là où vous êtes, ne le pourraient. Et le riche dit : Père, je vous prie donc de l’envoyer dans la maison de mon père, où j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste ces choses, de peur qu’ils ne viennent eux aussi dans ce lieu de tourments. Et Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent. Et il dit : Non, père Abraham ; mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils feront pénitence. Mais Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, quelqu’un des morts ressusciterait, qu’ils ne le croiraient pas non plus.

Nous voyons dans ce récit la sanction des lois divines, le châtiment du péché ; combien le Seigneur nous y apparaît redoutable ! et « qu’il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant ! » Un homme est aujourd’hui dans le repos, dans les jouissances, dans la sécurité ; l’inévitable mort vient fondre sur lui, et le voilà enseveli tout vivant dans l’enfer. Haletant au milieu des flammes éternelles, il implore une goutte d’eau, et cette goutte d’eau lui est refusée. D’autres hommes, ses semblables, qu’il a vus de ses yeux, il y a peu d’heures, sont dans un autre séjour, dans le séjour d’une félicité éternelle, et un immense abîme le sépare d’eux pour jamais. Sort effroyable ! désespoir sans fin ! Et des hommes, sur la terre, vivent et meurent souvent sans avoir un seul jour sondé cet abîme, même de leur simple pensée ! Heureux donc ceux qui craignent ! Car cette crainte peut les aider à soulever le poids qui les entraînerait dans le gouffre sans fond. Quelles épaisses ténèbres le péché a répandues dans l’âme de l’homme ! Des gens sages, prudents, qui ne commettront jamais une faute dans la gestion de leurs affaires de ce monde, sont insensés, stupides, quand il s’agit de l’éternité. Quel affreux réveil ! et le malheur est sans remède. Afin de rendre la leçon plus efficace, le Sauveur ne nous a pas raconté la réprobation d’un de ces grands scélérats dont les crimes font horreur, et que les mondains eux-mêmes regardent comme la proie de l’enfer ; il nous représente un de ces hommes tranquilles, d’un commerce aimable, faisant honneur à leur position. Ici, point de forfaits, point d’atrocités ; le Sauveur nous dit simplement qu’il était vêtu avec luxe, qu’il faisait tous les jours bonne chère. Il y avait bien un pauvre mendiant à sa porte ; mais il ne le maltraitait pas ; il eût pu le chasser plus loin ; il le souffrait sans insulter à sa misère. Pourquoi donc ce riche sera-t-il dévoré éternellement par les ardeurs de ce feu que Dieu a allumé dans sa colère ? C’est parce que l’homme qui vit dans le luxe et la bonne chère, s’il ne tremble pas à la pensée de l’éternité, s’il ne comprend pas qu’il doit « user de ce monde comme n’en usant pas » (1 Cor. 7, 31), s’il est étranger à la croix de Jésus-Christ, est déjà vaincu par la triple concupiscence. L’orgueil, l’avarice, la luxure, se disputent son cœur, et finissent par y dominer d’autant plus qu’il ne songe pas même à rien faire pour les abattre. Cet homme ne lutte pas : c’est qu’il est vaincu ; et la mort s’est établie dans son âme. Il ne maltraite pas le pauvre ; mais il se souviendra trop tard que le pauvre est plus que lui, et qu’il fallait l’honorer et le soulager. Ses chiens ont eu plus d’humanité que lui ; et voilà pourquoi Dieu l’a laissé s’endormir jusqu’au bord de l’abîme où il doit tomber. Dira-t-il qu’il n’a pas été averti ? Il avait Moïse et les Prophètes ; plus que cela, il avait Jésus et son Église. Il a en ce moment la sainte Quarantaine qui a été annoncée pour lui ; mais se donne-t-il la peine de savoir même ce que c’est que ce temps de grâce et de pardon ? Il l’aura traversé sans s’en être douté ; mais il aura en même temps fait un pas de plus vers l’éternel malheur.

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Assistez, Seigneur, vos serviteurs, et accordez-leur les effets de cette continuelle miséricorde qu’ils implorent ; et comme ils se glorifient d’avoir été créés et d’être régis par vous, rétablissez en eux les biens que vous y avez réunis, et maintenez ce que vous aurez rétabli. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Terminons aujourd’hui l’Hymne de Prudence que nous avons suivie avec tant d’intérêt depuis plusieurs jours.

HYMNE

Puissions-nous, ô Christ ! ô Maître de la doctrine sacrée ! imiter selon nos forces l’exemple que tu donnas à tes disciples, afin que, victorieuse des appétits brutaux, notre âme, devenue maîtresse, triomphe dans tout son empire.

C’est là ce que nous envie la noire jalousie de notre adversaire ; c’est là ce qui plaît au Maître souverain de la terre et des cieux, ce qui rend propice l’autel mystérieux, ce qui réveille la foi d’un cœur qui s’endormait, ce qui enlève la rouille d’une âme languissante.

Comme la flamme s’éteint sous les eaux qu’elle rencontre, comme la neige se fond sous un ardent soleil ; ainsi la triste moisson de nos péchés s’anéantit broyée par le jeûne sacré, quand l’aumône vient y joindre sa bienveillance.

Car c’est aussi une grande œuvre de vertu de couvrir celui qui est nu, de repaître l’indigent, de porter aux suppliants un bienfaisant secours, de reconnaître une seule et même destinée humaine entre le pauvre et le puissant.

Assez heureux est celui qui, ravissant la vraie gloire, étend sa main droite pour prodiguer l’argent, tandis que sa main gauche ignore ce bienfait. Un trésor éternel est là pour le dédommager ; il prête, et ce qu’il avance lui rendra au centuple.

VENDREDI

La Station est aujourd’hui dans l’Église de Saint-Vital, Martyr, père des deux illustres martyrs milanais saint Gervais et saint Protais.

COLLECTE.

Faites, ô Dieu tout-puissant ! que, purifiés par ce jeûne sacré, nous arrivions d’un cœur sincère aux saintes solennités qui approchent. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

LEÇON.
Lecture du livre de la Genèse. Chap. XXXVII.

En ces jours-là, Joseph dit à ses frères : Écoutez le songe que j’ai eu. Il me semblait que je liais avec vous des gerbes dans un champ, et que ma gerbe se levait et se tenait debout, tandis que les vôtres entouraient la mienne et l’adoraient. Ses frères lui répondirent : Seras-tu donc notre roi, et serons‑nous soumis à ta domination ? Ces songes et ces entretiens allumèrent davantage l’envie et la haine contre lui. Il eut encore un autre songe, qu’il raconta à ses frères en leur disant : J’ai vu comme le soleil, la lune et onze étoiles qui m’adoraient. Lorsqu’il eut rapporté ceci à son père et à ses frères, son père le réprimanda, et lui dit : Que veut dire ce songe que tu as eu ? Est-ce que moi, ta mère et tes frères devons t’adorer sur la terre ? Ses frères étaient donc pleins d’envie contre lui ; mais son père considérait la chose avec attention et dans le silence. Il arriva que ses frères, paissant les troupeaux de leur père, s’arrêtèrent en Sichem, et Israël dit à Joseph : Tes frères paissent les brebis dans Sichem ; viens donc, afin que je t’envoie vers eux. Il répondit : Je suis prêt. Jacob lui dit : Va, et vois si tes frères se portent bien, et si les troupeaux sont en bon état ; et tu me rapporteras ce qui se passe. Étant donc parti de la vallée d’Hébron, il vint à Sichem ; et un homme, l’ayant trouvé errant dans la campagne, lui demanda ce qu’il cherchait. Il répondit : Je cherche mes frères ; indiquez-moi où ils paissent leurs troupeaux. Et cet homme lui dit : Ils se sont retirés de ce lieu ; et je les ai entendus se dire : Allons vers Dothaïn. Joseph alla donc après ses frères, et il les trouva en Dothaïn. Eux, l’apercevant de loin, avant qu’il fût arrivé à eux, eurent la pensée de le tuer ; et ils se disaient l’un à l’autre : Voici le songeur qui vient. Venez, tuons-le et jetons-le dans cette vieille citerne. Nous dirons : Une bête féroce l’a dévoré ; et alors nous verrons à quoi lui auront servi ses songes. Mais Ruben, entendant ceci, s’efforçait de le délivrer de leurs mains, et il disait : Ne le tuez pas, et ne répandez pas son sang ; mais jetez-le dans cette vieille citerne qui est au désert, et conservez vos mains pures. Il disait ceci dans le dessein de l’arracher de leurs mains et de le rendre à son père.

La sainte Église reporte aujourd’hui notre attention sur la prévarication des Juifs, et sur ce qui en est résulté pour la vocation des Gentils ; dans cette instruction destinée aux Catéchumènes, puisons notre propre édification. Prenons d’abord dans une figure de l’Ancien Testament la notion du fait que nous allons voir accompli dans notre Évangile. Joseph est l’objet des complaisances de son père Jacob, qui voit en lui le fils de Rachel, son épouse préférée, et qui l’aime pour son innocence. Des songes prophétiques ont annoncé la future grandeur de cet enfant ; mais il a des frères ; et ces frères, poussés par une noire envie, ont résolu de le faire périr. Ce dessein impie n’est pas mis à exécution dans toute son étendue ; mais il s’accomplit dans une certaine mesure : Joseph ne reverra plus la terre qui l’a vu naître. Il est vendu à des marchands étrangers ; bientôt un noir cachot devient son séjour. Mais il en sort pour dicter des lois, non dans la terre de Chanaan qui l’a repoussé, mais au sein de l’Égypte païenne. Par lui, cette région de la gentilité, livrée à la plus affreuse famine, retrouve l’abondance et la paix ; et pour ne pas périr eux-mêmes dans le pays d’où ils l’ont exilé, les frères de Joseph sont réduits à descendre en Égypte et à venir implorer la clémence de celui qui fut leur victime. Qui ne reconnaît dans cette merveilleuse histoire le type de notre divin Rédempteur, Fils de Dieu et de Marie, en butte à la jalousie de sa propre nation, malgré les signes prophétiques qui se réalisent en lui jusqu’au dernier ? Sa mort est résolue comme celle de Joseph ; comme lui il est indignement vendu. Il traverse les ombres de la mort, pour reparaître ensuite plein de gloire et de puissance. Mais ce n’est plus à Israël qu’il prodigue les marques de sa prédilection ; il s’est tourné vers les Gentils, et il demeure avec eux désormais. C’est là que les restes d’Israël viendront le chercher, lorsque, voulant enfin rassasier la faim qui les presse, ils consentiront à reconnaître pour le véritable Messie ce Jésus de Nazareth, leur Roi, qu’ils ont crucifié.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. XXI.

En ce temps-là, Jésus dit à la foule des Juifs et aux princes des prêtres cette parabole : il y avait un homme père de famille qui planta une vigne et l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir, et y bâtit une tour, et l’ayant louée à des vignerons, il partit pour un pays lointain. Or, comme le temps de la vendange approchait, il envoya vers les vignerons ses serviteurs pour recueillir ses fruits. Et les vignerons, s’étant saisis de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre, et en lapidèrent un autre. Il envoya de nouveau d’autres serviteurs en plus grand nombre ; et ils les traitèrent de même. Enfin il leur envoya son fils, disant : Du moins ils respecteront mon fils ! Mais les vignerons, voyant le fils, se dirent entre eux : Celui-ci est l’héritier ; venez, tuons-le, et nous aurons son héritage. Et l’ayant pris, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. lors donc que viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons ? Ils lui répondirent : Il châtiera sévèrement ces méchants, et il louera sa vigne à d’autres vignerons qui lui en rendront les fruits en leur temps. Jésus leur dit : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’avaient rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le sommet de l’angle : c’est l’œuvre du Seigneur ; elle est admirable à nos yeux ? C’est pourquoi je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits. Et celui qui tombera sur cette pierre se brisera ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera. Les princes des prêtres et les Pharisiens, entendant ses paraboles, connurent qu’il parlait d’eux, et cherchèrent à se saisir de lui ; mais ils craignirent le peuple, parce qu’il le considérait comme un Prophète.

Ce ne sont plus ici les ombres et les figures de l’antique alliance, qui ne nous montraient notre Rédempteur que dans le lointain et sous des traits empruntés ; nous sommes en face de la réalité même. Encore un peu de temps, et la victime trois fois sainte aura succombé sous les coups de ses envieux. Qu’elle est terrible et solennelle la parole de Jésus dans ces dernières heures ! Ses ennemis en sentent tout le poids ; mais, dans leur orgueil, ils veulent lutter jusqu’à la fin contre celui qui est la Sagesse du Père, s’obstinant à ne pas reconnaître en lui cette Pierre redoutable qui brise celui qui la heurte, et qui écrase celui sur lequel elle tombe. Cette Vigne, c’est la Vérité révélée, la règle de la foi et des mœurs, l’attente du Messie Rédempteur, l’ensemble des moyens du salut ; c’est aussi la famille des enfants de Dieu, son héritage, son Église. Dieu avait choisi la Synagogue pour être dépositaire d’un tel trésor ; il voulait que sa vigne fût gardée fidèlement, qu’elle fructifiât entre les mains des vignerons, qu’ils la reconnussent toujours pour son bien à lui, l’objet de ses complaisances. Mais dans son cœur sec et avare, la Synagogue a voulu s’approprier la Vigne du Seigneur. En vain a-t-il envoyé à diverses reprises ses Prophètes pour revendiquer ses droits : les vignerons infidèles les ont fait périr. Le Fils de Dieu, l’héritier, vient lui-même en personne. Le recevront-ils du moins avec honneur et déférence ? rendront-ils hommage à son divin caractère ? Non ; ils ont formé l’affreux projet de le tuer, et, après l’avoir expulsé comme un étranger sacrilège, ils le mettront à mort. Accourez donc, ô Gentils ! venez exercer la vengeance du Père ; ne laissez pas pierre sur pierre dans cette ville coupable qui a crié : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » Mais vous ne serez pas seulement les ministres de la justice céleste ; vous êtes devenus l’objet de la prédilection du Seigneur. La réprobation de ce peuple ingrat vous ouvre les portes du salut. Soyez désormais les gardiens de la vigne jusqu’à la fin des siècles ; nourrissez-vous de ses fruits ; ils sont à vous. De l’Orient à l’Occident, du Midi à l’Aquilon, venez à la grande Pâque qui se prépare ; il y a place pour vous tous. Descendez dans la piscine du salut, peuple nouveau formé de tous les peuples qui sont sous le ciel. Soyez la joie de l’Église votre Mère, qui ne cesse d’enfanter, jusqu’à ce que le nombre des élus étant rempli, son Époux descende comme un juge formidable pour condamner « ceux qui n’auront pas connu le temps de sa visite ». (Luc. 19, 44)

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Donnez, s’il vous plaît, Seigneur, à votre peuple, la santé de l’âme et du corps, afin que, s’appliquant aux bonnes œuvres, il se rende digne d’être toujours assisté de votre puissante protection. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Nous empruntons à la Liturgie grecque cette Hymne composée par saint André de Crète ; elle servira aujourd’hui d’expression aux sentiments de notre pénitence.

HYMNE

Par où commencer ma lamentation sur les actes de ma misérable vie ? O Christ ! comment débuterai-je aujourd’hui dans ce chant de deuil ? Toi qui es miséricordieux, accorde-moi le pardon de mes péchés.

Viens, âme misérable, viens, accompagnée de ton corps ; confesse tout à ton Créateur ; réprime tes désirs si longtemps contraires à la raison, et fais voir à Dieu les larmes de ta pénitence.

J’ai imité la prévarication d’Adam le premier père ; je me suis vu nu, dépouillé de Dieu, du royaume éternel et de ses délices.

Malheur à toi, âme misérable ! Quoi ! as-tu été semblable à la première Ève ? tes yeux ont mal vu, et tu as été blessée cruellement ; tu as mis la main sur l’arbre, et dans ton entraînement tu as goûté le fruit dangereux.

C’est avec justice, ô Sauveur ! qu’Adam, pour n’avoir pas gardé ton unique commandement, fut chassé de l’Eden ; mais moi, qui sans cesse ai méprisé tes préceptes vivifiants, qu’ai-je mérité ?

C’est le temps de la pénitence : je viens à toi, mon Créateur ; enlève le joug du péché qui pèse sur moi, et, puisque tu es miséricordieux, pardonne-moi mes offenses.

N’aie pas horreur de moi, ô Sauveur ! ne me rejette pas de devant ta face ; enlève le joug du péché qui pèse sur moi, et puisque tu es miséricordieux, pardonne-moi mes offenses.

O Sauveur ! comme un Dieu compatissant, pardonne les péchés de ma volonté et ceux auxquels elle n’a pas pris part, mes péchés manifestes et ceux qui sont cachés, mes péchés connus et ceux que je ne connais pas ; sois moi propice et sauve-moi.

SAMEDI

La Station est à l’Église des saints Pierre et Marcellin, célèbres martyrs de Rome sous la persécution de Dioclétien, et dont les noms ont l’honneur d’être inscrits au Canon de la Messe.

COLLECTE.

Donnez, s’il vous plaît, Seigneur, un effet salutaire à nos jeûnes, afin que la mortification de notre chair soit profitable à la santé de nos âmes. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

LEÇON.
Lecture du livre de la Genèse. Chap. XXVII.

En ces jours-là, Rebecca dit à son fils Jacob : J’ai entendu ton père qui parlait à Esaü ton frère et qui lui disait : Apporte-moi quelque chose de ta chasse, et apprête-le-moi à manger, afin que je te bénisse devant le Seigneur avant que je meure. Maintenant donc, mon fils, obéis à mon conseil. Va au troupeau et apporte-moi deux chevreaux excellents, afin que j’en prépare à ton père un ragoût qu’il mange volontiers, et qu’après que tu le lui auras présenté, et qu’il en aura mangé, il te bénisse avant qu’il meure. Jacob lui répondit : Vous savez que mon frère Esaü est velu, et que moi je suis sans poil. Si mon père me touche de la main et me reconnaît, j’ai peur qu’il ne croie que j’ai voulu me jouer de lui, et que je n’attire sur moi la malédiction au lieu de la bénédiction. Sa mère lui repartit : Que cette malédiction soit sur moi, mon fils ; écoute seulement ma voix ; va, et apporte ce que je te dis. Il alla donc, il l’apporta et le donna à sa mère. Celle-ci prépara le mets, comme elle savait que le père l’aimait. Elle revêtit Jacob de très bons vêtements d’Esaü qu’elle gardait chez elle ; elle lui mit autour des mains de la peau des chevreaux, et lui en garnit le cou, là où il était découvert. Elle lui donna ensuite le ragoût et les pains qu’elle avait cuits. Il porta le tout devant Isaac, et lui dit : Mon père ! Le vieillard répondit : J’entends. Qui es-tu, mon fils ? Jacob répondit : Je suis Esaü votre premier-né ; j’ai fait ce que vous m’avez commandé : levez-vous, mettez-vous sur votre séant, et mangez de ma chasse, afin que votre âme me bénisse. Isaac dit encore à son fils : Comment as-tu pu, mon fils, trouver sitôt la matière de ce mets ? Il répondit : La volonté de Dieu a été que ce que je désirais se présentât de suite à moi. Isaac dit encore : Approche-toi d’ici, mon fils, que je te touche, et que je connaisse si tu es mon fils Esaü, ou non. Jacob s’approcha de son père, et celui-ci, l’ayant touché, dit : Pour la voix, c’est la voix de Jacob ; mais les mains sont les mains d’Esaü. Et il ne le reconnut pas, parce que ses mains couvertes de poil lui donnaient la ressemblance de son aîné. Isaac donc le bénissant lui dit : Es-tu mon fils Esaü ? Il répondit : Je le suis. Mon fils, dit le père, apporte-moi à manger de ta chasse, afin que mon âme te bénisse. Jacob lui en présenta ; et après qu’il en eut mangé, il lui présenta aussi du vin. Isaac, en ayant bu, lui dit : Approche-toi de moi, et donne-moi un baiser, mon fils. Il s’approcha donc du père et le baisa. Celui-ci, aussitôt qu’il eut senti l’odeur de ses vêtements, lui dit en le bénissant : Voici que l’odeur de mon fils est comme l’odeur d’un champ fertile que le Seigneur a béni. Que Dieu te donne l’abondance du froment et du vin par la rosée du ciel et la graisse de la terre. Que les peuples te servent, et que les tribus t’adorent. Sois le seigneur de tes frères, et que les fils de ta mère se courbent devant toi. Celui qui te maudira, qu’il soit maudit ; et celui qui te bénira, qu’il soit comblé de bénédictions. Isaac venait d’achever ces paroles, et Jacob était à peine sorti, lorsque Esaü entra, et, présentant à son père les mets qu’il avait apprêtés de sa chasse, il lui dit : Levez-vous, mon père, et mangez de la chasse de votre fils, afin que votre âme me bénisse. Isaac lui dit : Qui es-tu donc ? Il répondit : Je suis Esaü, votre premier-né. Isaac, frappé d’un étonnement extrême, et surpris au delà de ce qu’on peut croire, lui dit : Quel est donc celui qui m’a déjà apporté sa chasse et qui m’a fait manger de tout, avant que tu fusses arrivé ? C’est lui que j’ai béni, et il sera béni. En entendant ces paroles de son père, Esaü poussa un grand cri comme un rugissement, et dans sa consternation il dit : Bénissez-moi aussi, mon père. Isaac répondit : Ton frère est venu par surprise, et il a reçu ta bénédiction. Esaü reprit : C’est avec raison qu’il a été appelé Jacob ; car il m’a supplanté déjà une autre fois : d’abord il m’a enlevé mon droit d’aînesse, et, tout à l’heure, par une seconde fraude, il vient de me dérober votre bénédiction. Il dit encore à son père : N’avez-vous pas réservé pour moi aussi une bénédiction ? Isaac lui répondit : Je l’ai établi ton seigneur, et j’ai soumis tous ses frères à sa domination ; je l’ai affermi dans la possession du blé et du vin, et, après cela, mon fils, que me reste-t-il à faire en ta faveur ? Esaü repartit : N’avez-vous donc, mon père, qu’une seule bénédiction ? Bénissez-moi aussi, je vous en conjure. Comme il pleurait et poussait de grands cris, Isaac, touché de son état, lui dit : Ta bénédiction sera dans la graisse de la terre et dans la rosée qui descend du haut du ciel.

Les deux enfants de Jacob nous manifestent à leur tour la suite des jugements de Dieu sur Israël et sur la gentilité ; et l’initiation de nos Catéchumènes poursuit son cours. Voici deux frères, l’aîné et le plus jeune. Esaü est le type du peuple juif : il possède le droit d’aînesse, et la plus haute destinée l’attend ; Jacob, né après lui, quoique d’un même enfantement, n’a pas le droit de compter sur la bénédiction réservée à l’aîné : il figure la gentilité. Cependant, les rôles sont changés : c’est Jacob qui reçoit cette bénédiction, et son frère en est frustré. Que s’est-il donc passé ? Le récit de Moïse nous l’apprend. Esaü est un homme charnel ; ses appétits le dominent. La jouissance qu’il attend d’un mets grossier lui a fait perdre de vue les biens spirituels attachés à la bénédiction de son père. Dans son avidité, il cède à Jacob pour un plat de lentilles les droits sublimes que lui confère son aînesse. Nous venons de voir comment l’industrie d’une mère servit les intérêts de Jacob, et comment le vieux père, instrument de Dieu sans le savoir, confirma et bénit cette substitution dont il avait ignoré l’existence. Esaü, de retour auprès d’Isaac, comprit l’étendue de la perte qu’il avait faite ; mais il n’était plus temps ; et il devint l’ennemi de son frère. C’est ainsi que le peuple juif, livré à ses idées charnelles, a perdu son aînesse sur les Gentils. Il n’a pas voulu suivre un Messie pauvre et persécuté ; il rêvait triomphes et grandeurs mondaines, et Jésus ne promettait qu’un royaume spirituel. Israël a donc dédaigné ce Messie ; mais les Gentils l’ont reçu, et ils sont devenus les aînés. Et parce que le peuple juif ne veut pas reconnaître cette substitution qu’il a cependant consentie, au jour où il criait : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous » (Luc. 19, 14) : maintenant il voit avec dépit que toutes les faveurs du Père céleste sont pour le peuple chrétien. Les enfants d’Abraham selon la chair sont déshérités à la vue de toutes les nations, tandis que les enfants d’Abraham par la foi sont manifestement les fils de la promesse, selon la parole du Seigneur à cet illustre Patriarche : « Je multiplierai ta race au-dessus des étoiles du ciel et des sables de la mer et toutes les nations seront bénies en celui qui sortira de toi. » (Gen. 22, 17)

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. XV.

En ce temps-là, Jésus dit aux pharisiens et aux scribes cette parabole : un homme avait deux fils, et le plus jeune dit à son père : Mon père, donnez-moi la portion de bien qui doit me revenir. Et le père leur fit le partage de son bien. Et peu de jours après, le plus jeune des fils ayant rassemblé tout ce qu’il avait, partit pour un pays étranger et lointain, et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche. Et quand il eut tout dépensé, il survint une grande famine dans ce pays ; et il commença à sentir le besoin. Il s’en alla donc, et se mit au service d’un habitant de ce pays ; et celui-ci l’envoya à sa maison des champs pour garder des pourceaux. Et il eût désiré remplir son ventre des écosses que mangeaient les pourceaux ; mais personne ne lui en donnait. Rentrant alors en soi-même, il dit : Combien de mercenaires dans la maison de mon père ont du pain en abondance ; et moi ici je meurs de faim ! Je me lèverai, et j’irai à mon père, et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le Ciel et contre vous ; je ne suis plus digne d’être appelé votre fils ; traitez-moi comme l’un de vos mercenaires. Il se leva donc et vint vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut, et il fut ému de compassion ; et courant à lui, il se jeta à son cou et le baisa. Et le fils lui dit : Mon père, j’ai péché contre le Ciel et contre vous ; je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. Alors le père dit à ses serviteurs : Apportez vite sa première robe, et l’en revêtez, et mettez-lui au doigt un anneau, et une chaussure aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le ; mangeons et réjouissons-nous : car mon fils que voilà était mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à faire le festin. Or le fils aîné était dans les champs : et comme il revenait et approchait de la maison, il entendit le bruit de la musique et des danses. Et, appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c’était. Celui-ci lui répondit : Votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras, parce qu’il a recouvré son fils en santé. Et, tout rempli d’indignation, il ne voulait pas entrer. Le père, étant donc sorti, se mit à l’en prier. Mais, répondant à son père, il lui dit : Voilà tant d’années que je vous sers ; je n’ai jamais manqué à aucun de vos commandements ; et vous ne m’avez jamais donné un chevreau pour faire festin avec mes amis. Mais aussitôt que ce fils qui a dévoré son bien avec des courtisanes, est arrivé, vous tuez pour lui le veau gras. Le père lui dit : Mon fils, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ; mais il fallait faire festin et se réjouir, parce que ton frère que voilà était mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé.

C’est ici encore le mystère que nous venons de reconnaître tout à l’heure dans le récit de la Genèse. Deux frères sont en présence, et l’aîné se plaint du sort que la bonté du père a fait au plus jeune. Celui-ci s’en est allé dans une région lointaine, il a fui loin du toit paternel, afin de s’abandonner plus librement à ses désordres : mais quand il s’est vu réduit à la plus extrême disette, il s’est ressouvenu de son père, et il est venu solliciter humblement la dernière place dans cette maison qui aurait dû être un jour la sienne. Le père a accueilli le prodigue avec la plus vive tendresse : non seulement il lui a pardonné, mais il lui a rendu tous ses droits de fils. Il a fait plus encore : un festin a été donné pour célébrer cet heureux retour ; et c’est toute cette conduite du père qui excite la jalousie du frère aîné. Mais c’est en vain qu’Israël s’indigne contre la miséricorde du Seigneur : l’heure est venue où la plénitude des nations va être convoquée pour entrer au bercail universel. Si loin que leurs erreurs et leurs passions aient entraîné les Gentils, ils entendront la voix des Apôtres. Grecs et Romains, Scythes et barbares, tous, frappant leurs poitrines, accourront demandant à être admis en participation des faveurs d’Israël. Mais on ne leur donnera pas seulement les miettes qui tomberont de la table, comme le demandait la Chananéenne ; ils seront admis sur le pied d’enfants légitimes et honorés. Les plaintes envieuses d’Israël ne seront pas reçues. S’il refuse de prendre part au banquet, la fête ne s’en célébrera pas moins. Or, cette fête, c’est la Pâque ; ces enfants rentrés nus et exténués dans la maison paternelle, ce sont nos Catéchumènes, sur lesquels le Seigneur s’apprête à répandre la grâce de l’adoption.

Mais ces enfants prodigues qui viennent se mettre à la merci de leur père offensé, sont aussi les Pénitents publics dont l’Église, en ces jours, préparait la réconciliation. Ce passage de l’Évangile a été choisi pour eux aussi bien que pour les Catéchumènes. L’Église, qui s’est relâchée de sa sévère discipline, propose aujourd’hui cette parabole à tous les pécheurs qui se disposent à faire leur paix avec Dieu. Ils ne connaissaient pas encore l’infinie bonté du Seigneur qu’ils ont abandonné : qu’ils apprennent aujourd’hui combien la miséricorde l’emporte sur la justice dans le cœur de celui qui « a aimé le monde jusqu’à lui donner son propre Fils unique » (Johan. 3, 16). Quelque lointaine qu’ait été leur fuite, quelque profonde qu’ait été leur ingratitude, tout est préparé, dans la maison paternelle, pour fêter leur retour. Le père tendre qu’ils ont quitté attend à la porte, prêt à courir au-devant d’eux pour les embrasser ; leur première robe, la robe de l’innocence, va leur être rendue ; l’anneau que portent seuls les enfants de la maison ornera de nouveau leur main purifiée. La table du festin est dressée pour eux, et les Anges vont y faire entendre les mélodies célestes. Qu’ils crient donc du fond de leur cœur : « O Père, j’ai péché contre le Ciel et contre vous ; je ne mérite plus d’être appelé votre fils ; traitez-moi comme l’un de vos mercenaires. » Le regret sincère de leur égarement passé, l’humilité de l’aveu, la ferme résolution d’être désormais fidèles : ce sont là les seules et faciles conditions que le père exige de ses prodigues pour en faire les fils de sa prédilection.

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Daignez, Seigneur, garder votre famille par l’assistance continuelle de votre bonté, afin que, s’appuyant sur l’unique espérance de la céleste grâce, elle soit soutenue par la protection d’en haut. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

En ce jour du Samedi, implorons aux pieds de Marie, reine de miséricorde, le pardon de nos péchés, en lui présentant cette Prose touchante des anciens Missels de Cluny.

SÉQUENCE.

Salut, ô étoile, qui lances le rayon d’une nouvelle lumière ; ce rayon qui efface la honte de l’humaine famille.

Tu es l’unique espoir de l’homme, tu es notre refuge : à l’heure du péril, apaise pour nous ton Fils.

Branche fleurie de Jessé, primeur du printemps, commencement du salut ;

Rose toujours nouvelle, toujours sans tache, purifiant nos souillures ;

Sein virginal, fontaine des jardins, puits des eaux vives ;

Trône d’or, sur lequel le Roi du ciel a couronné son Fils ;

Demeure parfumée, que le souverain Créateur a bâtie d’un art merveilleux ;

Dans laquelle le Christ, couvert du vêtement de la chair, est consacré Pontife ;

Source d’huile salutaire, rosée de miel délicieux, symbole de ton amour ;

De toi procède cet heureux bain qui lave nos plaies amères et les taches du péché.

O Mère, les blessures de ton Fils en proie à la souffrance pénétrèrent ton cœur.

Rappelle-lui ton lait, présente-lui ton sein, et délivre-nous des supplices du redoutable jugement. Amen.