2e dimanche après la Pentecôte

L’Année liturgique
Deuxième dimanche après la Pentecôte
(autrefois dans l’octave du Saint Sacrement)

Le désiré de toutes les nations (Agg. 2, 8), l’Ange de l’alliance voulu par Israël (Malach. 3, 1), est descendu des cieux. La Sagesse l’accompagne. Qui donc, disait le prophète, montera aux cieux pour la saisir et l’amener du sein des nuées ? Qui passera la mer, et le rapportera des plages lointaines, ce trésor plus précieux que l’or le plus pur ? Israël a délaissé la source de la Sagesse. On ne la connaît plus dans la terre de Chanaan ; on ne l’a point vue dans l’Idumée. Les fils d’Agar, les princes des nations, les prudents de la terre, inventeurs fameux, chercheurs de la science, artisans de richesses, de force et de beauté trompeuse, n’ont point trouvé les voies de la Sagesse ; ils ont perdu ses sentiers (Baruch. 3, 12-38 ; Job 28, 12-28). Mais voici que le fils promis à David s’est assis sur son trône d’honneur. C’est lui qui, le premier, l’a connue pleinement dans le mystère des noces sacrées où l’amour éternel conviait notre humble nature. Il est devenu, par cette indissoluble alliance, la source unique de la Sagesse ; les quatre fleuves du Paradis ont rassemblé en lui leurs eaux : réservoir prédestiné, d’où l’amour et la vie s’épancheront sur le monde !

Ses pensées sont plus vastes que la mer, ses conseils plus profonds que l’abîme (Éccli. 24, 34-39.). Il vient accomplir le dessein de la volonté souveraine : relier toutes choses en un sur la terre et au ciel (Éph. 1, 10). Dieu et homme tout ensemble, vrai médiateur, Pontife suprême, il est lui-même le nœud de cette religion sainte qui rattache toute créature au Créateur dans l’unité d’un même hommage, et consomme du même coup la justice et l’amour. Son Sacrifice est bien le chef-d’œuvre de la divine Sagesse ; c’est par lui qu’embrassant tous les êtres créés dans l’immensité de cet amour dont nous avons vu les ardeurs impatientes, elle prétend ne faire plus du monde entier qu’un holocauste sublime à la gloire du Père. Il nous reste maintenant à la voir immoler sa victime, et dresser la table du festin (Prov. 9, 2).

L’Eucharistie, en effet, n’a point d’autre but que l’application incessante ici-bas du grand Sacrifice ; et il nous faut considérer ce Sacrifice de l’Homme-Dieu en lui-même, afin d’admirer mieux la merveilleuse continuation qui s’en fait dans l’Église. Mais il importe à cette fin de préciser tout d’abord la notion générale du Sacrifice.

Dieu a droit à l’hommage de sa créature. Si les rois et seigneurs de la terre sont en droit d’exiger des vassaux de leur domination cette reconnaissance solennelle de leur suzeraineté, le domaine souverain du premier Être, cause première et fin dernière de toutes choses, l’impose à plus juste titre aux êtres appelés du néant par sa bonté toute-puissante. Et de même que, par la redevance qui l’accompagne, l’hommage des serfs et vassaux emporte, avec l’aveu de leur sujétion, la déclaration effective des biens et droits qu’ils reconnaissent tenir de leur seigneur ; ainsi l’acte par lequel la créature s’abaisse en cette qualité devant son Créateur devra manifester suffisamment, par lui-même, qu’elle le reconnaît comme Seigneur de toutes choses et auteur de la vie.

Mais il peut arriver que la créature ait, de son propre fait, conféré contre elle-même à la justice de Dieu des droits non moins sérieux et autrement redoutables que ceux de sa toute-puissance et de sa bonté. La miséricorde infinie peut alors, il est vrai, suspendre ou commuer l’exécution des vengeances du Seigneur suprême ; mais l’acte d’hommage de l’être créé devenu pécheur ne sera complet qu’à la condition d’exprimer désormais, non moins que sa dépendance de créature, l’aveu de sa faute et de la justice du châtiment encouru par la transgression des préceptes divins ; la redevance trop justifiée du serf insoumis, l’oblation suppliante de l’esclave révolté devra montrer, par sa nature même, que Dieu n’est plus seulement pour lui l’auteur de la vie, mais l’arbitre de la mort.

Telle est, dans son essence, la vraie notion du Sacrifice, ainsi appelé de ce qu’il sépare de la multitude des êtres de même nature, et fait sacrée l’offrande par laquelle il s’exprime : oblation intérieure et purement spirituelle dans les esprits dégagés de la matière ; oblation spirituelle et sensible à la fois pour l’homme, qui, composé d’une âme et d’un corps, doit l’hommage à Dieu pour l’un et pour l’autre.

Le Sacrifice ne peut être offert qu’au seul vrai Dieu, comme étant la reconnaissance effective du domaine souverain du Créateur et de cette gloire qu’il ne donne point à un autre (Isaï. 48, 11). Par contre, il est de l’essence de la religion en tout état de chute ou d’innocence. La religion, en effet, cette reine des vertus morales qui a pour objet le culte dû au Seigneur, ne trouve qu’en lui son expression dernière. L’Éden l’eût vu célébré par l’homme innocent dans l’adoration, l’action de grâces et la prière confiante ; offrande de ses fruits les plus beaux, symboles du fruit divin que promettait l’arbre de vie, le péché n’y eût point marqué dans le sang sa sinistre empreinte. Devenu après la chute l’unique voie de propitiation, il apparut toujours plus comme le centre nécessaire de toute religion sur la terre d’exil ; ainsi jusqu’à Luther le comprirent tous les peuples, et les modernes réformateurs, en voulant exclure le Sacrifice de la religion, l’ont détruite chez eux par la base. Bien plus ; il s’impose dans le ciel à la créature déjà glorifiée, qui, non moins et plus même dans les splendeurs de la vision que sous les ombres de la foi, doit à Celui qui l’a couronnée l’hommage de ses dons.

C’est par le Sacrifice que Dieu atteint le but qu’il s’est proposé dans la création : sa propre gloire (Prov. 16, 4). Mais pour que du monde s’élevât vers son Auteur un hommage représentant la mesure de ses dons, il fallait un chef qui résumât le monde entier dans sa personne, et, disposant de lui comme de son bien propre, l’offrît au Seigneur en toute plénitude avec lui-même. Dieu fait mieux encore : en lui donnant pour chef son propre Fils revêtu de notre nature, il obtient que, l’hommage de cette nature inférieure revêtant la dignité de la personne, l’honneur rendu soit vraiment digne de la Majesté souveraine ; comme un banquier habile sait tirer l’or d’une vile monnaie, il fait rapporter au monde sorti du néant un fruit infini.

Merveilleux couronnement de l’œuvre créatrice ! La gloire immense que rend au Père le Verbe incarné a rapproché Dieu et la créature, si distants l’un de l’autre ; elle rejaillit sur le monde en flots de grâce qui achèvent de combler l’abîme. Le Sacrifice du fils de l’homme devient la base et la raison de l’ordre surnaturel, au ciel et sur la terre. Objet premier et principal du décret de création, c’est pour le Christ, sur son modèle et dans l’ordre des aptitudes de sa future nature, que sortirent du néant, à la voix du Père, les divers degrés d’être spirituel et matériel, appelés à former son palais et sa cour : de même encore dans l’ordre de la grâce, est-il vraiment ainsi l’homme, le Bien-Aimé. L’Esprit de dilection se répandra, parfum divin, de cet unique bien-aimé, de cette tête chérie, du Chef sur tous ses membres et jusqu’à la dernière frange de son vêtement (Psalm. 132, 2), communiquant sans mesure la vraie vie, l’être surnaturel, à ceux que le Christ aura daigné appeler en participation de sa divine substance au banquet de l’amour. Car à la suite du Chef viendront les membres, unissant au sien leur hommage ; et cet hommage qui, de soi, fût demeuré trop au-dessous de la Majesté infinie, empruntera, par leur incorporation au Verbe incarné dans l’acte de son Sacrifice, la dignité du Christ lui-même.

Ainsi encore, on ne saurait trop le redire contre l’individualisme étroit qui tend, de nos jours, à donner aux pratiques d’une dévotion privée la prépondérance sur la solennité des grands actes liturgiques formant l’essence de la religion : ainsi par le Sacrifice est consommée dans l’unité la création entière, et fondée en Dieu la vraie vie sociale. Dieu est un dans son essence, et l’ineffable harmonie des trois divines personnes ne fait que mieux ressortir, dans sa sublime fécondité, cette unité puissante. La créature est multiple au contraire, et la division, fruit de la chute, vient encore accuser davantage en elle ce signe d’un être emprunté. Sortie de Dieu néanmoins, c’est à lui qu’elle retourne, mais à la condition de détruire en elle cette division funeste qui la sépare de Dieu et de ses semblables, et de reproduire au sein de la multiplicité, dans sa marche vers Dieu, l’image de la féconde harmonie des trois personnes divines. Qu’ils soient un en nous comme nous-mêmes (s. Jean 17, 21) : tel est le dernier mot des intentions du Créateur, révélé au monde par l’Ange du grand Conseil venu sur terre réaliser ce programme divin. Or, c’est la religion qui rassemble devant Dieu les divers éléments du corps social ; et le Sacrifice, qui en est l’acte fondamental, est à la fois le moyen et le but de cette unification grandiose dans le Christ, dont l’achèvement marquera la consommation du règne éternel du Père devenu par lui tout en tous (1 Cor. 15, 24-28).

Mais cette royauté de l’éternité, que prépare au Père le règne du Christ ici-bas (Ibid. 24, 25), a des ennemis qu’il faut réduire. Les Principautés, les Puissances et les Vertus de l’enfer sont liguées contre elle. Leur jalousie s’attaquant à l’homme, image de Dieu, a introduit dans le monde la désobéissance et la mort (Sap. 2, 23, 24) ; par l’homme devenu son esclave, le péché s’est fait une arme de tous les préceptes divins contre leur Auteur (Rom. 7, 11) : et, loin de songer à présenter au Seigneur suprême un hommage digne de lui, le genre humain semble avoir pris à tâche d’ajouter à la bassesse de son être de néant l’indignité de toutes les souillures. Avant donc que de pouvoir être agréés du Père, les futurs membres du Christ appellent un Sacrifice de propitiation et de délivrance. Il faut que le Christ vive lui-même de la vie expiatrice du pécheur, qu’il souffre de ses souffrances et meure de mort (Gen. 2, 17). Car telle était la peine apposée comme sanction dès l’origine au précepte divin : peine souveraine pour le transgresseur qui n’en pouvait subir de plus grande, mais sans proportion avec l’offense de la suprême Majesté, à moins qu’une personne divine, endossant l’effrayante responsabilité de cette dette infinie, subît la peine de l’homme et le rendît à l’innocence.

Qu’il vienne donc notre Pontife, qu’il apparaisse le Chef divin de notre race et du monde ! Parce qu’il a aimé la justice et haï l’iniquité, Dieu l’a oint de l’huile d’allégresse entre tous ses frères (Psalm. 44, 8). Il était Christ par le sacerdoce à lui destiné dès le sein du Père, et confirmé dans un serment auguste (Psalm. 119, 4) ; il est Jésus, car le Sacrifice qu’il vient offrir sauvera son peuple du péché (s. Matth. 1, 21) : Jésus-Christ, tel doit être à jamais le nom du Pontife éternel.

Quelle puissance et quel amour en son Sacrifice ! Prêtre et victime à la fois, pour la détruire il absorbe la mort, et du même coup terrasse le péché dans sa chair innocente ; il satisfait jusqu’à la dernière obole, et par delà, à la justice du Père ; il arrache le décret qui nous était contraire, le cloue à la croix, l’efface en son sang, et, dépouillant les Principautés ennemies de leur tyrannique empire, il les enchaîne à son char de triomphe (Col. 2 14, 15). Crucifié avec lui, notre vieil homme a perdu son corps de péché ; renouvelé dans le sang rédempteur, il sort avec lui du tombeau pour une vie nouvelle (Rom. 6, 4, 10). « Vous êtes morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ; quand paraîtra le Christ votre vie, vous aussi paraîtrez avec lui dans la gloire (Col. 3, 3). » C’est comme Chef en effet que le Christ a souffert ; son Sacrifice embrasse le corps entier dont il est la tête, et qu’il transforme avec lui pour l’holocauste éternel dont la suave odeur embaumera les cieux.

Chrétiens, pénétrons-nous de ces grands enseignements. Plus en effet nous comprendrons le Sacrifice de l’Homme-Dieu dans son incommensurable grandeur, plus facilement laisserons-nous l’Église, dans sa Liturgie, enlever nos âmes aux égoïstes et mesquines préoccupations d’une piété trop souvent repliée sur elle-même. Membres du Christ-Pontife, élargissons nos cœurs ; ouvrons-les aux flots de lumière et d’amour qui jaillissent des rochers du Calvaire. Sur ces mêmes sommets, deux mille ans à l’avance, Abraham, le père de notre foi, s’écriait dans l’extase : Le Seigneur verra sur la montagne ! et les échos de l’humanité s’étaient renvoyé sa parole prophétique dans la longue nuit des siècles de l’attente (Gen. 22, 14). Spectacle en effet vraiment digne de Dieu que cette marche en avant de notre Isaac, que cette ascension du Pontife éternel gravissant la montagne où il doit, dans son sang, ramener toutes choses à Dieu son Père, et unir avec soi pour jamais dans une seule oblation la terre et les cieux (Col. 1, 20 ; Héb. 10, 14) !

Sous l’ancienne loi, le Pontife montant à l’autel était revêtu d’une robe éclatante des plus riches couleurs (Exod. 28), dont les détails mystérieux figuraient l’univers (Sap. 18, 24). Véritable Aaron, le Verbe s’avance, dit saint Ambroise, dans la vraie robe du sacerdoce souverain décrite par Moïse, vêtu du monde en sa magnificence, pour tout remplir de la plénitude de Dieu (Ambr. De fuga saeculi, 16). » C’était l’imposante vérité qui faisait dire au Christ Sauveur parlant de son immolation sur la montagne (s. Jean 12, 33) : Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi (s. Jean 32). Il annonçait l’ébranlement de la terre et des cieux exaltés avec lui sur la croix réparatrice et triomphante. En ce moment, le plus solennel de l’histoire du monde, l’appel divin devait en effet convoquer de toutes parts et unir étroitement à leur Chef immolé les membres de la victime universelle. Attraction merveilleuse, qui, dans cet unique point de l’espace et du temps, allait rassembler tous les êtres créés sous le regard éternel, et consommer la gloire du Dieu très-haut dans l’hommage parfait d’un seul Sacrifice !

Du pied de l’autel figuratif érigé dans Jacob, David déjà lui aussi contemplait par avance le sublime rendez-vous de toute créature à l’autel du Christ-Pontife, son Seigneur et son fils (s. Matth. 22, 45). À la vue de ce concours immense dont le défilé non interrompu des victimes mosaïques offrait pourtant une trop faible image, ému d’un juste et saint transport, il chantait dans le psaume : A vous viendra toute chair (Psalm. 64, 3) ! Il a pris chair en effet, notre Pontife, s’écrie saint Augustin (Aug. Énarrat. in Ps. 64) ; et la chair qu’il a prise attirera toute chair. Dans le sein de la Vierge il a pris les prémices ; le reste, le genre humain tout entier, suivra les prémices, pour compléter l’holocauste dont il est dit ici même : « À vous je rendrai mon vœu dans Jérusalem (Psalm. 64, 2). »

Car quel est-il ce vœu de notre chef bien-aimé, sinon celui qu’au psaume suivant il décrit plus au long ? S’adressant à son Père : « J’entrerai, dit-il, dans votre maison, portant l’holocauste ; je vous rendrai les vœux qu’ont formulés mes lèvres. Ma bouche a dit, au jour de la tribulation : « Je vous offrirai de grasses victimes avec l’encens des béliers, des bœufs et des boucs en un même holocauste (Psalm. 65, 13-15). » Ce jour de la grande tribulation du Pontife suprême, c’est celui dont parle l’Apôtre, où, daignant par amour sentir en lui la fragilité de la chair, et présentant avec un grand cri ses prières et ses larmes au Dieu qui pouvait le sauver de la mort, il fut exaucé dans l’hommage de son Sacrifice (Héb. 5, 7). Cependant que parle-t-il encore des béliers et des boucs, inutiles offrandes réprouvées de Dieu ? Lui-même ne disait-il pas, en entrant dans le monde : « Vous n’avez point voulu de leurs holocaustes et de leurs victimes, mais vous m’avez formé un corps (Ibid. 10, 5, 6) ? »

Oui, sans doute ; et c’est le corps même du Christ qui paraît ici tout entier, dit saint Augustin, comme l’offrande une et multiple à la fois qu’il présente au Seigneur : les béliers sont les chefs de l’Église, les autres victimes ses divers membres (Énarrat. in Ps. 65). Exaucez ma prière, à vous viendra toute chair : princes et peuples de tous les siècles, enfants, jeunes hommes, vieillards, Juifs et Gentils, Grecs, Romains et Barbares, suspendus au bois, sont la victime promise au Père. C’est avec eux, en leur nom et pour eux tous, dans l’intégrité de son corps et dans son unité, que le Christ s’écrie : J’entrerai dans votre maison portant l’holocauste ; envoyez votre feu, le feu de l’Esprit, la flamme divine de l’éternelle Sagesse : qu’elle brûle et consume ce corps qui est à moi ; qu’il ne m’en reste rien, que tout soit vôtre (Aug. passim in Psalm).

Apportez donc, enfants de Dieu, apportez au Seigneur les fils des béliers (Psalm. 28, 1) ! La voix du Seigneur a retenti dans sa puissance : il appelle la foudre sur la montagne, et déjà l’holocauste est en flammes. Vaste incendie qui, du Calvaire, s’étend bientôt au monde entier ! Le feu divin poursuit son œuvre à travers les générations successives, absorbant un à un les membres de la grande Victime, dévorant le péché, consumant les scories du vice, et purifiant, jusque dans la poussière du tombeau, la chair sanctifiée par l’attouchement du Christ dans les Mystères. Vrai feu du Ciel, flamme incréée qui ne dissipe que le mal, et ne dégage l’âme par la souffrance et la mort des ruines amoncelées autour d’elle, que pour refaire à neuf dans l’expiation l’être humain tout entier !

Un jour viendra, que le feu du grand Sacrifice ayant consommé jusqu’au dernier les membres du Christ, la chair elle-même des élus reparaîtra spirituelle et glorieuse, offrant aux yeux, dans cette transformation merveilleuse de la victime, un Sacrifice vraiment digne du Seigneur suprême ; car en lui, bien mieux que dans la destruction par la mort, s’affirmeront le pouvoir et le domaine souverain de l’Auteur de la vie. C’est alors que le corps complet du Verbe incarné, comme un encens très pur, s’élèvera de la montagne sainte où l’Église avait fixé sa tente ici-bas, jusqu’à l’autel sublime des cieux : aliment éternel de la flamme divine, holocauste immense où sans fin la cité rachetée, la société des Saints, sera offerte à Dieu par le grand Pontife qui s’offrit lui‑même pour nous, dans la Passion, sous la forme d’esclave (Aug. De Civit. Dei, 10, 6). »

Dans cet universel Sacrifice d’adoration et d’action de grâces, où l’expiation n’aura plus de part, entreront eux-mêmes les esprits bienheureux des milices angéliques. Car ils sont, eux aussi, le Sacrifice du Seigneur, formant avec nous l’unique Cité de Dieu célébrée dans le psaume (Ibid. 7. in Psalm. 86). « Tous en effet, dit saint Cyrille d’Alexandrie, nous avons reçu de sa plénitude. Toute créature, visible ou non, participe du Christ. Les Anges et les Archanges, les natures mêmes qui leur sont supérieures, et jusqu’aux Chérubins, ne sont point sanctifiés autrement que par le Christ seul dans le Saint-Esprit. Lui-même donc est l’autel, lui‑même l’encens et le souverain Prêtre, comme lui-même encore le sang de la rémission des péchés (Cyr. Al. De Adorat. in spir. et ver. Lib. 9). »

Ayant donc pour Pontife Jésus le Fils de Dieu, qui dans un seul Sacrifice a consommé pour jamais la Cité sainte, demeurons fermes dans la foi (Héb. 4, 14 ; 10, 14). Comme autrefois le grand Prêtre, au jour solennel de l’Expiation, pénétrait seul dans le Saint des Saints, tenant en mains le vase rempli du sang propitiateur, ainsi notre Pontife, ayant conquis l’éternelle rédemption (Héb. 9, 12), a disparu pour un temps aux regards de son peuple. Ministre du vrai sanctuaire et du tabernacle fixé par Dieu même (Ibid. 8, 2), nous l’avons vu, dans sa triomphante Ascension, pénétrer au delà du voile qui nous dérobe encore la vue de la Majesté souveraine ; poursuivant dans une parfaite unité le rite de son Sacrifice, il présente au Père, en sa nature humaine toujours marquée des stigmates glorieux de sa Passion, l’auguste victime dont l’immolation sur terre appelait la consommation dans les cieux. Cependant, comme autrefois Israël attendant le retour du grand Prêtre, le peuple chrétien s’unit à lui d’ici-bas, prolongeant sa prière autour de l’autel du parvis extérieur.

« C’est le jour de l’Expiation, dit Origène ; il persévère tant que luit le soleil, tant que durera le monde. Nous, debout près des portes, nous attendons notre Pontife arrêté dans le Saint des Saints près du Père, et intercédant pour les péchés de ceux qui l’attendent… Le lieu saint avait deux parties, en effet, nous dit l’Écriture : l’une visible, accessible aux prêtres ; l’autre invisible, et impénétrable à tout autre qu’au seul Pontife. Quelle est cette première partie, sinon celle où nous sommes maintenant dans la chair, l’Église, où les prêtres remplissent leur ministère devant l’autel des holocaustes alimenté par ce feu dont le Sauveur a dit : « Je suis venu apporter le feu sur la terre (s. Luc 12, 49) » ? C’est là, dans cette première partie du lieu saint, que le Pontife immole la victime ; c’est de là qu’il part pour entrer à l’intérieur du voile, dans cette seconde partie qui est le Ciel même et le trône de Dieu. Mais le feu, mais l’encens qu’il porte avec lui dans le Saint des Saints, il le prend de cet autel, il le reçoit d’ici même ; les vêtements sacrés eux-mêmes qui l’enveloppent tout entier de leur pompe mystérieuse, il ne s’en revêt point ailleurs (Orig. In Lévit. Hom. 9). »
Bien plus, devons-nous dire encore : après son départ, le feu du Sacrifice ne s’éteint pas dans le parvis ; et la victime de propitiation, dont le sang lui ouvre l’accès du redoutable sanctuaire, continue de brûler sur l’autel extérieur.

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À la messe

Par suite des mesures consenties entre le Saint-Siège et le Gouvernement français pour la réduction des fêtes, au commencement du XIXe siècle, la plupart des Églises de France célèbrent aujourd’hui seulement la solennité du Corps du Seigneur. La Messe que l’on chante dans ces Églises est celle du jour même de la fête. Dans les lieux au contraire où la solennité s’est célébrée à son jour, on célèbre la Messe du deuxième après la Pentecôte.

L’Introït est tiré des Psaumes. Il chante les bienfaits du Seigneur qui protège son peuple et le dégage de ses ennemis. Célébrons dans l’amour le Dieu notre sûr refuge et notre ferme appui.

Introït

Le Seigneur s’est fait mon protecteur ; il m’a mis au large, et il m’a sauvé, parce qu’il m’a aimé. Ps. Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes ma Force ; le Seigneur est mon appui, mon refuge et mon libérateur. Gloire au Père. Le Seigneur.

L’Église demande pour nous, dans la Collecte, la crainte et l’amour du Nom sacré du Seigneur. La crainte en effet dont il s’agit ici, la crainte des fils envers leur père, n’exclut point l’amour ; elle l’affermit au contraire, en le préservant de la négligence et des écarts auxquels une fausse familiarité entraîne trop souvent certaines âmes.

Collecte

Faites, Seigneur, que nous ayons toujours la crainte et l’amour de votre saint Nom, parce que vous ne cessez jamais de diriger ceux que vous établissez dans la solidité de votre amour. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Épître

Lecture de l’Épître du bienheureux Jean, Apôtre. 1, Chap. 3.
Mes bien-aimés, ne vous étonnez pas, si le monde vous hait. Pour nous, nous reconnaissons, à l’amour que nous avons pour nos frères, que nous sommes passés de la mort à la vie. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort : tout homme qui hait son frère est un homicide. Or, vous savez que nul homicide n’a la vie éternelle résidant en soi. Nous avons reconnu l’amour de Dieu envers nous, en ce qu’il a donné sa vie pour nous, et nous aussi nous devons donner nos vies pour nos frères. Celui qui possède le bien de ce monde, si voyant son frère dans la nécessité, il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Mes petits enfants, aimons, non de parole ni de langue, mais d’œuvre et en vérité.

Ces touchantes paroles du disciple bien-aimé ne pouvaient mieux être rappelées au peuple fidèle qu’en la radieuse Octave qui poursuit son cours. L’amour de Dieu pour nous est le modèle comme la raison de celui que nous devons à nos semblables ; la charité divine est le type de la nôtre. « Je vous ai donné l’exemple, dit le Sauveur, afin que, comme j’ai fait à votre égard, vous fassiez vous-mêmes (s. Jean 13, 15). » Si donc il a été jusqu’à donner sa vie, il faut savoir aussi donner la nôtre à l’occasion pour sauver nos frères. À plus forte raison devons-nous les secourir selon nos moyens dans leurs nécessités, les aimer non de parole ou de langue, mais effectivement et en vérité.

Or le divin mémorial, qui rayonne sur nous dans sa splendeur, est-il autre chose que l’éloquente démonstration de l’amour infini, le monument réel et la représentation permanente de cette mort d’un Dieu à laquelle s’en réfère l’Apôtre ?

Aussi le Seigneur attendit-il, pour promulguer la loi de l’amour fraternel qu’il venait apporter au monde, l’institution du Sacrement divin qui devait fournir à cette loi son puissant point d’appui. Mais à peine a-t-il créé l’auguste Mystère, à peine s’est-il donné sous les espèces sacrées : « Je vous donne un commandement nouveau, dit-il aussitôt ; et mon commandement, c’est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés (Ibid. 13, 34 ; 15, 12). » Précepte nouveau, en effet, pour un monde dont l’égoïsme était l’unique loi ; marque distinctive qui allait faire reconnaître entre tous les disciples du Christ (Ibid. 13, 35), et les vouer du même coup à la haine du genre humain (Tacit. Ann. 15) rebelle à cette loi d’amour. C’est à l’accueil hostile fait par le monde d’alors au nouveau peuple, que répondent les paroles de saint Jean dans notre Épître : « Mes bien-aimés, ne vous étonnez pas que le monde vous haïsse. Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. »

L’union des membres entre eux par le Chef divin est la condition d’existence du christianisme ; l’Eucharistie est l’aliment substantiel de cette union, le lien puissant du corps mystique du Sauveur qui, par elle, croît tous les jours dans la charité (Éph. 6, 16). La charité, la paix, la concorde, est donc, avec l’amour de Dieu lui-même, la plus indispensable et la meilleure préparation aux sacrés Mystères. C’est ce qui nous explique la recommandation du Seigneur dans l’Évangile : « Si, lorsque vous présentez votre offrande à l’autel, vous vous souvenez là même que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre offrande devant l’autel, et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, et venez ensuite présenter votre offrande (s. Matth. 5, 23‑24) ».

Le Graduel, tiré des Psaumes, rend grâces au Seigneur de sa protection dans le passé, et implore contre des ennemis toujours acharnés la continuation de son puissant secours.

Graduel Alleluia

Lorsque j’étais dans la tribulation, j’ai crié vers le Seigneur, et il m’a exaucé. V/. Seigneur, délivrez ma vie de l’attaque des lèvres iniques et de la langue trompeuse.
Alleluia, alleluia. V/. Seigneur mon Dieu, j’ai espéré en vous ; sauvez‑moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi. Alleluia.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. 14.

En ce temps-là, Jésus dit aux Pharisiens cette parabole : Un homme fit un grand souper, et il y convia beaucoup de gens. Et à l’heure du souper, il envoya son serviteur dire aux conviés de venir, parce que tout était prêt. Et tous commencèrent à s’excuser. Le premier lui dit : J’ai acheté une maison de campagne, et il faut que je l’aille voir : je vous prie de m’excuser. Et le second dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les essayer : je vous prie de m’excuser. Et un autre dit : J’ai épousé une femme, et c’est pourquoi je ne puis venir. Et le serviteur étant de retour, rapporta tout ceci à son maître. Alors le père de famille irrité dit à son serviteur : Va vite par les places et les rues de la ville, et amène ici les pauvres et les infirmes, les aveugles et les boiteux. Et le serviteur dit : Seigneur, il a été fait comme vous avez commandé, et il y a encore de la place. Et le maître dit au serviteur : Va par les chemins et le long des haies, et contrains d’entrer, afin que ma maison se remplisse. Car je vous le dis, aucun de ces gens qui avaient été invités ne goûtera de mon souper.

La fête du Corps du Seigneur n’était point encore établie, que déjà cet Évangile était attribué au présent Dimanche. C’est ce que témoignent, pour le 12ème siècle, Honorius d’Autun (Gemma anim. 4, 45-46) et Rupert (De div. Off. 12, 2). Le divin Esprit, qui assiste l’Église dans l’ordonnance de sa Liturgie, préparait ainsi à l’avance le complément des enseignements de cette grande solennité.

La parabole que propose ici le Sauveur à la table d’un chef des Pharisiens (s. Luc 14, 1) reviendra sur ses lèvres divines au milieu du temple, dans les jours qui précéderont immédiatement sa Passion et sa mort (s. Matth. 22, 1-14). Insistance significative, qui nous révèle assez l’importance de l’allégorie. Quel est, en effet, ce repas aux nombreux invités, ce festin des noces, sinon celui-là même dont la Sagesse éternelle a fait les apprêts dès l’origine du monde ? Rien n’a manqué aux magnificences de ces divins apprêts : ni les splendeurs de la salle du festin élevée au sommet des monts (Isaï. 2, 2) et soutenue par les sept colonnes mystérieuses (Prov. 9, 1) ; ni le choix des mets, ni l’excellence du pain, ni les délices du vin servis sur la table royale. Elle-même, de ses mains, la Sagesse du Père a pressuré dans la coupe la grappe de cypre (Cant. 1, 13) au suc généreux, broyé le froment levé sans semence d’une terre sacrée, immolé la victime (Prov. 9, 2). Israël, l’élu du Père (Éccli. 24, 13), était l’heureux convive qu’attendait son amour ; elle multipliait ses messages aux fils de Jacob. La Sagesse de Dieu s’était dit : Je leur enverrai les prophètes et les apôtres (s. Luc 11, 49). Mais le peuple aimé, engraissé de bienfaits, a regimbé contre l’amour ; il a pris a tâche de provoquer par ses abandons méprisants la colère du Dieu son Sauveur (Deut. 32, 15-16). La fille de Sion, dans son orgueil adultère, a préféré le libelle de répudiation au festin des noces (Isaï. 1, 1) ; Jérusalem a méconnu les célestes messages, tué les prophètes (s. Matth. 23, 34-37), et crucifié l’Époux.

Mais, alors même, la Sagesse éternelle offre encore aux fils ingrats d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, en souvenir de leurs pères, la première place à son divin banquet ; c’est aux brebis perdues de la maison d’Israël que sont d’abord envoyés les Apôtres (Ibid. 10, 6 ; Act. 13, 46). « Ineffables égards, s’écrie saint Jean Chrysostome ! Le Christ appelle les Juifs avant la croix ; il persévère après son immolation et continue de les appeler. Lorsqu’il devait, semble‑t‑il, les accabler du plus dur châtiment, il les invite à son alliance et les comble d’honneurs. Mais eux, qui ont massacré ses prophètes et qui l’ont tué lui-même, sollicités par un tel Époux, conviés à de telles noces par leur propre victime, ils n’en tiennent nul compte, et prétextent leurs paires de bœufs, leurs femmes ou leurs champs (Hom. 69 in Matth.). » Bientôt ces pontifes, ces scribes, ces pharisiens hypocrites, poursuivront et tueront les Apôtres à leur tour ; et le serviteur de la parabole ne ramènera de Jérusalem au banquet du père de famille que les pauvres, les petits, les infirmes des rues et places de la ville, chez qui du moins l’ambition, l’avarice ou les plaisirs n’auront point fait obstacle à l’avènement du royaume de Dieu.

C’est alors que se consommera la vocation des gentils, et le grand mystère de la substitution du nouveau peuple à l’ancien dans l’alliance divine. « Les noces de mon Fils étaient prêtes, dira Dieu le Père à ses serviteurs ; mais ceux que j’y avais invités n’en ont point été dignes. Allez donc ; quittez la ville maudite qui a méconnu le temps de sa visite (s. Luc 19, 44) ; sortez dans les carrefours, parti courez toutes les routes, cherchez dans les champs de la gentilité, et appelez aux noces tous ceux que vous rencontrerez (s. Matth. 22, 8-14). »

Gentils, glorifiez Dieu pour sa miséricorde (Rom. 15, 9). Conviés sans mérites de votre part au festin préparé pour d’autres, craignez d’encourir les reproches qui les ont exclus des faveurs promises à leurs pères. Boiteux et aveugle appelé du carrefour, sois empressé à la table sacrée. Mais songe aussi, par honneur pour Celui qui t’appelle, à déposer les vêtements souillés du mendiant du chemin. Revêts en hâte la robe nuptiale. Ton âme est reine désormais par l’appel à ces noces sublimes : « Orne-la donc de pourpre, dit saint Jean Chrysostome ; mets-lui le diadème, et place-la sur un trône. Songe aux noces qui t’attendent, aux noces de Dieu ! De quels tissus d’or, de quelle variété d’ornements ne doit pas resplendir l’âme appelée à franchir le seuil de cette salle du festin, de cette chambre nuptiale (Hom 69 in Matth.) ! »

L’Offertoire est, comme le Graduel, une prière instante, une demande de secours fondée sur la divine miséricorde.
Offertoire

Seigneur, revenez vers moi et délivrez mon âme ; sauvez-moi à cause de votre miséricorde.
L’Église implore, par la Secrète, le double effet du divin Sacrement dans la transformation des âmes : la purification des restes du péché, et le progrès dans les œuvres de la vie céleste.

Secrète

Que cette offrande, Seigneur, qui va être consacrée à votre Nom, nous purifie ; et qu’elle nous élève de jour en jour aux œuvres d’une vie toute céleste. Par Jésus-Christ.
Pendant la Communion, la sainte Église, inondée des faveurs du ciel, laisse éclater sa reconnaissance pour Celui qui, étant le Seigneur Très-Haut, est aussi son Époux et la comble de ces biens excellents.

Communion

Je chanterai au Seigneur qui m’a accordé tant de biens, et je célébrerai dans mes cantiques le Nom du Seigneur très haut.

Demandons avec l’Église, dans la Postcommunion, que la fréquentation du Mystère sacré ne demeure pas inféconde en nos âmes, mais y produise des fruits de salut toujours plus abondants.

Postcommunion

Ayant reçu les dons sacrés, faites, s’il vous plaît, Seigneur, que notre salut progresse par la fréquentation du divin Mystère. Par Jésus-Christ.

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Autres liturgies

La Liturgie portée sous le nom de saint Jacques aux Constitutions apostoliques continue, après le Trisagion, par la bouche du Pontife :

Constitutio Jacobi

Saint êtes-vous vraiment en effet, très saint, très haut, exalté dans les siècles. Saint de même votre Fils unique, notre Seigneur et Dieu Jésus-Christ.

O Dieu qui êtes son Père, lui, votre ministre dans la création et le gouvernement du monde, ne méprisa point la race humaine qui se perdait. Elle avait eu la loi de nature, le redressement du Sinaï, les reproches des prophètes ; mais violant à la fois la loi naturelle et positive, oubliant le déluge, l’embrasement de Sodome, les plaies d’Égypte et l’extermination des peuples de la Palestine, elle courait à une ruine entière : lorsque, de votre consentement, il voulut bien se faire homme lui créateur de l’homme, sujet des lois lui le législateur, hostie lui pontife, brebis lui pasteur ; et vous, son Dieu et Père, fûtes apaisé et réconcilié avec le monde par ce Dieu Verbe, ce Fils aimé, premier-né de toute créature, né d’une Vierge, né dans la chair, sorti de la race de David et d’Abraham, de la tribu de Juda, conformément aux prophéties que lui-même avait inspirées sur sa propre personne.

Il fut donc façonné dans le sein d’une Vierge, celui qui forme tous les êtres ; il se fit chair, l’immatériel ; il naquit dans le temps, le fils engendré avant tous les temps. Il vécut dans la sainteté, enseigna dans la vérité. Il chassa des hommes maladies et langueurs, sema dans le peuple signes et prodiges. Il mangea, but et dormit, celui qui nourrit ceux qui ont faim et remplit de sa bénédiction tous les êtres. Il manifesta votre Nom à ceux qui ne le connaissaient pas, dissipa l’ignorance, ranima l’amour, accomplit votre volonté, et consomma l’œuvre que vous lui aviez donnée à faire. Ayant donc conduit à bonne fin toutes ces choses, trahi par le fils de perdition, il fut saisi par les mains de pontifes criminels et d’un peuple inique qui l’accablèrent par votre permission de souffrances et d’outrages.

Il fut livré au gouverneur Pilate ; le Juge fut jugé, le Sauveur condamné ; on crucifia celui qui ne peut souffrir ; l’immortel connut la mort ; l’artisan de la vie entra au tombeau : pour délivrer de la souffrance et sauver de la mort ceux pour lesquels il était venu, pour briser les chaînes forgées par l’enfer et arracher les hommes à ses tromperies perfides.

Le troisième jour, il se leva d’entre les morts ; il demeura quarante jours avec ses disciples, monta aux cieux, et s’assit à votre droite, ô Dieu son Père.

Ayant donc mémoire de sa passion et de sa mort, de sa résurrection et de son retour au ciel ; dans la pensée aussi du second avènement où il doit venir, avec gloire et puissance, juger les vivants et les morts, et rendre à chacun selon ses œuvres : à vous, roi et Dieu, nous offrons ce pain et ce calice, ainsi qu’il l’a ordonné, par lui vous rendant grâces.

L’Église syrienne met la belle formule qui suit dans la bouche du Diacre au moment le plus solennel des Mystères.

Concio

Voici le temps de la crainte, voici l’heure remplie de terreur : les esprits célestes sont dans la frayeur et, près de l’autel, s’acquittent en tremblant de leur ministère.
L’effroi saisit les fils de lumière, la terre est indifférente, le pécheur se dérobe à l’heure qui apporte la grâce. Ministres de l’Église, tremblez ; car vous avez en mains le feu vivant, et la puissance qui vous est donnée surpasse les Séraphins.
Heureuse l’âme pure ici présente à cette heure ! car l’Esprit‑Saint écrit son nom, et la transporte aux cieux.
Notre-Dame, ô Marie bienheureuse, implorez avec nous votre unique Fils, pour que, propre à vos prières, il ait pitié de nous tous.
Seigneur, regardez d’un œil de miséricorde le Prêtre notre Père debout à votre Autel. Recevez son offrande, ô vous notre Seigneur, comme l’offrande des Prophètes et des Apôtres.
Souvenez-vous, Seigneur, dans votre grâce et vos divines miséricordes, des Prêtres nos Pères et nos Princes. Que leur prière soit notre rempart.
Souvenez-vous, Seigneur, de nos pères, de nos frères, de nos maîtres ; rendez-nous dignes avec eux du royaume céleste par votre miséricorde.
Souvenez-vous, Seigneur, des absents, et ayez pitié de ceux qui sont ici ; donnez aussi aux âmes des défunts le repos, et pardonnez aux pécheurs à l’heure du jugement.
Aux âmes des morts qui, séparés de nous, ont quitté ce monde, donnez, Christ, le repos avec les bons et les justes.
Que votre croix soit pour eux comme un pont, que votre baptême soit leur vêtement, que votre Corps et votre Sang précieux soient la voie qui les conduise au royaume.
De ce sanctuaire puisse à jamais notre adoration être agréée, et donner gloire au Père, au Fils, à l’Esprit-Saint qui est vie ; que lui-même le Dieu vrai consomme en nous sa grâce, ses bénédictions, sa miséricorde et sa clémence, en ce moment et toujours. Et nous tous implorons le Seigneur.

Ajoutons cette Séquence tirée des manuscrits de Saint-Gall, où l’on retrouvera plus d’un trait du Victimtae paschali laudes.

Séquence

Que les chrétiens louent dévotement le Fils du Père :
Par son sang l’innocent Agneau
À délivré les pécheurs de la mort de l’enfer ;
Par sa mort, il a détruit l’abîme, et délivrés
Il nous conduit là où vivant il règne.
Vous êtes pour les bons l’aliment vivifiant du chemin.
Vous êtes l’espérance vraie du pécheur
Qui veut s’arracher au bourbier du crime.
O chair vénérable, revêtez-vous de la pureté des Anges.
Par le sacrement de ce Corps
Conduisez-nous à la vraie Galilée.
O chair sacrée du Christ,
Prêtez secours : que nous ne soyons pas condamnés
Avec la tourbe perfide des Juifs ;
Mais qu’avec vous nous vivions à jamais.
O Christ roi, prenez pitié de nous !