25 mars
Annonciation de la Vierge Marie

Dom Guéranger
L’année liturgique ~ 25 mars
L’Annonciation de la Très Sainte Vierge

Introduction

Cette journée est grande dans les annales de l’humanité ; elles est grande aux yeux même de Dieu : car elle est l’anniversaire du plus solennel événement qui se soit accompli dans le temps. Aujourd’hui, le Verbe divin, par lequel le Père a créé le monde, s’est fait chair au sein d’une Vierge, et il a habité parmi nous (s. Jean 1, 14). Suspendons en ce jour nos saintes tristesses ; et en adorant les grandeurs du Fils de Dieu qui s’abaisse, rendons grâces au Père qui a aimé le monde jusqu’à lui donner son Fils unique (Ibid. 3, 16), et au Saint-Esprit dont la vertu toute-puissante opère un si profond mystère. Au sein même de l’austère Quarantaine, voici que nous préludons aux joies ineffables de la fête de Noël ; encore neuf mois, et notre Emmanuel conçu en ce jour naîtra dans Bethléhem, et les concerts des Anges nous convieront à venir saluer sa naissance fortunée.

Dans la semaine de la Septuagésime, nous avons contemplé avec terreur la chute de nos premiers parents ; nous avons entendu la voix de Dieu dénonçant la triple sentence, contre le serpent, contre la femme, et enfin contre l’homme. Nos cœurs ont été glacés d’effroi au bruit de cette malédiction dont les effets sont arrivés sur nous, et doivent se faire sentir jusqu’au dernier jour du monde. Cependant, une espérance s’est fait jour dans notre âme ; du milieu des anathèmes, une promesse divine a brillé tout à coup comme une lueur de salut. Notre oreille a entendu le Seigneur irrité dire au serpent infernal qu’un jour sa tête altière serait brisée, et que le pied d’une femme lui porterait ce coup terrible.

Le moment est venu où le Seigneur va remplir l’antique promesse. Durant quatre mille ans, le monde en attendit l’effet ; malgré ses ténèbres et ses crimes, cette espérance ne s’éteignit pas dans son sein. Dans le cours des siècles, la divine miséricorde a multiplié les miracles, les prophéties, les figures, pour rappeler l’engagement qu’elle daigna prendre avec l’homme. Le sang du Messie a passé d’Adam à Noé ; de Sem à Abraham, Isaac et Jacob ; de David et Salomon à Joachim ; il coule maintenant dans les veines de Marie, fille de Joachim. Marie est cette femme par qui doit être levée la malédiction qui pèse sur notre race. Le Seigneur, en la décrétant immaculée, a constitué une irréconciliable inimitié entre elle et le serpent ; et c’est aujourd’hui que cette fille d’Ève va réparer la chute de sa mère, relever son sexe de l’abaissement dans lequel il était plongé, et coopérer directement et efficacement à la victoire que le Fils de Dieu vient remporter en personne sur l’ennemi de sa gloire et du genre humain.

La tradition apostolique a signalé à la sainte Église le vingt-cinq mars, comme le jour qui vit s’accomplir l’auguste mystère (s. August. de Trinitate L. 4, c. 5). Ce fut à l’heure de minuit que la très pure Marie, seule, et dans le recueillement de la prière, vit apparaître devant elle le radieux Archange descendu du ciel pour venir recevoir son consentement, au nom de la glorieuse Trinité. Assistons à l’entrevue de l’Ange et de la Vierge, et reportons en même temps notre pensée aux premiers jours du monde. Un saint Évêque martyr du IIème siècle, fidèle écho de l’enseignement des Apôtres, saint Irénée, nous a appris à rapprocher cette grande scène de celle qui eut lieu sous les ombrages d’Eden (Adv. haeres. Lib. 5, cap. 19).

Dans le jardin des délices, c’est une vierge qui se trouve en présence d’un ange, et un colloque s’établit entre l’ange et la vierge. À Nazareth, une vierge est aussi interpellée par un ange, et un dialogue s’établit entre eux ; mais l’ange du Paradis terrestre est un esprit de ténèbres, et celui de Nazareth est un esprit de lumière Dans les deux rencontres, c’est l’ange qui prend le premier la parole. « Pourquoi, dit l’esprit maudit à la première femme, pourquoi Dieu vous a‑t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres de ce jardin ? » On sent déjà dans cette demande impatiente la provocation au mal, le mépris, la haine envers la faible créature dans laquelle Satan poursuit l’image de Dieu.

Voyez au contraire l’ange de lumière avec quelle douceur, quelle paix, il approche de la nouvelle Ève ! avec quel respect il s’incline devant cette fille des hommes ! « Salut, ô pleine de grâce ! le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes » Qui ne reconnaît l’accent céleste dans ces paroles où tout respire la dignité et la paix ! Mais continuons de suivre le mystérieux parallèle.

La femme d’Eden, dans son imprudence, écoute la voix du séducteur ; elle s’empresse de répondre. Sa curiosité l’engage dans une conversation avec celui qui l’invite à scruter les décrets de Dieu. Elle n’a pas de défiance à l’égard du serpent qui lui parle, tout à l’heure, elle se défiera de Dieu même.

Marie a entendu les paroles de Gabriel ; mais cette Vierge très prudente, comme parle l’Église, demeure dans le silence. Elle se demande d’où peuvent venir ces éloges dont elle est l’objet. La plus pure, la plus humble des vierges craint la flatterie ; et l’envoyé céleste n’obtiendra pas d’elle une parole qu’il n’ait éclairci sa mission par la suite de son discours. « Ne craignez pas, ô Marie, dit-il à la nouvelle Ève ; car vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. Voici que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous l’appellerez Jésus. Il sera grand, et il sera appelé le Fils du Très-Haut ; et le Seigneur lui donnera le trône de David son père ; il régnera sur la maison de Jacob à jamais, et son règne n’aura pas de fin. »

Quelles magnifiques promesses descendues du ciel, de la part de Dieu ! quel objet plus digne de la noble ambition d’une fille de Juda, qui sait de quelle gloire doit être entourée l’heureuse mère du Messie ? Cependant, Marie n’est pas tentée par tant d’honneur. Elle a pour jamais consacré sa virginité au Seigneur, afin de lui être plus étroitement unie par l’amour ; la destinée la plus glorieuse qu’elle ne pourrait obtenir qu’en violant ce pacte sacré, ne saurait émouvoir son âme. « Comment cela pourrait-il se faire, répond-elle à l’Ange, puisque je ne connais pas d’homme ? »

La première Ève ne montre pas ce calme, ce désintéressement. À peine l’ange pervers lui a‑t‑il assuré qu’elle peut violer, sans crainte de mourir, le commandement de son divin bienfaiteur, que le prix de sa désobéissance sera d’entrer par la science en participation de la divinité même : tout aussitôt, elle est subjuguée. L’amour d’elle-même lui a fait oublier en un instant le devoir et la reconnaissance ; elle est heureuse de se voir affranchie au plus tôt de ce double lien qui lui pèse.

Telle se montre cette femme qui nous a perdus ; mais combien différente nous apparaît cette autre femme qui devait nous sauver ! La première, cruelle à sa postérité, se préoccupe uniquement d’elle-même ; la seconde s’oublie, pour ne songer qu’aux droits de Dieu sur elle. L’Ange, ravi de cette sublime fidélité, achève de lui dévoiler le plan divin « L’Esprit-Saint, lui dit-il, surviendra en vous ; la Vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; et c’est pour cela que ce qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. Élisabeth votre cousine a conçu un fils, malgré sa vieillesse : celle qui fut stérile est arrivée déjà à son sixième mois ; car rien n’est impossible à Dieu. » L’Ange arrête ici son discours, et il attend dans le silence la résolution de la vierge de Nazareth.

Reportons nos regards sur la vierge d’Eden. À peine l’esprit infernal a-t-il cessé de parler, qu’elle jette un œil de convoitise sur le fruit défendu ; elle aspire à l’indépendance dont ce fruit si délectable va la mettre en possession. Sa main désobéissante s’avance pour le cueillir ; elle le saisit, elle le porte avidement à sa bouche, et au même instant la mort prend possession d’elle : mort de l’âme par le péché qui éteint la lumière de vie ; mort du corps qui séparé du principe d’immortalité, devient désormais un objet de honte et de confusion, en attendant qu’il tombe en poussière.

Mais détournons nos yeux de ce triste spectacle, et revenons à Nazareth. Marie a recueilli les dernières paroles de l’Ange ; la volonté du ciel est manifeste pour elle. Cette volonté lui est glorieuse et fortunée : elle l’assure que l’ineffable bonheur de se sentir Mère d’un Dieu lui est réservé, à elle humble fille de l’homme, et que la fleur de virginité lui sera conservée. En présence de cette volonté souveraine, Marie s’incline dans une parfaite obéissance, et dit au céleste envoyé : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon votre parole ».

Ainsi, selon la remarque de notre grand saint Irénée, répétée par toute la tradition chrétienne, l’obéissance de la seconde femme répare la désobéissance de la première ; car la Vierge de Nazareth n’a pas plus tôt dit : Qu’il me soit fait, FIAT, que le Fils éternel de Dieu qui, selon le décret divin, attendait cette parole, se rend présent, par l’opération de l’Esprit-Saint, dans le chaste sein de Marie, et vient y commencer une vie humaine. Une Vierge devient Mère, et la Mère d’un Dieu ; et c’est l’acquiescement de cette Vierge à la souveraine volonté qui la rend féconde, par l’ineffable vertu de l’Esprit-Saint. Mystère sublime qui établit des relations de fils et de mère entre le Verbe éternel et une simple femme ; qui fournit au Tout-Puissant un moyen digne de lui d’assurer son triomphe contre l’esprit infernal, dont l’audace et la perfidie semblaient avoir prévalu jusqu’alors contre le plan divin !

Jamais défaite ne fut plus humiliante et plus complète que celle de Satan, en ce jour. Le pied de la femme, de cette humble créature qui lui offrit une victoire si facile, ce pied vainqueur, il le sent maintenant peser de tout son poids sur sa tête orgueilleuse qui en est brisée. Ève se relève dans son heureuse fille pour écraser le serpent. Dieu n’a pas choisi l’homme pour cette vengeance : l’humiliation de Satan n’eût pas été assez profonde. C’est la première proie de l’enfer, sa victime la plus faible, la plus désarmée, que le Seigneur dirige contre cet ennemi. Pour prix d’un si haut triomphe, une femme dominera désormais non seulement sur les anges rebelles, mais sur toute la race humaine ; bien plus, sur toutes les hiérarchies des Esprits célestes. Du haut de son trône sublime, Marie Mère de Dieu plane au-dessus de toute la création. Au fond des abîmes infernaux Satan rugira d’un désespoir éternel, en songeant au malheur qu’il eut de diriger ses premières attaques contre un être fragile et crédule que Dieu a si magnifiquement vengé ; et dans les hauteurs du ciel, les Chérubins et les Séraphins lèveront timidement leurs regards éblouis vers Marie, ambitionneront son sourire, et se feront gloire d’exécuter les moindres désirs de cette femme, la Mère du grand Dieu et la sœur des hommes

C’est pourquoi nous, enfants de la race humaine, arrachés à la dent du serpent infernal par l’obéissance de Marie, nous saluons aujourd’hui l’aurore de notre délivrance. Empruntant les paroles du cantique de Debbora, où cette femme, type de Marie victorieuse, chante son triomphe sur les ennemis du peuple saint, nous disons : « La race des forts avait disparu d’Israël, jusqu’au jour où s’éleva Debbora, où parut celle qui est la mère dans Israël. Le Seigneur a inauguré un nouveau genre de combat ; il a forcé les portes de son ennemi. » (Judic. 5, 7, 8) Prêtons l’oreille, et entendons encore, à travers les siècles, cette autre femme victorieuse, Judith. Elle chante à son tour : « Célébrez le Seigneur notre Dieu, qui n’aban­donne pas ceux qui espèrent en lui. C’est en moi, sa servante, qu’il a accompli la miséricorde promise à la maison d’Israël ; c’est par ma main qu’il a immolé, cette nuit même, l’ennemi de son peuple. Le Seigneur tout-puissant a frappé cet ennemi ; il l’a livré aux mains d’une femme, et il l’a percé de son glaive. » (Judith, 13, 17, 18 ; 16, 7)

La liturgie du jour

AUX PREMIÈRES VÊPRES

L’Office des premières Vêpres est toujours comme l’ouverture de la fête ; et l’Église aujourd’hui emprunte la matière de ses chants au récit de l’Évangéliste qui nous a transmis le sublime dialogue de l’Ange et de la Vierge. Les Psaumes sont ceux que la tradition chrétienne a consacrés à la célébration des grandeurs de Marie, et dont nous avons ailleurs expliqué l’intention.

À LA MESSE

La sainte Église emprunte la plus grande partie des chants du Sacrifice au sublime épithalame dans lequel le Roi-Prophète célèbre l’union de l’Époux et de l’Épouse. À l’Introït, elle salue en Marie la Reine du genre humain, devant laquelle toute créature doit s’incliner. La virginité a préparé en Marie la Mère d’un Dieu ; cette vertu sera imitée dans l’Église ; et chaque génération enfantera de nombreux essaims de vierges, qui marcheront sur les traces de celle qui est leur mère et leur modèle.

INTROÏT

Tous les puissants de la terre imploreront votre regard. À votre suite viendront des chœurs de vierges, vos compagnes ; elles seront présentées au Roi dans la joie et l’allégresse. Ps. Mon cœur éclate en un cantique excellent ; c’est à la gloire du Roi que je consacre mon œuvre. Gloire au Père. Tous les puissants.

Dans la Collecte, l’Église se glorifie de sa foi dans la maternité divine, et réclame, à ce titre, l’intercession toute-puissante de Marie auprès de Dieu. Ce dogme fondé sur le fait qui s’accomplit aujourd’hui est la base de notre croyance, le fondement du divin mystère de l’Incarnation.

COLLECTE.

Ô Dieu, qui avez voulu que votre Verbe prît chair, à la parole de l’Ange, du sein de la bienheureuse Vierge Marie ; accordez à la prière de vos serviteurs que nous, qui la croyons véritablement Mère de Dieu, nous soyons secourus auprès de vous par son intercession. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

On fait ensuite mémoire du Carême par la Collecte du jour.

ÉPÎTRE
Lecture du Prophète Isaïe. Chap. VII.

En ces jours-là, le Seigneur parla à Achaz, et lui dit : Demande au Seigneur ton Dieu un prodige au fond de la terre, ou au plus haut du ciel. Et Achaz dit : Je n’en demanderai point, et ne tenterai point le Seigneur. Et Isaïe dit : Écoutez donc, maison de David : Est-ce peu pour vous de lasser la patience des hommes, qu’il vous faille lasser aussi celle de mon Dieu ? C’est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe : Voici qu’une Vierge concevra, et elle enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel. Il mangera le laitage et le miel, avant d’arriver à l’âge où l’enfant sait rejeter le mal et choisir le bien.

C’est en parlant à un roi impie qui refusait un prodige que Dieu daignait lui offrir, en signe de sa miséricordieuse protection sur Jérusalem, que le Prophète annonce à Juda la sublime merveille qui s’accomplit aujourd’hui : Une vierge concevra et enfantera un fils. C’est dans un siècle où le genre humain semblait avoir comblé la mesure de tous ses crimes, où le polythéisme et la plus affreuse dépravation régnaient par toute la terre, que le Seigneur réalise ce prodige. La plénitude des temps est arrivée ; et cette antique tradition qui a fait le tour du monde : qu’une Vierge deviendrait mère, se réveille dans le souvenir des peuples. En ce jour où un si profond mystère s’est accompli, révérons la puissance du Seigneur, et sa fidélité à ses promesses. L’auteur des lois de la nature les suspend pour agir lui-même ; la virginité et la maternité s’unissent dans une même créature : c’est qu’un Dieu va naître. Une Vierge ne pouvait enfanter qu’un Dieu : c’est pourquoi le fils de Marie aura nom Emmanuel, Dieu avec nous.

Adorons dans son infirmité volontaire le Dieu créateur du monde visible et invisible, qui veut désormais que toute créature confesse non seulement sa grandeur infinie, mais encore la vérité de cette nature humaine qu’il daigne prendre pour nous sauver. À partir de cette heure, il est bien le Fils de l’Homme : neuf mois il habitera le sein maternel, comme les autres enfants ; comme eux après sa naissance, il goûtera le lait et le miel, et sanctifiera tous les états de l’humanité : car il est l’homme nouveau qui a daigné descendre du ciel pour relever l’ancien. Sans rien perdre de sa divinité, il vient subir toutes les conditions de notre être infirme et borné, afin de nous rendre à son tour participants de la nature divine (2 Petr. 1, 4).

Dans le Graduel, l’Église chante avec David la beauté de l’Emmanuel, son règne et la force de son bras ; car il vient dans l’humilité pour se relever dans la gloire : il descend pour combattre et pour triompher.

GRADUEL

La grâce est répandue sur vos lèvres ; c’est pourquoi Dieu vous a béni pour l’éternité. V/. Vous régnerez par la vérité, par la mansuétude et la justice ; et votre bras accomplira des prodiges admirables.

L’Église continue d’employer le même cantique dans le Trait, mais c’est pour célébrer les grandeurs de Marie, Vierge et Mère. L’Esprit-Saint l’a aimée pour son incomparable beauté : aujourd’hui il la couvre de son ombre, et elle conçoit divinement. Quelle gloire est comparable à celle de Marie, en qui se complaît la Trinité tout entière ? Dans l’ordre de la création, la puissance de Dieu ne saurait produire rien de plus élevé qu’une Mère de Dieu. David nous montre son heureuse fille recevant les hommages des grands de la terre, et entourée d’une cour toute composée de vierges dont elle est le modèle et la reine. Ce jour est aussi le triomphe de la virginité, qui se voit élevée jusqu’à la maternité divine ; aujourd’hui Marie relève son sexe de l’esclavage, et lui ouvre la voie à toutes les grandeurs.

TRAIT

Écoutez, ô ma fille ! voyez et prêtez l’oreille ; car le Roi est épris d’amour pour votre beauté.  V/. Tous les puissants de la terre imploreront vos regards ; les filles des rois formeront votre cour d’honneur. V/. À votre suite viendront des chœurs de vierges ; vos plus proches compagnes seront présentées au Roi. V/. Elles seront amenées dans la joie et l’allégresse ; elles seront introduites dans le temple du Roi.

ÉVANGILE

La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. I.

En ce temps-là, l’Ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, à une vierge mariée à un homme de la maison de David, nommé Joseph ; et le nom de la Vierge était Marie. Et l’Ange, étant entré où elle était, lui dit : Salut, ô pleine de grâce ! le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. Elle, l’ayant entendu, fut troublée de ses paroles, et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. Et l’Ange lui dit : Ne craignez point, Marie ; car vous avez trouve grâce devant Dieu : voici que vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très-Haut ; et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; et il régnera éternellement sur la maison de Jacob ; et son règne n’aura point de fin. Alors Marie dit à l’Ange : Comment cela se fera-t-il ? car je ne connais point d’homme. Et l’Ange lui répondit : L’Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. Et voilà qu’Élisabeth votre parente a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse : et ce mois est le sixième de celle qui était appelée stérile ; car rien n’est impossible à Dieu. Et Marie dit : Voici la servante du Seigneur : qu’il me soit fait selon votre parole.

Par ces dernières paroles, ô Marie, notre sort est fixé. Vous consentez au désir du Ciel : et votre acquiescement assure notre salut. Ô Vierge ! ô Mère ! bénie entre les femmes, recevez avec les hommages des Anges les actions de grâces du genre humain. Par vous, notre ruine est réparée, en vous notre nature se relève, car vous êtes le trophée de la victoire de l’homme sur son ennemi. « Réjouis-toi, ô Adam, notre père, mais triomphe surtout, toi notre mère, ô Ève ! vous qui, ancêtres de nous tous, fûtes aussi envers nous tous des auteurs de mort : meurtriers de votre race avant d’en être les pères. Consolez-vous désormais en cette noble fille qui vous est donnée ; mais, toi surtout, ô Ève ! sèche tes pleurs : toi de qui le mal sortit au commencement, toi qui jusqu’aujourd’hui avais communiqué ta disgrâce à ton sexe tout entier. Voici l’heure où cet opprobre va disparaître, où l’homme va cesser d’avoir droit de se plaindre de la femme. Un jour, cherchant à excuser son propre crime, il fit tout aussitôt peser sur elle une accusation cruelle : « La femme que j’ai reçue de vous, dit-il à Dieu, cette femme m’a donné du fruit ; et j’en ai mangé. Ô Ève, cours donc à Marie ; ô mère, réfugie-toi près de ta fille. C’est la fille qui va répondre pour la mère ; c’est elle qui va enlever la honte de sa mère, elle qui va satisfaire pour la mère auprès du père ; car si c’est par la femme que l’homme est tombé, voici qu’il ne peut plus se relever que par la femme. Que disais-tu donc, ô Adam ? La femme que j’ai reçue de vous m’a donné du fruit ; et j’en ai mangé. Ces paroles sont mauvaises ; elles augmentent ton péché ; elles ne l’effacent pas. Mais la divine Sagesse a vaincu ta malice ; elle a pris dans le trésor de son inépuisable bonté le moyen de te procurer un pardon qu’elle avait essayé de te faire mériter, en te fournissant l’occasion de répondre dignement à la question qu’elle t’adressait. Tu recevras femme pour femme ; une femme prudente pour une femme insensée ; une femme humble pour une femme orgueilleuse ; une femme qui, au lieu d’un fruit de mort, te présentera l’aliment de la vie ; qui, au lieu d’une nourriture empoisonnée, enfantera pour toi le fruit des délices éternelles. Change donc en paroles d’actions de grâces ton injuste excuse, et dis maintenant : Seigneur, la femme que j’ai reçue de vous m’a donné du fruit de l’arbre de vie, et j’en ai mangé ; et ce fruit a été doux à ma bouche : car c’est en lui que vous m’avez rendu la vie. (s. Bernard Hom. 2 sur Missus est) »

À l’Offertoire, la sainte Église salue Marie avec les paroles de l’Ange, auxquelles elle réunit celles que prononça Élisabeth, lorsque celle-ci s’inclina devant la Mère de son Dieu.

OFFERTOIRE

Je vous salue, Marie, pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni.

L’Église rend un nouvel hommage, dans la Secrète, au dogme de l’Incarnation, en confessant la réalité des deux natures, divine et humaine, en Jésus Christ, Fils de Dieu et fils de Marie.

SECRÈTE

Daignez, Seigneur, confirmer dans nos âmes les mystères de la vraie foi ; afin que nous, qui confessons qu’un homme-Dieu véritable a été conçu d’une Vierge, nous méritions, par la vertu de sa résurrection salutaire, la grâce de parvenir à la félicité éternelle. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

On fait ensuite mémoire du Carême par la Secrète du jour.

La solennité de la fête oblige l’Église à suspendre aujourd’hui la Préface du Carême, et à lui substituer celle qu’elle emploie aux Messes de la très sainte Vierge.

PRÉFACE

C’est une chose digne et juste, équitable et salutaire, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, de vous rendre grâces en tout temps et en tous lieux ; spécialement de vous louer, de vous bénir, de vous célébrer, en l’Annonciation de la bienheureuse Marie, toujours vierge. C’est elle qui a conçu votre Fils unique par l’opération du Saint-Esprit, et qui, sans rien perdre de la gloire de sa virginité, a donné au monde la Lumière éternelle, Jésus-Christ notre Seigneur : par qui les Anges louent votre Majesté, les Dominations l’adorent, les Puissances la revêtent en tremblant, les Cieux et les Vertus des cieux, et les heureux Séraphins, la célèbrent avec transport. Daignez permettre à nos voix de s’unir à leurs voix, afin que nous puissions dire dans une humble confession : Saint ! Saint ! Saint !

L’Antienne de la Communion reproduit les paroles de l’oracle divin que nous avons lu dans l’Épître. C’est une Vierge qui a conçu et enfante celui qui, étant Dieu et homme, est aussi le Pain vivant descendu du ciel, et par lequel Dieu est avec nous et en nous.

COMMUNION

Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera nommé Emmanuel.

Dans la Postcommunion, l’Église rappelle en action de grâces tous les mystères qui, pour notre salut, sont sortis de celui qui s’accomplit aujourd’hui. Après l’Incarnation qui unit le Fils de Dieu à la nature humaine, nous avons eu la Passion de ce divin Rédempteur ; et sa Passion a été suivie de sa Résurrection, par laquelle il a triomphé de la mort, notre ennemie.

POSTCOMMUNION

Répandez, s’il vous plaît, Seigneur, votre grâce dans nos âmes ; afin que nous qui avons connu par la voix de l’Ange l’Incarnation de Jésus-Christ, votre Fils, nous arrivions par sa Passion et sa Croix à la gloire de sa Résurrection. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

On fait ensuite mémoire du Carême par la Postcommunion du jour.

AUX SECONDES VÊPRES

Les Antiennes, les Psaumes, le Capitule. l’Hymne et le Verset, sont les mêmes qu’aux premières Vêpres. L’Antienne de Magnificat est seule différente.

Antienne de Magnificat

L’Ange Gabriel parla à Marie, et lui dit : Salut, ô pleine de grâce ! le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes.

ORAISON

Ô Dieu, qui avez voulu que votre Verbe prît chair, à la parole de l’Ange, du sein de la bienheureuse Vierge Marie ; accordez à la prière de vos serviteurs que nous, qui la croyons véritablement Mère de Dieu, nous soyons secourus auprès de vous par son intercession. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Les diverses liturgies

Réunissons maintenant, comme dans un concert unanime, les diverses Liturgies qui célèbrent chacune avec leur accent propre le grand mystère qui fait aujourd’hui la joie de l’Église. Nous écouterons d’abord la sainte Église Romaine qui, à l’Office des Matines, chante ainsi à l’honneur de Marie Mère de Dieu.

HYMNE DES MATINES

Celui que la terre, la mer et les cieux vénèrent, adorent et célèbrent ; celui qui gouverne les trois régions de cet univers, Marie le porte dans son sein.

Celui auquel obéissent le soleil, la lune et tous les astres, dans les révolutions qu’il leur a fixées, le sein d’une jeune fille rendue féconde par la grâce céleste le contient aujourd’hui.

Heureuse Mère, au sein de laquelle s’est renfermé, comme dans un sanctuaire, le suprême ouvrier qui tient le monde dans sa main.

Heureuse par le message céleste, féconde par l’opération de l’Esprit-Saint, c’est d’elle qu’est sorti le Désiré des nations.

À vous soit gloire, ô Jésus, fils de la Vierge ! gloire au Père, et à l’Esprit divin, dans les siècles éternels. Amen.

Le moyen âge des Églises latines employait à la Messe de l’Annonciation la Prose suivante que l’on attribue à Pierre Abailard.

SÉQUENCE

Dans son amour pour l’homme, Dieu députe à la Vierge, non un Ange ordinaire, mais l’Archange appelé Force de Dieu.

Qu’il se hâte d’envoyer pour nous le vaillant messager ; que la nature soit vaincue par l’enfantement d’une vierge.

Que le Roi de gloire, dans sa naissance, triomphe de la chair ; qu’il règne et commande ; qu’il enlève des cœurs le levain et la rouille du péché.

Qu’il foule aux pieds le faste des fronts superbes ; qu’il marche dans sa force sur les têtes altières, le Dieu puissant dans les combats.

Qu’il chasse dehors le prince du monde ; qu’il partage avec sa Mère le commandement qu’il exerce avec le Père.

Pars, Ange, annonce ces biens ; et par ton puissant message, lève le voile de la lettre antique.

Approche d’elle, et parle ; dis-lui en face : Je vous salue. Dis-lui : Ô pleine de grâce. Dis : Le Seigneur est avec vous. Dis encore : Ne craignez point.

Recevez, ô Vierge ! le dépôt de Dieu ; par lui vous consommerez votre chaste dessein, et votre vœu demeurera intact.

La Vierge entend, et accepte le message ; elle croit, elle conçoit, elle enfante un fils, un fils admirable,

Le Conseiller de la race humaine, le Dieu-homme, le Père du siècle futur, l’immuable pacificateur.

Veuille ce Dieu immuable assurer notre stabilité, de peur que l’humaine faiblesse n’entraîne dans l’abîme nos pas indécis.

Mais que l’auteur du pardon, qui est le pardon lui-même, que la grâce obtenue par la mère de grâce, daigne habiter en nous.

Qu’il nous octroie la remise de nos péchés ; qu’il efface nos méfaits ; qu’il nous donne une patrie dans la cité du ciel. Amen.

La Liturgie Ambrosienne nous fournit cette belle Préface qu’elle emploie à la célébration du mystère d’aujourd’hui.

PRÉFACE AMBROSIENNE

Il est véritablement digne et juste, équitable et salutaire, que nous vous rendions grâces, Seigneur Dieu tout-puissant, et que nous implorions votre secours pour célébrer dignement la fête de la bienheureuse Vierge Marie, du sein de laquelle a fleuri ce fruit qui nous a rassasiés du Pain des Anges. Le fruit qu’avait dévoré Ève dans sa désobéissance, Marie nous l’a rendu, en nous sauvant. Quelle dissemblance entre l’œuvre du serpent et celle de la Vierge ! De l’une sont provenus les poisons qui nous ont fait périr ; de l’autre sont sortis les mystères du Sauveur. Dans l’une, nous voyons l’iniquité du tentateur ; dans l’autre, la majesté du Rédempteur vient à notre secours. Par l’une, l’homme a succombé ; par l’autre, le Créateur a relevé sa gloire ; et la nature humaine affranchie de ses liens, a été rendue à la liberté ; et ce qu’elle avait perdu par son père Adam, elle l’a recouvré par le Christ.

La Liturgie Mozarabe, qui, comme nous l’avons dit ailleurs, célèbre l’Annonciation de la très sainte Vierge le 18 décembre, consacre à ce mystère un grand nombre de belles Oraisons, entre lesquelles nous choisissons celle qui suit.

ORAISON MOZARABE

Nous croyons que vous êtes pleine de grâce, ô Vierge mère du Christ, réparatrice du genre humain, glorieuse Marie ; vous qui par votre enfantement nous avez procuré tant de bonheur, puisque le fruit de vos entrailles, qui est le Christ, Fils de Dieu, nous a arrachés à l’empire de l’ennemi qui nous faisait sentir sa rage, et qu’il nous a rendu ses cohéritiers dans le royaume éternel. Nous vous prions donc, nous vous supplions d’être notre protectrice, afin que, par vos mérites, votre fils nous affranchisse du péché, et qu’il daigne nous donner accès dans son royaume, et nous en faire à son tour les éternels habitants. Vous qu’il a aimée et appelée à l’honneur d’être sa Mère, obtenez qu’il nous accorde la douceur et l’abondance de son amour. Amen.

La Liturgie grecque célèbre à son tour, et avec son abondance accoutumée, la gloire de Marie dans l’Incarnation du Verbe. Nous donnons l’Hymne suivante, qui fait partie de l’Office de la Vigile de l’Annonciation ; elle nous a semblé préférable à celles du jour de la Fête.

HYMNE GRECQUE

Terre, qui dans ta douleur n’as jusqu’ici produit que des épines, tressaille maintenant et livre‑toi à l’allégresse ; voici qu’il approche, l’immortel agriculteur qui doit te débarrasser des épines de la malédiction.

Vierge sans tache, prépare-toi, comme la toison sacrée, à recevoir la divinité qui s’apprête à descendre sur toi, semblable à la rosée, et qui doit mettre à sec le torrent de l’iniquité.

Ô livre d’une pureté divine, tiens-toi prêt ; car la Sagesse de Dieu incarnée va écrire sur tes pages avec le doigt de l’Esprit-Saint, et va faire disparaître les prévarications de ma folie.

Ô chandelier d’or, reçois la flamme de la divinité ; que par toi elle luise sur le monde, et dissipe les ténèbres de nos crimes.

Ô Vierge, palais du grand Roi, ouvre ton oreille divine ; la Vérité même, le Christ, va entrer en toi, pour habiter au milieu de toi.

Ô brebis immaculée, l’Agneau de notre Dieu qui ôte nos péchés, s’apprête à pénétrer dans ton sein. La branche mystique va bientôt produire la fleur divine qui s’élève visiblement de l’arbre de Jessé, comme parle l’Écriture.

Ô Marie, ô vigne fécondée par la parole de l’Ange, prépare-toi à donner la grappe vermeille de maturité et inaccessible à la corruption.

Salut, ô sainte montagne que Daniel a vue à l’avance dans l’Esprit divin, et de laquelle doit être détachée cette pierre spirituelle qui brisera les vaines idoles des démons.

Ô Arche raisonnable, que le véritable législateur aime d’un amour suprême, et qu’il a résolu d’habiter, sois remplie de joie ; car il veut par toi renouveler son œuvre anéantie.

Le chœur des Prophètes, versé dans l’art des divins présages, s’écrie dans son pressentiment de l’entrée pacifique du Rédempteur en toi : Salut, ô Rédemption de tous ; honneur à toi, unique salut des hommes !

Ô nuée légère de la lumière divine, prépare-toi pour le soleil qui va se lever Ce soleil inaccessible répand sur toi ses feux du haut du ciel ; en toi il cachera quelque temps ses rayons, pour luire bientôt sur le monde, et dissiper les ténèbres du mal.

Celui qui ne quitte jamais la droite de son Père, qui surpasse toute substance, arrive pour prendre en toi sa demeure ; il te placera à sa droite, comme une reine digne de lui, et douée d’une excellente beauté ; tu seras comme sa main droite étendue pour relever tous ceux qui sont tombés.

Le prince des Anges, ministre de Dieu, t’adresse sa parole joyeuse, pour annoncer que l’Ange du grand conseil va prendre chair en toi.

Ô Verbe divin, abaisse les cieux, et descends vers nous ; le sein de la Vierge est préparé comme un trône pour toi ; viens t’y asseoir, comme un roi glorieux, et sauve de la ruine l’œuvre de ta droite.

Et toi, ô Vierge, semblable à une terre où la main de l’homme n’a jamais semé, dispose-toi pour recevoir, à la parole de l’Ange, le Verbe céleste, semblable à un froment fécond qui, germant en ton sein, produira le pain qui donne l’intelligence.

L’Angelus

Nous ne terminerons pas cette grande journée sans avoir rappelé et recommandé ici la pieuse et salutaire institution que la chrétienté solennise chaque jour dans tout pays catholique, en l’honneur de l’auguste mystère de l’Incarnation et de la divine maternité de Marie. Trois fois le jour, le matin, à midi et le soir, la cloche se fait entendre, et les fidèles, avertis par ses sons, s’unissent à l’Ange Gabriel pour saluer la Vierge-Mère, et glorifier l’instant où le propre Fils de Dieu daigna prendre chair en elle.

La terre devait bien cet hommage et ce souvenir de chaque jour à l’ineffable événement dont elle fut l’heureux témoin un vingt-cinq mars, lorsqu’une attente universelle avait saisi les peuples que Dieu allait sauver à leur insu.

Depuis, le nom du Seigneur Christ a retenti dans le monde entier ; il est grand de l’Orient à l’Occident ; grand aussi est celui de sa Mère. De là est né le besoin d’une action de grâces journalière pour le sublime mystère de l’Annonciation qui a donné le Fils de Dieu aux hommes. Nous rencontrons déjà la trace de ce pieux usage au XIVème siècle, lorsque Jean XXII ouvre le trésor des indulgences en faveur des fidèles qui réciteront l’Ave Maria, le soir, au son de la cloche qui retentit pour les inviter à penser à la Mère de Dieu. Au XVème siècle, nous apprenons de saint Antonin, dans sa Somme, que la sonnerie avait déjà lieu soir et matin dans la Toscane. Ce n’est qu’au commencement du XVIème siècle que l’on trouve sur un document français cité par Mabillon le son à midi venant se joindre à ceux du lever et du coucher du soleil. Ce fut en cette forme que Léon X approuva cette dévotion, en 1513, pour l’abbaye de Saint-Germain des Prés, à Paris. Dès lors la chrétienté tout entière accepta le pieux usage avec ses développements ; les Papes multiplièrent les indulgences ; après celles de Jean XXII et de Léon X, le XVIIIème siècle vit publier celles de Benoît XIII ; et telle parut l’importance de cette pratique que Rome statua qu’en l’année du jubilé, où toutes les indulgences, sauf celles du pèlerinage de Rome, demeurent suspendues, les trois salutations sonnées en l’honneur de Marie, le matin, à midi et le soir, continueraient chaque jour de convier tous les fidèles à s’unir dans la glorification du Verbe fait chair. Quant à Marie, l’Épouse du Cantique, l’Esprit-Saint semblait avoir désigné à l’avance les trois termes de cette touchante dévotion, en nous invitant à la célébrer, parce qu’elle est douce « comme l’aurore » à son lever, resplendissante « comme le soleil » en son midi, et belle « comme la lune » au reflet argenté

Ô Emmanuel, Dieu avec nous, qui, comme chante votre Église, « ayant entrepris de délivrer l’homme, avez daigné descendre au sein d’une vierge pour y prendre notre nature », le genre humain tout entier salue aujourd’hui votre miséricordieux avènement. Verbe éternel du Père, ce n’est donc pas assez pour vous d’avoir tiré l’homme du néant par votre puissance ; votre inépuisable bonté vient le poursuivre jusque dans l’abîme de dégradation où il est plongé. Par le péché, l’homme était tombé au-dessous de lui-même ; et, afin de le faire remonter aux destinées divines pour lesquelles vous l’aviez formé, vous venez en personne vous revêtir de sa substance, et le relever jusqu’à vous. En vous, aujourd’hui et pour jamais, Dieu se fait homme, et l’homme est fait Dieu. Accomplissant divinement les promesses du sacré Cantique, vous vous unissez à la nature humaine, et c’est au sein virginal de la fille de David que vous célébrez ces noces ineffables. Ô abaissement incompréhensible ! ô gloire inénarrable ! l’anéantissement (Philipp. 2, 7) est pour le Fils de Dieu, la gloire pour le fils de l’homme. C’est ainsi que vous nous avez aimés, ô Verbe divin, et que votre amour a triomphé de notre dégradation. Vous avez laissé les anges rebelles dans l’abîme que leur orgueil a creusé ; c’est sur nous que votre pitié s’est arrêtée. Mais ce n’est point par un de vos regards miséricordieux que vous nous avez sauvés ; c’est en venant sur cette terre souillée, prendre la nature d’esclave (Philipp. 2, 7), et commencer une vie d’humiliation et de douleurs. Verbe fait chair, qui descendez pour sauver, et non pour juger (s. Jean 2, 47), nous vous adorons, nous vous rendons grâces, nous vous aimons, rendez-nous dignes de tout ce que votre amour vous a fait entreprendre pour nous.

Nous vous saluons, ô Marie, pleine de grâce, en ce jour où vous jouissez du sublime honneur qui vous était destiné. Par votre incomparable pureté, vous avez fixé les regards du souverain Créateur de toutes choses, et par votre humilité vous l’avez attiré dans votre sein ; sa présence en vous accroît encore la sainteté de votre âme et la pureté de votre corps. Avec quelles délices vous sentez le Fils de Dieu vivre de votre vie, emprunter à votre substance ce nouvel être qu’il vient prendre pour notre amour ! Déjà est formé entre vous et lui ce lien ineffable que vous seule avez connu : il est votre créateur, et vous êtes sa mère ; il est votre fils, et vous êtes sa créature. Tout genou fléchit devant lui, ô Marie ! car il est le grand Dieu du ciel et de la terre ; mais toute créature s’incline devant vous ; car vous l’avez porté dans votre sein, vous l’avez allaité ; seule entre tous les êtres, vous pouvez, comme le Père céleste, lui dire : « Mon fils ! » Ô femme incomparable, vous êtes le suprême effort de la puissance divine : recevez l’humble soumission de la race humaine qui se glorifie, en présence même des Anges, de ce que son sang est le vôtre, et votre nature la sienne. Nouvelle Ève, fille de l’ancienne, mais sans le péché ! par votre obéissance aux décrets divins, vous sauvez votre mère et toute sa race ; vous rétablissez dans l’innocence primitive votre père et toute sa famille qui est la vôtre. Le Sauveur que vous portez nous assure tous ces biens ; et c’est par vous qu’il vient à nous ; sans lui, nous demeurerions dans la mort ; sans vous, il ne pouvait nous racheter. Il puise dans votre sein virginal ce sang précieux qui sera notre rançon, ce sang dont sa puissance a protégé la pureté au moment de votre conception immaculée, et qui devient le sang d’un Dieu par l’union qui se consomme en vous de la nature divine avec la nature humaine.

Aujourd’hui s’accomplit, ô Marie, l’oracle du Seigneur qui annonça, après la faute, « qu’il établirait une inimitié entre la femme et le serpent ». Jusqu’ici le genre humain tremblait devant le dragon infernal ; dans son égarement, il lui dressait de toutes parts des autels ; votre bras redoutable terrasse aujourd’hui cet affreux ennemi. Par l’humilité, par la chasteté, par l’obéissance, vous l’avez abattu pour jamais ; il ne séduira plus les nations. Par vous, libératrice des hommes, nous sommes arrachés à son pouvoir ; notre perversité, notre ingratitude pourraient seules nous rejeter sous son joug. Ne le souffrez pas, ô Marie ! venez‑nous en aide ; et si, dans ces jours de réparation, nous reconnaissons à vos pieds que nous avons abusé de la grâce céleste dont vous fûtes pour nous le sublime moyen, aujourd’hui, en cette fête de votre Annonciation, ô Mère des vivants, rendez-nous la vie, par votre toute-puissante intercession auprès de celui qui daigne aujourd’hui être votre fils pour l’éternité. Fille des hommes, ô notre sœur aimée, par la salutation que vous adressa Gabriel, par votre trouble virginal, par votre fidélité au Seigneur, par votre prudente humilité, par votre acquiescement qui nous sauva, nous vous en supplions, convertissez nos cœurs, rendez-nous sincèrement pénitents, préparez-nous aux grands mystères que nous allons célébrer. Qu’ils seront douloureux pour vous, ces mystères, ô Marie ! Que le passage va être rapide des joies de cette journée aux tristesses inénarrables qui vous attendent ! Mais vous voulez qu’aujourd’hui notre âme se réjouisse en songeant à l’ineffable félicité qui inonda votre cœur, au moment où le divin Esprit vous couvrit de son ombre, et où le Fils de Dieu devint aussi le vôtre ; nous demeurons donc, toute cette journée, près de vous, dans votre modeste demeure de Nazareth. Neuf mois encore, et Bethléhem nous verra prosternés, avec les bergers et les Mages, devant l’Enfant-Dieu qui naîtra pour votre joie et pour notre salut ; et nous dirons alors avec les Anges : « Gloire à Dieu dans les hauteurs du ciel ; et sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté ! »