21 novembre
Présentation de la Très Sainte Vierge au Temple

Dom Guéranger ~ L’Année liturgique
21 novembre
Présentation de la Très Sainte Vierge au Temple

Inférieure en solennité aux autres fêtes de Notre-Dame, tardivement inscrite au cycle sacré, la Présentation semble de préférence réserver chez nous le culte de ses mystères à la contemplation silencieuse. Dans le silence de leur prière ignorée, les justes gouvernent la terre ; la Reine des saints, la première, fit plus par ses mystères cachés que tous les faux grands hommes dont les gestes bruyants prétendent constituer la trame des annales du monde.

L’Orient chantait depuis sept siècles au moins [1] l’entrée de la Mère de Dieu dans le temple de Jérusalem [2], quand pour la première fois [3], en 1372, Grégoire XI permit qu’elle fût célébrée à la cour romaine d’Avignon. Or en réponse, Marie brisait les chaînes qui depuis soixante-dix ans retenaient la papauté captive, et bientôt Grégoire XI rendait à Rome le successeur de Pierre. Ainsi déjà, au cycle d’Occident, la Visitation nous était apparue comme le monument de l’unité reconquise sur le schisme qui suivit l’exil [4].

Dès l’année 1373, à l’imitation du Pontife suprême, Charles V de France introduisait la fête de la Présentation dans sa chapelle du palais. Par lettres en date du 10 novembre 1374, aux maîtres et écoliers du collège de Navarre, il exprimait le désir qu’elle fût célébrée dans le royaume entier :

« Charles, par la grâce de Dieu roi des Francs, à nos bien-aimés : salut en Celui qui ne cesse point d’honorer sa Mère sur la terre. Entre les autres objets de notre sollicitude, souci journalier et diligente méditation, le premier qui occupe à bon droit nos pensées est que la bienheureuse Vierge et très sainte Impératrice soit honorée par nous d’un très grand amour et louée comme il convient à la vénération qui lui est due. Car c’est un devoir pour nous de lui rendre gloire ; et nous qui élevons vers elle en haut les yeux de notre âme, nous savons quelle protectrice incomparable elle est pour tous, quelle puissante médiatrice auprès de son béni Fils pour ceux qui l’honorent avec un cœur pur… Et c’est pourquoi, voulant exciter notre fidèle peuple à solenniser ladite fête comme Nous-même nous proposons de le faire, Dieu aidant, chacune des années de notre vie, nous en adressons l’Office à votre dévotion à cette fin d’augmenter vos joies [5]. »

Ainsi parlaient les princes dans ces temps. Or on sait comment dans ces mêmes années le sage et pieux roi, poursuivant l’œuvre inaugurée à Brétigny par la Vierge de Chartres, sauvait une première fois de l’Anglais la France vaincue et démembrée. Dans l’État donc comme dans l’Église, à cette heure si critique pour les deux, Notre-Dame en sa Présentation commandait à l’orage, et le sourire de Marie enfant dissipait la nue.

La nouvelle fête, enrichie d’indulgences par Paul II, s’était peu à peu généralisée, quand saint Pie V, voulant alléger d’un certain nombre d’Offices le calendrier universel, crut devoir la comprendre en ses suppressions. Mais Sixte-Quint la rétablissait au Bréviaire romain dès l’année 1585, et peu après, Clément VIII l’élevait au rang des doubles-majeurs. Bientôt clercs et réguliers prenaient pour coutume de renouveler leurs engagements sacrés en ce jour où leur commune Reine ouvrit devant eux la voie qui conduit par le sacrifice aux prédilections du Seigneur.

Écoute, ma fille, et vois, et prête l’oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père, et le Roi convoitera ta beauté [6]. Ainsi, formulant les vœux des filles de Tyr [7], chantait au sommet de Moriah l’Église de l’attente ; et son regard inspiré perçant l’avenir, elle ajoutait : À sa suite viendront les vierges, ses compagnes ; elles s’avanceront dans la joie et l’allégresse ; elles entreront dans le temple du Roi [8].

Or donc, salué d’avance comme le plus beau des fils des hommes [9], ce Roi, qui est le Très Puissant [10], prélude à ses conquêtes en ce jour ; et son début, selon le mot du Psaume, est admirable [11]. Par la gracieuse enfant qui à cette heure franchit les degrés du temple, il prend possession de ce temple, dont le sacerdoce le reniera vainement plus tard ; car cette enfant qu’accueille aujourd’hui le temple est son trône [12]. Dès maintenant, son parfum le précède et l’annonce en la mère au sein de laquelle l’huile d’allégresse, coulant à flots, doit le faire Christ entre ses frères [13] ; en elle déjà les Anges saluent la Reine dont la virginité féconde enfantera toutes ces âmes consacrées qui réservent à l’Époux la myrrhe et l’encens de leurs holocaustes, ces filles des rois qui feront l’honneur de sa cour [14].

Mais la Présentation de Notre-Dame ouvre encore à l’Église d’autres horizons. Au cycle des saints, dépourvu des frontières précises qui délimitent celui du Temps, le mystère du séjour de Marie dans le sanctuaire de l’ancienne alliance prélude, mieux que n’aurait pu faire aucun autre, à la saison si prochaine de l’Avent liturgique. Marie, conduite au temple pour s’y préparer dans la retraite, l’humilité, l’amour, à ses incomparables destinées, eut aussi pour mission d’y parfaire, au pied des autels figuratifs, la prière de l’humanité trop impuissante à faire pleuvoir des cieux le Sauveur [15]. Elle fut, dit saint Bernardin de Sienne, le bienheureux couronnement de toute attente et demande de l’avènement du Fils de Dieu ; en elle, comme en un sommet, tous les désirs des saints qui l’avaient précédée eurent leur consommation et leur terme [16].

Par son admirable intelligence des Écritures, par sa conformité de chaque jour, de toute heure, aux moindres enseignements et prescriptions du rituel mosaïque, Marie découvrait, adorait partout le Messie sous la lettre ; elle s’unissait à lui, s’immolait avec lui dans chacune des victimes immolées sous ses yeux ; et ainsi rendait-elle au Dieu du Sinaï l’hommage, vainement attendu jusque-là, de la Loi comprise, pratiquée, fécondée selon la plénitude qu’elle comportait pour le Législateur. Alors Jéhovah put dire en toute vérité : Comme la pluie descend du ciel et n’y retourne point, mais enivre la terre et lui fait produire ses fruits ; ainsi sera ma parole : elle ne me reviendra pas inféconde, mais aura heureusement tous les effets que j’ai voulus [17].

Supplément béni de la gentilité non moins que de la synagogue, Marie dès lors vit dans l’Épouse du Cantique sacré l’Église à venir. En notre nom à tous elle adressait à Celui qu’elle savait devoir être l’Époux, sans connaître encore qu’elle l’aurait pour fils, les appels d’un amour qui, sur ses lèvres, était bien fait pour obtenir du Verbe divin l’oubli des infidélités passées, des dérèglements où le monde dévoyé s’abîmait toujours plus [18]. Arche de l’alliance universelle, combien avantageusement ne remplaçait-elle pas celle des Juifs, disparue avec le premier temple ! C’était pour elle sans le savoir qu’Hérode, le Gentil, avait repris la construction du second, demeuré comme désert et comme vide depuis Zorobabel ; car le temple, aussi bien que le tabernacle qu’il remplaçait, n’était que l’asile de l’arche destinée à porter Dieu lui-même : mais garder la réalité fut pour le second temple une gloire plus grande [19] que d’abriter comme le premier la figure.

Les Grecs ont fait choix, comme Leçons de ce jour, des passages de l’Écriture qui rappellent l’entrée de l’arche dans le tabernacle au désert [20], et plus tard dans le temple à Jérusalem [21]. Le synaxaire, ou leçon historique de la solennité, résume les traditions qui nous montrent la bienheureuse Vierge offerte par ses saints parents dans la troisième année de son âge au temple de Dieu, pour y demeurer jusqu’aux jours où, après douze années écoulées, devait s’accomplir en elle le mystère du salut.

Au 6e siècle de notre ère, l’empereur Justinien fit élever en l’honneur de la Présentation une église grandiose dans la partie méridionale de la plate-forme qui avait porté le temple et ses annexes [22].

Autres liturgies

Le siècle suivant nous donne les strophes liturgiques ci-après, qui témoignent de l’antiquité de la fête.

La réception de la Bienheureuse Vierge Marie au temple

Le temple très pur du Sauveur, le trésor sacré de la divine gloire, la brebis et la Vierge inestimable est aujourd’hui amenée dans la maison du Seigneur ; elle y apporte la grâce de l’Esprit-Saint, les anges de Dieu la célèbrent dans leurs chants : c’est le tabernacle des cieux.

Quand je contemple dans la Vierge la grâce qui s’y révèle, le comble des ineffables et très sacrés mystères de Dieu, l’allégresse me transporte, et je ne puis comprendre l’étonnante et inexprimable manière dont cette élue, dont cette immaculée l’emporte à elle seule sur toute créature visible ou invisible. Lors donc que je veux l’acclamer, ma voix et mon esprit défaillent ; pourtant j’ose l’exalter et la glorifier comme étant le tabernacle des cieux.

Le créateur, auteur et seigneur de toutes choses, s’est incliné vers nous dans son indicible miséricorde et mû par sa seule clémence ; voyant tombé celui qu’il avait façonné de ses propres mains, il en a eu pitié ; dans sa bonté compatissante, il daigne, œuvre plus divine, le relever en s’anéantissant lui-même ; c’est pourquoi, dans le mystère où il a résolu de prendre notre nature, il s’associe Marie, la Vierge et l’immaculée : elle est le tabernacle des cieux.

Le rédempteur et Verbe du Très-Haut, voulant se manifester pour nous dans la chair, introduisit donc la Vierge sur terre, relevant par des honneurs inusités et admirables cette entrée de la toute pure en notre monde : il fit d’elle la récompense et le fruit de la prière, la promettant et l’annonçant par message aux justes Joachim et Anne ; eux, ses parents, recevant avec foi l’oracle, firent avec amour et joie le vœu d’offrir au Seigneur l’immaculée : c’est le tabernacle des cieux.

Étant donc née par divine providence l’auguste Vierge, les saints époux, comme ils l’avaient promis, la conduisirent au temple à son auteur. Anne, dans son allégresse, interpellant le prêtre, s’écriait : Recevez-la, donnez-lui place au plus profond de l’inaccessible sanctuaire, entourez-la de soins ; car c’est un fruit qui fut la récompense de mes prières ; avec joie, dans ma foi, j’ai promis de la rendre à Dieu son auteur : c’est le tabernacle des cieux.

Au 15e siècle et au 16e, on chantait en ce jour dans un grand nombre d’églises la Prose suivante, composée sur l’acrostiche : Ave Maria, Benedico Te, Amen. Je vous salue Marie et vous bénis. Amen.

Séquence

Dans sa profonde providence, la Sagesse divine ordonne toutes choses comme il convient. Joachim et Anne sont unis par le lien conjugal ; mais leur union demeure stérile.

Dans toute l’ardeur de leur amour, par vœu sincère ensemble ils s’engagent au Seigneur : sans tarder, s’il daigne leur donner un enfant, ils le consacreront pour toujours en son temple.

Un Ange apparaît, éclatant de lumière, qui leur apprend que leurs désirs sont exaucés : que par la grâce du Roi suprême, une fille leur sera donnée, toute bénie.

Sainte dès le sein maternel, admirable sera sa naissance, plus admirable l’enfantement par lequel, en demeurant vierge, elle sera mère de Celui dont le Très-Haut est Père, dont la grâce débordante ôtera le péché du monde.

Elle est née la vierge bénie ; âgée de trois ans on la présente au temple, elle en franchit les quinze degrés, toute parée, d’un pas ferme et rapide, sous les yeux de son père et de sa mère.

Le temple resplendit d’une nouvelle gloire à la présentation de l’auguste vierge : instruite divinement et visitée des cieux, elle se réjouit avec les Anges.

À l’âge adulte où ses compagnes sont appelées par ordre du prince des prêtres à contracter mariage, la vierge s’y refuse d’abord ; car ses parents l’ont vouée au Seigneur, et elle-même a résolu par vœu de garder sa virginité.

Dieu consulté répond que la vierge doit prendre pour époux celui qu’une fleur miraculeusement éclose aura désigné ; Joseph, ainsi élu, l’épouse et la conduit en sa maison.

Gabriel est alors député vers la vierge, lui annonçant comment elle doit concevoir ; elle prudente, écoute silencieuse, et considère ce que pareil message a d’insolite.

Lui cependant explique la manière dont toutes choses s’accompliront ; la vierge croit, et aussitôt dans l’Esprit-Saint le Verbe est conçu ; Celui que rien ne peut contenir s’enferme en une vierge.

Ô vierge sans pareille, quelle louange égalera maintenant vos mérites ! quel n’est pas l’éclat de votre gloire ! Maintenant donc protégez-nous pour que dans la patrie nous jouissions du fruit qui fait votre honneur.

Amen.

« Félicitez-moi, vous tous qui aimez le Seigneur, de ce que, lorsque j’étais petite, j’ai plu au Très-Haut [23]. » C’est l’invitation que vous nous adressez dans les Offices chantés à votre honneur, ô Marie ; et quelle fête la justifie mieux que celle-ci ? Quand, plus petite encore par l’humilité que par l’âge, vous montiez si candide et si pure les degrés du temple, le ciel dut avouer que c’était justice si désormais les meilleures complaisances du Très-Haut étaient pour la terre. Retirée jusque-là dans l’intimité de vos bienheureux parents, ce fut votre première démarche publique ; elle ne vous montrait aux hommes que pour aussitôt vous dérober mieux encore à leurs yeux dans le secret de la face de Dieu ; mais en la manière que pour la première fois vous étiez officiellement offerte et présentée au Seigneur, lui-même sans nul doute, entouré des puissances de sa cour, vous présentait non moins solennellement à ces nobles esprits dont vous étiez la reine. Dans une plénitude de lumière qui n’avait point lui précédemment pour eux, ils comprirent, en même temps que vos grandeurs incomparables, la majesté de ce temple où Jéhovah recueillait un hommage surpassant en dignité celui des neuf chœurs, l’auguste prérogative de cet ancien Testament dont vous étiez la fille, dont les enseignements et les directions allaient parfaire en vous durant douze années la formation de la Mère de Dieu.

La sainte Église, cependant, vous déclare imitable pour nous en ce mystère de votre Présentation comme dans tous les autres, ô Marie [24]. Daignez bénir plus spécialement les privilégiés que la grâce de leur vocation fait dès ici-bas habitants de la maison du Seigneur : qu’ils soient eux aussi l’olivier fertile [25], engraissé de l’Esprit-Saint, auquel vous compare aujourd’hui saint Jean Damascène [26]. Mais tout chrétien n’est-il pas, de par son baptême, l’habitant, le membre de l’Église, vrai sanctuaire de Dieu, dont celui de Moriah n’était qu’une figure ? Puissions-nous, par votre intercession, vous suivre d’assez près dans votre Présentation bienheureuse au pays des ombres et des frimas, pour mériter d’être de même présentés à votre suite au Très-Haut dans le temple de sa gloire [27].

[1] – Pitra, Analecta sacra Spicilegio Solesmensi parata, 1, 275.

[2] – Menaea, ad diem hanc.

[3] – Ceci doit s’entendre seulement de la fête proprement dite ; car le marbre de Berre, illustré par Le Blant sous le n° 542 A des Inscriptions chrétiennes de la Gaule, démontre que le fait du séjour de Marie au temple de Jérusalem était reconnu et honoré en Occident au 5e siècle. Voir Planche 72 du même, n° 433.

[4] – 11 juillet.

[5] – Launoy, Historia Navarrae gymnasii, Pars 1 L. 1, c. 10.

[6] – Psalm 44, 11, 12.

[7]Ibid. 13.

[8]Ibid. 15, 16.

[9]Ibid. 3.

[10]Ibid. 4.

[11]Ibid. 5.

[12]Ibid. 7.

[13]Ibid. 8.

[14]Ibid. 9, 10.

[15] – Isaï. 45, 8.

[16] – Bernardin. Sen. Pro festivitatibus V. Mariae, Sermo 4, art. 1, c. 3.

[17] – Isaï. 55, 10, 11.

[18] – Olier, Vie intérieure de la T. Sainte Vierge, Présentation.

[19] – Agg. 2, 10.

[20] – Exod. 40.

[21] – 3 Reg. 8.

[22] – C’est aujourd’hui la mosquée El-Aksa.

[23] – Deuxième R/. du premier Nocturne à l’Office ordinaire de N.-D.

[24] – Lectio 2a 2e Noct. ex Ambr. de Virginibus 2.

[25] – Eccli. 24, 19.

[26] – Lectio 1a 2e Noct. ex Damasc. de Fide orthodoxa, 4.

[27] – Collecte du jour.