2 novembre
Commémoration des fidèles défunts

Dom Guéranger ~ Année liturgique
2 novembre, Commémoration des fidèles défunts

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Nous ne voulons pas, mes Frères, que vous ignoriez la condition de ceux qui dorment dans le Seigneur, afin que vous ne soyez pas tristes comme ceux qui n’ont point d’espérance (1 Thess. 4, 12). C’était le désir de l’Apôtre écrivant aux premiers chrétiens ; l’Église, aujourd’hui, n’en a pas d’autre. Non seulement, en effet, la vérité sur les morts met en admirable lumière l’accord en Dieu de la justice et de la bonté : les cœurs les plus durs ne résistent point à la charitable pitié qu’elle inspire, et tout ensemble elle offre au deuil de ceux qui pleurent la plus douce des consolations. Si la foi nous enseigne qu’un purgatoire existe, où des fautes inexpiées peuvent retenir ceux qui nous furent chers, il est aussi de foi que nous pouvons leur venir en aide (Conc. Trid. Sess. 25), il est théologiquement assuré que leur délivrance plus ou moins prompte est dans nos mains. Rappelons quelques principes de nature à éclairer ici la doctrine.

Tout péché cause double dommage au pécheur, souillant son âme, et le rendant passible de châtiment. Tache vénielle, entraînant simple déplaisance du Seigneur, et dont l’expiation ne dure qu’un temps ; souillure allant jusqu’à la difformité qui fait du coupable un objet d’abomination devant Dieu, et dont par suite la sanction ne saurait consister que dans le bannissement éternel, si l’homme n’en prévient en cette vie l’irrévocable sentence. Même alors ce­pendant, l’effacement de la coulpe mortelle, en écartant la dam­nation, n’enlève pas de soi toute dette au pécheur converti ; bien qu’un débordement inusité de la grâce sur le prodigue puisse parfois, comme il est régulier dans le baptême ou le martyre, faire se perdre en l’abîme de l’oubli divin jusqu’au dernier vestige, aux moindres restes du péché, il est normal qu’en cette vie, ou par delà, satisfaction soit donnée pour toute faute à la justice.

À contre-pied du péché, tout acte surnaturel de vertu implique double profit pour le juste : il mérite à son âme un nouveau degré de grâce ; il satisfait pour la peine due aux fautes passées en la mesure de juste équivalence qui revient devant Dieu à ce labeur, cette privation, cette épreuve acceptée, cette libre souffrance d’un des membres de son Fils bien-aimé. Or, tandis que le mérite ne se cède pas et demeure personnel à qui l’acquiert, la satisfaction se prête comme valeur d’échange aux transactions spirituelles ; Dieu veut bien l’accepter pour acompte ou pour solde en faveur d’autrui, que le concessionnaire soit de ce monde ou de l’autre, à la seule condition qu’il fasse lui aussi partie par la grâce de ce corps mystique du Seigneur qui est un dans la charité (1 Cor. 12, 27).

C’est, comme l’explique Suarez en son beau traité des Suffrages, la conséquence du mystère de la communion des saints manifesté en ces jours. Invoquant l’autorité des plus anciens comme des plus grands princes de la science, discutant les objections, les restrictions proposées depuis eux par plusieurs, l’illustre théolo­gien n’hésite pas à conclure en ce qui touche plus particulière­ment les âmes souffrantes : « J’estime que cette satisfaction des vivants pour les morts vaut en justice (Esse simpliciter de justi­tia), et qu’elle est infailliblement acceptée selon toute sa valeur, et selon l’intention de celui qui l’applique ; en sorte que, par exem­ple, si la satisfaction qui est de mon fait me valait en justice, pour moi gardée, la remise de quatre degrés de purgatoire, elle en remet autant à l’âme pour laquelle il me plaît de l’offrir (Suarez., De Suffragiis, Sectio 6). »

On sait comment l’Église seconde sur ce point la bonne volonté de ses fils. Par la pratique des Indulgences, elle met à la disposition de leur charité l’inépuisable trésor où, d’âge en âge, les surabon­dantes satisfactions des saints rejoignent celles des Martyrs, ainsi que de Notre-Dame, et la réserve infinie des souffrances du Sei­gneur. Presque toujours, elle approuve et permet que ces remises de peine, accordées aux vivants par sa directe puissance, soient appliquées aux morts, qui ne relèvent plus de sa juridiction, par mode de suffrage ; c’est-à-dire : en la manière où, comme nous venons de le voir, chaque fidèle peut offrir pour autrui à Dieu, qui l’accepte, le suffrage ou secours[1] de ses propres satisfactions. C’est toujours la doctrine de Suarez, et il enseigne que l’indul­gence cédée aux défunts ne perd rien non plus de la certitude ou de la valeur qu’elle aurait eues pour nous qui militons encore[2]. Or, c’est sous toutes formes et c’est partout que s’offrent à nous les Indulgences.

Sachons utiliser nos trésors, et pratiquer la miséricorde envers les pauvres âmes en peine. Est-il misère plus touchante que la leur ? si poignante, que n’en approche aucune détresse de la terre ; si digne pourtant, que nulle plainte ne trouble le silence de ce « fleuve de feu qui, dans son cours imperceptible, les entraîne peu à peu à l’océan du paradis (Mgr Gay, Vie et Vertus chrétiennes : De la charité envers l’Église, 2). » Pour elles, le ciel est impuis­sant ; car on n’y mérite plus. Lui-même Dieu, très bon, mais très juste aussi, se doit de n’accorder leur délivrance qu’au paiement intégral de la dette qui les a suivies par delà le monde de l’épreuve (s. Matth. 5, 26). Dette contractée à cause de nous peut-être, en notre compagnie ; et c’est vers nous qu’elles se tournent, vers nous qui continuons de ne rêver que plaisirs, tandis qu’elles brûlent, et qu’il nous serait facile d’abréger leurs tourments ! Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous au moins qui êtes mes amis ; car la main du Seigneur m’a touchée (Job 19, 21).

Comme si le purgatoire voyait plus que jamais regorger ses prisons sous l’affluence des multitudes qu’y précipite chaque jour la mondanité de ce siècle, peut-être aussi en raison de l’approche du règlement de compte final et universel qui clora les temps, l’Esprit-Saint ne se contente plus d’entretenir le zèle des ancien­nes confréries vouées dans l’Église au service des trépassés. Il suscite de nouvelles associations et jusqu’à des familles religieu­ses, dont l’unique but soit de promouvoir en toutes manières fa délivrance des âmes souffrantes ou leur soulagement. Dans cette œuvre d’une autre rédemption des captifs, il est aussi des chré­tiens qui s’exposent et s’offrent à prendre sur eux les chaînes de leurs frères, par l’abandon total consenti à cette fin, non seule­ment de leurs propres satisfactions, mais encore des suffrages dont ils pourraient bénéficier après leur mort : acte héroïque de charité, qu’il ne faut point accomplir à la légère, que cependant l’Église approuve (Propagé au 18e siècle par les Clercs réguliers Théatins, enrichi de faveurs spirituelles par les Souverains Pon­tifes Benoît XIII, Pie VI, Pie IX) ; car il glorifie grandement le Sei­gneur, et pour le risque encouru d’un délai temporaire de la béa­titude, mérite à son auteur d’être à jamais plus près de Dieu, par la grâce dès maintenant, dans la gloire au ciel.

Mais si les suffrages du simple fidèle ont tant de prix, combien plus ceux de l’Église entière, dans la solennité de la prière publi­que et l’oblation du Sacrifice auguste où Dieu même satisfait à Dieu pour toute faute ! Ainsi qu’avant elle la Synagogue (2 Mach. 12, 46), l’Église dès son origine a toujours prié pour les morts. En la manière qu’elle honorait par des actions de grâces l’anniver­saire de ses fils les Martyrs, elle célébrait par des supplications celui de ses autres enfants qui pouvaient n’être point encore au ciel. Quotidiennement, dans les Mystères sacrés, elle prononçait les noms des uns et des autres à cette double fin de louange et de prière ; et de même que ne pouvant néanmoins rappeler en toute église particulière chacun des bienheureux du monde entier, elle les comprenait tous en une commune mention, ainsi faisait-elle, à la suite des recommandations spéciales au lieu ou au jour, mémoire générale des morts. Ceux qui ne possédaient ni parents, ni amis, observe saint Augustin, n’étaient donc point dès lors cependant dépourvus de suffrages ; car ils avaient, pour obvier à leur abandon, la tendresse de la Mère commune (Aug. De cura pro mortuis, 4).

L’Église ayant suivi dès le commencement, à l’égard de la mé­moire des bienheureux et de celle des défunts, une marche identi­que, il était à prévoir que l’établissement d’une fête de tous les Saints au 9e siècle appellerait bientôt la Commémoration présente des trépassés. En 998, selon la Chronique de Sigebert de Gem­bloux (Ad hunc annum), l’Abbé de Cluny, saint Odilon, l’instituait dans tous les monastères de sa dépendance, pour être célébrée à perpétuité au lendemain même de la Toussaint ; c’était sa réponse aux récriminations de l’enfer le dénonçant, lui et ses moines, en des visions rapportées dans sa Vie (Petr. Dam. ; Jotsald. 2, 13), comme les plus intrépides secoureurs d’âmes qu’eussent à re­douter, au lieu d’expiation, les puissances de l’abîme. Le monde applaudit au décret de saint Odilon, Rome l’adopta, et il devint la loi de l’Église latine entière.

Les Grecs font une première Commémoration générale des morts la veille de notre dimanche de Sexagésime, qui est pour eux celui de Carême prenant ou d’Apocreos, et dans lequel ils célèbrent le second avènement du Seigneur. Ils donnent le nom de samedi des âmes à ce jour, ainsi qu’au samedi d’avant la Pentecôte, où ils prient de nouveau solennellement pour tous les trépassés.

Les vêpres des morts

Jamais éloquence ni science n’atteindront la hauteur d’enseigne­ment, la puissance de supplication qui règnent en l’office des défunts. Seule l’Épouse connaît à ce point les secrets de l’autre vie, le chemin du cœur de l’Époux ; seule la Mère peut prétendre au tact suprême qui lui permet, en allégeant à ceux qui l’ont quit­tée leur purification douloureuse, de consoler ainsi les orphelins, les isolés, laissés par eux en larmes sur la terre.

Dilexi : le premier chant du purgatoire est un chant d’amour ; comme le dernier du ciel en cette fête du souvenir fut Credidi, le psaume rappelant la loi et les épreuves passées des élus. Que par­lions-nous de transition tout à l’heure ? Lien commun de l’âme souffrante et de l’âme bienheureuse, la charité est à toutes deux leur dignité, leur inamissible trésor ; mais tandis que la vision remplaçant la foi ne laisse plus dans l’une que jouissance à l’amour, ce même amour devient pour l’autre, en l’ombre où la retiennent ses fautes inexpiées, la source d’inénarrables tour­ments. Toutefois c’en est fait des angoisses d’ici-bas, des périls d’enfer ; confirmée en grâce, l’âme ne pèche plus ; elle n’a que reconnaissance pour la miséricorde qui l’a sauvée, pour la justice qui l’épure et la rend digne de Dieu. Tel est son état d’acquiescement absolu, d’attente abandonnée, que l’Église l’appelle « un sommeil de paix (Canon Missae) ».

Ant. Je plairai au Seigneur en la terre des vivants.

Psaume 114

J’ai aimé le Seigneur ; il exaucera ma prière.

Déjà il m’a écouté ; je l’invoquerai sans trêve.

La mort et ses douleurs m’environnaient ; j’étais assailli par les périls d’enfer.

L’angoisse et la tribulation avaient fondu sur moi ; j’invoquai le nom du Seigneur :

Ô Seigneur, délivrez mon âme ! Miséricordieux et juste est le Seigneur, bon est notre Dieu !

Le Seigneur garde les petits, je me suis humilié, il m’a délivré.

Sois donc à ton repos, mon âme ; car le Seigneur a été bon pour toi.

Il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des pleurs sans fin, mes pieds de la chute éternelle

Je veux plaire au Seigneur en la terre des vivants.

Au lieu de la doxologie ordinaire, l’Église, à la fin de chaque psaume, adresse à Dieu une prière instante pour les trépassés :

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Je plairai au Seigneur en la terre des vivants.

Plaire à Dieu sans nulles réserves un jour ! Séparée du corps qui l’alourdissait, la distrayait par mille futiles soins (Sap. 9, 15), l’âme s’absorbe en cette aspiration unique, à la satisfaction de laquelle convergent toutes ses énergies, tous les tourments dont elle remercie le ciel d’aider sa faiblesse. Creuset béni où se consument les restes du péché, où si pleinement se solde toute dette ! C’est de ses flammes secourables que, toute trace disparue des anciennes souillures, effacées toutes rides déparant sa beauté native, elle s’envolera vers l’Époux, véritablement bienheureuse, sûre que les complaisances du Bien-Aimé n’auront à souffrir en elle d’aucunes restrictions.

Combien pourtant douloureusement son exil se prolonge ! Si par la charité elle est en communion avec les habitants des cieux, le feu qui la châtie ne diffère pas matériellement de celui de l’abîme. Son séjour confine à celui des maudits ; elle doit porter ce voisi­nage du Cédar infernal, des adversaires de toute paix, des démons odieux qui poursuivirent sa vie mortelle de leurs assauts et de leurs ruses, qui, au tribunal de Dieu, l’accusaient encore de leurs bouches trompeuses. « De la porte de l’enfer, arrachez-la », va bientôt supplier l’Église.

Ant. Hélas ! Seigneur, que mon exil est long !

Psaume 119

Dans ma tribulation, j’ai crié vers le Seigneur, et il m’a exaucé.

Délivrez-moi, Seigneur, des lèvres méchantes et de la langue trompeuse.

Quel sera ton salaire ? que te reviendra-t-il, langue de men­songe ?

Tu es semblable à la flèche aiguë lancée par un bras puissant, aux charbons qui désolent par l’incendie.

Ant. Hélas ! que mon exil est long ! je suis au milieu des ha­bitants de Cédar ; que l’exil de mon âme dure longtemps !

Je suis demeuré pacifique avec les ennemis de la paix, qui de mes paroles prenaient l’occasion d’injustes accusations.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Hélas ! Seigneur, que mon exil est long !

L’âme cependant ne défaille pas ; levant ses yeux vers les monta­gnes, elle sait qu’elle peut compter sur le Seigneur, qu’elle n’est abandonnée ni du ciel qui l’attend, ni de l’Église dont elle est fille. Si près qu’il soit situé de la région des pleurs éternels, le purga­toire, où s’embrassent la justice et la paix (Psalm. 84, 11), n’est point inaccessible aux Anges. Aux divines communications dont ces augustes messagers lui apportent le réconfort, se joint l’écho de la prière des bienheureux, des suffrages de la terre. L’âme est surabondamment assurée que le seul mal digne de ce nom, que le péché ne saurait l’atteindre.

Ant. Le Seigneur vous garde de tout mal ; que le Seigneur garde en tout votre âme.

Psaume 120

J’ai levé mes yeux vers les montagnes d’où viendra le secours.

Mon secours me vient du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre.

Qu’il ne laisse point vaciller vos pas, qu’il ne s’endorme pas celui qui vous garde.

Non ; il ne s’endormira ni ne s’assoupira celui qui garde Israël.

C’est lui, le Seigneur, qui vous garde ; c’est lui, le Seigneur, qui est votre protection ; il se tient à votre droite.

Ni le soleil ne vous nuira durant le jour, ni la lune dans la nuit.

Le Seigneur vous garde de tout mal ; que le Seigneur garde en tout votre âme.

Que le Seigneur garde votre entrée, qu’il garde votre sortie, et maintenant, et toujours.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Le Seigneur vous garde de tout mal ; que le Seigneur garde en tout votre âme.

L’usage du peuple chrétien consacre plus spécialement le psaume 129 à la prière pour les morts ; cri de détresse, mais aussi d’espé­rance.

Le dénuement des âmes au séjour d’expiation est bien fait pour toucher nos cœurs. Sans être au ciel, en cessant d’appartenir à la terre, elles ont perdu les privilèges qui, de par Dieu, compensent pour nous le danger du voyage en ce monde de l’épreuve. Si par­faits que soient tous leurs actes d’amour, d’espérance, de foi rési­gnée, elles ne méritent plus ; acceptées comme elles le sont, leurs inexprimables souffrances nous vaudraient à nous la récompense de milliers de martyrs : il n’en doit rien rester dans l’éternité à l’actif de ces âmes, rien que le fait d’un règlement de compte apuré autrefois par sentence du juge.

Pas plus que mériter, elles ne peuvent satisfaire comme nous à la justice par équivalences acceptées de Dieu. Plus radicale que celle du paralytique de Bethsaïda (s. Jean 5) est leur impuissance à s’aider elles-mêmes ; la piscine du salut est restée sur terre, avec l’auguste Sacrifice, les Sacrements, l’usage des clefs toutes-puis­santes confiées à l’Église.

Or cependant l’Église, qui n’a plus sur elles de juridiction, conserve à leur endroit toutes ses tendresses de Mère ; et son crédit est grand toujours près de l’Époux. Elle fait donc sienne leur prière ; ouvrant le trésor qui lui vient de la surabondante rédemption du Seigneur, elle offre de son fonds dotal à Celui-là même qui le lui a constitué, en échange de la délivrance de ces âmes ou de l’allègement de leurs peines : et ainsi arrive-t-il que, sans léser nuls droits, la miséricorde entre et déborde en ces abî­mes où régnait seule l’inexorable justice.

Ant. Seigneur, si vous considérez nos iniquités ; Seigneur, qui soutiendra votre jugement ?

Psaume 129

De l’abîme j’ai crié vers vous, Seigneur ; Seigneur, écoutez ma voix.

Que vos oreilles soient attentives au cri de ma prière.

Seigneur, si vous considérez nos iniquités ; Seigneur, qui soutiendra votre jugement ?

Mais la miséricorde est en vous ; à cause de votre parole, je vous attends, Seigneur.

Mon âme se soutient par vos oracles ; mon âme espère dans le Seigneur.

Du matin à la nuit, qu’Israël espère dans le Seigneur.

Car dans le Seigneur est la miséricorde, et sa rédemption est surabondante.

Et il rachètera Israël de toutes ses iniquités.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Seigneur, si vous considérez nos iniquités ; Seigneur, qui soutiendra votre jugement ?

Je vous louerai, car vous m’avez exaucée. L’Église ne prie jamais en vain. Le dernier psaume dit sa reconnaissance, et celle des âmes que l’office qui va finir aura tirées de l’abîme ou rappro­chées des cieux. Grâce à lui, plus d’une qui, ce matin encore, était retenue captive, fait son entrée dans la lumière au crépuscule de cette touchante fête de la Toussaint, dont s’accroissent ainsi au dernier moment les joies et la gloire. Suivons du cœur et de la pensée les nouvelles élues ; en nous souriant, en nous remerciant, nous leurs frères ou leurs fils, elles s’élèvent radieuses de la région des ombres, et elles chantent : Seigneur, je vous glorifierai en la présence des Anges ; j’adorerai donc en votre saint temple ! Non ; le Seigneur ne méprise pas les œuvres de ses mains.

Ant. Seigneur, ne méprisez pas les œuvres de vos mains.

Psaume 137

Je vous louerai, Seigneur, de tout mon cœur, parce que vous avez écouté les paroles de ma bouche.

Je chanterai votre gloire en présence des Anges, j’adorerai dans votre saint temple, je louerai votre nom.

J’exalterai votre miséricorde et votre vérité : oui ; vous avez rendu magnifique plus que tout votre saint nom.

En quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi ; ainsi dilaterez-vous la vigueur de mon âme.

Soyez, Seigneur, célébré par tous les rois de la terre : toutes les paroles qu’ils entendirent de votre bouche, ils les ont vues réalisées.

Qu’ils chantent donc les voies du Seigneur ; car grande est la gloire du Seigneur.

Car le Seigneur, si haut qu’il soit, regarde les humbles ; mais il ne connaît que de loin les superbes.

Si je marche au milieu de la tribulation, vous soutiendrez ma vie ; ainsi contre la colère de mes ennemis avez-vous étendu votre droite ; ainsi m’avez-vous sauvé.

Le Seigneur sera mon vengeur : Seigneur, votre miséricorde est à jamais ; ne méprisez pas les œuvres de vos mains.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Seigneur, ne méprisez pas les œuvres de vos mains.

Et voici que du ciel, en effet, nous arrive comme de la part des chères libérées une parole authentique de bonheur (Apoc. 14, 13).

V/. J’ai entendu une voix venant du ciel, qui me disait :

R/. Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur.

Or toute cette admirable suite du drame liturgique ainsi déroulé sous nos yeux, qu’est-elle autre chose que la justification de la promesse du Sauveur (s. Jean 6, 37), rappelée en l’Antienne qui suit par l’Église ?

Antienne de Magnificat

Tout ce que me donne mon Père viendra à moi ; et celui qui vient à moi, je ne le repousserai point dehors.

Mais comme toute grâce de Jésus nous vient en ce monde par Marie, par elle encore, au delà de cette vie mortelle, s’opère toute délivrance et s’obtient tout bienfait. Où que s’étende la rédemp­tion du Fils, s’exerce l’empire de la Mère. Aussi les visions des Saints nous la montrent véritablement Reine au purgatoire ; qu’elle s’y fasse représenter bénignement par les Anges de sa cour, ou daigne elle-même, pénétrant sous les sombres voûtes (Eccli. 24, 8) comme l’aurore du jour éternel, y répandre abon­dante la rosée du matin. Est-ce que la neige du Liban, dit l’Esprit-Saint, manquera jamais à la pierre du désert ? et qui donc en empêchera les fraîches eaux d’aller à la vallée (Jérém. 18, 14) ? Comprenons donc le chant du Magnificat à l’office des défunts : il est l’hommage des âmes qui abordent les cieux ; il est le doux espoir de celles qui demeurent encore au séjour d’expiation.

Cantique de Marie, Magnificat

Mon âme glorifie le Seigneur ; Et mon esprit tressaille en Dieu mon Sauveur :

Car il a regardé la bassesse de sa servante ; et pour cela, tou­tes les nations m’appelleront Bienheureuse.

Il a fait en moi de grandes choses, celui qui est puissant et de qui le Nom est saint ;

Et sa miséricorde s’étend de génération en génération, sur ceux qui le craignent.

Il a opéré puissamment par son bras, et dispersé ceux qui suivaient les orgueilleuses pensées de leur cœur.

Il a mis à bas de leur trône les puissants, et il a élevé les hum­bles.

Il a rempli de biens ceux qui avaient faim, et renvoyé vides ceux qui étaient riches. Il a reçu en sa protection Israël son serviteur, se souvenant de la miséricordieuse promesse

Qu’il fit autrefois à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour jamais.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Tout ce que me donne mon Père viendra à moi ; et celui qui vient à moi, je ne le repousserai point dehors.

Le Prêtre commence, toute l’assemblée à genoux, l’Oraison Dominicale :

Notre Père.

Le reste se continue dans le silence, jusqu’à cette conclusion que suivent les Versets et l’Oraison terminant les vêpres des morts :

V/. Et ne nous laissez pas succombera la tentation.
R/. Mais délivrez-nous du mal.

V/. De la porte de l’enfer,
R/. Seigneur, délivrez leurs âmes.

V/. Qu’ils reposent en paix.
R/. Amen.

V/. Seigneur, exaucez ma prière ;
R/. Et que mon cri parvienne jusqu’à vous.

V/. Le Seigneur soit avec vous.
R/. Et avec votre esprit.

Oraison

Dieu Créateur et Rédempteur de tous les fidèles, accordez la remise de tous leurs péchés aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, afin que soit acquise à leurs pieuses supplica­tions l’indulgence qu’ils ont toujours désirée. Vous qui vivez et régnez avec Dieu le Père en l’unité du Saint-Esprit, Dieu vous-même, durant tous les siècles des siècles.

R/. Amen.

V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;
R/.Que luise pour eux la lumière sans fin.

V/. Qu’ils reposent en paix.
R/. Amen.

Autres liturgies

Offrons à Notre-Dame la supplique touchante que plusieurs Égli­ses lui adressèrent longtemps pour les morts. Elle date du 14e siècle ; Jean IV de Langoueznou, Abbé de Landevenec, son auteur, en puisa l’inspiration dans sa tendre piété pour Marie.

Prose

À ceux qui souffrent en purgatoire, que purifie la flamme ardente et qui subissent tourments si durs : daigne votre compassion subvenir, ô Marie !

Fontaine ouverte à tous, où s’effacent les péchés, vous secou­rez chacun, n’éconduisez personne : vers les morts qui gémis­sent en leurs supplices sans trêve, étendez votre main, ô Marie !

Vers vous pieusement soupirent les trépassés, en leur désir de voir finir leurs maux, pour contempler vos traits si doux et goûter près de vous les joies éternelles, ô Marie !

Accourez, Mère, à leurs gémissements ; ayez pour eux des entrailles de pitié : obtenez de Jésus que par ses blessures il daigne les guérir, ô Marie !

Vous êtes de ceux qui crient vers vous la véritable espérance : entendez les voix nombreuses qui vous supplient d’apaiser votre Fils, d’en obtenir la récompense céleste pour leurs amis et leurs frères, ô Marie !

Toute bonne, voyez aux pieds du Juge couler nos larmes : puissent-elles par vous bientôt éteindre l’ardeur de la flamme vengeresse qui les empêche de s’unir aux chœurs angélique, ô Marie !

Et lorsque se fera le sévère examen au terrible jugement de Dieu, implorez votre Fils qui sera notre Juge, pour qu’avec les Saints soit notre partage, ô Marie !

Amen.

Cette journée est véritablement grande et belle. La terre, placée entre le purgatoire et le ciel, a rapproché les deux. L’auguste mystère de la communion des saints se révèle dans son ampleur. L’immense famille des fils de Dieu nous apparaît, une par l’amour, distincte en ses trois états de félicité, d’épreuve, d’expia­tion purifiante : expiation qui, comme l’épreuve, n’aura qu’un temps ; félicité qui durera toujours. C’est le digne couron­nement des enseignements du Cycle entier. Chacun des jours de l’Octave qui va suivre accroîtra la lumière.

Cependant, toute âme se recueille à cette heure dans le culte des plus chers, des plus nobles souvenirs. En quittant la maison de Dieu, gardons pieusement à qui de droit notre pensée. C’est la fête de nos morts bien-aimés. Prêtons l’oreille à leur voix qui, de clochers en clochers, par tout le monde chrétien, se fait si sup­pliante et si douce aux premières heures de cette nuit de novem­bre. Ce soir ou demain, nous leur devons la visite de la tombe où reposent dans la paix leurs restes mortels. Prions pour eux ; et aussi, prions-les : ne craignons pas de leur parler toujours des intérêts qui leur furent chers devant Dieu. Car Dieu les aime, et par une sorte de satisfaction donnée à sa bonté, les écoute d’autant mieux pour autrui, que sa justice les maintient dans un état d’impuissance plus absolue en ce qui les concerne.

Les matines des morts

Amalaire observait déjà de son temps (9e siècle) que l’office des défunts rappelle en sa forme les offices célébrés aux jours anni­versaires de la mort du Seigneur (Amalar. De ecclesiast. Officiis, 3, 44). Même absence d’hymnes, doxologies, absolutions, béné­dictions ; même suppression du prélude accoutumé Domine labia mea aperies, Deus in adjutorium meum intende ; bien qu’à la différence des derniers jours de la Semaine sainte, l’office com­plet des morts ait cependant gardé ou recouvré depuis longtemps l’invitatoire.

Or cet invitatoire est, comme hier le premier psaume des vêpres, un chant d’amour et d’espérance : Tout vit, pour notre Roi ; venez, adorons-le. Au delà comme en deçà de la tombe, tous les hommes vivent, devant Celui qui doit les ressusciter un jour (s. Luc 20, 38). Dans la langue de l’Église, le champ des morts est le cimetière, c’est-à-dire un dortoir où ses fils reposent ; comme eux-mêmes sont des défunts, travailleurs qui, leur tâche accom­plie, attendent le moment de la récompense.

Rome s’est montrée ici mieux inspirée que d’autres Églises, où l’Antienne choisie comme refrain du joyeux Venite exsultemus était : Circumdederunt me gemitus mortis ; dolores inferni circumdederunt me (Voici que m’ont environné les gémissements de la mort, les douleurs de l’enfer). Que de variantes semblables, et toutes à l’avantage de l’Église Maîtresse et Mère, seraient à signaler dans une étude historique de l’office des morts ! Mais pareil but ne saurait être le nôtre en ces pages trop restreintes.

Invitatoire

Tout vit, pour notre Roi :* Venez, adorons-le.

Psaume 94

Venez, tressaillons dans le Seigneur ; chantons dans la jubi­lation des hymnes à Dieu notre Sauveur : prévenons sa pré­sence par des chants de louange, et jubilons en son honneur dans la psalmodie.

Tout vit, pour notre Roi : * Venez, adorons-le.

Car le Seigneur est le grand Dieu, le grand Roi au-dessus de tous les dieux : il ne repoussera point son peuple. Dans sa main sont toutes les profondeurs de la terre, et son œil domine les sommets des montagnes.

Venez, adorons-le.

La mer est à lui, et il l’a faite, et ses mains ont formé la terre. Venez, adorons et prosternons-nous devant ce Dieu ; pleu­rons devant ce Seigneur qui nous a faits : car il est le Seigneur notre Dieu, et nous son peuple et les brebis de son pâturage.

Tout vit, pour notre Roi : * Venez, adorons-le.

Si aujourd’hui vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, comme au jour du murmure et de la tentation dans le désert, où vos pères me tentèrent, où ils me mirent à l’épreuve, et virent mes œuvres.

Venez, adorons-le.

Pendant quarante ans, j’ai couvert de ma protection cette génération, et j’ai dit : « C’est un peuple dont le cœur est égaré ; ils ne connaissent pas mes voies ; c’est pourquoi j’ai juré dans ma colère qu’ils n’entreraient point dans la terre de mon repos. »

Tout vit, pour notre Roi : * Venez, adorons-le.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin.

Venez, adorons-le.

Tout vit, pour notre Roi : * Venez, adorons-le.

Un tel début montre assez quelle part il convient de faire, selon l’Église, à la reconnaissance et à la louange dans la prière pour les morts.

Premier nocturne

Elles débordent, dans le premier psaume des Nocturnes, la reconnaissance et la louange de l’âme échappée aux filets des pécheurs, en ce premier matin du salut assuré pour jamais qui l’introduit parmi les âmes très saintes du purgatoire. C’est avec confiance qu’elle s’en remet à son Seigneur du soin de la conduire par le chemin douloureux et purifiant qui doit l’amener à l’entrée même de la maison de Dieu.

Ant. Seigneur mon Dieu, dirigez mes pas en votre présence.

Psaume 5

Seigneur, prêtez l’oreille aux paroles de ma bouche, entendez le cri de mon cœur.

Écoutez ma voix suppliante, ô mon Roi et mon Dieu.

Oui ; c’est vous que j’implore : Seigneur, au matin vous m’exaucerez.

Au matin, me voici devant vous ; je saurai que vous n’êtes point un Dieu favorable au péché,

Que le méchant n’habitera point votre demeure, que les injustes ne pourront subsister devant vous.

Vous haïssez tous ceux qui font l’iniquité ; vous perdrez tous ceux qui aiment le mensonge.

Le Seigneur a en abomination l’homme de sang et d’astuce. Pour moi, c’est me confiant en votre miséricorde infinie,

Que j’entrerai dans votre maison ; c’est pénétré de votre crainte, que j’adorerai dans votre saint temple.

Seigneur, guidez-moi dans votre justice ; à cause de mes ennemis, dirigez mes pas en votre présence.

Eux, en effet, n’ont point la vérité dans leur bouche ; leur cœur est vain.

Leur gosier est un sépulcre ouvert, leur langue un instrument de tromperie : jugez-les, ô Dieu.

Qu’ils soient déçus dans leurs pensées : rejetez-les ; car leurs impiétés sont sans nombre, et ils ont mérité votre colère, ô Seigneur.

Et que soient dans la joie tous ceux qui espèrent en vous : ils seront dans l’allégresse à jamais ; vous habiterez en eux.

Et ils se glorifieront en vous, tous ceux qui aiment votre nom ; car vous bénirez le juste.

Seigneur, vous nous avez comme d’un bouclier couverts de votre amour.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Seigneur mon Dieu, dirigez mes pas en votre présence.

L’âme est exaucée : la justice s’est emparée d’elle ; car le temps de la miséricorde n’est plus. Sous la terrible mainmise de son guide nouveau, à l’implacable lumière qui, en regard de l’infinie pureté, met à nu ses replis les plus ignorés, et ses vertus si mélangées, et tant de traces restées des souillures d’antan, la pauvre âme sent lui manquer tout ce qu’elle se croyait de force, tremblante, elle supplie Dieu de ne point la confondre en sa fureur avec les éter­nels maudits dont le voisinage accroît son tourment. Mais sa sup­plication, comme son effroi, est toute d’amour : Seigneur, sauvez-moi ; car il n’est personne qui pense à vous louer dans cette mort. Ce psaume est le premier des sept de la pénitence.

Ant. Seigneur, tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme ; car nul dans la mort ne se souvient de vous.

Psaume 6

Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère.

Ayez pitié de moi, Seigneur ; car je languis de faiblesse ; gué­rissez-moi, Seigneur, parce que le trouble m’a saisi jusqu’au fond de mes os.

Mon âme est toute troublée ; mais vous, Seigneur, jusqu’à quand différerez-vous ?

Seigneur, tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme ; sau­vez-moi, à cause de votre miséricorde.

Car nul dans la mort ne se souvient de vous : qui publiera vos louanges dans l’enfer ?

Je me suis épuisé à force de gémir ; j’ai baigné chaque nuit mon lit de mes pleurs ; j’ai arrosé ma couche de mes larmes.

Mon œil a été tout troublé de fureur : j’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis.

Retirez-vous de moi, vous tous qui commettez l’iniquité ; car le Seigneur a exaucé la voix de mes pleurs.

Le Seigneur a exaucé ma supplication ; le Seigneur a reçu ma prière.

Que tous mes ennemis rougissent et soient saisis d’étonnement ; qu’ils retournent en arrière, et soient couverts de honte.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Seigneur, tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme ; car nul dans la mort ne se souvient de vous.

David, accusé par ses adversaires, en appelle au Seigneur de leurs calomnies. La crainte qui prosterne l’âme, au purgatoire, en un saint tremblement devant la justice de Dieu, n’a point fait vaciller l’espérance en elle plus que l’amour ; elle s’appuie sur la sentence même, sur le secours imploré de son juge, pour tenir tête au lion infernal qui la poursuit de ses indignes clameurs dans le délais­sement et le dénuement auxquels la réduit son expiation.

Ant. Que l’ennemi comme un lion ne se saisisse pas de mon âme, sans que personne se trouve pour m’arracher à lui et me sauver.

Psaume 7

Seigneur mon Dieu, j’ai mis en vous mon espérance : sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi.

Que l’ennemi comme un lion ne se saisisse pas de mon âme, sans que personne se trouve pour m’arracher à lui et me sau­ver.

Seigneur mon Dieu, si j’ai fait ce dont il m’accuse, si l’iniquité se rencontre en mes œuvres,

Si j’ai rendu le mal pour le mal, ce sera justice, que je suc­combe sous mes ennemis sans nul espoir.

Que l’ennemi poursuive mon âme, qu’il s’en empare ; qu’à terre il foule aux pieds ma vie ; qu’en poussière il réduise ma gloire.

Levez-vous, Seigneur, dans votre colère ; faites paraître votre puissance au territoire de mes ennemis.

Oui ; levez-vous, Seigneur mon Dieu ! Que vos édits soient respectés. Voici que va vous entourer l’assemblée des peu­ples ;

À cause d’elle, reprenez place sur votre trône dans les hau­teurs : le Seigneur juge les peuples.

Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, selon mon innocence.

La malice des pécheurs sera anéantie, et vous guiderez le juste, ô Dieu qui sondez les reins et les cœurs.

Il est juste que j’attende le secours du Seigneur qui sauve ceux qui ont le cœur droit.

Dieu est un juge équitable, fort et patient : fait-il chaque jour éclater sa colère ?

Si vous ne changez, il brandira son glaive ; il a tendu son arc, il le tient prêt,

Il y a mis des traits mortels, ses flèches sont faites d’un feu dévorant.

Ainsi l’impie, mettant son injustice au jour, a conçu la dou­leur et enfanté l’iniquité.

Préparant son piège, il a creusé la terre, et il est tombé dans la fosse qu’il avait faite.

Le mal qu’il me voulait se retournera contre lui ; sa méchan­ceté retombera sur sa tête.

Pour moi, je chanterai la justice du Seigneur, j’exalterai le nom du Seigneur Très-Haut.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Que l’ennemi comme un lion ne se saisisse pas de mon âme, sans que personne se trouve pour m’arracher à lui et me sauver.

De la porte de l’enfer,

R/. Seigneur, délivrez leurs âmes.

À la suite de ce cri maternel sorti du cœur de l’Église, toute l’assemblée prie en silence, offrant à Dieu l’Oraison Dominicale pour les trépassés aux prises avec les puissances de l’abîme.

Et voici que dans le recueillement de ce silence, omettant la demande d’une Bénédiction qu’ils ne peuvent plus recevoir au même titre que nous de l’Église, s’élève seule en leur nom la voix du Lecteur. Empruntant les accents du juste de l’Idumée sous la main qui l’éprouve, elle dit la souffrance qui les oppresse, leur foi indomptée, leur prière sublime. Et comme dans la tragédie anti­que, le Chœur intervient après chaque Lecture, en autant de Répons dont la mélodie s’harmonise merveilleusement avec ces échos d’outre-tombe : soit qu’il reprenne en s’y unissant la parole des morts, ou appuie leur prière de ses propres supplications ; soit que terrifié par cette rigueur de Dieu contre des âmes qui pourtant lui sont chères et sont sûres de l’aimer toujours, il trem­ble pour lui-même pécheur, dont le jugement est encore en sus­pens.

Au témoignage de saint Antonin et de Démocharès, cités par Gavanti (De Officio Defunct.), la composition de ces admirables Répons reviendrait pour une part à Maurice de Sully, l’évêque de Paris qui commença Notre-Dame ; toutefois le plus grand nombre d’entre eux se trouvent déjà dans les manuscrits grégoriens de l’époque antérieure.

D’autres livres de l’Écriture que celui de Job, et aussi les Œuvres de saint Augustin, fournirent longtemps en différents lieux les Leçons des morts ; et diverses églises avaient la coutume de ter­miner celles-ci par la formule : Beati mortui qui in Domino mo­riuntur (Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur.).

Leçon 1

Épargnez-moi, Seigneur ; car mes jours ne sont que néant. Qu’est donc l’homme, pour l’estimer tant que d’arrêter sur lui votre pensée ? Vous venez à lui dès le matin, pour aussitôt l’éprouver. Jusques à quand ne m’épargnerez-vous pas, ne me laisserez-vous pas même avaler ma salive ? J’ai péché : pour vous apaiser, que ferai-je, gardien des hommes, à qui rien n’échappe ? Pourquoi m’avoir mis en butte à vos traits, me rendant à charge à moi-même ? Pourquoi n’ôtez-vous pas mon péché, ne pardonnez-vous pas mon iniquité ? Voici que je vais m’endormir dans la poussière du sépulcre, et si vous me cherchez au matin, je ne serai plus.

R/. Je crois que mon Rédempteur est vivant, et qu’au dernier jour je ressusciterai de la terre. * Et dans ma chair je verrai Dieu mon Sauveur. V/. Je le verrai moi-même, et non un autre, et mes yeux le contempleront. * Et dans ma chair.

Leçon 2 (Job 10)

Mon âme a la vie en dégoût ; je m’abandonnerai aux plaintes contre moi-même, je parlerai dans l’amertume de mon âme. Je dirai à Dieu : Ne me condamnez pas ; indiquez-moi pour­quoi vous me traitez de la sorte. Vous plairiez-vous à m’accuser sans fondement, à m’accabler, moi l’œuvre de vos mains, donnant gain de cause aux impies ? Vos yeux à vous aussi sont-ils de chair, et voyez-vous à la manière de l’homme ? Vos jours sont-ils comptés comme les jours de l’homme et vos années s’écoulent-elles comme sa vie, pour vous presser ainsi d’informer contre moi et scruter mon péché de la sorte ? Et pourtant vous savez que je n’ai rien fait d’impie ; qui d’ailleurs pourrait me tirer de vos mains ?

R/. Vous qui ressuscitâtes Lazare du tombeau, quand déjà il sentait mauvais : * Seigneur, donnez-leur le repos, conduisez-les au lieu du pardon. V/. Vous qui viendrez juger les vivants et les morts, et ce monde par le feu. * Seigneur, donnez-leur.

Leçon 3 (Job 10)

Vos mains m’ont fait et façonné dans tout mon être : et c’est ainsi qu’en un instant vous me brisez ? Souvenez-vous, je vous prie, que vous m’avez pétri comme l’argile : et déjà vous me réduiriez en poussière ? N’ai-je pas d’abord été pour vous comme le lait sans consistance, qui s’épaissit ensuite ? Puis vous m’avez revêtu de peau et de chair, consolidant par des nerfs et des os cet ouvrage de vos mains. Enfin vous m’avez donné la vie et comblé de bienfaits ; votre providence atten­tive a gardé mon âme.

R/. Seigneur, quand vous viendrez juger la terre, où me cacherai-je pour éviter la colère de vos yeux ? * Car les péchés de ma vie ont passé les bornes. V/. Mes forfaits m’épouvantent ; ma confusion devant vous est extrême : quand vous viendrez, ô Juge, ne me condamnez pas. * Car les péchés. V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin. * Car les péchés.

Deuxième nocturne

« J’ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas (s. Jean 4, 32). » C’est la réponse que s’attirerait de la part des chères âmes notre étonnement au sujet de l’Antienne qui va suivre. Ineffablement justes et saintes, la parole du Seigneur est aussi la leur : « Ma nourriture est d’accomplir la volonté de mon Père (Ibid. 34). » Or en effet, vu de ces sommets comme le voit notre Antienne, quel pâturage que le purgatoire ! Seigneur qui me conduisez, qui par votre grâce daignez être avec moi dans cette ombre de la mort, votre verge en me frappant me console ; mon abandon à vos justices est l’huile qui coule à flots de ma tête et, oignant tous mes membres, les fortifie pour le combat ; avide de soumission, mon cœur a trouvé son calice enivrant.

Saint Jean Chrysostome atteste qu’on chantait déjà de son temps ce psaume aux funérailles des chrétiens, ainsi que le psaume Dilexi, premier de nos vêpres des morts (Chrys. Hom. 4 in Epist. ad Héb.).

Ant. Il m’a placé dans un pâturage.

Psaume 22

Le Seigneur me conduit, et rien ne me manquera : il m’a placé dans un pâturage.

Il m’a élevé près d’une eau nourrissante ; il a converti mon âme.

Il m’a conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom.

Aussi, même en marchant dans l’ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal ; car vous êtes avec moi.

Verge et houlette, en vos mains, me consolent.

Vous avez préparé devant moi une table, contre ceux qui me persécutent.

Vous avez répandu l’huile à flots sur ma tête : et qu’il est beau mon calice enivrant !

Votre miséricorde me suivra tous les jours de ma vie.

J’habiterai la maison du Seigneur durant des jours sans fin.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Il m’a placé dans un pâturage.

Les fautes de ma jeunesse, mes ignorances, Seigneur, ne vous en souvenez plus. Plût à Dieu que nos examens de conscience eus­sent présentement le sérieux de celui qu’il nous faudra faire au lieu d’expiation, pour réparer leur insuffisance ! L’ignorance, qu’on prétend excuser tant d’hommes de nos jours, sera bien lourde alors pour ceux dont la négligence à s’instruire aura obs­curci la foi, endormi l’espérance, attiédi l’amour, faussé sur mille points le christianisme et la vie. Alors aussi se solderont « jusqu’au dernier denier (s. Matth. 5, 26) » ces dettes de péni­tence accumulées par tant de péchés remis quant à la coulpe, il est vrai, dès longtemps peut-être, et depuis non moins longtemps, hélas ! totalement oubliés. Ô Dieu, voyez ma peine et mon humi­liation.

Ant. Les fautes de ma jeunesse, mes ignorances, Seigneur, ne vous en souvenez plus.

Psaume 24

Vers vous, Seigneur, j’ai élevé mon âme ; en vous, mon Dieu, j’ai mis ma confiance : je n’aurai point à en rougir.

Que mes ennemis ne se rient pas de moi : quiconque vous attend ne sera point confondu.

Cette confusion, qu’elle soit pour tous ceux qui font le mal comme à plaisir.

Montrez-moi, Seigneur, la voie qui conduit à vous ; apprenez-moi vos sentiers.

Dirigez-moi dans votre vérité, instruisez-moi ; car vous êtes mon Dieu sauveur, et je vous attends tout le jour.

Souvenez-vous de vos bontés, Seigneur, de vos miséricordes qui sont à jamais.

Les fautes de ma jeunesse, mes ignorances, ne vous en sou­venez plus.

Souvenez-vous de moi selon votre miséricorde, ô Seigneur, dans votre seule bonté.

Doux et juste est le Seigneur ; c’est pour cela qu’il donne sa loi à ceux qui s’égarent.

Il guide les humbles dans la justice ; il enseigne ses voies à ceux qui sont doux.

Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité pour ceux qui recherchent son alliance et ses commandements.

Pour votre nom Seigneur, vous pardonnerez mon péché, si grand qu’il soit.

Quel est l’homme qui craint le Seigneur ? il ne sera point sans loi et direction dans le chemin qu’il a choisi.

Son âme aura la tranquille possession de tous les biens ; sa race aura la terre en héritage.

Le Seigneur est un ferme appui pour ceux qui le craignent ; par son alliance, il se révèle à eux.

Mes yeux restent tournés vers le Seigneur : c’est lui qui reti­rera mes pieds des filets.

Tournez vers moi les yeux, ayez pitié, car je suis pauvre et délaissé.

Mes afflictions et mes tribulations se sont multipliées ; déli­vrez-moi de telles angoisses.

Voyez mon humiliation et mon labeur ; remettez-moi tous mes péchés.

Considérez mes ennemis, leur multitude, de quelle injuste haine ils me haïssent.

Gardez mon âme, et délivrez-moi : non, je n’aurai point à rougir d’avoir mis en vous mon espoir.

Les justes et les cœurs droits font avec moi cause commune, parce que c’est vous que j’attends.

Mon Dieu, délivrez Israël de toutes ses tribulations.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin

Ant. Les fautes de ma jeunesse, mes ignorances, Seigneur, ne vous en souvenez plus.

Le psaume 26 fut chanté au Vendredi saint pour exprimer le sen­timent de confiance qui n’abandonna pas le Messie durant les épreuves de sa Passion. Il reparaissait aux Matines du lendemain pour annoncer sa prochaine délivrance ; et l’Antienne qui l’accompagnait en ce dernier jour était celle-là même qui va sui­vre. Comme au grand Samedi où les limbes possédèrent le Sau­veur, les hôtes du purgatoire s’unissent au Chef divin dans son attente du retour à la lumière, à la vie. Leur prière, que l’Église elle aussi fait sienne, est d’une inspiration bien faite pour toucher le Seigneur.

Ant. J’ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Seigneur, dans la terre des vivants.

Psaume 26

Le Seigneur est ma lumière et mon salut : qui craindrai-je ?

Le Seigneur est le défenseur de ma vie : qui pourrait m’intimider,

En ce moment où les méchants m’ont cerné pour me dévo­rer ?

Mes persécuteurs se sont affaiblis, et ils sont tombés.

Quand même une armée ennemie m’assiégerait, mon cœur serait sans crainte.

Si elle me déclarait la bataille, c’est alors que je serais plein de confiance.

Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur ; je la lui deman­derai sans cesse : c’est d’habiter dans sa maison tous les jours de ma vie ;

Afin de goûter les délices du Seigneur, et de contempler les beautés de son temple.

Car il me couvrira de l’ombre de son tabernacle ; au jour de mon affliction, il me protégera dans le secret de son temple.

Il m’a établi sur le roc ; il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis.

Après une marche sacrée, j’offrirai dans son tabernacle un sacrifice accompagné de cris de joie ; je chanterai des canti­ques au Seigneur.

Exaucez, Seigneur, le cri que je vous adresse ; ayez pitié de moi, et exaucez-moi.

Mon cœur vous parle ; mes yeux vous cherchent : Seigneur, je ne cesserai de chercher votre présence.

Ne détournez pas de moi votre visage ; dans votre colère, ne vous éloignez pas de votre serviteur.

Soyez mon appui ; ne m’abandonnez pas ; ne me dédaignez pas, ô Dieu de mon salut.

Mon père et ma mère m’ont abandonné ; mais le Seigneur a pris soin de moi.

Enseignez-moi vos sentiers, Seigneur ; dirigez-moi dans la voie droite pour confondre mes ennemis.

Ne m’abandonnez pas à la fureur de ceux qui me persécu­tent ; car de faux témoins se sont élevés contre moi, et l’iniquité s’est menti à elle-même.

J’ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Sei­gneur, dans la terre des vivants.

Attends le Seigneur, ô mon âme, sois ferme ; fortifie ton cou­rage, et attends le Seigneur.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. J’ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Seigneur, dans la terre des vivants. V/. Veuille le Seigneur les placer avec les princes, R/. Avec les princes de son peuple.

Le Chœur a fait écho dans le Verset au désir des âmes ; il prie de nouveau en silence, disant le Pater.

C’est au début de la Leçon suivante que se rattache la scène terri­fiante immortalisée dans la Vie de saint Bruno par le pinceau de Le Sueur. D’après une tradition conservée dans l’Ordre qu’il devait fonder, Bruno, séculier encore, assistait au service funèbre chanté à Notre-Dame de Paris pour un docteur de renom, Raymond Diocrès, lorsqu’à ces paroles : Responde mihi quantas habeo iniquitates et peccata, le mort se souleva de sa bière et prononça ces mots : « J’ai été accusé au juste jugement de Dieu. » L’office interrompu dans l’émotion de tous, et remis au lende­main, la même tradition rapporte qu’on vit Diocrès se lever à nouveau, mais pour dire : « J’ai été jugé au juste jugement de Dieu. » Jusqu’à ce que, les funérailles une troisième fois reprises, la voix du malheureux se fit entendre au même moment que les deux premiers jours, et elle s’écriait, glaçant l’assemblée d’épouvante : « J’ai été condamné au juste jugement de Dieu (D. Le Couteulx, Annal. Cartus. in Proœmio, n° 21-41 ; où l’on verra les arguments qui militent pour la substance du fait, sinon ses détails). »

Leçon 4 (Job 13)

Répondez-moi : quel est le nombre de mes iniquités ? quelle est la gravité de mes fautes ? Faites-moi voir mes péchés et mes crimes. Pourquoi détourner de moi votre visage, et me considérer comme un ennemi ? Vous déployez votre puis­sance contre une feuille qu’emporte le vent, vous poursuivez une paille desséchée. Car vous édictez contre moi les mesures les plus dures, et pour me perdre vous remontez jusqu’aux péchés de mon adolescence. Vous avez mis mes pieds dans les ceps, vous avez observé tous mes sentiers, vous avez re­levé les traces de mes pas, à moi qui bientôt ne serai que pourriture, pareil au vêtement mangé des vers.

R/. Souvenez-vous de moi, ô Dieu, car ma vie n’est qu’un souffle. * Et les hommes ne me verront plus. V/. De l’abîme j’ai crié vers vous, Seigneur ; Seigneur, écoutez ma voix. * Et les hommes.

Leçon 5 (Job 14)

L’homme, né de la femme, vit peu de temps, et est rempli de beaucoup de misères. Il germe comme la fleur et comme elle est foulé aux pieds ; il fuit comme l’ombre et ne demeure jamais stable. Et c’est lui que vous estimez digne d’attirer vos regards, c’est lui que vous appelez en jugement avec vous ! Qui peut rendre pur l’être sorti d’une source souillée ? N’est-ce pas vous seul qui le pouvez ? Les jours de l’homme sont courts ; vous connaissez les mois que doit durer sa vie : vous en avez marqué les bornes, qui ne seront point dépassées. Retirez-vous un peu de lui, afin qu’il ait quelque relâche, en attendant que vienne le jour désiré qui comme pour le mer­cenaire finira ses travaux.

R/. Hélas ! Seigneur, « Ô combien j’ai péché dans ma vie ! Que ferai-je, malheureux ? Où fuir, sinon vers vous, mon Dieu ? * Ayez pitié de moi, quand vous viendrez au dernier jour. V/. Mon âme est grandement troublée ; mais vous, Seigneur, secourez-la.* Ayez pitié.

Leçon 6 (Job 14)

Qui me donnera de me voir mis à l’abri, caché par vous au séjour des morts, jusqu’à ce que passe votre fureur, et que vous me marquiez un temps où vous aurez souvenir de moi ? Mais se peut-il qu’une fois mort, l’homme revive ? Chacun de ces jours de ma milice terrestre, j’attends que survienne ma transformation. Vous m’appellerez alors, et je vous répon­drai ; vous tendrez votre droite à l’ouvrage de vos mains. Mais maintenant vous comptez tous mes pas ; pardonnez mes péchés.

R/. Seigneur, ne vous souvenez vous pas de mes péchés, * Quand vous viendrez juger le monde par le feu. V/. Seigneur mon Dieu, dirigez mes pas en votre présence, * Quand vous viendrez. V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin, * Quand vous viendrez.

Troisième nocturne

À mesure que se poursuit l’expiation purifiante, l’ombre qui ter­nissait l’âme se dissipe, et laisse comme poindre déjà l’auréole. Certes, ni l’expression de la souffrance, ni l’élan de la prière ne font défaut au psaume 39, que nous chantâmes lui aussi à la mort du Sauveur (2e Nocturne du Vendredi saint). Mais combien s’y montre surtout l’union toujours plus marquée dans la douleur au libérateur divin, dont le sang éteignit la flamme de tous les holo­caustes ! combien dominent en ce psaume, non seulement l’action de grâces, mais l’admiration pour Dieu à cause de ses bontés, et le besoin de le louer pour lui-même, de le voir louer par tous ! Oui ; qu’il vous plaise, Seigneur, de me délivrer ; mais qu’ils tressaillent en vous ceux qui vous cherchent, qu’ils disent sans fin : Soit magnifié le Seigneur !

Ant. Qu’il vous plaise, Seigneur, de me délivrer ; Seigneur, protégez-moi de votre regard.

Psaume 39

J’ai attendu le Seigneur avec persévérance, et il s’est enfin tourné vers moi.

Il a exaucé ma prière ; il m’a tiré d’un abîme de misère et d’un bourbier profond.

Il a établi mes pieds sur le roc, et dirigé lui-même mes pas.

Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, un cantique de louanges pour notre Dieu.

Plusieurs verront ceci, et seront dans la crainte ; ils espére­ront dans le Seigneur.

Heureux l’homme qui met son espérance dans le nom du Seigneur, et qui ne cherche pas des appuis vains et insensés !

Seigneur mon Dieu, vous avez opéré d’innombrables mer­veilles ; et nulle créature, dans ses desseins, ne peut être comparée à vous.

Si je veux parler de vos œuvres et les annoncer, elles se trou­vent au-dessus de mes paroles.

Vous n’avez pas agréé les victimes ni les offrandes ; mais vous m’avez formé des oreilles dociles.

Vous n’avez point demandé d’holocaustes, ni sacrifices pour le péché ; alors j’ai dit : Voici que je viens.

Il est écrit de moi en tête du livre que je ferai votre volonté ; je le veux ainsi, mon Dieu, et votre commandement est gardé dans le plus intime de mon cœur.

J’ai annoncé votre justice dans une grande assemblée ; je n’ai point fermé mes lèvres ; vous le savez, Seigneur.

Je n’ai point retenu votre justice dans le secret de mon cœur : j’ai publié votre vérité et le salut qui vient de vous.

Je n’ai point caché votre miséricorde et votre vérité à cette réunion nombreuse.

Mais vous, Seigneur, n’éloignez pas de moi vos bontés ; que votre miséricorde et votre vérité m’accompagnent toujours.

Des maux sans nombre sont venus fondre sur moi ; mes ini­quités m’ont enveloppé de toutes parts ; et je n’ai pu en sou­tenir la vue.

Elles surpassent le nombre des cheveux de ma tête ; et mon cœur en est tombé dans la défaillance.

Qu’il vous plaise, Seigneur, de me délivrer ; Seigneur, proté­gez-moi de votre regard.

Que ceux qui cherchent à m’ôter la vie soient couverts de honte et saisis de crainte.

Que ceux qui désirent ma perte soient mis en fuite et livrés à l’ignominie.

Qu’ils soient couverts de confusion, ceux qui disent en m’insultant : Allons, allons !

Que tous ceux qui vous cherchent soient dans l’allégresse ; que tous ceux qui n’attendent leur salut que de vous disent sans cesse : Soit glorifié le Seigneur !

Pour moi, je suis pauvre et mendiant ; mais le Seigneur prend soin de moi.

Vous êtes mon libérateur et mon appui : mon Dieu, ne tardez pas.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Qu’il vous plaise, Seigneur, de me délivrer ; Seigneur, protégez-moi de votre regard.

Pour moi, je suis le pauvre et le mendiant de Dieu, disait sur sa fin le dernier psaume. Et le suivant débute en proclamant bien­heureux celui qui s’ingénie à secourir l’indigent et le pauvre. Parmi tous les nobles sentiments qui règnent au purgatoire, ne pouvait manquer celui de la reconnaissance pour quiconque ne partage point l’oubli dont trop souvent sont l’objet les morts ; indifférence odieuse à l’égal d’une trahison, quand elle est celle de ces hommes de leur paix, comme dit le Psalmiste, de ces convives des heureux jours, en lesquels si à tort ils avaient mis espoir et confiance. Mais entendons leur prière humble et douce pour le bienfaiteur ignoré d’eux, dédaigné d’eux peut-être au temps de la prospérité mondaine, et venu au secours de leur abandon : Que le Seigneur le rende heureux sur la terre et le délivre de ses enne­mis ; que le Seigneur lui vienne en aide, s’il est sur un lit de dou­leur.

Ant. Seigneur, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous.

Psaume 40

Heureux celui qui s’ingénie à secourir l’indigent et le pauvre ! Le Seigneur le délivrera au jour mauvais.

Que le Seigneur le garde et qu’il le vivifie ; qu’il le rende heu­reux sur la terre et le délivre des embûches de ses ennemis.

Que le Seigneur lui vienne en aide, s’il est sur un lit de dou­leur. Ainsi faites-vous toujours, ô Dieu ! vous-même alors refaites et retournez son lit.

Pour moi, j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous.

Mes ennemis ne me souhaitent que du mal, et ils disent : Quand mourra-t-il ? quand périra son nom ?

Si quelqu’un d’eux entrait pour me voir, il ne disait que tromperies, tandis qu’il amassait l’iniquité dans son cœur.

Une fois sorti, il se concertait avec les autres ;

Et ils chuchotaient contre moi, et tous mes ennemis combi­naient contre moi des desseins perfides.

Entre eux s’est formé contre moi un complot inique. Mais celui qui dort dans le tombeau ne pourra-t-il ressusciter ?

L’homme de ma paix, de ma confiance, l’homme qui man­geait mon pain m’a odieusement trahi.

Mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi, ressuscitez-moi, et je le leur rendrai.

Le signe que vous m’aimez, c’est pour moi que mon ennemi n’aura point à se réjouir à mon sujet.

Vous m’avez pris en votre protection à cause de mon inno­cence, et vous m’avez établi devant vous pour toujours.

Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, dans tous les siècles. Ainsi soit-il, ainsi soit-il.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Seigneur, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous.

« Je ne crois point, dit sainte Catherine de Gênes, qu’il se puisse trouver contentement qui puisse être comparé à celui d’une âme de purgatoire, excepté celui des saints de paradis. Et d’autant croît ce contentement que la rouille du péché consumée par le feu diminue, laissant l’âme exposée d’autant mieux à la réverbération du vrai soleil, qui est Dieu. La peine pourtant ne diminue pas ; mais au contraire, l’amour, qui se trouve retardé, est ce qui fait la peine des âmes, et d’autant la fait-il plus grande que la perfection de l’amour, duquel Dieu les a faites capables, est grande (Traité du Purgatoire, traduction des Chartreux de Bourgfontaine, 1598). » Mais entendons l’âme elle-même exprimer son tour­ment ; nulle langue mortelle, fût-ce celle de la grande théolo­gienne du purgatoire, ne rendra pareillement ces sublimités. Oh ! comme l’Église, avec ses psaumes et sa Liturgie, surpasse ici en­core ses fils les plus saints, les plus doctes !

Ant. Mon âme a soif du Dieu vivant : quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ?

Psaume 41

Comme le cerf aspire après l’eau des fontaines, ainsi mon âme aspire après vous, ô Dieu.

Mon âme a soif du Dieu fort et vivant : quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ?

Mes larmes sont devenues mon pain du jour et de la nuit : on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ?

J’ai repassé leurs injures, et j’ai répandu mon âme au dedans de moi-même ; mais je passerai jusqu’au lieu du tabernacle admirable, jusqu’à la maison de Dieu.

Voix d’allégresse et de louange ! c’est l’écho du festin.

Pourquoi es-tu triste, mon âme ? pourquoi me troubles-tu ?

Espère en Dieu, parce que je le louerai encore : il est le salut que verra mon visage, il est mon Dieu.

Mon âme s’est troublée en moi-même ; c’est pourquoi je me souviendrai de vous dans la terre du Jourdain, sur les monta­gnes d’Hermon.

L’abîme appelle l’abîme au bruit de vos cataractes.

Tous les torrents des nues, tous les flots de la terre ont passé sur moi.

Le Seigneur a fait éclater sa miséricorde en plein jour, et la nuit je chanterai ses louanges.

Je prierai en mon cœur le Dieu de ma vie ; je dirai à mon Dieu : Vous êtes mon refuge.

Pourquoi m’avez-vous oublié ? pourquoi suis-je réduit à mar­cher dans la tristesse, sous l’affliction de mon ennemi ?

Mes os en sont brisés ; les ennemis qui me poursuivent m’accablent d’injures.

Ils me disent tous les jours : « Où est ton Dieu ? » Pourquoi cette tristesse, ô mon âme ? pourquoi me troubles-tu ?

Espère en Dieu, car je le louerai encore : il est le salut que verra mon visage, il est mon Dieu.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Mon âme a soif du Dieu vivant : quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ?

V/. Ne livrez pas aux bêtes les âmes qui vous louent.

R/. N’oubliez pas à jamais les âmes de vos pauvres.

C’est toujours des mêmes pauvres que précédemment, à savoir les âmes souffrantes, qu’il est question dans la supplication ins­tante du Verset (Psalm. 73, 19).

Après la récitation silencieuse du Pater par le Chœur, la voix de Job retentit à nouveau pour nous redire au nom des trépassés la vanité de cette courte vie, les lugubres réalités de la tombe, mais aussi, par delà cette vie et la tombe, les splendeurs attendues de la résurrection finale où dans sa chair tout homme verra son Dieu.

Leçon 7 (Job 17)

Ton souffle s’épuise, mes jours s’abrègent, il ne me reste plus que la tombe. Je n’ai point péché, et mon œil ne voit que per­sévérantes amertumes. Délivrez-moi, Seigneur, placez-moi près de vous : et que la main de qui que ce soit me combatte. Mais mes jours ont passé ; mes espérances se sont dissipées, ne me laissant au cœur que tourments. Elles prétendaient changer la nuit en jour, et me promettent encore qu’après les ténèbres reviendra la lumière. Mais qu’attendre, maintenant que je n’ai plus à compter sur d’autre asile que le séjour des morts ? Déjà j’ai dressé mon lit au pays des ombres. J’ai dit à la pourriture : C’est toi mon père ; aux vers : Vous êtes ma mère et ma sœur ! Où donc est désormais pour moi l’espoir, et qui prend souci de mes maux ?

R/. Péchant tous les jours, et ne faisant point pénitence, je suis troublé par la crainte de la mort ; * Car en enfer, aucune rédemption n’a plus lieu : ayez pitié de moi, ô Dieu, et sau­vez-moi. V/. Ô Dieu, pour la gloire de votre nom, sauvez-moi ; faites éclater votre puissance, et délivrez-moi. * Car en enfer.

Leçon 8 (Job 19)

Mes chairs se sont consumées, mes os sont collés à ma peau, et il ne me reste plus que les lèvres autour des dents. Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous au moins qui êtes mes amis ; car la main du Seigneur m’a touché. Pourquoi me per­sécuter comme Dieu, et vous rassasier de ma chair ? De qui obtiendrai-je que mes paroles soient écrites ? qui me donnera qu’elles soient tracées dans un livre, qu’elles soient gravées avec un stylet de fer sur une lame de plomb, qu’elles soient sculptées dans le roc avec le ciseau ? Car ce que je dis, je le sais : mon Rédempteur est vivant, et au dernier jour je res­susciterai de la terre ; et de nouveau je revêtirai cette peau qui est mienne, et dans ma chair je verrai mon Dieu. Je le verrai moi-même, et non un autre, et mes yeux le contemple­ront. Cette espérance repose en mon sein.

R/. Seigneur, ne me jugez pas selon mes actions : je n’ai rien fait devant vous qui soit digne de vous ; c’est pourquoi j’implore votre majesté, * Pour que vous daigniez, ô Dieu, effacer mon péché. V/. Seigneur, lavez-moi toujours plus de mon iniquité, purifiez-moi de mon offense. * Pour que.

Leçon 9

Pourquoi m’avez-vous tiré du sein de ma mère ? que n’y suis-je mort sans que personne m’eût jamais vu ? J’aurais été comme n’ayant point été, du sein de ma mère porté au tom­beau. Le petit nombre de mes jours ne doit-il pas au moins finir bientôt ? Laissez-moi donc exhaler un peu ma douleur avant de m’en aller, pour ne plus revenir, à la terre téné­breuse que la mort ensevelit dans ses ombres : terre de misère et de ténèbres où sous la nuit mortelle habite le chaos, l’éternelle horreur.

R/. Délivrez-moi, Seigneur, de la mort éternelle, en ce jour redoutable ; * Quand les cieux et la terre seront ébranlés ; * Lorsque vous viendrez juger le siècle par le feu. V/. Je trem­ble et suis dans l’épouvante, à la pensée de l’examen final, de la colère qui le suivra. * Quand les cieux. V/. Quel jour que ce jour de colère, de malheur et de larmes ! grand jour, plein d’amertume,* Où vous viendrez juger. V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin. On reprend Délivrez-moi jusqu’au premier V/.

Les laudes des morts

Les Laudes des morts débutent, comme celles de l’office férial au cours de l’année, par le psaume 50, que David composa après son péché, et dans lequel il épanche d’une manière si vive et si humble les sentiments de sa pénitence. L’Église l’emploie toutes les fois qu’elle veut implorer la miséricorde de Dieu ; et de tous les Canti­ques du Roi-Prophète il n’en est aucun qui soit plus familier aux chrétiens. C’est comme naturellement qu’il revient sur leurs lèvres, au lieu d’expiation.

Ant. Mes os humiliés tressailliront d’allégresse.

Psaume 50

Ayez pitié de moi, Seigneur, selon votre grande miséricorde.

Et dans l’immensité de votre clémence, daignez effacer mon péché.

Lavez-moi de plus en plus de mon iniquité, et purifiez-moi de mon offense.

Car je reconnais mon iniquité ; et mon péché est toujours devant moi.

C’est contre vous seul que j’ai péché, et j’ai fait le mal en votre présence. Je le confesse ; daignez me pardonner, afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles, et que vous demeuriez victorieux dans les jugements qu’on fera de vous.

J’ai été conçu dans l’iniquité ; ma mère m’a conçu dans le péché.

Vous aimez la vérité, vous m’avez découvert ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus caché dans votre sagesse.

Vous m’arroserez d’eau avec l’hysope, comme le lépreux, et je serai purifié ; vous me laverez, et je deviendrai plus blanc que la neige.

Vous me ferez entendre des paroles de joie et de consolation ; et mes os humiliés tressailliront d’allégresse.

Détournez votre face de mes péchés, et effacez toutes mes offenses.

Ô Dieu, créez en moi un cœur pur, et renouvelez l’esprit droit dans mes entrailles.

Ne me rejetez pas de votre face, et ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint.

Rendez-moi la joie en celui par qui vous voulez me sauver, et confirmez-moi par l’Esprit de force.

J’enseignerai vos voies aux méchants, et les impies se convertiront à vous.

Délivrez-moi du sang que j’ai versé, ô Dieu, ô Dieu mon Sau­veur ! et ma langue publiera avec joie votre justice.

Seigneur, ouvrez mes lèvres ; et ma bouche chantera vos louanges.

Si vous aimiez les sacrifices matériels, je vous en offrirais ; mais les holocaustes ne sont pas ce qui vous est agréable.

Une âme brisée de regrets est le sacrifice que Dieu demande ; ô Dieu, vous ne mépriserez pas un cœur contrit et humilié.

Seigneur, traitez Sion selon votre miséricorde, et bâtissez les murs de Jérusalem.

Vous agréerez alors le sacrifice de justice, les offrandes et les holocaustes ; et on vous offrira des génisses sur votre autel.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Mes os humiliés tressailliront d’allégresse.

L’effet de la prière prolongée des fidèles unis à l’Église, leur Mère, se fait sentir aux trépassés. Les temps s’abrègent, les distances se rapprochent ; voici qu’apparaissent enfin les horizons de la terre promise. En marche déjà pour quitter Babylone, les tribus capti­ves célèbrent cette vision si douce ; elles chantent la patrie aux fraîches eaux, aux collines bénies, aux vallons fertiles, Sion où réside le bonheur, Jérusalem où Dieu est loué comme il doit l’être.

Ant. Seigneur ! exaucez ma prière ; à vous viendra toute chair.

Psaume 64

Il convient qu’on vous loue dans Sion, ô Dieu ; à vous l’on doit rendre ses vœux dans Jérusalem.

Exaucez ma prière ; à vous viendra toute chair.

Les méchants avaient prévalu contre nous ; mais nos péchés vont recevoir de vous le pardon.

Heureux l’élu de votre grâce : il habitera vos parvis.

Nous aurons dans votre maison l’abondance de tous biens. Saint est votre temple ; admirable s’y révèle votre équité.

Exaucez-nous, ô Dieu notre sauveur, vous l’espérance de toute nation jusqu’aux plus lointains rivages ;

Vous qui, vous ceignant de force, affermissez les monts par votre puissance, qui soulevez la mer en ses profondeurs et faites mugir ses flots.

Jusqu’aux extrémités de la terre, les nations sont troublées, les peuples tremblent, à la vue de vos prodiges. Et c’est vous qui, de l’orient à l’Occident, répandez la félicité.

Vous visitez la terre et l’arrosez ; vous multipliez ses trésors.

Le fleuve de Dieu coule à pleins bords ; c’est l’abondance pour les humains : ainsi préparez-vous leur nourriture.

Enivrez les sillons, fécondez les germes ; le sol, fertilisé par la rosée des cieux, sera dans la joie.

Tout le cours de l’année, béni par vous, ressentira votre bonté : on verra les moissons déborder des champs,

Et s’engraisser les oasis du désert ; les collines se revêtiront d’allégresse.

Les béliers au milieu des brebis seront fiers de leurs opulen­tes toisons ; le froment regorgera dans les vallées : tout retentira de cris joyeux, tout chantera vos louanges.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Seigneur, exaucez ma prière ; à vous viendra toute chair.

L’aurore s’est donc montrée, au purgatoire. Aussi l’Église se garde-t-elle de remplacer le troisième psaume qui revient chaque jour, sur la terre, à l’office des Laudes. C’est le cri du chrétien qui élève son cœur vers Dieu à l’apparition de la lumière, et lui témoi­gne son amour et sa confiance. Ce psaume est, comme toujours, accompagné du 64e, dans lequel le Psalmiste, au lever du soleil matériel, implore sur le monde le regard de la miséricorde divine.

Ant. Votre droite m’a soutenu, ô Seigneur !

Psaume 62

Ô Dieu, ô mon Dieu, je veille vers vous dès le point du jour.

Mon âme a soif de vous, et ma chair se consume pour vous,

Dans cette terre déserte, sans route et sans eau. Je me pré­sente devant vous, dans votre sanctuaire, pour contempler votre puissance et votre gloire.

Votre miséricorde est pour moi plus douce que la vie ; mes lèvres ne cesseront de faire entendre vos louanges.

Tant que je vivrai, je vous bénirai ; pour invoquer votre nom, j’élèverai mes mains.

Mon âme s’engraissera de vos faveurs, et ma bouche s’ouvrira pour des chants d’allégresse.

Je me souviendrai de vous sur ma couche : dès le matin je penserai à vous, parce que vous m’avez secouru.

Je tressaillirai de joie à l’ombre de vos ailes ; mon âme s’est attachée à vous ; votre droite m’a soutenu.

Mes ennemis ont en vain cherché ma ruine : les voilà préci­pités dans les abîmes de la terre ; ils seront livrés au glaive, et deviendront la proie des bêtes dévorantes.

Le juste délivré, semblable à un roi, se réjouira en Dieu : tous ceux qui jurent par son nom recevront des louanges ; parce que la bouche de l’iniquité est fermée à jamais.

Psaume 56

Que Dieu ait pitié de nous et qu’il nous bénisse ; qu’il fasse luire sur nous la lumière de son visage, et qu’il nous envoie sa miséricorde ;

Afin que nous connaissions sur la terre votre voie, et dans toutes les nations le salut que vous nous avez donné.

Que les peuples vous louent, ô Dieu ! que tous les peuples vous rendent hommage.

Que les nations soient dans la joie et l’allégresse ; car vous jugez les peuples dans l’équité, et vous dirigez les nations sur la terre.

Que les peuples vous louent, ô Dieu ! que tous les peuples vous rendent hommage ; la terre a porté son fruit.

Que Dieu, que notre Dieu nous bénisse ; que Dieu nous com­ble de ses bénédictions, et qu’il soit craint jusqu’aux confins de la terre.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Votre droite m’a soutenu, ô Seigneur !

Le Samedi saint, qui vit l’Homme-Dieu habiter les demeures souterraines, est le grand jour des trépassés. C’est pourquoi l’Église, ayant à faire choix du Cantique qu’elle a coutume de chanter à cet endroit des Laudes matutinales, met en la bouche de ses défunts celui d’Ézéchias qui fut pour elle, en cette solennelle journée, le type du Christ implorant sa prochaine délivrance. La même Antienne qu’au Samedi saint l’accompagne.

Ant. De la porte de l’enfer, Seigneur, délivrez mon âme.

Cantique d’Ézéchias

J’ai dit : À la moitié de ma vie, je vais donc voir les portes de la mort.

J’ai cherché en vain le reste de mes années ; et j’ai dit : Je ne verrai donc plus le Seigneur mon Dieu sur la terre des vivants.

Je ne verrai plus les hommes désormais, ceux qui habitent ce monde dans la paix.

Le tissu de ma vie est enlevé et replié, comme la tente d’un berger.

La trame en est coupée comme par le tisserand ; il vient de la couper pendant qu’on l’ourdissait encore ; du matin au soir vous aurez achevé ma vie.

J’espérais encore vivre jusqu’au matin ; mais le mal comme un lion a broyé tous mes os.

Du matin au soir vous aurez achevé ma vie : mes cris sont semblables à ceux du petit de l’hirondelle ; je gémis comme la colombe.

À force de regarder en haut, mes yeux se sont épuisés.

Seigneur, je souffre violence : soyez ma caution. Mais que di­rai-je et que me répondra-t-il, quand c’est lui-même qui m’a frappé ?

Je repasserai devant vous toutes mes années dans l’amertume de mon âme.

Seigneur, si j’ai vécu ainsi, si mon âme s’est ainsi rendue cou­pable, châtiez-moi ; mais ensuite rendez-moi la vie. Déjà je sens la paix qui vient succéder aux plus amères douleurs.

Vous retirez ma vie du tombeau ; vous jetez derrière vous tous mes péchés.

Le tombeau, en effet, ne vous rendrait plus d’actions de grâces ; la mort ne saurait vous louer ; et ceux qui descendent dans le sépulcre n’attendent plus la vérité de vos promesses.

Ce sont les vivants qui vous louent, comme je fais au­jourd’hui ; le père racontera à ses enfants combien vous êtes fidèle à vos promesses.

Conservez-moi la vie, Seigneur, et nous chanterons dans votre maison des cantiques à votre gloire, tous les jours de notre vie.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. De la porte de l’enfer, Seigneur, délivrez mon âme.

Soit loué le Seigneur par tout ce qui respire ! L’amour déborde au purgatoire ; la louange y devient tout ; le ciel est proche. L’oubli de soi absolu marque la fin des purifications douloureuses. Dût l’âme rester encore dans le feu de l’expiation, qu’elle n’en serait point éprouvée, n’ayant plus tache ni rouille qui puisse tomber sous la prise des flammes, pleine de Dieu, impuissante à tout autre sentiment que celui de sa gloire.

Ant. Soit loué le Seigneur par tout ce qui respire.

Psaume 148

Louez le Seigneur du haut des cieux ; louez-le dans les hau­teurs célestes.

Vous tous, ses Anges, louez-le ; vous tous qui formez ses armées, louez-le.

Soleil et lune, louez-le ; étoiles et lumière, louez-le.

Cieux des cieux, louez-le ; eaux qui êtes par delà les airs, louez le nom du Seigneur.

Car il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et tout a été créé.

Il a établi ses créatures à jamais, et pour les siècles des siè­cles : il en a porté le décret, et sa parole ne passera pas.

Louez le Seigneur, vous qui êtes sur la terre ; dragons, abîmes des eaux ;

Feux, grêle, neige, glaces, souffles des tempêtes, qui obéissez à sa parole ;

Montagnes et collines, arbres fruitiers et cèdres ;

Bêtes et troupeaux ; serpents et volatiles empennés ;

Rois de la terre, et tous les peuples ; princes et juges de la terre ;

Jeunes hommes et vierges, vieillards et enfants, louez le nom du Seigneur ; car son nom seul est grand.

Sa gloire éclate au ciel et sur la terre ; et il a relevé la puis­sance de son peuple.

Que sa louange soit dans la bouche de tous ses saints, des fils d’Israël, du peuple qu’il daigne réunir autour de lui.

Psaume 149

Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; que sa louange retentisse dans l’assemblée des saints.

Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a fait ; que les fils de Sion tressaillent d’allégresse en leur roi.

Qu’ils louent son nom dans les chœurs ; qu’ils lui chantent des psaumes au son du tambour et de la harpe.

Car le Seigneur aime son peuple avec tendresse ; il glorifiera, il sauvera les humbles.

Les saints tressailliront d’allégresse dans leur gloire ; ils seront comblés de joie sur leurs couches d’honneur.

La louange de Dieu sera dans leur bouche, et le glaive à deux tranchants dans leurs mains,

Pour tirer vengeance des nations, pour châtier les peuples rebelles ;

Pour enchaîner les rois superbes, et contenir les puissants par des liens de fer ;

Pour exercer sur eux le jugement rendu par le Seigneur : telle est la gloire qu’il a réservée à tous ses saints.

Psaume 150

Louez le Seigneur dans son sanctuaire ; louez-le au firma­ment où éclate sa puissance.

Louez-le dans ses merveilles ; louez-le à cause de sa grandeur sans bornes.

Louez-le au son de la trompette, louez-le sur le psaltérion et la harpe.

Louez-le sur les tambours et dans les chœurs ; louez-le sur les instruments à cordes et dans les concerts.

Louez-le sur les cymbales harmonieuses, louez-le sur les cymbales de l’allégresse ; que tout ce qui respire loue le Seigneur.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Soit loué le Seigneur par tout ce qui respire.

Comme à la fin déjà des vêpres des morts, c’est en effet du ciel lui-même que descend jusqu’à nous le cri d’allégresse contenu au Verset.

V/. J’ai entendu une voix venant du ciel, qui me disait :

R/. Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur.

Et dans le Cantique de Zacharie, l’Église, avec toutes les âmes délivrées ou soulagées par la vertu des suffrages liturgiques, remercie le Seigneur Dieu d’Israël qui a visité et racheté son peuple. Nous aussi rendons grâces, pour nos morts bien-aimés, à Celui qui est la résurrection et la vie : il n’abandonne, même dans la mort, aucun de ceux qui crurent en lui sur la terre (s. Jean 11, 25).

Ant. Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, quand bien même il serait mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas à jamais.

Cantique de Zacharie

Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël ; car il a visité et racheté son peuple.

Et il nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur ;

Comme il l’avait promis par la bouche de ses saints, de ses Prophètes, qui ont prédit, dans les siècles passés,

Qu’il nous sauverait de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent ;

Qu’il ferait la miséricorde promise à nos pères, et se souvien­drait de son alliance sainte,

Du serment par lequel il avait juré à Abraham, notre père, de faire, dons sa bonté,

Que, délivrés de la main de nos ennemis, nous le puissions servir sans crainte,

Dans la sainteté et la justice, marchant devant lui tous les jours de notre vie.

Et vous, petit enfant, vous serez appelé prophète du Très-Haut ; car vous marcherez devant la face du Seigneur, pour préparer ses voies,

Pour donner à son peuple la connaissance du salut, et annon­cer la rémission des péchés,

Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, ce divin Orient qui s’est levé sur nous du haut du ciel.

Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix.

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ;

Que luise pour eux la lumière sans fin.

Ant. Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, quand bien même il serait mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas à jamais.

Le Prêtre commence, toute l’assemblée à genoux, l’Oraison Dominicale :

Notre Père.

Le reste se continue dans le silence, jusqu’à cette conclusion que suivent les Versets et l’Oraison terminant l’office des morts :

V/. Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.
R/. Mais délivrez-nous du mal.

V/. De la porte de l’enfer,
R/. Seigneur, délivrez leurs âmes.

V/. Qu’ils reposent en paix.
R/. Amen.

V/. Seigneur, exaucez ma prière ;
R/. Et que mon cri parvienne jusqu’à vous.

V/. Le Seigneur soit avec vous.
R/. Et avec votre esprit.

Oraison

Dieu Créateur et Rédempteur de tous les fidèles, accordez la remise de tous leurs péchés aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, afin que soit acquise à leurs pieuses supplica­tions l’indulgence qu’ils ont toujours désirée. Vous qui vivez et régnez avec Dieu le Père en l’unité du Saint-Esprit, Dieu vous-même, durant tous les siècles des siècles. R/. Amen. V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; R/. Que luise pour eux la lumière sans fin. V/. Qu’ils reposent en paix. R/. Amen.

La messe des morts

L’Église Romaine double aujourd’hui la tâche de son service quotidien envers la Majesté divine. La mémoire des défunts ne lui fait pas mettre en oubli l’Octave des Saints. L’office du deuxième jour de cette Octave a précédé pour elle celui des morts ; Tierce de tous les Saints a été suivie de la Messe correspondante ; et c’est après None du même office qu’elle va offrir le Sacrifice de l’autel pour les trépassés.

Un tel surcroît, le souci de maintenir la proportion harmonieuse établie par elle entre le double objet liturgique de ce jour, ont rendu jusqu’ici Rome peu favorable à l’extension du privilège qui autorise chaque prêtre, en Espagne, à célébrer aujourd’hui trois Messes pour les morts.

Longtemps l’Église mère fut presque seule, en la compagnie de ses filles les plus rapprochées, à ne pas omettre au 2 Novembre le souvenir des Saints ; la plupart des Églises d’Occident n’avaient en ce jour d’autre office que celui des morts. On supprimait aux différentes Heures, aussi bien qu’à Matines et à Laudes, l’hymne ainsi que le Deus in adjutorium ; les psaumes ordinaires y étaient suivis du Requiem aeternam, et l’on concluait par l’Oraison des défunts, comme il est de nos jours encore en usage chez les Frères Prêcheurs. L’unique Messe solennelle, celle des morts, était après Tierce. On terminait généralement à None cette commémoration des trépassés, bien que Cluny jusqu’au dernier siècle ait gardé la coutume d’en célébrer aussi les secondes vêpres.

Quant à l’obligation de chômer le jour des âmes, elle n’était que de demi-précepte en Angleterre, où les travaux plus nécessaires demeuraient permis ; le chômage ne dépassait pas le milieu de la journée en plusieurs lieux ; en d’autres, l’assistance à la Messe était seule prescrite. Paris observa quelque temps le 2 Novembre comme une fête de première obligation ; en 1613, l’archevêque François de Harlay maintenait encore jusqu’à midi, dans ses statuts, le commandement de garder ce jour. Même à Rome, au­jourd’hui, le précepte n’existe plus.

La remarque d’Amalaire citée plus haut, en ce qui touche l’office des défunts, ne s’applique pas moins, à la Messe des morts. Sans parler de la suppression du Gloria in excelsis et de l’Alléluia, le Prêtre y omet au pied de l’autel le psaume Judica me Deus, comme on le fait dans le Temps de la Passion. Il est revêtu d’ornements noirs comme au jour de la mort du Seigneur ; même suppression qu’au grand Vendredi de la plupart des bénédictions, du baiser de paix, des signes d’honneur rendus au Célébrant ; l’autel n’y est pareillement encensé qu’une fois ; le chant de l’Évangile s’y accomplit suivant le même rit, non seulement sans bénédiction du Diacre par l’Officiant, mais sans cierges, ni encens, ni baiser du texte sacré par le Prêtre. Ainsi toujours, et jusque dans la mort, l’Église rapproche en toutes manières ses fils de Celui dont ils sont les membres.

L’Antienne d’Introït n’est autre que la supplication instante qui remplace toute doxologie à l’office des défunts, et qui s’inspire d’un passage du quatrième Livre d’Esdras (4 Esdr. 2, 34-35). Le deuxième psaume des Laudes a fourni le Verset.

Introït

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin.

Ps. Il convient qu’on vous loue dans Sion, ô Dieu ; à vous l’on doit rendre ses vœux dans Jérusalem : exaucez ma prière ; à vous viendra toute chair. Donnez-leur.

Dans la Collecte, l’Église s’approprie maternellement la prière des âmes souffrantes ; et c’est à son Époux, au Dieu fait homme, qu’elle la présente, l’appelant de ses titres de Créateur et de Rédempteur, qui disent tout ce que ces âmes lui ont coûté et l’invitent à parfaire son œuvre.

Collecte

Dieu Créateur et Rédempteur de tous les fidèles, accordez la remise de tous leurs péchés aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, afin que soit acquise à leurs pieuses supplica­tions l’indulgence qu’ils ont toujours désirée. Vous qui vivez et régnez avec Dieu le Père en l’unité du Saint-Esprit, durant tous les siècles des siècles.

Épître
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. 1, Chap. 15

Mes Frères, écoutez ce mystère : nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. En un moment, en un clin d’œil, au son de la trompette dernière, car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous nous serons changés. Il faut en effet que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, que ce corps mortel revête l’immortalité. Et quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors sera accomplie la parole de l’Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire. Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; comme la force du péché, c’est la loi. Mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a donné de vaincre par notre Seigneur Jésus-Christ.

Tandis qu’au sortir de la vie l’âme supplée dans le purgatoire à l’insuffisance de ses expiations, le corps qu’elle a quitté retourne à la terre en exécution de la sentence portée contre Adam et sa race dès l’origine du monde (Gen. 3, 19). Mais pour le corps non moins que pour l’âme du fidèle, la justice est aussi amour ; ses reprises au delà du temps sont le prélude de la gloire qui attend l’être hu­main tout entier. L’humiliation du tombeau est le trop juste châ­timent de la faute première ; mais ce renvoi de l’homme au limon d’où il fut tiré, saint Paul nous y fait voir encore l’ensemencement nécessaire à la transformation du grain prédestiné qui doit un jour reprendre vie dans des conditions tout autres (1 Cor. 15, 36). C’est qu’en effet, la chair et le sang ne sauraient posséder le royaume de Dieu (Ibid. 50), ni des organes soumis à la dissolu­tion prétendre à l’immortalité. Froment du Christ, selon le mot de saint Ignace d’Antioche (Epist. ad Rom.), le corps du chrétien est jeté dans le sillon de la tombe pour y laisser à la corruption ce qui était d’elle : la forme du premier Adam avec sa pesanteur et son infirmité ; mais par la vertu de l’Adam nouveau le reformant à sa propre image, il en sortira tout céleste et spiritualisé, agile, im­passible et glorieux (1 Cor. 15, 42-49). Honneur à Celui qui n’a voulu mourir comme nous que pour détruire la mort et faire de sa victoire notre victoire !

L’Église continue d’implorer, au Graduel, la délivrance des tré­passés.

Graduel

Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin. V/. La mémoire du juste sera éternelle ; il ne craindra point les paroles fâcheuses.

Trait

Absolvez, Seigneur, les âmes de tous les fidèles défunts des liens de tous leurs péchés. V/. Que, secourus par votre grâce, ils méritent de sortir des peines portées contre eux par la sentence de votre justice. V/. Qu’ils soient heureux dans l’éternelle lumière.

L’Église, nous le verrons, ne répudiait pas autrefois l’Alleluia dans les funérailles de ses fils ; il exprimait son allégresse, motivée par l’espoir fondé qu’une mort sainte venait d’assurer au ciel un élu nouveau, dût le chrétien pour lequel prenait fin l’épreuve de la vie voir quelque temps se prolonger son expiation. Mais l’adaptation de la Liturgie des morts aux rites des derniers jours de la Semaine sainte ayant modifié sur ce point les anciennes coutumes, il eût semblé que la Séquence, développement festif, et suite originai­rement de l’Alleluia, ne devait pas non plus trouver place à la Messe des défunts. Rome cependant, et qui pourrait s’en plain­dre ? faisait une exception sur ce point aux règles traditionnelles, en faveur de l’insigne poème de Thomas de Celano, lequel suivi bientôt du Stabat mater, œuvre de Frère Jacopone, méritait si belle place à la lyre franciscaine au sommet du Parnasse chrétien. Chanté dès le 14e siècle en Italie, le Dies irœ passait plus tard les monts, et ses accents inspirés retentissaient au 16e en toute Église.

Séquence

Jour de colère que ce jour-là, qui doit réduire le monde en cendres, au témoignage de David comme de la Sibylle[3].

Combien la frayeur sera grande, lorsque le Juge se présentera pour tout scruter rigoureusement !

La trompette éclatante, retentissant par les sépulcres de l’univers, rassemblera tous les humains devant le trône.

La mort et la nature seront dans la stupeur, lorsque ressus­citera toute créature pour répondre à son Juge.

On produira le livre écrit renfermant tout l’objet du jugement du monde.

Quand donc le Juge s’assiéra, tout ce qui se cache apparaîtra, rien ne demeurera sans châtiment.

Que dirai-je alors, malheureux ? quel protecteur implorerai-je, quand à peine rassuré sera le juste ?

Roi de majesté redoutable, qui sauvez gratuitement ceux qui doivent se sauver, sauvez-moi, source de miséricorde.

Souvenez-vous, ô doux Jésus, que je suis la cause de votre venue : ne me perdez pas en ce jour !

En me cherchant, vous vous êtes assis de fatigue ; vous m’avez racheté en souffrant la croix : que tant de peine ne soit pas inutile.

Juge vengeur et juste, accordez-moi remise avant le jour des comptes.

Je me lamente, comme un coupable que je suis ; la confusion de mon péché couvre mon visage : ô Dieu, pardonnez à un suppliant !

Vous avez absous Madeleine ; vous avez exaucé le larron : à moi aussi vous avez donné l’espérance.

Mes prières ne sont pas dignes ; mais vous êtes bon : faites dans votre bonté que j’échappe au feu éternel.

Donnez-moi place au milieu des brebis, séparez-moi des boucs en me rangeant à votre droite.

Quand les maudits couverts de honte seront livrés par sen­tence aux terribles flammes, appelez-moi avec les bénis.

Suppliant, défaillant, le cœur broyé et comme réduit en cen­dres, je vous en prie, veillez sur mon heure dernière.

Jour de larmes que celui où ressuscitera de sa cendre,

Pour être jugé, l’homme coupable : daignez lui pardonner, ô Dieu !

Pie Jesu Domine, Dona eis requiem. Amen.

Ô doux Jésus, Seigneur, donnez-leur le repos. Amen.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 5

En ce temps-là, Jésus dit à la foule des Juifs : En vérité, en vérité, je vous le dis : l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et l’entendant ils vivront. Car tout ainsi que le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d’avoir pareillement la vie en lui-même ; et parce qu’il est Fils de l’homme, il lui a donné aussi le pouvoir de juge. N’en soyez point étonnés : l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui ont accompli le bien ressusciteront à la vie ; mais ceux qui ont fait le mal ressusciteront pour leur condamnation.

Le purgatoire n’est pas éternel. Les arrêts du jugement particulier qui suit la mort varient à l’infini sa durée ; il peut se prolonger des siècles entiers pour certaines âmes plus coupables, ou qui exclues de la communion catholique, demeurent privées des suffrages de l’Église, bien que la miséricorde divine ait daigné les arracher à l’enfer. Cependant la fin du monde et de tout ce qui est du temps, doit fermer le lieu de l’expiation temporaire. Dieu saura concilier sa justice et sa grâce dans la purification des derniers venus de la race humaine, suppléer par l’intensité de la peine expiatrice à ce qui pourrait lui manquer en durée. Mais au lieu qu’en ce qui tou­che la béatitude, les arrêts du jugement particulier sont le plus souvent suspensifs et dilatoires, qu’ils laissent provisoirement le corps de l’élu comme du réprouvé au sort commun de la tombe : le jugement universel aura ce caractère définitif de n’enregistrer pour le ciel comme pour l’enfer que des sentences absolues, im­médiatement et totalement exécutoires. Vivons donc dans l’attente de l’heure solennelle où les morts entendront la voix du Fils de Dieu. Celui qui doit venir viendra, et il ne tardera pas, nous rappelle le Docteur des nations (Héb. 10, 37, ex Habac. 2, 3) ; son jour aura la soudaineté de l’arrivée d’un voleur, nous disent comme lui (1 Thess. 5, 2) et le Prince des Apôtres (2 Petr. 3, 10) et Jean le bien-aimé (Apoc. 16, 15), faisant écho à la parole du Seigneur même (s. Matth. 24, 43) : comme l’éclair sort de l’Orient et brille déjà en Occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme (Ibid. 27).

Entrons dans les sentiments qui inspirent le sublime Offertoire des défunts. Bien que l’éternelle béatitude demeure finalement assurée aux pauvres âmes en peine, et qu’elles en aient cons­cience, la route plus ou moins longue qui les conduit au ciel s’ouvre toutefois dans le péril du suprême assaut diabolique et l’angoisse du jugement. L’Église donc, étendant sa prière à toutes les étapes de cette voie douloureuse, n’a garde d’en oublier l’entrée ; et elle ne craint point de se montrer en cela trop tardive. Pour Dieu qui d’un regard embrasse tous les temps, sa supplica­tion d’aujourd’hui, déjà présente à l’heure du redoutable passage, ménageait aux âmes le secours ici imploré. Cette même supplica­tion les suit du reste au cours des péripéties de leur lutte contre les puissances de l’abîme, quand Dieu permet que celles-ci servent elles-mêmes sa justice au lieu d’expiation, en la manière que plus d’une fois l’ont vu les Saints. En ce moment solennel où l’Église offre ses dons pour l’auguste et tout-puissant Sacrifice, redoublons nous aussi nos prières pour les trépassés. Implorons leur délivrance de la gueule du lion infernal. Obtenons du glorieux Archange préposé au Paradis, appui des âmes au sortir de ce monde, leur guide envoyé de Dieu (Ant. et Resp. in fest. s. Michaelis), qu’il les amène à la lumière, à la vie, à Dieu même, promis comme récompense aux croyants dans la personne d’Abraham leur père (Gen. 15, 1).

Offertoire

Seigneur Jésus-Christ, Roi de gloire, délivrez les âmes de tous les fidèles défunts des peines de l’enfer et de l’abîme ; déli­vrez-les de la gueule du lion ; qu’ils ne soient pas la proie du tartare, qu’ils ne tombent pas dans la nuit : mais que saint Michel, porte-étendard, les présente à la sainte lumière * Qu’autrefois vous promîtes à Abraham et à sa descendance.

V/. Seigneur, nous vous offrons nos prières et ces hosties de louange ; recevez-les pour ces âmes dont nous faisons mémoire aujourd’hui : Seigneur, faites qu’elles passent de la mort à la vie * Qu’autrefois.

C’est la foi dont elles firent les œuvres en ce monde, qui garantit aux âmes du purgatoire la récompense dernière, et rend Dieu propice aux dons présentés pour elles, comme l’exprime la Secrète.

Secrète

Daignez, Seigneur, regarder favorablement ces dons qui vous sont offerts par nous pour les âmes de vos serviteurs et de vos servantes : et les ayant gratifiées du mérite de la foi chré­tienne, donnez-leur-en la récompense. Par Jésus-Christ.

À l’Agnus Dei, la demande du repos pour les morts remplace celle de la paix pour les vivants :

Agneau de Dieu, qui ôtez les péchés du monde, donnez-leur le repos.

Agneau de Dieu, qui ôtez les péchés du monde, donnez-leur le repos.

Agneau de Dieu, qui ôtez les péchés du monde, donnez-leur le repos à jamais.

Comme descendent les flocons silencieux d’une neige abondante en un jour d’hiver, ainsi montent blanches et douces les âmes délivrées, à cette heure où par le monde entier l’Église, achevant ses longues supplications, verse à flots sur les flammes expiatrices le Sang rédempteur. Forts du crédit que donne à notre prière la participation aux Mystères sacrés, disons avec elle dans la Com­munion :

Communion

Que la lumière éternelle luise pour eux, Seigneur,* En la société de vos Saints à jamais, parce que vous êtes bon.

V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin. * En la société.

Tel est cependant, bien au-dessus de nos humaines conceptions, l’impénétrable et adorable mystère de la justice de Dieu, que pour plus d’une âme l’expiation doit se prolonger encore. Aussi l’Église, sans se lasser ni cesser d’espérer, prolonge elle aussi dans la Post­communion sa prière. À toutes les Heures de l’office de chaque jour, en toutes les Messes offertes au cours de l’année, quelle qu’en puisse être la solennité, les trépassés auront un souvenir de leur Mère.

Postcommunion

Daignez faire, Seigneur, que nos prières et nos supplications servent aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, en vous amenant à les délivrer de tous leurs péchés et à leur donner part à votre rédemption. Vous qui vivez.

Le Benedicamus Domino, qui tient lieu de l’Ite Missa est dans les Messes où l’on supprime le Gloria in excelsis, est remplacé lui-même à celle des défunts par une invocation pour les morts.

Qu’ils reposent en paix.

R/. Amen.

L’absoute

La Messe achevée, les Clercs, précédés de la Croix et suivis du Célébrant, viennent se ranger autour du catafalque élevé dans la nef de l’église pour représenter les morts, à l’endroit même où leur dépouille inanimée reposa devant l’autel du Seigneur. Les Chantres y reprennent le neuvième Répons de l’office des défunts ; suivent les prières de conclusion, pendant lesquelles le Prêtre rend aux trépassés l’hommage de l’eau sainte et de l’encens, comme au jour qui fut pour chacun d’eux le dernier des jours. L’Absoute tire son nom de l’Oraison Absolve, qui la termine le plus souvent, bien qu’on puisse comme aujourd’hui choisir la Collecte de la Messe, ou quelque autre Oraison indiquée par les circonstances.

Repons

Délivrez-moi, Seigneur, de la mort éternelle, en ce jour redoutable ; * Quand les cieux et la terre seront ébranlés ;* Lorsque vous viendrez juger le siècle par le feu. V/. Je trem­ble et suis dans l’épouvante, à la pensée de l’examen final, de la colère qui le suivra, * Quand les cieux. V/. Quel jour que ce jour de colère, de malheur et de larmes ! grand jour, plein d’amertume,* Où vous viendrez juger. V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin. On reprend Délivrez-moi jusqu’au premier V/.

Seigneur, ayez pitié.
Christ, ayez pitié.
Seigneur, ayez pitié.

Notre Père, et le reste en silence.

V/. Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.
R/. Mais délivrez-nous du mal.

V/. De la porte de l’enfer,
R/. Seigneur, délivrez leurs âmes.

V/. Qu’ils reposent en paix.
R/. Amen.

V/. Seigneur, exaucez ma prière ;
R/. Et que mon cri parvienne jusqu’à vous.

V/. Le Seigneur soit avec vous.
R/. Et avec votre esprit.

Oraison

Absolvez de tout lien de péché, Seigneur, nous vous en sup­plions, les âmes de vos serviteurs et de vos servantes, pour qu’en la résurrection, ressuscités à la gloire, ils vivent parmi vos Saints et vos élus. Par Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen. V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; R/. Que luise pour eux la lumière sans fin. V/. Qu’ils reposent en paix. R/. Amen.

Pour honorer les Saints, dont l’Octave se célèbre aujourd’hui con­curremment avec le souvenir des morts, le missel de Marmoutier nous donnera cette séquence.

Séquence

Pour nous porter à suivre, héritiers de leur zèle, les traces des Saints, l’Église met sous nos yeux leur vie et leurs mœurs.

Elle nous présente la rose, la violette et le lis, nous montrant par les trois le chemin qui conduit à la récompense des cieux.

La rose rouge signifie les Martyrs ; les Confesseurs sont indi­qués par la violette en fleur ;

Le lis décèle l’amant de la virginité : par l’une donc de ces trois routes, il nous faut suivre Dieu.

Martyrs et immolés, soyons-le par une vraie patience ; qu’une retenue persévérante fasse de nous des Confesseurs.

Une pureté vigilante gardera les Vierges ; une courageuse continence sauvera les tombés.

Viennent à notre aide les Saints dont nous célébrons la fête ; que leur prière nous fasse atteindre les cieux.

Amen.

[1] Est enim suffragium, ut sumitur ex D. Thoma et aliis in 4 d. 45, auxilium quoddam, quod unus fidelis praebet alteri ad obtinendum a Deo remissionem pœnae temporalis, vel aliud hujusmodi. Suarez, De Suffragiis, in Proœmio

[2] De Indulgentiis, Disput. 53, Sect. 3

[3] – Allusion au célèbre oracle de la Sibylle Érythrée sur la fin du monde, cité par saint Augustin en son Livre 18 (ch. 23) de la Cité de Dieu, et dont les premières lettres de chaque vers réunies donnent en grec la formule : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur.