12 septembre
Le Très Saint Nom de Marie

Dom Guéranger ~ L’Année liturgique
12 septembre
Le Très Saint Nom de Marie

Fête instituée par le Bx Innocent XI en action de grâces pour la victoire des armées chrétiennes sur les Turcs à Vienne en 1683. Elle fut fixée au dimanche qui suivait la Nativité de la Sainte Vierge. La réforme de Pie X, « libérant » les dimanches des fêtes de saints, l’a fixée au 12 septembre.

 Et le nom de la Vierge était Marie (s. Luc 1, 27). Ce nom signifie étoile de la mer ; il convient pleinement à la Mère de Dieu. Comme l’astre émet son rayon, ainsi la Vierge enfanta son fils ; ni le rayon n’amoindrit la clarté de l’étoile, ni l’Enfant la virginité de la Mère. Noble étoile qui s’est levée de Jacob, et dont le rayon illumine le monde, resplendissant aux cieux, pénétrant l’abîme, parcourant toute terre ; il échauffe plus les âmes que les corps, il dessèche le vice et féconde la vertu. Oui, donc ; Marie est bien l’astre éclatant et sans pareil qu’il fallait au-dessus de la mer immense, étincelante comme elle l’est de mérites, nous éclairant des exemples de sa vie.

« O qui que vous soyez qui, dans le flux et reflux de ce siècle, avez conscience de marcher moins sur la terre ferme qu’au milieu des tempêtes et des tourbillons, ne détachez pas les yeux de l’astre splendide si vous ne voulez être englouti par l’ouragan. Si s’élève la bourrasque des tentations, si se dressent les écueils des tribulations, regardez l’étoile, appelez Marie. Si vous êtes ballotté par les flots de la superbe ou de l’ambition, si par ceux de la calomnie ou de la jalousie, regardez l’étoile, appelez Marie. Si la colère, ou l’avarice, ou l’attrait de la chair viennent à soulever la nef de l’âme, tournez vers Marie les yeux. Troublé de l’énormité de vos crimes, honteux de vous-même, tremblant à l’approche du terrible jugement, sentez-vous se creuser sous vos pas le gouffre de la tristesse ou l’abîme du désespoir ? pensez à Marie. Dans les dangers, dans l’angoisse et le doute, pensez à Marie, invoquez Marie.

« Qu’elle soit sur vos lèvres sans cesse, qu’elle soit toujours en votre cœur ; imitez-la, pour vous assurer son suffrage. La suivant, vous ne déviez pas ; la priant, vous ne désespérez pas ; pensant à elle, vous ne sauriez vous égarer. Soutenu par elle, vous ne tombez pas ; couvert par elle, vous ne craignez pas ; guidé par elle, nulle lassitude à redouter : celui qu’elle favorise arrive au but sûrement. Et ainsi expérimentez-vous en vous-même le bien fondé de cette parole que le nom de la Vierge était Marie[1]. »

Ainsi s’exprime aujourd’hui pour l’Église le dévot saint Bernard. Mais l’explication si pieuse qu’il donne du très saint nom de la Mère de Dieu, n’épuise pas le sens de ce nom béni ; complétant l’Abbé de Clairvaux, saint Pierre Chrysologue dit de même dans l’Office de la nuit : « Marie en hébreu signifie Dame ou Souveraine ; en effet, l’autorité de son Fils, Dominateur du monde, la constitue Souveraine, de fait et de nom, dès sa naissance[2]. »

Notre Dame : tel est bien le titre qui lui convient en toutes manières, comme celui de Notre Seigneur à son Fils ; base doctrinale de ce culte d’hyperdulie dont les honneurs sont pour elle seule, au-dessous de ce Fils qu’elle adore avec nous, au-dessus des serviteurs que l’angélique et l’humaine natures ont pour fin de donner au Dieu dont elle est la Mère. Au nom de Jésus tout genou fléchit (Philipp. 2, 10), au nom de Marie toute tête s’incline ; et bien que le premier soit le seul dans lequel nous puissions être sauvés (Act. 4, 12), le Fils ne souffrant pas d’aller jamais sans la Mère, ni le ciel ne sépare leurs deux noms dans ses chants, ni la terre en sa confiance, ni l’enfer dans son épouvante et sa haine.

Il était donc dans l’ordre de la Providence que le culte spécial de l’adorable nom de Jésus, dont Bernardin de Sienne fut au 15ème siècle l’apôtre, entraînât comme simultanément celui du nom de la Vierge très sainte. En 1513, une église d’Espagne, celle de Cuenca, célébrait la première, avec approbation du Siège apostolique, une fête particulière en l’honneur de ce dernier, alors que les instances de l’Ordre de saint François n’avaient point encore obtenu privilège semblable en ce qui concernait le nom du Sauveur : la mémoire de ce nom sacré incluse dans la solennité de la Circoncision, au jour où il fut donné par l’ordre du ciel, semblait suffire à la prudente réserve des Pontifes romains. Ainsi, et pour le même motif, en fut-il de nouveau, lorsque les fêtes spéciales des deux noms augustes passèrent du calendrier des églises particulières à celui de l’Église universelle : l’institution définitive de la fête du Très Saint Nom de Marie remonte à l’année 1683, celle de la solennité du Très Saint Nom de Jésus à l’année 1721.

Or, combien Notre Dame justifie son beau nom en participant à l’empire effectif, à la principauté militante du Roi des rois, c’est ce qui ressort des circonstances auxquelles nous devons l’allégresse de ce jour ; c’est ce qu’attestent et la ville de Vienne sauvée du Croissant contre toute espérance, et le Vénérable Innocent XI faisant de cette fête le monument de la reconnaissance universelle pour la libératrice de l’Occident. Mais il convient de laisser, sinon le récit, du moins une mention plus explicite de la glorieuse délivrance au douze septembre, dont elle fut l’honneur.

À la Messe

Dans l’Introït, avec l’Église, saluons la douce enfant dont le nom nous présage aujourd’hui la puissance ; tous les grands, rois, pontifes, séraphins, imploreront son sourire ; mais les vierges formeront sa suite bienheureuse (Psalm. 44), chantant le cantique qu’elles seules peuvent chanter (Apoc. 14, 3-4).

Introït

Tous les puissants de la terre imploreront votre regard. À votre suite viendront les chœurs des vierges, vos compagnes ; elles seront présentées au Roi dans la joie et l’allégresse. Ps. Mon cœur a proféré une parole excellente ; c’est au Roi que je dédie mes chants. Gloire au Père. Tous les puissants.

Joie des Anges, frayeur des démons, le nom de Marie protège l’homme contre les maux sans nombre de cette terre et le soutient dans la route qui conduit au ciel. Puisse la prière de l’Église, dans la Collecte, nous obtenir de mettre à profit pleinement un tel secours.

Collecte

Dans la joie que goûtent vos fidèles sous le Nom et la protection de la très sainte Vierge Marie, accordez-leur, Dieu tout-puissant, d’être délivrés de tous maux sur terre et de mériter de parvenir aux joies éternelles des cieux par son intercession maternelle. Par Jésus-Christ.

Épître
Lecture du livre de la Sagesse. Eccli. 24

J’ai comme la vigne donné des fleurs au parfum suave, et mes fleurs se transforment en fruits d’honneur et de gloire. Je suis la mère du bel amour, de la crainte, de la science, de la sainte espérance. En moi réside toute grâce de conduite et de vérité, toute espérance de vie et de vertu. Venez à moi, vous tous qui me désirez, et remplissez-vous de mes fruits ; car mon esprit est plus doux que le miel, ma possession l’emporte sur les plus exquises suavités. Ma mémoire vivra dans la suite des siècles. Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif. Celui qui m’écoute ne sera pas confondu, et ceux qui travaillent pour moi ne pécheront pas. Ceux qui me font connaître auront la vie éternelle.

Toutes les complaisances du ciel, toutes les espérances de la terre, se fixent sur le berceau où Marie dort, tenant en éveil pour Dieu son cœur (Cant. 5, 2). La Sagesse s’applaudit (Eccli. 24, 1) : par la bienheureuse enfant d’Anne et de Joachim, les préférences que son amour avouait à l’origine du monde sont déjà justifiées ; à tout jamais ses délices seront d’être avec les enfants des hommes (Prov. 8, 31). Sa vigne de choix, la vigne du Pacifique, est devant nous (Cant. 8, 11-12), annonçant par ses fleurs embaumées la grappe divine dont le suc, exprimé sous le pressoir, fécondera toute âme, enivrera la terre et les cieux.

L’Église ne se lasse pas de revenir, au Graduel, sur la virginale maternité qui donna Dieu au monde et fit la grandeur de Marie.

Graduel

Vous êtes bénie et digne de toute vénération, Vierge Marie, qui, sans la moindre souillure, êtes devenue mère du Sauveur. V/. Vierge Mère de Dieu, celui que le monde entier ne saurait contenir s’est enfermé dans votre sein, s’y faisant homme. Alleluia, alleluia. V/. Après votre enfantement, ô Vierge, vous êtes demeurée pure : Mère de Dieu, intercédez pour nous. Alleluia.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. 1

En ce temps-là, l’Ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, à une vierge mariée à un homme de la maison de David, nommé Joseph ; et le nom de la vierge était Marie. Et l’Ange, étant entré où elle était, lui dit : Salut, ô pleine de grâce ! le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. Elle, l’ayant entendu, fut troublée de ses paroles, et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. Et l’Ange lui dit : Ne craignez point, Marie : car vous avez trouvé grâce devant Dieu : voici que vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très-Haut ; et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; et il régnera éternellement sur la maison de Jacob ; et son règne n’aura point de fin. Alors Marie dit à l’Ange : Comment cela se fera-t-il ? car je ne connais point d’homme. Et l’Ange lui répondit : L’Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. Et voilà qu’Élisabeth votre parente a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse : et ce mois est le sixième de celle qui était appelée stérile : car rien n’est impossible à Dieu. Et Marie dit : Voici la servante du Seigneur : qu’il me soit fait selon votre parole.

C’est ici la plus solennelle ambassade dont l’histoire angélique ou humaine ait gardé le souvenir ; elle montre en Marie ce qu’indique son nom, la Maîtresse du monde. Le plus haut intérêt qui puisse concerner l’humanité présente, passée ou future, les célestes hiérarchies, Dieu lui-même, s’agite entre le Très-Haut et la vierge de Nazareth exclusivement, comme ayant seuls titre, d’une part pour proposer, de l’autre pour accepter, des deux pour conclure. L’ange n’est qu’un messager ; l’homme est avec lui dans l’attente : Marie contracte avec le Créateur, au nom de l’homme et de l’ange comme au sien propre, au nom du monde entier qu’elle représente et qu’elle domine de sa suréminente principauté.

Salut donc à la Reine en son jour natal ! salut à Marie ! Qu’elle-même, au Sacrifice, présente pour son peuple à Dieu notre offrande.

Offertoire

Je vous salue, Marie, pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni.

Obtenons que l’intercession de Notre Dame et la miséricorde divine éloignent de nous tout ce qui ferait obstacle à l’efficacité du Sacrifice préparé sur l’autel.

Secrète

Que par votre miséricorde et l’intercession de la bienheu­reuse Marie toujours vierge, Seigneur, cette oblation nous concilie paix et prospérité pour la vie présente et l’éternelle. Par Jésus-Christ.

Sous l’influence du breuvage des Mystères divins, félicitons la vigne auguste qui nous le promettait tout à l’heure en l’Épître.

Communion

Bienheureuses les entrailles de la Vierge Marie, qui ont porté le Fils du Père éternel !

La Postcommunion proclame l’universalité du patronage de Marie ; daigne le Seigneur nous accorder de l’expérimenter toujours !

Postcommunion

Nous venons, Seigneur, de goûter l’aliment du salut ; c’est en l’honneur de la bienheureuse Marie toujours vierge que nous avons présenté nos dons à votre majesté : accordez à notre prière d’éprouver en tous lieux sa protection sur nous. Par Jésus-Christ.

[1] Leçons du deuxième Nocturne de la fête, ex Bernard. Homil. 2 super Missus est

[2] Petr. Chrys. Sermo 142, de Annuntiat. Homélie du troisième Nocturne