Conduite pour passer saintement le carême
par le Père Avrillon

Conduite pour passer saintement le carême

par le Père Avrillon

où l’on trouve pour chaque jour une pratique, une méditation des sentiments sur l’évangile du jour des sentences de l’écriture sainte et des saints Pères une prière tirée de la collecte de la messe et un point de la passion de Jésus Christ

Semaine des Cendres
1ère semaine de Carême
2e semaine de carême
3e semaine de carême
4e semaine de carême
Semaine de la Passion
Rameaux et semaine sainte
Dimanche de Pâques

Semaine des Cendres

MARDI DE LA QUINQUAGÉSIME Jour de Préparation

MERCREDI DES CENDRES Jour de Pénitence

JEUDI APRÈS LES CENDRES Jour de Foi

VENDREDI APRÈS LES CENDRES Jour de Perfection

SAMEDI APRÈS LES CENDRES Jour de Confiance

MARDI DE LA QUINQUAGÉSIME
Jour de Préparation

Pratique

Pendant que l’Église nous impose des abstinences plus exactes et des jeûnes plus rigoureux pour nous faire expier nos péchés, pour attirer les divines miséricordes, et pour imiter notre adorable Sauveur dans ses quarante jours de solitude, de prières, de jeûnes et de combats, il est à propos de fournir à notre âme des aliments qui la soutiennent dans cette longue et pénible carrière où elle va entrer, de peur qu’elle ne succombe, et de lui restituer avec abondance ce qu’on soustrait sagement au corps pour le macérer et pour apaiser ses révoltes.

Ce n’est pas, en effet, le seul plain matériel, dit Jésus-Christ, qui soutient la vie de l’homme, mais la parole qui sort de la bouche de Dieu ; parce que cette divine parole est la vie même. (S. Matth., 4.) C’est aussi dans ce saint temps que l’Église se fait entendre plus fréquemment aux fidèles, et qu’elle leur prescrit des prières plus longues et plus ferventes, pour rendre leur pénitence plus sainte et plus méritoire.

Préparez-vous donc aujourd’hui, avec tout le soin et toute la ferveur dont vous êtes capable, à entrer dans cette vaste et sainte carrière de pénitence qui va commencer demain, et mettez tout en usage pour ne rien perdre des grâces qui y sont attachées, afin que vous en ayez une récompense entière.

Entiez dans l’esprit et dans les sentiments de l’Église, qui va déposer ses ornements riches et éclatants, pour ne se parer, dans le carême, que des couleurs les plus sombres et les plus lugubres, afin de nous inspirer cette tristesse salutaire qui rachète les péchés en les pleurant, qui coopère à la grâce, et qui donne à la conscience la paix que les péchés lui avaient ôtée. Faites en sorte que ce triste appareil passe de vos yeux à votre esprit et à votre cœur, pour y imprimer par avance des sentiments de douleur et de compassion pour les souffrances et pour la mort de Jésus-Christ, à laquelle l’Église prend soin de vous préparer dans l’évangile qu’elle fait lire aujourd’hui à la sainte Messe.

Jésus-Christ, en effet, dit à ses apôtres, qu’il avait secrètement assemblés : « Nous allons à Jérusalem, et tout ce qui a été écrit par les Prophètes touchant le Fils de l’homme sera accompli car il sera livré aux gentils, il sera fouetté, on lui crachera au visage, et, après qu’ils l’auront fouetté, ils le feront mourir. » (S. Luc, 18).

Voilà la prophétie sanglante et l’oracle de la mort dont Jésus-Christ est lui-même le Précurseur, le Prophète et le Sujet. C’est dans ces temps malheureux que les pécheurs et les mondains renouvellent tous ces outrages, et qu’ils crucifient Jésus-Christ de nouveau. Pour vous, qui voulez vous sauver, écoutez ces tristes paroles avec crainte et tremblement ; gravez-les dans votre mémoire, dans votre esprit et dans votre cœur ; méditez-les avec attention et avec douleur, et préparez-vous, pendant ce carême, à mériter l’application des mérites, des souffrances et de la mort de votre Dieu.

Commencez donc aujourd’hui, par une sainte et exacte préparation, à anticiper la passion et la mort de cet adorable Sauveur passion où votre âme trouvera la guérison de tous ses maux ; mort ou elle trouvera la vie. Mourez généreusement à toutes vos passions, à tous les vains amusements du monde et à toutes ses fausses joies ; et loin d’y prendre aucune part avec les mondains, qui s’y livrent aujourd’hui avec un pitoyable excès, retirez-vous de leurs compagnies et de leurs assemblées tumultueuses, où Dieu est presque toujours offensé ; courez plutôt au sanctuaire pour y prier, pour y gémir avec les saints, pour y entendre la divine parole, et pour y adorer Jésus-Christ, pendant que les autres courent aux spectacles, où il est outragé, afin de réparer, par vos hommages, par vos adorations et par le sacrifice d’un cœur contrit et humilié, les insultes qu’il reçoit ailleurs de la part des libertins qui suivent en aveugles le torrent du monde corrompu.

Privez-vous généreusement de tous les plaisirs que la mauvaise coutume autorise aujourd’hui. Gardez-vous bien d’imiter ceux qui font servir leur intempérance de prélude et de préparation à des jeûnes consacrés par l’exemple de Jésus-Christ et par le précepte de son Église, et qui commencent par l’outrager pour se préparer à lui demander miséricorde. Priez, gémissez, gardez la solitude, cachez-vous aux yeux des créatures ; vous en serez d’autant plus agréable aux yeux de Dieu, et vous en aurez une récompense plus abondante, parce que la vanité, l’hypocrisie et le respect humain n’en auront pas diminué le mérite.

Faites une étude sérieuse de la conduite qu’on vous présente ici pour passer saintement le carême ; vous y trouverez tous les jours de quoi nourrir votre âme et de quoi l’entretenir dans la présence de Dieu.

Pour achever aujourd’hui votre préparation, anticipez l’épître de demain, qui est admirable pour inviter à la pénitence. En voici une courte paraphrase.

PARAPHRASE SUR L’ÉPÎTRE

Convertissez-vous à moi de tout votre cœur, dit le Seigneur à son peuple ; mais montrez la sincérité de votre conversion et de votre pénitence par vos jeûnes, par vos larmes et par vos gémissements. (Joël, 1) Il faut se convertir et gémir ; l’un sans l’autre n’est pas une pénitence sincère ; c’est un abus de quitter ses péchés sans les pleurer, comme de les pleurer sans les quitter.

De tout votre cœur. Ex toto corde vestro. Dieu demande avec raison la conversion du cœur, et de tout le cœur. En effet, comme le cœur est la source de tous les dérèglements dont nous sommes capables, c’est lui aussi, disent les saints Pères, qui doit être le premier mobile de notre pénitence. Si cette pénitence ne vient du cœur, ce n’est qu’une pénitence hypocrite, qui ne sert de rien pour effacer les péchés et pour apaiser la colère de Dieu.

Si vous voulez, dit saint Augustin, que Dieu accepte votre pénitence, faites en sorte que votre cœur aime ce qu’il a haï, et qu’il haïsse ce qu’il a trop aimé. Mais comme Dieu est le maître des cœurs, et que tous nos efforts servent de peu sans sa grâce, demandez-lui qu’il change le vôtre, ou qu’il vous donne un cœur nouveau qui soit selon le sien.

Ne brisez pas vos vêtements, continue le Seigneur ; ce n’est qu’une pénitence de cérémonie, de parade et de déguisement, qui ne sert de rien ; mais brisez bien plutôt vos cœurs par une contrition qui soit sincère, et par une vive douleur d’avoir offensé un Dieu si saint, si juste, si bon et si digne d’être aimé. Jurez-lui, au pied des autels, une fidélité et un amour inviolables jusqu’au dernier soupir de votre vie ; et soyez sûr que si vous l’aimez de tout votre cœur, comme il vous l’ordonne, vous trouverez dans votre amour plus de délices que vous ne trouverez de rigueurs dans la pénitence que vous allez embrasser, quelque rude qu’elle puisse être : l’un vous aidera à porter l’autre, et même à vous en faire un plaisir.

Convertissez-vous donc incessamment au Seigneur votre Dieu dans ces jours heureux de pénitence et de grâce, parce qu’il est doux et Miséricordieux, patient, rempli de bonté, et que sa divine miséricorde surpasse infiniment votre malice et toutes vos iniquités, quelque énormes et quelque nombreuses qu’elles puissent être.

En effet, il y a chez lui une grande miséricorde, dit le roi-prophète, pour les grands péchés, et une multitude de miséricordes pour la multitude des péchés. (Ps. 50.) Voilà de quoi animer votre confiance voilà un puissant motif pour vous armer contre vous-même, et pour vous déterminer à embrasser avec ardeur la pénitence que vous êtes obligé de faire dans cette sainte quarantaine.

Admirez le motif que Dieu nous donne ici de notre retour vers lui par la pénitence. Il n’en est point de plus fort et de plus consolant. C’est sa bonté, c’est sa miséricorde, c’est sa patience : quoi de plus doux, de plus attirant et de plus agréable à un pécheur ! Que peut-il imaginer de plus engageant pour se résoudre à vaincre sa délicatesse, que d’être persuadé qu’il ne manquera pas d’obtenir le pardon de ses péchés, s’il fait pénitence ?

Vous avez mille fois expérimenté cette bonté infinie de Dieu par la conduite toute paternelle qu’il a tenue à votre égard. Il vous a suscité des contradictions, des souffrances, des mépris, des humiliations, et il a permis que vous les sentissiez vivement ; mais avouez que ces peines étaient des coups de grâces dont vous aviez besoin, et des marques convaincantes de ses bontés et de ses tendresses. Rentrez dans votre cœur ; faites-y une sérieuse réflexion, et vous en conviendrez.

Si vous étiez assez malheureux et assez ingrat pour ne pas répondre à ses bontés comme vous le devez, ou pour oublier des grâces si sensibles, ou pour abuser dans la suite de ses bontés et de ses miséricordes, qui sait, dit encore aujourd’hui le Seigneur, s’il se convertirait à vous, s’il vous pardonnerait vos rechutes, s’il vous accorderait de nouvelles grâces de conversion après avoir abusé si indignement des premières, s’il vous donnerait de nouvelles bénédictions, et s’il recevrait vos larmes et vos sacrifices ?

Unissez-vous donc aux prêtres et aux ministres du Seigneur, qui vont prier dans ce saint temps entre le vestibule et l’autel. Dites avec eux, beaucoup plus du cœur que de la bouche : Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple ; ne donnez pas votre héritage en opprobre, et ne le livrez pas entre les mains de vos ennemis, qui seront toujours les miens.

Mon âme est votre héritage, ô mon Dieu ; elle est le soupir de votre cœur et le souffle de votre bouche ; elle est l’ouvrage de vos mains adorables ; elle a l’honneur de porter votre image, et, quoiqu’elle ne vous ait coûté qu’une seule parole quand vous l’avez créée, elle vous a coûté tout votre sang quand vous l’avez rachetée ; ainsi, elle est et doit être toute à vous. Sauvez-la donc, Seigneur, de la fureur de ses ennemis, qui ont conspiré sa perte et qui l’attaquent de tous côtés ; sauvez-la de votre colère, qu’elle a si justement méritée traduisez-la du tribunal redoutable de votre justice à celui de votre miséricorde. Soyez-moi toujours un Dieu patient, un Dieu miséricordieux, un Dieu Sauveur, et jamais un Dieu vengeur. Sauvez-moi de l’enfer, où je brûlerais à présent avec les démons pour une éternité tout entière, si vous m’aviez ôté la vie naturelle, que je méritais de perdre parce que j’avais perdu celle de la grâce. Délivrez-moi de mes péchés, qui sont sans nombre, et de toutes les peines qui leur sont dues, pendant que je m’en imposerai moi-même de volontaires, pour vous épargner le chagrin de me punir dans cette vie et dans l’autre.

Mais, ô mon Dieu, répondez favorablement à ma prière, comme vous avez répondu à celle de votre peuple. Dites à mon âme : je vous donnerai du pain, du vin et de l’huile. (Ps. 50.) Donnez-moi la réalité et l’esprit de ces dons précieux, figurés par ces aliments matériels ; donnez-moi le pain, le pain quotidien de votre divine parole ; parlez sans cesse aux oreilles de mon cœur par vos inspirations. J’écouterai cette voix avec une attention respectueuse, et j’exécuterai fidèlement ce que vous m’aurez inspiré.

Donnez-moi ce pain délicieux des Anges, qui consiste dans votre corps et dans votre sang, sans lequel mon âme tombe en langueur. Faites-moi la grâce de le recevoir toujours dignement, et de mourir mille fois plutôt que de le jamais profaner.

Donnez-moi ce vin exquis de votre charité et de votre amour, afin que mon âme le goûte à longs traits, et que, par cette délicieuse et sacrée liqueur, elle soit dégoûtée de toutes les fades douceurs de la vie. Donnez-le-moi avec tant d’abondance que mon cœur en soit toujours embrasé et mon âme enivrée.

Donnez-moi encore, Seigneur, l’huile mystérieuse de votre grâce. Répandez avec profusion cette précieuse et divine onction sur toutes mes pensées, sur mes désirs, sur mes sentiments, sur mes actions, sur mes pratiques, sur mes oraisons, sur mes communions, sur mes souffrances, et sur la pénitence que je vais entreprendre pendant ce carême, pour obéir à vos saintes lois, pour racheter mes péchés, pour satisfaire à votre justice, pour votre gloire, pour votre amour et pour mon salut.

MERCREDI DES CENDRES
Jour de Pénitence

Pratique

Laissez-vous frapper, à votre réveil, de cette pensée que vous n’êtes que cendre et que poussière, soit dans le principe de votre être, où vous étiez encore moins que la cendre, parce que vous n’étiez qu’un pur néant ; soit dans votre terme et dans votre fin, où, après avoir été dévoré par les vers, vous serez réduit en cendre et en poussière. Faites le signe de la croix sur votre front, qui est l’endroit où le prêtre mettra les cendres, en vous disant par avance à vous-même avec le sentiment d’une humilité profonde, jointe à la pensée de la mort : « Souviens-toi, vile créature, que tu n’es que cendre et que tu retourneras en cendre. »

Toutes vos pratiques tendront aujourd’hui à la pénitence. Vous serez attentif à vous priver de tout ce qui peut flatter vos sens et à faire ce qu’il y aura de plus mortifiant et de plus opposé à vos inclinations. Cette pénitence sera universelle et marquée dans votre humeur, dans vos regards, dans votre goût, dans vos paroles, dans votre ouïe, dans toutes vos démarches et même dans le ton de votre voix ; mais elle sera encore plus dans vos sens intérieurs, c’est-à-dire dans votre mémoire, dans vos pensées, dans Vos sentiments, dans Vos désirs, et dans votre propre volonté, que vous combattrez en tout.

Préparation à la cérémonie des Cendres

Allez à cette religieuse cérémonie avec un esprit de recueillement et de componction, pénétré de votre bassesse et de votre néant. Rappelez-vous que les Cendres sont une espèce de sacrement et de mystère qui doit nous inspirer des sentiments d’humilité et de mort, et par conséquent de pénitence. Préparez-vous à cette cérémonie humiliante, en disant à Dieu de tout votre cœur : Seigneur, je veux, dès à présent, accomplir en esprit dans ma personne ce que vous ferez un jour par ma mort.

Vous m’avez formé d’une poussière qui, détrempée et pétrie avec de l’eau, ne fait que de la boue et du limon qu’on foule tous les jours aux pieds, et qui n’est capable que de les souiller ; vous avez résolu, après la dissolution de mon corps, de me réduire encore en poussière. Je veux m’y réduire moi-même par avance et dès aujourd’hui, par la pénitence de mon esprit, de ma volonté, de mes attaches, de mes désirs, de ma chair, et de tout ce qui forme mon être. J’acquiesce de tout mon cœur au juste arrêt de mort que vous avez prononcé contre moi, et je confesse que je mérite de mourir et d’être réduit en cendres, parce que je suis pécheur, et que, sans votre miséricorde, que j’implore et que je vais implorer sous la cendre, je brûlerais sans ressource dans les flammes éternelles.

Faites réflexion que les cendres qu’on vous mettra sur la tête sont une investiture et une prise de possession de cette pénitence que Dieu exige de vous. Rappelez-vous encore que les cendres sont un prédicateur muet, qui nous apprend premièrement que notre corps doit être réduit en cendres après notre mort : cette idée est bien faite pour nous engager à nous mépriser nous-mêmes et surtout à ne faire aucun cas de cette chair pour laquelle nous n’avons que trop d’égards, et dont la corruption, la pourriture, l’infection, la difformité, les vers et la cendre sont le terme ignominieux.

En second lieu, que nous devons nous mettre sous la cendre par l’humilité et par la pénitence, et ne nous laisser jamais enfler d’orgueil.

En troisième lieu, que nous devons mettre tous nos appétits déréglés, tous nos péchés et toutes nos mauvaises habitudes en cendre, et les extirper de manière que, comme la cendre est une espèce d’anéantissement, d’où il ne renaît jamais rien de ce qui a été une fois consumé par le feu, tout ce que nous avons de mauvais soit réduit en cendre par le feu du divin amour, et entièrement anéanti par la pénitence.

Enfin, que nous devons tellement briser nos cœurs par la douleur, par la componction et par une pénitence où l’amour de Dieu préside, qu’ils brûlent de ces divines flammes, et se réduisent, pour ainsi dire, en cendre, s’il était possible.

Méditation sur la pénitence

Ier POINT. — Quand vous jeûnez, dit Jésus-Christ, ne soyez pas tristes comme les hypocrites ; car ils affectent de paraître avec un visage défiguré, afin que les hommes connaissent qu’ils jeûnent. (S. Matth., 5.) Ne donnez pas dans ce piège que le démon tend à vos bonnes œuvres pour vous en faire perdre tout le mérite. Commencez au contraire vos jeûnes, vos abstinences et vos saintes pratiques avec cette joie spirituelle que le Sauveur demande dans l’évangile de ce jour. Réjouissez-vous avec les saints d’être, par cette pénitence, une victime volontaire et temporelle de vos péchés et de la justice de Dieu ; par là vous éviterez sûrement d’en être un jour la victime involontaire et éternelle.

Cette précaution, qui était nécessaire pour les pharisiens, qui ne faisaient leurs bonnes œuvres qu’avec ostentation et pour en imposer à la crédulité des peuples par de faux airs de pénitents, ne l’est peut-être pas moins aux chrétiens de ce siècle, qui n’est qu’un siècle de spécieuses apparences ; où il y a peu de pénitences sincères et rigoureuses, et beaucoup de mollesse et de vaine gloire. Ne vous laissez pas ici surprendre à votre amour-propre. Le piège qu’il tend à votre pénitence est’un piège grossier, depuis que Jésus-Christ a pris soin, dans cet évangile, de vous en démêler tous les artifices, qu’il vous en a fait connaître les dangers et les fâcheuses conséquences, et qu’enfin il vous donne des précautions admirables pour ne vous y pas tromper. Faites tout pour les yeux de Dieu, et rien pour ceux des hommes, qui n’ont point d’autre récompense à vous donner que quelques louanges fades et peu sincères, qui ne laissent pas de flatter souvent l’amour-propre, de produire et de satisfaire la vanité, de plaire aux oreilles et de séduire l’esprit, d’empoisonner le cœur et de ruiner tout le mérite de nos bonnes œuvres, de nos jeûnes et de la pénitence.

Évitez l’art, dit saint Grégoire, qui ne forme que l’extérieur de la figure, parce qu’elle n’est faite que pour les yeux des hommes ; mais imitez la nature, qui commence par former le cœur. Commencez par convaincre votre esprit de la nécessité absolue de faire pénitence, et par mortifier les désirs de votre cœur : votre pénitence sera bientôt universelle.

Cachez avec grand soin toutes les pénitences que vous ferez pendant le carême et pendant toute votre vie, afin que le Père céleste, qui voit toutes vos actions cachées et tous les plus secrets mouvements de votre cœur, vous donne une pleine récompense, et soyez persuadé que tout ce que vous ferez pour les hommes, c’est autant de perdu pour le ciel. Allez encore plus loin : cachez-vous à vous-même, réprimez toutes les saillies de complaisance, de vanité, d’amour-propre, de retour sur vous-même, et, quelque chose que vous fassiez, regardez-vous toujours comme un serviteur inutile.

IIe POINT. — Gardez-vous bien, dit encore Jésus-Christ dans l’évangile de ce jour, de thésauriser pour la terre, parce que tout y périt, et que le moindre accident peut vous enlever tous les trésors fragiles que vous auriez acquis avec beaucoup de peine, accumulés souvent avec injustice, et conservés avec beaucoup d’attache et d’inquiétude. Thésaurisez seulement pour le ciel, où tout est permanent et éternel ; mais soyez persuadé que le plus précieux de tous les trésors que vous puissiez amasser à présent consiste dans les bonnes œuvres et dans les actions de pénitence, parce que c’est la monnaie précieuse qui nous met en état de payer nos dettes à la justice de Dieu, de satisfaire pour nos péchés, d’obtenir sa grâce et son amour, de nous racheter de l’enfer et d’acheter le ciel.

C’est à présent plus que dans aucun autre temps que ces trésors sont ouverts ; vous pouvez y puiser à pleines mains et faire une ample provision de grâces par les œuvres de pénitence que l’Église vous prescrit. Les abstinences, les jeûnes, les prières, la parole de Dieu, l’aumône, la mortification : voilà les fruits précieux de la saison ; faites-en une ample provision : voilà les trésors qui vous sont présentés dans ce saint temps. Ils ne craignent point les voleurs, dit notre adorable Sauveur, et vous pouvez être assuré qu’on ne vous les enlèvera jamais malgré vous, tant qu’ils seront sous la garde de l’humilité, de la crainte de Dieu, et que vous ne les exposerez pas aux yeux des hommes pour en tirer de la vanité.

Ils n’ont, en effet, pour ennemis que cette vanité à craindre, et c’est contre cet ennemi subtil et domestique que Jésus-Christ prend soin de nous précautionner quand il nous ordonne de cacher nos bonnes œuvres, et surtout quand il ajoute ces belles paroles : Où votre trésor se trouve, votre cœur y est aussi. Méprisons tous les trésors temporels, n’y mettons jamais notre cœur ; mais cachons plutôt ces trésors spirituels dans le plus secret de notre cœur : c’est là seulement qu’ils seront en sûreté. D’ailleurs Dieu ne manquera pas de s’y trouver, et d’être lui-même dans ce cœur le gardien fidèle de ses dons, de ses grâces et de nos vertus ; alors nous suivrons son conseil, et, quelque rigoureuse que soit notre pénitence, quelque ferventes que soient nos prières, quelque abondantes que soient nos aumônes, l’une de nos mains ne saura pas ce que l’autre aura fait ; Dieu le saura, cela nous suffit ; ce sera le moyen de ne jamais rien perdre de nos trésors.

Sentiments

Je ne veux avoir que vos yeux seuls, ô mon Dieu, pour témoins de mes bonnes œuvres et de ma pénitence. Je renonce de tout mon cœur aux louanges et aux vains applaudissements des créatures, et je ne veux embrasser les rigueurs de la pénitence que parce que je suis pécheur ; que parce que je dois et que je veux satisfaire à votre justice ; que parce que je veux éviter de faire une pénitence éternelle dans les enfers ; que parce que je veux vous obéir, vous plaire, et vous posséder éternellement dans le ciel.

Éloignez donc, Seigneur, de mon esprit et de mon cœur tout désir et tout dessein de plaire à d’autres qu’à vous seul, tout respect humain et tout retour sur moi-même. Inspirez-moi vous-même les vues que je dois avoir dans la pénitence que j’entreprends aujourd’hui ; je vous demande encore que vous me donniez le courage dont j’ai besoin pour la soutenir jusqu’à la fin avec une ferveur toujours égale, sans jamais m’épargner ni me relâcher, et sans jamais écouter ma fausse délicatesse.

Je veux, avec votre secours, que j’implore ici avec toute l’ardeur dont je suis capable, humilier si bien mon esprit, qu’il ne se révolte jamais contre vos divines lois. Je veux détacher mon cœur de la créature, pour ne l’attacher dorénavant qu’à vous seul, et en extirper à fond tous les désirs imparfaits, toutes les attaches trop sensibles. Je veux enfin macérer cette chair pécheresse et la réduire en servitude ; mais armez-moi contre moi-même, pour ne la pas épargner.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Si vous ne faites pénitence, vous ne tomberez pas dans les mains des hommes, mais dans celles de Dieu. (Ecclés., 2.) Faisons pénitence, parce que Dieu est patient, et demandons miséricorde par l’effusion de nos larmes. (Judith, 8.)

Il n’y a rien que deux choses qui rendent la pénitence certaine, qui sont l’amour de Dieu et l’amour du péché. (S. Augustin.)

Ou pleurer utilement ses péchés pendant cette vie mortelle, ou les pleurer inutilement dans l’enfer pendant une éternité tout entière. (S. Jérôme.)

Prière

Tirée de la Collecte de la sainte Messe

Accordez, Seigneur, à tous les fidèles, et à moi en particulier, la grâce d’entrer généreusement, et avec une dévotion sincère, dans la carrière de la pénitence. Donnez-moi du courage et de la force pour la soutenir jusqu’à la fin avec la même ferveur et le même esprit. Pénétrez mon cœur d’une vraie contrition et d’une vive douleur de vous avoir offensé. Détruisez en moi non seulement le péché et les inclinations au péché, mais encore tous les restes du péché et toutes les impressions fatales qu’il’peut avoir faites dans mes sens ; mais conservez le pécheur, pour en faire un vrai pénitent. Bénissez ; acceptez, soutenez ma pénitence, afin qu’elle puisse désarmer votre justice, me réconcilier pour toujours avec vous, mériter votre miséricorde et votre grâce dans le temps, et votre gloire dans l’éternité. Je vous en prie par les Mérites de Jésus-Christ, mon Seigneur, mon Dieu et mon Sauveur, qui vit et règne avec vous et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles.

Point de la Passion

Réflexion sur la Passion en général

La passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ est, sans contredit, le plus incompréhensible de tous les mystères, le plus surprenant et le plus inouï de tous les prodiges, la plus cruelle et la plus sanglante de toutes les tragédies, le plus lugubre et le plus touchant de tous les spectacles qui aient jamais paru sur la terre, C’est, du côté des hommes, la plus énorme et la plus criante de toutes les injustices, et, du côté de Dieu, le plus signalé, le plus éclatant et le plus authentique de tous les témoignages de son amour.

C’est la condamnation d’un innocent, et de l’innocence même, la passion d’un Dieu impassible, la mort injuste du Souverain du ciel et de la terre, du Sauveur de tous les hommes, et d’un Dieu immortel, qui est par conséquent le maître et l’arbitre de la vie et de la mort, par les mains cruelles et parricides de ceux-là mêmes qu’il venait racheter du péché, de la mort et de l’enfer, par l’effusion de son propre sang.

Quoi de plus touchant, de plus digne de compassion et de larmes ! Quoi de plus capable d’attendrir nos cœurs de compassion et d’amour et de les briser de douleur ! Ses disciples le fuient, ses amis le trahissent, ses frères le persécutent, son propre Père même l’abandonne ; quoiqu’il souffre des douleurs excessives, personne ne l’assiste et ne prend part à sa peine. Le ciel, la terre et l’enfer produisent de concert contre ce Dieu souffrant tout ce qu’ils ont de, puissance, pour lui ôter la vie par une infinité de supplices atroces ; et ils en viennent à bout ; car, hélas ! il est mort sur une croix infâme. Un juge perfide et scélérat en a prononcé la sentence, à la requête des prêtres et de tout son peuple qui demandaient son sang. Le Ciel en a donné le pouvoir, l’envie du démon y a concouru, et la fureur des hommes a mis tout en usage pour lui faire souffrir le plus cruel et le plus honteux de tous les genres de mort qu’on ait jamais pu inventer pour le plus criminel et pour le plus scélérat de tous les hommes : trahisons, faux témoignages, malédictions, railleries, outrages, fouets, épines, clous, croix, fiel. Ah ! c’en est trop pour un Dieu et pour un Sauveur innocent, qui veut souffrir et qui veut mourir par nos mains et par amour pour nous.

Oui, Seigneur, c’en est trop ; mais ce qui me confond et ce qui me perce le cœur, c’est lorsque je pense que je suis la cause de vos supplices et de votre mort, et que ce sont mes péchés qui vous ont mis dans ce pitoyable état. C’est moi qui vous ai livré aux soldats, aux juges et aux bourreaux, par mes infidélités et par mes perfidies. J’ai percé votre tête par l’orgueil et par la vanité de la mienne ; je vous ai couvert de plaies, de meurtrissures ; j’ai déchiré votre chair, et j’ai tiré toutes les gouttes de votre sang par le nombre infini de mes révoltes et de mes infidélités. Enfin, après tant de supplices, je vous ai donné la mort, puisque sans le péché vous ne seriez pas mort, et que vous n’êtes mort que pour satisfaire en rigueur de justice à votre Père céleste, pour la peine qui était due au péché. Mais je suis bien plus criminel encore d’avoir renouvelé ce cruel genre de mort autant de fois que j’ai eu le malheur de retomber dans le péché.

Ah ! Seigneur, quelle pénitence assez longue et assez rigoureuse puis-je faire pour réparer comme je le dois de si sanglants outrages faits à un Sauveur et à un Dieu tout-puissant ? Inspirez-la-moi vous-même, ô mon Dieu. Je l’accepte de tout mon cœur, pourvu qu’elle ne soit que temporelle et qu’elle ne me prive pas éternellement du bonheur de vous posséder dans le ciel, et je suis résolu de la faire sans m’épargner pendant ce saint temps de carême, et jusqu’au dernier soupir de ma vie.

JEUDI APRÈS LES CENDRES
Jour de Foi

Pratique

Vous demanderez à Dieu, à votre premier réveil, une foi aussi soumise et aussi ardente que celle du centenier. Vous en prononcerez un acte, que vous vous efforcerez de faire sentir à votre cœur. Vous protesterez à Dieu que vous voulez vivre et mourir dans la foi et dans une soumission parfaite à l’Église ; que vous êtes disposé à sacrifier vos biens, votre liberté, votre réputation, votre santé et votre vie pour la soutenir. Vous ferez donc aujourd’hui toutes vos actions dans un esprit de foi, et vous prendrez soin d’en renouveler souvent les actes avec une grande attention et une grande simplicité, tantôt sur la religion chrétienne, que vous avez embrassée, tantôt sur les mystères de la sainte Trinité, de l’Incarnation et de l’Eucharistie, surtout au saint sacrifice de la Messe.

Méditation sur la foi

Ier POINT. – Le centenier vint trouver. Jésus-Christ pour le prier de guérir son serviteur qui était paralytique et qui souffrait beaucoup. (S. Matth., 8.) Faites attention qu’il entreprend ce voyage sur le rapport d’autrui et sur la réputation du Sauveur ; et il l’entreprend pour l’amour d’un simple domestique, pour lequel il fait tout ce qu’il aurait pu faire pour son propre enfant s’il s’était trouvé en pareil état, sans penser à ce qu’il se devait à lui-même, selon les maximes pernicieuses de tant de personnes qui ne regardent souvent leurs domestiques que comme des espèces d’esclaves, à la santé et au salut desquels ils ne font aucune attention. La foi et la religion ont d’autres vues. Elles apprennent que ces âmes sont également précieuses à Jésus-Christ, puisqu’elles lui coûtent tant de sang.

Sûr du succès, parce qu’il est plein de foi, il ne s’embarrasse pas des railleries que pourraient lui attirer et sa charité et sa prompte crédulité. Il s’approche de Jésus- Christ, et le prie ; il expose l’état fâcheux de son serviteur ; et Jésus-Christ, pour toute réponse, lui dit qu’il est vivant. Le centenier le savait bien ; et un autre moins soumis lui aurait répondu : Seigneur, je sais bien qu’il n’est pas mort ; c’est sa guérison que je demande. Mais sa foi va si loin, et en peu de temps elle a fait de si grands progrès, qu’il croit encore plus que les paroles de Jésus-Christ ne signifient selon leur sens naturel, et il se trouve assez éclairé, tout néophyte qu’il est, pour être persuadé que ce divin Maître qu’il adorait déjà dans son cœur comme son Dieu, dit saint Jérôme, quoiqu’il fût caché sous le voile d’une chair mortelle, n’accordait pas une grâce à demi, et que dire que son serviteur était vivant, c’était la même chose que de dire qu’il était en parfaite santé.

Il profère ces admirables paroles : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison ; mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. Quoique je ne sois qu’un simple centenier, j’ordonne à mes gens, et ils obéissent ; comme s’il voulait dire : Vous êtes le maître absolu de la vie et de la mort, de la maladie et de la santé ; il suffit que vous disiez un mot pour être obéi.

Étudiez bien ces paroles de ce païen devenu fidèle, de ce maître devenu, par la foi et par la charité, le serviteur de son serviteur même. Entrez dans la pensée de son esprit et dans les sentiments de son cœur, qui s’expriment ici par sa bouche. Comparez votre soumission à la sienne ; vous y trouverez une admirable instruction, et sans doute une condamnation secrète de votre peu de foi, de vos révoltes, de vos doutes, et de tant de faux raisonnements que vous avez peut-être faits sur cette matière importante et délicate. Ne rougissez pas de prendre cet homme de guerre pour modèle de votre foi.

IIe POINT. – Jésus, entendant ces paroles du centenier, l’admira, et dit à ceux qui le suivaient : Je vous dis en vérité que je n’ai point trouvé une si grande foi en Israël.

Un Dieu admirer ! quel prodige ! Un Dieu accorder une grâce dans le moment qu’on la demande avec foi ! quelle bonté et quel prodigieux pouvoir de la foi sur le cœur de Dieu ! Mais un Dieu faire lui-même l’éloge de la foi de ce centenier, et la préférer à celle de tout Israël, quelle distinction et quel attrait pour croire avec autant de simplicité, de soumission et de promptitude que le centenier !

L’éloge vous étonne, parce qu’il est prononcé de la bouche de Dieu-même ; mais pensez sérieusement à la conduite du centenier, et vous verrez qu’il le mérite : heureux s’il fait naître dans votre cœur l’envie de le mériter comme lui par l’ardeur de votre foi ! Voici sa conduite. Dès le premier jour qu’il est éclairé des lumières de la foi, il entre généreusement, et sans différer, dans toutes ses pratiques, et il fait entendre par là que la foi ne consiste pas seulement dans l’acquiescement de l’esprit aux vérités qu’elle propose, mais dans ses œuvres. Son esprit, sa bouche, ses mains, son cœur et toute sa personne donnent des preuves évidentes qu’il croit véritablement en Jésus-Christ.

Son esprit se soumet à l’aveugle, et il pousse sa soumission jusqu’à croire et à protester devant tout le monde qu’il peut autant absent que présent, et que la distance des lieux ne peut faire aucun obstacle à sa puissance. Son cœur est fidèle, et l’amour du prochain, qui lui était beaucoup inférieur, parce qu’il était son domestique, l’engage à le secourir comme un autre soi-même. Sa bouche est fidèle : elle demande humblement cette grâce à Jésus-Christ, et elle fait cette généreuse protestation de foi, digne d’être admirée et louée de la bouche de Jésus-Christ même ; et elle se consacrera dorénavant à étendre et à amplifier la foi en Jésus-Christ, dont il aura l’honneur d’être le premier apôtre et le premier prédicateur, pour convertir d’abord toute sa famille, et pour s’étendre ensuite à tous ceux qui voudront entendre sa parole et profiter de son zèle.

Ses mains sont fidèles : elles ne manqueront pas de travailler pour Dieu, puisqu’elles lui ont déjà bâti une synagogue. (S. Luc, 17.) Ses pieds mêmes sont fidèles : ils marchent d’abord pour aller trouver Jésus-Christ, et ils retournent avec joie après l’avoir vu et avoir entendu les oracles de sa bouche adorable. Ainsi, il ne mettra aucun intervalle entre les lumières de la foi ; et les œuvres de la foi ; ce nouveau prédicateur nous fait voir que la foi sans les bonnes œuvres et sans la charité n’est qu’une foi morte.

Voilà le grand modèle de la foi que l’Église propose à nos réflexions, voilà la foi de l’esprit, du cœur, des mains et de toute la personne. Marchez sur ces traces, elles sont suffisamment marquées. Sur ce modèle, examinez votre foi ; demandez-vous à vous-même si la conduite que vous tenez à l’égard de Dieu, de votre prochain et de vous-même, pourrait suffisamment répondre de la sincérité de votre foi. Soumettez votre esprit, réformez sa curiosité, réglez vos paroles, croyez, aimez, et agissez conséquemment, et vous aurez une foi parfaite.

Sentiments

Ah ! Seigneur, que j’ai lieu de me défier de la sincérité de ma foi, puisque mon esprit n’est pas assez soumis quand vous lui parlez, ou par la bouche de vos organes, ou par les inspirations ; puisque mes bonnes œuvres ne m’en ont encore donné aucune preuve suffisante, et que je n’ai encore rien souffert ni entrepris de pénible ; que souvent, dans les moindres épreuves, elle a été trop lâche et trop languissante, et que je n’en ai pas pris le parti avec assez de chaleur dans les assemblées des mondains.

Donnez-moi donc, Seigneur, cette véritable foi, puisque c’est le premier et le plus précieux de tous vos dons, et que je ne puis.me sauver sans son secours. Je crois cependant, ô mon Dieu, mais aidez mon incrédulité, dissipez les doutes de mon esprit toute sa vaine curiosité, tous ses entêtements et tous ses faux préjugés, par le poids et par l’empire de vos divins oracles. Persuadez-le invinciblement de se soumettre avec la même docilité et la même humilité que le centenier ; mais traitez-moi avec la même bonté. Dites seulement une parole, et mon âme sera guérie. Bannissez aussi de mon cœur toutes les flammes étrangères et toutes les attaches profanes, puisque vous m’apprenez vous-même que c’est par la foi que vous purifiez les cœurs. À leur place substituez-y de saintes ardeurs, une vraie charité et un attachement inviolable à la religion sainte que vous avez cimentée par votre sang, afin que je mérite de passer de l’obscurité à l’évidence, et des pratiques rigoureuses de la foi aux plaisirs purs et éternels que vous avez promis, et que vous donnerez infailliblement à ceux qui vous seront fidèles jusqu’à la mort.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Examinez-vous vous-même si vous êtes dans la foi, éprouvez-vous. (2e Ép. aux Cor., 18.)

La foi est morte sans les bonnes œuvres. (Épît. de S. Jacques, 2.)

Jésus-Christ se trouve toujours dans un cœur où la foi est entière : il y enseigne, il y veille, il y est en joie, il y repose et il le défend. (S. Ambroise.)

Quand la foi est soutenue de la charité, on peut bien l’attaquer, mais on ne peut jamais l’abattre. (Hugues de Saint-Vincent.)

Prière

Dieu tout-puissant et miséricordieux, que nous offensons cependant tous les jours, et qui avez encore assez de bonté pour nous pardonner et pour laisser désarmer votre justice par notre pénitence, quand elle est sincère, qu’elle est soutenue par la foi, animée par la charité et accompagnée de nos bonnes œuvres, écoutez les humbles prières, exaucez les vœux de votre peuple qui gémit et qui pratique la pénitence dans ce saint temps ; adoucissez votre colère et détournez de nos têtes criminelles vos vengeances, que nous n’avons que trop méritées. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre souverain Seigneur.

Point de la Passion

Jésus lave les pieds à ses Apôtres

Transportez-vous en esprit dans le Cénacle, et soyez attentif aux mystères prodigieux d’humilité et d’amour que Jésus-Christ y accomplit ; comme pour servir de prélude et de préparation à ses souffrances et à sa mort, pour laisser aux chrétiens un exemple de l’une et de l’autre de ces deux grandes vertus. Ne perdez rien des circonstances d’une cérémonie si sainte, si édifiante et si remplie d’instruction.

Jésus, dit son disciple bien-aimé, sachant que le temps de sa mort approchait (S. Jean, 15), non content d’avoir aimé jusqu’alors ses disciples et de leur avoir marqué son amour et sa tendresse dans toutes les occasions qui s’en étaient présentées, voulut encore à la fin de sa vie leur en donner des marques plus sensibles et des témoignages plus authentiques, et un exemple extraordinaire de la charité la plus ardente et de l’humilité la plus profonde, afin qu’ils fussent vivement touchés, qu’ils en profitassent, qu’ils ne l’oubliassent jamais, et qu’ils transmissent par leur prédication cette grande action à tous les fidèles.

Il se leva de table, il se ceignit d’un linge, il mit de l’eau dans un bassin et commença à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer. Pierre, confus d’une action si humiliante dans Celui qu’il avait déjà reconnu pour le Fils du Dieu vivant, qui d’ailleurs n’était pas encore assez éclairé pour entrer dans les desseins de son adorable Maître, et qui ne savait pas que l’humilité et la charité abaissent quelquefois les supérieurs aux pieds de leurs inférieurs, voulut s’y opposer ; il crut même qu’il fallait faire quelque résistance. Alors Jésus commanda ; il alla même jusqu’aux menaces. Pierre fut obligé de se rendre ; et il souffrit, par obéissance, son Maître, son Sauveur et son Dieu à ses pieds.

Quel spectacle inouï ! quel miracle d’humilité ! quel surprenant prodige ! Un Dieu tout-puissant, un Souverain du ciel et de la terre, à genoux aux pieds de ses créatures, de ses disciples et de ses sujets, en posture de serviteur, et ses apôtres assis comme ses maîtres ! Un Dieu, dis-je, qui est la grandeur même, humilié volontairement, jusqu’à toucher et nettoyer de ses mains divines les ordures et les impuretés des pieds des hommes ! Un Sauveur qui est l’innocence même, aux pieds de son plus cruel ennemi, et du traître dont il connaissait la perfidie, le mauvais cœur, et qui devait le livrer incessamment, après cette action, entre les mains des Juifs, pour lui donner la mort, et la mort la plus cruelle et la plus infâme ! Quel miracle de douceur et d’amour ! Quelle héroïque charité ! Quel prodigieux anéantissement, et quelle condamnation pour les superbes et pour les vindicatifs !

Voilà l’exemple, dit Jésus-Christ après avoir lavé les pieds à ses apôtres ; c’est à vous à le suivre. Si nous aimons Dieu, et si nous aimons notre prochain pour l’amour de Dieu, si nous avons la véritable humilité dans le cœur, devons-nous dorénavant avoir de la peine à nous abaisser aux pieds de nos frères, à leur rendre avec plaisir les services les plus humiliants, à surmonter en tout notre délicatesse et notre orgueil ; persuadés que, depuis que Jésus-Christ nous en a donné l’exemple, malgré sa grandeur et notre bassesse, la véritable gloire y est attachée ?

VENDREDI APRÈS LES CENDRES
Jour de Perfection

Pratique

Excitez dans votre cœur, dès le commencement de la journée, un désir ardent de la perfection chrétienne, selon l’état que vous avez embrassé, et demandez-le ardemment à Dieu, dans la résolution que vous mettrez, de votre côté, tout en usage pour y parvenir. Elle n’est point au-dessus de vos forces, puisque Jésus-Christ vous y invite dans l’Évangile. Faites aujourd’hui toutes vos actions dans cette vue, et faites-vous une étude et une application sérieuse d’en éloigner exactement toutes les imperfections qui pourraient en diminuer le mérite. Écartez-en soigneusement toutes les vues humaines ; examinez-les ; pesez-les au poids du sanctuaire ; pensez de chacune de ces actions ce que vous croyez que Dieu en pense, et persuadez-vous que vouloir ici penser comme Dieu, ce n’est pas une témérité ni une présomption, mais une vertu et une sage précaution.

MÉDITATION SUR LA PERFECTION

Ier POINT. — Vous avez appris, dit Jésus-Christ à ses Apôtres, qu’il a été dit aux anciens : Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez votre ennemi. (S. Matth. 5.) Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient, afin que vous soyez les enfants de votre Père céleste.

Voilà le plus parfait, le plus sublime et le plus saint de tous les préceptes ; mais il est facile de voir, du ton de maître dont il est imposé, que cet adorable Sauveur voulait faire de tous les chrétiens des hommes parfaits, de vrais héros, des frères adoptifs, des imitateurs fidèles de ses plus grandes actions. Il leur en fournit les moyens par la seule dilection des ennemis qu’il leur prescrit. Et pour montrer que cette pratique peut les conduire à la plus sublime perfection, dès qu’il la leur a imposée, il ajoute Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait.

C’est un Dieu qui parle, qui commande, et qui, pour donner à cette loi, si sainte et si parfaite, tout le poids et toute l’autorité qui lui était absolument nécessaire pour emporter le consentement et la soumission des chrétiens, à qui elle s’adressait, s’en déclare lui-même l’auteur par ces paroles : C’est moi qui vous le dis. Ainsi jamais la loi n’a été revêtue de plus beaux caractères, ni prononcée avec plus de précision, plus de poids et plus de majesté. C’est ce qui marque combien ce divin Sauveur en désirait la pratique, et combien il était jaloux de notre perfection.

Appliquez-vous au sens de ces admirables paroles : C’est moi qui vous le dis ; moi pour l’amour duquel vous devez sacrifier vos plus vifs et vos plus justes ressentiments, moi qui l’ai pratiquée le premier à votre égard, en vous pardonnant des péchés qu’il ne tenait qu’a moi de punir sur-le-champ par des supplices éternels ; moi qui suis votre maître et qui ai un droit incontestable sur tous les mouvements de votre cœur, parce que c’est moi qui l’ai formé, et que, par conséquent, il ne doit vouloir que ce que je veux ; moi enfin qui n’ai jamais rien commandé d’impossible, et qui facilite toujours les actions les plus difficiles qu’on entreprend pour mon amour, par l’onction dont je les accompagne et par la grâce que je ne refuse jamais.

Joignez l’exemple admirable de Jésus-Christ au précepte qu’il impose aujourd’hui, et la voix de ses souffrances et de son sang à celle de sa bouche, puisqu’il a pardonné à ses ennemis tous les outrages les plus sanglants ; qu’il leur a pardonné même dans le temps qu’ils le crucifiaient, et qu’après avoir dit : Mon Père, pardonnez-leur, à ces divines paroles il a ajouté l’effusion de tout son sang.

Rentrez à présent dans vous-même. Votre cœur est-il exempt de tout ressentiment d’injures ? Ne garde-t-il pas quelque froid et quelque antipathie contre son prochain ? Est-il toujours dans la disposition prochaine d’obliger et de servir cordialement et également tous ses frères, sans distinction et sans réserve ? Voilà de quoi vous instruire ; et si vous n’en profitez pas, c’en est assez pour vous confondre et pour marquer que, loin d’aspirer à la perfection, vous n’êtes pas même chrétien.

IIe POINT. — Soyez parfaits, dit encore Jésus-Christ à ses disciples, comme votre Père céleste est parfait, et donnez- vous bien garde de faire vos bonnes œuvres dans le dessein d’être vus des hommes pour en être estimés.

Remarquez qu’après que ce divin Sauveur a établi la loi particulière de la dilection des ennemis, après en avoir marqué avec exactitude toutes les circonstances et condamné tous les ressentiments, qui sont le plus grand obstacle à la perfection chrétienne, il établit ensuite la loi de cette perfection, en donnant de sages précautions contre les moindres défauts qui peuvent rendre nos bonnes œuvres imparfaites, qui sont le respect humain, la vanité l’ostentation et les retours sur nous-mêmes.

Remarquez encore qu’après avoir donné le conseil sublime de la perfection, il a la bonté d’en fournir un excellent modèle, qui est le Père céleste. Ainsi, tout Dieu qu’il est, il n’est pas au-dessus de notre portée, quoiqu’il nous soit donné par Jésus-Christ même, qui nous dit que son Père fait lever son soleil sur les méchants aussi bien que sur les bons. Étudions ce divin modèle, copions cet admirable original ; aussi bien que Celui qui nous le propose, il nous aidera par sa grâce à en devenir des copies fidèles et ressemblantes.

Combien se trouve-t-il de lâches chrétiens dont la vie nonchalante est un renoncement formel à la perfection, parce qu’elle coûterait trop à leur délicatesse, et qui aiment mieux y renoncer qu’y travailler, quoiqu’ils aient senti une infinité de mouvements intérieurs et d’inspirations célestes qui les y appelaient, et qu’ils aient souvent été éclairés des lumières qui leur en apprenaient et qui leur en frayaient le chemin ! N’êtes-vous point de ce nombre ? Pensez-y sérieusement.

Reprenez aujourd’hui ce travail que vous avez délaissé avec trop de lâcheté : et ne vous rebutez pas, quoique ce soit un travail de toute la vie. Étudiez-vous vous-même ; examinez, corrigez votre passion dominante : priez, méditez, formez de grands projets, des résolutions généreuses et conformes aux besoins de votre âme. Imitez, dit un saint docteur, le sculpteur et le peintre. Le sculpteur ne trouve enfin sa figure qu’à force d’ôter à coups de ciseau le superflu qui la cachait. Le peintre ne donne la dernière perfection à la sienne qu’en ajoutant de nouveaux traits. Diminuez, ajoutez, détruisez, acquérez, cherchez vos défauts les plus cachés, commencez par bien les connaître, continuez par les haïr, et finissez par les extirper. Vous trouverez sans doute beaucoup plus d’ouvrage que vous ne pensez ; mais l’important est de travailler tout de suite et de ne se point relâcher ni se décourager. Cependant, si vous voulez abréger ce chemin de la perfection qui vous paraît si long et si difficile, aimez Dieu ; aimez-le avec ardeur, sans cesser de le craindre, et vous serez bientôt parfait.

Sentiments

Que je sens en moi, Seigneur, d’opposition et d’obstacles à la perfection que vous me demandez, quoiqu’en me la demandant, vous m’offriez tous les moyens et tous les secours dont j’ai besoin pour y parvenir ! Ma pusillanimité, ma paresse, mon amour-propre, mes attaches et ma délicatesse se récrient et se révoltent quand je veux en former le dessein et travailler efficacement pour me mettre en état de pouvoir l’acquérir. Hélas ! Je les écoute, je me relâche, je me néglige, je me rebute, je retombe, je me décourage, j’y renonce enfin avec lâcheté.

Si j’y avais travaillé tout de suite depuis que j’en ai compris la nécessité pour assurer mon salut, j’aurais déjà beaucoup avancé ce grand ouvrage, et je serais bientôt, ô mon Sauveur, une copie vivante de votre Père céleste. J’ai mille fois entendu votre voix dans le fond de mon cœur, qui m’y appelait et me sollicitait fortement et tendrement tout ensemble à l’entreprendre. Ma conscience, dont la voix est la vôtre, m’a fait entendre que vous exigez de moi une vie plus pure et plus parfaite que celle que je menais.

J’en suis convaincu, je l’ai senti, j’en ai été quelquefois ému, et même troublé ; j’ai fait alors des projets et même des promesses ; commencé à travailler, mais j’ai désavoué mes projets, j’ai faussé mes promesses ; désiré de travailler, et me voici aussi imparfait et aussi peu avancé que je l’étais il y a plusieurs années.

Ah ! Seigneur, quel rigoureux compte me demanderez-vous au jugement, et quels regrets en aurai-je à la mort ! Cette idée m’alarme par avance, et elle me fait frémir. J’ai pu, et je n’ai pas fait : quelle infidélité et quel sujet de douleur ! Mais ! ô mon Dieu, c’est à ce moment que je vais travailler sans jamais me désister ; secourez-moi, aidez-moi, guérissez ma paresse, réveillez ma langueur et fixez mon inconstance.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Si vous voulez être parfait, allez, vendez tous vos biens, et donnez-les aux pauvres. (S. Matth., 39.)

Je prie le Seigneur de toutes grâces, qui, nous a appelés en Jésus-Christ et à son éternelle gloire, qu’après que vous aurez souffert un peu de temps, il vous perfectionne, vous fortifie et vous affermisse comme sur un solide fondement. (1ère Épît. de S. Pierre, 5.)

Celui-là, peut être réputé parfait dès cette vie, dont l’âme s’applique à ces trois choses : premièrement, à plaire à Dieu en tout ; secondement, à veiller sur toutes ses démarches, et, en troisième lieu, à être charitable et utile à son prochain. (S. Bernard.)

Vous aurez acquis la perfection du bien quand vous aurez chez vous extirpé et anéanti tout le mal. (S. Augustin.)

Prière

Soutenez, Seigneur, par votre grâce et par votre infinie bonté, les prémices de nos jeûnes et de nos pénitences ; agréez-les, bénissez-les, soutenez-les, couronnez-les d’une généreuse persévérance, et faites-nous la grâce de perfectionner nos saintes observances par une intention pure et par un retour sincère, afin que nos pénitences corporelles soient toujours accompagnées de celles de l’esprit et du cœur. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre adorable Seigneur.

Point de la Passion

La communion indigne de Judas

Voici le triste prélude et le premier acte de la cruelle et sanglante tragédie qui nous servira tous les jours d’entretien et de réflexion pendant ce carême, et qui devrait occuper notre esprit et notre cœur pendant tous les jours de notre vie.

Jésus savait, dit l’Évangile, que Judas avait conçu et formé le dessein de le trahir et de le livrer entre les mains de ses plus cruels ennemis pour lui donner la mort, et de payer par cet horrible et sacrilège parricide les biens, les honneurs et les témoignages d’amitié dont il l’avait comblé depuis qu’il l’avait reçu en sa compagnie. Cet adorable Sauveur, plein de bonté, l’admet cependant à sa table, au repas même où il devait instituer l’adorable sacrement de son corps et de son sang, et où il devait donner à ses Apôtres, avant de mourir, le dernier témoignage de son amour.

Il institue, en effet, le sacrement de l’Eucharistie : il communie ses Apôtres, sans vouloir excepter cet indigne profanateur, ne voulant pas, par une excessive bonté, le scandaliser par un refus éclatant, afin que ce ménagement, qu’il ne lui devait pas, pût encore lui donner lieu de se repentir de son crime, en lui donnant le lieu et le temps d’y faire des réflexions.

Quels pouvaient être les sentiments et quelle devait être la douleur de cet adorable Sauveur pendant qu’il se portait lui-même, et par ses propres mains, dans la bouche sacrilège de ce traître ! Mais quel triste séjour faisait-il auprès du cœur de ce perfide, après avoir passé sur cette détestable langue qui devait parler incontinent après pour traiter de sa mort, et pour vendre son sang, à prix d’argent, aux Juifs qui cherchaient l’occasion de lui ôter la vie Funeste et douloureuse union de la chair et du sang de cet agneau sans tache avec la chair et le sang impurs de ce scélérat, de cet infâme profanateur, qui va faire déchirer cette chair divine, et faire répandre par mille plaies ce sang adorable qu’il boit.

Il va donner la mort à un Dieu vivant qui le sert à table, qui se sert soi-même à lui et qui réside chez lui ; et cette communion sacrilège, qui crucifie Jésus-Christ par avance et qui lui perce le cœur de la plus vive douleur qui fut jamais, concourra bientôt à le crucifier réellement sur le Calvaire.

J’avoue que cet apostat avait projeté et résolu sa détestable trahison avant de profaner le corps et le sang de son Dieu et de son Sauveur par une communion sacrilège ; mais il n’avait pas encore eu la hardiesse de l’exécuter.

Le démon s’était contenté d’envoyer, pour ainsi dire, ses émissaires dans son mauvais cœur, qui sont l’avarice et la convoitise des richesses : Cum diabolus jam misisset in cor, dit le Saint-Esprit. Mais dès qu’il a eu le malheur et l’effronterie de communier en mauvais état, il entre dans ce cœur, il en prend possession et il s’en rend le maître : Post buccellam introivit in eum Satanas, dit l’Évangile. Le démon, dont il est devenu l’organe et le suppôt par cette profanation, le presse d’exécuter son mauvais dessein. Les espèces du corps et du sang de Jésus-Christ ne sont pas encore digérées, et il porte encore dans son estomac ce même Sauveur qu’il va trahir ; il traite de sa mort pendant qu’il est encore vivant en lui. C’est ainsi qu’on s’enhardit, et que même on devient effronté pour commettre les plus grands crimes et les désordres les plus scandaleux, et que les parricides et les sacrilèges les plus criants et les plus effroyables ne coûtent plus rien après une communion sacrilège.

SAMEDI APRÈS LES CENDRES
Jour de Confiance

Pratique

Regardez aujourd’hui, et premièrement à votre réveil, Jésus-Christ, tantôt comme votre Dieu, tantôt comme votre Père, et tantôt comme votre Sauveur. Recourez à la protection de ce Dieu tout-puissant, confiez-vous en sa tendresse de Père, et abandonnez-vous sans réserve aux bontés de ce Sauveur. Que ces trois regards différents accompagnent alternativement toutes les actions de votre journée ; rien n’est plus capable de calmer vos alarmes, d’apaiser vos troubles et de soutenir votre confiance. Dites-vous souvent à vous-même avec une tendre confiance : Un Dieu peut-il abandonner l’ouvrage de ses mains et une créature qu’il a formée à. son image, quand elle a recours à lui ? Un père peut-il oublier son enfant ? Un Sauveur peut-il laisser périr le prix de son sang ?

MÉDITATION SUR LA CONFIANCE

Ier POINT. — Les Apôtres étaient en mer sur le soir, le vent contraire les fatiguait et rendait tous les efforts inutiles. Jésus seul était à terre. Il les aperçoit, il est touché du danger où ils se trouvent ; il marche à eux sur les flots. Ils le prennent pour un fantôme, la peur les fait crier. Jésus s’approche et leur dit : Ne craignez point. Il monta ensuite dans leur barque, et le vent cessa.

Notre adorable Sauveur a tant de bonté pour les hommes, qu’il se montre quelquefois à ceux qui ne pensent pas à lui, et qui se trouvent dans quelque rude travail qui semble surpasser leurs forces, dans quelque affliction ou dans quelque danger, comme étaient les Apôtres : à combien plus forte raison se trouvera-t-il avec ceux qui le cherchent avec ardeur, qui l’invoquent de tout leur cœur et qui travaillent par ses ordres, sous ses yeux et pour son amour ! Quel motif de confiance quand il veut bien faire entendre au fond de leur cœur ces agréables et consolantes paroles C’est moi, ne craignez point, ayez confiance ! Mais la plupart des chrétiens, semblables à ces Apôtres, qui étaient encore grossiers, ne le connaissent pas, parce qu’ils n’ont pas soin de se procurer sa divine présence et de converser souvent avec lui par l’oraison ; et ils le prennent pour un fantôme, quoiqu’il parle assez pour se faire connaître, et qu’il soit à leurs côtés pour les secourir.

Pour faire naître infailliblement cette confiance dans votre cœur, pour le soutenir contre tout ce qui pourrait l’ébranler, et pour en ressentir toute la douceur et tous les effets favorables, il suffit que vous vous occupiez souvent de cette pensée, surtout quand vous êtes dans la peine : 1° que vous avez un Dieu ; 2° que ce Dieu vous aime, parce que vous êtes son ouvrage et son image tout ensemble : parce qu’il est infiniment bon et infiniment puissant, qu’il veut et qu’il peut vous secourir ; et c’est ainsi que vous devez former votre raisonnement en chrétien : Si Dieu est bon, il a sans doute mesuré la peine qui se présente à mes forces, puisqu’il me les a données, et que d’ailleurs il m’a promis que je ne serais point tenté au-dessus de mes forces ; et je dois comprendre que cette peine m’était nécessaire, soit pour expier mes péchés, soit pour me guérir de quelque attache trop sensible, soit pour me servir d’épreuve, soit pour me faire acquérir des vertus qui me manquent, soit pour me faire mériter le ciel.

En effet, il vous a peut-être dit, comme à ses Apôtres C’est moi, ayez confiance, et vous avez méconnu sa voix, ou fait semblant de ne la pas entendre. Il ne vous a exposé qu’à une peine supportable ; et, faute de confiance, vous la rendez insupportable, parce que vous ne pensez pas à lui, et que vous vous abandonnez trop à votre sensibilité, qui vous met hors d’état de demander et de recevoir les secours dont vous auriez besoin. Il n’attend peut-être que le premier de vos gémissements ou votre premier acte de confiance et de résignation pour vous délivrer de la peine où vous êtes. Concluez donc que c’est être ennemi de soi-même que de manquer de confiance.

IIe POINT. – Ayez confiance, dit Jésus-Christ ; c’est moi, ne craignez point ; et il monta avec eux dans leur barque, et aussitôt le vent cessa.

Que ces paroles sont consolantes, puisque nous y voyons et le motif de notre confiance et le favorable effet de cette confiance ! Faisons donc résolution de n’en jamais manquer, et cherchons les sujets sur lesquels nous devons exercer notre confiance et en produire des actes. Les voici. Premièrement, quand il vous arrive une disgrâce imprévue qui vous touche vivement ; secondement, dans le mauvais succès d’une entreprise que vous preniez à cœur ; et enfin dans la crainte excessive des jugements de Dieu sur les péchés dont vous vous sentez coupable.

Dans les afflictions vous manquez de confiance, parce que vous ne cherchez votre consolation que dans les créatures, et Dieu n’est pas obligé de vous secourir quand vous n’avez pas recours à lui.

Vous entreprenez mille choses sans le consulter, et qui ne réussissent point, parce qu’il ne vous a pas promis de se mêler de ce que vous feriez sans son ordre et souvent contre son ordre. Il vous laisse dans le travail et même dans le danger, comme il a fait à ses Apôtres ; et il vous y laissera jusqu’à ce que vous le connaissiez et que vous mettiez toute votre confiance en lui.

Le souvenir de vos péchés vous accable, et vous n’osez presque espérer d’en obtenir le pardon, parce que vous ne commencez pas par apaiser la colère de Dieu par la pénitence : voilà la vraie source de votre défaut de confiance. Vous la connaissez, mettez-y ordre ; sinon vous courez risque de désespérer de sa miséricorde.

Ouvrez, pour votre consolation, les livres sacrés, et vous verrez qu’on ne s’est jamais confié en Dieu que cette confiance n’ait été couronnée d’heureux succès quand elle a été soutenue par les bonnes œuvres. La chaste Susanne, accusée injustement d’un infâme adultère par les juges du peuple, et près de souffrir une mort honteuse, fut miraculeusement délivrée ; et l’Écriture remarque que son cœur avait confiance au Seigneur. (Daniel, 3.) Le prophète Élie, au milieu d’une affreuse solitude, lève les yeux au ciel avec confiance, et Dieu fait tous les jours un miracle pour le nourrir. (3è livre des Rois, 19.) Une femme malade d’un flux de sang depuis douze années s’approche de Jésus- Christ en se disant secrètement à elle-même, avec une confiance admirable : Si je touche seulement à la frange de son habit, je serai guérie. Elle le fut en effet, et Jésus lui dit tendrement ces paroles : Ayez confiance, ma fille, c’est votre foi qui vous a guérie. (S. Matth., 8.) Approchons-nous donc avec confiance, dit l’Apôtre, du trône de la grâce, afin d’y trouver la miséricorde. (Épît. aux Héb., 4.) Mais remarquez que, dans la même épître, il établit les conditions de cette confiance, quand il dit : Je suppose, mes frères, que vous ayez mis votre confiance dans le sang de Jésus-Christ ; approchez-vous-en donc avec un vrai cœur, c’est-à-dire avec un cœur droit et sincère, avec une intention pure (Épît. aux Héb., 10), et non pas avec un cœur hypocrite, dont la confiance, dit le saint homme Job, est semblable aux toiles d’araignée, qui sont trop fragiles pour prendre autre chose que des mouches. (Job, 8.) Si vous suivez cette règle, vous ne pouvez pas pousser trop loin votre confiance.

Sentiments

Je reconnais, Seigneur, que la triste situation des Apôtres est la mienne. Quand je me suis éloigné de vous, j’ai travaillé sans succès et j’ai souffert sans aucun mérite. Les tempêtes des tentations m’auraient infailliblement causé un triste naufrage, si vous ne vous étiez approché de moi. Je me suis souvent trouvé par ma faute dans un état si périlleux et si déplorable, qu’il n’y avait plus qu’une faible planche entre mon âme et la damnation éternelle. Vous vous montriez à moi, et mon cœur aveugle ne vous connaissait pas, et il vous prenait pour un fantôme ; vous vous approchiez de moi, et je m’éloignais de vous : à la fin vous avez parlé, vous êtes monté dans ma barque, vous êtes entré chez moi par la sainte communion, vous avez eu la bonté de me dire : C’est moi, prenez confiance ; et je l’ai prise. Plutôt mourir que de la perdre. Vous avez fait cesser toutes les tempêtes qui m’agitaient, vous m’avez fait jouir de cette heureuse paix que procure votre adorable présence ; mais ne vous éloignez jamais de moi, de peur que je ne travaille en vain et que je ne périsse. Ah ! je comprends que vous ne vous éloignez jamais de moi que je ne commence moi-même à m’éloigner de vous, et je suis résolu de ne jamais m’en éloigner, quelque chose qui m’arrive. Dorénavant, Seigneur, vous serez seul toute ma confiance, mon refuge, mon conseil, mon protecteur et mon soutien ; soyez aussi mon libérateur, selon votre divine parole. Mais puisque ma confiance est votre ouvrage, augmentez-la, soutenez-la et contre la timidité et contre la présomption, qui sont ses deux plus dangereux écueils. Je suis sûr cependant de ne point excéder, tant qu’elle sera inspirée par votre grâce et qu’elle sera soutenue par mes bonnes œuvres.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Ceux qui se confient au Seigneur sont semblables à la montagne de Sion ; ils ne seront jamais ébranlés. (Ps. 124.)

Ne perdez jamais votre confiance, à laquelle Dieu a-attaché une grande récompense. (Épît. aux Hébr., 10).

La vraie confiance de l’homme chrétien consiste à se défier de soi-même, et à ne s’appuyer que sur son Dieu. (S. Bernard.)

Celui-là, a une confiance bien ordonnée en la toute-puissante miséricorde de Dieu, qui commence par pleurer ses péchés et par faire pénitence. (S. Grégoire.)

Prière

Dieu tout-puissant et tout miséricordieux, nous nous approchons avec confiance du trône de votre grâce, et nous vous prions d’être attentif et favorable à nos humbles prières, afin que ces abstinences et ces jeûnes solennels que vous avez si saintement institués pour la guérison de nos corps et de nos âmes, leur soient profitables, et que nous les accomplissions sans relâchement, avec une dévotion sincère, et dans l’esprit d’une vraie pénitence, pour nous rendre dignes de participer avec tous les fidèles aux fruits et aux mérites de vos souffrances, de votre mort et de votre résurrection. Nous vous en prions par votre adorable Fils Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu.

Point de la Passion

Trahison de Judas

Le perfide Judas, possédé de la passion infâme de l’avarice, venait de marquer assez publiquement, et au scandale de toute la compagnie, son indignation contre Madeleine et contreJésus-Christ même : contre Madeleine, parce qu’elle avait répandu avec une admirable profusion un baume très précieux sur la tête adorable du Sauveur, action éclatante dont il aurait dû faire l’éloge ; et contre Jésus-Christ même, parce qu’il l’avait souffert : car, comme il était voleur, et que depuis longtemps il retenait pour lui une partie des oblations que les fidèles faisaient au Sauveur pour le faire subsister, lui et sa troupe apostolique, il aurait souhaité que cette précieuse liqueur eût été vendue, pour contenter son avarice, qu’il cachait adroitement sous le voile hypocrite de la charité. Frustré d’une somme de trois cents deniers qu’il se serait appropriée, et dont il prétendait grossir son trésor injustement acquis, il voulait venger son avarice frustrée de cette injuste prétention, et la dédommager en partie, en vendant non un baume, mais la personne de Jésus-Christ même. Il ne le mettra pas même, à beaucoup près, à si haut prix que le baume dont la perte le désespérait et le mettait en fureur.

Poussé par cette exécrable convoitise, qui n’épargne pas même ce qu’il y a de plus sacré et qui fait commettre les parricides les plus horribles, il va trouver les princes des prêtres pour vendre à prix d’argent son Maître, son Sauveur, son ami et son Dieu, et il leur tient ce détestable langage : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai entre les mains ? Enfin ils convinrent d’une somme de trente deniers ; et depuis ce malheureux moment où il avait fait ce contrat sacrilège et simoniaque, il chercha toutes les occasions de s’acquitter de sa promesse, de surprendre et de livrer Jésus-Christ : il offrit même de se mettre à la tête des soldats qui le prendraient et de le désigner par un baiser, et il trouva le moyen d’exécuter ce cruel attentat. Que d’injustices criantes dans une seule trahison, et dans ce contrat sacrilège et simoniaque ! Premièrement, il vend un Homme-Dieu et son propre Maître, qui, par conséquent, ne lui appartenait pas, et sur lequel il n’avait aucun droit. Secondement, il le vend pour la somme chétive de trente deniers. Injustice énorme, d’apprécier à si peu de chose une tête si chère et si précieuse, qui ne serait pas bien payée de tous les trésors du ciel et de la terre et du sang de tous les hommes ! Exécrable simonie, de vendre un Dieu et l’auteur de la grâce pour de l’argent ! Sacrilège infernal, de le vendre pour lui donner la mort, et par le plus cruel et le plus infâme de tous les genres de mort !

Donnez-vous plutôt à moi, ô mon Sauveur ! Heureux si je pouvais vous acheter, non pas pour vous livrer entre les mains de vos ennemis, mais pour vous conserver dans mon cœur ! non pas pour vous trahir et vous perdre, mais pour vous adorer, pour vous aimer et pour vous servir ! non pas au prix de trente deniers, mais au prix de tout ce que je possède et de tout ce que je suis ! Si j’ai un esprit, ô divin Sauveur, je vous en consacre toute les pensées et toutes les lumières ; si j’ai un cœur, je vous en sacrifie toutes les ardeurs ; si j’ai du sang, je suis prêt à le répandre jusqu’à la dernière goutte ; si j’ai un corps et une âme, je consens de perdre l’un et l’autre dans cette vie pour vous posséder dans l’éternité.

1ère semaine de Carême

1er DIMANCHE DE CARÊME Jour de Combat

LUNDI APRÈS LE 1er DIMANCHE Jour de Crainte

MARDI APRÈS LE 1er DIMANCHE Jour de Zèle

MERCREDI  APRÈS LE 1er DIMANCHE Jour d’Expiation

JEUDI  APRÈS LE 1er DIMANCHE Jour d’Oraison

VENDREDI  APRÈS LE 1er DIMANCHE Jour de Victoire

SAMEDI APRÈS LE 1er DIMANCHE Jour de Désir

1er DIMANCHE DE CARÊME
Jour de Combat

Pratique

Commencez la journée par demander à Dieu qu’il vous mette lui-même les armes à la main pour combattre contre vos ennemis, qui sont les siens, qu’il soutienne votre faiblesse, qu’il anime votre courage et qu’il vous donne la victoire. Soyez aujourd’hui plus attentif que jamais sur toutes les pensées de votre esprit, sur toutes les saillies de votre amour-propre, et sur tous les mouvements de votre cœur. Ne vous en permettez pas un seul qui soit imparfait et qui déplaise à Dieu. Combattez votre délicatesse, votre vanité, vos retours sur vous-même, vos vaines joies, et, pour mieux combattre, gardez un grand silence. En un mot, apprenez à découvrir les ruses de votre ennemi et à repousser généreusement tous ses assauts, afin que vous puissiez le faire avec plus de succès tout le reste de votre vie.

MÉDITATION SUR LES COMBATS SPIRITUELS

Ier POINT. — Jésus a été conduit dans le désert par le Saint-Esprit pour y être tenté du diable ; et il eut faim après avoir jeûné l’espace de quarante jours et de quarante nuits. Il y fut tenté de gourmandise, d’avarice et d’ambition ; mais il soutint ces combats en héros divin, il évinça cet infâme tentateur par trois oracles qui le confondirent, et l’obligèrent à prendre honteusement la fuite. (S. Matth., 4).

Il faut donc combattre ; on ne peut plus s’en dispenser, puisque Dieu nous le commande, et qu’il veut bien nous en donner l’exemple. Mais pour bien combattre et pour remporter plus sûrement la victoire, il faut avoir, comme cet adorable Sauveur, le Saint-Esprit pour guide et pour conducteur, l’oraison pour défense, la fuite du monde pour armes, et la solitude pour champ de bataille.

Quand on combat ainsi, on court avec assurance à la victoire ; de là vient par conséquent que quand on s’expose soi-même au péril avec présomption, que quand on se répand dans le monde avec dissipation, et qu’on n’a pas recours à la prière et au jeûne, on est beaucoup plus faible, le démon beaucoup plus fort, et qu’on est bientôt terrassé.

Soyez persuadé qu’il n’y a.point d’autre chemin qui conduise au ciel que celui des combats : des combats d’où nous sortons victorieux, et non de ceux dans lesquels nous avons lâchement succombé. C’est une vérité de foi prêchée par l’Apôtre, que personne ne sera couronné qu’après avoir légitimement combattu. Jésus-Christ, le Saint des saints et le premier des prédestinés, a été tenté ; il a combattu ; il a été victorieux ; c’est par là qu’il a acquis sa gloire ; vous ne manquerez pas d’être attaqué, si Dieu veut vous sauver.

Quand vous auriez acquis toutes les vertus chrétiennes, quand vous seriez parvenu à la plus éminente perfection, il faut toujours combattre et être attaqué, tantôt par ce que les passions ont de plus vif et de plus furieux, tantôt par ce qu’elles ont de plus séduisant et de plus flatteur, et ne se laisser jamais abattre. Dieu se plaît à être ainsi servi parmi les alarmes ; et ces alarmes produisent toujours la véritable paix à l’âme, lorsqu’on ne s’est laissé ni corrompre à la volupté, ni enfler à la vanité, ni décourager à la douleur.

Les tentations sont plus nécessaires que vous ne pensez : elles vous mettent en garde contre la vanité et l’amour-propre ; elles vous empêchent de présumer de vos forces ; elles vous humilient en vous faisant sentir tout le poids de votre faiblesse, et c’est par là qu’elles vous soutiennent dans la grâce et dans la continuelle dépendance de Dieu.

Quand vous êtes exposé au combat et à la tentation, faites toujours attention que l’enfer vous menace si vous succombez, et que le ciel vous attend si vous résistez dès le moment que vous sentez la première pointe de la passion naissante. Soutenez donc généreusement le combat, vous serez soutenu vous-même ; mais surtout mourez plutôt que de rendre les armes.

IIè POINT. Retire-toi de moi, Satan. C’est ainsi qu’il faut parler avec hardiesse et intrépidité au démon qui nous tente. Est-ce ainsi que vous résistez ? Ne mollissez-vous point quand il faut combattre ? N’êtes-vous point du nombre de ces âmes lâches que le moindre combat effraye, qui ne font des vœux au Ciel que pour obtenir une tranquillité flatteuse, que Dieu ne leur acorde que quand il est en colère, et qui renonceraient volontiers aux couronnes, si l’on voulait les exempter de combats et des peines de l’autre vie ?

Mais ne diriez-vous point aussi que vous pourriez bien vous passer de ces alarmes, parce que vous ne commettez pas de grands crimes, que vos passions sont tranquilles, et que vous n’êtes pas susceptible de ces impressions piquantes et importunes qui sollicitent à l’ambition, à la gourmandise, à l’avarice et à la volupté ? Mais sondez bien ici votre cœur. Pourquoi vos passions sont-elles tranquilles ? C’est peut-être parce que vous ne faites aucun effort pour les dompter ; le peu d’appréhension que vous avez de tomber vous exempte des alarmes que les âmes timorées ressentent pour l’ordinaire ; vous avez trop d’indifférence ; vous agissez sans faire assez d’attention sur vos démarches, et vous n’avez pas dans le fond de votre âme assez d’horreur pour le péché, ni assez de crainte de déplaire à Dieu.

Faites réflexion qu’il est impossible d’aimer Dieu sans appréhender de l’offenser ; qu’on ne peut avoir cette appréhension vive et habituelle de l’offenser sans avoir toujours le danger présent devant les yeux. On serait moins combattu et moins tenté si l’on avait la conscience moins timorée ; la loi qu’on est résolu d’observer à quelque prix que ce soit nous fera bien sentir le mal qui lui est opposé ; et c’est par cette loi de Dieu, dit l’Apôtre, que l’on sent chez soi celle du péché.

Le démon, dit saint Augustin, néglige de tenter ces âmes indifférentes pour le bien et pour le mal, qui ne lui résistent pas assez, et qu’il est sûr de vaincre quand il voudra les attaquer ; ce sont des sujets qu’il méprise ; et il n’a attaqué Jésus-Christ au sortir de la solitude, de son jeûne et de son entretien avec son Père, que parce qu’il n’a de l’ardeur que pour terrasser les saints.

Prenez donc votre, résolution de combattre, et de bien combattre ; mais pour avoir une heureuse issue de vos combats, revêtez-vous de Jésus-Christ, dit l’Apôtre : il sera votre force. (Épît. aux Romains, 3.)Si vous avez l’avantage sur le démon et sur vos passions, ne manquez pas de lui en attribuer toute la gloire ; si vos yeux sont détournés des objets dangereux, rendez grâces aux yeux éteints de ce Sauveur expirant sur la croix ; si vos mains n’ont point commis d’injustice, remerciez-en ses mains toutes sanglantes et percées de clous ; si votre cœur ne s’est point laissé percer des flèches impures de la volupté, rendez-en grâces à ce cœur adorable percé d’une lance.

Sentiments

Quoi ! mon Seigneur et mon Dieu, je vous vois les armes à la main et aux prises avec la plus détestable, la plus odieuse et la plus infâme de toutes les créatures, qui est le démon, et je m’effraye quand il est question de vous marquer mon amour et ma fidélité par les combats auxquels vous m’engagez vous-même, et où vous ne m’engagez que dans le dessein de me couronner, si je remporte la victoire ! Il y a longtemps que vous m’avez mis dans le champ de bataille, et que vous m’avez promis non seulement votre assistance, votre protection et votre force, mais encore d’être à mes côtés pour m’apprendre à combattre et pour m’aider à vaincre. Hélas ! avec tous ces secours, de quelle lâcheté ne suis-je point coupable ! Combien de fois ai-je refusé le combat ! combien de fois ai-je succombé lâchement dans le combat !

Quelle victoire ai-je remportée jusqu’à présent sur ma passion dominante, sur ma paresse, sur mon orgueil, sur mon inconstance dans le bien, sur mes attaches trop sensibles et sur ma délicatesse ? Qu’ai-je gagné sur mon humeur, sur mon tempérament et sur mes anciennes habitudes ? Je suis aussi vif et aussi prompt dans mes ressentiments, aussi lâche et aussi infidèle dans mes pratiques, aussi répandu et aussi dissipé dans le monde, aussi ardent aux parties de plaisir, aussi vain et aussi plein de moi-même que je l’étais autrefois ; je n’ai encore rien fait pour l’amour de mon Dieu et pour assurer mon salut. J’avais, Seigneur, votre grâce, votre protection, votre exemple, votre divine parole, vos inspirations, vos sacrements, votre sang, enfin je vous avais tout entier ; et, de tous ces secours, je n’ai rien mis en usage pour ma sanctification. Aidez-moi, je veux combattre, je veux souffrir et remporter autant de victoires que je soutiendrai de combats, pour mériter la couronne que vous avez promise aux victorieux.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Personne ne sera couronné s’il n’a légitimement combattu. (2è Épît. à Timoth., 2.)

J’ai bien combattu, j’ai achevé ma course ; j’ai gardé la foi ; il me reste à recevoir la couronne de justice que le Seigneur me rendra comme un juste juge. (2è Épît. à Timoth., 4.)

Dieu nous exhorte à combattre, il nous aide à vaincre, il est présent à nos combats, il nous relève quand nous tombons, et il nous couronne après la victoire. (S. Bernard.)

Combattre légitimement, c’est mépriser parfaitement le monde, c’est résister parfaitement au démon, c’est se dompter parfaitement soi-même. (S. Augustin.)

Prière

Souverain Seigneur, qui avez institué ces jours annuels de jeûne et d’abstinence pour purifier l’Église, qui est votre épouse, et pour la rendre plus digne de vos grâces et de vos tendresses accordez à cette famille qui est répandue par tout le monde, et dont vous êtes le père aussi bien que l’époux, la force et le courage de combattre et de vaincre jusqu’à la mort, afin qu’elle mérite par ses bonnes œuvres la couronne éternelle qu’elle espère recevoir de notre bonté, puisqu’en couronnant nos mérites vous couronnez vos dons. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ.

Point de la Passion

Jésus va au jardin des Oliviers

Après la scène eucharistique, Jésus prépara les Apôtres au combat qu’il fallait soutenir la nuit suivante ; il leur parla clairement de sa mort prochaine ; il leur prédit leur lâcheté, surtout à Pierre, qui lui fit, aussi bien que les autres, de grandes protestations de courage et de fidélité, qui s’évanouirent dans le moment où il fallait en donner la preuve.

Avant de partir, il récita le cantique avec ses Apôtres. Le cantique est le symbole de l’expression de la joie, et ce Sauveur était absorbé dans la tristesse ! Mais comme son heure était venue, il partit sans différer pour se rendre au lieu des combats, où il devait décider de notre sort et du sien. Il va au jardin, qui est pour l’ordinaire un lieu de délices ; et il va avec la même contenance et avec les mêmes Apôtres qui l’accompagnèrent autrefois sur le Thabor, lieu de plaisir et de gloire, pour nous montrer que ses souffrances, quoique infinies, ne laissaient pas de lui être agréables en un sens, puisqu’elles accéléraient notre bonheur, et qu’elles secondaient le désir violent qu’il avait de nous sauver de la mort par la sienne.

Mais quelle différence entre le Thabor et le jardin des Oliviers ! Le Thabor servit de théâtre à sa gloire, et le jardin sert de témoin et de précurseur à ses opprobres. Sur le Thabor, sa face était éclatante de lumière ; dans le jardin, elle était toute couverte de confusion. Sur le Thabor, le Père éternel parlait favorablement, et il donnait des témoignages authentiques de sa tendresse à Jésus-Christ pendant qu’il gardait le silence ; dans ce funeste jardin, Jésus-Christ parle, il prie, il pleure des larmes de sang, il pousse des soupirs et des sanglots, et son Père refuse de lui répondre. Là ce divin Sauveur confortait ses disciples, et il soutenait leurs esprits accablés du poids et du brillant de sa gloire ; ici il a besoin d’être soutenu lui-même, et tout le monde l’abandonne. Là les Apôtres demandaient à bâtir des tabernacles ; ici ils ne cherchent qu’a fuir honteusement, et, au lieu de veiller et de prier avec Jésus-Christ pour se préparer à le défendre, ils s’endorment lâchement.

Soyons plus vigilants et plus généreux que ces Apôtres ; allons en esprit dans ce jardin de mystères et de prodiges, qui renferme et notre salut et notre Sauveur ; allons prier avec ce Dieu agonisant, qui prie lui-même pour assurer notre bonheur ; allons le défendre jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Allons-y, non comme dans un jardin de délices, mais comme dans un jardin de douleurs, puisque nous devons faire consister nos délices et notre gloire à souffrir avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ. C’est un jardin mille fois plus auguste et plus respectable que celui des plus magnifiques palais des rois, et même que tous les sanctuaires du monde. L’herbe en est foulée par les pieds, par les genoux et par le corps prosterné d’un Dieu Sauveur ; l’air qu’on y respire retentit du bruit de ses soupirs et de ses sanglots, et la terre est arrosée de ses larmes et de son sang. Allons adorer ces précieux et sanglants vestiges avec des sentiments de compassion, de douleur et de tendresse.

LUNDI APRÈS LE 1er DIMANCHE
Jour de Crainte

Pratique

Réveillez-vous au bruit de cette trompette et de cette voix tonnante qui sera assez forte un jour pour réveiller tous les hommes du sommeil de la mort. Imaginez-vous entendre ces paroles terribles : Levez-vous, morts, et venez au jugement. Sortez de votre lit comme de votre tombeau, avec cette pensée effrayante ; ne le quittez, pendant la journée, que pour faire, par intervalles, quelques actes d’amour de Dieu. C’était la pratique de saint Grégoire le Grand ; ce doit être, à plus forte raison, la vôtre. C’était un juste et un saint, vous êtes un pécheur. À chaque action que vous ferez, demandez-vous à vous-même ce que Dieu en pense, et si elle ne sera point répréhensible au jour du jugement. Faites-la avec la même droiture et la même intention que vous voudriez l’avoir faite alors.

MÉDITATION SUR LA CRAINTE DE DIEU

Ier POINT. — Quand le Fils de l’homme viendra pour juger les vivants et les morts, il séparera les prédestinés d’avec les réprouvés ; il mettra ceux-là à la droite, et ceux-ci à la gauche, comme un pasteur sépare les Moutons d’avec les boucs. Il dira aux justes : « Venez, les bénis de mon Père, venez posséder le royaume qui vous est préparé ; » et aux impies : « Retirez-vous de moi, maudits ; » et ceux-là iront dans le ciel, et ceux-ci dans les flammes éternelles. Voilà les paroles de Jésus-Christ. (S. Matth., 15.)

Quel lugubre et quel touchant spectacle cet adorable Sauveur nous présente-t-il aujourd’hui ! et quelle épouvantable description nous fait-il d’un juge en colère qui va accuser, condamner, foudroyer l’impie ! Colère de mon Dieu, que vous êtes redoutable ! Jugement dernier, que vous êtes terrible ! Condition du pécheur, que vous serez alors triste et déplorable ! et que nous serions durs et cruels à nous-mêmes si ce spectacle étonnant nous laissait dans l’insensibilité, s’il ne nous saisissait pas de crainte, s’il ne nous pénétrait pas d’une juste frayeur, et s’il ne nous faisait pas prendre toutes les précautions dont nous sommes capables pour éviter les malheurs dont nous sommes menacés par la bouche de Dieu même, qui est lui-même notre juge, et qui ne nous menace à présent que parce qu’il nous aime et qu’il veut être notre Sauveur !

Mais pourquoi Jésus-Christ nous fait-il une description si affreuse de son jugement ? et pourquoi nous engage-t-il à faire une grande attention sur la lecture que nous en ferons ? C’est, dit saint Augustin, afin qu’en y pensant nous le craignions, qu’en le craignant nous le prévenions, qu’en le prévenant nous nous y préparions, et que par notre préparation nous nous rendions dignes d’y paraître sans crainte et que, ce Sauveur nous mettant à sa droite, nous ayons la consolation d’entendre pour nous ces paroles : « Venez, les bénis de mon Père, venez prendre possession du royaume qui vous est préparé dès le commencement du monde. »

Craignez donc, dit ce Père, craignez ce jour terrible. Jésus-Christ veut que vous marchiez aujourd’hui par la crainte, afin de vous mettre en état de ne pas craindre alors. Ressouvenez-vous que ces vérités, dans la bouche de saint Paul (Act., 12,), firent autrefois trembler un païen : et il serait bien surprenant qu’étant annoncées aux chrétiens, elles ne leur inspirassent pas de la crainte ; et s’ils craignaient, et que leur crainte fût une crainte stérile, ils s’exposeraient à une autre crainte bien plus effroyable, et qui serait sans remède.

IIe POINT. — Les impies iront dans un supplice éternel, et les justes dans la vie éternelle. Voilà le terrible dénouement de ce grand jour de crainte. Reprenez donc ce spectacle dans son plus effroyable appareil : ce soleil éclipsé, cette lune teinte de sang, ces astres obscurcis, ce tremblement de terre, tous ces tombeaux ouverts, la figure affreuse des réprouvés qui en sortent, tous les hommes mourant subitement et ressuscitant aussitôt.

Levez vos têtes, dit le Saint-Esprit, voyez la face de Jésus-Christ, ses yeux étincelants, sa croix lumineuse et tout ensanglantée. Mettez-vous en posture de criminel devant ce juste juge, qui voit tout, qui connaît tout, qui pèse tout, qui jugera tout, jusqu’à vos justices, qui punira tout ce qui a été contraire à sa loi, et qui ne pourra être fléchi ni par les prières, ni par les larmes, ni par les sanglots, ni par la pénitence.

Prosterné en esprit devant ce redoutable tribunal, et sous les yeux de ce juge éclairé et inflexible, fouillez dans le plus secret de votre cœur ; pesez tontes vos pensées, tous vos désirs et toutes vos actions au poids du sanctuaire. Examinez-vous avec rigueur ; écartez avec soin l’amour-propre de cet examen, parce qu’il pourrait vous empêcher de vous voir tel que vous êtes. Ouvrez le livre de votre conscience, interrogez-la, faites-la parler ; sa voix est celle de Dieu, écoutez-la avec respect ; cherchez l’article le plus important sur lequel Dieu pourrait former le reproche le plus sanglant. Examinez vos désirs, vos habitudes, vos attaches, vos antipathies, la manière dont vous vous acquittez de vos emplois, dont vous pratiquez la pénitence et la mortification, dont vous employez votre temps, dont vous entendez la divine parole et la sainte messe, dont vous fréquentez les sacrements ; les fruits que vous en avez retirés : recherchez tout, corrigez tout, épargnez-vous par là l’examen et la sentence de ce juste juge.

Entrez ici dans le sentiment de saint Jérôme, qui pratiquait une solitude et qui menait une vie affreuse à la sensualité, et qui cependant disait d’une voix tremblante : « Je frémis, Seigneur, quand je vois ce livre ouvert où ma sentence est écrite en caractères ineffaçables, et que je vous vois la balance à la main : d’un côté sont mes péchés, hélas ! en trop grand nombre ; de l’autre sont mes bonnes œuvres ; mais, hélas ! où sont-elles ? Votre bras, Seigneur, va lever cette redoutable balance : et celui des deux côtés qui remportera sera l’arrêt d’une éternité bienheureuse ou malheureuse. » Demandez-vous à vous-même si vos vertus l’emporteront ou si vos péchés ne feront pas un poids énorme pour vous précipiter dans le lieu de ténèbres et de supplices éternels.

Sentiments

Assistez en esprit, ô mon âme, au jugement d’un réprouvé et craignez son triste sort. Voyez ce juge impitoyable, le visage et les yeux pleins du feu de sa divine fureur, qui lui prononce d’une voix foudroyante son arrêt de mort éternelle, et qui dans le moment le rejette et le repousse de sa face adorable avec indignation, pour être livré au démon et aux flammes dévorantes qui ne s’éteindront jamais.

Jetez ensuite les yeux sur ce misérable réprouvé et condamné. Voyez-le confus, tremblant et désespéré ; dans la cruelle impuissance de pouvoir se donner la mort et s’anéantir soi-même, environné d’abîmes épouvantables dont il ne se retirera jamais : abîme de la colère de Dieu sur sa tête, dont il va être la malheureuse victime ; abîme de péchés dans sa conscience, qui le vont déchirer de remords éternels ; abîme de l’enfer sous ses pieds, où il va être précipité dans l’instant sans espérance et sans ressource.

Qu’avez-vous fait jusqu’à présent pour éviter ce malheur ? Croyez-vous qu’il ne se trouve pas des réprouvés partout, et dans toutes les conditions, dans les riches, dans les pauvres, dans les grands, dans les petits, dans le monde et dans le sanctuaire même, où ceux qui l’habitent indignement seront jugés bien plus rigoureusement que les autres, parce qu’ils ont reçu plus de grâces et qu’ils ont eu plus de facilité à se sauver.

Que votre jugement est terrible, ô mon Dieu ! et que votre justice est redoutable ! Ah ! n’entrez point en jugement avec moi, puisque je m’avoue coupable et que je suis prêt à me punir moi-même sans m’épargner. Sauvez, ô mon Dieu, ce pécheur que vous avez bien voulu racheter de votre sang, et faites-moi entendre dans ce jour terrible ces agréables paroles : « Venez, les bénis de mon Père, venez posséder le royaume que je vous ai préparé dès le commencement du monde. »

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Qui peut connaître, Seigneur, la puissance de votre colère, et en comprendre toute l’étendue autant qu’elle est redoutable ? (Ps. 89.)

Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant il affermit la grandeur de sa miséricorde sur ceux qui le craignent. (Ps. 102.)

Le jugement de Dieu est formidable et aimable tout ensemble : il est formidable aux impies, à cause de la peine ; il est aimable aux bons, à cause de la couronne. (S. Augustin.)

Malheur même à la vie louable d’un chrétien, si vous le jugez. Seigneur, sans y appeler votre miséricorde ! (S. Augustin.)

Prière

Convertissez-nous efficacement, ô mon Dieu, dans ce saint temps, vous qui êtes notre Sauveur, l’auteur des grâces, et le Dieu des miséricordes. Pénétrez nos cœurs d’une juste crainte, et, par elle, conduisez-nous au véritable amour, qui est l’heureux partage de tous vos élus. Instruisez-nous, éclairez-nous, donnez-nous vos célestes et divines leçons, puisque vous êtes la voie, la vérité et la vie ; afin que les abstinences et les jeûnes de cette sainte quarantaine, que nous pratiquons, nous servent d’une sauvegarde assurée contre votre redoutable jugement, et que nous méritions alors d’être mis à votre droite et de posséder votre royaume éternel. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils et notre Sauveur.

Point de la Passion

Tristesse de Jésus

Il fallait que la tristesse de Jésus-Christ fût extrême, puisqu’elle arracha de sa bouche cette plainte douloureuse : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. » En effet, comment cet adorable Sauveur ne serait-il pas accablé de tristesse dans le jardin des Oliviers, puisqu’il se voit dans la plus chagrinante et dans la plus déplorable solitude, dans le plus fâcheux et le plus universel délaissement qui fut jamais ? Tout ce qui est au-dessus de lui, tout ce qui est autour de lui et tout ce qui est au dedans de lui-même, concourt à augmenter sa peine et à la rendre insupportable à tout autre qu’a un Dieu. Au-dessus de lui il y a un Père qu’il aime infiniment et dont il est aimé de même ; mais il ne l’écoute point et il l’abandonne à la fureur de ses ennemis, quoique ce Fils souffrant le prie avec des larmes de sang. Autour de lui il a des disciples ; mais ce sont des lâches qui dorment quand il faut le consoler, qui fuient quand il faut le défendre, ou qui le trahissent indignement. Au dedans de lui il a un cœur ; mais il est ingénieux à augmenter sa tristesse, il s’y abandonne lui-même ; et, par un ménagement qui vient de l’excès de son amour pour nous, il ne se laisse de force qu’autant qu’il lui en faut pour ne pas succomber à son excessive tristesse.

Car, en effet, si les tourments extérieurs affligent le corps et lui ôtent enfin la vie quand ils sont extrêmes, la tristesse en fait de même sur l’esprit, sur le cœur et sur l’âme tout entière, et sur le corps même par réflexion : elle glace le sang dans les veines, elle lui ôte son mouvement, elle resserre extrêmement le cœur et le fait bientôt tomber en défaillance ; ce que le Sage avait bien connu quand il disait que la tristesse amène bientôt la mort après elle : A tristitia festinat mors. De là ces yeux languissants, éteints et abattus ; de là cette couleur pâle et morne sur le visage ; de là ce frissonnement et ce froid glaçant de tout le corps ; là enfin cette faiblesse accablante qui fait tomber le corps et qui lui ôte enfin la vie, s’il n’est pas soutenu par la puissance supérieure qui le console et qui le délivre de sa peine. Voilà le triste portrait de Jésus-Christ dans le jardin des Oliviers ; il ne faut pas s’étonner s’il s’en plaint amèrement et s’il dit ces paroles : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. »

Mon Dieu, vous êtes triste jusqu’à la mort ! C’est peut-être, dit saint Augustin, parce qu’étant homme comme nous, vous donnez cours aux plus justes sentiments de la nature, qui ne peut sentir une mort violente et prochaine sans s’alarmer de cette cruelle séparation : Propter metum mortis.

Vous êtes triste jusqu’à la mort ! N’est-ce point, dit le dévot saint Bernard, parce que votre cœur, plein d’une tendresse excessive pour nous, est agité des mouvements d’une sainte impatience de souffrir pour nous délivrer plus tôt, et que cette mort, toute prochaine qu’elle est, ne vient point assez tôt pour votre amour et pour votre bonheur, et que ce délai vous cause cette tristesse ? Propter dilectionem mortis.

Vous êtes triste jusqu’à la mort ! mais je crois plutôt que, par cette expression si touchante qu’une extrême tristesse tire de votre bouche, vous voulez nous faire comprendre, dit saint Jérôme, que votre tristesse est si grande, que, tout généreux que vous êtes, si vous n’étiez soutenu par une force divine, elle ne manquerait pas de vous causer la mort, et que vous expireriez avant d’aller souffrir de nouveaux supplices sur le Calvaire : quia posset causare mortem.

Entrons dans les sentiments de cette tristesse ; nous y sommes intéressés, puisque nos péchés et notre bonheur en sont la cause. Attristons-nous avec Jésus souffrant pour mériter de participer un jour à la joie de Jésus glorieux.

MARDI APRÈS LE 1er DIMANCHE
Jour de Zèle

Pratique

N’ayez de vue, dans tout ce que vous ferez aujourd’hui, que pour la gloire de Dieu, que pour votre propre salut et pour celui du prochain. Étudiez-vous à rapporter actuellement, autant que vous le pourrez, toutes vos vues et toutes vos actions à ce terme : c’est ainsi que vous pratiquerez le zèle qui vous est prescrit, et qui n’est autre chose qu’un amour violent. Formez et dressez dès à présent cette intention, purifiez-en les motifs, répétez-en l’acte de cœur et de bouche le plus souvent que vous pourrez pendant la journée. Unissez-vous intérieurement avec tous les saints qui travaillent avec zèle sur la terre à la conversion des âmes et à l’accroissement de la gloire de Dieu, et à tous les bienheureux qui glorifient Dieu dans le ciel, et qui le glorifieront pendant toute l’éternité.

Méditation sur le zèle

Ier POINT. — Jésus entrant dans la ville de Jérusalem, tout le peuple fut ému, et chacun se demandait : Quel est celui-ci ? Plusieurs disaient : C’est Jésus, prophète de Nazareth en Galilée ; mais Jésus passa sans s’arrêter à ces sentiments populaires, et il alla droit au temple pour en chasser les marchands. (S. Matthieu, 21.)

Admirez ici le zèle incomparable de Jésus-Christ pour la maison de Dieu, qui est une maison de prière et non de Commerce. Il s’expose à la fureur de ces marchands intéressés ; il renverse leurs comptoirs, il les traite de voleurs, quoiqu’ils ne vendissent que des animaux destinés aux sacrifices.

De ce temple matériel, dont nous aurons occasion de parler ailleurs, passons au temple spirituel et animé du même Dieu, qui est l’âme du chrétien, et persuadez-vous que si Jésus-Christ était si zélé pour l’honneur du premier, qui n’était bâti que de pierres mortes et par les mains des hommes, combien il est zélé et combien par conséquent nous devons être zélés nous-mêmes pour l’honneur, la pureté et la sainteté du second, qu’il a édifié lui-même de pierres vivantes, et qu’il n’a édifié que pour y faire sa demeure et pour y recevoir nos adorations et nos hommages !

Vous êtes ce temple mystique et animé, dit l’apôtre saint Paul : vous avez été dédié et consacré à Dieu par le baptême, qui vous a purifié et tiré de l’empire du démon par le sang adorable de l’Agneau sans tache dont vous avez été lavé, arrosé et racheté, par les sacrements dont vous avez dû être sanctifié ; par son corps, son âme et sa divinité, qui ont réitéré la consécration de votre temple mystique autant de fois que vous avez reçu dignement la divine Eucharistie. Jugez de là combien cet admirable Sauveur doit être jaloux d’un temple dans lequel il a tant de fois résidé corporellement, et où il prend ses délices quand vous êtes fidèle à ses grâces et quand vous prenez vous-même vos délices avec lui.

Répondez avec fidélité au zèle et à la jalousie de votre Dieu. Entrez souvent dans le sanctuaire de ce temple spirituel, qui est votre cœur ; voyez s’il n’y a point de marchands intéressés qui y fassent un commerce étranger et qui interrompent le culte qu’il ne doit qu’à Dieu seul, c’est à-dire quelque attache trop sensible à la créature ou à vous-même, et qui diminue l’amour que vous ne devez uniquement qu’a Dieu seul. Peut-être y trouverez-vous quelque vue intéressée pour les biens passagers et pour les commodités de cette vie, peut-être quelque souillure délicate qui déshonore sa pureté, ou quelque idole secrète qui vous partage et qui vous distrait de Dieu. Abattez, renversez généreusement, mettez en pièces cette idole. Chassez de votre esprit, de votre mémoire, de votre indignation et de votre volonté tous ces petits monstres, et faites-en des victimes pour lui être sacrifiées. Voilà les premiers sujets sur lesquels vous devez exercer votre zèle.

IIe POINT. — Les aveugles et les boiteux s’approchèrent de Jésus-Christ pendant qu’il était encore dans le temple, et il redressa les uns, et éclaira les autres ; mais les scribes et les princes des prêtres, voyant ces miracles et les enfants qui lui donnaient mille bénédictions, s’en indignèrent.

Considérez que, comme le zèle est la marque du plus ardent et du plus parfait amour, l’envie est, de tous les vices, celui qui lui est le plus opposé, parce qu’elle voudrait empêcher que Dieu ne fût honoré comme il le mérite. Jésus-Christ permet, pour notre instruction, que ces deux opposés paraissent ici avec éclat. Les enfants, qui étaient bien moins instruits dans la loi que les scribes et les princes des prêtres, qui en étaient les interprètes, applaudissaient aux grands miracles du Sauveur : leurs voix et leurs cris enfantins le glorifient selon leur pouvoir, pendant que les autres en conçoivent de la jalousie et de l’indignation. Laissez là ces vieillards jaloux ; n’en ayez vous-même que de l’indignation. Ne rougissez pas de grossir la troupe innocente de ces enfants qui publient la gloire de Dieu et qui marquent leur joie par leurs applaudissements de ce qu’il fait paraître sa puissance par des miracles d’éclat ; et, pour marquer votre amour et votre zèle pour Jésus-Christ, ne faites qu’une voix et qu’un cœur avec ces enfants. Soyez persuadé que, quand on aime Dieu comme on doit l’aimer, on est zélé pour sa gloire, on met tout en usage pour le faire honorer et aimer de tout le monde, et qu’on aime ceux qui l’aiment et qui travaillent à le faire aimer.

Examinez-vous bien sur cet article important, sur lequel plusieurs se trompent et font de grandes fautes, parce qu’ils n’y ont jamais fait assez d’attention. N’avez-vous point senti, comme ces scribes et ces prêtres, quelque indignation secrète ou quelque petite émotion de jalousie quand on vous a préféré les autres à cause de leur piété et de leurs talents naturels ? Les louanges qu’on leur a données ne vous ont-elles pas contristé ? Vous êtes-vous sincèrement réjoui de la gloire que Dieu en recevait ? N’avez-vous point regardé leurs actions les plus saintes et leur réputation avec une envie secrète ? Ne les avez-vous point observées et examinées avec une attention maligne pour y trouver à redire ? Ne les avez-vous point contredites ou diminuées malicieusement ? N’avez-vous pas gardé un morne silence quand on leur applaudissait et qu’il était de la justice et de la bienséance de leur applaudir vous-même ? Si cela est, vous n’avez point de zèle, et par conséquent vous n’avez point d’amour de Dieu.

Mais si, après cet examen, vous vous sentez du zèle pour la gloire de Dieu, examinez encore si le feu dont il brûle est le feu du sanctuaire ; s’il n’est point amer, s’il n’est point indiscret et outré ; si ce n’est point une petite colère qui cherche à se cacher sous ce voile spécieux, ou une vanité secrète qui cherche plutôt sa propre gloire que celle de Dieu ; en un mot, s’il vient de la grâce et non du tempérament, et s’il est réglé par la prudence et par la discrétion.

Sentiments

Je suis votre temple, Seigneur ; vous m’avez consacré, et vous êtes mon Dieu. Soyez donc toujours jaloux de ce temple, qui vous appartient et qui ne sera jamais à d’autres qu’à vous. Car, hélas ! Si vous en retiriez votre divine jalousie et votre zèle, vous cesseriez de m’aimer, et je serais la plus malheureuse de toutes vos créatures. Éclairez ce temple, Seigneur, vous qui êtes le Père des lumières ; découvrez à mes yeux aveugles les moindres souillures de ce temple, je veux dire les moindres taches de mon cœur, pour m’en donner de l’horreur ; donnez-moi la force et le courage d’en chasser tout ce qui n’est pas vous, tout ce qui n’est pas pour vous et pour votre gloire. Soutenez, Seigneur, cet édifice spirituel, vous qui êtes tout-puissant, afin que mes péchés ne le fassent jamais tomber en ruine. Allumez sur l’autel de ce temple un feu sacré qui brûle toujours et qui ne s’éteigne jamais.

Vous êtes mon souverain Seigneur, mon Sauveur, mon Dieu et le Dieu du ciel et de la terre ; je dois par conséquent vous rendre la gloire qui vous est due, et brûler de zèle pour son accroissement. Recevez donc mes hommages et mes adorations. Mais hélas ! que puis-je moi seul pour rendre ce qui est dû à un Dieu si digne d’être honoré ? Je veux chercher dans les autres créatures un supplément à ma faiblesse. Soyez donc béni, soyez loué, soyez honoré, soyez adoré, soyez aimé de tous les Anges et de toutes les créatures qui sont et qui seront jusqu’à la consommation des siècles pendant toute l’éternité.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Mon zèle m’a fait sécher de douleur, parce que mes ennemis, Seigneur, ont oublié votre divine parole. ( Ps. 118)

Mon zèle et ma jalousie se retireront de vous, dit le Seigneur, je me tiendrai en paix, et ne me mettrai plus en colère. (Ézéch., 16.)

Ceux qui ont le vrai zèle regardent les ennemis de Dieu comme leurs propres ennemis, quand ce serait leur père, leur mère, leur frère et leur sœur. (S. Ambroise.)

Que votre zèle soit enflammé par la charité, conduit par la science et soutenu par la constance. (S. Bernard.)

Prière

Jetez, Seigneur tout-puissant, un regard favorable sur vos enfants, et pendant qu’ils chatient leur corps pour expier les péchés dont ils se confessent coupables, par leurs abstinences, par les jeûnes et par les macérations de la chair, accordez-leur la grâce de se porter vers vous seul dans ce saint temps et pendant tout le reste de leur vie, par l’intention la plus pure, par les désirs les plus ardents, et par l’amour le plus généreux et le plus fervent, afin qu’ils travaillent à votre gloire en ce monde, et qu’ils puissent la contempler et, la voir à découvert dans l’autre.

Point de la Passion

Prière de Jésus au Jardin des Oliviers

Il est bien surprenant que la prière, qui dans tous les chrétiens est une ressource assurée contre la tristesse, fût à Jésus-Christ un nouveau sujet de peine et de douleur. Nous trouvons dans nos prières de véritables consolations, parce que nous répandons tendrement nos cœurs devant un Dieu qui nous aime, et qui nous dédommage, par les douceurs qu’il nous fait ressentir pour l’ordinaire, des chagrins que nous recevons de la part des hommes.

Il n’en est pas de même de Jésus-Christ ; parce qu’il prie sans être écouté, et quoiqu’il reprenne sa prière par trois fois différentes, qu’il prie avec tout le respect, toute la soumission et toute l’ardeur imaginables, et que sa prière soit accompagnée de soupirs, de sanglots et de larmes, il y trouve toujours de nouvelles rigueurs, parce qu’il n’est pas exaucé.

Son oraison était tristement partagée en soumission à Dieu son Père, en réflexions douloureuses sur les outrages sanglants qu’il allait endurer jusqu’au dernier moment de sa vie. Son esprit, à qui rien n’échappait de l’avenir, lui faisait alors souffrir par anticipation toutes les injures, tous les mépris, toutes les calomnies, toutes les insultes, tous les coups et toutes les plaies de sa passion, dont les plus cruelles circonstances lui étaient présentes. Il les voyait, il s’en occupait, il les sentait vivement ; et ce sentiment lui aurait ôté la vie dans le jardin, s’il ne se fût soutenu lui-même par un courage héroïque et divin, pour souffrir encore davantage.

Pendant que Jésus-Christ prie, et que la vue de nos infidélités et de nos ingratitudes est peut-être l’endroit le plus touchant et le plus douloureux de ces tristes réflexions, méditons sérieusement nous-mêmes sur sa prière, pour apprendre à bien prier. Prions avec ce divin suppliant ; mettons-nous en esprit à ses côtés ; étudions avec application cet admirable modèle, considérons-le attentivement, entrons dans ses sentiments, écoutons-le sans rien perdre des circonstances de sa prière.

Considérez ce Sauveur humilié, en posture de suppliant et de criminel, à genoux, courbé jusqu’à terre, parce qu’il est accablé sous le fardeau de nos péchés, tantôt tomber de faiblesse et de défaillance, tantôt faire des efforts inutiles pour se relever ; ses yeux baignés de larmes, quelquefois baissés par soumission à Dieu son Père, et quelquefois levés au ciel pour demander du secours qu’il n’obtient pas. Une si prodigieuse quantité de larmes coule de ses yeux, que tout son visage, ses habits et la terre même en sont mouillés sa bouche ne prononce que des paroles tremblantes et entrecoupées de sanglots pitoyables ; son cœur ne pousse que de tristes et profonds soupirs, capables de fendre les pierres et d’amollir les cœurs les plus durs et les plus insensibles, et dont il ne paraît pas que son Père céleste soit touché, parce qu’il faut qu’il meure, et que l’arrêt de sa mort est prononcé. Tout son corps tremble et frissonne ; son âme, sans cesser de prier, entre dans l’agonie de la mort, et son esprit souffre de si rudes assauts de tristesse, qu’il ne fallait rien moins qu’un Homme-Dieu pour n’y pas succomber.

MERCREDI APRÈS LE 1er DIMANCHE
Jour d’Expiation

Pratique

Regardez-vous aujourd’hui comme une victime d’expiation ; prenez-en la qualité à votre réveil, et remplissez-en tous les devoirs pendant la journée. Dites à Dieu avec le Roi-Prophète Seigneur, vous ne demandez plus d’holocaustes d’animaux, me voici ; je me substitue en leur place pour faire votre volonté en toutes choses, comme vous avez fait celle de votre Père céleste. Soyez donc attentif à ne rien faire aujourd’hui que vous ne puissiez offrir à Dieu pour l’expiation de vos péchés. Soyez fidèle multiplier vos sacrifices ; faites en sorte que votre cœur les accompagne, et demandez-vous à vous-même un compte exact de cette pratique dans l’examen du soir.

Méditation sur l’expiation

Ier POINT. — Les Ninivites s’élèveront au jour du jugement contre cette génération, parce qu’ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas ; cependant nous avons bien un autre prédicateur que Jonas. (S. Matth., 12.)

Remarquez que Jonas était un inconnu, un fugitif échappé du naufrage, vomi du ventre d’une baleine, et qui, sans justifier sa mission, poussait dans les airs, au milieu de toutes les rues où il passait, cette voix tonnante : Encore quarante jours, et Ninive sera renversée. Les Ninivites étaient sans lois, sans religion, sans Écritures et sans Prophètes ; cependant ils écoutent avec docilité ce prédicateur, et ils consentent à expier leurs péchés par la pénitence la plus rigoureuse.

Vous êtes dans la vraie religion, vous avez des Prophètes, vous avez des Écritures divines, qui vous apprennent que rien de souillé n’entrera dans le royaume des cieux, et qu’il faut expier vos péchés, ou dans ce monde par une pénitence qui du moins les égale, ou dans l’enfer par des flammes éternelles et par des supplices affreux. Vous avez à présent le temps de les expier ; vous ne l’aurez pas toujours ; peut-être ne l’aurez-vous pas demain. Quand avez-vous donc résolu de commencer cette expiation ?

Le roi de Ninive descend de son trône, et il se met sous la cendre et sous le cilice : il fait un édit public de cette expiation, elle devient une loi. Les peuples obéissent ; toute cette grande ville retentit de soupirs et de sanglots ; on y répand des larmes, on y frappe sa poitrine ; les plaisirs les plus innocents sont bannis : on jeûne, et on fait jeûner jusqu’aux enfants et aux animaux. Puissance adorable de mon Dieu ! voilà votre ouvrage ; mais voilà mes juges qui fulmineront un arrêt de damnation éternelle contre moi si je ne fais pénitence.

Le prophète Jonas donna quarante jours aux Ninivites. Ce terme vous paraîtrait court si vous y étiez réduit : cependant vous ne l’aurez peut-être pas, et vous ne devez pas vous flatter de la même faveur. Il fallait du temps à ces idolâtres pour connaître le vrai Dieu, qu’on ne leur avait pas encore annoncé ; mais vous qui êtes assez instruit des vérités de la religion, vous n’aurez peut-être qu’un jour ; peut-être que si dans ce moment vous ne faites une sincère résolution devons convertir entièrement à Dieu, et ne l’exécutez incessamment, malgré tous les obstacles qui s’y opposent, il n’y aura plus de ressources à la damnation éternelle dont vous êtes menacé par Jésus-Christ même, qui est bien un autre prédicateur que Jonas.

IIe POINT. — Quand l’esprit impur est sorti d’un homme, il va dans les lieux arides, cherchant du repos, et il n’en trouve point. Alors il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti ; il la trouve vide, il y rentre et il s’en empare.

Quand la pénitence est trop faible, le pécheur n’est pas délivré, et Dieu n’est pas apaisé ; car il est des péchés pour lesquels il faut ou des jeûnes rigoureux, ou des aumônes abondantes, ou de longues prières, ou des mortifications continuelles, ou des larmes amères, ou souvent le tout ensemble, sans quoi on ne peut pas obtenir une pleine rémission. De là vient qu’on retombe bientôt dans les péchés dont on était coupable ; l’esprit ou d’impureté, ou d’orgueil, ou d’intérêt, ou de division, ou de haine, rentre dans le cœur, et il y devient plus fort qu’il ne l’était auparavant. On tombe ensuite dans cette dangereuse illusion, qui est de croire son péché expié, quand il ne l’est pas ; on demeure dans une fausse paix qui conduit à l’aveuglement ; et souvent on n’est désabusé que quand on n’a plus ni la force ni le temps de faire pénitence.

Vous avez été longtemps dans un vrai relâchement : vos prières, vos confessions, vos communions n’ont point changé votre cœur ; vous avez mille fois résisté aux inspirations de Dieu ; vous êtes demeuré longtemps dans une antipathie secrète, ou dans une attache trop forte, sans vous corriger ; et vous croyez expier tant de fautes, et extirper à fond une si longue habitude par une pénitence légère ! Vous êtes dans l’erreur, c’est plutôt flatter et caresser votre passion que la vaincre, c’est plutôt couvrir vos péchés que les expier.

Pensez ici, dans toute l’amertume de votre cœur, aux péchés les plus considérables que vous avez commis, aux mauvaises habitudes que vous avez contractées, et aux péchés que vous commettez encore tous les jours ; mettez-les dans un côté de la balance, et dans l’autre mettez vos bonnes œuvres et la pénitence que vous avez faite ; examinez-les, pesez-les au poids du sanctuaire, voyez s’il y a de la proportion, et si Dieu, qui est infiniment juste, en sera content.

Quelle expiation, quel dédommagement, et quelle compensation faites-vous à la justice de Dieu ? Cependant il la faut faire absolument, ou dans cette vie ou dans l’autre. Il faut de nécessité que vous la fassiez vous-même de vos propres mains, sinon Dieu la fera par les siennes, et elle sera infiniment plus rigoureuse. Ne balancez pas prenez le parti le plus sûr.

Sentiments

Oui, Seigneur, Ninive la pécheresse a été détruite selon votre divine parole, et sur ses ruines vous avez édifié une Ninive pénitente ; ses murailles ont subsisté, mais ses péchés ont été détruits. Heureuse destruction ! Ah ! Seigneur, traitez-moi comme Ninive, conservez le pécheur qui va travailler par sa pénitence à expier ses péchés, et détruisez en moi le péché et l’inclination au péché.

La pénitence de cette ville, autrefois pécheresse, a eu le pouvoir et la force, dit saint Jean Chrysostome, de désarmer votre bras vengeur, d’arracher les foudres et les flèches de votre main toute-puissante, de vous faire, pour ainsi dire, rétracter vos arrêts, quoique prononcés avec tant de solennité, et de traduire tous ses habitants du tribunal de votre justice à celui de votre miséricorde : accordez la même faveur à ma pénitence.

Je veux imiter ce peuple ; je veux me couvrir de cendre, et vivre dorénavant dans les sentiments et dans les œuvres d’une expiation sincère et continuelle ; mais je ne le puis sans votre secours, car je n’ai que trop d’expérience de ma faiblesse, de ma lâcheté et de mon inconstance. Donnez-moi donc, Seigneur, le véritable esprit de pénitence, de peur que je ne me trompe dans ma pénitence même. Humiliez mon esprit superbe, et donnez-moi la force de soutenir le mépris et les humiliations, quoi qu’il en coûte à mon orgueil. Donnez-moi une véritable haine pour cette chair pécheresse, afin que je la sauve en la macérant et en la soumettant à l’esprit. Donnez à mon cœur des sanglots, et des larmes à mes yeux, et que ce soit l’amour et la douleur qui les produisent. C’est dans ce moment, ô mon Dieu, que je vais commencer à expier mes péchés, à les pleurer amèrement, à les quitter pour toujours ; donnez-m’en la force.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Vous offrirez tous les jours au Seigneur une victime d’expiation. (Exode, 29.)

Offrez à Dieu des victimes spirituelles, qui lui soient agréables par Jésus-Christ. (Ire Épître de S. Pierre, 2.)

Le pécheur offre à Dieu une juste expiation de ses péchés quand il afflige et qu’il macère sa chair qui s’était rendue criminelle par délicatesse. (S. Grégoire.)

Expiez sévèrement, et sans vous épargner, les péchés que vous avez commis, afin que vous puissiez recouvrer ce que vous avez perdu. ( S. Jean Chrysostome.)

Prière

O Dieu de bonté, qui recevez les pécheurs, et qui leur faites toujours miséricorde quand ils vous la demandent avec un cœur contrit et humilié, nous implorons humblement votre divine clémence. Soyez-nous favorable, inclinez votre cœur vers nous, exaucez nos prières, étendez votre bras invincible et tout-puissant pour nous protéger contre les ennemis de notre salut, qui nous attaquent tous les jours pour nous réduire et pour nous corrompre. Donnez-nous la grâce d’une véritable expiation, pour mériter la grâce que vous avez promise à tous ceux qui rachèteraient leurs péchés par une sincère pénitence. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils.

Point de la Passion

Sommeil des Apôtres

Jésus, après avoir longtemps prié son Père céleste, se leva, et, semblable à un homme prêt à mourir qui cherche une situation nouvelle pour se procurer quelque repos dans sa douleur, mais qu’il ne trouve point, il va trouver ses disciples qui s’étaient endormis pendant que leur maître souffrait la plus cruelle agonie qu’on puisse imaginer. Ce fut sans doute pour ce Dieu souffrant un surcroît de douleur ; et cette lâcheté n’était point pardonnable dans les Apôtres témoins de ses prodiges et de ses miracles, et qui venaient de lui faire de si belles protestations de courage et de fidélité.Ils savaient l’extrémité du péril où était ce divin Maître, qui les en avait avertis quelques heures auparavant ; ils savaient que le traître Judas, qui venait de quitter leur compagnie, était allé trouver les princes des prêtres, ses plus cruels ennemis, pour le leur livrer ; ils étaient persuadés qu’il ne s’agissait de rien moins que de la mort de Celui qu’ils avaient déjà reconnu pour le Fils de Dieu ; d’ailleurs ils le voyaient prosterné en terre, ils s’apercevaient assez de son extrême tristesse et des combats rigoureux qu’il soutenait ; ils entendaient les plaintes, les soupirs et les sanglots que son cœur, accablé de douleur, poussait vers le ciel ; ils n’avaient que cette dernière occasion pour lui marquer leur amour ; ils savaient enfin que c’était pour eux aussi bien que pour tous les hommes qu’il allait souffrir et répandre son sang ; cependant ils dorment au lieu de prier, de veiller et de se préparer à défendre au péril de leur vie Celui qui allait donner la sienne pour leur amour.

Jésus-Christ en fut touché, ce fut un surcroît de peine pour lui. Il se lève de sa prière, il vient à eux, et il leur fait le reproche qu’ils méritaient d’une lâcheté si honteuse. Eh quoi ! leur dit-il tendrement, ne pouvez-vous pas veiller une heure avec moi ! Faut-il qu’un traître surmonte le sommeil pour me perdre, et que vous vous y laissiez abattre, sans vous faire aucune violence, quand il est question de me défendre, quoique vous sachiez le péril extrême où je me trouve ! Faut-il que cet apostat prenne des forces de son avarice et de sa cupidité, et que, soutenu d’une infâme passion, il veille pour me donner la mort, et que votre amour ne puisse pas vous faire veiller pendant quelque temps pour me prolonger la vie !

Semblables à ces apôtres, nous nous endormons souvent sur nos plus importants devoirs, nous ne veillons que trop pour nous perdre. Assoupis par un sommeil léthargique et mortel, nous laissons lâchement échapper les moments précieux de notre salut sans nous faire aucune violence. Réveillés par la fureur de nos passions, nous sacrifions souvent notre sommeil et notre repos à l’accomplissement de nos désirs les plus injustes et les plus déréglés. Les veilles ne coûtent rien quand il est question de travailler pour le monde ; et les nuits ne semblent jamais assez longues pour flatter la délicatesse du corps. On surmonte le sommeil pour s’occuper à mille travaux ingrats et souvent préjudiciables au salut, et l’on s’endort lâchement quand il faut donner une heure à la prière, à la pénitence, aux bonnes œuvres, et à la charité du prochain. Lâcheté honteuse ! détestable vigilance ! malheureux sommeil ! veilles ruineuses et criminelles !

JEUDI APRÈS LE 1er DIMANCHE
Jour d’Oraison

Pratique

Comme on prie le Seigneur de l’esprit, du cœur et des mains, aussi bien que de la bouche, priez toujours, et faites en sorte qu’il n’y ait pas un moment de la journée que vous ne priez de l’une et de l’autre manière ; mais faites aussi en sorte que votre prière, de quelque nature qu’elle soit, mérite par sa ferveur d’être écoutée de Dieu. Faites prier votre esprit par de saintes pensées et par le recueillement, votre cœur par des sentiments et par des désirs ardents d’être à Dieu, vos mains par de bonnes œuvres. Payez aussi à Dieu le tribut des lèvres par les prières vocales. Priez avec la même ardeur et la même importunité que la Chananéenne, dans le tumulte aussi bien que dans la solitude, afin que votre prière puisse parvenir jusqu’aux oreilles et au cœur de Jésus-Christ.

Méditation sur la prière

Ier POINT. — Jésus étant aux environs de Tyr et de Sidon, une femme chananéenne s’approche de lui et lui dit : « Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi, parce que ma fille est cruellement tourmentée du démon. »

Considérez qu’encore que tous les jours soient des jours de prière, parce que Jésus-Christ nous a dit qu’il fallait toujours prier, il y en a où l’Église nous y oblige plus précisément, et c’est quand elle nous en fournit des motifs et des exemples. Cette femme chananéenne et idolâtre en est peut-être le plus parfait qu’elle nous ait jamais proposé. Suivez ici toutes ses traces, ne perdez rien de ses paroles et de ses sentiments, et vous apprendrez comme il faut prier.

La raison d’abord, et la grâce ensuite, forment dans son cœur deux sentiments admirables qui sont les vraies dispositions pour bien prier : l’un, qu’elle n’a rien, qu’elle ne peut rien et qu’elle a besoin d’un secours surnaturel, dont elle ne peut se passer. Avouez comme elle votre impuissance, votre pauvreté, votre misère ; sentez l’extrême besoin que vous avez de Dieu : c’est par là qu’il faut commencer.

Le second sentiment de cette femme étrangère, c’est que Jésus-Christ est la source de tous les biens, qu’il est le maitre de la vie et de la mort, qu’il a un souverain empire sur les démons, et qu’il a le pouvoir de lui accorder ce qu’elle lui demande.

Convaincue de ces vérités, quoiqu’elle n’eût jamais vu Jésus-Christ, et qu’elle ne le connût que par la réputation de ses grands miracles, la première démarche qu’elle fait, c’est de sortir de son pays pour venir le chercher parmi une nation ennemie jurée de la sienne. Sortez du grand monde, sortez de votre famille, du moins en esprit, si vous ne le pouvez autrement ; sortez de vous-même, de vos attaches, de vos intérêts temporels, de vos langueurs ; courez avec ardeur vers Jésus-Christ, ne regardez que lui seul, ne faites point attention à ceux qui l’environnent fendez la presse, hâtez-vous, vous ne pouvez vous passer de lui. Les besoins de votre âme sont plus pressants que vous ne le croyez ; et vous ne pouvez en être secouru sans le prier, et le bien prier.

Travaillez à vous convaincre, comme elle, de la nécessité de la prière ; surmontez toutes vos répugnances, et surtout votre lâcheté et votre paresse. Ne dites point que l’application que la prière exige est trop onéreuse, et que Dieu ne vous a point donné l’esprit d’oraison ; c’est une illusion, c’est une tentation, c’est un faux prétexte dont on se sert pour couvrir sa nonchalance et pour ne point sortir de sa langueur.

Confus d’être instruit par une femme païenne, prenez une généreuse résolution ; faites-vous une loi inviolable de ne jamais perdre l’oraison, le goût vous en viendra sûrement, l’habitude s’en formera, et vous ne pourrez plus vous en passer. Si vous ne le faites, vous n’aurez jamais ni lumières, ni vertu solide, ni vraie piété, ni amour de Dieu.

IIe POINT. — Reprenons ici les paroles et les démarches de cette femme chananéenne ; examinons-les avec attention ; nous y verrons toutes les conditions qui rendent nos prières agréables à Dieu, et qui nous en assurent le succès.

                     1° Elle est accompagnée de l’humilité la plus profonde ;

                     2° elle est animée par la charité la plus ardente ;

                     3° elle est soutenue de la foi la plus vive ;

                     4° enfin elle est couronnée par la persévérance la plus généreuse.

Elle commence sa prière par une double confession l’une de sa misère, en demandant miséricorde pour elle ; l’autre, du souverain domaine de Jésus-Christ, en l’appelant son Seigneur. Cependant Jésus-Christ passe et il dissimule de l’entendre, pour l’humilier encore davantage. Enfin il parle, mais c’est pour l’exclure du nombre de ses ouailles. Loin de se rebuter, elle élève sa voix, elle crie, et le Sauveur l’humilie. Loin de se choquer et de répondre fièrement, elle acquiesce à tout, tant elle est pénétrée de sa bassesse et de son néant. Non contente d’adorer la personne de Jésus-Christ, elle adore jusqu’à ses refus et ses duretés. Usez-en de même à l’égard de Dieu ; humiliez-vous, et ne vous rebutez de rien, vous obtiendrez à la fin ce que vous demanderez.

À cette humilité si profonde elle joint une foi très vive ; jugez-en par ses paroles, les voici : Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David. Qui est-ce qui aurait pu lui apprendre que Jésus était le fils de David, sinon les lumières de la foi ? car tout commerce était interdit entre les Juifs et les Chananéens. Ayez pitié de moi, aidez-moi ; elle ne dit point Priez pour moi ; par là elle confessait sa toute-puissance et sa divinité. Elle ne dit pas d’abord : Guérissez ma fille, comme si elle voulait dire : C’est sur moi, Seigneur, que je vous conjure d’exercer votre miséricorde. Imitez-la, demandez d’abord la guérison de votre âme, il vous accordera le reste s’il le trouve à propos. N’imitez pas ceux dont l’âme est chargée de péchés, et qui commencent par demander la guérison de leur corps ; cette injuste préférence du corporel au spirituel, qui n’est que trop ordinaire, rend la prière au moins inutile.

Une ardente charité soutient sa prière. Cette charité lui donne des ailes pour aller trouver Jésus-Christ, parce qu’elle compte les maux d’autrui au nombre de ses propres disgrâces ; c’est ce qui l’engage à entreprendre ce voyage. Vous languissez dans nos sanctuaires ; votre bouche parle, votre cœur ne dit rien, et il est froid comme la glace pour Dieu et pour le prochain. Ressouvenez-vous que la prière est un sacrifice, que le cœur en est la victime ; que ce sacrifice ne peut s’élever jusqu’au trône de Dieu que par le feu de la charité, et que la prière ne vous sert de rien, si vous n’aimez Dieu par-dessus toute chose, et votre prochain comme vous-même. Priez encore avec persévérance ; elle ne peut pas être mise à une plus rigoureuse épreuve que celle de notre néophyte. Car d’abord Jésus ne lui répond pas ; et ce silence est bien rude à une âme qui souffre. Secondement, les apôtres, importunés de ses clameurs, veulent s’en défaire, et ils prient Jésus-Christ de la renvoyer. Enfin on ne lui répond qu’avec dureté. Mais cette femme constante est résolue, à quelque prix que ce soit, de triompher du cœur de Jésus-Christ par la persévérance. À force de crier, elle obtient tout ce qu’elle demande. Ne vous découragez jamais. Les refus de Dieu sont moins des refus que des délais, et ils vous sont nécessaires pour vous apprendre à mieux désirer et à mieux prier. Changez vos prières en clameurs : Jésus- Christ a plus envie de vous accorder que vous d’obtenir.

Sentiments

Soyez confuse, ô mon âme, de ce qu’une étrangère et une idolâtre, sans Écritures, sans Prophètes et sans religion, sait mieux prier que vous dès la première fois qu’elle prie. Elle ne connait Jésus-Christ que par ce qu’elle avait entendu dire de lui, et il n’était pas encore mort pour elle ; cependant elle quitte son pays, elle le cherche avec une ardeur inconcevable ; elle l’adore, elle le prie, elle le conjure, elle le poursuit, elle crie de toutes ses forces, elle persévère, elle souffre ses duretés avec une patience héroïque, et enfin elle obtient de lui un miracle.

Vous êtes baptisée, vous êtes instruite des vérités de la religion ; vous avez entre les mains son Évangile, qui vous instruit ; il a souffert, il est mort pour vous ; vous avez été éclairée de sa divine parole, vous êtes soutenue de ses sacrements, vous ne doutez ni de sa puissance ni de sa bonté ; cependant vous ne savez pas le prier, ou, si vous le savez, vous négligez de le faire, quoique vous connaissiez et que vous sentiez vos misères et l’extrême besoin que vous avez de son secours. Unissez-vous à cette heureuse et savante néophyte ; parlez à Jésus-Christ avec la même foi, la même soumission, la même ardeur et le même empressement, et dites-lui de tout votre cœur : « Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David vous êtes mon Dieu ; vous êtes mon Sauveur, vous êtes ma lumière ; éclairez mes ténèbres, instruisez mon ignorance ; embrasez mon cœur de vos divines ardeurs, apprenez-moi à vous prier comme je le dois et comme vous le voulez ; formez vous-même dans mon cœur, articulez sur mes lèvres les prières que vous écoutez avec plus de plaisir, et que vous exaucez avec plus de succès. Mon âme est en langueur, elle est malade ; ses passions la tyrannisent, ses ennemis la persécutent ; je crie de toutes mes forces après mon céleste médecin ; je lui découvre humblement toutes mes plaies, afin qu’il les guérisse. Source de miséricorde et de gràce, accordez-moi le pardon de tous mes péchés ; accordez- moi la vie de la grâce et celle de la gloire. »

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Veillez et priez, afin que vous n’entriez point en tentation. (S. Marc, 14.)

Je veux donc que vous priez en tout temps, levant les Mains pures vers le ciel. (Ire Épit. à Timoth., 2.)

La prière est beaucoup plus du cœur que des lèvres ; car Dieu ne fait point attention au son des paroles, mais à la disposition du cœur. Le silence d’un cœur fervent prie avec beaucoup plus de succès que les paroles les mieux arrangées ; (S. Isidore )

Le secret d’être toujours avec Dieu, et de l’engager à demeurer toujours dans notre cœur, c’est de toujours prier. (S. Isidore.)

Prière

Agréez, Seigneur tout-puissant, la dévotion de votre peuple qui Vous prie avec ardeur ; augmentez sa foi et son amour, afin que ses prières vous en soient d’autant plus agréables ; et pendant qu’il s’efforce de mortifier sa chair par les jeûnes et par les abstinences pour apaiser votre colère et pour obtenir votre grâce, accordez-lui de nourrir et de rassasier son âme de votre divine parole et des fruits de vos bonnes œuvres qu’il veut pratiquer. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils.

Point de la Passion

Jésus abandonné de son Père

Ce n’est pas ici l’endroit le moins touchant et le moins douloureux de la passion anticipée de l’esprit et du cœur que Jésus-Christ endura dans le jardin des Oliviers, avant de répandre son sang et de mourir sur le Calvaire. Jugez de l’excès de cette douleur par celle qu’aurait un fils unique qui, persécuté et outragé de toute la terre, quoique innocent, et digne d’être aimé des cœurs les plus farouches et les plus barbares, se verrait près de souffrir les plus cruels supplices de la mort la plus injuste et la plus infâme ; qui dans cette extrémité aurait recours à un père tout-puissant qui pourrait le délivrer et le faire triompher de ses ennemis, et que ce père, loin de prendre son parti et de lui donner un asile, l’abandonnerait malgré ses prières et ses larmes. Voilà quelle est la conduite rigoureuse et incompréhensible du Père éternel à l’égard de Jésus-Christ, son fils unique. Pendant que toutes les puissances de l’enfer et de la terre ont conjuré sa perte, et qu’il est méprisé, persécuté et outragé de son propre peuple, il l’abandonne à leur fureur ; il semble qu’il ne le regarde plus, dans ces tristes moments, comme l’objet de son amour et de sa tendresse, mais comme celui de sa colère et de son indignation ; il semble avoir oublié qu’il est un Dieu égal à lui, et qu’il est ce Fils unique auquel il a donné des témoignages si authentiques de son amour à son baptême, par ces paroles : Voici mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances (S. Matth., 3), pour se ressouvenir seulement qu’il est chargé des iniquités du monde ; et, malgré cet amour nécessaire qu’il lui porte de toute éternité, comme à son Verbe, il sépare cette qualité de celle du pécheur qu’il a bien voulu prendre, ou, pour mieux dire, de caution de tous les pécheurs ; ne l’envisageant que comme un coupable chargé de tous nos péchés, il faut qu’il en porte le châtiment et les vengeances, il faut qu’il paye lui seul pour tous les hommes les dettes immenses dont ils sont redevables à sa justice.

Il est vrai qu’il lui envoie un ange du ciel pour le consoler : mais, hélas ! en quel lugubre équipage ! et quelle étrange consolation pour Jésus-Christ de voir un ange qui lui apporte une croix sanglante et un calice rempli d’amertume ! Cependant il accepte l’un et l’autre avec une profonde soumission, parce qu’il veut obéir à son Père, et parce qu’il nous aime. Il acquiesce à cet abandon si rigoureux, et pour s’y conformer il s’abandonne aussi lui-même. Il cède tous ses droits, dit saint Léon ; il ne se donne qu’autant de force qu’il lui en faut pour ne pas succomber à la douleur : il empêche le rejaillissement de gloire et de bonheur de sa divinité sur son humanité, pour abandonner celle-ci à la peine, à la tristesse, aux ennuis, aux amertumes ; aux frayeurs et aux larmes. Voilà ce que son amour lui fait endurer pour nous.

VENDREDI APRÈS LE 1er DIMANCHE
Jour de Victoire

Pratique

Demandez à Dieu, à votre réveil, qu’il vous donne aujourd’hui son esprit de force, pour ne donner aucune prise au démon sur votre cœur. Soyez sur vos gardes ; car s’il a le moindre avantage dans les combats qu’il vous livrera, il triomphera de votre faiblesse, et il vous fera commettre bien des fautes. Prévoyez jusqu’aux surprises et aux échappées, et soyez dans une attention continuelle sur vos pensées, sur vos paroles, sur vos sentiments ; sans cela vous ne remporterez pas la victoire. Étudiez à fond vos mauvaises habitudes et votre passion dominante ; combattez-les de toutes vos forces ; et formez une généreuse résolution de plutôt mourir que de vous laisser abattre.

Méditation sur la victoire de l’habitude du péché

Ier POINT. — Il y avait à Jérusalem une piscine, auprès de laquelle plusieurs malades étaient couchés, pour attendre que l’ange du Seigneur vînt en troubler l’eau ; et le premier qui y descendait était guéri. (Saint Matth., 5.)

Parmi ces malades se trouvait un paralytique qui souffrait depuis trente-huit années, et Jésus-Christ le guérit. Ce paralytique est la figure d’une âme languissante et malade depuis longtemps de quelque infirmité spirituelle, qui attend tranquillement l’ange du Seigneur et la grâce de Dieu sans se donner trop de mouvement, sans aucun désir efficace, et sans vouloir faire d’elle-même aucun effort violent pour se procurer la guérison, et qui est trop lâche pour combattre de manière à remporter la victoire sur une mauvaise habitude et sur une passion dominante, dans laquelle elle se repose tranquillement, quoiqu’elle soit auprès de la piscine de la pénitence, où elle ne veut point entrer, tant elle a peur de se contraindre et de se faire la moindre violence.

Elle se plaint, beaucoup plus à tort que le paralytique, qu’elle n’a personne qui la plonge dans la piscine, parce qu’elle ne veut faire aucune démarche pénible qui coûte à sa délicatesse ; ou, si elle en fait, c’est avec une si grande négligence, qu’elle ne mérite pas de trouver ce qu’elle cherche. Peut-être aussi ne veut-elle avoir personne, de peur d’être obligée de travailler ; et quand elle a trouvé quelque ange du Seigneur, elle refuse de se soumettre à ses avis, et de prendre les remèdes salutaires qu’il lui prescrit, parce que sa lâcheté et sa délicatesse ne s’en accommodent pas ; ainsi, elle ne remportera jamais la victoire, parce qu’elle refuse de combattre. Cependant il faut vaincre ou mourir : on ne peut pas vaincre une attache, une habitude, sans faire violence à son esprit, à son cœur, à sa chair. Examinez-vous sur cet article important, et prenez pour vous ce qui vous touche.

La première chose qu’il faut faire pour vaincre un mal, c’est de le bien connaître. Cherchez ici dans votre propre cœur. La langueur ou la paralysie spirituelle n’est-elle point la maladie habituelle de votre âme ? Ne portez-vous point la tiédeur et la nonchalance partout : à la prière, à la parole de Dieu, à la lecture, à vos pratiques de piété, et même aux sacrements ? Demandez-vous à vous-même quelle violence vous vous êtes faite jusqu’à présent pour revenir de cet état dangereux et pour acquérir l’esprit de ferveur.

N’est-ce point l’aveuglement ? Je ne parle point d’un aveuglement grossier, causé par une habitude de péchés énormes, mais par une multitude de fautes légères et réfléchies, qui rendent peu à peu le cœur insensible, qui diminuent la charité, qui ôtent la tendresse de conscience, et qui ne laissent pas de conduire une âme à sa perte par des degrés insensibles. Faites-y attention.

IIe POINT. — Voulez-vous guérir ? dit Jésus-Christ au paralytique. Voici la seconde démarche qu’il faut faire pour obtenir sa guérison, c’est de le vouloir efficacement. Car il y a cette différence entre les maladies corporelles et les maladies spirituelles, que dans celles-là il ne suffit pas de vouloir guérir pour guérir efficacement, mais dans celles-ci il suffit de le bien vouloir. Si, après tant de résolutions, tant de promesses et tant de communions, vous êtes aussi mondain, aussi lâche, aussi vain, aussi plein de vous- même, aussi ardent au plaisir, aussi tenace dans vos intérêts, aussi vif dans vos ressentiments, et aussi lâche dans vos devoirs de religion, je dirai que vous n’avez jamais voulu ni vaincre votre habitude ni en sortir.

Défiez-vous de toutes vos résolutions et de toutes vos promesses, prenez garde que vous ne les ayez formées que pour amuser votre conscience, pour calmer ses remords, et pour vous approcher avec moins de trouble des sacrements, à l’abri de ces promesses brillantes. Vous auriez dû cependant être troublé d’avoir fait tant de communions sans en tirer aucun fruit. Ces beaux projets, ces résolutions vagues et sans succès, n’ont fait qu’étourdir et flatter votre mal, et elles ne l’ont pas guéri ; elles l’ont seulement diminué et caché à vos yeux, mais elles ne l’ont point caché aux yeux de Dieu ; vous n’êtes point entré dans la piscine, et vous n’avez pas eu le courage d’emporter votre lit avec vous.

Quelle est la marque d’une pleine victoire sur une mauvaise habitude ? dit saint Augustin. C’est une habitude de la vertu qui est opposée. Vous étiez habituellement dissipé ; êtes-vous recueilli ? Vous étiez prompt à vous mettre en colère ; avez-vous acquis la moderation et la douceur ? Vous étiez trop ardent aux parties de plaisir ; êtes-vous dans la retraite, dans le silence et dans la pratique de la mortification

Surmontez tellement votre habitude, que vous en extirpiez jusqu’à l’impression et jusqu’au penchant. Ne vous contentez pas d’emporter votre lit d’infirmité pour marque d’une victoire complète ; mais marchez ensuite comme une personne qui n’a jamais été malade. Qu’on ne vous trouve plus dans les assemblées mondaines, où Dieu est offensé, mais dans le temple, comme Jésus-Christ y trouva le paralytique guéri. Ne vous attribuez pas l’heureux succès de votre victoire, si vous l’avez remportée, mais au Sauveur et à sa grâce. Craignez toujours les attaques de votre ennemi ; imaginez-vous entendre Jésus-Christ qui vous dit comme à notre malade : Vous voilà guéri, ne retombez pas, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire.

Sentiments

Venez à moi, Seigneur, mon âme est malade, et elle ne peut guérir que par votre secours. Ouvrez-moi toutes les portes de la piscine de la pénitence, afin que j’y sois lavé et purifié de toutes mes souillures. Mais, ô mon Dieu, II suffit que vous m’ouvriez celle de votre cœur, et que vous ouvriez le mien à votre grâce et à votre amour. S’il est fidèle à cette grâce, s’il est embrasé de cet amour, il sera bientôt victorieux.

Hélas, je n’ai pas assez fait attention que vous m’aviez préparé une piscine mille fois plus efficace et incomparablement plus salutaire à mon âme que celle de Jérusalem ne l’était pour le corps, puisqu’elle est toute remplie de votre sang. Je pouvais m’y laver, et je ne l’ai pas fait. J’avais bien plus qu’un homme et qu’un ange, puisque je vous avais, vous qui êtes mon Dieu et mon Sauveur.

Je veux combattre, Seigneur, je veux vaincre, quoi qu’il en coûte à ma délicatesse ; je veux guérir à fond toutes mes faiblesses. Aidez-moi, soutenez-moi et donnez-moi les forces que vous m’avez méritées par votre sang. Je ne veux plus être esclave de la vanité, ni des plaisirs, ni de la paresse, ni de l’amour-propre : je ne veux plus être lâchement couché auprès d’une piscine où je puis entrer à chaque moment, puisqu’elle est toujours ouverte.

Hélas ! combien de victoires aurais-je remportées si j’avais toujours combattu ! combien aurais-je abattu de monstres qui m’ont abattu moi-même ! combien aurais-je détruit de vices et acquis de vertus ! Je serais humble, et j’ai un fonds d’orgueil inépuisable ; je serais fervent, et je n’ai que de la langueur ; je serais à l’épreuve des tentations les plus rudes et des plus grandes afflictions, et la moindre épreuve, le moindre contretemps m’abattent et me découragent. Ah ! Seigneur, guérissez-moi comme le paralytique, j’implore votre miséricorde.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Un Éthiopien peut-il changer la couleur de sa peau ? Un léopard peut-il effacer les marques de la sienne ? Et vous qui avez aimé le mal, pouvez-vous faire le bien ? (Jérém., 13, 23.)

Je suis le Seigneur votre Dieu ; vous avez demeuré avec les Égyptiens, prenez garde de les imiter dans leurs mauvaises habitudes. ( Lévit., 18.)

Je soupirais enchaîné, non par des chaînes de fer, mais par celles de mes mauvaises habitudes. Le démon tenait ma volonté sous sa puissance ; il m’en avait fait une chaîne de fer dont il m’avait fortement lié. (S. Augustin.)

Voulez-vous remporter la victoire sur vos mauvaises habitudes, que la violence du péché le cède à celle de la pénitence. (S. Augustin.)

Prière

Soyez-nous toujours favorable, ô mon Dieu ; augmentez dans nos cœurs la piété et la dévotion dont vous nous avez donné les Sentiments ; et, de peur que la lâcheté et l’inconstance qui nous sont si naturelles, ne refroidissent notre ferveur, donnez-nous par votre miséricorde les secours dont nous avons besoin pour vaincre tout ce qui s’oppose à notre amour, et pour vous servir avec toute la fidélité que nous vous devons, jusqu’au dernier jour de notre vie, sans jamais nous relâcher dans nos devoirs Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils notre Seigneur

Point de la Passion

Sueur de sang

Les hommes, quoique pécheurs, ne souffrent pour l’ordinaire qu’une seule agonie avant de mourir ; et Jésus-Christ, tout Dieu et tout innocent qu’il était, en voulut souffrir deux très sensibles et très rigoureuses : l’une dans le jardin des Oliviers, et l’autre sur la croix ; et la première, dont je vais parler, ne fut peut-être pas la moins douloureuse, puisque, sans être entre les mains des bourreaux, et sans autre plaie que celle que l’amour et la tristesse firent à son âme et à son cœur, elle lui causa une sueur de sang. Son cœur, livré à une excessive douleur, devint le champ de bataille du plus surprenant et du plus rude de tous les combats que jamais personne n’avait soutenu avant lui ; combat entre Dieu et la créature, combat entre l’âme et la chair, combat entre la gloire et l’ignominie, combat entre la joie et la tristesse, combat entre la vie et la mort, combat si rude, que, s’il ne fut pas vaincu, parce qu’il était un Homme-Dieu, et par conséquent invincible, il en fut du moins agité et affaibli de telle sorte, que le sang de ce divin Sauveur, que la crainte avait amassé autour de son cœur pour le soutenir dans sa peine, fut, par la violence de sa douleur et par l’excès de son amour, poussé jusqu’à l’extérieur de sa chair. Et, parce qu’il était épuisé par ce travail intérieur, insoutenable à l’humanité seule, ce que le corps a coutume de pousser par la sueur venant à lui manquer, le sang sortit à sa place, et coula avec une si grande abondance, que ses habits en furent pénétrés et la terre arrosée et ensanglantée.

Les souffrances excessives qu’il endurait intérieurement dans une si rude agonie avaient, à la vérité, concouru à une sueur si surprenante et si extraordinaire ; mais on peut dire aussi qu’un excès d’amour et un violent transport de tendresse pour les hommes avaient mis ce sang adorable en mouvement. Il était dans l’impatience, dit un Père, d’être répandu pour briser nos chaînes, pour nous racheter de la mort, et pour accélérer notre bonheur : Sanguis ejus ardebat desiderio effusionis. (S. Jérôme.) Il ne pouvait plus se contenir dans les veines, où il était angustié, et où il souffrait violence ; il fallait que cette ardeur divine et ce feu sacré qui l’agitaient le fissent transpirer, qu’il ouvrît avec une amoureuse violence tous les pores de son corps, et qu’il pénétrât sa peau pour en sortir plus promptement. Il n’a pas besoin que les bourreaux, que les fouets, que les épines et que les clous déchirent sa chair pour lui faire passage ; son amour a subtilisé et embrasé cette divine liqueur pour la faire sortir à travers sa chair, et précéder ainsi son effusion générale.

Jusqu’à ce moment douloureux, Jésus-Christ ne nous avait donné que des larmes ; il commence à nous donner du sang. Non content de ces larmes d’eau, qui n’étaient sorties que de ses yeux, il verse des larmes de sang de tout son corps, pour se hâter de nous délivrer et de nous ouvrir plus tôt le ciel. Ah ! si l’extérieur du corps de Jésus-Christ était alors un spectacle si touchant, quelle pouvait être la situation de son esprit, de son cœur et de toute son âme ! Si les portes de ce sanctuaire nous étaient ouvertes, nous y verrions bien des mystères de douleur et d’amour, et nous ne refuserions pas quelques-unes de nos larmes à un Dieu qui, pour nous marquer l’excès de son amour, nous donne par avance une si prodigieuse quantité de sang, en attendant qu’il répande le reste sur la croix.

SAMEDI APRÈS LE 1er DIMANCHE
Jour de Désir

Pratique

Commencez la journée par élever votre esprit et votre cœur jusqu’au trône de Dieu dans le ciel. Contemplez-Le dans sa gloire, environné de tous ses anges et de tous les bienheureux qui chantent incessamment ses louanges, qui goûtent des plaisirs que la langue ne peut exprimer. Soupirez après la place qui vous est marquée dans ce céleste séjour, si vous vous en rendez digne par vos bonnes œuvres. Poussez aujourd’hui alternativement des désirs et des gémissements : des désirs soutenus d’une vive espérance pour le ciel, et des gémissements sur le retardement de ce bonheur incomparable et sur les misères de cette vie mortelle ; et ne faites rien que vous ne puissiez vous dire à vous-même Je travaille pour le ciel.

Méditation sur le désir du ciel

Ier POINT. — Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean ; il les mena sur une haute montagne à l’écart, où il se transfigura en leur présence, et sa face devint brillante comme le soleil. (S. Matth., 17.)

Peut-on attacher ses yeux sur ce divin objet tout resplendissant de lumière, peut-on penser que ce Sauveur, si beau et si brillant de clarté, est le modèle de la gloire qui nous est préparée dans le ciel, sans la désirer avec ardeur, et sans soupirer après ce bienheureux séjour ? Et peut-on désirer ce bonheur sans se résoudre à tout souffrir dans cette vie pour le mériter ?

La gloire éternelle est le terme que nous désirons ; mais les souffrances en sont le chemin. De là vient que, dans la transfiguration, Jésus-Christ ne parle avec Moïse et Élie que des souffrances qu’il doit endurer avant de rentrer dans la possession de sa gloire. Dites-vous donc à vous-même que renoncer à souffrir, et renoncer au ciel, c’est la même chose ; par conséquent, que désirer le ciel sans vouloir souffrir, c’est une vraie illusion.

Sur cette importante vérité réglez tous vos désirs et toute votre conduite. À la moindre atteinte de douleur, pensez à la gloire qui la couronne ; et si vous avez un peu de foi, vous la soutiendrez généreusement. Comparez l’une à l’autre, et de cette comparaison tirez deux motifs : l’un de confusion de votre lâcheté et de votre délicatesse, l’autre de préparation de cœur à vous priver de tout et à tout souffrir pour vous rendre digne de posséder Dieu.

Le grand Apôtre, en parlant de ce mystère, dit, pour nous consoler dans nos peines, que Jésus-Christ transformera un jour la bassesse de notre corps humilié sur le modèle de son corps glorifié sur le Thabor. Détachez-vous de la terre et des sentiments terrestres ; élevez votre espérance, formez des désirs célestes, en voyant dans le corps glorieux du Sauveur le modèle, l’original et le gage de la gloire qu’il vous a promise.

Ne perdez rien de ce mystère. Unissez-vous aux trois disciples confidents de Jésus-Christ. Montez en esprit sur cette montagne de vision et de lumière, pour vous préparer à monter généreusement sur celle du Calvaire. Attachez vos yeux, votre esprit et votre cœur sur la personne du Sauveur. Dites-vous encore à vous-même : Je vois un corps tout brillant de lumière ; mais il sera bientôt tout couvert de plaies et de sang. Je vois une tête couronnée de gloire ; mais elle sera bientôt percée et couronnée d’épines. Je vois une face éclatante comme le soleil ; mais elle sera bientôt défigurée et couverte de confusion. Je vois des yeux dont les rayons m’éblouissent ; mais ils seront bientôt languissants, baignés de larmes, couverts de sang et éteints par la mort. Ce divin objet me ravit par sa beauté et par son éclat. Il m’appelle à la gloire ; mais le chemin pour y arriver est semé d’épines et de sang. Marchons cependant ; la couronne vaut bien le combat, le prix vaut bien la course, le plaisir vaut bien la douleur, la gloire vaut bien l’infamie, et la récompense surpasse infiniment les travaux qu’elle exige. Ne cessons de désirer, de combattre et de souffrir : les douleurs passent, et la récompense est éternelle.

IIe POINT. — Alors Pierre dit à Jésus : Seigneur, il fait bon ici pour nous ; faisons-y, s’il vous plaît, trois tentes, une pour vous, une pour Moïse, et une pour Élie.

Ce que Pierre disait inconsidérément, parce qu’il n’y a point de vrai bonheur sur la terre que celui de désirer, d’aimer et de souffrir, pour mériter de jouir de Dieu dans le ciel, nous aurons lieu de le dire quand nous posséderons ce bonheur. C’est donc en ce céleste séjour que nous devons mettre toute notre espérance, tous nos désirs, toute notre joie et toute notre gloire, et passer toute cette vie mortelle à désirer ardemment cette vie immortelle.

Mon âme est spirituelle ; je ne veux plus et je ne dois plus rien désirer, rien aimer de matériel et de sensible. Elle est immortelle ; je ne veux plus rien désirer de périssable et de passager. Elle doit être éternellement avec Dieu, le voir, l’aimer et le posséder ; je ne dois plus rien désirer, rien voir qu’en passant ; je ne veux plus m’attacher à des créatures qui périssent et qui passent, elles pourraient m’arrêter en chemin, et me dérober la possession de l’unique bien que je dois désirer, et qui seul doit remplir tous mes désirs.

Être bienheureux dans le ciel, y voir Dieu sans aucun nuage, y être assuré d’une gloire éternelle, c’est un avantage pour lequel on ne peut assez soupirer, et qu’on ne peut assez acheter. Je veux donc passer ma vie à le désirer, et soutenir mes désirs par mes bonnes œuvres ; et je suis résolu de l’acheter à quelque prix que ce soit. Heureusement pour moi, j’ai en main de quoi me le procurer : j’ai les promesses de Jésus-Christ ; j’ai le précieux trésor du temps que je dois consacrer à l’acquérir ; j’ai la protection d’un Homme-Dieu ; j’ai ses secours, qu’il ne me refusera jamais ; j’ai son sang adorable, qui est la clef qui m’ouvrira ce céleste tabernacle ; et rien ne me manquera du côté de Dieu, parce qu’il est tout-puissant et infiniment bon. Mais de mon côté il faut que je travaille pour m’en rendre digne ; il faut combattre, il faut vaincre, il faut persévérer jusqu’à la mort, et je suis résolu de le faire.

La foi me persuade qu’il ne fait bon pour moi que dans le ciel ; je serais donc bien aveugle de dire qu’il fait bon pour moi sur la terre. Celle vie mortelle est un passage, c’est un exil rempli de misères, de disgrâces, de douleurs, et surtout de péchés : voilà ce qui devrait m’en donner une véritable horreur, cependant je suis assez aveugle pour l’aimer et pour m’y attacher !

Quel bien ai-je possédé depuis que je suis au monde ? quelle fausseté n’ai-je point éprouvée dans les plaisirs ! quelle inconstance dans les amitiés ! quelle vanité dans les honneurs ! quelles misères et quelles faiblesses n’ai-je point vues dans autrui et dans moi-même ! Rompez donc généreusement tous les liens qui vous y attachent, prenez votre essor vers le ciel par vos désirs ; défendez à votre cœur de désirer rien qui soit moins que Dieu.

Sentiments

Bienheureux séjour, céleste héritage, possession de Dieu, vie éternelle, toute mon âme vous désire, et je ne veux plus travailler que pour vous. Souffrances, travaux, humiliations, maladies, privations, mépris, pauvreté, je vous défie, je ne vous crains point. Tant que j’aurai la grâce de mon Dieu, et que mon cœur ne formera des désirs que pour le ciel, vous ne saurez me faire que du bien, parce que vous m’assurerez le bonheur éternel auquel j’aspire, que vous m’en rendrez digne, et que vous me mettrez à même de le demander à Dieu, non seulement comme une grâce, mais encore de l’exiger de ce Dieu de justice comme une dette qu’il a bien voulu contracter avec moi.

Ah ! Seigneur, je ne puis penser au bonheur que vous m’avez promis, que vous m’avez acquis au prix de votre sang, et que je dois acheter au prix de mes souffrances, que je ne le désire avec ardeur, que je ne prenne la résolution de vivre en chrétien qui n’a que le ciel en vue, et que je ne dise avec le Prophète : « Je me suis ressouvenu de vos promesses, et par un excès de joie j’ai répandu mon âme dans moi-même. » (Ps. 41.) Je me suis efforcé de la faire sortir de mon corps par la violence de mes désirs et de mes transports d’amour, parce que je passerai à ce tabernacle admirable de la maison de mon Dieu. Heureux tabernacle ! heureux Thabor ! heureux séjour ! où l’ou voit Dieu sans nuage et sans énigme, où l’on aime Dieu sans interruption et sans faiblesse, où l’on est intimement uni à Dieu, sans crainte d’en être jamais séparé, et où l’on est transformé en Dieu pour une éternité tout entière !

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Ah ! Seigneur des armées, que vos tabernacles sont aimables ! Mon âme désire ardemment d’être dans la maison du Seigneur, et elle est presque dans la défaillance par la violence de ses désirs. (Ps. 83.)

Car, comme le cerf soupire après les eaux, de même mon cœur soupire après vous, ô mon Dieu ; mon âme a soif de vous, ô Dieu fort et vivant. Quand aurai-je le bonheur de voir votre face ? (Ps. 41.)

Celui qui désire de posséder Dieu met son plaisir à désirer le Dieu qu’il aime ; il aime aussi toujours à le désirer, non d’une partie, mais de tout son cœur ; et c’est en quoi consiste son bonheur. (S. Bernard.)

Les désirs des élus croissent quand ils sont dans l’oppression : semblables au feu, qui est apaisé d’abord, et qui devient plus ardent et plus lumineux par le souffle. (S. Grégoire.)

Prière

Regardez, Seigneur, votre peuple pénitent et humilié, d’un œil de compassion et de miséricorde ; détournez par votre bonté, qu’il implore avec toute la foi et toute l’ardeur dont il est capable, les fléaux de votre colère qu’il s’est justement attirés par ses péchés et par ses ingratitudes qui sont sans nombre. Il va travailler à les expier dans ce saint temps, par ses larmes, par ses abstinences et par ses jeûnes, pour se rendre digne de votre grâce, et de parvenir enfin au bonheur éternel que vous lui avez promis. Donnez-lui-en la force. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils.

Point de la Passion

Prise de Jésus-Christ

Jésus était encore en prière dans le jardin des Oliviers, lorsque, dans les ténèbres et dans le silence de la nuit, il entendit la marche et le bruit des soldats et des satellites qui le cherchaient, conduits par le traître Judas. Jésus, loin de se cacher, alla généreusement au-devant d’eux, et il leur demanda qui ils cherchaient. Ils dirent qu’ils cherchaient Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit avec sa douceur ordinaire : C’est moi ; et comme si c’eût été une foudre sortie de sa bouche adorable, ils tombèrent à la renverse. Jésus aurait pu alors se soustraire par la fuite ; mais comme il ne donnait son âme que parce qu’il voulait bien la donner, il attendit tranquillement le retour de leur évanouissement pour se laisser prendre sans résistance, comme un agneau, dit le prophète Isaïe, qu’on porte au sacrifice pour être immolé.

Les soldats se relèvent, ils se jettent avec fureur sur lui, et ils serrent de cordes avec une cruauté inouïe Ses mains délicates, ouvrières de tant de miracles, qui pouvaient les rompre avec plus de facilité que ne fit autrefois le fort Samson, qui n’était que sa figure. Ce Dieu tout-puissant, ce Souverain du ciel, de la terre et des enfers, aurait pu, par sa propre vertu, par plus de douze légions d’anges, foudroyer ces soldats, et les abîmer tout vivants dans les enfers ; mais son amour pour nous le fait consentir à la captivité, aux opprobres, aux supplices et à la mort même. Vous pouviez briser ces liens, ô mon Dieu ; vos mains, qui sont divines, avaient assez de force pour rompre ces infâmes cordes dont vous n’étiez lié que par des hommes ; mais vous vouliez être le plus faible, et cette faiblesse volontaire est un témoignage et un mystère incompréhensible de votre amour. Oui, Seigneur, ces chaînes sont trop fortes, parce qu’il y a dans votre cœur des chaînes invisibles qui vous empêchent de rompre celles qui paraissent sur vos mains, ce sont des chaînes d’obéissance, des chaînes d’amour et des chaînes de péchés ; et cette triple chaîne est, dans un sens, plus forte que l’Homme-Dieu.

L’obéissance, que Jésus doit à son Père céleste, qui a conclu l’arrêt de sa mort, le lie trop fortement, et il ne brisera jamais cette chaîne. Par là il nous marque son amour, et il nous apprend, par son exemple, à choisir plutôt la mort que de désobéir à Dieu. L’amour qu’il a pour les hommes est une autre chaîne ; et il n’a garde de la rompre, parce que son amour est plus fort que la mort ; mais nos péchés sont les plus durs liens qui le tiennent en captivité ; et il s’en plaint par le Prophète quand il dit : Les liens et les cordes des pécheurs m’ont entouré et enveloppé. (Ps. 118.)

Voilà l’état pitoyable où nos péchés ont mis notre adorable Sauveur. Brisons nous-mêmes ces chaînes de péchés, et mettons par là les mains de Jésus-Christ en liberté de nous combler de grâces. Brisons celles qui nous attachent au monde ; mais conservons précieusement celles qui nous attachent à cet adorable Sauveur ; elles sont glorieuses, et elles nous produisent la vraie liberté des enfants de Dieu.

2e semaine de carême

2e DIMANCHE DE CARÊME Jour de Transfiguration

LUNDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de Recherche

MARDI APRÈS LE 2eDIMANCHE
Jour de Vie cachée

MERCREDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour d’Humilité

JEUDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de Frayeur

VENDREDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de bonnes Œuvres

SAMEDI APRÈS LE 2e DIMANCHE Jour de Conversion

2e DIMANCHE DE CARÊME
Jour de Transfiguration

Pratique

Appliquez-vous, dès le commencement de la journée, à veiller soigneusement sur les trois puissances de votre âme, qui sont la mémoire, l’entendement et la volonté, pour les rendre dignes d’être transformées en Dieu dans le ciel et d’y concourir à votre bonheur éternel. Que votre mémoire s’occupe, tantôt du souvenir de vos péchés pour les pleurer, tantôt des divines miséricordes pour les connaître. Que votre esprit se captive et s’interdise toutes les pensées mondaines, pour s’occuper de la gloire de Jésus sur le Thabor, et de celle qui vous est promise dans le ciel. Que votre volonté s’occupe à multiplier des actes d’amour et à lui plaire en toutes choses.

Méditation sur la Transfiguration

Ier POINT. – Seigneur, dit Pierre à Jésus, il fait bon ici pour nous ; si vous voulez, bâtissons-y trois tentes, une pour vous, une pour Moïse, et l’autre pour Élie.

Considérez que la transfiguration de Jésus-Christ sur le Thabor est le modèle et le divin original de la transfiguration glorieuse de notre âme dans le ciel, où nous serons transformés, dit l’Apôtre, de clarté en clarté, dans la même image, par l’esprit de Dieu. Transportez-vous en esprit dans ce bienheureux séjour ; oubliez que vous avez un corps et que vous êtes sur la terre ; oubliez tous les objets sensibles qui vous environnent ; oubliez toutes les créatures mortelles, pour penser avec toute l’application dont vous êtes capable au bonheur éternel que Dieu a préparé de toute éternité à ceux qui l’aiment. Dites-vous à vous- même : Si je suis fidèle à mes obligations, si j’aime Dieu de tout mon cœur, et mon prochain comme moi-même, je verrai Dieu, je connaîtrai Dieu, je serai transformé en Dieu ; je serai tout en lui, et il sera tout en moi : les trois puissances de mon âme auront chacune et leur demeure et leur transfiguration ; il y aura plénitude de Dieu dans ma mémoire, lumière de Dieu dans mon esprit, amour de Dieu dans ma volonté.

Oui, votre mémoire sera toujours remplie de Dieu ; elle l’aura toujours présent, sans le pouvoir oublier et rien ne sera capable d’effacer l’agréable souvenir de ses bontés et de ses miséricordes.

Votre esprit sera absorbé dans cet océan de lumière, toujours appliqué à Dieu, sans peine et sans distraction, sans dégoût, sans ennui, sans cesser de le connaître tel qu’il est, et de le voir face à face. Vous verrez Dieu, vous vous verrez en Dieu, vous verrez toutes les créatures en Dieu. Vous verrez la grandeur de cet être Suprême, le brillant de sa majesté, les entrailles de sa miséricorde, les mystères de sa justice, les ressources de sa providence, les trésors de sa sagesse, les tendresses de son amour, en un mot, les secrets de son cœur et toutes ses adorables perfections.

Votre cœur sera transformé par le pur amour, qui est Dieu même ; il perdra heureusement tout ce qu’il a de grossier et de terrestre, par l’action douce et toute-puissante de ce feu céleste et divin ; il sera concentré et absorbé dans le cœur de Dieu même, pour n’en sortir jamais. Ah ! s’il y a un vrai plaisir d’aimer l’objet le plus beau, le plus parfait et le plus aimable, d’être sûr de l’aimer éternellement, et d’en être aimé de même, de quel bonheur jouira notre âme dans cette transfiguration bienheureuse qui lui est préparée ! Travaillez donc à vous en rendre digne.

IIe POINT. — Lorsqu’il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit, et les apôtres tombèrent la face contre terre.

Ne vous laissez pas si fort éblouir par l’éclat de cette transfiguration, que vous ne pensiez à travailler efficacement à votre transfiguration spirituelle, qui est l’unique moyen de vous assurer l’autre. Tant que vous serez en ce monde, ne dites point comme Pierre : « Seigneur, il fait bon ici pour nous. » Il n’y fait bon qu’en passant, et autant que vous travaillerez à réformer toutes les puissances de votre âme pour la rendre digne de posséder Dieu. Voici en quoi consiste cette transfiguration : extirper de votre mémoire le souvenir des choses profanes et criminelles, des vanités du siècle, des plaisirs sensuels, des paroles équivoques, et de tout ce qui pourrait souiller la pureté de ce sanctuaire, qui doit être éternellement rempli de Dieu. Gravez-y à présent sa loi en caractères ineffaçables, avec le souvenir de ses bienfaits ; retenez-y fidèlement les vérités dont vous ayez été le plus touché, et ne les oubliez pas.

Appliquez votre esprit à la connaissance de Dieu et de vous-même ; n’ayez de la curiosité et du goût que pour ces vérités solides et édifiantes qui émanent de la première vérité, qui est Dieu, et qui y conduisent. Brisez dans votre esprit, dit saint Augustin, toutes les idoles de fausseté, si vous voulez qu’il soit le temple de la vérité. Cherchez les grandes vérités par des lectures, des méditations et des oraisons fréquentes, où on les trouve. Retirez-vous, comme Jésus-Christ, dans la solitude et sur une montagne. Il faut de la retraite et de l’élévation d’esprit pour connaître et pour goûter la vérité. Écoutez Moïse et Élie, ce sont des hommes divins qui en ont été remplis, et qui l’ont annoncée sans déguisement et sans flatterie. Écoutez Jésus-Christ avec encore plus d’attention, il en est la source, le maître et le docteur.

Travaillez sur toutes choses à la transfiguration de votre volonté, c’est-à-dire de voire cœur ; ayez la noble ambition de vouloir le faire ressembler à celui de votre adorable Sauveur. On va au ciel, dit saint Augustin, non par les démarches du corps, mais par celles du cœur. Il ne marche pas seulement, il vole, il a des ailes, et c’est l’amour qui les lui donne. Comme il monte vers le ciel par son amour, il en descend par sa nonchalance et par sa froideur. Songez à lui interdire toutes les attaches et toutes les sensibilités qui n’ont pas Dieu seul pour objet. Quand le cœur est attendri par une créature mortelle, il n’est plus capable d’être touché de Dieu ; un sentiment est l’exclusion de l’autre.

Pensez à ce que fait Jésus pour rendre ses Apôtres sensibles au seul bonheur éternel. Il s’en approche, dit notre Évangile, il les touche et il leur parle. Cette approche si charitable, cet attouchement sacré, ce langage divin, les réveillent ; ils ne voient plus que Jésus-Christ seul, toutes les autres créatures sont éloignées de leurs yeux. Demandez-lui la même grâce.

Sentiments

Conduisez-moi, Seigneur, dans la solitude ; elle me sera bien délicieuse, pourvu que je sois avec vous, que je ne vous perde point de vue, que vous y parliez à mon cœur, et que j’y parle au vôtre ; toutes les compagnies les plus agréables des créatures seront incapables de me toucher et de me plaire. Menez-moi, comme vos Apôtres, sur cette montagne mystique, afin que je ne m’attache jamais à la terre, et que je dédaigne d’écouter les sentiments terrestres qui m’empèchent de m’élever jusqu’à vous. Hélas ! je puis dire avec bien plus de sujet que le Roi-prophète Je suis attaché au limon de la terre, où il n’y a point de substance. Cependant mon âme est faite pour le ciel, et elle devrait faire consister son bonheur à s’élever en esprit jusqu’à ce céleste séjour, où elle espère faire sa demeure éternelle.

Approchez-vous de moi, Seigneur, comme vous vous êtes approché de vos Apôtres éblouis par l’éclat de votre gloire. Que je sente votre divine présence dans le plus intime de mon âme, et ne vous en éloignez jamais. Touchez-Moi, ô mon Dieu, pour me réveiller de ma nonchalance et de mon assoupissement, et allumez dans mon cœur le feu de votre divin amour, de manière qu’il devienne incapable d’être touché et attendri par l’amour de la créature. Parlez à mon âme, elle vous écoute, et elle ne laissera tomber à terre aucune de vos paroles. Ouvrez-moi les yeux, de manière que je n’envisage plus que vous seul. Enfin aidez-moi à transfigurer tellement mon âme, par une vraie conversion de mœurs, que je sois digne, à la fin de ma vie, de cette transfiguration éternelle et bienheureuse après laquelle j’aspire.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

N’ayant plus de voile qui nous couvre le visage, et contemplant la gloire du Seigneur, nous serons transformés dans la même image, de clarté en clarté, par l’Esprit de Dieu. (2e Épît. aux Cor., 3.)

Dépouillez-vous du vieil homme, qui se corrompt en suivant l’illusion de ses passions, et renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme. (Épît. aux Éph., 4)

Renouvelez votre cœur par l’exclusion des désirs charnels quand ils seront transfigurés, l’amour de Dieu en prendra la place. (S. Bernard.)

Nous travaillons avec succès à notre transfiguration, quand nous évitons et que nous pleurons amèrement les œuvres du vieil homme, et que nous nous efforçons de suivre les traces du nouveau, qui est Jésus-Christ. (Le.vén. Bède.)

Prière

Souverain Seigneur, à qui rien n’est caché de tout de qui se passe de plus secret dans nos cœurs, vous voyez combien nous sommes destitués de vertus, et combien nous vous avons offensé par les trois puissances de notre âme, aussi bien que par le dérèglement de nos sens extérieurs. Soyez en nous et autour de nous un gardien fidèle, un puissant défenseur, et un Dieu de miséricorde. Transformez-nous, faites de nous des créatures nouvelles, et par une vraie pénitence, et par une sincère conversion de mœurs. Soutenez-nous, soyez notre force contre toutes les adversités qui peuvent arriver à notre corps, et purifiez nos âmes de toutes mauvaises pensées qui peuvent en souiller la pureté. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Baiser de Judas

Un baiser fut le détestable signal dont Judas se servit pour livrer Jésus-Christ entre les mains de ses plus cruels ennemis. Comme cet adorable Sauveur était accompagné de plusieurs de ses Apôtres, ils voulurent prendre toutes leurs précautions, de crainte de se méprendre et de manquer un coup si important. Judas leur avait dit : Prenez celui que je baiserai ; c’est Lui, tenez-le bien et menez-le sûrement, de peur qu’Il ne vous échappe. Tende eum, et ducite caute. Ces paroles sont remarquables : Tenez-le. Ah ! si Jésus avait voulu, se serait-Il laissé tenir, lui qui était le Tout-Puissant ? Ducite, conduisez-le : se serait-il laissé conduire par des scélérats, Lui qui était la voie ? Caute, avec précaution : n’aurait-il pas rompu toutes leurs mesures, lui qui était la sagesse même ?

Encore, si ce traître s’était ouvertement déclaré contre Jésus-Christ, sans mettre en usage les marques de la plus tendre amitié pour couvrir sa perfidie, son crime aurait été moins énorme ; mais il salue Jésus-Christ avec toutes sortes de démonstrations de respect et d’amour : il l’appelle son Maître, il a la hardiesse de le baiser au visage et de poser sa bouche perfide et sacrilège sur la bouche innocente et respectable de son maître et de son Dieu, pendant qu’il a la trahison dans le cœur, et dans le moment qu’il l’exécute. Jésus ne retire pas sa bouche, il reçoit ce baiser sans s’émouvoir, lui qui pouvait foudroyer cet imposteur ; il lui fait même un reproche de tendresse, il l’appelle encore son ami, pour le faire rentrer en lui-même et pour lui toucher le cœur. Il lui dit seulement : « Ah ! mon ami, vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ! » Quel excès de bonté dans le Sauveur ! Quelle perfidie, quelle imposture, quelle noirceur et quelle ingratitude dans cet apostat ?

C’est ainsi que les mauvais communiants, imitateurs de ce perfide, vont donner à Jésus-Christ le baiser de la paix à la sainte table, pendant qu’ils lui font une cruelle guerre par leur libertinage et par leurs continuelles rechutes dans le péché. C’est ainsi qu’ils vont non seulement lui donner un baiser, mais le recevoir dans leur bouche, sur leur langue, et le placer auprès de leur cœur, pendant qu’ils ont dessein de continuer leurs outrages. C’est ainsi qu’ils vont lui donner un signe imposteur de tendresse, de respect et de réconciliation, pour mieux cacher sous la nappe de l’autel une mauvaise habitude dont ils ne veulent pas se défaire. C’est ainsi que, chargés de crimes et de trahisons, ils vont le chercher non dans le jardin et pendant les ténèbres, mais dans son propre sanctuaire, en plein jour, et à la face de tout un peuple, pour le crucifier de nouveau, non par les mains des Juifs, mais par leurs propres mains.

LUNDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de Recherche

Pratique

Entrez aujourd’hui dans les sentiments de l’épouse des Cantiques. Dites avec elle à votre réveil : « Seigneur, montrez-moi votre face, que votre voix délicieuse résonne à mes oreilles. » Dites-vous aussi à vous-même : « Je me lèverai, et je chercherai Celui que mon cœur aime. » Ne vous écartez pas, pendant toute la journée, et, s’il est possible, pendant toute votre vie, de cette recherche si sainte et si avantageuse. Cherchez Dieu dans vos prières ; cherchez-le dans son sanctuaire ; cherchez-le dans la solitude, dans les compagnies, dans vos emplois ; cherchez-le dans le mépris, dans les afflictions, et surtout dans votre propre cœur : il y est, et sûrement vous l’y trouverez si vous l’aimez. Mais pour rendre cette recherche plus heureuse et plus parfaite, cherchez Dieu purement pour Dieu.

Méditation sur la recherche de Dieu

Ie POINT. – Jésus dit aux Juifs : Je m’en vais, et vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. (S. Jean, 8.)

Faites d’abord attention que les Juifs ne se sont attiré cette terrible menace que parce qu’ils n’ont pas cherché Dieu pendant qu’il était au milieu d’eux. Mais pourquoi ne l’ont-ils pas cherché ? C’est premièrement parce qu’ils n’avaient pas de foi ; ce que Jésus-Christ leur reproche aujourd’hui dans ces paroles : Si vous ne croyez pas en moi, vous mourrez dans vos péchés. Secondement, parce qu’ils étaient trop charnels et trop terrestres ; ce qu’il leur marque par ces paroles : Vous êtes de la terre, c’est-à-dire que vous n’aimez que la terre ; Je suis d’en haut. Enfin parce qu’ils aimaient trop le monde. Vous êtes de ce monde, dit Jésus-Christ ; et moi je n’en suis pas.

Voulez-vous chercher Dieu avec plus de succès, prenez une conduite tout opposée. Rectifiez votre foi, et faites en sorte qu’elle soit animée par la charité et soutenue par les bonnes œuvres. Élevez-vous de la terre, quittez-en les sentiments, et détachez-vous du monde, qui ne le connaît pas parce qu’on ne recherche point ce qu’on ne connaît pas.

Pour vous exciter plus fortement à cette recherche, examinez toutes les démarches que Dieu a faites pour rechercher votre cœur : les inspirations, les bons mouvements, sa divine parole, les afflictions même qu’il vous a ménagées pour vous détacher du monde et pour vous engager à le chercher. Comment y avez-vous répondu ?

Quand une personne fuit et qu’elle se cache, il est difficile de la trouver ; mais quand elle se montre, qu’elle prévient et qu’elle cherche elle-même, il est facile de la trouver. Vous n’avez jamais cherché Dieu qu’il ne vous ait cherché le premier, et qu’il ne vous ait aidé à le chercher. C’est donc votre faute si vous ne l’avez pas trouvé, et vous méritez qu’il s’éloigne de vous et qu’il se cache quand vous le chercherez.

Avez-vous jamais bien pensé au malheur d’une âme qui n’a pas Dieu avec elle ? Quelle triste solitude ! Les plaisirs peuvent bien l’amuser ; mais ils ne peuvent pas la contenter. Elle a chez elle un vide, et elle sent bien qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse le remplir. Tout lui manque quand elle ne l’a pas. Pourquoi ne se met-elle pas en devoir de le chercher ?

Pour trouver Dieu, il ne faut que le bien chercher. Quelle consolation ! Quelle ardeur aurait un avare pour chercher des trésors, s’il ne fallait que les chercher pour les trouver ! Cherchez Dieu : c’est le plus grand de tous les biens, et vous ne pouvez vous passer de lui. Mais surtout cherchez-le bien. Fuyez le monde ; c’est un obstacle invincible à sa recherche, et il ne s’y trouve jamais. Pour faciliter cette recherche, ne sortez point de vous-même. Vous êtes dans lui, vous vivez en lui, dit l’Apôtre : jouissez-en, mais ne laissez pas de le chercher toujours pour le posséder, dit saint Bernard ; et possédez-le, pour apprendre à le chercher avec plus d’empressement.

IIe POINT. — Celui qui m’a envoyé est avec moi, dit Jésus-Christ, parce que je fais ce qui lui est agréable.

Vous êtes toujours avec celui que vous cherchez, quand vous faites sa volonté ; sans cela vous ne le cherchez pas, et il ne se montrera jamais à vous. Mais voici la règle que vous devez vous prescrire dans votre recherche pour la rendre heureuse. Il faut chercher Dieu ; il faut le chercher dans le temps ; il faut bien le chercher ; il faut le chercher en toutes choses ; il faut enfin le chercher jusqu’à la mort.

1° Il faut chercher Dieu. C’est une nécessité absolue de chercher un Dieu sans lequel nous ne pouvons pas vivre, de qui nous ne pouvons nous passer, et que nous ne saurions perdre que par notre faute. Enfin il faut le chercher dans cette vie, parce que c’est le seul moyen de le posséder pendant toute une éternité.

2° Il faut le chercher dans le temps et pendant que nous pouvons le trouver. Il est des temps où il se cache et où il s’éloigne de nous, pour punir notre nonchalance et quelque infidélité notable. Il s’en va, et quelquefois il ne revient plus : ou on ne le cherche plus, ou on le cherche mal, et la mort vient : quel malheur !

3° Il faut le bien chercher, c’est-à-dire comme nous chercherions la chose la plus précieuse que nous aurions perdue, et d’où dépendraient notre repos, notre bonheur et notre vie. Examinez s’il n’y a point de paresse, d’inconstance et de froideur dans votre recherche ; si cette recherche est pure, c’est-à-dire si l’intérêt, si l’amour-propre, si la vanité, si le respect humain n’y ont point de part. Purifiez-la soigneusement, et croyez que, si vous n’avez pas encore trouvé Dieu, c’est que vous l’avez mal cherché.

4° Il faut chercher Dieu en toutes choses : dans la santé, dans la maladie, dans les louanges, dans le mépris, dans la joie, dans les douleurs, dans la grandeur, dans l’abjection, dans la compagnie, dans la solitude, dans les biens, dans la pauvreté, dans les douceurs de la dévotion et dans la sécheresse ; on le trouve partout quand on est attentif à le bien chercher.

5° Enfin il faut chercher Dieu jusqu’à la mort, car il n’y a que la seule persévérance qui l’engage à se montrer et à se faire sentir. Il ne faut jamais se lasser de frapper à la porte de son cœur : ce trésor est assez précieux pour mériter une constante recherche ; et l’on est bien aveugle et bien lâche de s’arrêter en chemin. Vous l’avez peut-être cherché dans un jour de dévotion et dans un temps où vous trouviez un goût sensible à le rechercher. Le lendemain vous vous êtes relâché, et vous vous êtes recherché vous-même. Cherchez-le jusqu’à ce que vous l’ayez trouvé. Si vous avez eu la consolation de le trouver, ne cessez pas pour cela de le chercher, de peur de le perdre. Il faut le chercher jusqu’au dernier jour de la vie ; c’est alors qu’on le trouve bien avantageusement, puisqu’on est assuré de ne jamais le perdre.

Sentiments

Quel trouble, quel chagrin, quelle inquiétude n’ai-je point ressentis quand je me suis recherché moi-même, ou les autres créatures, sans penser à chercher mon Dieu ! Quelle stérilité affreuse ! quel vide épouvantable, et quelle inquiétude dans mon esprit et dans mon cœur ! Ce qui me paraissait devoir être le centre de mon repos ne m’a causé que du trouble et des alarmes, surtout lorsque j’ai eu le malheur de trouver ce que je cherchais, et que ce n’était pas l’unique chose que je devais chercher. Mais combien rarement je l’ai trouvé ! J’ai cherché l’estime des créatures, et souvent je n’ai trouvé que du Mépris. J’ai cherché le monde, et je n’ai trouvé chez lui que néant, de spécieuses apparences, et il n’a jamais pu remplir tout mon cœur. J’ai cherché à lui plaire, et il m’a méprisé. Je n’ai trouvé que de l’amertume dans ses plaisirs, que de la bassesse dans ses amusements, que de l’imposture dans ses promesses, que de la vanité dans ses emplois, que de la perfidie dans ses caresses, et que de la fausseté dans toutes ses maximes. En êtes-vous bien détrompée, ô mon âme ? N’avez-vous point quelque reste de complaisance pour cet imposteur, qui ne vous a jamais fait que du mal, et qui vous a trompée autant de fois que vous vous êtes fiée à lui ?

Tournez-vous donc, par une heureuse nécessité, vers Dieu seul ; cherchez-le avec empressement et dans la simplicité de votre cœur. Cherchez-le en toutes choses, et avec une généreuse persévérance, et vous le trouverez. Il vous l’a promis, et il est fidèle dans ses promesses. Aimez-le, c’est le moyen de le bien chercher et de le trouver sûrement. La dilection, dit saint Bernard, est la cause et le fruit de cette recherche. Pour vous y engager par raison et par vos propres intérèts, Songez à votre faiblesse et à vos besoins. Pouvez-vous vous passer de ses grâces, de son esprit, de sa force ? et pouvez-vous vous secourir vous-même ?

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Que le cœur de ceux qui cherchent le Seigneur se réjouisse. Cherchez le Seigneur, et soyez fortifiés ; cherchez toujours sa divine présence. (Ps. 16.)

Cherchez le Seigneur pendant que vous pouvez le trouver invoquez-Le pendant qu’il est proche de vous. (Isaïe, 55.)

Seigneur, apprenez-moi à vous chercher, et montrez-vous mon âme, parce que je ne puis vous chercher que vous ne me l’enseigniez, ni vous trouver que vous ne vous montriez à moi. (S. Augustin.)

On cherche Dieu pour avoir le plaisir de le trouver, et on le trouve pour le chercher ensuite avec plus d’avidité. (S. Augustin.)

Prière

Accordez-nous, Seigneur tout-puissant, les lumières et l’ardeur dont nous avons besoin pour vous rechercher en toutes choses et dans tous les moments de notre vie, en marchant toujours dans les sentiers de la justice et de la charité, afin que, pendant que nous affligeons notre chair par la pénitence que vous nous avez prescrite dans ce saint temps, et nos esprits et nos cœurs par le retranchement des pensées et des désirs que vous nous défendez, ce double jeûne de l’âme et du corps nous rende plus propres à. vous chercher, et plus dignes de vous trouver et de voir votre face adorable dans le ciel. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ.

Point de la Passion

Fuite des Apôtres

Tous les Apôtres, ayant abandonné Jésus-Christ, prirent la fuite. Le bruit des armes, auquel ils étaient peu accoutumés, la crainte du péril, la frayeur de la mort, l’emportèrent sur la fidélité qu’ils devaient à leur divin Maître, quoiqu’ils la lui eussent jurée solennellement ; ils Le laissèrent entre les mains de ses ennemis, et ils se retirèrent. Quelle douleur pour le cœur de Jésus-Christ !

En effet, comme rien n’est plus agréable à un bon maître que d’être généreusement soutenu de ses disciples, et de pouvoir compter sur leur fidélité, rien aussi ne lui est plus sensible que d’en être abandonné dans les occasions périlleuses où il y va de ses biens, de son honneur et de sa vie.

Ah ! s’il y a jamais eu un maître qui ait mérité d’être généreusement servi, c’est Jésus-Christ ; et si un bon maître a été lâchement abandonné des siens, c’est encore Jésus- Christ : lâcheté d’autant moins supportable à ce Dieu souffrant, que, pour inspirer du courage à ses Apôtres, il les avait félicités quelques heures auparavant sur la fidélité qu’ils lui avaient marquée depuis trois ans qu’il était persécuté des Juifs, malgré les grâces et les faveurs singulières qu’il leur faisait tous les jours. C’est vous, leur dit tendrement ce Sauveur, qui avez demeuré constamment avec moi dans toutes les souffrances que j’ai endurées. Et à ces paroles obligeantes il ajoute ces promesses, capables de donner du cœur au plus lâche : Et je vous prépare, dit-il, pour récompense de votre fidélité, un royaume qui est le même que celui que mon Père céleste m’a donné.

Quel triste et quel douloureux contretemps, ô mon Dieu ! Faut-il que ceux à qui vous préparez des couronnes immortelles vous manquent de fidélité ! que le moindre péril les mette en fuite, et que des Apôtres, élevés à votre école, confidents de vos secrets, témoins de vos prodiges, persuadés de votre filiation divine, et destinés à affronter les tyrans, les supplices affreux et la mort la plus cruelle, manquent de courage, malgré vos tendres sollicitations et les protestations authentiques qu’ils venaient de faire !

Nous condamnons ici les Apôtres dans leur fuite ; elle est, en effet, honteuse et inexcusable. Nous compatissons à la douleur sensible qu’en ressentit le cœur de Jésus-Christ ; il faudrait être dépourvu de sentiment et de religion pour ne le pas faire. Mais prenons garde que nous ne nous condamnions nous-mêmes. En effet, imitateurs de ces lâches disciples, nous fuyons tous les jours cet adorable Sauveur, quoiqu’il nous comble de grâces et de faveurs, et que nous promettions de lui être fidèles pour mériter l’exécution de ses divines promesses. Il semble que nos paroles et nos mains soient de différente religion. Nos paroles sont chrétiennes et religieuses, et elles prennent son parti avant que nous soyons dans l’occasion de le lui marquer par nos œuvres, pendant que nos mains ne travaillent que pour le monde. Nous suivons Jésus-Christ par de belles paroles, par des promesses, par des protestations brillantes, que nous croyons sincères dans le moment que nous les faisons ; et nous les violons tous les jours par des actions contraires, en fuyant quand il faut combattre pour sa gloire et soutenir ses intérêts. Quand il faut suivre sa vie cachée et souffrante, nous prenons honteusement la fuite. La moindre appréhension de travail ou de combat nous fait connaître à nous-mêmes tels que nous sommes dans le fond de notre cœur. Pour bien suivre Jésus-Christ, il faut le suivre sur le Calvaire aussi bien que sur le Thabor, et il le faut suivre de la voix, de l’esprit, du cœur et des mains.

MARDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de Vie cachée

Pratique

Faites-vous dès le matin une pratique exacte et une application sérieuse d’imiter Jésus-Christ dans sa vie cachée. Protestez-lui dès le matin que vous ne voulez que ses yeux seuls pour témoins de vos bonnes œuvres et, aujourd’hui et dans tout le reste de votre vie, cachez-vous aux yeux d’autrui. Cherchez la solitude comme Jésus- Christ l’a cherchée lui-même, de peur que la vanité, le respect humain et le désir de plaire aux créatures n’emportent tout le mérite de ce que vous ferez de bien, et que vous n’ayez pour toute récompense que l’estime des hommes. Veillez avec application sur vos sens extérieurs et intérieurs ; fuyez les compagnies, et prenez un grand soin de purifier et de diriger votre intention vers Dieu seul.

Méditation sur la vie cachée

Ie POINT. — Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. (S. Matth., 3.)

Remarquez que l’hypocrite pharisien se montre avec ostentation, tandis que l’humble chrétien se cache avec soin, qu’il étudie cette vie cachée, et qu’il n’est jamais plus content de lui-même que quand il n’a eu que les yeux de Dieu pour témoins de la bonne action qu’il vient de faire, parce qu’il n’a eu que lui seul en vue.

Demandez-vous à vous-même pour qui vous travaillez quand vous priez, quand vous jeûnez et quand vous faites l’aumône. Si c’est pour les hommes, montrez-vous aux hommes ; si c’est pour Dieu, ne vous montrez qu’à Dieu. Quelle récompense peut-on attendre de la créature ? Elle ne peut donner que quelque louange passagère qui flatte l’oreille, qui éblouit l’esprit, qui gâte le cœur et qui tient lieu de tout salaire qu’on ne peut plus espérer de Dieu. Quelle folie de travailler pour elle, et de vendre le royaume céleste, dit un Père, pour la fumée d’une louange passagère ! Quel injuste et quel ruineux commerce de donner l’un pour l’autre, et l’or pour la paille !

Appliquez-vous à démêler d’où vient l’ostentation, pour la combattre dans son principe. C’est sûrement l’orgueil, comme l’humilité est le principe de la vie cachée. Humiliez-vous comme Jésus-Christ vous le prescrit aujourd’hui dans l’Évangile, et vous n’aurez pas de peine à embrasser la vie cachée. Persuadez-vous que vous n’êtes rien et que vous ne méritez rien, que vous n’avez rien de vous-même, et qu’un pur néant ne doit point avoir de tentation de se montrer. Humiliez-vous comme Jésus-Christ qui se cachait pour prier loin du commerce des hommes – tantôt à la faveur des ténèbres de la nuit, tantôt dans les déserts, tantôt sur des montagnes écartées – et qui prenait un grand soin d’imposer silence à ses disciples qui l’avaient vu faire quelque action d’éclat. Suivez ses traces, cachez toutes vos bonnes œuvres ; il n’y a que la vie cachée qui les mette en sûreté.

Rendez-vous justice. Que pouvez-vous étaler aux yeux des hommes ? Ou des vices ou des vertus. On n’est point tenté, pour l’ordinaire, de montrer ses faiblesses. La justice et l’amour-propre nous engagent à les cacher : la justice, de peur qu’elles ne scandalisent ; et l’amour-propre, de peur qu’elles ne nous attirent le blâme et le mépris. Voulez-vous faire parade de vos vertus ? Quelle injustice ! Ces vertus viennent-elles de vous ? C’est un bien qui ne vous appartient pas ; il est à Dieu, il est à sa grâce, et vous y avez très peu de part ; il n’y a que le péché qui vienne de vous seul ; cachez donc vos vertus avec autant de soin que vous cachez vos vices.

Si vous voulez vous faire valoir devant les hommes, elles ne seront plus que de fausses vertus et de véritables péchés ; et loin d’en espérer la récompense, vous devez en craindre le châtiment.

IIe POINT. – Les pharisiens aiment les premières places dans les repas, les premières chaires dans les synagogues, et ils cherchent à être salués de tout le monde dans les places publiques.

Faites attention que l’orgueil, qui nous fait sortir de la vie cachée pour nous produire aux yeux des hommes, nous fait aussi aimer le monde et tous les honneurs du monde, et que cet amour du monde est la marque la plus évidente de la réprobation, selon le témoignage de Jésus-Christ même. Mais quand on aime la solitude et la vie cachée, on aime aussi, dit saint Bernard, ce qui s’y trouve, et c’est Jésus-Christ. Cet amour est la marque la plus certaine de la prédestination.

Examinez soigneusement quel obstacle s’oppose chez vous à cette vie cachée. L’obstacle est-il une délicatesse et une lâcheté à soutenir et à combattre les dégoûts et les ennuis qui s’y rencontrent ? N’est-ce point parce que vous ne vous êtes point encore appliqué à la vie intérieure ? Cet obstacle est-il une vivacité et une légèreté naturelle qui ne peut demeurer tranquille et que vous n’avez point encore fixée, parce que vous ne l’avez point encore combattue à fond, comme vous auriez pu et comme vous auriez dû le faire ? L’obstacle est-il une curiosité indiscrète qui vous porte à savoir ce qui se passe dans le monde, à rentrer dans ses nouvelles et ses intrigues, auxquelles vous devriez avoir renoncé ? Revenez de ces égarements, surmontez ces obstacles, prenez une généreuse résolution. Embrassez la vie cachée, d’abord par un principe de justice, et ensuite par un esprit de pénitence. Ce que vous aurez ainsi commencé, en soutenant quelques combats, se terminera bientôt par l’amour. Vous aimerez cette vie cachée, vous y trouverez le centre de vos délices et le comble de votre gloire, parce qu’elle vous conduira à la perfection de l’état que vous aurez embrassé.

Dites-vous à vous-même : Je dois me cacher par justice, parce qu’ayant offensé mon Dieu, je ne mérite pas de paraître. Je dois me cacher parce que je ne gagnerai rien, et que je perdrai tout à me montrer. Je dois me cacher parce que je suis si faible et si imparfait, qu’il est impossible que je n’offense Dieu quand je serai exposé, et que je ne scandalise mon prochain. Je dois me cacher par précaution parce que je tombe à la moindre occasion, parce que je n’ai pas assez de vertu pour conserver mon innocence dans le monde, et que je n’en rapporterai que la dissipation. Je dois me cacher parce que j’ai beaucoup de vertus à acquérir, et que je ne puis les acquérir que dans la retraite.

Dans cette vie cachée, je dois lire, prier, méditer, m’occuper de mon Dieu, vaincre toutes les tentations d’inconstance, d’ennui, de légèreté, de découragement et de curiosité. Si je l’embrasse avec ces motifs, j’y trouverai mon Dieu, et il me soutiendra contre mes ennemis et contre moi-même.

Sentiments

Qu’avez-vous rapporté, ô mon âme, de la conversation et de la compagnie des créatures ? Le goût du monde, de son esprit, de ses nouvelles, de ses amusements et de ses manières, et la pente au relâchement, qui nous ont fait perdre le goût de Dieu, l’esprit d’oraison et de recueillement. Qu’avez-vous gagné à vous produire dans le monde ? Des péchés que vous n’aviez pas auparavant. Vous y avez peut-être perdu la charité du prochain et d’autres vertus que vous aviez acquises dans la solitude. Ces vertus, vous les avez exposées aux voleurs qui vous ont ravi ce précieux trésor ; et le vent de l’amour-propre les a emportées au premier souffle.

Cachez-vous donc dorénavant, c’est le parti le plus sûr. Vous perdrez tout et vous ne gagnerez rien avec le monde ; au contraire, vous gagnerez tout et vous ne perdrez rien dans la vie cachée, parce que vous y serez toujours dans la compagnie de Dieu. Allez plus loin, cachez-vous encore à vous-même, de peur que vous ne donniez dans le piège de la vanité, et que vous ne fassiez avec complaisance quelque fâcheux retour sur vous-même qui vous fasse perdre le mérite de ce que vous faites pour Dieu.

Adorable Sauveur, divin solitaire, donnez-moi du goût pour la vie cachée que vous avez pratiquée vous-même durant trente années, vous qui n’aviez ni vanité ni amour-propre à craindre ; donnez-moi assez de force et de grandeur d’âme pour tenir tous les hommes quittes de leurs regards, de leur estime et de leurs vains applaudissements ; mais donnez-moi aussi vos lumières, vos grâces, votre onction, pour m’occuper facilement de vous seul dans ma vie cachée, et pour trouver en vous toute ma félicité.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Lorsque vous voulez prier, entrez dans votre chambre, et la porte fermée, priez votre Père dans le secret ; et votre Père, qui vous voit dans le secret, vous en rendra la récompense. (S. Matth., 6)

Vous êtes mort, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. (Épît. aux Col., 3,)

O sainte âme, soyez seule pour vous conserver au seul Seigneur que vous avez choisi ; fuyez les compagnies, retirez-vous de vos plus intimes amis pour vaquer à Dieu seul. (S. Bernard.)

Dans la vie cachée, vous vous délivrez de trois combats et de trois dangereux ennemis qui vous font commettre bien des péchés : de vos yeux, de vos oreilles et de votre langue. (S. Éphrem.)

Prière

Perfectionnez en nous, Seigneur tout-puissant, par votre grâce et par votre infinie bonté, les observances et les jeûnes que vous nous avez prescrits dans ce saint temps de pénitence. Éloignez de nous toute lâcheté et tout respect humain ; donnez-nous une ferveur toujours nouvelle, une intention pure et une attention exacte pour ne rien faire que pour vous seul. Vos lois divines nous ont suffisamment fait connaître ce que vous exigez de nous pour expier nos péchés, et pour travailler efficacement à notre sanctification ; éclairez-nous, fortifiez-nous, opérez vous-même en nous la volonté et l’acte, afin que nos œuvres soient pleines et dignes d’une récompense éternelle. Nous vous en prions par les mérites, de Jésus-Christ votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus-Christ lié et conduit aux tribunaux

Les Apôtres qui, par devoir et pour satisfaire à leurs promesses, devaient défendre leur adorable maître jusqu’à l’effusion de leur sang, et qui, en mourant alors pour lui, auraient acquis une gloire immortelle, ne firent cependant qu’une faible résistance lorsque les Juifs prirent Jésus-Christ dans le Jardin des Oliviers. Le Sauveur le permit ainsi parce qu’il voulait être un homme entièrement livré à la douleur et que, abandonné de son Père, il voulait l’être encore de ceux qui étaient les plus intéressés à sa défense et qui lui avaient marqué le plus de tendresse. D’ailleurs, il voulait nous faire connaître à nous-mêmes et nous faire sentir notre propre faiblesse, et le peu de solidité de nos promesses et de nos plus généreuses protestations.

Pierre seul tira l’épée dont il frappa un valet ; mais Jésus, qui voulait mourir pour nôtre salut, guérit miraculeusement celui que cet Apôtre avait blessé. Cette action de charité à l’égard d’un ennemi aurait dû changer le cœur de tous les soldats, et d’infidèles qu’ils étaient les changer en amis, en défenseurs et en adorateurs de sa divinité, dont il venait de donner une preuve si publique et si certaine. Mais, parce qu’ils avaient l’esprit aveuglé et le cœur endurci, ils ne profitèrent pas de ce miracle : la malice et la fureur prévalurent. Ils se jetèrent impétueusement sur le Sauveur, ils le poussèrent, ils le frappèrent, ils le lièrent de cordes, et le traitèrent comme le plus scélérat de tous les hommes.

Ce divin Sauveur, qui avait fait dire autrefois par un de ses prophètes qu’il nous attirerait à lui par des liens de tendresse et d’amour, fut alors cruellement serré avec des cordes, comme un infâme digne des derniers supplices. Quel triste et quel touchant spectacle ! Un Dieu tout-puissant lié avec la dernière cruauté par ses propres créatures, lui qui délie toujours avec bonté les criminels et les captifs qui ont recours à Lui ! Un Messie, un Sauveur, un Souverain du ciel et de la terre, traîné sans ménagements par une troupe insolente, depuis le jardin des Oliviers jusqu’à la maison de ses juges, traîné tout le long du chemin par des soldats qui vomissaient des injures, des imprécations et des blasphèmes contre lui, et qui lui faisaient mille outrages. Il souffrait tout avec patience et offrait tout à son Père céleste pour tous les hommes, sans excepter ses propres bourreaux, pour obtenir qu’ils ne fussent pas eux-mêmes traînés dans les enfers par les démons.

Considérez Jésus-Christ dans ce triste état. Il souffre en héros divin les ignominies les plus honteuses pour nous acheter les honneurs éternels, il sacrifie sa liberté pour nous procurer par ses liens l’heureuse liberté des enfants de Dieu, il souffre enfin les fatigues et les rigueurs inouïes d’un voyage si pénible et si rigoureux pendant les ténèbres de la nuit, pour nous procurer un repos agréable dans l’autre vie. Pensons-y sérieusement, et profitons d’un si grand bienfait.

MERCREDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour d’Humilité

Pratique

Ne laissez échapper aujourd’hui aucune pensée, aucun sentiment, aucun geste, aucune parole ni aucune action d’orgueil et de vanité. Étudiez-vous, au contraire, à l’humilité d’esprit, en pensant et en vous persuadant vous-même que vous n’êtes rien ; à l’humilité de cœur, en sentant votre bassesse et vos misères ; à l’humilité des paroles, en avouant vos faiblesses, et en ne parlant de vous-même qu’avec mépris ; à l’humilité d’action, en choisissant toujours le plus bas et le plus ravalé pour vous. Humiliez-vous devant votre prochain ; soyez petit à vos yeux, et agissez conséquemment. Mais pour le faire avec plus de succès, ayez toujours devant les yeux Jésus-Christ, qui s’est humilié jusqu’à la mort. Songez aux terribles châtiments dont il menace les orgueilleux, et aux récompenses glorieuses a promises aux humbles.

Méditation sur l’humilité

Ie POINT. — Ordonnez, Seigneur, que mes deux fils que voici soient assis dans votre royaume, l’un à votre droite et l’autre à votre gauche. (S. Matth., 20.)

Il n’est rien de si opposé à la vertu dont Dieu ne se serve, quand il lui plaît, pour insinuer la vertu même. Il souffre aujourd’hui qu’une mère ambitieuse lui demande des places d’honneur pour ses deux enfants ; et de là il prend occasion de l’inviter à pratiquer l’humilité. Il commence par adresser une leçon à cette femme, en disant : Vous ne savez pas ce que vous demandez ; pour faire entendre à ses disciples, qui étaient présents, qu’on ne peut être admis dans le royaume du ciel que quand en a la véritable humilité dans le cœur, et que l’ambition est seule capable de nous en exclure, parce que Dieu a toujours regardé les superbes comme ses ennemis, et qu’il ne donne sa grâce qu’aux humbles.

Remarquez, en second lieu, que Jésus-Christ répond à cette demande par une prédiction sanglante, en proposant à Jean et à Jacques de boire le calice qu’il boira, pour nous faire entendre qu’un orgueilleux ne doit s’attendre qu’à des humiliations et à des souffrances. Il essuiera toujours des chagrins de ceux avec lesquels il sera en société. Comme il puise du fonds de son orgueil de quoi mépriser les autres, il sera toujours méprisé : insupportable par ses airs de fausse grandeur, on le traversera, on le fuira, on humiliera sa fierté, on abaissera son orgueil ; et peut-être n’en deviendra-t-il pas plus humble.

Dieu, qui est infiniment juste, permet toutes ces contradictions et toutes ces amertumes, parce qu’il veut ou le guérir ou le confondre ; et si elles ne guérissent pas son orgueil, elles seront de tristes préludes des humiliations et des souffrances éternelles qui lui sont préparées : parce que, selon cet oracle que Jésus-Christ a prononcé tant de fois, celui qui s’élève sera infailliblement abaissé. Cet arrêt est prononcé de la bouche de ce juste juge. Gravez-le profondément dans votre cœur, comme un précieux mémorial, pour réprimer toutes les saillies d’orgueil, quand vous sentirez qu’elles commencent à s’élever dans votre âme.

Étudiez-vous vous-même avec tant d’attention sur cet article important, que vous connaissiez à fond tous les mouvements, tous les désirs, tous les sentiments, toutes les vues et toutes les démarches que l’orgueil vous fait faire. Ayez-les en horreur, corrigez-les. Réformez les pensées que ce péché vous inspire, les projets qu’il enfante, les paroles de vanité et d’ostentation qu’il vous fait prononcer ; réformez jusqu’au ton de votre voix. Cette application est digne d’un chrétien qui a Jésus-Christ pour modèle, et qui veut mériter la récompense promise aux humbles.

IIe POINT. — Jésus appela ses disciples, et leur dit : Quiconque d’entre vous voudra être le plus grand, doit être le serviteur de tous, pour imiter le Fils de l’homme, qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir.

La contestation des Apôtres doit nous faire trembler, et nous faire comprendre que si les saints ne sont pas exempts de sentiments d’orgueil et de disputes basses et puériles, nous n’en sommes pas exempts nous-mêmes, et que nous devons être incessamment en garde contre ces dangereuses saillies. Pour nous y engager, écoutons Jésus-Christ, qui nous donne aujourd’hui une admirable leçon d’humilité dans la comparaison de deux puissances qui exercent bien différemment leur autorité sur ceux qui leur sont soumis. Les rois des gentils, dit cet humble Sauveur, dominent avec empire sur leurs sujets : et je ne prétends pas qu’il en soit de même entre vous ; mais il faut que celui qui voudra être le plus grand entre vous soit le serviteur des autres. Après cette comparaison sensible, pour régler leur gouvernement de manière à conserver toujours l’humilité, il soutient cette céleste doctrine par un exemple, en se proposant lui-même pour modèle d’une humilité parfaite, quand il ajoute ces paroles : Comme le Fils de l’homme, qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs.

Êtudiez cette doctrine, suivez cet exemple, et examinez- vous sur l’un et l’autre. Que pensez-vous de vous-même ? Que pensez-vous d’autrui ? Êtes-vous bien persuadé que vous n’êtes rien ? Travaillez à vous bien connaître ; écartez l’amour-propre de cet examen : c’est un aveugle qui vous cache ses défauts, et qui vous donnera toujours pour meilleur que vous n’êtes. Si vous l’écoutez, vous vous estimerez bientôt au-dessus de votre juste valeur ; et si vous voulez ne pas vous tromper, pensez toujours de vous au-dessous de ce que vous croyez être, et de votre prochain au-dessus de ce que vous voyez en lui ; c’est ce qui vous conduira à la véritable humilité d’esprit.

Examinez encore les sentiments de votre cœur. Ne forme-t-il point des désirs pour les premières places ? Ne croit-il pas les mériter mieux que les autres ? Ne sentez-vous point quelque émotion secrète quand on loue votre prochain, et quand on le préfère à vous ? Quel soin prenez- vous de réprimer ces sentiments, qui sont les productions de l’orgueil ?

Examinez les paroles de votre bouche. Ne parlez-vous point trop de vous-même ? N’engagez-vous pas les autres à faire attention à ce que vous croyez valoir quand vous vous louez vous-même, ou quand même, par une fausse humilité, vous parlez de vos faiblesses ? Voilà la matière d’un sérieux examen. Après l’avoir fait, pensez aux humbles paroles que Jésus-Christ dit de lui-même quand il se déclare le serviteur de tous. Un Dieu réduit par amour à la condition de serviteur, quel exemple ! Un serviteur superbe qui veut mettre tout le monde à ses pieds, quel monstre ! Ah ! si l’humilité d’un Dieu sauveur ne guérit pas notre orgueil, il n’y a plus de remède.

Sentiments

Quelles profitables leçons et quel admirable exemple d’humilié me donnez-vous, ô mon adorable Sauveur ! Mais avec quel aveuglement mon esprit a-t-il refusé d’entendre vos divines leçons, et avec quel orgueil insupportable mon cœur s’est-il révolté contre ces grands exemples ! Ma religion m’apprend que c’est vous qui me parlez et qui m’ordonnez d’être humble, si je veux me rendre digne d’être éternellement heureux dans le ciel, et qui me menacez des feux éternels de l’enfer, si je suis orgueilleux, Je le sais, Seigneur, j’en conviens, j’en suis persuadé ; cependant je ne suis touché ni de vos avantageuses promesses, ni intimidé par vos épouvantables menaces, comme si elles s’adressaient à d’autres que moi.

Vous m’apprenez l’humilité non seulement par vos paroles, Mais encore par vos actions, Je vous vois, tantôt dans une étable, au milieu des animaux ; tantôt comme un enfant exilé, banni dans un pays barbare et au milieu des idolâtres ; tantôt dans l’obéissance et la soumission à l’égard de vos parents, qui étaient vos créatures ; tantôt à genoux aux pieds d’un traître pour lui laver les pieds ; tantôt injurié, méprisé et outragé par des scélérats : Vous, Seigneur, qui êtes la grandeur même parce que Vous êtes Dieu ! Et moi, qui ne suis qu’une vile créature et un indigne pécheur, qui ne mérite que des humiliations et des mépris, je ne puis souffrir le moindre abaissement ! je me révolte dès qu’on m’humilie, et il n’est rien que je ne mette en usage pour m’élever au-dessus des autres.

Domptez mon orgueil, ô mon Dieu, et apprenez-moi à le dompter moi-même. Éclairez mon esprit pour le convaincre que je ne suis rien. Que mon cœur le sente, et qu’il ne se révolte jamais que ma bouche parle, et que mes mains agissent de manière que toutes mes paroles et toutes mes actions portent un témoignage authentique de la sincère humilité de mon esprit et de mon cœur.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Dieu résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles, (Épît. de S. Jacques, 4,)

Celui qui s’humiliera sera élevé, et celui qui s’élèvera sera humilié. (S. Matth., 23.)

La juste mesure de votre grandeur est celle de votre humilité ; celle de votre vraie bassesse est celle de votre orgueil. (S. Augustin.)

I1 y a une humilité qui procède de la seule vérité, et elle n’est pas parfaite, parce qu’elle n’est pas ardente, mais il y a une humilité qui est formée par la charité et qui embrase le cœur. La première n’est que dans l’esprit, l’autre est dans l’esprit et dans le cœur, c’est l’humilité parfaite. (S. Bernard.)

Prière

Jetez un regard favorable, Seigneur tout-puissant, sur votre peuple humilié, qui implore avec ardeur votre divine miséricorde, pendant qu’il fait tous ses efforts pour apaiser votre justice. Ouvrez-lui les yeux de l’âme, pour lui faire connaître ses misères, sa bassesse, son néant, et votre grandeur infinie. Ouvrez-lui ceux du cœur, pour lui faire sentir qu’il n’est rien, qu’il ne mérite rien, qu’il ne peut rien sans vous ; pour lui faire embrasser par amour la véritable humilité que vous lui avez enseignée, et dont vous lui avez donné l’exemple, depuis votre crèche jusqu’au tombeau. Ouvrez-lui encore votre propre cœur pour y puiser les motifs de cette parfaite humilité dont il est le modèle. Accordez-lui aussi la grâce de sanctifier ses abstinences et ses jeûnes, afin qu’en humiliant et mortifiant sa chair, il puisse purifier son âme et en retrancher tous les vices. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils.

Point de la Passion

Jésus au tribunal d’Anne

Conduire Jésus-Christ au tribunal, et à un tribunal composé de scélérats et d’un juge impie et passionné ! Conduire le souverain juge des vivants et des morts devant ses propres créatures, pour être interrogé, jugé et condamné à mort comme un coupable, Lui devant le tribunal duquel les hommes et tous les plus puissants monarques de la terre paraîtront en posture de criminels, pour entendre de sa bouche un arrêt irrévocable de vie ou de mort ! quelle affreuse injustice et quel énorme attentat !

Jésus, fatigué de ce douloureux voyage, dans lequel il avait été si cruellement outragé, entra chez Anne, où les prêtres et les pharisiens, tous avides de son sang, étaient assemblés, et l’attendaient avec impatience pour contenter leur furieuse envie et pour lui commencer son procès.

Entrez-y vous-même en esprit avec cet adorable Sauveur. Voyez ce conseil de cruels ennemis, tous conspirant la perte de Celui qui venait donner son âme et son sang pour les sauver ; tous assis, et le regardant avec mépris, comme un homme de néant, comme un faux prophète, comme un séducteur ; et avec haine et indignation, comme un dangereux ennemi, dont le mérite avait effacé le leur qui avait démasqué leur hypocrisie, et condamné leur orgueil et leur libertinage secret par la sainteté de sa vie et par la pureté de sa morale : voilà ce qui leur rendait Jésus-Christ odieux à l’excès. Ses prédications, son zèle, sa sainteté, ses miracles éclatants, sa charité et les applaudissements des peuples : voilà la seule cause de tous les outrages qu’on est résolu de lui faire, des supplices cruels qu’il va endurer, et de la mort infâme à laquelle on va le condamner ; les autres accusations n’en seront que le prétexte, pour pallier leur injustice, leur envie, leur haine et leur fureur.

Retirez vos yeux de dessus ces juges abominables pour regarder attentivement Jésus seul au milieu d’eux. Il est debout comme un criminel ; ses yeux sont baissés par modestie ; ses mains sont liées de cordes ; la tristesse est peinte sur tout son visage ; sa bouche garde le silence, son esprit est accablé de peine, et son cœur est percé d’une vive douleur. Il va répondre, il va souffrir à notre place tout ce que nous avons mérité de souffrir. Ne perdons pas une seule de ses paroles ; suivons avec une attention compatissante toutes ses douloureuses démarches : nous y sommes assez intéressés, puisque c’est un Dieu et un Sauveur qui va souffrir pour nous.

On l’interroge d’abord sur ses disciples, et il ne répond rien, parce que la crainte de la mort les avait honteusement dispersés, et qu’ils avaient alors perdu leur foi et leur amour. On l’interroge sur sa doctrine, qui était toute divine, et qui avait été autorisée par son Père céleste ; et il répond avec modestie et avec fermeté qu’il n’avait point enseigné en cachette, mais dans la synagogue et dans le temple, en présence de tout le monde, et qu’ils pouvaient interroger eux-mêmes ses auditeurs. Il apportait la preuve la plus évidente de sa bonne doctrine, puisqu’elle était tirée de sa publicité ; bien différente de la mauvaise, qui ne se débite qu’en secret, pour mieux séduire sans s’attirer des reproches publics. Voilà la réponse sage et prudente de Jésus, qui lui attira cependant le dernier des outrages. C’est ainsi que la vérité, quoique publiée avec modestie, loin de triompher des cœurs rebelles, ne produit souvent que de la haine, quoiqu’elle ne parte que d’une bouche sainte.

JEUDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de Frayeur

Pratique

Descendez aujourd’hui tout viyant, en esprit dans l’enfer, et descendez-y à toutes les heures du jour ; c’est le moyen le plus sûr pour n’y pas descendre après votre mort. Accompagnez cette pratique et ces réflexions de foi, de frayeur et de tremblement. Pensez souvent aux différents supplices que les damnés y endurent ; aux feux dévorants qui les brûlent et qui ne s’éteindront jamais ; à la compagnie épouvantable des démons qui les tourmentent ; aux cris et aux hurlements effroyables qu’ils entendent et qu’ils poussent eux-mêmes ; aux regrets inutiles et désespérés qui les agitait et qui les déchirent ; au ver de la conscience qui les ronge, et qui ne mourra jamais ; à l’éternité des peines, et surtout à la privation de Dieu, qui est le plus insupportable de tous les supplices. Portez cette pensée partout ; craignez, souffrez, réparez, priez pour éviter ce malheur.

Méditation sur l’enfer

Ier POINT. — Le riche est mort, dit Jésus-Christ, et il a été enseveli dans l’enfer. (Saint Luc, 16.)

Pensez avec frayeur à l’affreux supplice du mauvais riche, qui sera celui d’une âme qui sortira de ce monde avec un péché mortel. Il était riche, et l’Évangile ne l’accuse pas d’avoir mal acquis ses richesses, mais seulement d’avoir été dur aux pauvres, comme le sont presque tous les riches, qui auront par conséquent le même sort. Il était vêtu superbement, comme le sont tous les mondains ; sa table était magnifique, comme celle de tous les riches ; et on ne l’accuse point d’autres crimes. Cependant il souffre des supplices très cruels ; il brûle et il brûlera tant que Dieu sera Dieu. Qu’on bâtisse sur la terre un tombeau magnifique et somptueux à son corps, son âme n’en aura pas d’autre que l’enfer, où elle attendra son corps après le jugement, pendant que Lazare, mendiant durant sa vie, et tout couvert d’ulcères, jouira de la gloire et des délices éternelles dans le sein d’Abraham.Quel sujet de réflexion et quel motif de frayeur

 Écoutez avec tremblement ce riche damné qui, du fond de l’enfer, crie d’une voix lamentable et désespérée qu’il souffre cruellement dans les flammes ; qui demande une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue, et qu’il n’obtiendra pas. En l’écoutant, considérez ce qu’il endure. Peut-être n’avez-vous jamais bien pensé à la cruelle activité des feux de l’enfer. Pensez d’abord à l’ardeur de celui qui brille dans nos foyers, qu’on regarde comme le plus cruel de tous les supplices, et qui l’est en effet ; il n’est qu’une faible peinture de celui de l’enfer. Joignez à cette réflexion l’extrême sensibilité de notre chair, et ce qu’elle souffre à la moindre impression du feu : sera-t-elle à l’épreuve de celui de l’enfer ? Que ne devez-vous donc pas faire pour vous en préserver !

Nos feux sont accompagnés de quelque lumière : celui de l’enfer ne produit qu’une triste lueur pour découvrir des spectres épouvantables. Nos feux peuvent s’éteindre, et ils cessent de brûler dès qu’on leur soustrait les matières combustibles : celui de l’enfer ne s’éteindra jamais, et Dieu a tant d’horreur pour le péché, qu’il fera un miracle éternel pour soutenir son ardeur.

Voilà le sépulcre éternel du mauvais riche. Il était habillé de pourpre, il est environné de flammes ; il habitait un superbe palais, il n’aura point d’autre demeure que cet abîme de feu. Voilà ce que nous attire un seul péché mortel : quel sujet de frayeur et de précautions !

IIe POINT. — Le mauvais riche, au milieu de ces tourments, leva les yeux. Il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein, et il s’écria : Père Abraham, ayez pitié de moi, parce que je souffre cruellement dans ces flammes.

Quelle triste situation ! quelle voix lamentable ! quel cri perçant et douloureux ! quelle vue insupportable et quelle inutile prière ! Le mauvais riche est au milieu des tourments les plus affreux, lui qui était au milieu des délices, parce qu’étant riche il avait de quoi se les procurer ! Il souffre une faim désespérée, lui qui faisait autant de festins que de repas ! Il brûle, lui qui se donnait avec abondance tous les rafraîchissements que son intempérance demandait ! Il souffre une horrible soif, et il est réduit à demander par grâce une seule goutte d’eau ! Sa langue et son palais, qui n’avaient goûté que les mets les plus exquis, souffrent une sécheresse, une amertume, un feu dévorant, pour punir sa délicatesse ! C’est ainsi, ô mon Dieu, que votre justice adorable punit l’intempérance et les plaisirs de la vie ; et nous n’y pensons pas !

Quelle voix lamentable, et quel cri perçant et douloureux ! l’excès de sa douleur lui arrache la plainte la plus triste ; elle tire du fond de sa poitrine les cris les plus aigus, puisqu’ils se font entendre jusqu’au ciel ; et il méritait bien de n’en pas être écouté, lui qui faisait crier les pauvres après lui, et qui, loin de les écouter et d’en être attendri, aurait cru les trop bien traiter de les mettre au rang de ses chiens, en leur laissant ramasser les miettes qui tombaient de sa table, et qui avait rebuté le pauvre Lazare d’un air impitoyable. C’est ainsi que Dieu punira la dureté de cœur pour les pauvres.

Quelle vue chagrinante et insupportable ! Il voit premièrement Abraham, son juge, qui, loin d’écouter ses prières, l’accable, au contraire, des reproches les plus sensibles. En second lieu, il voit Lazare glorieux, et cette vue lui est aussi dure à supporter que ses propres supplices. Il est plus brûlé, dit un Père, par cette vue que par ses propres flammes, parce que, l’ayant vu revêtu de haillons, il le voit revêtu de gloire, et sur sa tête, au lieu qu’il n’était qu’à ses pieds, et qu’il se voit revêtu et tout environné et pénétré de feux et de flammes, après s’être vu revêtu de pourpre.

Enfin quelle inutile prière ! Il demande à Abraham qu’il ait pitié de lui ; il le demande inutilement, parce que, quand il s’est trouvé dans l’abondance, il n’a pas eu pitié des autres, et qu’il n’a pas écouté favorablement les prières des misérables. C’est ainsi, Seigneur, que je dois m’attendre à être traité, si je ne profite pas de cet exemple si capable d’inspirer de la crainte et de la frayeur.

Sentiments

Écoutez, ô mon âme, un de ces malheureux damnés qui brûlent dans l’enfer. Faites en sorte que ces cris lamentables pénètrent jusqu’aux oreilles de votre cœur, pour éviter d’encourir sa disgrâce. C’est ainsi que saint Augustin le fait parler : Détestable plaisir auquel je me suis livré, faut-il que vous soyez suivi de supplices éternels ! Malheureuse ambition, c’est vous qui m’avez précipité pour toujours dans la plus honteuse de toutes les infamies ! Damnables débauches, festins lugubres, vous me privez pour toujours de la table et de la vue de Dieu ! Richesses fatales, auxquelles je me suis trop attaché, vous m’avez fait perdre le plus précieux de tous les trésors, qui est la jouissance éternelle de mon Dieu ; vous me réduisez dans une déplorable pauvreté ! Compagnies pernicieuses qui me faites perdre celle de Dieu, et qui me procurez la cruelle compagnie des démons et des damnés pendant une éternité tout entière !

O regrets désespérés ! ô justice de mon Dieu ! ô flammes ! ô compagnie des démons ! ô regrets ! que vous êtes déchirants ! mais que vous êtes inutiles ! ô justice de mon Dieu, que vous êtes incompréhensible, mais que vous êtes rigoureuse ! 0 tourments ! que vous êtes cruels et insupportables ! ô éternité, que vous êtes longue ! ô compagnie des démons, que vous êtes affreuse et lassante ! Ah ! Seigneur, si je n’étais frappé d’une juste frayeur à ces terribles vérités, ce serait pour moi un triste présage. Inspirez-la-moi cette frayeur ; pénétrez-en mon âme, sans qu’elle me fasse perdre la confiance que j’ai en vos bontés, puisqu’une goutte de votre sang est capable d’éteindre tous les feux de l’enfer, et que ce sang adorable est à moi. Mais, Seigneur, opérez chez moi, par cette crainte et par cette confiance, soutenues de mes bonnes œuvres, une vraie conversion de mœurs, un sincère attachement à vos divines lois, pour profiter du malheur de ceux qui seront les victimes éternelles de vos vengeances.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. (S. Matth., 23.)

Le Fils de l’homme enverra ses anges ; ils purgeront son royaume de tous les scandaleux et de ceux qui commettent l’iniquité, et ils le jetteront dans la fournaise de feu. (S. Matth., 13.)

Ayez toujours devant les yeux le feu de l’enfer, le sein d’Abraham, la langue du mauvais riche, le doigt du pauvre Lazare, la soif de damné et la goutte d’eau de rafraîchissement. (S. Augustin.)

Vous pensez trop à vos peines, à vos souffrances, à vos douleurs ; vous vous en plaignez. Pensez aux tourments horribles des damnés, et elles vous paraîtront légères. (S. Isidore.)

Prière

Écoutez nos prières et nos vœux, ô Seigneur tout-puissant. Accordez-nous les secours de votre grâce, sans laquelle nous ne pouvons ni mériter le ciel ni éviter l’enfer, afin qu’occupés pendant ce saint temps à fléchir votre divine justice par les jeûnes et par les prières convenables à ces jours de pénitence, de conversion et de grâce, nous soyons heureusement délivrés des ennemis de notre âme et de notre corps, qui nous attaquent pour perdre l’un et l’autre ; et que nous puissions mériter la possession de la gloire que vous nous avez promise, et que Jésus-Christ, votre Fils et notre libérateur, nous a méritée par ses souffrances, par sa mort et par l’effusion de tout son sang. Nous vous en prions par Jésus-Christ, votre Fils.

Point de la Passion

Infidélité de Pierre

Ce fut un grand surcroît de douleur pour Jésus-Christ lorsque, étant enfermé comme un criminel au milieu de ses plus cruels ennemis, qui l’interrogeaient dans le dessein de le perdre, et qui commençaient déjà à l’insulter et à lui marquer leur haine et leur fureur, son premier apôtre, qu’il avait destiné pour paître ses ouailles, pour être le chef de son Église, pour soutenir et pour confirmer tous les autres pasteurs, et qui venait de lui faire tant de protestations de tendresse et de fidélité, le renia par trois fois, disant la première fois à une servante qu’il ne le connaissait pas, le jurant avec serment la seconde fois, et avec imprécation la troisième. Quelle était alors la situation du cœur de Jésus-Christ ? Quelle serait la vôtre, si celui de vos amis qui vous aurait le plus d’obligation, et sur lequel vous compteriez le plus,vous traitait ainsi lorsque vous seriez le plus cruellement persécuté par vos ennemis ? Votre cœur sans doute serait pénétré d’une vive douleur.

En effet, Pierre pouvait-il méconnaître Celui qu’il avait reconnu si publiquement pour le Fils du Dieu vivant ; qui venait de lui donner sa chair à manger et son sang à boire ; qui venait de se mettre si humblement à ses pieds pour les laver ; Celui, dis-je, à qui il venait de dire qu’il mourrait plutôt avec lui que de le renier ? Faiblesse humaine, vous voilà marquée des traits qui vous représentent au naturel. Ah ! Seigneur, que doit-on attendre de nos protestations de courage et de fidélité ? Rien moins que ce qu’elles promettent. Nos plus fermes résolutions ne durent pour l’ordinaire que jusqu’à l’approche de ce qui doit en faire l’épreuve ; le travail nous rebute, le péril nous intimide, notre courage s’abat, notre amour se refroidit, et l’occasion nous fait tomber. Nous promettons à Dieu, dans un intervalle de dévotion sensible, d’abattre tous les monstres qui nous attaqueront ; nous nous applaudissons même par avance sur cette défaite imaginaire ; et la moindre attaque nous désarme, et produit notre faiblesse et notre lâcheté. Nous disons, comme Pierre, que nous sommes prêts à entrer en prison, la mourir pour Jésus-Christ, et à ne l’abandonner jamais ; et souvent une occasion moindre que la voix d’une servante nous fait dire que nous ne le connaissons pas.

Pierre avait trop présumé de son courage sans l’avoir éprouvé ; il fallait qu’il connût sa faiblesse, pour compatir ensuite à celle des autres. Pierre s’était lâchement endormi pendant qu’il fallait prier et veiller pour défendre son divin Maître. Il s’était enfui honteusement à la prise de Jésus-Christ ; il ne l’avait suivi que de loin, et il fallait le suivre de près pour être soutenu de sa grâce. Il était entré témérairement dans la maison du pontife, et s’était trop exposé en s’amusant et en se chauffant avec les domestiques.Voilà les causes de sa chute, et nous y voyons celles de la nôtre.

Mais enfin Jésus-Christ eut pitié de Pierre ; il le regarda d’un œil de miséricorde. Par ce regard il fondit toute la glace de son cœur. Cette pierre qui avait été si facilement ébranlée, parce qu’elle n’avait point encore été mise dans les fondements de l’Église, reprit bientôt une fermeté et une solidité inébranlables, pour en faire part à ses successeurs, et pour soutenir le grand édifice que Jésus-Christ devait bâtir sur elle, édifice contre lequel les portes de l’enfer ne prévaudront jamais. Cette pierre enfin frappée d’une main bien plus puissante que celle de Moïse se fendit, et il en coula des ruisseaux de larmes qui ne tarirent qu’à la mort, où il donna tout son sang, au lieu de larmes.

VENDREDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de bonnes Œuvres

Pratique

Appliquez-vous aujourd’hui à remplir si bien tous les moments de la journée, que vous n’en laissiez aucun vide de bonnes œuvres. Faites souvent cette réflexion, qu’il ne faut qu’un heureux moment pour mériter le ciel, et qu’un malheureux moment pour mériter l’enfer. Soyez vigilant et attentif sur tout ce que vous ferez, et à chaque action demandez-vous à vous-même si vous travaillez pour l’éternité. Étudiez-vous surtout à faire toutes vos bonnes œuvres avec tant de pureté d’intention, qu’elles se trouvent pleines devant Dieu ; et dirigez tellement vos actions les plus indifférentes, que vous les fassiez passer dans un ordre supérieur, en devenant de bonnes œuvres, et dignes par conséquent d’être récompensées dans le ciel.

Méditation sur les bonnes œuvres

Ier POINT. — Il y avait un père de famille, lequel, ayant planté une vigne, l’enferma d’une haie, y mit un pressoir, y bâtit une tour, et, l’ayant louée à des vignerons, s’en alla dans un pays éloigné.

Le père de famille qui plante cette vigne mystérieuse, c’est Jésus-Christ. La terre où il la plante, c’est l’Église. Cette vigne qui lui est si chère et qu’il cultive avec tant de soin, c’est votre âme. La haie dont il l’environne, c’est la crainte de Dieu, ce sont les sacrements, c’est la loi, c’est sa divine parole. Le pressoir qu’il met dans cette vigne, c’est sa passion, c’est son sang adorable, qui purifie nos bonnes actions et qui leur donne tout leur mérite. La tour qu’il y fait bâtir, c’est sa protection, c’est sa grâce, qu’il nous accorde, et qui nous donne la force de nous défendre des ennemis qui pourraient nous attaquer. Mais les fruits qu’il prétend recueillir de cette vigne mystérieuse, ce sont nos bonnes œuvres ; et il a un droit incontestable de les exiger, parce que le fonds lui appartient.

Examinez de quelle manière et avec quel soin vous cultivez cette vigne que Jésus-Christ vous a confiée, quels sont les fruits qu’elle rapporte. N’est-elle point semblable à ces vignes qui ne rapportent que des feuilles ? ou à celles dont l’Écriture parle avec indignation, parce qu’elles ne produisent que des raisins amers et de mauvais goût, indignes d’être présentés au céleste Époux ?

Faites attention que parmi ces vignerons à qui le père de famille a confié sa vigne, il y en a un grand nombre qui l’abandonnent et qui demeurent dans l’oisiveté, à qui le temps est à charge, qui ne cherchent qu’à le perdre et qui sont trop lâches et trop paresseux pour travailler. Ils encourront le châtiment dont Jésus-Christ menace les ouvriers de cette vigne, ou ils seront mis au feu comme le figuier infructueux. Il en est d’autres qui font tout autre chose que ce qu’ils devraient faire ; ils ne travaillent que pour l’enfer, comme s’ils avaient peur qu’il ne leur échappe. Ce sont ceux à qui le Sage fait dire à la mort, et avant d’être précipités dans l’enfer : Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité, de la perdition. Il en est d’autres qui travaillent, mais qui le font sans attention et sans esprit de Dieu : et ce sont ceux-là que le prophète Isaïe compare aux araignées, dont les travaux sont inutiles, et qui ne prennent que des mouches. (Isaïe, 59.) Mais il en est d’autres qui ne sont attentifs qu’à multiplier leurs bonnes œuvres, et à les faire avec toute l’ardeur et toute la pureté d’intention dont ils sont capables ; et ils sont semblables à ce serviteur fidèle que Jésus-Christ fait entrer dans sa joie et dans sa gloire. Prenez-y votre place.

Examinez les actions de votre vie, et même celles d’une seule journée. Comptez d’un côté ce que vous faites pour Dieu, et de l’autre ce que vous faites pour le monde ; les bonnes œuvres que vous faites, celles que vous omettez, le temps que vous employez, et celui que vous perdez, vos pensées inutiles, le temps que vous donnez aux entretiens, aux visites, au sommeil, aux repas, aux récréations. Songez en tremblant qu’il n’y a pas un seul moment où vous ne deviez travailler pour Dieu, parce qu’il n’y en a pas un seul auquel Dieu ne puisse avoir attaché votre salut et vous appeler de cette vie. Dieu a ses temps et ses moments, il nous les a cachés ; employez donc tous ceux que vous pourrez à faire de bonnes œuvres, de peur d’être surpris.

IIe POINT. — Le père de famille fera périr misérablement ces méchants, et il louera sa vigne à d’autres vignerons. Le royaume de Dieu nous sera ôté, et il sera donné à un peuple qui en rendra les fruits.

Tremblons à la terrible menace de ce père de famille, de peur que, n’ayant pas fait assez de bonnes œuvres, ou ne les ayant pas bien faites, il ne nous ôte le temps d’en faire, comme il l’a juré dans un autre endroit ; qu’il ne transporte ailleurs les grâces qu’il nous aurait données si nous lui avions été fidèles, et qu’il ne nous punisse enfin comme ces lâches vignerons.

Cette conduite de Dieu est aussi ancienne que le monde, et elle sera toujours la même. Il avait mis nos premiers parents dans le paradis terrestre ; il leur avait donné l’ordre de travailler, et ils en avaient tout le temps : au lieu de faire de bonnes œuvres dans ce délicieux séjour, ils lui désobéirent et ils l’offensèrent. Il les en chassa par son ange et il leur ôta le temps qu’il leur avait donné : ce temps fut remis dans les trésors du Père céleste. Il est vrai qu’ils travaillèrent dans la suite ; mais leurs travaux furent bien ingrats, et de glorieux qu’ils étaient, ils devinrent la peine de leur péché. Il a fallu que le Verbe divin s’incarnât pour rendre et au temps et aux bonnes œuvres la valeur qu’ils avaient perdue. Nous aurions eu beau faire de bonnes œuvres, elles n’auraient jamais mérité que des récompenses temporelles quel châtiment ! Toutes les actions de cet Homme-Dieu, ses fatigues, ses prédications, ses larmes, ses souffrances, sa mort, nous ont racheté le temps, et ont rendu le mérite à nos bonnes œuvres. Il ne fallait rien moins que la grâce du Rédempteur pour les rendre dignes d’une récompense éternelle. Concevez de là l’injure que vous lui faites et le tort que vous vous faites à vous-même, de perdre un temps si précieux, qui semble ne pas valoir moins que le sang de Jésus-Christ dont il est acheté, quand vous l’employez à autre chose qu’aux bonnes œuvres.

Si nous employons fidèlement notre temps à cultiver la vigne mystique qu’il nous a confiée ; si nous conservons dans son entier cette haie dont il l’a environnée ; si nous la taillons, en en retranchant le superflu ; si nous arrachons les mauvaises herbes aussitôt qu’elles naissent, c’est-à-dire tous les vices, tous les désirs et toutes les attaches profanes, elle portera des fruits abondants : le père de famille nous donnera une récompense bien au-dessus de nos travaux, puisqu’elle sera éternelle, au lieu que nos travaux ne sont que temporels. Mais si, au lieu de la cultiver, nous la négligeons, elle ne portera point de fruits ; nous devons nous attendre à être privés du royaume de Dieu, à périr misérablement, comme nous en sommes menacés dans les vignerons de l’Évangile par la bouche de Jésus-Christ même.

Sentiments

Je puis dire, ô mon Dieu, avec beaucoup plus de sujet que l’épouse des sacrés Cantiques, que je n’ai pas bien gardé ni cultivé ma vigne, qui est mon âme. Vous l’aviez plantée avec tant de soin dans une terre fertile qui est votre Église ; vous l’aviez arrosée avec tant de bonté, non seulement des eaux vivifiantes du baptême, mais encore de tout votre sang ; vous l’aviez fait croître, et vous l’aviez soutenue par votre grâce et par vos sacrements, de peur qu’elle ne tombat et qu’elle ne rampât sur la terre ; vous l’aviez fortifiée par votre divine protection, dont vous l’aviez favorisée ; elle pouvait se défendre de tous ses ennemis ; il ne tenait qu’a moi d’achever ce que vous aviez si bien commencé. Mais, hélas ! j’ai laissé faire une infinité de brèches à la haie dont Vous l’aviez environnée. J’ai mal gardé la tour que vous y aviez bâtie, et les étrangers y sont entrés. Au lieu d’en arracher les mauvaises herbes, j’ai laissé croître ses mauvaises inclinations ; au lieu de la tailler et de retrancher ses attaches, je les ai cultivées ; et elle n’a point porté de fruits dignes de vous être présentés ; car, hélas ! où sont les bonnes œuvres que j’ai pratiquées ? Combien peu ai-je travaillé jusqu’à présent ponr votre gloire et pour mon salut ! et que n’ai-je point fait pour le monde !

Ah ! Seigneur, sans votre divine miséricorde, que j’implore j’aurais lieu de tout craindre de votre justice. Mais, ô mon Dieu ! laissez encore cette vigne en terre, et je vais mettre tous mes soins à la mieux cultiver et à retrancher tout ce qui pourrait l’empêcher de produire de dignes fruits de pénitence. Donnez-m’en la force, augmentez en moi ce désir, et accordez-moi la grâce de persévérer dans la pratique des bonnes envies jusqu’à la mort.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Efforcez-vous de plus en plus d’affermir votre vocation et votre élection par les bonnes œuvres ; car, en agissant ainsi, vous ne pécherez jamais. (Épît. de S. Pierre, 1, 10.)

Comme le corps est mort lorsqu’il est sans âme, ainsi la foi est morte sans les bonnes œuvres. (Épît. de S. Jacques, 2.)

Comme c’est l’intention pure qui fait les bonnes œuvres, c’est aussi la foi qui dirige et qui perfectionne les bonnes œuvres. (S. Augustin.)

Si vous ne voulez pas faire de bonnes œuvres quand vous en avez le temps et quand vous le pouvez, il arrivera, par un juste jugement de Dieu, que vous n’en aurez plus le temps ni la force quand vous le voudrez. (Pierre de Blois.)

Prière

Accordez-nous, Seigneur tout-puissant, votre grâce et votre miséricorde ; purifiez vous-même nos cœurs par le feu de votre divin amour, pendant que nous travaillons à purifier et à macérer nos corps par ces abstinences et par ces jeûnes que vous avez si saintement institués, afin qu’occupés à remplir nos devoirs et à multiplier nos bonnes œuvres, nous puissions parvenir heureusement à ces grandes fêtes auxquelles nous nous préparons ; que nous ne perdions rien des grâces qui y sont attachées, et que nous puissions vous suivre de cœur et d’esprit dans toutes les démarches douloureuses et sanglantes de votre passion ; que nous souffrions, avec vous, que nous mourions à nous-mêmes, pour mieux célébrer votre mort sur le Calvaire, et que nous nous ensevelissions tout vivants avec vous dans votre tombeau, pour participer plus dignement et plus efficacement à votre résurrection glorieuse. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus reçoit un soufflet

Jésus étant au tribunal d’Anne, et lui ayant répondu sur sa doctrine avec une singulière modestie, sa réponse lui attira le dernier des outrages par un ministre de la cruauté de ce détestable juge, qui, sans respecter cette face adorable devant laquelle les anges tremblent, et qu’ils n’osent regarder par respect, et cette bouche divine d’où il n’était sorti que des paroles et des oracles de vie, le frappa insolemment, et lui donna un si rude soufflet, que Jésus-Christ en tomba par terre, dit saint Vincent Ferrier, l’arrosa de quantité de sang, que la violence du coup fit sortir de sa bouche adorable ; de sorte que cette joue divine, meurtrie par cette main parricide, en conserva la cruelle impression, et demeura ainsi toute défigurée jusqu’à sa mort.

Quelle douleur excessive, et quelle affreuse meurtrissure au visage de Jésus-Christ ! Mais cet outrage sanglant était encore bien plus sensible à son cœur ! Un Souverain, un Créateur, un Sauveur, un Dieu frappé à la joue par la main d’un infâme valet ! Cœur de mon Jésus, en quelle pitoyable situation étiez-vous ! Je ne crois pas que vous ayez souffert rien de plus sensible et de plus humiliant dans tout le cours de votre passion. Vous sentîtes cet outrage, qui était d’autant plus indigne qu’il vous était fait en public et contre toute sorte de droit. En effet, dans une justice réglée, où l’envie, la haine, la fureur et l’impiété ne domineraient pas, on ne souffrirait pas qu’on traitât ainsi le plus infâme de tous les scélérats, quelque supplice qu’il eût mérité. Mais on ne garde ici aucune règle ; un valet frappe sans qu’on le lui commande, et on le souffre, au lieu de le punir dans le moment comme il le méritait ! Tout le conseil assemblé, loin de s’opposer, concourt à cette injustice si criante. Le soufflet part en apparence des seules mains du valet ; mais ce sont tous les assistants qui frappent Jésus- Christ, parce qu’ils le souffrent, et que, loin de le punir, ils y applaudissent.

Ce Sauveur, si indignement traité, veut encore sauver son persécuteur et son bourreau. À cet outrage il ne répond qu’avec une singulière douceur, sans faire paraître la moindre émotion ; et son cœur, tout percé de douleur qu’il est, ne perd point l’amour qu’il a pour ce perfide qui vient de commencer à lui faire répandre du sang, et est prêt à répandre encore ce qui lui en reste pour sauver son âme. Il essaye, en effet, de le ramener à son devoir, en lui remontrant doucement sa faute, et d’une manière à lui gagner le cœur, quoiqu’il méritât d’être abîmé tout vivant dans l’enfer.

C’est ainsi, ô mon Sauveur, que vous en avez usé tant de fois à mon égard. Vous pouviez me perdre au premier outrage que je vous ai fait ; vous pouviez me rejeter de votre divine face pour une éternité tout entière, et vous m’avez pardonné. À ce premier outrage j’en ai ajouté une infinité d’autres. Au lieu de me punir, vous vous êtes contenté de parler au fond de mon cœur, et de me dire tendrement : Cur me cædis ? Pourquoi me frappez-vous ? Je serais bien malheureux si je vous outrageais davantage !

SAMEDI APRÈS LE 2e DIMANCHE
Jour de Conversion

Pratique

Commencez la journée par un examen sur votre passion dominante et sur le péché dans lequel vous tombez le plus souvent. Demandez à Dieu les lumières dont vous avez besoin pour le bien connaître, et du courage pour l’extirper à fond. Commencez donc aujourd’hui ce grand ouvrage, d’où dépend tout votre bonheur. Entreprenez-le généreusement, et faites une ferme résolution de ne point vous désister que vous n’en soyez venu à bout : ce sera celui de votre conversion entière, et c’est par là que vous assurerez votre salut. Commencez et finissez toutes vos prières et toutes vos pratiques par demander à Dieu votre conversion. Travaillez-y en la demandant ; mais demandez-la avec ardeur et persévérance, et soyez sûr que vous l’obtiendrez. Ne perdez point de vue cet enfant prodigue qui va se réconcilier. Imaginez-vous que vous l’êtes vous-même, et regardez Jésus-Christ comme ce tendre père à qui vous allez demander miséricorde.

Méditation sur la conversion

Ier POINT. — Un homme avait deux enfants, dont le plus jeune lui dit : Mon père, donnez-moi la portion du bien qui doit me revenir. (S. Luc, 15.)

Suivez avec attention cet évangile ; méditez sérieusement sur les démarches de ce jeune homme ; vous y verrez les degrés par lesquels un pécheur tombe insensiblement dans les plus grands égarements, et ceux par lesquels il rentre dans son devoir par une conversion sincère.

Il commence par une demande indiscrète, formée par des désirs déréglés de ne plus dépendre de personne. Voilà la source de la disgrâce et des malheurs infinis qui l’ont accablé. N’ayez-vous point laissé former et éclore dans votre cœur des désirs d’indépendance, parce que le joug qui vous était imposé vous paraissait trop assujettissant, et que vous auriez souhaité de donner plus d’essor à votre liberté et à vos passions ? Concevez le danger qu’il y a de former de pareils désirs et de faire de pareilles demandes, que Dieu n’accorde jamais que quand il est en colère. Rendons-nous justice, et croyons que nous n’en ferions pas un meilleur usage que cet enfant prodigue.

Ce jeune homme partit de chez son père, et il s’en alla dans un pays éloigné. Quand on s’est procuré de quoi contenter ses passions, et qu’on est destitué de la crainte de Dieu, on s’émancipe aisément de son adorable conduite ; on sort bientôt de la voie de ses conseils et ensuite de ses préceptes ; on s’éloigne de sa divine présence, de sa parole, de la prière et des sacrements ; éloignement qui faisait trembler le Roi-Prophète, quand il disait : Seigneur, ceux qui s’éloignent de vous périront ; mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi. Ce fut aussi dans cet éloignement que ce jeune homme dissipa tous ses biens paternels par ses débauches : ce qui nous fait bien comprendre qu’il n’est point de péché si énorme dont on ne soit capable quand on s’est une fois éloigné de Dieu, et qu’on dissipe en peu de temps tous ses précieux trésors dans ce funeste éloignement, c’est-à-dire la crainte de Dieu, son amour et sa grâce.

Ce jeune débauché commença à sentir vivement sa pauvreté. Il lui fallut cesser ses débauches, parce qu’il n’avait plus de quoi les soutenir. Mais, au lieu de revenir à son père, il se mit au service d’un bourgeois, qui lui donna ses pourceaux à garder ; et sa misère était si grande, qu’il aurait souhaité se nourrir des cosses qu’on leur donnait, et on ne lui en donnait pas. Rien n’est comparable à la pauvreté d’une âme qui abandonne son Dieu : tout lui manque ; parce qu’elle n’a pas Dieu pour elle : elle manque de soutien et de nourriture, de secours et de consolation dans les peines : en un mot, elle est abandonnée à elle-même, et c’est le comble de la pauvreté et de la misère. Donnez-vous de garde de tomber dans un pareil état ; recourez à Dieu dès que vous vous sentez le moindre éloignement.

IIe POINT. — Enfin l’enfant prodigue, étant rentré en lui-même, dit : Combien mon père a-t-il de serviteurs qui ont plus de pain qu’il ne leur en faut, pendant que je suis ici à mourir de faim !

Qu’on est malheureux quand on s’éloigne de Dieu et de son propre cœur ! mais qu’on est heureux quand on rentre en soi-même, et qu’on fait de sérieuses réflexions sur les misères de son état et sur les moyens d’en sortir ! En effet, cette réflexion est la première démarche qui conduit une âme égarée à une sincère conversion ; et les pécheurs ne croupissent longtemps dans leurs désordres que parce qu’ils ne veulent faire aucune réflexion, ni sur leurs disgrâces présentes, ni sur celles qu’ils ont à craindre dans l’autre vie, ni sur les secours qu’ils peuvent attendre de Dieu pour s’en délivrer.

Il faut que je me lève, dit ce jeune débauché, et que j’aille trouver mon père. Il rentrera bientôt en grâce, il sortira bientôt du bourbier de ses crimes, puisqu’à la réflexion il fait succéder une généreuse résolution. Quand on ne fait que des réflexions vagues et stériles sur ses désordres, et qu’elles ne sont point suivies d’une forte résolution de les quitter, elles ne font qu’amuser le pécheur, le confirmer et l’endurcir davantage dans son éloignement de Dieu, et le rendre beaucoup plus malheureux sans le guérir.

Mais ce jeune homme, non content de sa résolution, la met tout de suite en pratique. Il marche dans le moment et sans délai ; il entre tout d’un coup dans la carrière de la pénitence ; il entreprend un long et pénible Voyage, parce qu’il était exténué par la faim, et dans une extrême pauvreté ; mais rien ne coûte à une âme pénitente qui veut retourner vers Dieu ; rien ne l’effraye, rien ne la rebute : elle puise des forces dans sa douleur et dans son amour, et son courage surmonte toutes les difficultés qui se rencontrent.

Il fait ensuite une confession sincère de ses péchés par ces belles paroles ! Mon père, j’ai péché contre le Ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. Non content de cette confession, il demande à porter la peine de ses péchés pendant le reste de ses jours, et de travailler comme un serviteur à gages à la sueur de son front. La conversion est sincère quand on confesse ses péchés avec tant d’humilité et de contrition de cœur, et quand on veut soutenir la rigueur et le travail de la pénitence dans les ministères les plus laborieux et les plus ravalés.

Reprenez l’ordre et l’économie de cette conversion pour y conformer la vôtre. Commencez par de sérieuses réflexions sur l’état de votre âme ; formez ensuite une généreuse résolution d’en sortir ; que cette résolution soit suivie d’une prompte exécution. L’exécution d’une confession humble et sincère, et la confession accompagnée d’une disposition généreuse à tout entreprendre pour l’expiation de vos péchés, voilà les routes que vous devez tenir pour vous rapprocher de Dieu.

Mais pour vous en inspirer le désir et la confiance, faites attention à la bonté de ce père. Il va au-devant de son fils, qui méritait d’être chassé honteusement de sa présence ; il lui pardonne avant même qu’il confesse ses péchés et qu’il lui demande sa miséricorde ; il se jette à son cou, il l’embrasse, il lui donne le baiser de paix, il le remet dans tous ses droits ; de sorte que si, dans le fils, nous voyons le modèle de notre conversion, nous en trouvons un motif pressant dans la tendresse du père.

Sentiments

Vous me tracez ici, ô mon Sauveur, avec une bonté singulière, le plan de mon entière conversion, et les routes que je dois tenir pour me rapprocher de vous. Vous n’oubliez pas même de me faire sentir ce que je dois espérer de votre bonté et de vos entrailles de père. Mais, ô mon Dieu, achevez en moi ce grand ouvrage ; conduisez-moi, de peur que je ne m’égare ; fortifiez-moi, de peur que je ne tombe ; donnez à mon esprit assez de lumière pour faire de salutaires réflexions sur mes égarements et sur mes lâchetés ; formez dans mon cœur une vraie douleur de mes péchés, et une forte résolution de retourner vers vous et de ne vous abandonner jamais. Donnez-moi le courage d’entrer sans délai dans la carrière de la pénitence, et d’en soutenir les rigueurs et les humiliations avec courage.

Je le confesse, ô Père des miséricordes, j’ai péché contre le Ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d’être appelé votre enfant ; mais écoutez ma prière et laissez attendrir votre bon cœur sur un enfant qui implore votre clémence et votre bonté. Revêtez-moi de cette robe d’innocence que j’ai perdue et souillée, après l’avoir reçue au baptême. Je vous demande encore que, pour marque de réconciliation, vous m’admettiez et au baiser de paix, et à ce festin délicieux où vous donnez votre chair en aliment et votre sang en breuvage ; en attendant que je puisse être admis à cette table céleste et bienheureuse où je serai nourri et rassasié éternellement de votre propre substance, sans figure et sans déguisement.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Convertissez-vous à moi de tout votre cœur, dans les jeûnes, dans les larmes et dans les gémissements ; déchirez vos cœurs, et non vos vêtements, et convertissez-vous au Seigneur, parce qu’il est bon et compatissant, qu’il est patient et riche en miséricorde. (Éph., 2.)

Convertissez-nous, Seigneur, montrez-nous votre face, et nous serons sauvés. (Ps. 79.)

Une parfaite conversion trouve toujours Dieu préparé. (S. Augustin.)

On trouve toujours de la douceur dans les prémices de la conversion ; du travail, des rigueurs, des dégoûts et des tentations à combattre dans ses progrès ; de la paix, et le repos dans sa fin. (S. Isidore.)

Prière

Dieu tout-puissant et tout miséricordieux, qui couronnez vos dons en couronnant nos mérites, acceptez nos jeûnes, et donnez-leur un heureux succès, afin qu’ils produisent chez nous, par votre grâce, une sincère conversion ; qu’ils nous servent à expier nos péchés, à satisfaire à votre justice, à punir et à guérir notre sensualité et notre délicatesse, et à opérer notre salut. Rendez avec abondance à notre âme ce que nous ôtons à notre chair ; élevez, vivifiez, nourrissez et fortifiez cette âme que vous avez créée à votre image, et rachetée de votre précieux sang, pendant que nous nous occupons à, abattre, à mortifier et à affaiblir cette chair pécheresse, de peur qu’elle ne se révolte contre l’esprit et contre vos divines lois. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus est conduit chez Caïphe

Il fallait que Jésus-Christ fût conduit à plusieurs tribunaux et devant plusieurs juges, pour rendre sa condamnation plus éclatante et plus ignominieuse, pour être plus exposé à la risée du peuple, et pour souffrir à chacun de ces tribunaux une infinité d’affronts et d’outrages beaucoup plus sensibles et plus douloureux que la mort même. Ainsi, du tribunal d’Anne, il est conduit, ou, pour mieux dire, traîné au milieu des rues, à celui de Caïphe, qui était le plus furieux et le plus emporté de tous ses juges. Ce Sauveur, lié de cordes, tiré et poussé rudement par des soldats impitoyables, marche dans Jérusalem suivi et précédé d’une insolente canaille : quel triste spectacle, ô mon Sauveur ! Suivons-y ce Dieu souffrant. Il est lié bien plus étroitement par les chaînes de son amour, et par le désir qu’il a de souffrir pour briser nos chaînes, que par les cordes qui l’environnent, et qui paraissent sur ses mains et sur tout son corps.

Ce mauvais juge, ravi de tenir à son tribunal l’objet de son envie, et ne respirant que le sang de Celui qui voulait le donner librement pour le salut de tous les hommes, sans l’excepter lui-même, l’interroge, pour avoir occasion de le perdre par ses réponses, comptant pour rien de profaner la dignité de son sacerdoce et sa qualité de juge par l’injustice la plus criante et par le sacrilège le plus énorme. Il ne fait que trop paraître l’envie qu’il a de trouver Jésus-Christ criminel, pour avoir le détestable plaisir de l’immoler à son injuste fureur. L’unique crainte qu’il a, c’est de le trouver innocent, et, pour se tirer de cet embarras, il lui suscite de faux témoins, le fait accuser de crimes capitaux, afin que sa rage ne soit point frustrée du plaisir qu’il se fait par avance de répandre son sang.

Les témoins déposent ; et leurs dépositions, quoique concertées à l’école du démon, ne se trouvent pas suffisantes pour le condamner à la mort avec quelque apparence de justice. On appelle deux autres témoins, qui l’accusent d’avoir dit qu’il pouvait détruire le temple et le réédifier en trois jours ; et cette déposition bien entendue faisait son éloge et sa justification plutôt que son blâme et sa condamnation. Elle marquait, en effet, sa puissance divine, et ils étaient trop grossiers pour comprendre que ce Sauveur parlait, dans cet oracle prophétique, de son corps, qui était le temple vivant de la Divinité.

Pendant toutes ces accusations, Jésus, qui était et voulait être un homme de douleurs, gardait un rigoureux silence, autant pour marquer qu’il ne faisait aucun cas de toutes ces accusations ridicules que pour nous apprendre à soutenir les injures, les opprobres et les calomnies, dans la modestie et dans le silence. D’ailleurs cet adorable Sauveur voulait, par ce silence divin, satisfaire à Dieu son Père pour les péchés innombrables que les hommes commettent par la langue, et justifier ce que le prophète avait prononcé, quand il disait en sa personne : J’étais sourd à tout discours, et comme criminel qui n’ouvre pas la bouche. (Ps. 37.) Il voulait encore nous insinuer, par ce silence si mystérieux et si éloquent, que c’était le moyen le plus propre pour se défendre des médisants et pour confondre les faux accusateurs, et que le parti le plus sûr et le plus héroïque est d’abandonner à Dieu la protection de notre innocence.

3e semaine de carême

IIIe DIMANCHE DE CARÊME
Jour de Persévérance

LUNDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Douceur

MARDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Charité

MERCREDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Dévotion

JEUDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Présence de Dieu

VENDREDI  APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Grâce

SAMEDI  APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Miséricorde

IIIe DIMANCHE DE CARÊME
Jour de Persévérance

Pratique

Vous ne sauriez mieux commencer ce jour, consacré à la persévérance, que par vous humilier profondément devant Dieu dans la vue de votre inconstance. Demandez-lui pardon de tant de résolutions et de tant de promesses que vous n’avez pas soutenues ; humiliez-vous, méprisez-vous vous-mêmes, comme vous avez coutume de mépriser les personnes qui, dans le monde, sont taxées de légèreté, d’inconstance et d’infidélité aux hommes, cette faiblesse étant bien plus honteuse, quand on y tombe, envers Dieu. Malgré cette vue de votre inconstance, ne vous désistez pas pour cela de faire aujourd’hui de fortes résolutions d’être à Dieu sans réserve, de le servir, de l’aimer, de fuir le mal et de pratiquer le bien jusqu’au dernier soupir de votre vie, et ne passez point d’heure dans la journée que vous ne renouveliez vos promesses, et que vous ne demandiez à Dieu la persévérance.

Méditation sur la persévérance

Ier POINT. — Lorsque le fort armé, dit Jésus-Christ, garde sa maison, tout ce qu’il possède est en paix. (S. Luc, II.)

C’est ainsi que cet adorable Sauveur, après avoir chassé un démon muet, et s’être attiré l’admiration de tout le peuple, prend occasion d’inviter ses auditeurs à la persévérance dans la pratique du bien, qu’il en fournit tous les moyens, et qu’il en fait sentir tous les avantages dans l’exemple qu’il propose.

Il est lui-même ce fort armé, attentif à garder sa maison, qui est notre âme ; il l’habite, il la protège, et il la défend contre tous ses ennemis. Nous l’y attirons par la prière, nous l’y conservons par l’amour, par la fidélité et par la persévérance dans les bonnes œuvres ; mais nous l’en chassons par notre inconstance.

Faites attention qu’il y a une persévérance chrétienne, et une persévérance finale. La première est l’ouvrage de l’homme, avec la grâce de Dieu ; la seconde est l’ouvrage de Dieu seul. Celle-là consiste à ne jamais se relâcher, et à si bien conserver le fort armé, que nous ne l’obligions jamais à nous abandonner : car le démon prendrait sa place, et il nous ôterait toutes les armes qui faisaient notre force, c’est-à-dire la crainte de Dieu, son amour et les autres vertus, et il nous assujettirait à sa tyrannie.

Ressouvenez-vous que ce ne sont point les commencements que Dieu couronne, mais la fin. Persévérez donc ; mais évitez avec grand soin les écueils de la fausse persévérance. Les voici : le premier est de persévérer quelque temps dans la vertu, et de se relâcher dans la suite, et c’est une inconstance honteuse. Le second est de persévérer longtemps, mais avec tiédeur, et c’est lâcheté. Le troisième est de persévérer longtemps avec ferveur, et d’en tirer des motifs de vanité et d’amour-propre, et c’est présomption ; et tout ceci n’est qu’illusion, et le fantôme de la persévérance.

Prenez ici Jésus-Christ pour modèle de votre persévérance. Souvenez-vous que depuis sa naissance jusqu’à sa mort il n’a jamais cessé de remplir avec la même ardeur les pénibles fonctions de Sauveur : il ne s’est jamais relâché, il a toujours travaillé, toujours souffert jusqu’au moment qu’il a dit : Consummatum est, Tout est consommé ; et c’est au moment qu’il rendit l’âme. Voici le terme où vous devez fixer votre persévérance, si vous voulez mériter la couronne..

Pensez aussi en tremblant qu’il y a une persévérance finale qui consiste dans l’union et dans l’heureuse rencontre du dernier moment de notre vie avec la grâce et la charité, qui est le dénouement de notre prédestination. C’est une grâce que Dieu tient entre ses mains, et il n’est rien qui doive nous faire sentir plus notre faiblesse et notre indépendance, et nous retenir dans la crainte et dans l’humiliation. Ne vous découragez pas cependant, et persuadez-vous que la persévérance chrétienne est un grand acheminement à la persévérance finale. Conservez fidèlement Jésus-Christ, ce fort armé, dans votre cœur, pendant votre vie ; c’est une assurance du moins morale qu’il sera avec vous au moment de votre mort. Gémissez, travaillez, priez en tremblant, comme si tout dépendait de Dieu ; travaillez en espérance et avec confiance, comme si tout dépendait de vous.

IIe POINT. — Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, dit encore Jésus-Christ, il va par les lieux arides, et comme il n’y trouve pas le repos qu’il cherche, il se dit à lui- même : Je retournerai dans la maison d’où je suis sorti.

Faites ici une sérieuse réflexion sur l’inconstance du cœur de l’homme, et sur le peu de fonds qu’on doit faire sur ses plus fortes résolutions. Le démon le sait, et il n’en profite que trop pour le perdre. Rappelez-vous tous ces bons propos que vous avez formés, et que vous avez oubliés ; tous ces beaux projets d’une vie réglée que vous avez faits, et que vous n’avez pas exécutés ; ces brillantes promesses que vous avez tant de fois réitérées au pied des autels, et que vous avez violées quelquefois dès le lendemain ; ces bonnes œuvres que vous avez commencées avec tant d’ardeur, et que vous avez ensuite abandonnées avec tant de lâcheté. Comment osez-vous donc espérer d’être couronné dans le ciel, puisque la couronne ne se donne qu’à la persévérance ?

Dans un jour de dévotion, vous vous êtes senti tout ardent et prêt à tout promettre et à tout entreprendre pour Dieu, et vous vous croyiez alors inébranlable. Après une humble et sincère confession, après une communion fervente, le fort armé était chez vous comme dans sa maison, et tout y était en paix, parce que vous aviez soin de le conserver par la pratique des bonnes œuvres, et par l’éloignement de tout ce qui pouvait introduire la moindre souillure dans votre cœur et dans vos sens.

Vous vous êtes insensiblement relâché, vous avez affaibli votre grâce, et en l’affaiblissant vous avez fortifié votre ennemi. Ce fort armé, que vous avez si mal cultivé, n’y trouvant plus ni ses délices ni son repos, n’y a plus fait ressentir sa divine présence comme auparavant. L’ennemi, attentif à profiter de cette lâcheté et de cette inconstance commencée, vous a attaqué : vous avez résisté, mais faiblement. Il s’est dit alors à lui-même : Je rentrerai dans la maison d’où je suis sorti. Il vous a livré de plus rudes assauts ; vous y avez enfin succombé ; il s’est ensuite établi chez vous ; il y a demeuré, et il y demeurera peut-être jusqu’à ce qu’il vous ait fait commettre des péchés plus énormes que les premiers, et qu’il vous ait causé une fin malheureuse. Voilà les justes et terribles menaces de Jésus-Christ, si bien exprimées dans notre évangile. Défiez-vous donc de votre faiblesse et de votre inconstance ; prenez vos mesures, prévoyez ces malheurs, et mettez tout en usage pour obtenir et pour acquérir la persévérance.

Sentiments

Que j’ai lieu de m’humilier et de gémir, ô mon Dieu, dans la vue de mon inconstance et de mes infidélités, qui sont sans nombre ! Je ne me suis jamais approché de vos autels que je ne vous aie promis de vaincre tous les charmes de la volupté, de dompter mon orgueil, de tout souffrir pour votre gloire, de vous servir avec plus d’ardeur, et de me détacher de toutes les créatures qui pourraient être un obstacle à l’union parfaite que je devais contracter avec vous. Dans cette heureuse disposition, vous êtes entré chez moi par la sainte communion, comme un fort armé, pour me protéger et pour me défendre, et vous avez pris possession de mon âme. Soutenu d’un si puissant protecteur, je croyais que rien n’était capable d’abattre mon courage, de ralentir mon ardeur, ni d’ébranler ma constance ; et j’ai commencé alors à marcher dans les sentiers de la justice et de la perfection. Mais, hélas ! ces heureux moments n’ont pas duré longtemps ; ma ferveur s’est bientôt refroidie, je suis retombé dans ma tiédeur et dans les péchés que j’avais pleurés, et je vous ai contraint de sortir de mon cœur. Ah ! je connais à présent ma faiblesse et mon inconstance, et j’en suis humilié et confus. Dieu de force, soutenez-moi, fortifiez-moi, montrez souvent à mon âme et les couronnes que vous avez préparées à ceux qui persévèrent, et les châtiments terribles que vous avez réservés à ceux qui se relâchent et qui retombent après la pénitence, afin qu’attirée par vos promesses et intimidée par vos menaces, elle vous serve constamment par amour, et qu’elle persévère ainsi dans les bonnes œuvres jusqu’à la mort.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé, dit Jésus- Christ. ( S. Marc, 10. )

Mes chers frères, demeurez fermes et inébranlables, et travaillez sans cesse de plus en plus à l’œuvre de Dieu, sachant que votre travail ne sera pas sans récompense. (Ire Ép. aux Cor., 15.)

Toutes les autres vertus méritent des couronnes ; mais il n’y a que la persévérance qui soit couronnée. (S. Bonaventure.)

Il est inutile de faire le bien, si l’on se désiste avant de mourir. C’est en vain qu’on court avec vitesse, quand on s’arrête avant de parvenir au terme de sa course.

Prière

Regardez-nous, ô Dieu tout-puissant et tout miséricordieux, d’un œil favorable. Écoutez, exaucez les prières que nous vous adressons pour obtenir votre protection contre nos ennemis. Profondément humiliés aux pieds de votre Majesté, nous avouons et nous reconnaissons notre bassesse, notre néant et notre extrême faiblesse. Une infinité d’ennemis nous environnent et nous attaquent, et nous sommes trop faibles pour leur résister sans votre secours. Armez Seigneur, votre bras tout-puissant pour nous protéger et nous défendre, afin que nous puissions résister à toutes leurs attaques, persévérer dans votre amour jusqu’au dernier soupir de notre vie, et mériter ainsi les récompenses éternelles que vous avez promises aux victorieux. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus accusé

C’est un prodige bien surprenant que la terre ait pu produire dans son sein et fournir des accusateurs contre son Dieu, et que ces accusateurs soient ses propres créatures, qu’il était venu lui-même racheter de la mort et de l’enfer par l’effusion de son sang. C’était peut-être cette douloureuse réflexion qui fit garder à Jésus-Christ un si rigoureux silence pendant qu’on l’accusait d’une manière si injuste, si indigne et si outrageante. Ce silence, qui marquait quelque chose de grand et de divin, embarrassa le pontife ; il lui en fit même un reproche, parce qu’il aurait voulu que ce Sauveur eût parlé, pour avoir le plaisir de le prendre et de le perdre par ses réponses.

Pour le lui faire rompre, il interpose le nom de Dieu. Il le conjure par ce nom si auguste et si respectable de lui dire s’il est le Christ et le Fils de Dieu. Ce n’était ni dans le dessein de le croire, ni de le délivrer de la mort, ni de se faire son disciple, mais de lui en faire un crime capital, faisant ainsi un usage impie et une exécrable profanation de ce qu’il y avait de plus sacré, pour le faire servir à sa mort. Jésus, qui n’avait garde de taire cette importante vérité, qui devait être la base et le fondement de la religion qu’il allait établir, quoiqu’il connût parfaitement qu’elle devait lui coûter la vie, rompit le silence, et avoua qu’il l’était.

Caïphe, qui n’attendait que cet aveu pour prononcer contre lui le premier arrêt de mort, s’abandonna à sa fureur, qu’il déguisa artificieusement sous le voile spécieux de zèle et de religion ; et, oubliant le respect qu’il devait à sa double qualité de prêtre et de juge, il déchira ses habits sacerdotaux, en prononçant à haute voix que Jésus-Christ était un blasphémateur, qu’il était digne de mort, et qu’on n’avait plus besoin d’autres témoins. Sa haine implacable contre Jésus-Christ, soutenue par sa jalousie, le fait descendre honteusement de sa qualité de juge à celle de témoin et d’accusateur. Il change sa parole en cris et en clameurs effroyables, qui se répandirent et se répétèrent dans toute l’assemblée. On les entendit retentir dans toutes les bouches des ennemis du Sauveur, comme par autant d’échos différents ; et Caïphe et le peuple ne formaient plus qu’une voix, qu’un esprit et qu’un cœur, pour conspirer la perte du Sauveur de tous les hommes.

Les peuples se font une loi de suivre l’exemple de ceux qui sont préposés à leur tête pour les instruire et pour les gouverner ; ils cherchent à s’autoriser dans le crime par les dérèglements de ceux qui doivent les en reprendre et les en punir, et qui y tombent eux-mêmes ; et quand ils voient leurs supérieurs sortir de leur caractère par des actions indignes et scandaleuses, ils se font une religion de leurs désordres.

En quelle triste situation était alors le cœur adorable de Jésus-Christ, pendant qu’on le traitait avec une injustice si criante, et qu’on lui faisait de sa divinité un crime et un sacrilège dignes de mort ! Sans doute il était percé de la plus vive douleur qui fut jamais : cependant il souffrait sa peine avec une patience héroïque ; il gardait le silence, quoiqu’il pût se défendre et faire des miracles pour prouver sa divinité.

Instruits par cet exemple et disciples de ce Dieu souffrant, nous nous récrions à la moindre injustice, et, trop sensibles à ce qui nous touche et à ce qui nous afflige, nous nous emportons dès qu’on nous attaque ; plaintes, murmures, impatiences, emportements, tout éclate, et nous cherchons souvent à nous venger ; cependant nous voulons passer pour disciples et pour imitateurs d’un Dieu sauveur qui a souffert sans se plaindre la plus effroyable de toutes les injustices, non dans un faible point d’honneur, mais dans son innocence, dans sa réputation et dans sa vie ; et ce Jésus, si injustement accusé, n’est pas seulement un homme, mais un Dieu.

LUNDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Douceur

Pratique

Demandez humblement à Dieu, à votre réveil, cette douceur chrétienne qui vient de la charité et de l’humilité, qui ne se choque de rien, qui souffre tout et qui ne choque personne. Représentez-vous Jésus-Christ dans le temps qu’on l’accablait des injures les plus atroces et qu’on l’outrageait le plus indignement ; voyez sa bonté, sa patience, sa tranquillité et sa douceur. Voilà le divin modèle que vous devez avoir aujourd’hui, et tous les jours de votre vie, devant les yeux, surtout lorsque vous commencez à sentir dans votre cœur la moindre émotion de colère.

Veillez donc attentivement sur votre vivacité, sur vos premiers mouvements, sur vos paroles, sur vos demandes, sur vos réponses, sur vos gestes, sur vos regards, sur votre air de visage, et même sur le ton de votre voix. Parlez, répondez comme vous vous imaginez que Jésus-Christ aurait parlé et répondu, et faites en sorte que rien ne vous échappe qui sente la moindre aigreur et là moindre émotion de colère.

Méditation sur la douceur

Ier POINT. — Tous ceux de la synagogue des Nazaréens, ayant entendu la réponse de Jésus-Christ, se mirent en colère. (S. Luc, 4.)

De quels excès ne sommes-nous point capables quand nous ne sommes point sur nos gardes, quand nous nous laissons emporter à une passion naissante, et que nous ne sommes pas attentifs à en réprimer les premiers sentiments ! À quel point ne poussons-nous pas notre vivacité, notre colère et notre emportement, lorsque l’occasion se présente, et que nous n’avons pas travaillé à obtenir cette modération, cette douceur chrétienne et cette humilité de cœur que Jésus-Christ nous recommande si précieusement, dont il se donne lui-même pour modèle, et à laquelle il a attaché la paix de l’âme quand il dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez la paix à vos âmes. (S. Matth., 11 )

Cet adorable Sauveur venait de se faire admirer en prêchant dans la synagogue de sa propre patrie. Après sa prédication, les Nazaréens lui demandèrent des miracles pareils à ceux qu’il venait de faire à Capharnaüm ; mais ils les lui demandèrent avec un ton impérieux, et comme si c’eût été une dette qu’ils eussent droit d’exiger de Lui, voulant ainsi arracher de ses mains, sans respect, des grâces et des faveurs qu’ils ne méritaient pas. Aussi Jésus-Christ les leur refusa.

Dans le moment ils passent d’une extrémité à l’autre : de l’admiration à la colère et à l’emportement, du respect au mépris, de l’amour à la haine, et des applaudissements aux outrages. Ils le chassent honteusement de cette ville, et ils le conduisent tumultueusement sur une haute montagne pour le précipiter en bas et le faire mourir.

Ce n’est que dans l’occasion que nous connaissons de quoi nous sommes capables, quand nous n’avons pas acquis la douceur. Vous êtes tranquille à présent que vous priez ; mais combien de fois avez-vous senti des émotions secrètes quand on vous a choqué, et qu’on ne vous a pas rendu ce que vous croyiez vous être dû, ou qu’on vous a refusé ce que vous vous imaginiez mériter, ou qu’on ne vous a pas préféré aux autres, ou qu’on vous a dit quelques paroles qui vous paraissaient désobligeantes ! N’avez-vous pas alors répondu avec aigreur, et n’avez-vous pas poussé plus loin votre colère ?

Vous vous êtes sans doute trouvé quelquefois en pareille occasion. Pensez à la conduite que vous avez tenue alors, au ressentiment dont vous avez été agité, et demandez-vous à vous-même si vous êtes doux et humble de cœur.

IIe POINT. — Mais Jésus-Christ passa au milieu d’eux sans qu’ils s’en aperçussent, et il se retira.

Il voit les Nazaréens furieux et emportés contre Lui ; au lieu de les punir comme ils le méritaient, Il ne perd ni sa bonté, ni sa douceur, ni l’envie qu’il avait de répandre son sang pour leur amour. Comme Il était tout-puissant, Il pouvait les confondre et les abîmer, et Il se soustrait doucement à leur fureur. Il fait même un miracle pour se rendre invisible ; Il s’humilie jusqu’à prendre la fuite, Lui qui pouvait les poursuivre jusqu’aux enfers, afin que ce miracle de bonté les touchât, et que, les abandonnant à leurs propres réflexions ils rentrassent en eux-mêmes, et qu’ils fissent pénitence d’une conduite si injuste.

Voilà quelle doit être votre conduite, si vous voulez porter dignement la qualité de chrétien : répondre avec douceur, souffrir avec patience, se retirer et se soustraire avec prudence, sans éclat, sans plainte, sans ressentiment, sans perdre et sans blesser la charité, payant même les malédictions par les bénédictions, selon le conseil et la pratique du grand Apôtre.

Ne prenez pas cependant le change sur la douceur. Faites attention qu’il y a une douceur chrétienne, qui est l’ouvrage de la grâce et de la charité ; et une fausse douceur, qui est l’ouvrage de la politique et de l’amour-propre, qui ne se modère et qui ne réprime les saillies éclatantes de la colère et des paroles injurieuses que pour se venger plus finement et avec moins de fracas.

Il y a dans le monde des hypocrites de douceur aussi bien que de dévotion. On sait se faire violence pour les mouvements extérieurs, pendant que le cœur n’est pas tranquille ni destitué des désirs de vengeance. Les grossièretés éclatantes de la colère ne sont aujourd’hui que pour le petit peuple ; on sait dépouiller cette passion de ces airs grossiers ; on s’abstient de prononcer des injures ; on affecte une modestie et une modération extérieures, pour méditer une expression maligne ; on prend son temps pour placer un mot finement couvert et qui perce au vif. Ce genre de colère est infiniment plus dangereux que l’autre.

Étudiez-vous bien vous-même, et gardez-vous de donner dans ce piège, si opposé à la douceur évangélique, qui demande l’esprit, le cœur, la voix, les gestes : que votre douceur soit une parfaite image de celle que Jésus-Christ a pratiquée à l’égard des Nazaréens et dans toutes les autres occasions où on lui a fait des outrages sensibles, qu’il a enseignée, et à laquelle il a attaché une si grande récompense, quand il dit ces paroles : Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre. (S. Matth., 5.)

Sentiments

Quel oracle divin avez-vous prononcé, Seigneur, et quelle admirable leçon nous avez-vous donnée de la douceur chrétienne, quand vous avez dit : Apprenez de moi que Je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez la paix à vos âmes ! Que ces admirables paroles sont pleines de lumière et d’onction ! Apprenez de moi. Ah ! Seigneur, de qui pourrai-je mieux apprendre que de vous, qui êtes la vérité même, vous qui avez les paroles de la vie éternelle, et en qui sont tous les trésors de la sagesse et de la science, et moi qui ne suis que ténèbres et qu’ignorance ! Quelle excessive bonté de vouloir bien prendre la peine de m’instruire et de me diriger, d’ouvrir votre bouche adorable pour m’apprendre ce que je dois savoir, et pour m’instruire de ce que je dois pratiquer ! Mais quel surcroît de tendresse de vous donner encore vous-même pour exemple et pour modèle de la douceur ! L’instruction m’éclaire et me conduit ; mais l’exemple me facilite et m’anime. Que je suis doux et humble de cœur. Oui, Seigneur, vous avez possédé ces deux grandes vertus, qui partaient toutes deux de la même source, c’est-à-dire de votre cœur plein d’amour pour moi. Vous avez pratiqué cette douceur dans les injures les plus atroces et dans les outrages les plus cruels que vous avez soufferts de vos propres créatures, sans vous plaindre et sans vous venger et vous l’avez mille fois pratiquée à mon égard, en me pardonnant tous mes péchés, et en m’offrant votre grâce. Vous vous êtes humilié, tout Dieu que vous êtes ; vous vous êtes exposé aux mépris et aux opprobres, et vous avez été obéissant jusqu’à la mort. Quelle instruction et quel exemple ! Donnez-moi donc, Seigneur, de l’attrait pour cette vertu, accordez-moi cette douceur évangélique qui soit une parfaite image de la vôtre ; adoucissez mes aigreurs, mes sentiments et mes paroles, par l’infusion de votre charité, par l’onction de votre grâce et de votre amour, et donnez ainsi la paix à mon âme.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Comme le Seigneur est doux et droit, Il dirigera ceux qui sont doux dans les sentiers de la justice, et Il leur enseignera ses voies. (Ps. 24)

Une réponse douce apaise la colère ; une parole dure excite la fureur. (Prov., 41.)

Une fausse douceur est une vraie cruauté. (S. Augustin.)

La vraie douceur relève une âme abattue ; et quand elle la possède, elle s’humilie dans les mépris et les affronts ; elle se réjouit dans les injures, et elle les pardonne, parce que sa douceur vient de sa charité ; elle est tranquille dans les plus rigoureux assauts, elle se sacrifie pour la paix, et elle rend grâces à Dieu dans ses souffrances. (S. Éphrem.)

Prière

Divin Maître des cœurs, qui les inclinez selon votre bon plaisir, source adorable de grâces, qui les faites couler en abondance sur les âmes tranquilles, j’implore votre bonté dans ce saint temps de grâce et de miséricorde. Je sens mes misères et mes faiblesses, je suis accablé du poids de mes péchés. Pour me guérir, répandez dans ce cœur, que vous avez créé par votre puissance, que vous avez racheté par votre sang, et que vous avez rendu capable de vous aimer, par un excès de votre bonté ; répandez, dis-je, cette grâce sans laquelle je ne puis rien faire qui soit digne de la vie éternelle. Donnez-moi cette grâce de force avec laquelle je puisse vaincre toutes les tentations, extirper ces aigreurs, ces ressentiments de colère, et acquérir cette douceur que vous lui avez enseignée par votre exemple, afin que, comme je suis dans l’abstinence des aliments charnels, je puisse aussi retenir mes sens extérieurs et intérieurs de tous les excès vicieux qui pourraient vole déplaire. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus condamné

À peine Caïphe a-t-il prononcé que Jésus-Christ est digne de mort, que c’est à qui l’insultera avec plus d’insolence : injures atroces, mépris insupportables, railleries piquantes, emportements furieux, blasphèmes exécrables, tout y est applaudi, et tout y passe pour zèle de religion ; et comme si leur effronterie et leur fureur contre leur Sauveur et contre leur Dieu leur tenaient lieu de mérite, et qu’il y eût un prix destiné pour celui qui lui ferait de plus sanglants outrages, c’était une affreuse émulation à le maltraiter et à lui faire de nouvelles insultes.

On commence ces mauvais traitements par lui cracher au visage, sans respecter cette face adorable devant laquelle les anges tremblent de crainte et de respect. Ces monstres, dont les bouches sont autant de cloaques d’ordures et d’impureté, vomissaient mille saletés infectes sur son front, sur ses joues, sur ses yeux, sur sa bouche, et sur toute sa personne.

Quel touchant spectacle de voir Jésus-Christ seul au milieu des soldats et des ministres de la cruauté d’un juge inique, gardant le silence, pénétré de douleur, couvert d’ordures, et souffrant tout pour notre amour ! Mais quelle ignominie, ô mon Dieu ! Vous vous êtes servi autrefois de votre salive pour éclairer les yeux d’un aveugle ; et ces aveugles se servent de la leur pour obscurcir et pour salir les vôtres, où toute la majesté divine éclatait. Ne pouviez- vous pas détourner cette face adorable pour la soustraire à ces infâmes crachats ? Mais ne pouviez-vous pas confondre et abîmer ces impies et ces sacrilèges ?… Vous le pouviez, Seigneur ; mais vous vouliez être un homme entièrement livré à la douleur ; vous vouliez exposer pour mon amour tout votre visage à cet affront sanglant, et ne pas le détourner, comme vous l’aviez dit par un de vos prophètes : Faciem meam non averti ab increpantibus et conspuentibus in me. (Isaïe, 59.)

D’autres, plus cruels, lui arrachent les poils de la barbe ; et tous, conspirant pour le frapper et le défigurer, en font l’objet le plus digne de compassion qui fut jamais ; et, ne se contentant pas d’avoir voilé et défiguré la beauté de ce visage par les contusions, les meurtrissures et les saletés infâmes dont ils l’ont couvert, ils s’avisent encore de le cacher d’un bandeau, pour lui faire deviner celui qui l’avait frappé, le faisant ainsi leur jouet et l’objet de leur cruelle bouffonnerie, tournant en ridicule sa divine science, qui méritait les respects et les adorations de toute la terre. Peut-être aussi lui mettaient-ils le voile sur le visage pour le frapper avec plus de hardiesse, de manière à n’être plus touchés de compassion en voyant un objet capable de faire pitié aux plus barbares, se dérobant ainsi à eux-mêmes, par un cruel et horrible artifice, tout ce qui aurait été capable de les attendrir. La majesté de son front, les divins regards de ses yeux, sa bouche déjà livide et meurtrie de soufflets, tout son visage ensanglanté, les auraient touchés ; il faut qu’ils le cachent à leurs propres yeux, pour donner plus de liberté à leurs mains parricides de le frapper et de lui faire de nouveaux outrages.

C’est ainsi que, dit saint Augustin, par une infinité d’insultes plus capables de lui percer le cœur d’une douleur extrêmement sensible que de le faire mourir effectivement, ils lui prolongeaient une vie triste et languissante, sans lui donner le dernier coup de la mort, pour mieux satisfaire leur haine et leur cruauté, et pour se procurer à eux-mêmes le détestable plaisir de le faire souffrir plus longtemps, de lui donner mille morts par avance avant de le faire mourir sur la croix : Mors protendebatur, ne dolor ejus citius finiretur.

MARDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Charité

Pratique

Commencez la journée par demander à Jésus-Christ cette charité chrétienne qui soit une parfaite image de celle qu’il a marquée à tous les hommes, et à vous en particulier. Veillez avec un grand soin sur vos paroles, vos sentiments et vos pensées. Faites en sorte que : votre esprit ne pense rien qui puisse blesser tant soit peu cette charité. Mettez-vous, au contraire, dans la disposition de marquer en toutes choses à votre prochain que vous l’aimez sincèrement pour Dieu, même à ceux pour qui vous vous sentez le plus d’opposition. Détruisez et extirpez à fond cette opposition ; soyez toujours prêt à secourir votre frère, quel qu’il soit, dans ses besoins, à le consoler dans ses peines, à le supporter dans ses défauts, et à lui faire une prudente et sage remontrance, s’il s’écarte de ses devoirs, comme l’évangile de ce jour le prescrit.

Méditation sur la charité envers le prochain

Ier POINT. — Je vous le dis encore, que si deux d’entre vous s’unissent ensemble sur la terre, tout ce qu’ils demanderont leur sera accordé par mon Père céleste. (S. Matth., 18.)

Étudiez sérieusement toutes les paroles de cet évangile ; elles le méritent, puisqu’elles établissent solidement le précepte de la charité dans toutes ses circonstances, avec une admirable clarté. 1° Jésus-Christ nous y fait sentir l’étroite obligation de cet amour du prochain, et combien il est important à notre salut que nous soyons toujours dans une intelligence parfaite avec lui. 2° Il entre avec une merveilleuse exactitude dans la pratique de ce précepte, en nous enseignant la manière secrète et prudente de l’avertir de ses défauts pour l’engager à Dieu. 3° Il marque les avantages et les récompenses attachés à cette charité, quand : Il promet à ceux qui la pratiqueront qu’ils obtiendront, du Père Céleste tout ce qu’ils demanderont, et qu’il sera même au milieu d’eux. 4° Enfin il répond aux doutes qui pourraient naître dans l’exécution de cette loi d’amour, quand il dit à Pierre que ce n’est pas assez de pardonner sept fois, mais septante fois sept fois, c’est-à-dire sans bornes et sans mesure.

Voilà la loi établie et expliquée. Demandez-vous à vous- même si elle est gravée dans votre cœur telle qu’elle se trouve dans les paroles de Jésus-Christ. La nature, la grâce, l’autorité d’un Dieu, les bontés, les promesses et les instructions d’un Sauveur, les sacrements, le sang de Jésus-Christ doivent l’avoir imprimée profondément chez vous. N’est-elle point effacée ? Examinez les motifs les plus pressants qui nous engagent à aimer le prochain : le premier est la nature, le second la grâce. La nature nous y engage. Il n’y a rien de si naturel que d’aimer et de secourir ceux que la nature nous a rendus semblables : ne pas les aimer, c’est être dépourvu des sentiments de l’humanité. Il y a dans les âmes bien nées une pente, une inclination naturelle qui les porte à aimer le prochain. On s’attendrit naturellement, quand on n’est pas barbare, lorsqu’on voit son semblable dans la peine : les maux d’autrui sont toujours contagieux aux bons cœurs ; et cette charité naturelle, quand elle est bien réglée, est souvent le fondement et la base sur laquelle l’Auteur de la nature et de la grâce pose l’édifice d’une charité surnaturelle.

La grâce vient au secours de la nature, et elle est un motif infiniment plus fort que la charité. Elle sait beaucoup mieux aimer que la nature, parce qu’elle est beaucoup plus éclairée, et qu’elle est animée et soutenue du sang de Jésus-Christ, qui facilite et purifie cet amour.

Mais surtout n’oubliez pas que cette charité n’est pas un simple conseil, mais un précepte essentiel et indispensable, que Jésus-Christ appelle son précepte, et qu’il a établi dans les termes les plus forts et les plus énergiques qu’une éloquence divine puisse mettre en usage pour gagner les cœurs les plus rebelles. Voici les paroles dont il a fait son testament, et qu’il a prononcées la veille de sa mort : Vous serez mes amis, dit-il à ses Apôtres, si vous accomplissez ce que je vous ordonne : c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés, et c’est en cela qu’on connaîtra si vous êtes mes disciples. »

IIe POINT. — En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je me trouverai au milieu d’elles, dit encore Jésus-Christ.

C’est-à-dire, si vous aimez votre frère pour l’amour de Dieu, si vous vous unissez avec lui pour faire le bien, Jésus-Christ se trouvera avec vous : quelle délicieuse compagnie ! Mais si vous refusez de l’aimer, le démon, qui est un esprit de discorde, s’y trouvera : quelle odieuse société !

Souvenez-vous que Jésus-Christ nous recommande ici deux choses : premièrement la charité, secondement la sincérité et la sagesse dans la charité. Il faut que la charité unisse les cœurs ; mais il faut qu’elle les unisse au nom de Jésus-Christ. Sur le premier article, vous direz peut-être qu’il est bien difficile d’aimer une personne qui n’a rien d’aimable et qui ne vous aime pas, et que vous ne pouvez pas vous faire une si grande violence. C’est le langage d’un homme charnel. Mais pensez, parlez et agissez en chrétien ; car pour qui vous ferez-vous violence, sinon pour l’amour de Jésus-Christ, qui se l’est faite à lui-même jusqu’à mourir pour l’amour de vous, quoique vous fussiez son ennemi ? Si votre frère ne le mérite pas, Jésus-Christ, qui vous l’ordonne, le mérite.

Pensez ici aux différentes personnes que vous fréquentez. Ne s’en rencontre-t-il point que vous haïssez secrètement, d’autres que vous aimez par des motifs intéressés, d’autres enfin que vous aimez avec excès ? Ne haïssez-vous personne ? L’antipathie, l’opposition, l’humeur, la jalousie, le tempérament, le ressentiment, ne vous ont-ils point gâté le cœur contre votre frère ? Sentez-vous une joie maligne quand il est dans la peine, ou une douleur secrète quand on le loue et quand il réussit ? Si vous ne travaillez à l’aimer en chrétien, vous n’aurez point de part à l’héritage céleste, et si vous lui fermez votre cœur, Jésus-Christ vous fermera le sien.

La charité doit être sincère, dit l’Apôtre. Examinez les motifs de votre amour pour votre prochain. N’est-ce point tantôt un intérêt de vanité qui vous lie avec les personnes de distinction, parce que cette liaison vous fait honneur ? N’est-ce point un intérêt d’ambition, parce que la personne que vous aimez peut avancer votre fortune ? N’est-ce point un intérêt d’avarice qui vous fait envisager les profits temporels que vous pouvez en attendre ?

La charité, dit encore saint Paul, doit être sage, et elle doit venir d’un cœur pur. Prenez garde que la vôtre ne soit une charité de pur tempérament, où la grâce n’a point de part. Une prédilection aveugle n’est point de la charité, mais un fantôme ; loin de l’établir, elle la détruit. Ce que l’on donne de trop à son frère soustrait injustement aux autres ce qui leur est dû, et ruine entièrement l’amour de Dieu ; et, comme cet amour est toujours aveugle, il mène souvent trop loin : il produit des attaches vicieuses, et quelquefois charnelles, qui ont des suites fâcheuses, quand on n’est pas sur ses gardes, et qu’on s’y livre indiscrètement.

Sentiments

Résolu d’aimer tous mes frères avec le secours de votre grâce, et pour l’amour de vous, ô mon Dieu, permettez que je vous rappelle respectueusement les promesses avantageuses que vous me faites aujourd’hui dans l’Évangile : l’une de me faire accorder par votre Père céleste toutes les demandes que je lui ferai ; l’autre, de venir établir votre demeure au milieu de moi. J’ai lieu de l’espérer, puisque vous êtes un Dieu de charité qui demeurez dans la charité et dans le cœur de celui qui la pratique. Je demanderai dorénavant à votre Père céleste toutes les grâces dont j’aurai besoin, parce que je demanderai en votre nom, et que vous demanderez pour moi et en moi ; et je serai sûr de n’être jamais refusé, parce que j’aurai en vous un Dieu sauveur pour suppliant et pour médiateur. Mais, ô mon adorable Sauveur, répandez vous-même en moi, par votre Saint-Esprit, cette vraie charité qui porte tous les traits de la vôtre ; une charité, dis-je, qui soit ardente et sincère, égale, bienfaisante, héroïque et sage. Que la froideur, que l’antipathie, que l’inconstance, que l’humeur, que l’envie, que les motifs humains, que la passion n’en ternissent jamais l’éclat et la pureté. Mais, Seigneur, pour pratiquer une parfaite charité, ouvrez-moi votre cœur pour y voir et pour y puiser les ardeurs, les motifs et la règle de mon amour pour vous et pour ceux que vous avez aimés jusqu’à perdre la vie et à répandre votre sang pour leur amour, je veux dorénavant, de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces, aimer mes frères comme moi-même pour l’amour de vous.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Je vous donne un nouveau précepte, dit Jésus-Christ à ses Apôtres : c’est de vous aimer les uns les autres, comme Je vous ai aimés. (S. Jean, 13.)

Aimons-nous réciproquement, parce que la charité vient de Dieu. Si quelqu’un dit qu’il aime Dieu pendant qu’il hait son frère, c’est un menteur, et la charité n’est pas en lui. (1re Épître de S. Jean, 2.)

Celui-là est convaincu de ne pas aimer son frère, qui, le voyant dans la nécessité, ne partage pas avec lui, non seulement son superflu, mais encore une portion de son nécessaire. (S. Grégoire.)

J’estime celui-là très heureux qui aime tous ses frères en Jésus-Christ, et qui les aime de manière qu’il mérite d’être aimé de tous ses frères. (Pierre de Blois.)

Prière

Dieu tout-puissant, qui n’avez jamais trouvé d’obstacle à l’exécution de votre divine volonté ; Dieu tout miséricordieux, dont la nature est la miséricorde même, et qui pardonnez aux pécheurs les plus endurcis, quand ils vous le demandent avec un cœur contrit et humilié, accordez-nous le don inestimable de la continence ; contenez vous-même toutes nos passions et tous nos appétits déréglés par la crainte de vos jugements et par l’appréhension de vous déplaire, et embrasez nos cœurs d’une pure et ardente charité, afin que nous vous aimions premièrement par-dessus toutes choses, et notre prochain comme vous l’avez aimé, et pour l’amour de vous. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils.

Point de la Passion

Désespoir de Judas

Le traître Judas, après avoir livré Jésus-Christ aux Juifs, et en avoir reçu les trente pièces d’argent dont il était convenu avec eux pour le prix du sang de son maître, de son Sauveur et de son Dieu, voyant d’ailleurs que de la manière dont on commençait à traiter Jésus-Christ, on le ferait infailliblement mourir par le plus honteux de tous les supplices, connut l’injustice énorme que son avarice lui avait fait commettre ; lien conçut une vive douleur, et entra dans des sentiments de pénitence. Mais, hélas ! quelle détestable douleur et quelle monstrueuse pénitence ! L’horreur de son parricide, la cruauté des Juifs, l’innocence de Jésus-Christ, et la mort infâme et sanglante qu’il allait endurer, se montrèrent à son esprit. Cette conscience criminelle, agitée de remords cuisants, commençait à se rendre justice, et elle était cruellement déchirée et bourrelée par son propre crime.

Dans cette violente situation, ne pouvant plus se supporter lui-même, il va trouver les prêtres pour accuser sa propre injustice et pour restituer l’argent. Il le jeta en leur présence, moins pour en faire une juste restitution que pour se délivrer d’un bourreau secret qui le tourmentait, parce qu’un argent mal acquis tourmente jusqu’à la mort son mauvais acquéreur.

Il sortit du temple agité par de nouveaux transports, et, ne pouvant plus se supporter lui-même, l’image de la mort le suivant partout, il se désespéra, au lieu d’avoir recours à la miséricorde de Dieu. Il fut son propre bourreau, il se pendit ; il creva par le milieu du corps, et il jeta toutes ses entrailles. Il commença ainsi à venger sur sa propre personne ce divin maître qu’il avait si indignement trahi et livré à ses plus cruels ennemis, malgré les grâces et les faveurs qu’il en avait reçues, et qu’il pouvait encore attendre de son excessive bonté, si sa pénitence eût été sincère.

Tout souffrant que vous étiez alors, ô mon Jésus, et pendant que l’injustice des hommes et la perfidie d’un faux ami vous maltraitaient si cruellement, Vous ne laissiez pas d’exercer comme un Dieu tout-puissant votre justice sur cet impie.

Mais, Seigneur, ne souffriez-vous pas aussi vous-même de la perte de ce scélérat ? Cette condamnation, quoique infiniment juste, ne faisait-elle pas violence à votre cœur, Vous qui aviez dit par un Prophète que vous ne vouliez pas la mort du pécheur, mais sa conversion ? Voyiez-vous sans douleur cette âme malheureuse aller dans l’enfer, vous qui commenciez à répandre votre sang pour en délivrer tous les hommes ? Il était encore le prix de votre sang adorable, qui allait sortir de vos veines, quoiqu’il l’eût vendu ; et si, au lieu de se désespérer, il avait fait une sincère pénitence, qui ne lui était pas impossible, ce sang qu’il avait trahi et livré, aurait plaidé sa cause au trône de Dieu pour lui obtenir miséricorde, et il aurait servi à le retirer de l’enfer, parce qu’il est infini dans sa valeur.

Ah ! Seigneur, je ne désespérerai jamais de votre divine miséricorde ; et la valeur infinie de votre sang fera toujours ma confiance, quoique je lui aie fait une infinité d’outrages ; mais aussi je m’efforcerai de ne plus jamais irriter votre justice, je lui satisferai par une sincère pénitence.

MERCREDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Dévotion

Pratique

Faites aujourd’hui consister votre pratique en deux choses : la première, à bien examiner votre dévotion dans ses vues, dans ses motifs et dans le culte que vous rendez à Dieu, pour en retrancher tout ce qui pourrait lui déplaire et la rendre défectueuse, comme la vanité, l’amour-propre, la respect humain, la lâcheté, et, en un mot, tout ce qui ne part pas d’un cœur véritablement dévot ; la seconde, à marquer en toutes choses votre attention à Dieu, par une dévotion solide, universelle, constante, et par un vrai recueillement, soit dans vos prières, soit dans vos lectures, soit en entendant la sainte messe. Essayez donc aujourd’hui d’être dévot comme vous devriez l’être pendant toute votre vie, et comme vous voudriez l’avoir été, si vous étiez au moment de la mort.

Méditation sur la dévotion

Ier POINT. — Hypocrites, dit Jésus-Christ aux scribes et aux pharisiens, Isaïe a bien prophétisé de vous quand il a dit : Ce peuple ne m’honore que des lèvres, et son cœur est éloigné de Moi. (S. Matth., 15.)

Le Sauveur parlait ici à des dévots de profession, mais à de faux dévots, qui faisaient consister leur dévotion dans une infinité de petites observances, pendant qu’ils négligeaient l’essentiel de la dévotion, qui consiste dans la charité, dans la pénitence, dans un attachement sincère de l’esprit et du cœur à Dieu ; qui lui faisaient un reproche public de ce que ses disciples transgressaient les traditions, en ce qu’ils ne lavaient pas leurs mains avant le repas. Voilà le premier défaut que Jésus-Christ, reprend dans les pharisiens, de s’arrêter scrupuleusement à des minuties et de négliger le principal.

Le second, c’est de se scandaliser de tout, et de se permettre tout à eux-mêmes. Ils se scandalisent même des paroles de Jésus-Christ, parce qu’il excusait ses disciples sur l’observance d’une prétendue tradition indifférente à la religion, pendant qu’ils transgressaient sans scrupules les préceptes essentiels. Tels sont les dévots du temps : ils condamnent tout ce qui ne convient pas à la bizarrerie de leur caprice, ils usurpent le droit de juger de tout, et de n’être jugés par personne.

Le troisième défaut que Jésus-Christ reprend aujourd’hui dans les faux dévots, c’est l’aveuglement. Ils sont aveugles, dit le Sauveur, aussi bien que ceux qui les conduisent, et ils tomberont ensemble dans la fosse. En effet, comme le faux dévot épuise tout ce qu’il a de lumières pour examiner les défauts de son prochain afin d’en faire le sujet de sa critique, de son mépris, et même de sa médisance, pour avoir lieu de se préférer lui-même à tous les autres, il n’est pas étonnant qu’il n’en ait pas assez de reste pour se bien connaître. Il ne parle que de pénitence et de mortification, et il se révolte à la moindre souffrance ; le plus petit mépris et la moindre humiliation le découragent et le déconcertent ; il veut avoir tout l’honneur de la dévotion sans en avoir la fatigue. Il est plus vif que les autres dans sa colère, plus insupportable dans son humeur, plus piquant dans ses.paroles, et il est assez aveugle pour ne pas s’en apercevoir.

Enfin la fausse dévotion ne vient pas de Dieu, mais de la vanité, de l’orgueil et de l’amour-propre ; c’est une plante stérile qui n’a que des feuilles, et que le Père céleste n’a pas plantée : aussi, dit le Sauveur, elle sera arrachée jusqu’à la racine. Ces dévotions sensibles et de pur tempérament, ces dévotions indiscrètes et superstitieuses, ces dévotions d’intérêt et de parti, ces dévotions de parade et de pure cérémonie, ces dévotions irrégulières et capricieuses, ces dévotions douces, extérieures et superficielles, qui sont destituées de l’esprit de pénitence, seront comptées pour rien. Examinez les défauts de la vôtre.

IIe POINT. — Ce qui procède de la bouche vient du cœur, et c’est ce qui est capable de souiller l’homme.

Ces admirables paroles ne nous donnent pas seulement à connaître la fausse dévotion, mais elles nous font connaître les caractères de la véritable. Pesons-les au poids du sanctuaire.

Premièrement, elle vient du cœur, parce que le cœur est la source de tout le bien que l’homme chrétien puisse pratiquer. En effet, la dévotion, selon les saints Pères, est un culte religieux que nous devons à Dieu, comme à notre premier principe et comme à notre dernière fin. C’est une volonté soumise, sincère et prompte, qui nous porte avec ardeur à tout ce qui regarde les intérêts et la gloire de Dieu. Cette volonté, cette ardeur ne peuvent être que dans le cœur ; et du cœur il faut qu’elles se répandent sur la bouche et sur les mains, c’est-à-dire sur toutes les paroles et sur toutes les actions. Examinez la situation du vôtre et le caractère de ce qui en sort, et vous connaîtrez si vous êtes véritablement dévot.

Souvenez-vous de ces belles paroles du Prophète, quand il disait : Seigneur, j’ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous m’avez dilaté le cœur. Lorsque ce cœur n’a pas encore acquis une solide dévotion, il marche à petits pas et en tremblant clans la voie des saints préceptes ; mais quand sa dévotion est ardente, le cœur se dilate, l’amour succède à la crainte ; il ne marche plus, il court dans la voie des commandements et dans celle des conseils les plus parfaits.

En second lieu, la dévotion vient de Dieu. C’est une plante que le Père céleste a pris soin de planter dans la terre de nos cœurs, pour produire avec abondance les fruits de la grâce et de la gloire ; mais il ne veut pas que nous y mettions aucune plante étrangère, qui emporterait tout le suc de cette terre mystique, qui empêcherait que celle de la dévotion ne profitât. Examinez encore s’il n’y a rien dans votre cœur qui fasse obstacle à votre dévotion, s’il n’y a point de sentiment imparfait, point d’attache ; car, lorsque Dieu, qui est le seul auteur, et qui doit être le seul objet de notre dévotion, trouve le cœur partagé, il se retire, et c’est le plus grand de tous les malheurs.

Enfin le vrai dévot, loin de donner dans l’aveuglement que Jésus-Christ reproche aujourd’hui aux pharisiens, est éclairé dans toutes ses voies. Il découvre tous les pièges du démon, et ne s’y laisse pas surprendre. Les artifices et les faux traits du monde sont incapables de le séduire ; attentif sur lui-même, il prévient les moindres saillies de l’amour-propre et de la vanité, et il ne s’arrête qu’au solide de la vraie dévotion, parce qu’il n’a dessein que de plaire à Dieu seul. En voilà les caractères si bien marqués dans les paroles de Jésus Christ. À quoi tient-il que vous ne l’embrassiez ?

Sentiments

Ah ! Seigneur, ne suis-je point du nombre de ces faux dévots qui ne vous honorent que du bout des lèvres, pendant que leur cœur est éloigné de vous ? Combien de fois la légèreté, la dissipation, le respect humain et la lâcheté ont-ils accompagné le culte que je vous rendais ! Suis-je rentré dans mon propre cœur autant de fois et aussitôt que je me suis aperçu que j’en étais sorti ? Combien de fois mon cœur était-il plus froid que la glace, et occupé des créatures, pendant que mes lèvres vous louaient, et qu’elles vous disaient que je vous aimais de tout mon cœur ! Rapprochez-vous donc de moi, Seigneur, pendant que mon cœur mettra tout en usage pour se rapprocher de vous par une dévotion sincère.

Père Céleste, arrachez de ce cœur lâche et partagé ce que vous n’y avez pas planté vous-même ; arrachez-en jusqu’aux racines ces inclinations, ces désirs, ces attaches trop sensibles, cet amour de moi-même, qui troublent la pureté et qui diminuent le mérite du culte que je vous dois. Mettez-y à la place cette plante si précieuse d’une dévotion solide et constante ; cultivez-la vous-même, arrosez-la de votre grâce et donnez-lui d’heureux accroissements. Percez, pénétrez ce cœur de la flèche choisie de votre divin amour, afin qu’il s’attache, qu’il se dévoue et qu’il se consacre à Vous seul jusqu’au dernier soupir de sa vie, sans inconstance, sans partage et sans faiblesse, et qu’il soit digne d’être l’objet de vos complaisances, le lieu de votre repos et de vos délices, et le sanctuaire de votre divinité pendant cette vie, pour se rendre digne de vous posséder éternellement dans le ciel.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Exercez-vous à la piété, parce qu’elle est utile en toutes choses. Dieu lui a promis la vie présente et la vie future. (1re Épître à Timoth., 4.)

C’est une grande richesse que la piété, quand elle est contente de ce qui lui suffit. (Ibid., 6.)

La dévotion humilie l’esprit ; elle l’éclaire ; elle embrasse le cœur, et elle le purifie ; elle règle les mœurs, et elle purifie l’âme ; elle fortifie dans les adversités, et elle met les démons en fuite ; elle attire la familiarité de Dieu, et elle le rend toujours favorable. (S. Bernard.)

La dévotion est fausse quand elle ne procède pas de l’amour de Dieu. (S. Bernard.)

Prière

Humblement prosternés aux pieds de votre adorable Majesté, et en posture de criminels et de pénitents qui pleurent leurs péchés, nous implorons votre clémence ; ô Dieu de bonté et de miséricorde, et nous vous prions que, dans ce saint temps de larmes, de pénitence et de grâce, où nous macérons notre chair pécheresse par les abstinences et par les jeûnes que vous nous avez prescrits pour fléchir votre juste colère, pour satisfaire à votre redoutable justice, pour nous mettre dans les voies du salut, et pour obtenir plus sûrement votre miséricorde, vous nous accordiez aussi les grâces qui nous sont nécessaires pour faire jeûner nos passions et nos appétits déréglés, afin de ne plus jamais irriter votre justice. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus au tribunal de Pilate

Notre adorable Sauveur ayant passé une nuit très triste et très douloureuse chez Caïphe pendant laquelle on lui avait fait mille outrages, où ses yeux n’avaient vu que des bourreaux en fureur contre lui, où ses oreilles n’avaient entendu que des injures atroces, que des railleries piquantes, que des imprécations et des blasphèmes exécrables, où son cœur avait été mille fois percé de douleur, où tout son corps avait souffert une infinité de supplices différents, enfin le jour heureux et funeste tout ensemble où il devait mourir arriva. Jour funeste et douloureux pour lui, puisqu’il allait être la victime sanglante du plus douloureux de tous les sacrifices, du plus cruel et du plus infâme de tous les supplices, mais que son cœur ne laissait pas de souhaiter avec ardeur pour consommer le grand ouvrage de notre rédemption !

Les Juifs, qui ne pouvaient condamner personne à la mort, parce que les Romains, qui les avaient assujettis, leur en avaient ôté la puissance, furent obligés de conduire Jésus-Christ avec ses témoins et ses accusateurs au tribunal de Pilate, président pour l’empereur, et il fut conduit avec la même infamie qu’il l’avait été aux tribunaux précédents.

Providence de mon Dieu, vous faisiez servir la cruauté des Juifs à vos adorables desseins. Il fallait que les Juifs et les gentils concourussent ensemble à vous donner la mort. Dans un sens, ils travaillaient pour eux, en nous faisant l’objet de leur fureur. Vous deviez être, par votre mort, le sauveur des uns et des autres ; Votre amour, qui n’a point de bornes, voulait souffrir des outrages de toutes les nations, afin que notre rédemption fût plus universelle, votre sacrifice plus éclatant, et que le mérite de votre sang se répandît sur tous ceux qui contribuaient à le répandre.

Ces indignes prêtres arrivent à la maison de Pilate avec Jésus-Christ, leur prétendu criminel. Ils n’y entrèrent pas cependant, parce qu’étant obligés de célébrer la Pâque, selon la coutume, ils auraient cru être souillés s’ils étaient entrés dans la maison d’un idolâtre : ils ne croyaient pas être souillés en trempant leurs mains dans le sang du juste. Horrible aveuglement ! détestable hypocrisie !

Pilate sortit pour aller le trouver à la porte de son palais. Mais dès qu’il vit le Sauveur, dont les miracles, les prédications et la sainteté faisaient tant de bruit, et qu’il le vit lié de cordes, tenu par des bourreaux, pâle, triste, défait, la douleur marquée sur son visage, qui était couvert d’ordures, de sang, et tout meurtri de coups, il le méprisa.

On produisit les témoins dont on avait concerté et composé les fausses dépositions de manière à intéresser Pilate dans sa mort, par politique et par raison d’État, afin que rien ne le pût soustraire à l’infâme supplice que la jalousie et la cruauté des Juifs lui préparaient. On l’accuse de trois crimes d’État : le premier, d’avoir voulu révolter le peuple, et d’être un séditieux et un perturbateur du repos public ; le second, d’avoir voulu empêcher qu’on ne payât le tribut à César ; et le troisième, d’avoir publié lui-même qu’il était le roi des Juifs. Jésus écoute, il garde le silence, il ne répond point à ces fausses accusations, qui se détruisent assez d’elles-mêmes, et qu’il était impossible de prouver.

Vous êtes accusé, ô mon Sauveur, de séduire le peuple, vous qui n’étiez venu sur la terre, qui ne souffriez et qui ne mouriez que pour le sanctifier et pour le sauver ! — d’empêcher de payer le tribut à César, vous qui le payiez vous- même, et qui aviez dit assez publiquement : Rendez à César ce qui appartient à César ! — de vous porter pour roi, et de vouloir usurper la couronne, vous qui aviez fui de peur qu’on ne vous couronnât, et qui aviez dit que vous n’étiez pas venu pour être servi, mais pour servir ! Vous gardez cependant le silence, vous qui êtes innocent, pour m’apprendre à souffrir les persécutions avec silence, moi qui suis criminel.

JEUDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Présence de Dieu

Pratique

Réveillez-vous avec cette pensée, que Dieu vous regarde, et qu’il est attentif à tout ce que vous pensez, à tout ce que vous dites et à tout ce que vous faites ; qu’il est plus dans vous que vous-même, et que, sans ce continuel regard de Dieu sur vous, vous péririez dans ce moment, et vous retourneriez dans l’affreux abîme du néant d’où vous êtes sorti. Laissez-vous pénétrer d’un profond respect pour cette divine présence ; mais répondez au regard de Dieu sur vous par un regard d’attention, de reconnaissance, de respect, de tendresse. Soyez-y attentif ; ne vous contentez pas de pratiquer cette présence habituelle, rendez-la actuelle autant que vous pourrez ; et dès que vous vous sentirez distrait rentrez dans cette divine présence, comme dans le centre de vos délices.

Méditation sur la présence de dieu

Ie POINT. — Jésus, étant sorti de la synagogue, entra dans la maison de Simon, dont la belle-mère avait une grosse fièvre. Ils le prièrent pour elle… (S. Luc, 4.)

Soyez bien persuadé que les grâces singulières que Jésus-Christ distribue avec tant d’abondance à ceux qu’il honore de sa divine présence sont une preuve convaincante que cette présence d’un Dieu si bon est la source de tous les biens imaginables, comme son absence est la source de tous les malheurs qui nous arrivent ; et que les guérisons miraculeuses qu’il opère en faveur de ceux qui implorent son secours nous font bien comprendre que ce Jésus, si bienfaisant et si charitable, n’est pas seulement le médecin de nos corps, mais encore de nos âmes ; l’un est la figure de l’autre.

Il entre chez Simon, dont la belle-mère était travaillée d’une fièvre violente : on le prie de la guérir ; il se lève dans l’instant, comme pour marquer son activité et sa promptitude à secourir les affligés ; il commande à la fièvre, lui qui commande en maître et en souverain aux éléments, au démon, à la vie et à la mort : la fièvre obéit, et cette femme fut si bien guérie, que dans le moment elle se leva pour servir la compagnie.

Quand Jésus nous honore de sa divine présence, surtout dans la sainte communion, il veut que nous le priions de guérir nos âmes, qui sont bien plus précieuses que nos corps, et dont les maladies sont bien plus importantes et bien plus dangereuses : et alors il agit en Sauveur, il commande en maître, et il guérit tantôt la fièvre de nos convoitises par l’efficace de sa grâce ; tantôt l’ardeur déréglée de nos appétits sensuels par l’onction de la croix ; tantôt l’enflure et la tumeur de notre orgueil par l’exemple de son humilité ; tantôt la glace de notre indifférence et de notre haine contre le prochain par le baume précieux de sa charité ; tantôt la nonchalance de l’hydropisie spirituelle de notre âme par l’infusion de son amour ; tantôt le feu de notre colère par la rosée de sa douceur ; enfin toute la corruption que les plaisirs des sens et des autres passions peuvent laisser dans nos cœurs, par l’appareil salutaire de sa chair et de son sang. Il n’est point de maladie si secrète, si invétérée et si opiniâtre, à laquelle ce céleste médecin n’apporte un souverain remède, quand nous savons rechercher sa divine présence, et mettre à profit les grâces et les bénédictions qu’il communique dans les visites dont il veut bien nous favoriser.

Après cette guérison miraculeuse de la belle-mère de Simon, qui fut bientôt divulguée, tous ceux qui avaient des malades les amenèrent à Jésus : il leur imposait les mains, et il les guérissait. La présence de ce divin Sauveur n’est pas bornée à une seule grâce, ni à guérir un seul malade ; il en sort une vertu divine qui guérit tous ceux qui s’en approchent avec un esprit de foi, quelque maladie qu’ils aient. Quel motif de confiance !

IIe POINT. – Jésus s’en alla ensuite dans un lieu désert, et tout le peuple vint le chercher où il était, et faisait tous ses efforts pour le retenir.

Il y a certains sujets que Jésus prévient, et qu’il honore de sa visite, quoiqu’ils ne le cherchent pas : c’est ainsi qu’il en a use à l’égard de la belle-mère de Simon, de la Samaritaine, du paralytique, et de Saul pendant même qu’il était son persécuteur ; mais le plus ordinairement il veut que nous Le cherchions nous-mêmes avec empressement ; et il semble qu’il se cache exprès, comme il l’a fait dans l’Évangile à l’égard du peuple, afin qu’il le cherchât, et qu’il se rendît d’autant plus digne de sa présence et de ses grâces.

C’est ainsi qu’il en use ordinairement et qu’il en a usé à l’égard de la femme chananéenne, du centenier et de la Madeleine.

Mais ressouvenez-vous qu’il ne suffit pas de chercher Dieu, ni même de le trouver ; il faut encore profiter de cette divine présence, lui découvrir toutes nos maladies spirituelles, le prier avec ardeur de nous imposer les mains, de nous guérir à fond, et de nous donner cette grâce de force pour ne plus retomber.

Ce n’est pas encore assez d’avoir obtenu la guérison : il faut faire tous ses efforts, comme ce peuple, pour le retenir ; lui faire une espèce de violence, comme firent les disciples d’Emmaüs, pour l’engager à demeurer avec nous ; persuadés que, quand nous sommes privés de son adorable présence, nous sommes faibles et dans une extrême pauvreté, et que, quand il est avec nous, et que nous avons assez d’ardeur et de fidélité pour le retenir et le conserver dans notre cœur, nous sommes forts, et que nous possédons le plus précieux de tous les trésors.

Quand Jésus-Christ nous honore de sa visite dans la sainte communion, profitons avec soin des grâces attachées à la présence intime d’une divinité qui nous touche et qui nous remplit. Quand ce temps précieux est écoulé, conservons-en l’odeur, l’impression et la grâce, le plus longtemps que nous pouvons ; allons encore le chercher dans son sanctuaire, où il réside en substance ; et quoique souvent nos églises soient des déserts peu fréquentés par des chrétiens qui n’ont pas tant de religion que les peuples de notre Évangile, entrons-y souvent ; Jésus-Christ nous y attend ; rendons-lui visite pour visite, ou plutôt, payons par plusieurs des nôtres celle qu’il nous a rendue dans la sainte communion ; présentons-nous souvent à ses yeux, retenons-le par notre amour, et ne sortons point d’avec ce Dieu de miséricorde, qui est le souverain médecin de nos âmes, que nous ne l’ayons contraint amoureusement de guérir nos maux spirituels, et qu’il nous ait accordé, comme à Jacob, sa bénédiction.

Sentiments

Permettez, ô mon divin Sauveur, que j’emprunte le langage et les sentiments de votre Prophète, et que je vous dise avec lui Seigneur, favorisez-moi d’un de vos divins regards ; ayez pitié de moi, montrez-moi votre face adorable, et je serai guéri. Vous avez jeté les yeux sur un grand peuple qui vous suivait près de la mer de Tibériade, et vous avez fait un miracle pour le nourrir ; vous avez levé les yeux au ciel pour Lazare, et vous l’avez tiré du tombeau ; vous avez regardé Pierre, et vous avez tiré des larmes de ses yeux pour marque de sa conversion. Jetez les yeux sur mes misères ; approchez-vous de moi, ou donnez-moi la force de m’approcher de vous, et je serai fort contre mes ennemis. Tournez vos yeux vers moi, ces yeux dont le vif et le brillant sont capables d’éclairer tous les aveugles : ces yeux dont le feu et l’ardeur peuvent fondre la glace et amollir la dureté des cœurs les plus froids et les plus insensibles ; ces yeux dont les divins regards sont la marque la plus assurée de la réconciliation, le témoignage le plus certain de votre tendresse, et le gage le plus authentique de la bonté de votre cœur.

Mais, ô mon Dieu, aidez-moi à tourner mes yeux vers vous seul, et à les détourner de toutes les créatures qui pourraient m’empêcher de m’occuper de vous. Si vous allez dans les déserts, je veux vous chercher avec cet heureux peuple jusqu’à ce que je vous aie trouvé. Si j’ai le bonheur de vous trouver, je ferai tous mes efforts pour vous retenir, ou du moins je vous suivrai partout, si ce n’est par les démarches corporelles, ce sera par celles de l’esprit et du cœur. Vous serez toujours présent à l’un et à l’autre ; mon esprit fera son affaire essentielle de penser à vous, et mon cœur ses délices de vous aimer.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Je prenais soin d’avoir toujours le Seigneur devant mes yeux ; il était assis à ma droite, de peur que je ne fusse ébranlé. (Ps.14.)

La méditation de mon cœur sera toujours en votre présence, ô mon Dieu. (Ps. 110)

L’homme chrétien doit être bien plus confus de commettre une offense en présence de Dieu seul qu’en présence de tous les hommes. (S. Bonaventure.)

Où est Dieu ? Mais qu’ai-je dit, misérable ! plutôt où n’est-Il pas ? Il est plus élevé que le ciel, plus profond que l’enfer, plus étendu que la terre, plus immense que la mer : Il est en tout lieu, et il n’est compris dans aucun lieu. (S. Bernard.)

Prière

Soyez éternellement glorifié, Seigneur, par le sang que vos illustres et généreux martyrs saint Côme et saint Damien ont répandu pour la gloire de votre saint nom ; soyez glorifié dans l’assemblée des fidèles par leur bienheureuse solennité, dans laquelle vous leur avez procuré une gloire immortelle, et à nous des secours dans les disgrâces qui nous affligeaient. Nous en rendons grâces à votre infinie bonté, qui nous a procuré ces puissants intercesseurs, que vous écoutez lorsque nous les prions, et qui vous prient pour nous. Continuez-nous ces secours et ces assistances, et pour notre corps et pour notre âme, qui ont chacun leurs besoins et leurs infirmités. Délivrez-nous, par votre puissante protection et par leurs mérites, de tous les malheurs qui peuvent arriver à l’un et à l’autre, et accordez-nous votre grâce dans le temps, et la jouissance de votre divine présence dans l’éternité bienheureuse. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus interrogé par Pilate

Ce président des Romains introduisit Jésus dans le prétoire où l’on jugeait les criminels, et, ne faisant aucune attention aux deux premiers chefs d’accusation, il l’interroge sur le troisième, en lui demandant s’il est le roi des Juifs. Ce Sauveur, véritablement roi du ciel et de la terre, lui répond : Me parlez-vous de vous-même, ou si ce sont d’autres qui vous l’ont suggéré ? comme s’il voulait dire Me voyez-vous d’un air, d’un faste et d’une posture à ambitionner la royauté ? mais si vous me le demandez de vous-même, je vous répondrai que mon royaume n’est pas de ce monde.

Non, Seigneur, votre royaume n’est pas de ce monde, ni sujet aux vicissitudes temporelles ; mais il est spirituel et éternel tout ensemble, et rien ne pourra jamais l’ébranler. Vous êtes venu pour rendre témoignage à la vérité, et quoique Pilate ne comprenne pas toute la sublimité de vos divines réponses, qui sont autant d’oracles, vous les faites cependant avec tant de sagesse et tant de modestie, qu’il connaît parfaitement votre innocence et l’envie des Juifs qui veulent vous perdre. Il la publie, cette innocence, et il voudrait bien vous soustraire à la fureur de vos ennemis. Il sent toute l’injustice de vos accusateurs ; il découvre la jalousie furieuse des prêtres, des scribes et des pharisiens ; il la regarde comme la seule cause de votre mort ; il en est convaincu ; il commence même à exercer ses fonctions et à faire son devoir de juge : heureux s’il avait soutenu son caractère avec la même droiture jusqu’à la fin ! Il prononce de son tribunal et en juge que Jésus est innocent, et qu’il n’y a rien dans toutes les accusations qui soit digne de mort.

Non, Seigneur, vous ne méritiez pas la mort, mais c’est moi qui la méritais ; par conséquent, tout innocent que vous étiez par vous-même, vous deviez mourir, parce que vous étiez ma caution auprès de votre Père céleste, et qu’en cette qualité, que votre amour vous avait fait prendre, vous deviez payer pour moi. Mais, ô mon divin Sauveur, apprenez-moi comment je pourrai reconnaître cet inestimable bienfait.

Cependant, Seigneur, est-il bien possible que vos propres citoyens, que des prêtres et des docteurs éclairés par la vraie religion vous condamnent, pendant qu’un idolâtre et un étranger vous justifie ?

Ah ! je comprends ce mystère d’iniquité. Pilate ; quoique païen, n’était pas possédé par l’envie ; et les prêtres et les pharisiens, quoique adorateurs du vrai Dieu, étaient tyrannisés et déchirés par cette indigne passion ; et cette envie rend un homme, quoique religieux quant au culte, plus emporté, plus injuste, plus cruel et plus furieux qu’un idolâtre.

VENDREDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Grâce

Pratique

Soyez aujourd’hui dans une vigilance et dans une attention continuelles sur les grâces qui se présenteront. Formez en ce moment une généreuse résolution de ne commettre contre cette grâce aucune infidélité, quelque petite qu’elle puisse être, et d’y répondre sans délai et dans le moment que vous en sentirez l’inspiration. Efforcez-vous de trouver et de mériter cette grâce en tout : dans les mépris, dans les souffrances et dans les contradictions. Vous la trouverez sûrement, si vous avez de l’attention et de la fidélité. Mais, pour vous acquitter dignement de cette pratique, faites aujourd’hui toutes vos bonnes œuvres, soit prières, soit lectures, soit observances, soit actions de charité, avec tant de pureté d’intention, que vous ne perdiez rien des grâces qui y sont attachées.

Méditation sur la grâce

Ier POINT. — Jésus vint dans une ville de Samarie nommée Séchas, près de l’héritage que Jacob donna à son fils Joseph, où il y avait un puits qu’on appelait la Fontaine de Jacob. (S. Jean, 4.)

Considérez attentivement toutes les bontés et toutes les prévenances de la grâce de Jésus-Christ pour une pécheresse. Remarquez bien toutes les démarches que fait notre adorable Sauveur, en qui la grâce s’était incarnée, malgré les refus et les détours de la Samaritaine. Ces démarches si charitables, il les a faites pour vous, et même beaucoup plus, parce qu’il est mort pour votre amour. Reconnaissez-les et soyez plus fidèle à sa grâce.

Premièrement, Jésus-Christ, dit l’évangéliste, s’était fait une nécessité de passer par Samarie, parce qu’il s’est imposé à lui-même une loi d’amour de rechercher les pécheurs. Il arrive le premier au puits de Jacob, ne voulant pas être prévenu par sa créature. Sa lassitude l’oblige à se reposer : cet Être suprême, en qui toutes les créatures se reposent, est obligé lui-même de chercher du repos.

Arrivé au puits, il attend avec patience. Enfin la pécheresse arrive, et il lui demande à boire. La grâce prévient ici pour se faire désirer dans la suite ; elle cherche pour se faire rechercher, elle demande pour donner, elle condescend pour demander. La Samaritaine refuse d’abord de lui donner à boire en disant pour excuse que le puits est trop profond ; mais Jésus, résolu de la gagner, lui passe la dureté de son refus ; il cesse de lui demander à boire, et lui dit d’un ton plein de douceur : Si vous connaissiez le don de Dieu et celui qui vous parle, vous lui auriez peut-être demandé vous-même à boire, et il vous aurait donné d’une eau vive. Cette femme opiniâtre dissimule encore, et elle ne se rend pas.

N’est-ce point ici votre conduite à l’égard de la grâce ? Elle a peut-être parlé mille fois au fond de votre cœur pour rompre une attache qui vous empêchait d’être à Dieu comme vous y deviez être, et vous avez dissimulé de l’entendre : ou bien vous vous êtes retranché, comme elle, sur votre prétendue faiblesse et sur la difficulté du travail, sans faire attention que rien n’est impossible à l’homme chrétien avec la grâce.

Vous dites que le puits est trop profond ! Comment pouvoir combattre une passion dominante qui s’est rendue la maîtresse du cœur ? Comment se mortifier et se résoudre de mourir à tout quand on est sensuel ? Comment pratiquer cette vie intérieure, quand on a toujours aimé la dissipation ? Comment vivre dans un perpétuel renoncement à soi-même, quand on a toujours aimé le plaisir ? Enfin, comment se déterminer à entrer dans cette carrière pénible de la pénitence, et la soutenir jusqu’à la mort, quand on est accoutumé à la mollesse ? N’est-ce point là votre langage ?

IIe POINT. – La Samaritaine dit à Jésus-Christ : Seigneur, donnez-moi de cette eau.

L’admirable entretien du Sauveur avec cette pécheresse nous fait bien entendre que si les bontés prévenantes de la grâce, malgré les résistances d’un pécheur, sont des motifs bien puissants qui nous attirent, les démarches de ce pécheur, qui se rend enfin à la grâce, sont des exemples qui nous instruisent et qui nous animent.

Cette pécheresse, après plusieurs résistances, sent bien qu’elle ne peut plus tenir contre cette grâce qui la sollicite ; et elle commence à demander de cette eau vive et surnaturelle qui fait qu’on ne sent plus d’altération qui inquiète. Elle perd de sa fierté ; elle commence à demander, elle qui avait refusé de donner et voilà la première démarche que vous devez faire.

Concevez une haute estime de cette eau vivifiante de la grâce. Comprenez que vous ne pouvez rien sans elle ; souhaitez-la avec ardeur ; demandez-la avec une profonde humilité. Dites à Dieu : Seigneur, mon âme sent son extrême pauvreté, enrichissez-la de ce don précieux ; mon âme n’a été que trop altérée des eaux empoisonnées et corrompues qui se trouvent dans les citernes des pécheurs, et qui, loin d’étancher sa soif, ne l’ont que trop augmentée ; donnez- moi cette eau vive de la grâce qui me désaltère pour toujours de la soif des plaisirs sensuels.

Mais il ne faut pas se contenter de la demander avec ardeur, il faut encore travailler, et ne point s’effrayer de la rigueur du travail qu’elle exige ; quelque affreux qu’il paraisse à la mollesse, la grâce saura bien l’adoucir. En effet, cette nouvelle convertie met aussitôt la main à l’œuvre : ce n’est plus une femme voluptueuse ni une idolâtre rebelle ; la majesté, la force et l’éloquence de la grâce dans la bouche de Jésus-Christ l’ont efficacement déterminée à la pénitence. Appliquée à ménager les précieux moments que le Sauveur lui procure, elle abandonne sans aucun délai son puits et sa cruche pour aller expier ses désordres par une confession publique. L’eau morte de ce puits, dit saint Augustin, est la figure des voluptés criminelles, où les âmes charnelles qui en sont altérées puisent ces eaux corrompues et empoisonnées qui leur donnent la mort. Elle les quitte, et Jésus-Christ lui donne en leur place l’eau pure et vivifiante de la grâce ; et elle lui rend par la pénitence l’eau précieuse de ses larmes.

Qu’est-ce qui vous empêche de vous rendre aux sollicitations de la grâce ? Avez-vous chez vous plus d’obstacles à la conversion qu’il n’y en avait dans l’esprit et dans le cœur de cette pécheresse ? Elle était schismatique et idolâtre, voilà la corruption de l’esprit : l’amour charnel était sa passion, et elle était pécheresse publique, voilà la corruption de son cœur et de toute sa personne. Écoutez la grâce, et rendez-vous à la grâce, travaillez avec la grâce, et vous emporterez tout ce que vous voudrez sur votre esprit et sur votre cœur.

Sentiments

Parlez à mon âme, ô mon divin Sauveur, avec cette éloquence si douce et si touchante avec laquelle vous avez bien voulu parler à la Samaritaine. Faites-lui connaltre l’excellence et le prix Inestimable de ce don céleste, qui est votre grâce : don parfaitement gratuit à mon égard, puisque je ne l’ai jamais mérité, et qui ne l’est pas au vôtre, puisqu’il vous a coûté tout votre sang. Insinuez, faites couler avec abondance dans mon âme cette eau céleste et vivifiante qui la désaltère de tous les plaisirs des sens et qui ne lui laisse que la soif de la, justice, de l’amour divin, et de la gloire que vous avez promise et méritée à ceux qui sont fidèles à, votre grâce. Cette eau est infiniment plus douce et plus délicieuse que celle des plaisirs du monde, qui ne produisent que de fades douceurs, toujours suivies d’amertumes temporelles et éternelles.

Don céleste, enrichissez mon âme. Si je vous possède, je ne craindrai plus la pauvreté ; et dans quelque indigence que je me trouve ailleurs, je serai toujours dans l’abondance. Eau vivifiante, arrosez, rafraîchissez, noyez mon âme, étanchez pour toujours sa soif ; laissez-lui seulement celle qui faisait dire au Prophète : Mon âme a soif du Dieu fort et vivant. Donnez-la-moi, Seigneur, cette grâce, si j’ai le malheur d’en être privé. Fortifiez-la, soutenez-la, et augmentez la par votre puissante protection, si j’ai le bonheur de la posséder. Mais surtout, ô mon Dieu, accordez-moi la grâce de la persévérance finale, qui est la grâce des grâces, et la véritable source d’eau vive qui porte élus à l’éternité bienheureuse.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce n’a pas été stérile en moi ; mais j’ai travaillé plus que les autres, non pas moi, toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi. (Épît. aux Cor., 15.)

Nous vous exhortons, vous qui nous aidez, à, ne point recevoir la grâce de Dieu en vain. (2e Epît. aux Cor., 6.)

La grâce du Saint-Esprit ne s’accommode point de nos délais ; et de nos remises. (S. Augustin.),

La grâce est toujours prête, et elle n’a jamais manqué qu’elle n’ait été auparavant repoussée par le pécheur ; elle inspire continuellement le bien qui lui convient, quand elle trouve un sujet qui la reçoit. (S. Augustin.)

Prière

Dieu de puissance et de bonté, qui, selon vos propres oracles, atteignez d’un terme à l’autre avec force, et qui disposez tout avec une douceur et une suavité admirables, vous nous avez fait la grâce de commencer, de poursuivre nos pratiques de pénitence, nos abstinences et nos jeûnes jusqu’à ce jour ; favorisez-nous d’une nouvelle force et d’une nouvelle grâce pour achever heureusement de fournir cette carrière de pénitence jusqu’à la fin. Éloignez de nous toute délicatesse et toute lâcheté ; augmentez notre zèle et notre ferveur, afin que, nous acquittant exactement de ces jeûnes temporels, nous fassions aussi jeûner notre âme du côté de ses désirs charnels et de ses passions déréglées, et que ce double jeûne apaise votre colère, satisfasse pour nos péchés du corps et de l’âme, nous fasse mériter vos grâces dans cette vie mortelle, et la gloire que vous nous avez promise dans la vie éternelle. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus conduit à Hérode

C’est ici que nous voyons clairement justifié l’oracle du Prophète, quand il dit que les rois de la terre et les princes du peuple se sont élevés contre le Seigneur, et se sont ligués ensemble contre le Christ. (Ps. 2.) Le roi Hérode et Pilate étaient ennemis : et il est surprenant que le sang de Jésus-Christ même soit le nœud de leur réconciliation dans le temps qu’ils concourent l’un et l’autre à le répandre. Pilate renvoie le Sauveur à ce maquis prince, parce qu’il avait entendu dire qu’étant Galiléen, il était de sa tétrarchie.

Mais à quels tribunaux Jésus-Christ, qui était l’innocence même, est-il conduit ? De ceux de deux princes des prêtres, également perfides, à ceux de Pilate, qui était un idolâtre ; et de ceux de cet idolâtre à celui d’un prince impudique et incestueux ! Incomparable pureté de mon Sauveur, où étiez-vous exposée ?

Hérode fut ravi de tenir Jésus-Christ entre ses mains. Il y avait longtemps qu’il souhaitait de le voir : le grand bruit que faisaient ses miracles excitait en lui ce désir ; non pas dans le dessein de profiter de ses divines leçons, parce que les voluptueux fuient toujours la conversation des saints ; mais peut-être regardait-il Jésus comme un enchanteur fameux et comme un magicien habile, et il voulait repaître sa curiosité criminelle de quelque prodige nouveau qui lui fît plaisir.

Ce mauvais prince fut extrêmement surpris de voir Jésus-Christ dans une si pitoyable situation, lui que les peuples venaient de recevoir avec pompe et de respecter comme le Messie. Ses yeux trop charnels, qui à travers cet extérieur si humilié et si souffrant n’avaient garde de démêler et de pénétrer ce qui le rendait si respectable, parce qu’il n’avait ni piété ni religion, le lui représentèrent comme un homme méprisable. Il lui fit plusieurs interrogations. Jésus garda le silence, et ne lui fit pas l’honneur de lui répondre ; cet incestueux ne méritait pas que le Dieu de pureté liât conversation avec lui. D’ailleurs Jésus-Christ voulait mourir ; l’arrêt de mort était déjà prononcé dans le ciel ; il y avait acquiescé, parce qu’il voulait nous sauver au prix de son sang, et il ne voulait rien dire pour se justifier.

Hérode, frustré dans son attente, et peut-être pour se venger de son silence, prit le parti de traiter Jésus-Christ comme un fou qui repaissait son esprit d’une chimère et d’un vain fantôme de royauté. Il le fit revêtir, par dérision, d’une robe blanche, et avec cet habillement ridicule il l’exposa à la risée et aux insultes de tous ses soldats. Ils lui firent mille outrages, et ils le conduisirent en cet équipage à Pilate, au milieu d’un peuple insolent, qui, le voyant dans cet habit ridicule, lui fit mille railleries sanglantes, et le chargea d’injures pendant tout le chemin.

Cette grandeur suprême ainsi déguisée, dit un pieux docteur ( Thomas A-Kempis, n° 8), est exposée au mépris d’une canaille insolente ; cette noblesse sublime est publiquement moquée et déshonorée par des scélérats et par des gens de néant ; cette beauté ravissante et incomparable est défigurée par des infâmes ; cette sagesse toute divine est traitée de folie par des fous et des insensés ; cette source de grâces et de bénédictions est chargée et accablée de malédictions par des impies, et l’innocence même est cruellement outragée par des criminels. Quel douloureux et quel touchant spectacle !

SAMEDI APRÈS LE 3e DIMANCHE
Jour de Miséricorde

Pratique

Vous ne sauriez mieux commencer ce jour dédié à la divine miséricorde qu’en prononçant avec un cœur contrit et humilié ces belles paroles du Prophète pénitent : Ayez pitié de moi, ô mon Dieu, selon votre grande miséricorde. Ne vous contentez pas de les dire en vous éveillant ; mais prononcez-les plusieurs fois pendant la journée. Reconnaissez l’extrême besoin que vous avez de cette miséricorde ; pensez avec amertume et avec douleur aux plus grands péchés que vous avez commis depuis que vous êtes au monde, et aux flammes éternelles dans lesquelles vous brûleriez à, présent, et pour une éternité tout entière, si cette miséricorde ne vous avait pas conservé la vie que vous méritiez de perdre. Demandez-la cette miséricorde à toutes les heures du jour, et efforcez-vous de vous l’attirer par vos ardentes prières.

Méditation sur la miséricorde

Ier POINT. – Les scribes et les pharisiens amenèrent à Jésus-Christ une femme surprise en adultère. (S. Jean, 8.)

Remarquez d’abord que, quand on a tenté Jésus-Christ sur sa doctrine, il n’a répondu que par des paroles ; mais qu’autant de fois qu’on l’a tenté sur sa miséricorde, il a toujours répondu dans le moment par des grâces, par des bienfaits, et souvent même par des miracles. En voici un grand exemple ; profitez-en, non pour prendre de là occasion de présumer de sa divine miséricorde, mais pour l’attirer par vos larmes et par les œuvres de la pénitence.

Les scribes et les pharisiens, gens austères jusqu’à la cruauté pour les autres, mais indulgents jusqu’à la lâcheté pour eux-mêmes, d’ailleurs ennemis jurés de Jésus-Christ, lui amenèrent une femme ; ils la mirent au milieu d’eux, comme une criminelle, et lui dirent : Maitre, voilà une femme qui vient d’être surprise en adultère. Selon la loi de Moïse, elle doit être lapidée ; mais dites-nous quel est votre sentiment. Cette interrogation était captieuse, et concertée avec malignité par l’esprit de jalousie, de haine et d’hypocrisie ; car, quelque jugement que Jésus-Christ prononçât, ils avaient dessein de le perdre et de l’accuser, ou d’une lâche indulgence, ou d’une sévérité outrée ; et il ne fallait rien moins que les lumières et la sagesse d’un Homme-Dieu pour en découvrir et pour en éluder l’artifice. Aussi Jésus-Christ, loin de tomber dans ce piège, les y fit tomber eux-mêmes. Il les embarrassa, il les fit craindre, il les couvrit de confusion, et il les obligea à prendre le parti du silence et de la fuite : et c’est l’ouvrage de sa miséricorde.. En voici l’ordre. Premièrement il s’incline et il s’abaisse ; secondement, il écrit en terre ; et, en troisième lieu, il se relève, il parle et il prononce.

Ce Sauveur et ce Dieu de majesté s’incline jusqu’en terre, malgré son infinie grandeur. Sa miséricorde lui fait faire une double inclination. Premièrement, il incline son cœur charitable vers cette pécheresse pour lui pardonner et pour la soustraire au supplice cruel et infâme qui lui était préparé. En second lieu, il incline tout son corps, dit un saint docteur, et, comme un vrai pasteur, il présente ses épaules pour rapporter cette brebis égarée au bercail de la pénitence.

Secondement, Jésus-Christ écrit sur la terre. Écrit-il un arrêt de mort ? Rien moins ; il ne sied pas à un Sauveur d’écrire un arrêt de mort contre une pécheresse qui, dans, son cœur brisé et pénétré de douleur, implorait sa miséricorde. Enfin Jésus-Christ parle ; et voici ces admirables paroles : Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. À ces paroles, chacun prend soin de se retirer secrètement, craignant avec raison que ce prophète si éclairé ne découvrît leur turpitude et ne mît au jour des mystères d’iniquité qui les auraient couverts de honte. C’est ainsi que la miséricorde triomphe ; c’est ainsi qu’elle pardonne les plus grands péchés.

IIe POINT. – Jésus demeura seul avec cette femme pécheresse. Dans quels sentiments était-elle alors ? Confuse, troublée, tremblante, saisie de frayeur, prête à endurer la mort ; sans la miséricorde de son divin libérateur, elle voyait déjà les mains de ses accusateurs, accoutumés à ces sortes de massacres, prêtes à ramasser des pierres pour lui écraser la tête, et pour laver de son propre sang l’ordure de son infâme adultère. Mais, se trouvant seule avec l’Auteur de la miséricorde, elle commence à respirer et à concevoir quelque espérance de la vie par le secours de Celui qui venait la donner à tous les hommes aux dépens de la sienne.

Dès que ces faux zélés eurent pris la fuite, Jésus dit à cette femme avec une bonté singulière : « Où sont vos accusateurs ? Personne ne vous a condamnée, je ne vous condamnerai point aussi ; allez, et ne péchez plus. »

« Où sont vos accusateurs ? » Quelle bonté dans Jésus-Christ de faire remarquer à cette pécheresse qu’il n’y avait plus personne autour d’elle qui demandât son sang ! C’était sans doute pour faire naître la confiance dans son cœur, et pour lui faire comprendre que, n’ayant plus que lui seul auprès d’elle, elle n’avait plus rien à craindre.

« Personne ne vous a condamnée, » dit encore Jésus-Christ ; voilà un surcroît de bonté, et des paroles équivalant à une absolution, parce qu’il ajoute : « Et je ne vous condamnerai pas aussi. » Voilà encore un oracle de vie prononcé par Celui-là même qui est le souverain arbitre de la vie et de la mort. Ensuite il la console, il la relève, il la délivre ; et, dans ces précieux moments, il prépare son cœur à la pénitence, il la pénètre des sentiments d’une juste douleur, pour la rendre digne de la miséricorde qu’il lui faisait.

« Vade, allez. » Il lui donne congé, pour lui épargner la confusion. Il lui rend sa liberté par cette parole, qui renfermait aussi un oracle de vie, pour vaquer le reste de ses jours à rendre grâces à son libérateur et faire pénitence.

« Et ne péchez plus dorénavant. » Il fallait absolument que Jésus-Christ accompagnât sa miséricorde de cette sage précaution ; sans cela elle aurait passé pour une excessive condescendance. Ce n’est, en effet, qu’à cette condition que vous obtiendrez la divine miséricorde. Le retour dans le péché lui est infiniment odieux. Apaisez-la par vos larmes ; demandez-la par vos gémissements ; travaillez infatigablement avec elle par une satisfaction rigoureuse, et efforcez-vous de ne tomber jamais dans le péché dont elle vous aura accordé le pardon.

Sentiments

Adorable Sauveur, Dieu des miséricordes, pardonnez à ce pécheur racheté de votre sang ce ne sont pas vos ennemis qui me forcent, comme la pécheresse, à venir en votre présence pour entendre, de votre bouche un arrêt de vie ou de mort ; mais ce sont mes péchés, c’est ma propre conscience, c’est la crainte de vos jugements ; plus que tout cela, c’est votre bonté et la confiance que vous m’ordonnez d’avoir en votre miséricorde. C’est de moi-même que je m’y présente. Je n’ai encore personne qui m’accuse au tribunal de votre justice, c’est moi qui suis volontairement mon propre témoin et mon propre accusateur ; non à ce terrible tribunal de votre justice, qui est pour moi trop redoutable, mais à celui de votre infinie et toute-puissante miséricorde, où j’en appelle, et où je vous conjure de me traduire. Seul à seul avec vous comme cette pécheresse, je n’ose pas lever les yeux sur votre face adorable, parce que je suis pécheur ; et que mes iniquités, qui sont sans nombre, me rendent confus. Parlez-moi donc, Seigneur, avec la même bonté que vous lui avez parlé. Que j’entende cette voix de douceur, cette parole de grâce et de miséricorde, et cet oracle favorable que vous lui fîtes entendre pour lui rendre l’espérance de la vie. Dites-moi, je vous en supplie que vous ne me condamnerez pas, ni à présent, ni à l’heure de la mort, ni à celle du jugement dernier, et renvoyez-moi en paix comme vous la renvoyâtes ; et je vous promets, avec le secours de votre miséricorde, que je ne vous offenserai plus.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Les yeux du Seigneur sont arrêtés sur ceux qui le craignent et qui espèrent en sa miséricorde. (Ps. 32.)

Faites paraître, Seigneur, votre miséricorde sur nous, selon l’espérance que nous avons eue en vous. (Ps. 32.)

Que personne ne désespère de la miséricorde de Dieu, parce qu’elle est infiniment plus grande que notre misère. (S. Augustin.)

La miséricorde de Dieu est la grandeur de Dieu même. (S. Augustin.)

Prière

Seigneur tout-puissant et tout miséricordieux, qui voulez et qui pouvez pardonner les plus grands péchés quand on implore vote divine miséricorde avec un cœur contrit et humilié, conduisez-nous par les sentiers de la justice chrétienne, pour nous rendre d’autant plus dignes d’obtenir cette miséricorde que nous vous demandons ; et pendant que nous pratiquons l’abstinence des viandes, et dans le temps où nous faisons jeûner notre chair pour punir ses délicatesses, pour expier et pour apaiser ses révoltes, et pour la soumettre à l’esprit, donnez-nous assez de force et assez de courage pour faire jeûner nos âmes du côté des passions déréglées qui nous livrent souvent de rudes combats, pour mériter votre grâce et votre miséricorde dans cette vie, et le bonheur de vous posséder éternellement dans l’autre. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Retour de Jésus chez Pilate

Voici enfin Jésus innocent à son dernier juge et à son dernier tribunal, d’où il ne sortira que pour aller être crucifié sur le Calvaire, après y avoir souffert une infinité d’outrages plus cruels et plus sanglants que tous ceux qu’il a endurés jusqu’à présent. Voilà la cinquième fois qu’on traîne ignominieusement cet adorable Sauveur dans les rues de Jérusalem, escorté par des bourreaux, lié de cordes comme un scélérat, moqué, raillé, insulté de tout un peuple.

Suivons-le en esprit ; encore plus de cœur, puisque ce sont nos péchés qui le font souffrir. Examinons avec une attention compatissante sa triste situation, sa marche faible et chancelante, ses yeux mourants où la tristesse est peinte avec ses traits les plus douloureux. Mais entrons dans son intérieur ; efforçons-nous de nous faire une idée vive et touchante de la peine extrême que son cœur ressent, et surtout n’oublions pas que c’est par nous et pour nous qu’il souffre dans son esprit, dans son cœur et dans son corps.

Pilate, persuadé de l’innocence de Jésus, fait quelques efforts pour le délivrer ; il parle au peuple en sa faveur ; il lui dit qu’Hérode le trouve innocent aussi bien que lui. La vision de sa femme le confirme dans le même sentiment, et il proteste hautement qu’il ne veut point avoir de part à sa mort. Les prêtres et le peuple, qui ne respiraient que son sang, le menacent, et ils ont l’insolence de lui dire, pour l’intimider, qu’il n’est point ami de César, s’il ne fait pas mourir un homme qui veut usurper l’autorité royale ; et Pilate, qui aurait dû soutenir l’équité de son jugement aux dépens de sa vie, s’imagine être disculpé de son crime en lavant ses mains devant le peuple. Lâche juge, s’écrie saint Léon, l’eau que tu fais verser sur tes mains n’est pas capable de laver ton âme, ni de payer le sang d’un Dieu que tu vas laisses répandre. C’est ainsi qu’on sacrifie l’honneur et la vie du juste, c’est ainsi qu’on abandonne l’innocent à l’injuste fureur de ses cruels ennemis, lorsque plusieurs ont conspiré sa perte.

Aussi cette vaine cérémonie ne produisit-elle aucun effet. On persista à demander le sang de Jésus-Christ avec des clameurs effroyables. Mais quelle horrible inconstance dans ce peuple ! Quelques jours auparavant il courait avec ardeur à ses prédications comme à des oracles ; il venait de le recevoir, il n’y avait pas cinq jours, avec pompe et avec des acclamations, comme son souverain et comme son Messie ; et il veut le faire périr aujourd’hui comme un séducteur, comme un blasphémateur et comme un impie ! Quelle énorme ingratitude de demander la mort de Celui qui venait de guérir ses malades, d’éclairer ses aveugles et de ressusciter ses morts ! et de payer tant de bienfaits, qui méritaient une éternelle reconnaissance, par un acharnement cruel à répandre son sang ! Il faut, ô mon Sauveur, que vous soyez la victime de son injuste fureur, de son ingratitude et de son envie !

Votre cœur sentait vivement une injustice si criante ; mais votre amour, toujours héroïque, et mille fois plus fort que la mort, allait toujours son chemin pour courir à la mort, parce que c’était l’unique moyen que vous aviez choisi pour nous donner la vie. Vous faisiez même servir la perfidie et la cruauté de ce peuple ingrat à vos adorables desseins, parce que vous vouliez mourir, et que vous regardiez cette mort, tout affreuse qu’elle était, comme la source du bonheur éternel que vous vouliez nous procurer à quelque prix que ce fût. Heureux encore si j’en profite, et si je ne suis pas d’intelligence avec vos ennemis pour vous donner une seconde mort, après que vous avez enduré la première pour me donner la vie !

4e semaine de carême

IVe DIMANCHE DE CARÊME
Jour de Providence

LUNDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour de Religion

MARDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour de Conformité à la volonté de Dieu

MERCREDI  APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour de Lumière

JEUDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour de Mort

VENDREDI  APRÈS LE IVe DIMANCHE
Jour d’Espérance

SAMEDI  APRÈS LE IVe DIMANCHE
Jour d’imitation

4e DIMANCHE DE CARÊME
Jour de Providence

Pratique

Remerciez, à votre premier réveil, la divine providence de tous les secours que vous en avez reçus depuis que vous êtes au monde, des soins maternels qu’elle a pris de votre conduite, et des périls où elle vous a protégé sans que vous l’ayez mérité. Ensuite demandez-lui humblement qu’elle les continue et qu’elle les augmente à votre égard. Faites, dans la journée, de fréquents retours vers elle par des actes de foi, de confiance et d’abandon. Ayez-1a toujours devant les yeux ; adorez-la, rendez-vous digne de ses faveurs et de ses bontés ; attribuez-lui, et non à, votre industrie, tous vos heureux succès ; entrez avec un esprit de foi dans ses adorables desseins sur vous ; ne sortez point, ne vous émancipez jamais de sa conduite, et persuadez-vous qu’elle ordonne tout ce qui vous arrive pour votre bien et pour votre salut.

Méditation sur la providence

Ier POINT. — Jésus voulut aller au delà du lac de Tibériade, et il fut suivi d’une grande multitude, attirée par les guérisons miraculeuses qu’il faisait. (Saint Jean, 6.)

Joignez-vous en esprit au peuple qui suit Jésus-Christ, et qui ne s’embarrasse pas où il pourra trouver de quoi boire et manger. Abandonnez-vous comme lui à sa divine providence, et, si votre abandon est parfait, soyez sûr du succès, et que Jésus-Christ fera plutôt un miracle que de vous laisser manquer du nécessaire.

Commencez à vous laisser convaincre de la vérité et de l’infaillibilité de la divine providence. Soyez persuadé que si, par impossible, il n’y en avait point, dit saint Augustin, il n’y aurait point de religion, point de Jésus-Christ, et point de Dieu. Si vous avez jamais eu des doutes sur cette vérité fondamentale de notre religion, déposez-les, réparez- les au plus tôt par des actes de foi, de confiance et d’abandon ; et puisez dans la conduite des peuples de notre Évangile et dans les miracles de Jésus, et de quoi vous en convaincre, et de quoi ne vous en défier jamais.

L’infidélité contre la divine providence est tantôt dans l’esprit, quand on ne la croit pas, quand on ne la respecte pas, quand on se propose d’autres mesures pour parvenir à ses fins sans la consulter ; elle est tantôt dans le cœur, quand on n’y adhère pas, quand on ne l’aime pas, et quand on se révolte secrètement contre elle ; et tantôt dans les mains et dans les actions, quand on agit comme s’il n’y avait point de Providence ; et cette triple infidélité est d’autant plus criminelle, qu’outre les preuves évidentes que nous en avons dans toutes les créatures, qui en sont, dit saint Augustin, les prédicateurs muets, nous en portons toutes les preuves sensibles dans nous-mêmes. Faisons seulement une serieuse réflexion sur la conduite de Dieu à notre égard, et nous en conviendrons. Les périls que nous avons évités, les secours certains qui ne nous ont jamais manqué dans nos plus pressants besoins, les ressources que nous avons trouvées dans nos misères spirituelles et temporelles en sont des preuves. Vous me direz : Je n’en ai jamais douté. Mais trouvez bon qu’avant de vous croire, je vous demande si vous ne vous êtes jamais défié de cette providence. N’avez-vous jamais été agité de sollicitudes excessives pour l’avenir ? Ne vous êtes-vous point proposé, pour parvenir à vos fins, d’autres routes que celles qui vous étaient marquées par cette providence ? L’avez-vous toujours consultée pour vos projets et pour tous vos desseins ? N’avez-vous point murmuré contre elle, quand il vous est arrivé quelque chose de fâcheux ? Ne vous êtes-vous point soustrait et émancipé de sa conduite, en vous chargeant vous seul du soin de vous-même, sans lui rapporter vos vues ? Si cela est, vous prenez le change, vous en avez douté ; et si votre doute n’a pas été, selon vous, dans la spéculation et dans l’esprit, il a été dans votre cœur et dans toute votre conduite ; c’est ce qu’il est important de réformer.

IIe POINT. – Jésus leva les yeux sur le peuple qui le suivait, et il dit à Philippe : Où achèterons-nous du pain pour nourrir tout ce monde ?

Adorez, aimez la divine providence qui éclate aujourd’hui dans les regards des yeux de Jésus-Christ, dans les sollicitudes de son cœur, dans les miracles de ses mains qui en sont les dispensatrices. Il lève les yeux, marque de l’attention qu’il faisait aux besoins de ce peuple ; il fait connaître par là qu’il se charge du soin de nourrir ceux qui se reposent sur ses bontés, qui le suivent, qui écoutent sa parole, et qui n’oublient leurs besoins corporels que pour penser à ceux de l’âme, qui sont bien plus pressants.

Ses yeux adorables, qu’il lève sur son peuple, étaient les fidèles interprètes de son cœur ; il est touché, il entre en sollicitude, et la sollicitude d’un Dieu si bon et si puissant nous doit dispenser d’en avoir d’excessives. Sa bouche parle, elle demande, elle s’informe tendrement, quoiqu’il sût bien qu’il n’avait qu’a fouiller dans les trésors de sa providence pour trouver de quoi rassasier ce peuple. Enfin ses mains toutes-puissantes font un miracle éclatant ; et avec cinq pains d’orge et deux poissons il nourrit abondamment cinq mille hommes, pour nous faire connaître que voir nos misères, les sentir et nous secourir, c’est la même chose en lui.

Quelle consolation pour nous de savoir qu’il y a en notre Dieu une providence éclairée, compatissante, tendre et toute-puissante, qui se mêle de notre conduite, qùi a plus de plaisir à nous secourir que nous n’en avons à recevoir ses bienfaits ; de pouvoir sûrement, dans nos besoins et dans nos afflictions, nous jeter avec confiance entre ses bras, et d’être sûrs de n’être jamais repoussés ni délaissés !

Si vous la croyez, aimez-la ; si vous l’aimez, recourez-y dans tous vos besoins. N’ayez pas les mêmes abattements ni les mêmes alarmes quand vous craignez que quelque chose ne vous manque ; les mêmes réserves et la même duplicité dans votre conduite, la même confiance en votre savoir-faire et en votre propre industrie, comme si vous étiez le seul artisan de votre fortune et le seul arbitre de votre sort ; ni la même ardeur à chercher la consolation dans les créatures quand vous êtes dans l’affliction.

Que craignez-vous ? Cette providence si secourable a-t-elle abandonné aucun de ceux qui l’ont implorée avec confiance ? A-t-elle abandonné les trois enfants dans la fournaise de Babylone ? A-t-elle abandonné le jeune Moïse exposé sur les eaux ? A-t-elle abandonné le chaste Joseph dans sa prison ? A-t-elle abandonné Jonas dans un naufrage et dans le ventre d’une baleine ? A-t-elle abandonné la chaste Suzanne injustement accusée d’adultère ? A-t-elle abandonné, Job sur le fumier et Daniel dans la fosse aux lions ?

Sentiments

Divine providence, puissante dispensatrice de tous les biens, mère secourable dans tous nos besoins, je vous adore, je vous aime, je mets eu vous toute ma confiance ; je vous rends mille actions de grâces des bienfaits que j’ai reçus de vous, et je vous demande humblement pardon de toutes les infidélités que j’ai commises contre vous par mes ingratitudes, par mes défiances par mes injustes plaintes et par mes alarmes sur l’avenir. Je me restitue moi-même à vous ; je me remets en aveugle sous votre adorable conduite, dont je ne m’écarterai jamais.

Je veux dorénavant vous suivre jusque dans les déserts les plus écartés, pour écouter vos divines paroles et admirer vos prodiges. Je ne m’alarmerai plus de rien, pourvu que vous soyez avec moi, et vous serez ma force, ma lumière, ma richesse, mon espérance, ma nourriture et ma vie. Vous avez élevé vos yeux sur le peuple qui vous suivait, vous avez senti ses besoins, vous l’avez nourri ; abaissez vos yeux, Seigneur, sur mes misères ; considérez tendrement plutôt les besoins de mon âme que ceux de mon corps ; ouvrez-moi les entrailles de votre miséricorde ; nourrissez-moi du pain céleste de votre divine parole ; faites-la entendre aux oreilles de mon cœur, et rendez-moi digne de me nourrir souvent du pain substantiel de votre corps et de votre sang, beaucoup plus vivifiant que celui que vous donnâtes au prophète Élie, puisqu’il me soutiendra pour me conduire, non à la montagne d’Horeb, mais au céleste séjour que vous avez promis à ceux qui vous aiment.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Justes, craignez le Seigneur, parce que tous ceux qui le craignent ne manqueront de rien. (Ps. 33.)

Peuples de la terre, confiez-vous au Seigneur, espérez en lui, répandez vos cœurs en sa présence, parce qu’il est notre protecteur éternel. (Ps. 61.)

Si le monde était soustrait, par impossible, par un seul clin d’œil, de la conduite et du gouvernement de la divine providence, il périrait dans l’instant, et il retournerait au néant d’où il est sorti. (S. Jérôme.)

La divine providence ne consulte pas même les désirs des justes, quand il leur en échappe pour les biens temporels, parce qu’elle leur prépare des biens beaucoup plus précieux dans l’éternité. (S. Jérôme.)

Prière

Écoutez nos prières, ô Dieu de miséricorde ; exaucez nos vœux ; et ne méprisez pas les larmes de douleur que nous répandons en votre présence sur nos péchés et sur nos misères. Nous avons été dans l’affliction ; mais nous avouons sincèrement que nous l’avons mérité, parce que nous vous avons offensé. Nos péchés exigeaient de votre justice des châtiments bien plus rigoureux sans votre miséricorde, qui est infinie. Nous adorons votre divine providence dans nos peines, puisqu’elle ne nous les a envoyées que pour nous exempter des supplices de l’autre vie. Nous consentons de bon cœur, dans ce saint temps, à nous imposer encore des peines volontaires, pour apaiser votre justice. Mais, Seigneur, adoucissez-les par la consolation et par l’onction de votre grâce et de votre amour. Nous renonçons à toute autre consolation sensible : heureux si vous êtes avec nous dans nos peines et dans nos tribulations. Nous vous en prions par les mérites deJésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Préférence de Barabbas

Il est surprenant que les moyens dont Pilate se servait pour délivrer Jésus lui devaient causer plus de honte et plus d’infamie, Dieu le permettant ainsi par un décret de sa Providence, et Jésus-Christ le souffrant par un excès de son amour. En effet, le président, qui ne savait pas encore que la malice des Juifs était extrême, et leur fureur implacable contre le Sauveur, leur proposa un expédient qui aurait dû réussir, en se servant du droit qu’ils avaient de délivrer un criminel à la fête de Pâque. Il n’eut garde de proposer Jésus-Christ seul, persuadé qu’il eût été infailliblement rejeté ; mais pour venir plus sûrement à bout de son dessein, il le mit en parallèle avec le plus méchant de tous les hommes, à la mort duquel tout le monde devait s’intéresser ; et c’est ainsi qu’il espérait sauver Jésus-Christ.

Quelle odieuse comparaison, ô mon Sauveur ! et dans quelle étrange balance vous met-on aujourd’hui ! Ah ! que le Prophète avait raison de dire que les enfants des hommes étaient faux et menteurs dans leurs balances, frauduleux et injustes dans leurs jugements de comparaison ! Mendaces filii hominum instateris. (Ps. 62.) Levons-la, cette balance, et voyons lequel des deux l’emportera pour la vie ou pour la mort, de Barabbas ou de Jésus-Christ, du criminel ou de l’innocent, du fils de Bélial ou du Fils de Dieu, de l’homicide ou du Sauveur, du séditieux ou du Dieu de paix, d’un voleur qui dépouille et massacre les hommes, ou de Celui qui vient se dépouiller pour nous enrichir et s’immoler pour nous donner la vie. Levons-la, dis-je, cette balance, dont l’événement redoutable doit tenir en suspens tous les hommes qui y sont intéressés, et attendons ce qu’elle décidera. Je tremble, ô mon Dieu ! les cris du peuple décident contre vous en faveur du séditieux et de l’homicide. Le côté de la balance où vous êtes tombé et l’emporte sur l’autre, parce qu’avec vous mes péchés y sont, et ceux de tous les hommes qui ont été, qui sont et qui seront jusqu’à la consommation des siècles : ils font un poids si énorme et si pesant, qu’ils sont cause que Barabbas parait plus innocent que vous. Hélas ! il vivra, et vous mourrez ; son sang sera épargné, et le vôtre sera répandu !

Le peuple le demande, il prononce votre arrêt de mort ; il est confirmé dans le ciel : l’indigne président acquiesce à cette injustice contre ses lumières et contre sa propre conscience ; et cette cruelle ignominie était seule capable de vous donner la mort ; non seulement le peuple crie, mais il menace. Pilate, avant d’acquiescer, répond à leurs furieuses clameurs : Que voulez-vous donc que je fasse de Jésus, qui est appelé Christ ? Les cris du peuple, excité par les pharisiens, augmentent, et il demande hautement et avec la dernière insolence qu’il soit crucifié, et que Barabbas soit délivré.

Quelle humiliation ! quelle ignominie pour un Dieu de majesté, d’être ainsi l’opprobre des hommes, l’objet du mépris et de toute la fureur d’une population insolente ; d’être mis par la voix commune de son propre peuple au-dessous du plus scélérat et du plus corrompu de tous les hommes, et d’être destiné à une mort honteuse et cruelle, comme étant réputé plus pernicieux à la société des autres hommes, et plus méprisable qu’un voleur et un séditieux, et plus digne du plus cruel et du plus infâme genre de mort qu’un homicide !

LUNDI APRÈS LE IVe DIMANCHE
Jour de Religion

Pratique

Comme on traite aujourd’hui, non de la religion en général, mais du culte et du respect qui est dû aux églises, qui sont le centre de la religion, qui en renferment le premier objet, qui est Dieu, et qui sont le lieu où les fidèles s’assemblent pour en faire les actes, et que d’ailleurs l’Évangile nous détermine à en traiter ; ainsi vous commencerez la journée par un acte de réparation de toutes les irrévérences que vous avez commises dans le lieu saint, en présence de la majesté de Dieu, et du corps et du sang de Jésus-Christ, qui y réside, soit par votre peu de foi, soit par votre nonchalance, soit par vos dissipations extérieures et intérieures. Dès que vous serez en état de sortir, allez avec ardeur à cette église, entrez-y avec un esprit de foi et de religion, et rendez-vous-y plus assidu qu’à l’ordinaire, pour y réitérer cette réparation par des actes de douleur, de foi, d’adoration et d’amour.

Méditation sur le respect du aux temples

Ier POINT. – La Pâque des Juifs approchant, Jésus s’en alla à Jérusalem ; il y trouva des gens qui vendaient dans le temple des bœufs, des moutons, et il vit des changeurs assis à leurs bureaux. (S. Jean, 2.)

Il n’est pas étonnant que Jésus-Christ, qui venait établir une religion sainte, fût lui-même l’observateur le plus zélé de sa religion. Comme la Pâque des Juifs approchait, il se rendit des premiers à Jérusalem. Il entra d’abord dans le temple, pour y adorer Dieu son Père. Il y aperçut des marchands d’animaux, qui, bien que destinés pour les sacrifices, ne doivent pas être exposés en vente dans le temple il fut tout d’un coup animé d’un zèle ardent, et il les chassa.

Si le temple était respectable, combien nos églises le sont-elles, puisqu’il n’en était que l’ombre et la figure ! Et si celui-là était déshonoré par un commerce de victimes, combien les nôtres le sont-ils par les irrévérences qui s’y commettent tous les jours ! Quelle différence, en effet, entre la sainteté du temple de Jérusalem et celle des temples sacrés du christianisme ! Si celui-là était saint par les sacrifices d’animaux qu’on y offrait au Seigneur, le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ, qu’on offre tous les jours dans les nôtres, n’est-il pas infiniment plus auguste et plus saint ? Au lieu de cette arche d’alliance renfermée dans ce premier temple, nous avons dans les nôtres un tabernacle où Dieu réside tout entier et sans figure. Au lieu de cette nuée mystérieuse, et de cette obscurité sacrée, qui ne représentait que faiblement la majesté de Dieu, nous avons le sacrement adorable de son corps et de son sang, qui sont sous les espèces comme sous un voile qui les cache à nos yeux corporels. Au lieu de cette manne, nous avons l’eucharistie, une manne céleste pour nourrir nos âmes. Au lieu de cette verge de Moïse, nous avons la croix de Jésus-Christ, qui a terrassé les démons, ressuscité les morts et sauvé tous les hommes ; et au lieu de ces pains de proposition, nous avons le pain des anges sur nos autels.

Avec quelle religion n’y devons-nous pas entrer, puisque tout y est saint ! Envisagez avec des yeux de foi le tabernacle, l’autel, les reliques, le chœur et les murailles même, et faites-y une sérieuse attention. Le tabernacle n’est-il pas saint, puisqu’il renferme le Saint des saints ? L’autel n’est-il pas saint, puisqu’on y offre tous les jours le plus saint des sacrifices ? Le chœur n’est-il pas saint, puisqu’on y fait, en chantant, les louanges de Dieu, ce que font les saints dans le ciel ? Les murailles mêmes ne sont-elles pas saintes, puisqu’elles portent la croix et l’onction, et que les mains sacrées des évêques les ont consacrées avec des cérémonies si saintes, si augustes et si mystérieuses ?

IIe POINT. — Jésus, ayant fait un fouet avec des cordes, les chassa tous du temple, et jeta par terre l’argent des changeurs, il renversa leurs bureaux en disant : Otez tout cela d’ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.

Admirez ici le zèle de Jésus-Christ pour le lieu saint. Ses mains, avec un simple fouet de cordes, parurent armées de toutes les foudres du ciel ; il se répandit sur son visage un air de majesté offensée, et sa voix fut si foudroyante, que personne n’osa lui résister. Concluez de là que, si ses mains n’ont pris que des cordes pour chasser les profanateurs du temple de Salomon, elles s’armeront de foudres pour punir ceux de nos églises.

Rentrez ici dans vous-même. Pensez avec douleur à toutes les irrévérences que vous avez commises dans nos églises par votre peu de religion : ces regards dissipés et curieux, ces paroles inutiles, ces distractions volontaires, ce peu de foi, ce peu d’attention à la divine parole, ce peu de dévotion pendant l’auguste sacrifice de la messe, qui est le même que celui de la croix, où le sang de Jésus-Christ est répandu, où sa chair adorable est distribuée ; pendant ce sacrifice, dont la victime est un bien sauveur, victime offerte pour la rémission de nos péchés à un Dieu tout-puissant, qui nous voit et qui nous entend ; un Dieu, dis-je, à qui nous devons tout notre respect, comme à notre Souverain ; toute notre tendresse, comme à notre Sauveur ; toute notre crainte, comme à notre Juge.

Les anges y assistent ; ils y tremblent, et ils y ont l’emploi, dit saint Basile, d’écrire sur le livre de vie de nos adorations nos actes de foi et d’amour, nos pensées, nos paroles, aussi bien que nos égarements, nos irrévérences et nos dissipations : Assistunt verba describentes angeli.

Il est bien étrange que les choses saintes que Dieu a établies comme des secours et des moyens pour obtenir ses grâces, nous les profanions et les fassions servir à notre perte ; et que les églises, qui sont des lieux de sainteté, soient souvent des lieux où nous attirons sa haine et son indignation. Profitez mieux du secours qu’il vous présente. Votre conscience est-elle chargée de péchés, entrez dans nos églises, adorez, priez, gémissez, et vous obtiendrez le pardon. Êtes-vous dans la tiédeur et dans la nonchalance, priez avec foi et assiduité, et vous y obtiendrez la ferveur. Êtes-vous dans le trouble et l’affliction, vous y trouverez, ou la délivrance de vos peines, ou la consolation de la patience. Êtes-vous accablé de tentations fréquentes, dans lesquelles vous ne sentez que trop votre faiblesse, venez-y exposer à Dieu l’appréhension que vous avez de l’offenser, et vous obtiendrez sûrement, ou la tranquillité, ou la force qui vous est nécessaire pour résister à tout. Voilà l’esprit de religion avec lequel vous devez entrer et prier dans nos églises. Faites-en un saint usage.

Sentiments

Inspirez-moi, Seigneur, un esprit de religion et de foi, pour respecter comme je le dois les sanctuaires où vous habitez. (Ps. 64.) Accordez-moi la grâce, disait le Prophète, d’être rempli des biens que vous distribuez dans votre maison, car votre temple est saint ; plutôt mourir que de le profaner par mes irrévérences.

Je gémis du plus profond de mon cœur ; je vous demande pardon de toutes celles que j’ai commises et je veux, avec votre grâce, les réparer et les expier. Mais, Seigneur, arrêtez-y toute l’extravagance de mon imagination, fixez-y toute la légèreté de mon esprit, afin que je ne m’y occupe que de vous seul. Remplissez-y toute ma mémoire, afin qu’oubliant tout ce qui pourrait me distraire, je ne me ressouvienne que de vous seul. Rendez-vous maître de tous les sentiments de mon cœur ; faites sortir de ce tabernacle où vous habitez comme sur un trône de feu, vos divins flammes pour les purifier ; et pour l’embraser de vos seules ardeurs, pénétrez toute mon âme d’un profond respect pour votre divine majesté, que j’y adorerai avec un esprit de foi. Inspirez-moi dans ce lieu saint, formez dans mon cœur, articulez sur mes lèvres les prières que vous écoutez avec plus de plaisir, et que vous exaucez avec plus de succès. Recevez-y mes hommages et mes adorations, afin que de ce temple matériel où je ne vous vois que par les yeux de la foi, je passe un jour dans le temple éternel de votre gloire, où je vous verrai à découvert, et où je vous aimerai et vous posséderai pour toujours.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

J’entrerai dans votre saint temple, Seigneur, et j’y chanterai les louanges de votre saint nom. (Ps. 5).

Seigneur, nous serons remplis des biens de votre maison ; car votre temple est saint et admirable, à cause de l’équité qui y règne. (Ps. 64.)

Le lieu saint ne devrait jamais être ouvert aux impies ; et quand ils y entrent sans religion, c’est le démon qui les y conduit. (S. Augustin.)

Que vous sert-il d’entrer avec hardiesse dans la maison de Dieu, d’y être debout, tête levée, sans respect, et d’y porter un cœur et des mains souillés ? (S. Jérôme.)

Prière

Écoutez nos prières, ô Dieu tout-puissant ; exaucez nos vœux dans ce temps de grâce et de pénitence, où nous nous efforçons de nous acquitter des observances annuelles que la religion nous prescrit, avec toute l’exactitude et toute la dévotion dont nous sommes capables, afin que ces jeûnes, consacrés par l’exemple et par la pratique de votre adorable Fils, et qui nous sont nécessaires pour racheter les péchés dont nous sommes coupables, et pour obtenir plus sûrement votre divine miséricorde, nous rendent agréables et de corps et d’esprit aux yeux de votre adorable majesté, et dignes de la gloire éternelle. Nous vous en prions par les mérites de ce même Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Flagellation

Voici le cruel événement de la sanglante prophétie contenue dans le psaume trente-septième.

Pilate s’imagine pouvoir adoucir les prêtres et le peuple irrités à l’excès contre Jésus-Christ, et venir à bout de le délivrer de la mort, s’il le faisait flageller, de sorte que tout son corps couvert de sang et déchiré de coups pût inspirer la pitié et la compassion à ses propres ennemis, et désarmât ainsi leur fureur par un spectacle si triste et si touchant. Mais cette cruelle invention, ce châtiment outré, qu’il ne méritait pas, ne servirent qu’à ajouter un nouveau supplice et une nouvelle infamie à sa passion. Le peuple eut le détestable plaisir de repaître sa cruauté de ce spectacle sanglant ; et le sang qu’il vit répandre à Jésus-Christ ne fit qu’augmenter l’envie qu’il avait de lui voir répandre encore sur la croix ce qui lui en restait dans les veines.

On livre Jésus-Christ entre les mains des bourreaux, qui commencèrent par le dépouiller de ses habits, et découvrirent aux yeux d’une insolente populace ce corps vierge, formé des mains du Saint-Esprit, et le lièrent à une colonne, pour commencer la cruelle tragédie de sa flagellation.

Assistez en esprit à cette sanglante exécution. Pensez, voyez, sentez, et ne refusez pas quelques larmes et quelques sanglots à ce Dieu qui souffre parce qu’il vous aime. Voyez une compagnie de bourreaux occupés à chercher des fouets, des chaînes et des verges de fer, qui viennent avec furie frapper ce corps innocent. Ces coups redoublés font un bruit horrible et lugubre, capable de faire frémir d’horreur les plus barbares ; toute la salle en retentit ; et les assistants, loin d’en être touchés de compassion, s’en font une cruelle jouissance.

Comme tout le corps de Jésus-Christ était étroitement lié de cordes qui servaient de ligatures à ses veines, son sang adorable rejaillissait à chaque coup qu’on lui donnait ; et les bourreaux et les spectateurs en étaient arrosés, hélas ! sans en être attendris. La colonne est toute teinte du sang de Jésus-Christ, le pavé en est inondé, les pieds du Sauveur ne reposent plus que dans son propre sang ; les bourreaux et les assistants marchent dessus et le foulent aux pieds… exécrable profanation ! Ce corps adorable est tout déchiré on ne frappe plus sur sa peau, mais sur ses plaies : Super dolorem vulnerum meorum addiderunt. On met sa chair en pièces, et on trouve dans son sang des morceaux arrachés et enlevés par la violence excessive des coups.

Ce spectacle vous touche, vous attendrit, dit saint Jérôme vous seriez bien dur et bien insensible si vous n’en étiez pas ému. Mais pensez que le corps de Jésus-Christ dans ce pitoyable état est moins l’ouvrage des bourreaux que le vôtre. Il s’en est plaint par un de ses plus célèbres organes : Multa flagella peccatoris. Oui, Seigneur, je l’avoue, les différents péchés dont j’ai souillé mon innocence sont autant de coups dont j’ai déchiré votre corps. C’est mon avarice qui vous a dépouillé ; c’est ma colère, ce sont mes emportements qui vous ont frappé ; c’est mon orgueil qui vous a humilié jusqu’à ce supplice infâme ; c’est mon envie qui vous a déchiré : c’est ma volupté qui a tiré de vos veines ce sang pur et innocent ; en un mot, votre amour et mes péchés sont les deux tyrans qui vous ont causé tant de douleurs.

MARDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour de Conformité à la volonté de Dieu

Pratique

Abandonnez-vous, en vous éveillant, à la volonté de Dieu adorez-la avec un profond respect, et demandez-lui avec instance de vous conduire sûrement dans les voies du salut. Prenez-la pour la règle souveraine et infaillible de la vôtre, sans jamais vous en écarter ; quelque chose qu’il vous arrive, soumettez-lui sans réserve vos vues, vos projets et vos désirs. Dites avec beaucoup d’attention, de respect et de résignation, et répétez souvent dans la journée ces paroles de l’Oraison dominicale : Seigneur, que votre volonté se fasse dans le ciel et sur la terre ! Faites en sorte que sa volonté divine soit aujourd’hui votre étude capitale, aussi bien que dans toute votre vie. Cherchez-la, aimez-la, conformez-vous-y en toutes choses, et ne faites rien que vous ne l’ayez consultée. C’est dans cette pratique que vous trouverez sûrement votre sûreté et votre repos.

Méditation sur la conformité a la volonté de dieu

Ier POINT. – Jésus dit aux Juifs : Ma doctrine n’est pas ma doctrine, mais de Celui qui m’a envoyé ; et quiconque fera la volonté de Dieu connaîtra si elle est de lui, ou si je parle de moi-même. (S. Jean, 7.)

Cet adorable Sauveur avait pris l’occasion d’une fête pour prêcher au peuple dans le temple. Sa science et son éloquence surprirent ses auditeurs, et ils s’écrièrent en l’admirant : Comment se peut-il faire qu’il soit si savant, lui qui n’a pas étudié ? Il leur répondit que sa doctrine n’était pas de lui, mais de son Père, leur voulant faire comprendre par là qu’elle était divine, infuse et inspirée ; c’était pour préparer insensiblement leurs esprits et leurs cœurs à la grande vérité qu’il voulait leur faire goûter, qui était la conformité à la volonté de Dieu, qu’il leur proposait non seulement comme un moyen pour régler leurs mœurs mais encore pour discerner la divinité de sa doctrine. Si quelqu’un, dit Jésus-Christ, veut faire la volonté de mon Père céleste, il connaîtra ma doctrine.

Elle renferme trois choses essentielles et dignes de nos réflexions. La première est de connaître la volonté de Dieu ; la seconde est de l’aimer ; la troisième est de l’accomplir et d’y conformer toutes nos actions. Appliquons-nous sérieusement à ces grandes vérités.

La volonté de Dieu est la cause de toutes choses ; elle est toute-puissante comme Dieu même ; elle atteint avec une force invincible d’un terme à l’autre, et elle dispose tout avec une suavité admirable. C’est la loi souveraine, c’est le principe, c’est le centre, c’est la mesure, c’est la fin de toutes choses, disent les saints Pères.

Au contraire, notre propre volonté est faible ; elle est aveugle ; elle est téméraire et présomptueuse ; elle est en tout l’ennemie de Dieu, parce qu’elle se révolte contre lui, et qu’elle se propose d’autres moyens que les siens pour parvenir à ses fins ; elle est l’amie du démon, elle établit sa tyrannie dans le cœur de l’homme, après en avoir chassé Dieu ; elle est la ruine de toutes les vertus ; enfin, dit saint Augustin, elle a dépouillé le ciel, elle a enrichi l’enfer, et ce lieu de ténèbres et de flammes ne serait pas encore, s’il n’y avait eu de propre volonté. (S. Augustin.)

Soyez persuadé que l’occupation la plus nécessaire et la plus importante du chrétien, c’est la destruction de sa propre volonté et l’étude de celle de Dieu. Le grand Apôtre le conseillait aux chrétiens de Rome, quand il disait : Efforcez-vous, mes frères, de connaître la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est parfait, ce qui est agréable à ses yeux. Étudions-la toute notre vie ; nous l’avons dans l’Écriture, où elle est écrite du doigt de Dieu.

Nous trouverons dans saint Paul que sa volonté est notre sanctification ; elle est écrite dans nos consciences ; elle est signifiée dans la divine parole, dans les inspirations. Consultons-la dans tous nos projets, dans tous nos désirs, dans toutes nos entreprises ; mais si nous voulons la trouver sûrement, cherchons-la avec une intention droite et un cœur pur. Prenons garde surtout de prendre le change, et que notre amour-propre ne mette notre volonté à la place de celle de Dieu.

IIe POINT. — Jésus dit à haute voix dans le temple : Vous me connaissez, et vous savez d’où je suis : je ne suis pas venu de moi-même ; mais Celui qui m’a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez pas.

Les Juifs demeurent dans l’aveuglement et dans l’obstination sur la volonté de Dieu. Ils n’avaient garde de juger sainement la doctrine de Jésus-Christ, ni d’aimer sa volonté, parce qu’on n’aime pas ce qu’on ne veut pas connaître. Au contraire, ils persécutent ce Sauveur, et ils se bouchent les oreilles aux vérités qu’il leur annonce.

Prenons une conduite tout opposée : ne nous contentons pas d’étudier la volonté de Dieu pour la connaître ; mais aimons-la, respectons-la, mettons- y toute notre confiance. Suivons en cela l’exemple de Jésus-Christ ; car il faut qu’il ait bien aimé la volonté de Dieu, quelque rigoureuse qu’elle fût à son égard, puisqu’il l’a préférée à sa propre vie.

C’est la pratique qu’il nous a laissée dans l’Oraison dominicale, quand il nous fait dire : Seigneur, que votre volonté se fasse. En effet, dit saint Augustin, par cette prière, tout notre cœur se porte vers cette adorable volonté par désir, par confiance et par amour. Ainsi nous devons, en faisant cette prière, sentir toute la faiblesse et toute la corruption de notre propre volonté, qui ne nous conduit qu’à la révolte et qu’au péché ; demander avec ardeur d’être déchargé de ce cruel fardeau, et reconnaître que la seule volonté de Dieu peut nous conduire sûrement au bienheureux terme où nous aspirons.

Enfin il ne suffit pas de connaître et d’aimer la volonté de Dieu, il faut encore s’y confier et s’y abandonner sans réserve, comme a fait Jésus-Christ, qui, bien que sa propre volonté fût sainte, n’a cependant jamais cherché à la faire, mais celle de son Père, non seulement dans les choses faciles, mais quand il a été question de souffrir la mort même. « Si je ne puis me dispenser de boire ce calice, disait ce Sauveur agonisant, que votre volonté se fasse, et non la mienne. »

C’est sur ce divin modèle que vous devez régler votre conduite.Vous êtes dans la peine et dans l’humiliation, Dieu le veut, il faut se soumettre. Plaignez-vous, révoltez-vous, vous aigrissez sûrement votre mal ; conformez-vous à la volonté de Dieu, vous l’adoucissez, et souvent Dieu attache votre délivrance à votre conformité. La volonté de Dieu, dit saint Augustin, est que vous soyez tantôt malade et tantôt en santé : elle vous paraît amère quand vous êtes malade, elle vous paraît douce quand vous êtes en santé. Votre cœur n’est pas droit, parce que vous ne voulez pas élever votre volonté à celle de Dieu, mais abaisser celle de Dieu à la vôtre : élevez plutôt la vôtre à celle de Dieu, et alors votre cœur sera droit.

Sentiments

Souveraine volonté de mon Dieu, je vous adore, je vous aime, je mets en vous toute ma confiance, et je m’abandonne sans réserve à votre conduite. Faites-vous connaître à mon esprit, faites-vous aimer à mon cœur : réglez-moi, conduisez- moi, régnez en moi, et disposez souverainement de moi pour les biens ou pour la pauvreté, pour la joie ou pour la douleur, pour la grandeur ou pour l’humiliation, pour la santé ou pour la maladie, pour la vie ou pour la mort ; pourvu que vous sauviez mon âme, je ne demande rien de plus. Je suis encore entre vos mains, et je ne puis être mieux. Assez et trop longtemps j’ai été entre les miennes, et je ne pouvais être plus mal.

Rendez-vous la maîtresse absolue de ma propre volonté, qui m’a fait commettre jusqu’à présent tant de fautes, et qui m’a rendu coupable de tant d’égarements et de tant de révoltes contre vous. Détruisez-la, absorbez-la, anéantissez-la, ou plutôt, ô mon Sauveur, rendez-la conforme en toutes choses à la vôtre, qui est sainte. Faites-lui vouloir efficacement tout le bien que vous lui inspirez ; réglez son caprice, fixez sa légèreté, éclairez son ignorance et son aveuglement. Je ne veux plus étudier, plus chercher, plus consulter, plus aimer, plus accomplir d’autre volonté que la vôtre ; je ne veux plus former de desseins, faire de projets et d’entreprises sans elle ; elle sera ma règle, mon modèle, mon conseil, ma conductrice dans toutes mes actions, puisque sans elle je ne puis rien faire qui vous soit agréable.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Faites de bon cœur la volonté de Dieu, comme étant les serviteurs de Jésus-Christ. (Épît. aux Éphésiens, 6.)

Le monde passe aussi bien que la concupiscence ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. (1re Épît. de S. Jean, 2, 47.)

L’homme terrestre sort de sa bassesse et s’élève jusqu’à la Divinité, quand il préfère en toutes choses la volonté divine à sa propre volonté. (S. Augustin.)

Si vous méprisez la volonté d’un Dieu bienfaiteur quand il vous inspire de faire le bien, vous sentirez à vos dépens la volonté terrrible d’un Dieu vengeur. (S. Jérôme.)

Prière

Nous vous supplions, Seigneur tout-puissant et tout miséricordieux, d’agréer nos pénitences. Regardez-nous d’un œil favorable pendant que nous macérons notre chair pécheresse par les saintes pratiques, par les jeûnes et les abstinences consacrées par l’Église, pour nous conformer à. votre divine volonté qui nous les ordonne, et à tous les fidèles répandus dans le monde chrétien, qui les pratiquent dans ce saint temps ; et si elles vous sont agréables, accordez-nous pour salaire et pour récompense une augmentation de ferveur et de piété, le secours continuel de votre grâce et de votre miséricorde dans cette vie, et la gloire éternelle dans l’autre.. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus détaché de la colonne et couronné d’épines

Jésus, épuisé de forces par une flagellation si longue et si cruelle, et tout couvert de meurtrissures, de plaies et de sang depuis la tête jusqu’aux pieds, fut enfin délié de la colonne, après que les bourreaux furent las et fatigués de le frapper. Comme les douleurs extrêmes qu’il avait endurées dans cette sanglante exécution, et la prodigieuse quantité de sang qu’il avait perdue, l’avaient extrêmement affaibli et mis hors d’état de se soutenir sur ses pieds, dès qu’il ne fut plus retenu par des cordes à la colonne, il tomba par terre et dans son propre sang ; et il y serait mort de faiblesse, d’épuisement et de douleur, si on ne l’avait relevé. Incompréhensible situation pour un Dieu tout-puissant ! triste et douloureux spectacte, capable d’attendrir un rocher ! s’écrie saint Augustin. Proh dolor ! jacet extensus ante hominem Deus. Un Dieu avec un corps livide, meurtri et défiguré, couché par terre, étendu dans son propre sang en présence des hommes qui sont ses propres créatures, et qui le regardent avec un plaisir cruel, barbare et dénaturé, dans cette posture affreuse, où on n’avait peut-être jamais vu le plus scélérat de tous les hommes ! Un Dieu qui ramasse comme il peut et avec peine ses habits dispersés pour se couvrir, et qui est si faible, qu’il a besoin de la main d’un de ses bourreaux pour l’aider à se relever !

Cruels, laissez plutôt Jésus-Christ étendu dans son propre sang ; laissez-le plutôt mourir où il est que de le relever pour lui faire de nouveaux outrages. N’en a-t-il pas assez enduré ! et l’état pitoyable où vous le voyez ne devrait-il pas être le dernier terme de votre fureur ! Mais non contents de ce supplice cruel et infâme, ils lui mettent une vieille robe de pourpre pour insulter à sa royauté et la tourner en dérision, et un roseau à la main au lieu de sceptre. Ils l’adorent en cette posture un genou en terre, ils lui crachent au visage, et ils ne se relèvent que pour le frapper à la joue avec le roseau qu’il avait à la main. On lui avait mis une robe blanche chez Hérode, on lui en met une de pourpre chez Pilate. Ce bien-aimé et cet époux des âmes fidèles le permet ainsi, parce que, selon le sacré Cantique, il devait être blanc et vermeil, et il l’a été par son innocence et par le sang qu’il a répandu pour notre amour.

Après avoir, dans la flagellation, traité son corps avec tant de cruauté, on veut que sa tête si respectable, et digne de porter tous les diadèmes du ciel et de la terre, ait aussi un nouveau genre de supplice, qui jusqu’alors avait été inconnu. On lui enfonce cruellement une couronne d’épines dont les pointes aiguës, pénétrant jusqu’au crâne, lui causaient une excessive douleur, et faisaient sortir une prodigieuse quantité de sang. Son front, ses yeux, ses joues, sa bouche en étaient remplis, et ses cheveux, tellement imbibés, que, se collant sur sa tête et sur son visage, ils le défiguraient de la manière la plus pitoyable et la plus touchante.

Sortez, filles de Sion ; sortez, âmes fidèles, et voyez votre Créateur, votre Dieu, votre Sauveur, votre Époux et votre Roi, avec le surprenant diadème dont sa mère la Synagogue l’a couronné dans le jour de ses noces sanglantes ; jour auquel il a épousé l’Église, et toutes les âmes saintes qui la composent et qui la composeront jusqu’à la consommation des siècles. Compatissez à ses peines, qui sont excessives ; faites entrer ces sacrées épines jusque dans le fond de votre cœur, et souffrez avec lui, puisqu’il souffre pour l’amour de vous.

MERCREDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour de Lumière

Pratique

Invoquez à votre premier réveil les trois personnes de l’auguste Trinité, et demandez-leur qu’elles éclairent les yeux de votre âme, et qu’elles vous pardonnent vos ignorances. Le Père éternel est appelé le Père des lumières ; il en est la source et l’origine ; il a engendré son adorable Fils dans la lumière et dans la splendeur des saints. Ce Fils, qui éclaire aujourd’hui l’aveugle-né, est la lumière de tous les hommes, le Saint-Esprit en est le dispensateur, et c’est à lui que l’Église s’adresse toujours pour l’obtenir. Ne faites rien dans la journée et dans toute votre vie que vous n’ayez demandé des lumières à Dieu. Vous avez besoin qu’il vous éclaire, parce que de vous-même vous n’êtes que ténèbres, qu’ignorance et qu’aveuglement. Avouez-le, sentez-le, et demandez humblement d’en être délivré.

Méditation sur l’aveugle éclairé

Ier POINT. — Jésus, en passant, rencontra un aveugle-né. (S. Jean, 9.)

Heureuse rencontre pour ce pauvre affligé qui n’avait jamais vu le jour, de se trouver sur le passage d’un Dieu sauveur, auteur de la nature et de la grâce, et qui pouvait par conséquent éclairer son corps et son âme. Admirons avec un profond respect ce grand miracle ; mais passons ici du corps à l’âme, et cherchons auprès de Jésus-Christ la guérison de notre aveuglement spirituel.

Faites d’abord attention qu’il y a un aveuglement grossier pour les grands pécheurs, dont l’Écriture nous fournit de tristes exemples dans Pharaon, dans Antiochus et dans beaucoup d’autres, qui se sont aveuglés eux-mêmes par une multitude de crimes et de révoltes, et que Dieu a confirmés dans l’aveuglement par un secret redoutable de sa justice, pour les punir de leurs désordres.

Il y a un autre aveuglement moins grossier, où les âmes lâches se précipitent : aveuglement quelquefois aussi opiniâtre que le premier, et dont les suites sont très dangereuses, quand on néglige de chercher de la lumière dans la divine parole, dans l’oraison et dans les avis des personnes sages ; et cet aveuglement est d’autant plus dangereux qu’il est plus délicat et moins sensible, et qu’on y demeure malgré la fréquentation des sacrements. C’est ce qui demande beaucoup de réflexions. Examinons en quoi il consiste.

L’un se dispense de certaines pratiques qu’il ne croit pas essentielles, surtout en matière de religion et de pénitence. Il autorise sa dispense sur sa délicatesse, qu’il saurait bien cependant surmonter s’il s’agissait ou de ses intérêts temporels ou d’une partie de plaisir.

L’autre nourrit dans son cœur une antipathie secrète contre son prochain, qui paraît dans ses gestes, dans ses discours et dans toute sa conduite. C’est un froid, c’est un éloignement sur lequel il n’a point encore travaillé, quoiqu’il se sente, et que sa conscience lui dise par intervalles qu’il ne peut pas se sauver sans aimer son prochain comme lui-même. Celui-ci, au contraire, cultive une attache trop sensible et trop forte pour son frère ; il porte cette attache jusqu’à la prière, et elle devient la source d’une infinité de distractions ; elle l’empêche d’aimer Dieu par-dessus toutes choses, et il ne veut pas ouvrir les yeux.

Un autre se permet une infinité de choses qui flattent sa passion dominante, et qui portent nécessairement au péché et au relâchement. Il n’en voit pas les conséquences, parce qu’il ne veut pas les voir ; il s’entête, et il soutient ses entêtements ; il est dans l’erreur, et il justifie son erreur ; sa conscience se récrie, et il prend soin de la calmer par de mauvaises raisons : voilà son aveuglement. N’est-ce point le vôtre ?

IIe POINT. — Jésus cracha à terre, il fit de la boue avec sa salive, il en oignit les yeux de l’aveugle et lui dit : Allez vous laver dans la piscine de Siloé, qui signifie Envoyé. L’aveugle y alla, et s’y lava, et il revint voyant clair.

N’est-il pas bien surprenant que l’aveuglement du corps devienne, entre les mains de Jésus-Christ, la source et l’instrument de la lumière du corps et de l’âme ? L’aveugle de notre évangile reçoit la vue du corps, et son âme est aussitôt éclairée des lumières de la grâce ; et il soutient la foi de Jésus-Christ au milieu de ses plus cruels ennemis. Ce Sauveur prend soin de l’instruire lui-même de sa filiation divine ; et cet aveugle fait dans le moment les deux actes les plus sublimes de la religion : la foi et l’adoration.

Mettez-vous à la place de cet aveugle éclairé ; peut-être avez-vous quelque aveuglement secret auquel vous ne faites pas assez d’attention. Allez à Jésus-Christ, qui dit aujourd’hui qu’il est la lumière du monde, et entrez dans les dispositions qui sont marquées dans l’Évangile.

La première disposition pour guérir de l’aveuglement, c’est l’humilité. Pour nous en convaincre, Jésus-Christ crache à terre ; il fait de la boue avec sa salive pour nous faire ressouvenir qu’ayant été pétris de terre et de boue, nous ne devons jamais nous enorgueillir, mais avoir toujours devant les yeux la bassesse de notre origine. Aussi le Seigneur met-il cette boue sur les yeux de l’aveugle-né, ce qui paraîtrait bien plus capable de lui ôter la lumière que de la lui procurer. Mettez cette boue sur vos yeux, qui sont souvent les organes par où l’orgueil éclate.

Eh second lieu, il l’envoie se laver dans la piscine de Siloé : seconde disposition pour obtenir les lumières du Ciel. Purifiez-vous dans la piscine de la pénitence. Sans la pureté du cœur, vous ne connaîtrez jamais Dieu, et vous ne vous connaîtrez jamais vous-même.

En troisième lieu, l’aveugle croit, il obéit dans l’instant et il va se laver. C’est la foi soutenue de la docilité et d’une prompte obéissance qui nous éclaire des lumières divines. Croire que Jésus-Christ peut éclairer les yeux avec de la boue voilà une foi bien aveugle et bien éclairée tout ensemble. Aller se laver dans le moment, voilà une obéissance bien soumise, et c’est ce qu’on peut appeler les œuvres de lumière. Laissez mettre cette boue sur vos yeux par une humilité profonde ; croyez que cette boue, entre les mains de Jésus-Christ, peut vous éclairer ; lavez soigneusement toutes les souillures de votre âme, c’est le moyen d’être bientôt guéri de votre aveuglement.

Sentiments

Je l’avoue, ô mon Dieu, je ne suis que ténèbres, et je puis le dire avec le Prophète : la lumière de mes yeux n’est plus avec moi. Heureux encore si mon aveuglement n’était répandu que sur mes yeux corporels, comme celui que vous avez éclairé ! Augustin pénitent parlait ce langage, quand il disait : Éclairez mon aveuglement, ô mon Sauveur ! O lumière qu’une autre lumière ne peut découvrir, si vous ne l’éclairez vous-même ! O lumière qui obscurcissez toutes les autres lumières, quelque brillantes qu’elles paraissent ! lumière essentielle, source et principe de toutes les autres lumières ! lumière ineffable, devant laquelle toutes les autres lumières ne sont que ténèbres épaisses ! lumière toute-puissante, lumière suprême et céleste, qui éclairez tous les aveugles, et qui ne pouvez être obscurcie par les ténèbres ni par l’aveuglement ! lumière qui n’avez jamais aucune ombre pour compagne, et qui éclairez le ciel et la terre ! Absorbez-moi dans l’abîme de vos clartés, afin que je vous voie en moi, et que je me voie en vous.

J’aime beaucoup mieux voir la lumière que vous êtes vous-même, que celle que vous avez formée en créant le ciel et la terre ; celle-là peut éclairer mon esprit, mon cœur et mon âme entière, et celle-ci ne peut éclairer que mes yeux corporels. Par la première, Seigneur, je puis vous connaître pour vous aimer de tout mon cœur comme vous me l’ordonnez, et me connaître moi-même, pour me haïr et pour me corriger de ce qui vous déplaît en moi. Par la seconde je ne vois que les choses périssables et sensibles. Lumière céleste et divine, éclairez-moi ; mais purifiez-moi, pour me rendre plus digne de vos célestes lumières.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Éclairez, Seigneur, les yeux de mon âme, afin que je ne m’endorme jamais au temps de la mort, et que je ne donne point occasion à mon ennemi de dire : J’ai prévalu contre lui. (Ps. 12.)

Mon cœur est rempli de trouble ; toute ma force m’a quitté, et même la lumière de mes yeux n’est plus avec moi. (Ps. 27. )

Quand une âme se retire de la lumière de la justice, plus elle cherche à, se satisfaire contre la justice, plus elle est repoussée de la lumière qu’elle a abandonnée, et abîmée dans les ténèbres. (S. Augustin.)

On perd peu à peu les yeux de l’âme, à mesure qu’on perd la délicatesse de la conscience et la crainte chaste de déplaire à Dieu. (S. Jean Chrysostome.)

Prière

Seigneur et Dieu tout-puissant, dont la bonté est infinie, et qui couronnez les jeûnes et les abstinences des justes par une gloire éternelle, et ceux des pécheurs pénitents par votre grâce et par le pardon de leurs péchés, quand les uns et les autres sont attentifs à faire jeûner leurs passions pendant qu’ils font jeûner leur corps, écoutez favorablement nos humbles prières, exaucez nos vœux ; et, tandis que, prosternés au pied de votre adorable Majesté, nous nous avouons coupables, et que nous confessons nos péchés avec un cœur contrit et humilié, ayez égard à la douleur dont nos cœurs sont pénétrés, et accordez-nous votre grâce et votre miséricorde dans cette vie et la gloire dans l’autre. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus montré au peuple

C’est ici un flux et un reflux perpétuel de douleurs et d’humiliations, de supplices et d’ignominies les plus honteuses qui se succèdent les unes aux autres sans intervalle, et qui se réunissent ensemble dans le cœur de Jésus-Christ comme dans leur centre. Après la cruelle et sanglante tragédie de la flagellation et du couronnement d’épines, suit immédiatement sa honteuse exposition aux yeux d’un peuple insolent, et l’on ne pouvait rien imaginer de plus humiliant.

Il est vrai que Pilate, le voyant si cruellement déchiré, crut qu’il pourrait, par ce touchant spectacle, amollir le cœur de ses ennemis, et les émouvoir, pour lui sauver la vie. C’est pour cela qu’il le leur produisit, en leur disant : Voilà un homme que je vous amène, en qui je n’ai trouvé aucune cause de mort ; comme s’il voulait dire : Si j’ai souffert qu’il eût été ainsi traité pour vous contenter, quoiqu’il fût innocent, vous pouvez croire que je n’aurais pas manqué de le condamner à la mort s’il l’avait méritée. Mais ni ce spectacle si pitoyable ni les paroles du président ne furent capables de désarmer leur aveugle fureur, tant ce peuple était féroce, impitoyable et animé contre Jésus-Christ.

Paraissez, ô mon Jésus, paraissez à nos yeux, montrez-vous à nos âmes, faites-vous sentir à nos cœurs, et brisez-les de douleur et de compassion. Que votre couleur pâle et livide, et que vos meurtrissures, que vos plaies, que votre sang amollissent nos cœurs, puisque ceux des Juifs, pour lesquels vous mourez aussi bien que pour nous, sont insensibles. Imprimez chez nous en caractères ineffaçables les sentiments de ce que vous endurez pour notre amour. Nous ne crierons pas comme ces perfides : Crucifiez-le ! mais : Vivez, vivez en nous ! nous voulons vivre, souffrir et mourir pour vous, et répandre tout notre sang pour épargner la moindre de vos douleurs.

Ecce homo : Voilà l’homme. Le reconnaîtrez-vous dans l’état où il est ? Ah ! il fallait dire que c’était un homme ; car sans cela on ne pourrait pas le reconnaître, puisqu’il en a perdu jusqu’à la figure. Les outrages de sa flagellation, le sang qui coule de sa tête depuis son couronnement d’épines, le rendent méconnaissable. Reconnaîtriez-vous un de vos amis dans ce pitoyable état ? Sa peau toute déchirée, sa chair enlevée par lambeaux, ses veines ouvertes, son corps tout meurtri et tout sanglant, l’ont cruellement défiguré. Ce corps est-il celui d’un scélérat échappé de la torture destinée aux plus grands crimes, ou celui du plus beau des enfants des hommes et d’un Dieu tout-puissant ?

Ecce homo : Voilà l’homme. L’état pitoyable où il est à présent n’est-il pas capable d’assouvir votre fureur ? Que lui demandez-vous davantage, Juifs perfides ? que lui demandez-vous ? Craigniez-vous qu’un homme épuisé de forces et de sang, et qui venait de souffrir le plus infâme de tous les supplices, usurpât le sceptre et la couronne ? Autrefois, Seigneur, que les peuples vous suivaient en foule jusque dans les déserts pour écouter les oracles qui sortaient de votre bouche, que vous les nourrissiez d’un pain miraculeux, que vous guérissiez les malades, que vous chassiez les démons et que vous ressuscitiez les morts, vous leur faisiez envie, parce que pour vous suivre on désertait leurs synagogues, parce que vous démasquiez leur hypocrisie, et qu’enfin votre mérite éclatant effaçait le leur ; mais à présent que vous êtes tout couvert de plaies et de sang, vous devriez seulement leur faire compassion. Envie des Juifs, que vous êtes furieuse ! Bonté de Jésus, que vous êtes admirable ! Fureur des hommes, que vous êtes implacable ! Patience de mon Jésus, que vous êtes incompréhensible ! Oui, Seigneur, votre bonté et votre patience vont encore plus loin que l’envie et la fureur de vos plus cruels ennemis, puisque vous allez en souffrir encore davantage pour notre amour.

JEUDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour de Mort

Pratique

N’écoutez point aujourd’hui votre délicatesse. Si elle se récrie, imposez-lui silence, et pour la surmonter d’abord, commencez la journée par la pensée de la mort, avec ses plus tristes et ses plus affreuses circonstances, et faites en sorte de vous y apprivoiser tellement, qu’elle vous devienne familière le reste de vos jours ; mais surtout faites en sorte que cette pensée ne soit pas stérile. Vous avez dû hier, en vous mettant au lit, penser que vous entriez dans le tombeau ; sortez-en aujourd’hui comme si vous ressuscitiez pour aller entendre l’arrêt irrévocable d’une vie ou d’une mort éternelle. Rapportez aujourd’hui toutes vos actions à ce dernier terme. Pensez sérieusement à ce que vous voudriez avoir fait, à ce que vous voudriez n’avoir pas fait, si vous vous trouviez à présent à ce moment redoutable, et agissez conséquemment.

Méditation sur la mort

Ier POINT. — Jésus étant près des portes de la ville de Naïm, il arriva qu’on portait en terre un mort qui était fils unique de sa mère. (S. Luc, 7.)

Allez en esprit aux portes de cette ville, et profitez du grand spectacle qui se présente. C’est un spectacle de larmes et de joie tout ensemble ; c’est un convoi funèbre et une résurrection miraculeuse. On porte un mort enterre, et Jésus-Christ le ressuscite ; et il ménage avec tant de sagesse les mouvements de nos cœurs, qu’après les avoir abattus par la terreur d’une mort certaine, il les relève par l’espérance d’une vie nouvelle. La crainte de la mort et de ses suites terribles nous doit faire entrer dans les frayeurs salutaires de la pénitence ; et l’espérance de la vie et des récompenses éternelles que Dieu a promises aux justes et aux pénitents doit nous engager à faire de bonnes œuvres pour les mériter.

Quand je rencontre en esprit ce convoi funèbre, et que j’aperçois cette suite lugubre, ces visages abattus, cette mère éplorée qui pousse de tristes gémissements vers le ciel, et que j’apprends que c’est son fils unique qu’on va porter en terre, je suis saisi de crainte ; ce spectacle m’intéresse et me frappe, parce que je sens bien que la mort, qui n’a pas épargné ce fils unique à la fleur de son âge, ne m’épargnera pas aussi. De là, je conclus qu’il faut mourir, et que je dois y penser sérieusement. Toutes les autres circonstances de la mort se présentent à mon esprit : l’incertitude de son heure, le terrible jugement qui la suit, la corruption, les vers, l’éternité bienheureuse ou malheureuse dont cette mort décide ; tout me confirme dans ma crainte, et tout m’engage à y penser sérieusement.

Mais quand je vois Jésus-Christ, attendri par les larmes et par les sanglots de cette mère affligée, fendre la presse, arrêter le convoi, prendre soin lui-même de consoler cette veuve désolée, s’approcher du corps mort, lui dire d’une voix forte et majestueuse de se lever, j’examine avec attention ce mort : je vois ses yeux qui s’ouvrent, son teint de mort qui prend une couleur de vie, sa bouche qui commence à parler, tout son corps perdre la forme de cadavre pour reprendre celle d’un homme vivant, et Jésus-Christ qui le rend plein de vie à sa mère. Alors ma crainte se dissipe ; j’essuie mes larmes, je me console de la mort, j’espère que Jésus-Christ me ressuscitera un jour ; et je dois conclure, selon les principes de ma religion, que puisque ma résurrection est une suite nécessaire de la mort, il faut que je m’y prépare tous les jours de ma vie pour mériter une résurrection glorieuse. J’en forme la résolution ; j’y pense sérieusement comme à l’affaire la plus pressée et la plus importante, et je mets incessamment la main à l’œuvre, de crainte d’être surpris. Voilà les premiers sentiments que vous doivent inspirer la mort et la résurrection de ce fils unique.

IIe POINT. — Le mort se leva ; il commença à parler, et Jésus le rendit plein de vie à sa mère.

Voilà les larmes de tristesse changées en larmes de joie, et les gémissements en réjouissances publiques et en actions de grâces. Quand Jésus-Christ s’approche de nous, quand il nous regarde, quand il nous touche, quand il nous parle en souverain et en Dieu, il faut que la mort fuie devant la face de ce vainqueur. Étudiez les démarches charitables de Jésus-Christ, demandez-lui qu’il fasse pour la vie spirituelle de votre âme ce qu’il a fait pour la vie temporelle de ce jeune homme.

Modérez la crainte excessive que ce spectacle pourrait vous donner de la mort ; la résurrection, qui en est l’agréable dénouement, doit vous donner des espérances de la vie. Calmez vos trop longues alarmes ; la religion les condamne ; elles doivent être rectifiées par l’espérance d’une autre vie.

À la place de ces alarmes, prenez toutes les sages précautions que la foi vous inspire pour mériter une bonne mort, et par conséquent une résurrection avantageuse.

Je ne suis pas étonné qu’un homme du monde soit surpris à la mort, et qu’on soit obligé de prendre de grandes mesures et de grandes précautions pour lui annoncer le péril quand il y est effectivement : il n’y a pas pensé pendant sa vie, et les plaisirs sensuels ont tellement occupé son esprit et son cœur, qu’il ne croit point mourir, et qu’il ne veut point mourir, ni même qu’on lui en parle quand il n’y a plus d’espérance de la vie ; mais je suis effrayé quand je vois des personnes qui font profession de piété tomber dans cet aveuglement, et je tremble d’y tomber moi-même, quoique je le condamne. Prévoyez cette disgrâce, dont les suites sont terribles, et travaillez incessamment à vous y préparer. Habituez-vous à cette pensée, de peur qu’elle ne vous effarouche quand vous serez en péril, et qu’on vous dira qu’il faut mourir.

Mettez-vous à la place de ce jeune homme. On vous porte au tombeau, dit saint Grégoire, et vous n’y pensez pas. Imaginez-vous que Jésus-Christ vient à vous pour vous rendre la vie de l’âme, et par là vous préparer à la mort des justes : écoutez sa voix : il vous ordonne de vous lever, il touche votre cercueil ; demandez-lui qu’il touche votre cœur, où sa grâce est peut-être morte ou languissante. Obéissez, levez-vous, Jésus-Christ vous l’ordonne. Levez-vous de cette nonchalance et de cette paresse qui tient depuis longtemps votre âme assoupie, et qui vous empêche de penser efficacement à la mort, et de vous y préparer comme vous le devez, pour vous précautionner contre les surprises de la mort. Levez-vous sans délai de cette attache trop sensible à la créature qui partage injustement votre cœur, que vous devez tout entier à Dieu. Levez-vous de cet amour de vous-même, de cette vanité, de cette vie molle qui vous ôte la pensée de l’autre vie et de la mort, qui en est le passage. Vous serez surpris peut-être bientôt, si vous ne prenez incessamment vos précautions.

Sentiments

Je me soumets avec un profond respect, ô mon Dieu, au juste arrêt de mort que vous avez prononcé contre moi. Je confesse que je mérite de mourir, parce que je suis pécheur. Je ne demande ni une plus longue vie, ni une résurrection miraculeuse, après la mort, pareille à celle dont vous favorisâtes le fils de la veuve de Naïm ; mais que vous me prépariez à ce grand passage, que vous m’adoucissiez les frayeurs excessives de la mort, que vous me donniez du goût à y penser, que vous m’accordiez la mort des justes, et que vous me fassiez la grâce de la mériter par mes bonnes œuvres. Donnez à présent la vie de la grâce à mon âme ; venez à moi avec votre bonté ordinaire, ou donnez-moi la force d’aller à vous, qui êtes la vie, et qui la procurez à ceux qui ont recours à vous. Touchez efficacement mon cœur comme vous avez touché le cercueil de l’enfant mort ; purifiez-le de toutes les souillures qui pourraient diminuer ou affaiblir l’amour qu’il vous doit, et lui procurer une mort mille fois plus funeste que celle qui sépare l’âme du corps.

Parlez, Seigneur, à mon âme ; que votre voix de Sauveur et d’Époux se fasse entendre aux oreilles de mon cœur. Commandez-lui de se lever et de ne plus croupir dans l’ordure et dans les ombres de la mort ; mais en commandant ce que vous voulez que je fasse, donnez-moi la force et le courage d’exécuter vos ordres, quelque rigoureux qu’ils me paraissent. Faites-moi vouloir efficacement, faites-moi agir, faites-moi parler comme ce jeune homme, et conduisez-moi, par vos lumières, de manière que toutes mes paroles et toutes mes actions soient des signes de vie, et de la vie de la grâce, pour mériter, après ma mort, la vie de la gloire.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Parce que vous avez mangé du fruit défendu, vous mangerez votre pain à la sueur de votre front, jusqu’à ce que vous retourniez en la terre dont vous êtes formé. Vous êtes poussière, et vous retournerez en poussière. (Gen., 9. (

La mort des pécheurs est très mauvaise. (Ps. 33.)

Dieu nous a caché le jour de notre mort, afin que nous nous y préparions tous les jours. C’est y penser et s’y préparer trop tard que d’attendre à le faire quand on est en péril de mort. (S. Augustin.)

Notre ancien ennemi fait les derniers efforts de malice et de cruauté pour ravir une âme quand elle est au lit de la mort ; et ceux qu’il n’a séduit que par des caresses pendant leur vie, il les attaque avec la dernière violence quand ils sont près de mourir. (S. Grégoire.)

Prière

Seigneur tout-puissant, et dont les miséricordes sont infinies, nous implorons votre clémence, et nous vous demandons humblement la grâce de répandre vos bénédictions sur la pénitence que nous pratiquons dans ce saint temps avec tous les fidèles et pendant que, par obéissance et par devoir, nous affligeons et nous macérons nos corps par ces jeûnes solennels et par ces abstinences publiques que vous nous avez prescrits pour racheter nos péchés, répandez sur nos âmes la joie d’une bonne conscience et d’une sincère et sainte dévotion, afin qu’ayant réprimé tous les désirs charnels et tous les appétits déréglés qui attaquent la pureté de nos cœurs et l’innocence de nos âmes, nous soyons plus capables de nous appliquer aux choses célestes. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Sentence de mort contre Jésus-Christ

Pilate s’apercevant que tout ce qu’il avait fait pour délivrer Jésus-Christ des mains de ses ennemis n’avait pas réussi, en entendant les clameurs effroyables du peuple excitées par les scribes et les pharisiens qui demandaient sa mort, ne voulut point encore en prononcer la sentence ; mais il leur dit en colère : Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le selon votre loi. Ils le refusèrent, disant qu’il ne leur était pas permis de faire mourir personne. Pilate ajouta qu’il était innocent du sang de ce juste, et que ce serait à eux à en répondre et à s’en charger, s’ils voulaient le faire mourir, rejetant ainsi sur eux toute la vengeance que Dieu en tirerait. Ils eurent la hardiesse de s’en charger sans balancer, ne pensant pas au fardeau terrible qu’ils s’imposaient à eux-mêmes, et ne songeant pas que le sang de plus d’un million d’hommes de leur perfide nation serait bientôt répandu par les Romains, dont Dieu se servirait pour commencer cette juste et terrible vengeance, et qu’ils seraient, eux et tous leurs descendants, dans une dispersion lamentable, haïs et persécutés jusqu’à la fin du monde.

« Que son sang, dirent ces aveugles, se répande sur nous et sur nos enfants. » Voilà le cruel arrêt qu’ils prononcent contre eux-mêmes, arrêt qui s’est exécuté, et qui s’exécute encore, et qui s’exécutera jusqu’au jour du jugement, pour payer l’injuste et cruel arrêt qu’ils extorquèrent par violence de la bouche de Pilate. En effet, ce lâche président leur abandonna Jésus pour en faire ce qu’ils voudraient et cet arrêt informe fut pris pour juridique et solennel.

Injustice atroce et criante sentence inique ! arrêt impie ! Est-il possible, ô mon Dieu, qu’il sorte d’une bouche que vous avez formée vous-même un arrêt de mort contre vous, qui êtes l’Auteur de la vie ? Quel impénétrable mystère de votre Providence et de votre amour pour les hommes ! Mais se peut-il faire que vous y consentiez sans vous plaindre, sans vous récrier sur l’injustice, et sans en appeler à César, comme vous le pouviez ? Vous n’en appelez pas même à votre Père céleste, qui pouvait, si vous l’aviez voulu, vous envoyer des légions d’anges pour briser nos chaînes, pour vous soustraire à la mort, et pour précipiter vos ennemis dans les abîmes et dans les flammes de l’enfer.

Mais se peut-il encore, ô mon Sauveur, que vous soyez prêt à donner tout votre sang pour le salut de ceux qui vont eux-mêmes le répandre avec tant de fureur et d’impatience ? Quel incompréhensible secret, et quel généreux effort de votre excessive charité ! quel puissant motif pour nous engager à vous aimer, à souffrir, et à répandre jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour votre amour !

Cet arrêt, prononcé contre toutes les formes de justice, ne condamne pas seulement Jésus-Christ à la mort, mais à la mort de la croix ; et cet effroyable supplice portait en même temps deux caractères infiniment odieux, l’un de cruauté, l’autre d’infamie. Comme cruel, on y condamnait les impies, les sacrilèges, les assassins et les plus grands scélérats : comme infâme, on y condamnait les voleurs, les gens de néant et les esclaves.

C’est ainsi, Seigneur, que par cette sentence injuste on vous met au rang des plus grands criminels qui commettent les excès les plus odieux contre Dieu et contre la république, et des gens de la basse condition et de la lie du peuple. Votre cœur sentait toute cette injustice et toute cette infamie, et il s’y soumet sans se plaindre, pour me donner en même temps un admirable exemple et un puissant motif de patience, d’humilité et d’amour. Heureux si j’en profite !

VENDREDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour d’Espérance

Pratique

Priez le Seigneur, à votre premier réveil, qu’il dissipe toutes vos frayeurs et toute vos alarmes par une ferme espérance en ses divines promesses. Élevez vers le ciel vos yeux, votre esprit et votre cœur, et prononcez avec fermeté ces paroles du Roi-Prophète : Seigneur, j’ai espéré en vous ; ne permettez pas que je sois confondu pour jamais. (Ps. 39.) N’admettez donc chez vous aucun sentiment terrestre, et ne pensez qu’aux récompenses qui vous sont promises dans le ciel, si vous êtes fidèle à Dieu et à sa grâce. Soupirez mille fois aujourd’hui après ce bonheur ; ne faites rien qui ne soit dirigé vers le ciel. Levez souvent les yeux vers cette céleste patrie, en disant avec le même Prophète : Seigneur des armées, que vos tabernacles sont aimables ! mon âme désire ardemment d’être dans la maison du Seigneur.

Méditation sur l’espérance

Ier POINT. — Les sœurs de Lazare envoyèrent dire à Jésus Seigneur, celui que vous aimez est malade. (S. Jean, 11)

Ces pieuses sœurs, qui avaient été instruites par la bouche de Jésus-Christ même, étaient animées d’une espérance bien ferme, puisqu’elles se contentent, dans le message qu’elles lui envoient, de lui exposer seulement la maladie de leur frère Lazare, sans le prier de le guérir et de lui rendre une visite charitable, persuadées fortement que cet incomparable ami, qui ne manque ni de puissance ni de bonté, ne manque aussi jamais de secourir dans le besoin ceux qu’il aime et qui espèrent en lui.

Faites attention que Jésus-Christ’n’était pas alors en Judée quand on vint lui dire de la part de Marthe et de Marie que leur frère était malade. Il avait été obligé de quitter son propre pays, parce que les Juifs lui dressaient continuellement des embûches, et qu’ils cherchaient l’occasion de le faire mourir. Cependant, pour secourir un ami, il retourne malgré les remontrances de ses apôtres, aimant mieux courir les risques d’être persécuté et de perdre la vie que de laisser dans la douleur une famille désolée, qui lui était chère, et qui mettait toujours son espoir en lui. Quelle consolation, quel puissant motif d’espérance dans le secours d’un Dieu Sauveur, si nous l’aimons, si nous avons recours à ses bontés dans nos souffrances !

Il fallait que ce divin libérateur soutînt la parole solennelle qu’il avait donnée à sou peuple par son prophète, et conçue en ces termes : Je le délivrerai, parce qu’il a espéré en moi ; je le protégerai, parce que dans sa peine il a invoqué mon nom. (Ps. 90.) Servez-vous de ce remède ; il est doux, il est facile, il est sûr ; et le ciel et la terre se bouleverseraient plutôt que le Seigneur ne manquât à sa parole, qui est divine et sacrée.

Vous souffrez ; vous êtes dans le mépris et dans l’humiliation ; vos besoins temporels et spirituels vous pressent ; vous ne trouvez aucune ressource dans les créatures : espérez en Jésus-Christ : vous n’avez pas besoin, comme Marthe et Marie, de lui envoyer un messager pour lui apprendre votre peine ; il est présent, il vous écoute, il la sait, il la sent ; mais il veut la savoir par vous.

Dites-lui avec une ferme espérance : Seigneur, celui que vous avez aimé jusqu’à répandre votre sang pour son amour est malade. Il viendra à vous, il vous consolera, il vous délivrera ; il s’y est engagé, il vous l’a promis. Sommez-le respectueusement de sa divine promesse. Surtout n’hésitez point ; espérez tout contre toute espérance humaine ; vous lui ferez plaisir, puisqu’en vous secourant efficacement, il suivra toujours les inclinations et les tendres mouvements de son cœur. Mais, pour animer votre espérance, n’oubliez jamais qu’il est la bonté même, et qu’il est tout-puissant ; qu’il vous aime et qu’il peut tout ; qu’il est fidèle dans ses promesses ; que votre pusillanimité lui déplaît ; que cette fidélité fait sa gloire ; que votre défiance lui serait injurieuse.

IIe POINT. — Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus-Christ, et celui qui croira en moi vivra, quoiqu’il soit mort. Voyez jusqu’à quel terme notre adorable Sauveur étend le mérite et l’efficace de l’espérance. Il ne la borne ni à la guérison des maladies corporelles, ni à la délivrance des peines spirituelles, mais il l’étend jusqu’à la mort et par delà. Cette sublime théologie avait été inspirée au saint homme Job, quand il disait sur son fumier : Dieu m’a réduit aux dernières extrémités ; j’ai perdu tous mes biens, tous mes enfants, et je suis couvert de plaies depuis les pieds jusqu’à la tête ; mais quand il me tuerait même, je ne cesserais pas d’espérer en lui ; et c’est dans cette espérance qu’il puisait toute sa consolation : Etiam si occiderit me, in ipso sperabo. (Job, 13.)

Jésus confirme aujourd’hui ce grand sentiment et par sa parole et par le prodige qu’il opère. Porté sur les ailes de la charité, il vient à Béthanie, où Lazare était mort depuis quatre jours. Marthe et Marie lui disent : Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. Marthe ajoute Mais je sais que Dieu vous accordera tout ce que vous lui demanderez. Jésus, pour récompenser une espérance si héroïque, s’approche du tombeau, il pleure, il prie, il se trouble, il commande, et il ressuscite le mort.

Qui n’espérera pas en Jésus-Christ après ce miracle ? Espérez donc, non pas une résurrection anticipée, mais la résurrection spirituelle de votre âme par la divine miséricorde. Espérez la délivrance de tous les maux qui vous affligent : espérez la gloire que Jésus-Christ vous a promise par les mérites de son sang.

Espérez la divine miséricorde, quelques péchés que vous ayez commis, puisque sans cette espérance vous ne l’obtiendrez jamais. Priez, faites pénitence, et elle vous sera donnée. La miséricorde, dit le Prophète, environnera celui qui espère en elle. (Ps. 32.) Vous qui craignez le Seigneur, dit le Sage, espérez en lui, et sa miséricorde viendra consoler votre âme. (Eccli., 2.)

Espérez en Dieu pour la délivrance de vos peines ; il est avec vous dans la tribulation, et il vous a promis de vous délivrer. Si vous êtes faible, dit saint Augustin, l’espérance sera la colonne qui vous soutiendra de peur que vous ne tombiez. Si le vaisseau mystérieux de votre âme est agité par les flots de la tentation, l’espérance sera l’ancre qui l’arrêtera et qui la préservera du naufrage.

Mais surtout espérez la gloire que Jésus-Christ vous a promise ; car l’espérance de la vie immortelle, dit encore saint Augustin, est la même. Tant que vous aurez un souffle de vie, vous aurez droit et même obligation d’espérer ; mais ayez soin de soutenir votre espérance par la pratiqué des bonnes œuvres. Espérez en Dieu, dit le Prophète, mais faites le bien : car, sans cette pratique, l’espérance n’est qu’une illusion grossière et une véritable présomption. (Ps. 39.) Elle est semblable, dit le Sage, à ces petites pailles que le vent emporte, ou à cette écume légère qui est dispersée par la tempête, ou à la fumée que le vent dissipe ; et elle fondra comme la glace de l’hiver, ou elle s’écoulera comme une eau inutile. (Sag., 5.)

Sentiments

Venez à moi, Seigneur, rendez une visite charitable à mon âme. Elle est languissante, elle implore votre secours, et elle n’espère qu’en vous seul. Hélas ! peut-être est-elle morte, et renfermée dans mon corps comme dans un tombeau. Otez non seulement, mais brisez la pierre qui me retient dans les ombres de la mort. Mon cœur est lui-même plus sec et plus dur que la pierre qui fermait le sépulcre de Lazare. Je vous conjure, par les larmes que vous répandîtes alors, d’amollir sa dureté. Parlez-lui, faites-lui entendre votre voix, qui porte partout la grâce, qui est la source de la vie. Embrasez-le d’une ardeur si pure, qu’elle chasse pour toujours le péché, qui est le principe de la mort. Extirpez-en toutes flammes étrangères, afin qu’il ne brûle que du feu de votre amour. Bannissez-en toute la crainte servile, tout le découragement, toute la défiance, et apprenez-lui à mettre toute son espérance en votre divine miséricorde. Permettez encore que je vous dise avec un de vos saints docteurs : Mon Dieu, puisque vous avez la bonté de me promettre des récompenses éternelles, j’espérerai toujours de les obtenir par vous seul, en répondant fidèlement à votre grâce. (S. Bernard.) Si vous trouvez à propos de m’exposer à des combats rigoureux, je ne m’effrayerai et je ne me découragerai jamais ; je combattrai généreusement, et par vous j’espérerai la victoire. Si le monde veut m’éblouir par ses fausses grandeurs, ou me corrompre par ses plaisirs sensuels ; si le démon m’attaque par des tentations importunes, je surmonterai tout, parce que j’espérerai que vous combattrez avec moi, et que vous me donnerez toute la force dont j’ai besoin pour ne me laisser jamais abattre. Puis-je désespérer de votre miséricorde, puisque vous me donnez trois motifs puissants qui m’engagent à tout espérer ? J’espère donc, Seigneur, dans la charité de votre adoption, dans la vérité de vos promesses, et dans la toute-puissance de mon rémunérateur : Sperabo in charitate adoptionis, in veritate promissionis, in potestate redditionis. (S. Bernard.)

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Ceux qui espèrent au Seigneur auront toujours de nouvelles forces, ils auront les ailes d’un aigle, ils voleront et ils ne se lasseront jamais. (Isaïe, 40.)

Nous avons en nous-mêmes la réponse de la mort, afin que nous ne mettions point notre espérance en nous, mais en Dieu, qui resuscite les morts. (2e Épît. aux Cor., 1.)

Toute la vie mortelle consiste dans l’espérance de la vie immortelle. (S. Augustin.)

Tous les combats paraissent faciles à un chrétien qui envisage le ciel, et l’espérance de la gloire éternelle facilite et adoucit les plus rudes travaux. (S. Jérôme.)

Prière

Seigneur tout-puissant, en qui la sagesse et la bonté sont infinies, et qui, par ces divines perfections, pourvoyez abondamment à tous nos besoins spirituels et corporels ; divin Sauveur, qui prenez soin de renouveler tous les jours les fidèles qui composent votre Église par des sacrements ineffables, que vous leur fournissez comme des sources inépuisables de grâces pour effacer leurs péchés, et pour les conserver dans l’innocence, accordez encore à votre Église la grâce de profiter des divines leçons, qui ne tendent qu’a nous détacher de la terre pour nous porter vers le ciel ; mais ayez aussi la bonté de pourvoir à nos besoins temporels, que nous vous demandons dans l’ordre de votre divine providence, et autant qu’ils pourront contribuer à notre bonheur éternel. Nous vous en prions par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Point de la Passion

Jésus conduit au Calvaire

À peine la dernière sentence de mort est-elle prononcée contre Jésus-Christ, que ses ennemis, impatients d’exécuter sur lui le dernier acte de leur fureur, se hâtent de le conduire et de le traîner au Calvaire. On lui ôte la robe de pourpre dont on l’avait revêtu par dérision, et pour insulter à sa royauté, on lui met ses propres habits, afin qu’étant mieux reconnu par les spectateurs qui accouraient en foule, et qui l’avaient vu sous cet habit prononcer tant d’oracles de vie et opérer tant de miracles, il en reçût plus de honte et d’infamie

Pour rendre cette infamie plus complète, on tire de la prison deux voleurs publics ; on les lui donne pour compagnons de son supplice, afin de vérifier l’oracle du Prophète, qui dit qu’il sera mis et confondu avec les scélérats. Jésus les reçoit en sa compagnie ; il souffre d’être comparé, puni et crucifié avec eux, et même d’être mis au milieu de ces voleurs, comme le chef, comme le plus coupable et le plus digne de mort. Aussi était-il chargé des péchés de ces voleurs, de ceux de tous les pécheurs, et il allait mourir pour tous les hommes.

Tout est en mouvement, tout marche au Calvaire pour immoler cette innocente victime, et achever de répandre le peu de sang qui lui reste dans les veines, qui soutient encore faiblement quelques douloureux moments d’une vie languissante.

Considérez le triste état de cet homme de douleurs ; voyez en esprit ce Sauveur pâle et défait sortir de la maison de Pilate, poussé, traîné au milieu des rues les plus fréquentées de Jérusalem, où quelques jours auparavant il avait passé en triomphe, adoré comme le Messie ; il est accompagné, pour tout cortège, de soldats, de bourreaux, et d’une foule qui l’insulte et qui le regarde comme le plus scélérat de tous les hommes. Ses mains sont liées avec des cordes qui ne sont plus que de couleur de sang ; sa couronne d’épines est sur sa tête ; il en coule une si prodigieuse quantité de sang, qu’a peine on peut voir son visage. Ses yeux plombés et moribonds ne jettent que des regards languissants, où la plus vive douleur est exprimée ; les larmes abondantes qu’ils répandent sont mêlées et confondues avec le sang qui coule de sa tête. Ses joues divines sont toutes déformées par les soufflets, meurtries de coups, et couvertes de larmes qui coulent de ses yeux. Sa bouche est livide et sanglante, et il ne l’ouvre que pour faire passage à quelques soupirs et à quelques sanglots que l’excès de sa tristesse et de sa douleur arrache de son cœur. Ses épaules sont déchirées de coups de fouet et chargées du pesant fardeau de la croix. Ses pieds sont encore tout rouges du sang qu’il a répandu à sa cruelle flagellation, et tout son corps si faible, qu’il peut à peine se soutenir, parce qu’il est épuisé par la quantité prodigieuse de sang qu’il a répandue.

Suivons donc ce Dieu souffrant au Calvaire. La terre couverte de son sang nous en apprendra les routes ; ses pieds, dont la forme est empreinte en rouge, nous en montreront le chemin. Ses vestiges sanglants sont trop bien marqués pour ne pas les apercevoir. Allons de cœur et d’esprit sur les traces de cet homme de douleurs, et allons mourir avec lui, puisqu’il va mourir pour nous. Cette mort nous donnera la vie.

SAMEDI APRÈS LE 4e DIMANCHE
Jour d’imitation

Pratique

Représentez-vous, à votre premier réveil, l’image et le portrait de Notre-Seigneur Jésus-Christ, son air de visage tranquille et majestueux, qui inspirait la sagesse, le respect et la confiance ; ses yeux, dont la douceur, la modestie et l’humilité attiraient les regards ; sa bouche adorable qui ne s’ouvrit jamais que par nécessité ou pour prononcer les oracles de la vie, ou pour parler avec bonté à ceux qui avaient recours à lui.

De l’extérieur de Jésus passez à son intérieur. Représentez-vous la sainteté et la sublimité des pensées de son esprit, son recueillement et son application continuelle à procurer la gloire et à faire en toutes choses la volonté de son Père Céleste ; les adorations et les hommages respectueux qu’il lui rendait, la charité immense qui embrasait son cœur, et toutes les vertus qu’il a pratiquées pendant son séjour sur la terre. Voilà le grand modèle qu’il faut vous efforcer de copier aujourd’hui et tous les jours de votre vie.

Méditation sur l’imitation de notre-seigneur

Ier POINT. – Jésus dit au peuple : Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. (S. Jean, 8.)

Ouvrons les yeux de l’âme pour voir quelle est cette lumière si brillante, si sainte et si bienfaisante, qui vient dissiper nos ténèbres et nous conduire avec sûreté dans les voies du salut. C’est Jésus-Christ même qui est cette lumière de lumière, qui éclaire, qui parle, qui invite et qui conduit en même temps tous ceux qui ont recours à lui, de peur qu’ils ne s’égarent et qu’ils ne tombent dans l’erreur et dans l’aveuglement ; lumière divine, lumière essentielle, source de toutes les autres lumières, qui n’est pas cachée sous le boisseau, mais exposée publiquement aux yeux de tous les hommes.

On a vu, en effet, cette lumière incréée et incarnée. Ce Sauveur a conversé visiblement parmi les hommes ; il a parlé, il a pratiqué les plus héroïques vertus ; il a soulagé tous les malheureux qui ont eu recours à lui ; il a partout donné des exemples d’humilité, de patience et de charité, et tout un peuple en a été le témoin.

Quoi de plus fort et de plus énergique que les paroles dont Jésus-Christ se sert pour nous engager à le suivre et devenir ses imitateurs ? Pesez-les au poids du sanctuaire. Il nous promet que si nous le suivons nous aurons la lumière de la vie, non pas d’une seule vie temporelle, mais d’une vie spirituelle et éternelle tout ensemble, c’est-à-dire la vie de la grâce et la vie de la gloire : quoi de plus avantageux ? Pouvons-nous nous passer de cette double vie, nous qui n’avons de nous-mêmes que les ténèbres, l’ignorance et le péché pour partage, et qui sommes partout environnés des ombres de la mort ?

 Que pouvons-nous craindre en suivant les vestiges et les routes qu’un Dieu Sauveur nous a marqués, lui qui a dit qu’il est la Voie, la Vérité et la Vie ? une voie sûre et qui n’est point sujette à l’égarement ; une vérité éternelle- et qui ne peut nous tromper ; une vérité éternelle qui exclut la mort pour toujours : une voie, dis-je, qui conduit dans les sentiers Les plus droits de la justice ; une vérité qui éclaire, qui instruit et qui persuade ; une vie qui soutient, qui nourrit, qui fortifie et qui ne finit jamais.

IIe POINT. – C’est moi, dit encore le Sauveur, qui rends témoignage de moi-même, et mon Père, qui m’a envoyé, me rend aussi témoignage.

Un seul de ces deux témoignages devrait suffire à un chrétien pour écouter la doctrine et pour imiter la vie de Jésus-Christ. Mais, pour mieux l’autoriser, voici deux témoignages irréfragables : du Père Céleste, qui est un Dieu éternel ; l’autre du Fils, qui est un Dieu sauveur ; où trouverons-nous une plus grande sûreté ?

On peut craindre de se tromper en se fiant à la parole d’un homme mortel, ou en l’imitant dans ses actions. Vous n’avez rien à craindre ici, c’est un Dieu qui parle, qui instruit, qui invite et qui agit : à quoi tient-il donc que vous ne l’imitiez ?

Formez aujourd’hui une généreuse résolution d’imiter et de suivre Jésus-Christ, quoi qu’il vous en coûte ; et, pour y réussir, faites attention aux avis importants que vous donne saint Bernard quand il dit : Il y en a qui refusent de suivre Jésus-Christ et qui le fuient ; et ce sont les pécheurs déclarés. Il y en a qui ne veulent pas le suivre, mais le précéder ; et ce sont les orgueilleux que l’humilité du Sauveur scandalise. Il y en a qui ne le suivent que de la voix, et non des actions ; ce sont les faux dévots et les lâches. Il y en a qui ne le suivent que de loin, et qui ne le joindront jamais, parce qu’ils marchent trop lentement, au lieu de courir avec ferveur. Mais il y en a qui le suivent, et qui ont le bonheur de le joindre et de ne s’en séparer jamais, parce qu’ils persévèrent jusqu’à la mort. Prenez ici votre place.

Ayez toujours devant les yeux ce divin original ; copiez-le dans tous ses traits ; efforcez-vous de n’en perdre aucun, afin de l’imiter plus parfaitement. Irritez sa modestie, sa douceur, son humilité, sa patience, sa pureté, son zèle et sa charité. Aimez ce qu’il a aimé, haïssez ce qu’il a haï, souffrez comme il a souffert ; en un mot, pensez, désirez, aimez, parlez et agissez comme ce divin Sauveur.

Extirpez avec un grand soin ce qui vous empêche de le suivre. Trois choses nous empêchent de suivre un homme qui marche à grands pas : 1° quand nous sommes faibles ; 2° quand nous sommes liés ; 3° quand nous sommes trop chargés.

Vous êtes peut-être trop faible par votre faute, parce que vous avez affaibli votre grâce par vos lâchetés et vos fréquentes infidélités. Demandez avec ardeur cette grâce de force ; soyez-lui fidèle, et vous serez en état de suivre Jésus- Christ. Vous êtes peut-être trop attaché à la créature et à vous-même. Brisez ces liens, qui vous sont funestes ; vous ne le suivrez jamais que vous n’ayez la générosité de les rompre. Si vous êtes trop chargé du fardeau de vos iniquités, déposez au plus tôt ce fardeau insupportable ; pleurez- les, ces péchés qui vous appesantissent ; expiez-les, sans vous épargner, par la pénitence. C’est ainsi que vous pourrez suivre Jésus-Christ.

Sentiments

Lumière éternelle et divine, lumière qui dormez la vie, lumière qui brillez partout par vos clartés, et qui embrasez en mème temps par vos ardeurs, dissipez les ténèbres de mon esprit, et fondez la glace de mon cœur, afin que je vous connaisse et que je vous aime, que je vous suive et que je vous imite. Vous m’y invitez vous-même avec une bonté et une tendresse de Père et de Sauveur, quand vous me dites : Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Aidez-moi donc à marcher sur vos traces, car je suis faible ; tous mes pas sont chancelants, et sans votre secours je ne puis ni marcher, ni même me servir de la lumière que vous me présentez. Rendez-moi attentif à votre voix, docile à votre grâce, fidèle à vos divines inspirations ; guérissez ma surdité, éclairez mon ignorance, amollissez ou brisez la dureté de mon cœur, fortifiez ma faiblesse, réveillez ma langueur et ma nonchalance, et prenez-moi charitablement par la main, pour m’aider à suivre les routes que vous m’avez tracées pendant votre vie mortelle, afin que je me forme et que je me règle dans toute ma conduite sur les excellentes leçons que vous m’avez données, et sur les vertus héroïques que vous avez pratiquées, pour me rendre digne de la gloire que vous m’avez promise, et que vous m’avez méritée par vos souffrances, et par l’effusion de votre sang.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce soi-même, qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. (S. Matth., 16. )

Soyez les imitateurs de Dieu, comme des enfants chéris, et marchez dans la dilection, comme Jésus-Christ nous a aimés. (Épît. aux Éphés., 5.)

C’est une erreur bien misérable de rendre un culte religieux à un Dieu qu’on refuse d’imiter, puisque l’essentiel de la religion consiste à imiter ce qu’on adore. (S. Augustin.)

Il n’y en a que trop qui voudraient suivre et imiter Jésus-Christ dans la gloire et la prospérité, et non dans l’humiliation et dans la souffrance ; qui voudraient bien régner, et non pas combattre avec lui. (S. Bonaventure.)

Prière

Inspirez-nous, Seigneur, dans ce saint temps de pénitence, les sentiments d’une véritable et sincère dévotion ; soutenez- la de votre grâce ; acceptez-la, bénissez-la, afin qu’elle porte des fruits dignes de vous être présentés. Vous nous en avez montré l’exemple par un jeûne rigoureux de quarante jours, accompagné d’une oraison sublime et continuelle, par les combats que vous soutîntes dans le désert, et par les glorieuses victoires que vous remportâtes sur le démon. Vous êtes notre divin modèle ; nous voulons, avec votre secours, suivre vos traces et vous imiter ; et nous le devons, parce que vous l’ordonnez, et que nos jeûnes et nos œuvres de piété ne nous deviendront salutaires que quand nous les unirons aux vôtres, que quand nous les pratiquerons dans le même esprit, et qu’ils seront agréables à votre divine Majesté. Purifiez, Seigneur, nos intentions et nos vues de tous les sentiments d’amour-propre, de respect humain et de vanité, donnez-nous la force de les pratiquer jusqu’à la fin, pour votre seul amour. Nous vous en prions par vos mérites, par vos souffrances et par votre sang.

Point de la Passion

Jésus portant sa croix

En sortant de la maison de Pilate, on présenta à Jésus-Christ la croix sur laquelle il devait être attaché ; on le chargea cruellement de cet infâme et douloureux fardeau, quoiqu’il fût dans une extrême faiblesse, parce qu’il venait de perdre une partie de son sang. Ce Sauveur le regarda avec des yeux où la douleur et la résignation étaient marquées. Il l’accepta, pour obéir à la justice de Dieu son Père, et par l’amour qu’il avait pour les pécheurs. Il la prend donc sur ses épaules sans hésiter, et la pesanteur de ce bois fait entrer sa robe dans sa chair déjà déchirée. Ce Fils obéissant, comme un nouvel Isaac, se laisse charger du bois de l’holocauste pour aller être immolé sur la montagne. Mais l’ange du Seigneur, qui lui avait prononcé l’arrêt de mort de la part de son Père, ne l’en délivrera pas ; il boira le calice jusqu’à la lie ; l’hostie sera immolée, on répandra tout son sang pour les péchés du peuple.

Ah ! Seigneur, quel insupportable fardeau vous laissez- vous imposer sur un corps faible et épuisé de sang ! pouvez-vous aller ainsi jusqu’à la montagne du Calvaire sans être accablé et sans tomber plusieurs fois de faiblesse, d’autant plus qu’en vous chargeant de la croix, vous vous chargez encore d’un autre fardeau si terrible, qu’il n’y a qu’un Dieu seul qui puisse le porter ! Ce sont les péchés de tous les hommes qui ont été, qui sont et qui seront jusqu’à la consommation des siècles, avec la satisfaction rigoureuse que vous devez en faire à la justice de votre Père céleste. Vous vous mettez ainsi à ma place et à celle de tous les criminels, pour porter vous seul la peine et la punition qu’ils méritent. À quelles excessives rigueurs vous exposez-vous en prenant la croix sur les épaules !

Chargez-vous cependant, ô mon Sauveur, de cette croix infâme ; elle vous deviendra honorable et glorieuse ; c’est par elle que vous allez prendre l’investiture de votre royaume ; c’est par elle que je suis obligé de vous reconnaître non seulement pour ma caution et pour mon libérateur, mais encore pour mon Roi et pour mon Souverain. Vous deviez, selon l’oracle d’un Prophète, porter le sceptre pour marque de votre royauté, non à la main, comme les souverains de la terre, mais sur les épaules, comme le Roi des rois, et comme le souverain du ciel et de la terre, qui devait conquérir son royaume, non en répandant le sang de ses ennemis, comme les conquérants mondains, mais en répandant son propre sang pour épargner celui de ses sujets. (Isaïe, 9.)

Considérez attentivement cet Homme de douleurs, qui tombe de défaillance sous le poids excessif de la croix, et qui serait mort effectivement sous ce pesant fardeau, si les Juifs, qui voulaient le faire mourir d’une mort bien plus cruelle et plus infâme, et exercer plus longtemps leur barbare fureur sur ce corps innocent, n’eussent emprunté le secours d’un passant pour le soulager. Jusqu’alors personne ne lui avait aidé à porter sa croix ; ses propres disciples n’avaient eu garde de s’y présenter, puisqu’ils l’avaient lâchement abandonné, et qu’ils avaient pris la fuite ; les Juifs ne lui auraient pas rendu ce service, parce qu’ils regardaient la croix comme un sujet de scandale et de malédiction.

Ah ! Seigneur, ce recours que vous empruntez renferme un mystère qui m’instruit, et qui me confond si je n’en profite. Vous voulez me faire entendre que si je veux me sauver, il faut que je vous aide à porter votre croix, que je me regarde comme un pèlerin dans ce monde, que j’unisse mes souffrances aux vôtres, que je vive dans une continuelle abnégation de moi-même, afin que je porte ma croix et que je vous suive sur le Calvaire, si je veux vous suivre et régner avec vous dans le ciel.

Semaine de la Passion

DIMANCHE DE LA PASSION Jour d’Attention

LUNDI DE LA PASSION Jour de Ferveur

MARDI DE LA PASSION Jour de Fuite du monde

MERCREDI DE LA PASSION Jour de Reconnaissance

JEUDI DE LA PASSION Jour d’Amour de Dieu

VENDREDI DE LA PASSION Jour de Solitude

SAMEDI DE LA PASSION Jour de Mortification

DIMANCHE DE LA PASSION
Jour d’Attention

Pratique

Entrez aujourd’hui dans un profond recueillement. Éloignez-vous avec soin de tout ce qui pourrait vous distraire et vous causer de la dissipation, pour écouter avec une respectueuse et tendre attention tout ce que Dieu dira à votre cœur. Pour peu que le monde parle ou que vous parliez au monde sans nécessité, vous ne pouvez pas entendre la voix de Dieu, dont le divin langage ne peut parvenir jusqu’au cœur que dans le calme et dans le silence.

Entrez dans l’esprit de l’Église, qui entre elle-même aujourd’hui dans les sentiments de la passion de son céleste Époux, et qui, pour y être plus attentive, fait cesser ses cantiques de joie auxquels elle substitue des hymnes lugubres qui marquent sa douleur et sa tristesse. Recueillez-vous, lisez, priez, méditez, et ne laissez tomber à terre aucune des paroles de Jésus-Christ, puisque ce sont des paroles de vie.

Méditation sur l’attention a la parole de dieu

Ier POINT. — Jésus dit aux Juifs et aux princes des prêtres : Celui qui est de Dieu entend la parole de Dieu, et vous ne l’entendez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu. (S. Jean, 8.)

Ces paroles, prononcées en présence d’une grande assemblée et de la bouche d’un Dieu, sont capables d’effrayer les plus intrépides libertins qui auraient encore quelques restes de religion, de réveiller l’attention des plus lâches sur la divine parole, et d’engager les justes à examiner sérieusement l’usage qu’ils ont fait de cette parole si sainte et si redoutable.

Jésus-Christ avait prêché déjà plusieurs fois au peuple et aux princes des prêtres, et ceux-ci, loin d’en profiter, en avaient pris des motifs d’envie et de haine contre lui, et c’est ce qui fut cause de leur réprobation, dont ce Sauveur leur fulmina le terrible arrêt par ces paroles : « Vous n’êtes pas de Dieu, vous n’appartenez pas à Dieu, parce que vous n’entendez pas sa parole. » Ne pas appartenir à Dieu, c’est n’être plus de son bercail, c’est ne plus participer à son esprit, à sa grâce ni à son royaume ; en un mot, c’est appartenir au démon.

Quel empressement avez-vous eu jusqu’à présent pour entendre sa divine parole ? Combien de fois lui avez-vous préféré votre repos, vos occupations vaines et inutiles, et vos parties de plaisir ? Comment et dans quel esprit l’avez-vous entendue ? L’avez-vous cherchée, estimée et respectée comme elle le mérite ? et quel fruit en avez-vous retiré ? Voilà le sujet d’un sérieux examen.

Avez-vous jamais bien compris que la parole de Dieu est la première de toutes les grâces, qu’elle est le fondement de la religion, et que la foi lui est redevable de sa naissance et de son accroissement ? C’est le Saint-Esprit qui nous l’apprend, quand il dit que la foi s’introduit par l’ouïe, qui reçoit la parole de Dieu. Vous ne pouvez pas, par conséquent, vous en passer ; car, encore que les créatures vous apprennent qu’il y a un Dieu, elles ne vous apprennent pas la manière de le servir.

Lorsque Dieu n’a pas parlé aux hommes, ou qu’ils n’ont pas voulu l’entendre quand Il parlait, ils sont tombés dans des méprises épouvantables en adorant la créature au lieu du Créateur. Il faut donc que Dieu parle ; mais il faut aussi que l’homme l’écoute avec attention ; sans cela il n’est pas de Dieu ni à Dieu : à qui sera-t-il donc ?

Dieu nous parle, et il multiplie son divin langage pour faciliter notre attention. Il a une parole prononcée, une parole écrite, une parole inspirée. Les Juifs ont entendu le son articulé de sa voix, à laquelle il substitue à présent celle des prédicateurs. Les Évangélistes, les Pères et les Saints ont écrit, et cette lecture nous apprend et la volonté de Dieu et nos devoirs. Enfin, il nous favorise encore souvent de ses divines inspirations, qui nous instruisent et qui nous portent au bien. Voilà les trois voix de Dieu auxquelles il nous engage d’être attentifs, si nous voulons être à Lui.

IIe POINT. — En vérité, en vérité je vous dis que si quelqu’un garde ma parole, il ne mourra jamais.

Remarquez que le Sauveur, par cet oracle si avantageux, nous veut faire entendre que sa divine parole ne demande pas seulement nos oreilles corporelles pour l’entendre, mais qu’il faut encore la conserver, c’est-à-dire la mettre en pratique.

Remarquez aussi que, parmi les chrétiens, il y en a qui la négligent ou qui refusent de l’entendre ; et ce sont les libertins et les réprouvés. Il y en a qui l’entendent, et qui n’en sont point touchés ; d’autres qui l’entendent, qui en sont touchés, et qui n’en profitent pas ; d’autres enfin qui l’entendent et qui en sont touchés, qui en profitent, et qui ne persévèrent pas dans la pratique du bien qu’elle leur fait goûter. Prenez ici votre place.

Si vous étiez par malheur du nombre de ceux qui ne veulent pas l’entendre, ce serait à vous que s’adresseraient ces paroles fulminantes de Jésus-Christ : « Vous n’appartenez pas à Dieu, parce que vous n’entendez pas sa parole » ; et il ordonnerait à ses prédicateurs de se retirer de vous, en secouant la poussière de leurs pieds en signe de malédiction.

Étes-vous du nombre de ceux qui l’entendent sans en être touchés, c’est la marque de l’endurcissement de votre cœur, ou qu’il y a quelque autre attache trop forte qui occupe toute sa sensibilité, que vous n’agissez plus par l’esprit de la foi, que votre âme est dépourvue des sentiments de religion et de piété, que vous venez entendre cette divine parole sans préparation de cœur, non comme la parole de Dieu, mais comme la parole d’un homme.

Êtes-vous du nombre de ceux qui l’entendent, qui en sont touchés, et qui n’en profitent pas, vous renoncez par cette lâche conduite à cette promesse avantageuse que Jésus-Christ fait aujourd’hui à ceux qui gardent sa parole ; qui consiste à ne mourir jamais, ce qui s’entend de la mort spirituelle et de la mort éternelle ; et Vous répondrez à Dieu de cette parole, ou prononcée, ou écrite, ou inspirée, que vous recevez en vain, et même du sentiment avec lequel vous l’avez reçue, dont Dieu ne vous favorisait que pour faciliter la pratique des bonnes œuvres que cette divine parole vous inspirait.

Êtes-vous enfin du nombre de ceux qui en sont touchés, qui en profitent, et qui ne persévèrent pas, revenez de votre légèreté, de votre inconstance. Songez que Jésus-Christ ne donne la couronne qu’à ceux qui persévèrent, et que ceux qu’il exempte aujourd’hui de la mort ce ne sont pas ceux qui l’entendent, mais ceux qui la gardent, et qui la font fructifier jusqu’à la mort. Soyez généreux ; ne vous contentez pas d’un seul effort ; soutenez un travail suivi ; marchez sans vous lasser ; cette divine parole vous soutiendra, si vous l’aimez. Soyez à Dieu dans tous les temps, afin qu’il soit à vous dans le temps et dans l’éternité.

Sentiments

Comme je veux être à Vous seul, ô mon Dieu, et que je veux éviter cette mort fatale qui tue l’âme pour toujours, je veux dorénavant faire mes délices de votre divine parole, et mériter ainsi la vie de la grâce et la vie de la gloire que vous me promettez aujourd’hui. Semblable au Prophète, j’écouterai attentivement ce que mon Seigneur et mon Dieu dira en moi, soit par son Esprit, soit par son organe. Dès que mes oreilles entendront votre divin langage, je graverai toutes ses expressions dans ma mémoire, pour ne les jamais oublier ; mon esprit s’y appliquera, et il en fera le sujet de ses plus sérieuses réflexions ; mon cœur s’y affectionnera aussi, et les aimera comme son plus précieux trésor, et je garderai et pratiquerai ce qu’elle m’enseignera avec fidélité et persévérance ; je lui obéirai sans résistance et sans délai. Oui, Seigneur, je veux la mettre en pratique, quelque sacrifice que vous exigiez de moi, quelque rude que soit le combat auquel vous m’exposiez, quelque rigoureuse mortification que vous m’ordonniez, quelque humiliation, quelque détachement et quelque travail que vous m’imposiez ; et quand j’aurai obéi à votre voix, et suivi fidèlement les routes que votre divine parole m’aura marquées, j’aurai la consolation de vous dire avec confiance, comme le Prophète : Seigneur, j’ai marché par les voies les plus dures par obéissance aux paroles qui sont sorties de vos lèvres : Propter verba labiorum tuorum, ego custodivi vias duras.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Seigneur, à qui irions-nous ? vous avez les paroles de la vie, éternelle. (S. Jean, 6.)

Heureux sont ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la pratiquent. (S. Luc, 11)

La parole de Dieu doit être entendue avec docilité, reçue avec dévotion et conservée avec fidélité. ( S. Augustin.)

Celui qui entend la parole de Dieu sans attention et sans respect n’est pas moins coupable que celui qui, par sa négligence laisserait tomber à terre le corps de Jésus-Christ. (S. Augustin.)

Prière

Dieu éternel et tout rempli de bonté, Jésus, Sauveur de tous les hommes, regardez d’un œil de tendresse et de miséricorde les fidèles qui composent la famille dont vous êtes le père, et que vous avez engendrée sur la croix en répandant votre sang et en mourant pour son amour. Comme nous avons l’honneur d’en être les membres, prenez nos corps et nos âmes sous votre divine protection. Conservez, soutenez, purifiez nos corps, afin que, délivrés de toute souillure et de tout sentiment imparfait, ils soient toujours soumis à l’esprit et dignes d’être vos temples animés. Sanctifiez nos âmes par une grâce abondante et victorieuse, afin que, soumises à vos lois, et affranchies de toutes les passions qui en veulent à leur innocence, elles vous soient toujours agréables et dignes de la récompense éternelle que vous leur avez promise et méritée par vos souffrances et par votre mort. Ainsi soit-il.

Point de la Passion

Jésus arrive au Calvaire, où il est dépouillé

Ce ne fut pas sans une peine extrême que Jésus, chargé d’une croix pesante, monta sur la montagne du Calvaire pour y être crucifié. Ce Sauveur était faible, agonisant, épuisé de forces par la rude fatigue qu’il avait essuyée de marcher de tribunal en tribunal, et de l’extrémité de la ville de Jérusalem à l’autre, par les différents outrages qu’il avait endurés chez ses juges, et par la prodigieuse quantité de sang qu’il avait répandue dans sa flagellation et dans son couronnement d’épines. Ainsi la douleur était extrême ; mais l’ignominie était égale à la douleur ; il est impossible d’en imaginer une pareille. En effet, le Calvaire était une montagne infâme et maudite, qu’on ne regardait qu’avec horreur : elle était remplie d’ossements et de têtes de criminels, infectée de cadavres de voleurs et de meurtriers, et imbibée du saug impur des scélérats qu’on avait coutume d’y faire mourir.

Voilà le théâtre fatal destiné pour recevoir le sang précieux d’un Dieu, qui devait être le prix du rachat de tous les hommes. Voilà le lit d’honneur qu’on préparait au Souverain du ciel et de la terre, et au Sauveur de tous les hommes, pour y rendre les derniers soupirs au milieu de deux voleurs, aux yeux d’une troupe insolente, qui ne s’y assemblait que pour insulter à sa disgrâce, pour vomir mille imprécations et mille blasphèmes contre lui, pour l’accabler de railleries et d’injures, pour applaudir à ses bourreaux, et pour repaître leur barbare fureur du plus cruel et du plus sanglant de tous les spectacles.

Ah ! Seigneur, vous vouliez souffrir et mourir aux yeux de cette multitude et sur une montagne de malédiction, parce que l’ignominie était plus grande, et que, selon l’oracle de votre Prophète, vous deviez être rassasié d’opprobres ; mais, ô mon Sauveur, c’est aussi parce que vous vouliez que toute la terre sût que vous souffriez et que vous mouriez pour le salut de tous les hommes, et qu’ils vissent plus facilement le divin modèle qui devait les encourager à souffrir pour leurs péchés et pour votre amour.

À peine ce divin Sauveur est-il arrivé sur cette montagne qu’on commence à lui ôter sa couronne d’épines ; et, en la lui ôtant avec rudesse, on fait couler un nouveau fleuve de sang de tous les endroits de sa tête. Ensuite on lui ôte son habit, et les mains de ses bourreaux, accoutumées à la violence, lui arrachent sa robe, collée dans ses plaies avec son sang, ce qui lui renouvelle toutes ses douleurs. Ils découvrent ainsi pour la seconde fois, aux yeux de cette populace, ce corps vierge dont les plaies innombrables, les contusions, les meurtrissures, la faiblesse, la couleur livide et le sang caillé font le plus triste et le plus pitoyable spectacle qui fut jamais.

Quels pouvaient être alors les sentiments de votre cœur, ô mon Jésus ! Quelle honte ! quelle confusion et quelle douleur ! mais aussi quelle bonté, de soutenir ces opprobres pour nous les épargner ! Ah ! votre humiliation confond mon orgueil, et votre dépouillement m’instruit à me dépouiller de tous les biens de la terre pour votre amour.

LUNDI DE LA PASSION
Jour de Ferveur

Pratique

Ne vous contentez pas aujourd’hui de marcher simplement, dans les routes communes ; courez vers Dieu à pas de géant. Ne vous contentez pas même de courir ; mais faites des vœux au Ciel, avec le Prophète, pour obtenir les ailes de la colombe, pour voler et pour ne vous reposer que dans le cœur de Dieu. Demandez-lui cette faveur à. toutes les heures de la journée, multipliez-en les actes le plus souvent que vous pourrez, et renouvelez-les à chaque moment. Que cette flamme sacrée du divin amour brûle incessamment dans votre cœur, et qu’elle y brûle de manière à embraser les autres. Qu’elle paraisse dans tout ce que voici penserez, dans tout ce que vous direz, et dans tout ce que vous ferez. Le temps le plus propre à la renouveler est celui du réveil, de la prière, de la sainte Messe, de la lecture, de l’oraison, de l’examen et du coucher.

Méditation sur la ferveur

Ier POINT. — Le dernier jour de la fête, qui était le plus solennel, Jésus, se tenant debout, disait à haute voix : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. (S. Jean, 7.)

Remarquez que quand le Sauveur avait de grandes vérités à annoncer au peuple, il attendait toujours les plus grandes solennités, afin d’avoir un plus grand concours d’auditeurs. Aussi rien n’est plus sublime que le discours qu’il fait aujourd’hui. Il ne parle pas seulement du grand précepte du divin amour, mais de la ferveur de cet amour sous la figure de la soif, qui n’est causée que par la chaleur, et des eaux vives qui la désaltèrent.

Une âme qui ne se contente pas d’aimer, mais qui aime avec ferveur, a toujours soif, et elle cherche toujours à se désaltérer, quoiqu’elle boive toujours avec délices dans les fontaines du Sauveur. Une âme fervente ajoute par-dessus l’amour commun une manière d’aimer plus forte, plus ardente, plus héroïque et moins interrompue. Si l’amour est un feu, la ferveur en est la flamme, et cette flamme est toujours en mouvement, pour monter avec rapidité vers son centre, qui est le cœur de Dieu : elle ne languît jamais, elle se renouvelle incessamment ; les fleuves d’eau vive sortent en abondance de son cœur, et elle communique ses ardeurs à tout ce qui l’approche. Voilà un motif bien pressant pour travailler sérieusement à acquérir cette ferveur. Le second motif qui doit vous y engager, c’est de vous mettre hors de péril de commettre des fautes grossières. Quand une liqueur est bouillante, les mouches n’ont garde d’en approcher, et d’y mettre la corruption ; mais elles attendent qu’elle soit tiède ; et alors, dit le Sage, elles y tombent, meurent, et elles la corrompent : quand notre amour devient languissant, les tentations du démon, figurées par les mouches, nous attaquent ; et comme elles trouvent notre cœur tiède et dépourvu de la force que lui donne la ferveur, elles y insinuent bientôt la corruption. (Eccli., 10.).

Formez-vous une grande idée de cette ferveur, sur celle que les saints Pères nous ont laissée : idée d’autant plus juste, qu’ils parlaient par sentiment et par expérience. La ferveur, dit saint Augustin, est un mouvement surnaturel de l’âme qui tend incessamment à posséder Dieu pour l’amour de lui seul. C’est un feu sorti du cœur de Dieu comme de son foyer, qui s’empare de nos cœurs et qui les embrase. C’est, dit saint Pierre Chrysologue, une heureuse disposition de l’âme qui la rend prompte et courageuse à tout entreprendre pour Dieu, quelque difficulté qui s’y rencontre, toujours accompagnée de désirs d’aller à Dieu, d’obéir à Dieu, de plaire à Dieu, de tout sacrifier à Dieu, et de s’unir intimement à Dieu.

C’est ce feu dévorant qui s’embrasait avec tant d’ardeur dans le cœur du Roi-Prophète lorsqu’il méditait sur la grandeur de Dieu et sur les péchés des hommes. C’est ce feu qui brûlait et qui transportait le prophète Élie partout où il s’agissait des intérêts du Seigneur. C’est enfin ce feu que ressentirent les disciples d’Emmaüs, et qu’ils exprimèrent par ces paroles : « Ne sentions-nous pas notre cœur plein d’ardeur lorsqu’il nous entretenait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ? » Le sentez-vous ce feu, et travaillez-vous à vous rendre digne de le sentir ?

IIe POINT. — Si quelqu’un croit en moi, il sortira des fleuves d’eau de son cœur, comme dit l’Écriture.

Faites attention que croire à Dieu c’est acquiescer aux vérités qu’il enseigne, mais croire en Dieu, c’est se porter vers cet adorable objet par un amour plein de confiance et de ferveur : c’est par conséquent mériter d’être rempli si abondamment des eaux vives dont Jésus-Christ parle aujourd’hui, qu’il en sorte des fleuves du cœur pour embraser les autres. Demandez-vous après cela si vous aimez Dieu avec ferveur et si vous possédez cette plénitude.Voici à quoi vous pourrez le reconnaître.

Vous êtes fervents, disait saint Bernard à ses religieux, si, lorsque vous priez et que vous faites oraison, vous le faites avec le même recueillement, le même repos, la même foi et le même amour que si c’était la dernière action de votre vie.

Vous êtes fervents, si, lorsque vous approchez du tribunal de la pénitence, vous le faites avec la même componction, la même douleur et le même propos que s’il en fallait sortir pour aller paraître à celui de Dieu ; si, lorsque vous participez au corps et au sang de Jésus-Christ, vous y apportez les mêmes désirs, les mêmes ardeurs et la même pureté que si cette communion était la dernière de votre vie.

Vous êtes fervents, si vous avez une véritable horreur, non seulement des péchés notables, mais encore des moindres fautes qui peuvent déplaire à Dieu, et si vous les expiez sans vous épargner quand vous y êtes tombé par fragilité ; si vous fuyez avec soin ces petites fautes, les moindres échappées de vanité, d’amour-propre et de délicatesse, et si vous vous faites une étude sérieuse d’avoir toujours présent ce Dieu que vous aimez.

Enfin, vous êtes fervents, si vous vous efforcez de ressembler à ces saints religieux dont saint Bernard fait le portrait quand il dit : Je les rencontre tantôt les yeux baissés en terre par humilité et modestie, tantôt levés vers le ciel, après lequel leur cœur soupire, et tantôt baignés de larmes sur leurs moindres fautes passées : la componction est toujours marquée sur leurs visages, comme s’ils étaient de grands pécheurs ; ils courent avec ardeur à toutes les observances ; la règle fait et leur plaisir et leur sûreté ; l’obéissance fait leur gloire, les macérations leurs délices, les jeûnes leurs festins, la pauvreté leurs trésors, la prière, l’oraison et la psalmodie leurs récréations les veilles et le travail leur repos.

Ne vous effrayez pas de cette entreprise, elle n’est pas au-dessus de vos forces. Essayez, commencez, surmontez généreusement toutes les difficultés : si ce travail vous alarme, vous le trouverez doux dans la suite, parce que vous serez aidé. Quand on aime Dieu comme il le faut aimer, tout paraît supportable et facile.

Sentiments

Allumez chez moi, ô Dieu d’amour, cette soif ardente de la plus parfaite justice, qui mérite d’être désaltérée par ces eaux vives que vous faites couler avec abondance dans le cœur de ceux qui vous aiment avec ardeur, et qui rejaillissent jusqu’à la vie éternelle. Vous avez la bonté de me demander si j’ai soif de ces eaux, et vous m’appelez tendrement pour étancher ma soif dans ces eaux si pures que vous me présentez. Mais, hélas ! je ne puis aller à vous que je ne sente cette soif, et mon cœur ne peut la ressentir que vous ne l’embrasiez auparavant des ardeurs de votre amour. Il y a trop longtemps que mon cœur est tout de glace, ou qu’il n’a pour vous qu’un amour tiède et languissant, parce qu’il a trop d’ardeur pour les choses périssables, qui cependant ne peuvent ni le remplir, ni le contenter, ni le désaltérer ; et il s’en faut bien qu’il en sorte des eaux vives, puisqu’il ne les a pas encore reçues. Embrasez-le, Seigneur, vous qui êtes un feu consumant, vous qui êtes venu, selon votre divine parole, pour le répandre sur la terre, et qui voulez que ce feu brûle. Je recevrai avec joie cette flamme si pure qui produira en moi cette soif ardente que je désire ; je la conserverai avec une fidélité inviolable, et je mettrai tout en usage pour l’augmenter. Je ferai consister mon bonheur à ressentir toujours cette soif et à me désaltérer toujours à la source d’eau vive de mon Sauveur et de mon Dieu.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Ayez la ferveur de l’esprit : souvenez-vous que vous servez le Seigneur. (Épît. aux Rom., 12.)

Notre cœur n’était-il pas ardent dans nous pendant qu’il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ? (S. Luc, 24.)

Courez avec ardeur aussitôt que vous aurez reçu la flamme ; car vous ne savez pas si elle s’éteindra bientôt. (S. Climaque.)

Il y en a plusieurs qui sont fervents dans les prémices de leur conversion, mais qui se lassent et qui languissent dans la suite. (Denis le Chartreux.)

Prière

Dieu tout-puissant et tout miséricordieux, qui seul pouvez par votre grâce, retirer un pécheur de l’abîme de ses crimes pour lui donner l’esprit de pénitence et une vraie sainteté ; Dieu saint et sanctificateur, nous vous prions de sanctifier nos jeûnes, afin qu’ils vous soient agréables. Éloignez-en l’amour-propre, la délicatesse, la singularité, le respect humain, la vanité. En vain nous travaillons pour mériter le ciel et pour expier par nos pénitences les péchés dont nous sommes coupables, si nous ne sommes secourus par votre grâce. Nous avouons notre faiblesse ; mais nous savons aussi que nous pouvons tout en Celui qui nous conforte. C’est vous seul qui pouvez donner à nos travaux et à nos jeûnes le mérite dont ils ont besoin pour apaiser votre colère, pour effacer tous nos péchés, pour attirer votre miséricorde et pour obtenir la vie éternelle que nous espérons par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils adorable et notre souverain Seigneur.

Point de la Passion

Jésus attaché à la croix

Dès que le Seigneur fut dépouillé de ses habits, on le renversa sur la croix, qui était préparée et couchée par terre. Il ne fut pas difficile de faire tomber ce corps chancelant et épuisé de forces. D’ailleurs ce divin Sauveur, qui brûlait d’amour pour les hommes, et par conséquent pour la croix, qui devait être l’instrument de leur salut, se laissa étendre volontairement et sans résistance sur cette croix qu’il souhaitait lui-même avec ardeur, et qu’il regardait comme le lit nuptial où il allait épouser toute l’Église en général, et en particulier toutes les âmes fidèles qu’il devait chérir comme ses épouses.

Mais, ô mon Dieu ! quel lit nuptial pour un époux si beau, si noble, si auguste et si saint ! Quelle rigueur ! quelle dureté ! mais quel courage à souffrir pour notre amour, et quelle condamnation pour notre mollesse et pour notre lâcheté ! Ah ! Seigneur, ce n’est pas ici un lieu de délices et couvert de fleurs, comme vous le méritez et comme le dépeint l’époux des sacrés Cantiques ; mais un lit de douleur et un lit cruel, parce que vous deviez être un époux de sang, et nous apprendre que les routes qui conduisent au ciel sont sanglantes.

Couché sur la croix, il étend sa main droite avec bonté, et il la donne au bourreau qui devait la percer : main toute-puissante, qui aurait pu terrasser et foudroyer tous ses adversaires ; main bienfaisante et divine à laquelle ils devaient bien donner plutôt mille respectueux baisers pour marquer leurs hommages, et pour attirer ses grâces et ses bénédictions. Le bourreau prend inhumainement cette main sacrée ; il la perce cruellement de plusieurs coups, il fait entrer la chair avec le clou dans le bois de la croix. On lui prend l’autre main, on la tire avec violence pour la faire répondre au trou préparé, et on lui fait subir une tension cruelle et douloureuse ; on la perce enfin, et on l’attache comme l’autre.

C’est ainsi, Seigneur, que vous souffrez qu’on traite vos mains, qui ont fait tant de prodiges. Ce sont vos mains, disait le Prophète, qui ont créé le ciel et la terre ; ce sont vos mains qui m’ont formé ; ce sont vos mains, dont les Juifs venaient de recevoir tant de faveurs, qui avaient touché les yeux de l’aveugle, et qui l’avaient guéri en présence d’un si grand peuple. Ces mains adorables sont présentement percées et étendues sur une croix, que vous embrassez tendrement, comme une épouse entre les bras de laquelle vous voulez mourir pour me donner la vie.

Pour attacher plus fortement ce divin Sauveur à la croix, on lui perce les deux pieds avec la même cruauté, et il en sort du sang en abondance.aussi bien que de ses mains. Ces pieds si beaux, dit un prophète, qui nous avaient apporté la paix ; ces pieds que Madeleine pénitente avait arrosés de ses larmes chez le pharisien ; ces pieds qui avaient fait tant de charitables démarches pour aller guérir les malades les plus désespérés, pour aller chercher les pécheurs les plus endurcis, et pour aller ressusciter les morts, ils sont à présent sans mouvement, cloués à une croix infâme, et ils souffrent une douleur infinie pour mon amour.

Ah ! Seigneur, j’ai recours à ces mains et à ces pieds je reconnais leur toute-puissance dans leur faiblesse, et je vous demande que ces mains souffrantes procurent aux miennes des œuvres de pénitence, et que ces pieds conduisent mes démarches dans les sentiers de la justice.

MARDI DE LA PASSION
Jour de Fuite du monde

Pratique

Ne vous montrez aujourd’hui au monde que par nécessité, fuyez ses entretiens, si vous voulez vous entrenir cœur à cœur et sans distraction avec Jésus-Christ ; fuyez même la rencontre du monde, et persuadez-vous qu’en quelque lieu saint que vous vous cachiez, il y a toujours un petit monde à éviter. Appliquez-vous aussi à retrancher en vous tout ce qui sent le monde, c’est-à-dire ses maximes, ses manières, ses bienséances, même son langage. L’air qu’on respire dans le monde est contagieux pour une âme fidèle. Souvenez-vous que Jésus-Christ a fui également le monde, et quand le monde le persécutait, et quand il voulait le faire roi : je ne sais quel est le plus à craindre. N’oubliez pas aussi qu’il a fui quelquefois ses propres disciples pour vaquer à la prière. Voilà l’exemple qu’on vous propose ; suivez-le, vous en serez plus recueilli et plus uni à Dieu.

Méditation sur la fuite du monde

Ier POINT. — Jésus demeurait en Galilée, ne voulant pas demeurer en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir.

C’était la pratique ordinaire de Jésus-Christ de ne se montrer jamais au monde, et de fuir ses assemblées, excepté quand il fallait célébrer les fêtes, ou qu’il fallait prêcher au peuple. Aujourd’hui il s’éloigne de la ville de Jérusalem, et même de la Judée, parce que sa vie n’y était pas en sûreté, et que son heure n’était pas encore venue.

Faites attention que le monde a toujours été l’ennemi da Sauveur du monde. Tantôt il a dit : Malheur au monde à cause de ses scandales ! tantôt il a déclaré qu’il ne priait pas pour le monde ; tantôt il a dit que le monde ne pouvait recevoir son esprit, parce qu’il ne le connaissait pas. Il ne faut donc pas s’étonner s’il fuit le monde.

De là vient que le motif le plus pressant que nous ayons pour fuir le monde, c’est la vocation au christianisme, qui nous engage d’imiter Jésus-Christ. Qu’est-ce que la grâce de cette vocation ? C’est, selon saint Paul, une séparation du monde. Je suis venu, dit le Sauveur, pour séparer le fils d’avec son père, la fille d’avec sa mère : et l’Apôtre dit lui-même que le Seigneur l’a séparé dès le sein de sa mère : Qui me segregavit ex utero matris meæ. (Épît. aux Gal., 1.)

Il faut donc fuir le monde par le seul titre de chrétien ; et plus on en est séparé, plus on est chrétien. Les plus parfaits chrétiens ne se consacrent à Dieu dans la religion que pour être plus séparés du monde ; et quand on ne peut faire cette séparation solennelle, on est obligé de s’en séparer de cœur et d’esprit, c’est-à-dire de fuir ses maximes, ses intrigues, ses amusements et ses vanités ; sans cela on s’expose à la plus triste et à la plus funeste de toutes les séparations, je veux dire à la séparation éternelle d’avec Dieu.

Cette séparation d’esprit, de cœur et de conduite d’avec le monde consiste, dit le disciple bien-aimé, à n’aimer ni le monde, ni ce qui est dans le monde ; car, dit cet apôtre, celui qui aime le monde peut s’attendre que l’amour du Père céleste n’est pas en lui. (1re Épît. de S. Jean, 2.) Comprenez donc la nécessité qu’il y a de fuir le monde, si l’on veut se sauver et porter dignement le grand nom de chrétien.

Pour peu que vous le connaissiez, vous comprendrez que le monde criminel est tout entier sous l’empire de l’esprit malin ; qu’on y voit de tous côtés des pièges tendus à l’innocence ; qu’il est plein d’écueils, où la vertu la plus solide est incessamment menacée de faire de tristes naufrages, ou du moins d’être cruellement persécutée. (1re Épît. de S. Jean, 5.)

Jésus-Christ n’aurait pas souffert de si cruelles persécutions de la part de ce monde dans la Judée, s’il n’avait pas fait tant de miracles, et si sa sainteté n’y avait pas paru avec tant d’éclat. Il est obligé de fuir et de se cacher dans la Galilée, pour y trouver un asile, et pour nous donner un exemple de cette fuite si nécessaire. Voilà le modèle que vous devez suivre. Fuyez donc, parce que vous êtes chrétien, et que vous voulez travailler sûrement à votre salut.

IIe POINT. — Jésus demeurait en Galilée, ne voulant pas demeurer en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir.

La charité ardente que Jésus-Christ avait pratiquée à l’égard de tous les misérables qui s’étaient adressés à lui, la guérison de tant de malades, la conversion de tant de pécheurs, la résurrection de tant de morts, devaient le faire adorer du monde : ce fut, au contraire, ce qui l’en fit persécuter.

Tel est l’esprit du monde : comme il est corrompu dans son fonds, dans ses mœurs et dans ses maximes, il tourne les meilleures choses en venin. Si vous êtes engagé dans le monde, et que vous vouliez pratiquer la vertu de bonne foi et tête levée, il vous faut attendre que ce monde injuste emploie tout ce qu’il a de charmes pour vous séduire, ou tout ce qu’il a de forces pour vous abattre. Voulez-vous y mener une vie retirée, les compagnies du monde viendront vous distraire jusque dans vos solitudes ; y renoncer aux plaisirs, et embrasser la piété et la mortification, le monde s’efforcera de vous corrompre, et s’il n’y parvient pas, il vous fera passer pour un hypocrite.

Comme le monde est le centre de toute corruption, il s’efforce de la communiquer à tous ceux qui vivent avec lui, et il n’y réussit que trop ; car on n’y voit qu’avarice ou que dissipation, avec une certaine dureté de cœur qui rend insensible aux misères d’autrui ; on n’y voit que faste et qu’ambition dans les grands, et une hauteur insupportable qui leur fait regarder les petits avec un mépris outrageant, comme s’ils étaient d’une autre nature qu’eux. On n’y voit dans les pauvres qu’une indigence forcée sans humilité, une misère sans résignation et sans patience, et le plus souvent une ignorance grossière en matière de religion.

En un mot, si vous envisagez le monde par les principes de la foi et de la religion, vous conviendrez que, si vous voulez assurer votre salut, vous devez le fuir, avoir le courage de vivre dans le monde comme l’ennemi du monde : ce qui s’appelle, dans le langage de l’Apôtre, vivre dans le monde comme si l’on n’en usait point. (1re Ép. aux Cor., 7.)

Sentiments

Vous fuyez le monde, ô mon Sauveur, quoique vous soyez invulnérable à ses attaques, parce que vous êtes le Dieu de force et l’auteur de la grâce et de l’innocence ; et moi, quoique je ne sois que faiblesse, et que ma fragilité m’ait donné une fatale expérience de sa corruption et de sa malignité, je ne le fuis pas, et je ne sens que trop de penchant pour ce cruel ennemi qui veut me perdre. C’est à présent, Seigneur, que j’y renonce et que je renouvelle de tout mon cœur ce renoncement que j’ai fait à mon baptême, et que je suis résolu de le fuir toute ma vie. Monde perfide et imposteur, je renonce à tes charmes et à tout ce que tu as coutume d’étaler de plus pompeux pour séduire un cœur. Seigneur, donnez-moi la force de me soutenir dans ce renoncement, dans cette haine, dans cette séparation d’où dépendent mon innocence, ma sûreté, mon bonheur, et le salut éternel de mon âme. Je me jette entre vos bras, ô mon Jésus ; persuadé que ce monde, avee tous ses appâts et toute sa puissance, ne viendra pas m’y attaquer, et que tant que je me tiendrai ferme, il n’aura pas la force de m’en arracher, parce que Vous m’avez donné votre parole, moi qui suis du nombre de vos ouailles, ô divin Pasteur, que personne ne me ravirait d’entre vos mains : Nec rapiet eas quisquam de manu mea. C’est ce qui fait toute ma confiance.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Vous serez, par la grâce, participants de la divine nature, si vous fuyez la corruption de la concupiscence qui règne dans le monde par le dérèglement des passions. (2e Épît. de S. Pierre, 1.)

N’aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui. (lère Épître S. Jean, 2.)

Fuyons loin de ce monde, où tout est dans un vide affreux, où la grandeur n’est qu’un néant de fausses apparences, et où celui qui croit être quelque chose n’est rien. (S. Ambroise.)

Ne rougissons point ici de fuir ; car fuir le monde ce n’est point une honte, mais une gloire. (S. Ambroise.)

Prière

Nous vous supplions humblement, ô Dieu de miséricorde, d’accepter les jeûnes que nous avons entrepris, et de nous donner tout le courage dont nous avons besoin, pour fournir dignement, la carrière jusqu’à la fin. Faites-nous la grâce d’y répandre une bénédiction abondante, et de les accompagner de l’esprit de pénitence, de componction, de ferveur et de persévérance, et de tout ce qui peut les rendre plus méritoires et plus agréables à vos yeux. Nous voulons, par notre éloignement des maximes du monde corrompu, nous soutenir dans l’exercice de la pénitence, pourvu que nous soyons soutenus de votre grâce, qui nous conduira enfin à ces joies et à ces consolations célestes que vous préparez dans l’éternité bienheureuse à ceux qui ont expié leurs péchés par les jeûnes et par les mortifications, et à laquelle nous ne pouvons parvenir que par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre souverain Seigneur.

Point de la Passion

Jésus élevé en croix

Si Jésus couché et cloué sur la croix fut un spectacle tragique et sanglant, ce fut encore quelque chose de bien plus douloureux et de plus touchant lorsque les bourreaux élevèrent la croix pour la planter sur le Calvaire, et pour la poser dans le trou qui lui était préparé. Dans cette élévation violente, il fallut donner plusieurs mouvements et plusieurs secousses au corps adorable et souffrant de Jésus- Christ, dont tout le poids n’était porté que par ses mains et par ses pieds déjà percés. Cette agitation et ce cruel mouvement renouvelèrent et augmentèrent sa douleur, qui était déjà universelle ; ses plaies furent agrandies et déchirées, et il en sortit quatre ruisseaux de sang qui arrosèrent toute la terre où la croix était plantée.

Voilà les quatre fontaines du Sauveur ouvertes ; c’est à nous à y puiser, non de l’eau, mais un sang infiniment pur, infiniment précieux et infiniment efficace, pour le répandre sur nos cœurs, pour laver toutes les souillures de nos âmes, pour adoucir toutes nos souffrances, pour nous engager à répandre le nôtre jusqu’à la dernière goutte pour son amour, et pour nous ouvrir le ciel, dont il est la clef : Sanguis Christi clavis paradisi, dit Tertullien.

Mais l’ignominie était égale à la douleur ; car, pendant que la croix était couchée à terre, la multitude du peuple accourue à cette sanglante exécution ne pouvait pas repaître ses yeux de ce spectacle ; mais dès que cet Homme de douleurs fut élevé avec cette croix, ses ennemis, d’un côté, le chargeaient d’opprobres et de malédictions ; d’un autre côté, les pieuses femmes qui l’avaient suivi pour prendre part à ses douleurs et qui connaissaient son mérite et son innocence, faisaient retentir l’air de leurs gémissements ; et ce mélange extraordinaire de blasphèmes et de soupirs, d’injures et de cris lugubres, perçait le cœur de Jésus-Christ d’une douleur excessive.

Jetez les yeux sur cette adorable et sanglante victime elle est élevée dans un lieu assez éminent pour que tout le monde, à qui elle est donnée en spectacle, pour qui elle est offerte, ait la consolation de la voir. Voyez sur cette montagne le Médiateur placé entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes, qui va en faire toutes les fonctions, pour nous réconcilier à son Père par son sacrifice et par l’effusion de tout son sang. Voyez et écoutez ce Prédicateur divin monté sur sa chaire, où toutes ses plaies sont autant de bouches éloquentes qui nous disent qu’il faut souffrir et se priver des plaisirs de la terre pour mériter de goûter éternellement ceux du ciel : il vous invite à vous attacher à la croix avec lui, et à crucifier votre chair avec toutes ses concupiscences.

Voyez tout son sang qui coule à terre de ses mains et de ses pieds. Dites-lui avec un de ses Prophètes : Seigneur, quelles sont ces plaies cruelles qui paraissent au milieu de vos mains ? (Zachar., 13.) Il vous répondra : Ce sont les pécheurs qui les ont percées. Mais, Seigneur, vous nous aviez promis, à nous qui sommes vos ouailles, que personne ne nous ravirait jamais de vos mains ? mais, hélas ! quelle confiance puis-je avoir en des mains immobiles, percées de clous et attachées à une croix infâme ? Vous n’y perdrez rien, dit un Père ; le sang qui en coule avec abondance sera l’encre sacrée qui écrira vos noms dans le livre de vie ; leur faiblesse fait et votre force et votre sûreté ; des mains du Fils vous passerez en celles du Père, et elles vous seront favorables ; ce Sauveur le lui demandera avant d’expirer, quand il dira : Mon Père, je mets mon âme et celles de tous les fidèles entre vos mains.

MERCREDI DE LA PASSION
Jour de Reconnaissance

Pratique

Occupez-vous pendant toute la journée des bienfaits que vous avez reçus de Dieu depuis que vous êtes au monde. Pensez tantôt à ceux qui vous sont communs avec les autres chrétiens, et tantôt à ceux qui vous sont particuliers ; et poussez souvent, du plus profond de votre cœur, des gémissements sur votre peu de reconnaissance et sur votre ingratitude. Suivez le conseil de l’Apôtre à Philémon : Accompagnez d’actions de grâces continuelles toutes vos prières et toutes vos demandes, multipliez les actes d’une tendre reconnaissance, persuadé que c’est un devoir indispensable, et que c’est le moyen le plus sûr pour obtenir de nouvelles grâces de la libéralité de Dieu.

Méditation sur la reconnaissance

Ier POINT. — Jésus dit aux Juifs : J’ai fait devant vous plusieurs bonnes œuvres par la puissance de mon Père pourquoi est-ce que vous me lapidez ?

C’est ainsi que les Juifs payent les bienfaits continuels de Jésus-Christ. Il les instruit, il les éclaire ; il leur promet la vie éternelle, s’ils veulent entendre sa parole, et ces ingrats ramassent des pierres pour le lapider. Cette ingratitude est criante et elle vous fait horreur. À la bonne heure : mais examinez votre conduite à l’égard de Dieu ; peut-être vous trouverez-vous coupable de la même ingratitude.

Comment avez-vous reconnu jusqu’à présent les bienfaits de Dieu ? Comment l’avez-vous remercié de vous avoir tiré du néant, de vous avoir racheté de l’enfer par l’effusion de son sang, de vous avoir fait naître dans le sein du Christianisme, où vous avez droit de prétendre au ciel, et où vous trouverez tous les moyens polir vous assurer un bonheur éternel ; de ces grâces de réconciliation par le sacrement de la pénitence ; de ces grâces de nourriture par celui de l’eucharistie ; enfin, de ces grâces de protection confre une infinité de périls dont ce Dieu de bonté vous a préservé ?

Disons plus : n’avez-vous jamais poussé plus loin votre ingratitude, en vous servant des bienfaits de Dieu contre Dieu même ? Payé de sa solde, dit un Père, n’avez-vous point combattu sous les enseignes du démon, en faisant consister toute votre reconnaissance dans les outrages que vous avez faits à Dieu ? Ame ingrate, reconnaissez votre ingratitude et réparez-la.

Ne croyez pas que Dieu y soit insensible, puisqu’il s’en plaint par le Prophète, quand il dit : Ils m’ont rendu le mal pour le bien, et la haine pour l’amour. Juste plainte, ô mon Dieu ! Car, hélas ! combien de fois me suis-je servi de vos dons contre vous-même ! Vous m’avez donné une mémoire pour y graver votre loi et le souvenir de vos bontés, et elle s’est remplie de choses profanes et pernicieuses à mon salut ; un esprit pour vous reconnaître, et il s’est égaré dans des pensées dangereuses ; un cœur qui pouvait vous aimer, et il a aimé les créatures.

Est-ce ainsi, peuple insensé, dit le Seigneur, que vous reconnaissez votre Dieu ? (Deut., 33.) N’est- il pas votre Dieu ? N’est-ce pas lui qui vous a fait ce que vous êtes ? Faites-vous réflexion que votre ingratitude vous met au- dessous des bêtes ? car le bœuf connaît celui à qui il est, dit le Seigneur, et l’âne l’étable de son maître ; mais mon peuple ne m’a point connu, et mon peuple ingrat a été sans entendement. (Isaïe, 1, 3.)

Profitez des plaintes de ce Dieu bienfaisant et si peu reconnu, qu’elles vous engagent à détester l’ingratitude comme votre plus cruelle ennemie, parce qu’elle bouche le canal des grâces de Dieu, pour deux raisons : l’une est prise de sa justice, l’autre de sa miséricorde : de sa justice, parce que ses grâces étant méconnues et ne retournant pas vers lui, il est juste qu’il les retire ; de sa miséricorde, parce que, s’il multipliait ses grâces à un ingrat, il multiplierait ses ingratitudes, et par conséquent ses châtiments.

IIe POINT. — Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. Quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes œuvres, afin que vous connaissiez et que vous croyiez que mon Père est en moi, et moi dans mon Père.

C’est ainsi que le Sauveur, après avoir blâmé l’ingratitude des Juifs, se justifie pour les convaincre. Mais alors ils se divisèrent : les uns voulurent le mettre en prison, poussant leur ingratitude jusqu’à la fureur ; les autres le suivirent au delà du Jourdain ; ils l’écoutèrent, ils crurent en lui, et reconnurent ses bienfaits.

Détestez l’ingratitude des premiers, et mettez-vous au nombre des derniers. Reconnaissez les grâces de Jésus-Christ, publiez ses bontés, et réitérez souvent vos actions de grâces : car la reconnaissance augmente les bontés du bienfaiteur, et elle dispose l’âme à recevoir de plus grandes grâces.

Gardez-vous bien cependant de faire consister votre reconnaissance dans les seules paroles : il faut qu’elles partent du cœur, qui en est le principe ; il faut que les actions y répondent. Rendez-lui grâces non seulement des faveurs sensibles que vous en recevez, mais encore des épreuves et des souffrances : regardez-les avec un esprit de foi. Comme il vous aime, il ne vous afflige que pour votre bien ; et ces afflictions étant des effets de son amour, vous lui en devez par conséquent des actions de grâces. Imitez en cela ce héros de patience et de reconnaissance de l’ancienne loi, lequel, au milieu des afflictions les plus sensibles, disait avec un profond respect : Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté, que son saint nom soit béni. (Job, 1.)

Rappelez-vous encore que la vertu la plus propre aux chrétiens est la reconnaissance, que les actions de grâces continuelles sont leur partage, non seulement dans les prospérités, mais encore dans les adversités, parce qu’ils ont reçu plus que les autres. La reconnaissance, dit saint Jérôme, nourrit et augmente en eux la charité, qui est l’âme de la religion. Vous êtes en santé, dit ce saint docteur, rendez grâces au Seigneur ; vous êtes calomnié, persécuté, méprisé, outragé, rendez grâces au Seigneur, parce que tout contribue au salut des élus et des amis de Dieu.

Les chrétiens du temps de saint Augustin s’abordaient et se saluaient en disant : Deo gratias. Plusieurs sociétés saintes suivent encore cette louable pratique, dont ce saint docteur fait l’éloge. Pratiquons-la comme un mémorial des grâces que nous avons reçues de Dieu, pourvu que notre esprit y soit attentif, et que nous fassions sentir à notre cœur ce que notre bouche prononce.

Sentiments

Que rendrai-je à mon Dieu, s’écriait le Prophète, pour tous les biens que j’ai reçus de sa libéralité ? Mais bien plutôt, que ferai-je, Seigneur, pour réparer toutes mes ingratitudes passées ? Hélas ! elles sont sans nombre : vos dons, vos grâces et vos miséricordes sont tombées sur une terre ingrate : ma mémoire les a oubliés mon esprit ne s’y est pas appliqué, et mon cœur ne les a pas sentis. Sensible à l’excès sur des objets capables de le séduire, susceptible de goût pour les plaisirs dangereux, il n’a pas senti combien il vous était redevable. Quelle reconnaissance, Seigneur, vous ai-je marquée pour tant de grâces que vous m’avez faites ? Hélas ! je les ai écrites sur le sable, et le vent de la légèreté les a effacées au premier souffle, pendant que je gravais le souvenir des injures sur l’airain. Que vous ai-je rendu, ô divin Créateur, pour m’avoir tiré du néant, et pour avoir imprimé votre image dans la substance de mon âme ? Que vous ai-je rendu, adorable Sauveur, pour m’avoir racheté du péché, de la mort et de l’enfer, par l’effusion de tout votre sang ? Que vous ai-je rendu, Dieu glorificateur, pour m’avoir ouvert le ciel et pour m’avoir donné tous les secours qui pouvaient me procurer ce royaume éternel ? Ah ! Seigneur, que ne puis-je multiplier mes actions de grâces, et les égaler en nombre à toutes les respirations de mon cœur, pour réparer mes ingratitudes ! Cependant, plein de cette confiance que vous m’inspirez vous-même, je ne cesserai pas de vous demander toujours de nouvelles grâces, pour avoir le plaisir de vivre dans une continuelle reconnaissance de vos bontés.

Sentences de l’Écriture sainte et des saints Pères

Quoique vous fassiez, ou en parlant, ou en agissant, faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père. (Epît. aux Col., 3.)

Ne vous inquiétez de rien ; mais en quelque état que vous soyez, présentez à Dieu vos demandes par des supplications et des prières accompagnées d’actions de grâces. (Epît. aux Philip., 4.)

L’ingratitude déplaît infiniment à Dieu ; elle est la source de tous les maux de notre âme ; semblable à un vent qui dessèche et qui consume tout le bien, elle bouche le canal de la miséricorde. (S. Augustin.)

Heureux est celui qui rassemble avec soin tous les bienfaits qu’il a reçus de Dieu pendant toute sa vie, pour se les remettre incessamment devant les yeux, et qui s’efforce de lui en rendre de dignes actions de grâces ! (S. Bernard.)

Prière

Nous avons confiance, ô Dieu de miséricorde et de bonté, que vous acceptez les jeûnes que nous avons entrepris dans ce saint temps de pénitence, et nous vous en rendons de très humbles actions de grâces ; mais achevez en nous ce que vous avez commencé par vos bontés. Éclairez nos cœurs aveugles par vos divines lumières, lumières qui portent toujours avec elles un feu sacré, qui embrase en même temps qu’il éclaire. Pénétrez-les d’une vive reconnaissance de vos bontés, et des sentiments sincères d’une vraie dévotion, qui les rendent insensibles à toutes les affections terrestres, capables de leur ôter le goût de la piété, qui fait elle seule les plus pures et les plus innocentes délices de la vie. Mais inclinez aussi votre grand cœur vers nous, pour exaucer nos vœux et nos prières, que nous vous présentons par Jésus-Christ, votre adorable Fils et notre souverain Seigneur.

Point de la Passion

Douleurs extérieures de Jésus sur la croix

C’est ici que l’on pourrait faire dire à Jésus souffrant sur la croix ces paroles touchantes qu’un prophète lui met à la bouche : O vous qui passez sur le chemin, faites attention, et voyez s’il y a une douleur semblable à la mienne !

C’est, en effet, un Homme-Dieu, livré à la plus excessive et la plus universelle douleur qui fut jamais ; et nous serions bien insensibles, si nous n’y compatissions pas, puisque nous en sommes nous-mêmes et la cause, et les artisans, et l’objet. Il souffre parce que nous sommes pécheurs, il souffre parce qu’il nous aime, il souffre enfin parce qu’il veut nous délivrer des peines que nous avons méritées par le péché, et qu’il veut nous soustraire à injustice de son Père au prix de ses douleurs et de son sang. Souffrons donc avec lui, puisqu’il souffre pour nous.

Depuis la plante des pieds jusqu’à la tête, tout souffre dans ce Sauveur crucifié, et tout souffre avec excès. Sa tête est percée en mille endroits, et ce Fils de l’Homme, quoique souverain du ciel et de la terre, n’a rien que sa seule croix pour reposer une tête si douloureuse. Cruelle nécessité ! car, hélas ! cette croix si dure, en pressant cette tête, loin de la soulager, enfonce plus avant les pointes des épines qui l’environnent, et il faut qu’il la tienne baissée.

Quand ce Fils agonisant veut la lever pour regarder le ciel et pour parler à son Père, ce sont toujours de nouvelles douleurs et de nouvelles plaies qui se forment ou qui s’agrandissent, et toujours du sang qui se répand de sa tête, qui, loin d’être traitée avec tant de cruauté et tant d’infamie, mériterait de porter tous les diadèmes du ciel et de la terre, puisqu’il en est le maître, et que toutes les têtes couronnées du monde ne subsistent et ne brillent que par lui seul, et qu’il peut les abattre et les anéantir quand il lui plaira.

La douleur est peinte sur toute la face adorable de ce Sauveur agonisant. Son front, si respectable, est percé en mille endroits, et ses cheveux sont collés avec son sang ; ses joues livides, et meurtries des coups qu’il a reçus chez ses juges. Ses yeux, languissants et à demi éteints par la proximité de la mort, ne voient que des bourreaux ; ils ne jettent que de tristes regards accompagnés de larmes et de sang, sa bouche garde le silence, sa douleur est trop grande pour être exprimée par des paroles ; une douleur commune fait pousser des plaintes et des clameurs ; mais une douleur excessive ne s’exprime que par le silence. Sa langue est tout en feu, ce qu’il ne peut dissimuler, parce qu’il a une soif extrême, et les bourreaux, au lieu de l’éteindre, l’allument encore par le fiel et le vinaigre. Ses épaules sont déchirées par la flagellation et par le pesant fardeau de la croix qu’elles ont portée. Ses bras souffrent par leur cruelle tension ; ses mains sont percées, et elles se déchirent de plus en plus, parce qu’elles portent toute la pesanteur du corps ; ses pieds, percés de même, sont dans une situation toujours violente ; tout son corps pèse dessus, et Il ne peut les étendre, parce qu’ils sont arrêtés par les clous qui les percent. A-t-on jamais souffert des douleurs plus vives et plus universelles ?

Regardez, dit un Prophète, et imitez ce divin modèle qui vous a été montré sur la montagne. Quelque souffrance qui vous arrive, ayez-le toujours devant les yeux ; comparez vos douleurs aux siennes. Dites-vous à vous-même : Voilà ce que j’ai fait souffrir à mon Dieu, voilà mon ouvrage et celui de son amour. Il souffre des douleurs infinies, et il est innocent : mes souffrances ne sont rien, et je suis pécheur.

JEUDI DE LA PASSION
Jour d’Amour de Dieu

Pratique

Le grand sujet que l’Évangile nous propose ! il nous invite, à l’exemple de cette amante du Sauveur, à multiplier aujourd’hui nos actes et nos protestations d’amour pour lui, et à répandre cet amour sur toutes nos paroles et sur toutes nos actions. Soyez-y exact, et que ce soit tantôt l’acte d’un amour humilié, comme cette pécheresse aux pieds de Jésus-Christ, tantôt d’un amour pénitent et touché d’une vraie douleur de l’avoir offensé, tantôt d’un amour généreux qui sacrifie tout pour lui, tantôt d’un amour pur qui renonce à, tous les plaisirs sensuels, tantôt d’un amour tendre qui se laisse toucher seulement pour son Dieu, et tantôt d’un amour constant qui n’aime que lui jusqu’à la mort.

Méditation sur l’amour de dieu

Ier POINT. — Jésus étant à table chez un pharisien, une femme de la ville, qui était pécheresse, y vint avec un vase d’albâtre rempli de parfum. (S. Luc, 7.)

Que cet exemple est consolant pour les pécheurs, puisqu’ils voient que, malgré l’énormité et la multitude de leurs péchés, ils peuvent encore aspirer au cœur de Dieu, c’est-à-dire l’aimer et en être aimé ! La grâce prévient ici Madeleine, elle la touche, elle l’embrase et elle la transporte chez le pharisien aux pieds de Jésus-Christ. Elle ne s’embarrasse pas de passer pour une extravagante, ni de s’exposer au mépris et à la critique maligne d’un pharisien et des conviés, ni de troubler le repas par ses larmes. Si vous aimez comme elle, vous apprendrez à tout sacrifier pour Dieu, et le respect humain, et le qu’en dira-t-on, et les fausses bienséances du monde, et votre propre réputation.

Elle joint l’humilité et la pénitence à son amour ; et, n’osant regarder la face du Sauveur parce qu’elle est pécheresse, parce qu’il faut avoir fait pénitence pour mériter cette faveur, elle se tient derrière lui, prosternée à ses pieds, pour étudier des démarches plus pures que celles qu’elle avait faites jusqu’alors. Elle les arrose de ses larmes, elle les essuie de ses cheveux, elle les baise avec une tendresse accompagnée d’un profond respect, et elle y répand avec profusion le baume précieux qu’elle avait apporté à ce dessein.

Elle se prosterne, dis-je, aux pieds de Jésus-Christ, et c’est ici que l’amour de Dieu prend plaisir à se venger de l’amour profane.

Si vous aimez Dieu de tout votre cœur, il n’est rien de bas et d’humiliant que vous n’entrepreniez, même avec plaisir, pour lui marquer votre patience, votre humilité et votre amour ; vous vous en ferez même une gloire.

Elle prend la liberté de baiser ses pieds adorables. Naïve expression, agréable symbole de l’union de son cœur avec celui du Sauveur ! Si elle n’ose porter ses regards sur ce visage majestueux, que les pures intelligences ne regardent qu’en tremblant, il faut qu’elle unisse sa bouche à cette chair vierge de ses pieds pour purifier et consacrer la sienne par cette union si sainte et si salutaire.

Ah ! quel heureux moment que celui qui embrasa son cœur et qui éclaira aussi son esprit pour lui faire comprendre et le malheur qu’il y a d’être attaché à, la créature par un amour profane, et le bonheur qu’il y a d’être uni à Dieu par un amour pur, tendre et généreux ! Aimez, gémissez, humiliez-vous, sacrifiez tout comme elle, et vous éprouverez ce bonheur.

IIe POINT. — Beaucoup de péchés lui sont remis, dit Jésus-Christ, parce qu’elle a beaucoup aimé.

Que ces paroles renferment un pompeux éloge de Madeleine ! Ne vous arrêtez pas, dit saint Augustin, aux larmes qui sortent de ses yeux ; les larmes du cœur, qui sont bien plus précieuses, précédèrent et produisirent les autres. Son cœur étant pénétré de la plus vive douleur qui fut jamais, et embrasé du plus ardent amour, il ne faut pas s’étonner si ses yeux répandirent des larmes. Voulez-vous obtenir le pardon de vos péchés, gardez le silence comme Madeleine, pour laisser parler votre cœur et vos yeux : celui-là par la douleur, par les sanglots, par les soupirs et par les gémissements ; ceux-ci, par les larmes : c’est le vrai moyen de toucher le cœur de Dieu.

Les larmes ne suffisent pas à son amour ; elle veut encore employer contre le péché les armes que sa vanité avait mises en usage pour la perdre ; et, regardant ses cheveux comme les complices de son luxe, elle les sacrifie pour essuyer les pieds de Jésus-Christ ; et, croyant peut-être que ses pieds adorables seraient profanés, s’il y restait quelque impression des larmes d’une pécheresse, elle consacre ses cheveux à en ôter les moindres vestiges.

Que saint Grégoire le Grand a eu raison de dire que son amour avait trouvé le secret de converti toute sa personne en sacrifices et en holocaustes ! Son esprit, son cœur, ses yeux, ses mains, sa bouche, ses pieds, ses cheveux, ses parfums, tout portera les marques de sa pénitence et de son amour. Son esprit pensera à ses péchés avec amertume, son cœur sera en même temps et pénétré de douleur et embrasé d’amour ; ses yeux verseront des larmes, ses mains toucheront à terre pour soutenir un corps prosterné ; sa bouche poussera des gémissements, et elle se collera, par de chastes baisers, aux pieds de Jésus-Christ ; ses pieds la porteront partout où il sera ; ses cheveux essuieront ses pieds, et ses parfums les embaumeront.

Concluez de là que c’est en vain qu’on se flatte d’aimer Dieu quand il reste dans le cœur quelque réserve pour soi ou pour la créature. Le véritable amour sacrifie tout et ne réserve rien de ce qui pourrait mettre le moindre partage dans un cœur ; il sacrifie ses plaisirs et ses attaches, ses vanités et ses biens. Examinez-vous sur cet important article.

Sentiments

Balancerai-je encore longtemps entre Dieu et la créature ? Hésiterai-je encore à lui consacrer ce qu’il me demande, après que Madeleine a tout sacrifié pour l’aimer uniquement, et qu’elle a généreusement arraché de son cœur toutes ses criminelles attaches ?

Je trouve dans vous seul, ô mon Dieu, une beauté toujours nouvelle, une bonté toujours égale, une majesté toujours ravissante, un cœur toujours prêt à me marquer son amour, et un ami toujours constant. Adorable objet, je vous aime, je veux vous aimer toute ma vie, sans cesser, comme Madeleine, de pleurer mes péchés ; mon amour ne détruira pas ma douleur, et ma douleur soutiendra mon amour ; persuadé que si je pleure et si je vous aime, vous couronnerez mes larmes et ma tendresse par des consolations et des joies éternelles.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces. (Deutér., 6. )

Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. (S. Luc, 7.)

Que vous êtes bon, ô mon Sauveur, pour une âme pénitente, qui vous cherche et qui veut vous aimer ! Vous allez au-devant d’elle, vous l’embrassez ; et, quoique vous soyez son souverain Seigneur, vous voulez devenir son époux. (S. Bernard.)

Ah ! Seigneur, tenez bien mon cœur, de peur qu’il ne m’échappe ; gouvernez mon âme, dirigez mon esprit, lavez et purifiez mon amour, suspendez mes désirs et mes sentiments, et attirez-les toujours vers vous. (S. Augustin.)

Prière

Quelles grâces et quelles faveurs ne nous avez-vous point faites, ô Seigneur tout-puissant ! Vous nous avez créés avec des avantages que nous avons eu le malheur de perdre par le péché de notre premier père. Vous avez eu la bonté de réparer vous-même nos pertes en vous revêtant de notre chair mortelle, en souffrant et en mourant pour notre amour ; vous nous avez ainsi rendu avec usure les avantages dont nous étions déchus. Mais, hélas ! ô divin Réparateur, nous avons encore avili par nos excès et par nos intempérances la dignité de notre condition, que Vous aviez ennoblie par votre Incarnation. Accordez-nous la grâce de la réparer encore par nos jeûnes, par nos mortifications, par les pénitences, que nous unissons à vos souffrances pour les rendre plus dignes de vous être présentées, et de nous attirer votre miséricorde dans cette vie et la gloire dans l’autre.

Point de la Passion

Douleurs intérieures de Jésus sur la croix

Entrez en esprit dans le cœur de Jésus souffrant sur la croix ; priez le Saint-Esprit qu’il vous ouvre les portes de ce sanctuaire, pour considérer avec une attention tendre et compatissante ce qu’il endure, et vous comprendrez que ses peines intérieures ne sont pas moins sensibles que ses supplices extérieurs. Ce qu’il voit autour de lui est capable de lui percer le cœur d’une douleur infinie. Il voit à ses côtés des voleurs avec lesquels on le compare et on l’associe, parce que les Juifs, selon l’oracle du prophète Isaïe, voulaient qu’il fût réputé scélérat avec les scélérats. Quelle odieuse compagnie ! quelle comparaison humiliante et quel opprobre ! d’autant plus que ces voleurs en croix l’insultent d’abord, et semblent avoir oublié qu’ils souffrent et qu’ils méritent de souffrir parce qu’ils sont criminels, pour l’outrager plus indignement !

Il voit au pied de la croix et il entend les soldats et les spectateurs qui l’accablent d’injures, de reproches et de railleries sanglantes ; et son cœur le ressent. Il fallait que l’oracle du Prophète s’accomplît en sa personne, quand il a dit : Tous ceux qui me voyaient se moquaient de moi ; leurs lèvres ont parlé contre moi, et ils ont fait des signes et des mouvements de tête pour insulter à ma disgrâce !

Il entend les pharisiens qui disent hautement, et d’un ton railleur et insultant : S’il est le roi d’Israël, qu’il descende à présent dela croix, et nous croirons en lui ; il s’est vanté d’être le Fils de Dieu, qu’il le délivre donc à présent de nos mains. Il en entend encore d’autres plus insolents qui disent en branlant la tête par mépris et par indignation : C’est donc toi qui détruis le temple de Dieu et qui as le secret et la puissance de le réédifier en trois jours ? Sauve- toi, si tu peux, toi-même, et descends de la croix.

Il voit tout le peuple qui l’environne, qui le regarde avec le dernier mépris, et qui, loin de compatir à ses douleurs, montre assez par ses gestes, par ses injures et par ses cris insultants, qu’il ne l’envisage que comme un séducteur qui mérite mieux le cruel genre de mort qu’on lui a fait endurer que les deux scélérats qu’on fait mourir à ses côtés.

Voilà les sujets présents des douleurs excessives de son âme ; mais la vue de nos infidélités était sans doute le glaive le plus douloureux qui lui perçait le cœur. Il savait qu’il y aurait parmi les chrétiens rachetés de son sang un grand nombre d’impies qui le crucifieraient de nouveau. Ainsi le démon pouvait se joindre à ceux qui se moquaient de lui pendant qu’il était agonisant sur la croix, et lui dire : Je perdrai plus de chrétiens par les plaisirs et par la volupté, que vous n’en sauverez par toutes vos souffrances ; j’en damnerai un plus grand nombre par les tentations différentes que je leur suggérerai, que vous n’en sauverez par votre mort ; j’en gagnerai plus par l’avarice et par la convoitise des richesses, que vous par votre pauvreté et votre dépouillement sur la croix ; plus par la vanité et par le luxe, que vous par votre modestie et par votre couronnement d’épines ; je trouverai moins de rebelles à mes sollicitations, que vous n’en trouverez de soumis à vos grâces, quoique méritées par l’effusion de votre sang : Exprobraverunt commutationem Christi tui. (Ps. 88.) Voilà le langage du démon et de ses organes ; voilà les reproches injurieux que lui et ses partisans font à Jésus expirant ; et c’est le sujet le plus sensible de ses douleurs intérieures. Fasse le Ciel que nous n’y ayons point de part !

VENDREDI DE LA PASSION
Jour de Solitude

Pratique

Soyez aujourd’hui seul avec Jésus-Christ ; fuyez la multitude, cherchez la solitude ; moins vous vous montrerez aux créatures, plus vous serez en sûreté dans la compagnie de Dieu ; moins vous serez attentif à leur langage, plus vous entendrez et plus vous guiderez celui de Dieu, qui vaut incomparablement mieux. Ne vous contentez pas de garder cette solitude extérieure qui ne consiste qu’à s’éloigner corporellement des créatures ; elle est non seulement ennuyeuse, mais encore inutile, quand elle n’est pas accompagnée de la solitude de l’esprit et du cœur. Que votre esprit soit solitaire en ne pensant pas plus aux créatures que si vous étiez seul en ce monde avec Dieu ; que votre cœur soit solitaire, en renonçant à toutes les attaches sensibles qui n’ont pas Dieu seul pour objet ; c’est ainsi que votre solitude deviendra agréable à Dieu.

Méditation sur la solitude

Ier POINT. — Jésus ne se montrait plus en public chez les Juifs, et il s’était retiré dans une contrée près du désert. (S. Jean, 11.)

Ce fut après que les prêtres et les pharisiens eurent tenu conseil contre lui pour le faire mourir ; et il vécut quelque temps dans cette retraite. Le même esprit qui l’avait conduit une autre fois dans le désert pour jeûner l’espace de quarante jours le conduisit dans celui-ci, et il s’y occupa de la même manière, c’est-à-dire qu’il y passa son temps à rendre de continuels hommages et de continuelles adorations à Dieu son Père.

Imitons cet adorable et divin solitaire qui nous fraye le chemin du désert, et qui nous adoucit par sa grâce les rigueurs qu’on y rencontre, soit dans la généreuse résolution qu’il faut prendre pour se séparer du monde, soit dans les combats qu’il faut y soutenir, et pour vous y engager plus fortement, considérez, d’un côté, les dangers qui se trouvent dans le monde, et, de l’autre, les avantages considérables qui se trouvent dans la retraite.

N’êtes-vous pas persuadé qu’il suffit de vivre dans le monde pour être en danger de se perdre ? On y respire insensiblement, et sans y penser, son air contagieux ; on se trouve rempli de ses manières et de ses maximes seulement parce qu’on y a demeuré ; tout y est plein d’écueils, de pièges, de périls et de pierres de scandale ; son air infect, son langage séduit, son brillant enchante, ses coutumes autorisent, et le torrent du mauvais exemple y entraîne tous les faibles. Vous le savez, vous en avez de fatales expériences : pourquoi donc y demeurez-vous ? Et si vous ne pouvez pas le quitter, pourquoi ne vous retirez-vous pas de temps en temps en solitude pour converser avec Dieu ? Là vous prendriez de nouvelles forces pour entrer dans le monde sans y courir aucun risque, et vous comprendriez, avec saint Augustin, qu’il est très difficile, non seulement d’aimer, mais même de connaître Dieu dans le monde, et que tout y détourne de la grande affaire du salut.

Il est bien difficile, dit saint Chrysostome, qu’un arbre planté dans un grand chemin porte des fruits jusqu’à leur parfaite maturité, parce qu’il est trop exposé. Il n’est pas moins difficile qu’un chrétien qui dans son baptême a renoncé au monde et à ses pompes, et qui ne se retire pas du grand monde, porte des fruits de grâce et qu’il les conserve jusqu’à la fin de sa vie pour devenir des fruits de gloire.

Retirez-vous donc prudemment de ce grand chemin, où tout ce que vous rencontrez s’efforce de vous enlever les fruits naissants que vous portez. Transportez-vous, si vous pouvez, dans un lieu plus secret, où vous n’ayez rien de commun avec le monde. Si vous ne pouvez pas vous en séparer de corps, séparez-vous-en du moins d’esprit et de cœur. Vous serez solitaire dans le monde même, dit saint Bernard, si vous méprisez ce qu’il estime, si vous haïssez ce qu’il aime, et si vous fuyez ce qu’il recherche.

IIe POINT. — Et Jésus demeura dans cette solitude avec ses disciples.

Si c’est à Dieu à conduire une âme dans la solitude pour parler à son cœur, et à lui inspirer la généreuse résolution de fuir le monde, c’est à lui encore à la soutenir dans la retraite. En effet, si c’est une action généreuse de quitter tous les attraits et les plaisirs du monde pour embrasser la retraite, s’y soutenir comme a fait le Sauveur, et comme ont fait à son exemple les saints qui y ont passé leur vie, y surmonter l’ennui, le dégoût, l’inconstance et la légèreté, c’est un sacrifice qui coûte beaucoup plus au cœur.

Nous voyons, pour notre consolation, l’exemple de l’un et de l’autre dans Jésus-Christ. Il quitte Jérusalem, où il était adoré du peuple, et il va dans la solitude d’Éphrem : voilà l’exemple qui nous engage à fuir le monde. Mais il y demeure caché jusqu’à ce que la volonté de son Père l’en retire, pour aller souffrir et mourir pour le monde et par le monde : voilà le sacrifice généreusement soutenu. Suivez cet exemple.

Voulez-vous vous soutenir dans la retraite ? Il faut vous y occuper ; sans cela vous y serez exposé à des dégoûts et à des ennuis mortels. La première occupation d’un solitaire est marquée par Jérémie, quand il dit : il sera solitaire, et il gardera le silence. Il ne veut pas parler ici du silence de la bouche, parce que ce solitaire n’a personne à qui parler, mais du silence intérieur, c’est-à-dire qu’il imposera silence à toutes ses passions, que sa mémoire oubliera le monde, que son esprit n’y pensera pas, et que son cœur, loin de s’y attacher, n’aura de désirs que pour le ciel.

Le second moyen de calmer ses ennuis dans la solitude, c’est la prière. Embrassons, dit saint Bonaventure, la solitude comme la mère de la prière et de l’oraison ; et là exerçons-nous dans la connaissance de Dieu et de nous- mêmes, et nous en éloignerons tous les dégoûts. Un solitaire, dit saint Bernard, qui lit, qui prie et qui médite, appelle Jésus-Christ auprès de lui, et il n’est jamais moins seul que quand il est seul ; ce Sauveur lui tient compagnie, il le console, il lui parle, il lui fait goûter son état, et il le dédommage ainsi des douceurs qu’il aurait pu goûter dans l’entretien des mondains.

Après tout, le solitaire a beaucoup moins à combattre que dans le monde ; car il est heureusement délivré des combats que fournissent les yeux, les oreilles et la langue. Ses yeux ne voient point d’objets dangereux qui séduisent le cœur ; ses oreilles n’entendent ni médisances ni paroles dangereuses, et sa langue ne peut parler qu’a Dieu seul ; or vous savez combien ces trois organes font commettre de péchés. Aimez donc la solitude, puisqu’elle vous délivre de ces combats, et que d’ailleurs elle est le séjour de la paix et des vertus, dit un saint évêque, la mort des vices, et la vie de l’esprit. (S. Césaire.)

Sentiments

Adorable et divin solitaire, permettez que je vous suive en esprit et que je demeure avec vous dans la solitude. Je vous y adore aussi bien que quand je vous vois suivi d’un grand peuple qui vient écouter vos oracles, et admirer les grands miracles qui sortent de vos mains toutes-puissantes. Je m’unis aux adorations et aux hommages que vous avez rendus à votre Père céleste dans cette retraite si sainte. Mais donnez-moi le courage de me soutenir dans l’éloignement du monde criminel, dont le commerce n’a été que trop contagieux à mon âme. Inspirez-moi une véritable haine pour le monde, que vous haïssiez vous-même ; donnez-moi du goût pour la vie cachée, qui m’est si nécessaire. Je vous confesse, ô mon Sauveur, que je sens ma faiblesse. Mon cœur n’est pas à réprouve des attraits du monde, et il n’a que trop de penchant pour ce cruel ennemi ; je vous en demande la guérison. Je sens aussi que mon salut serait en danger si je ne me retirais de la compagnie des mondains. La retraite fait toute ma sûreté, cependant elle m’épouvante. Ah ! Seigneur, mon parti est pris dans ce monde ; si je ne puis absolument me retirer du monde, je veux y vivre comme l’ennemi déclaré du monde.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Je le conduirai dans la solitude, dit le Seigneur, et je parlerai à son cœur. (Osée, 2. )

Quelle est celle-ci qui s’élève au désert toute remplie de délices et appuyée sur son bien-aimé ? (Cant., 8.)

O désert tout orné de fleurs de Jésus-Christ ! ô solitude où l’on trouve les pierres vivantes dont la cité de Dieu est bâtie ! je ne m’ennuierai point dans un désert si délicieux, parce que je trouverai le secret, sans en sortir, de me promener dans le paradis. (S. Jérôme.)

Si vous ne pouvez pas entrer dans le désert, on vous ordonne la solitude de l’esprit et du cœur. Vous y serez en sûreté, vous vous y sauverez, si vous n’y pensez pas, si vous n’y aimez pas, si vous n’y agissez pas comme on pense, comme on aime et comme on agit dans le monde. (S. Jérôme.)

Prière

Seigneur tout-puissant et tout miséricordieux, dont la nature est la bonté même, répandez avec abondance votre grâce dans nos cœurs, et rendez-les dignes de la recevoir et de la conserver. Répandez aussi vos bénédictions sur nos œuvres, afin qu’en expiant les péchés dont nous sommes coupables par une pénitence rigoureuse et volontaire, que vous nous inspirerez vous-même, et que vous aurez la bonté d’accepter comme une satisfaction qui vous est due, nous cessions dorénavant de vous offenser et d’irriter votre juste colère par des péchés nouveaux, et que ces châtiments que nous exerçons sur nous-mêmes pendant cette vie mortelle nous exemptent des châtiments terribles de la vie future et nous procurent l’avantage de vous posséder éternellement dans le ciel. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre Fils et notre souverain Seigneur.

Point de la Passion

Jésus prie pour ses bourreaux

Il y avait déjà longtemps que Jésus souffrant sur la croix gardait un profond silence, et qu’occupé de son sacrifice, il s’offrait humblement à Dieu son Père pour les péchés de tous les hommes. La voix de sa bouche ne s’était point encore fait entendre ; mais son esprit et son cœur ne gardaient pas le silence. Son oraison était sublime quoique douloureuse. Il s’unissait à son Père céleste par une résignation parfaite et par une conformité héroïque à toutes ses volontés. Victime sanglante de nos péchés, il apaisait sa justice dans cette posture gênée et douloureuse, il lui offrait le sang qui sortait de toutes ses plaies ; et ce sang adorable plaidait notre cause, et nous traduisait efficacement du tribunal redoutable de sa justice à celui de sa miséricorde, parce qu’il souffrait ce que nous devions endurer.

Mais enfin, après un si long silence il trouve à propos de parler, et la première parole qui sort de sa bouche adorable est la preuve évidente de son excellente charité et la marque la plus authentique de sa divinité, puisqu’elle exprime l’amour héroïque qu’il avait pour ses plus cruels ennemis dans le temps qu’ils le crucifiaient. Non seulement il leur pardonne et il les aime, mais encore il les excuse à cause de leur ignorance, et il prie pour eux avec autant d’ardeur et de tendresse qu’il le ferait pour ses propres amis. Son amour était si généreux et si tendre, qu’il ne faisait point attention qu’il souffrait et qu’il mourait par leurs mains, mais seulement qu’il mourait pour leur salut aussi bien que pour le salut de tous les autres hommes : Non attendebat quia ab ipsis moriebatur, sed quia pro ipsis moriebatur, dit saint Léon. Il dit, en effet, ces paroles d’une voix forte et capable de se faire entendre du ciel et de la terre : Mon Père, pardonnez-leur, pardonnez- leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ; et à ces divines paroles il ajoute tout son sang. Quoi de plus fort et de plus héroïque ?

Remarquez qu’il ne dit pas : Mon Dieu, mais mon Père, se servant de cette tendre expression pour désarmer plus efficacement sa justice, comme s’il eût voulu dire : Mon Père, ressouvenez-vous que c’est votre Fils unique, en qui vous avez mis toutes vos complaisances, et que vous aimez autant que vous vous aimez vous-même, qui vous parle, qui vous prie, et qui vous offre ses douleurs et sa propre vie pour obtenir ce qu’il vous demande. Excusez leur ignorance ; s’ils savaient qui je suis, ils ne me feraient pas mourir.

Remarquez encore que jusqu’à ce jour ni le ciel ni la terre n’avaient point entendu le juste outragé si cruellement s’adresser dans ses souffrances au trône de la miséricorde, pour demander grâce pour ses persécuteurs, mais à celui de la justice pour demander vengeance. C’est Jésus qui venait d’établir la loi de la dilection des ennemis, que les Juifs avaient injustement proscrite, qui la pratique aujourd’hui le premier. Les spectateurs en furent surpris ; plusieurs se convertirent et frappèrent leur poitrine en disant En vérité, celui-ci était le Fils de Dieu.

Ah ! Seigneur, vous étiez cruellement attaché à une croix ; vous n’entendiez que des blasphèmes et des imprécations contre vous ; on n’aurait pas été surpris de vous entendre demander justice de tant d’outrages ; on vous aurait même admiré de souffrir en silence ; mais vous marquez bien que vous êtes un Dieu, puisque vous criez à haute voix pour demander grâce pour vos propres bourreaux.

SAMEDI DE LA PASSION
Jour de Mortification

Pratique

La pratique que l’on vous prescrit aujourd’hui selon, l’esprit de l’Évangile est d’une grande étendue, et elle demande beaucoup de fidélité, d’attention et de courage, puisqu’il s’agit de déclarer la guerre à la délicatesse et de mortifier en toutes choses vos sens extérieurs et intérieurs, d’en prévoir et d’en punir les moindres fautes. Portez donc, selon le conseil de l’Apôtre, la mortification de Jésus-Christ dans votre chair, et traitez-la en pécheresse ; veillez avec soin sur les regards de vos yeux, sur les actions de vos mains, sur les paroles de votre bouche, et sur les sens de l’ouïe et de l’odorat. Ne vous contentez pas de cette mortification extérieure ; mortifiez aussi le souvenir de votre mémoire, les saillies de votre imagination, les pensées et les curiosités de votre esprit, les désirs, les sentiments, les attaches de votre cœur, et veillez sur toutes les passions de votre âme, afin que votre mortification soit universelle.

Méditation sur la mortification

Ier POINT. — En vérité, en vérité je vous le dis, si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a jeté en terre, il demeure seul ; mais quand il est mort, il porte beaucoup de fruits. (S. Jean, 12.)

Remarquez que notre divin Sauveur venait de faire son entrée dans Jérusalem aux acclamations de tout le peuple ; mais, peu sensible à ces honneurs, parce qu’il était occupé de sa passion prochaine, il ne parle que de mortification, sous la figure du grain de froment. Étudiez-en toutes les paroles ; elles sont autant d’instructions et de mystères. Le chrétien est ce grain de froment. Il faut premièrement qu’il tombe, cadens : il ne produira jamais qu’il n’ait mortifié et dompté son orgueil. Il faut, en second lieu, qu’il tombe non seulement sur la terre, mais encore dans la terre, et qu’il en soit couvert, in terram. Il n’est en sûreté que quand il se cache aux yeux des hommes, et qu’il se cache dans l’élément dont il a été formé, en se ressouvenant qu’il n’est que terre. Enfin, il faut qu’il y meure, mortuum fuerit, c’est-à-dire qu’il se renonce lui-même, qu’il meure à sa chair et à ses appétits, à ses attaches et à toutes ses passions : c’est le moyen de porter des fruits abondants, et de se conserver pour l’éternité. Regardez-vous comme ce grain de froment ; tombez souvent en terre, par le mépris de vous- même ; cachez-vous et mourez à tout pour vivre à Dieu seul. Heureuse chute, puisqu’elle procure la plus glorieuse élévation ! Heureuse humiliation, puisqu’elle nous éclaire des lumières célestes ! Heureuse mort, puis qu’elle produit la vie de la grâce, et qu’elle nous conserve pour celle de la gloire !

Si vous prétendez être à Jésus-Christ, vous devez mener une vie mortifiée ; car ceux qui lui appartiennent, dit saint Paul, ont crucifié leur chair avec toutes ses convoitises. (Épît. aux Gal., 5.) Demandez-vous donc à vous-même si vous êtes à lui, et croyez que, malgré toutes vos protestations, vous n’y êtes pas si vous n’êtes pas mortifié. À qui êtes-vous donc ?

D’un côté, entendez avec frayeur les anathèmes que Jésus-Christ prononce contre les sensuels, quand il dit : Malheur à vous qui avez votre consolation dans ce monde. Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim ! Malheur à vous qui riez, parce que vous pleurerez ! Sur qui tombent ces malédictions ? Sur ceux qui aiment les plaisirs. Ne les aimez-vous pas ?

Voyez, d’un autre côté, ce que faisaient les saints, et ce qu’ils croyaient être obligés de faire pour assurer leur salut. Saint Paul dit : Je châtie mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne devienne moi-même un réprouvé. (1re Épît. aux Cor., 9) D’où il suit que, dans les sentiments de ce grand apôtre, vivre sans mortification, c’est vivre dans la réprobation. Aussi exhorte-t-il les Romains à la mortification par des paroles d’onction et de force, quand il dit : Je vous conjure, mes frères, par la miséricorde de Dieu, de faire de votre corps une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu. (Épît. aux Rom., 12.) C’est le seul moyen d’assurer son salut.

IIe POINT. — Celui qui aime sa vie la perdra ; mais celui qui la hait dans ce monde la conserve pour la vie éternelle.

Aimer son âme et sa vie, dans le langage de Jésus-Christ, c’est aimer sa chair et la traiter avec délicatesse, c’est s’aimer soi-même ; et cet oracle est assez précis et assez clair pour nous faire entendre qu’il est impossible de se sauver sans la mortification des sens extérieurs et intérieurs, des appétits de la chair et des passions de l’âme.

Mortifiez vos yeux corporels, puisque c’est souvent par eux que la corruption entre dans le cœur. C’est par les yeux, dit Jérémie, que la mort s’insinue dans l’âme. (Jérém., 9.) Si la malheureuse Dina avait réprimé la curiosité de ses yeux, elle n’aurait pas perdu le plus précieux de tous les trésors. (Gen., 34.) Si David avait retenu les siens, il ne serait pas tombé dans l’adultère et dans l’homicide. (2e liv. des Rois, 11.). Imitez plutôt le saint homme Job ; faites pacte avec vos yeux de ne les ouvrir jamais sur aucun objet qui puisse les faire pleurer dans la suite. (Job, 31.) Et pour vous engager à cette mortification, persuadez-vous que celui qui les tient fermés sur les objets dangereux se rend digne de voir Dieu dans le ciel ; c’est le Saint-Esprit qui parle par la bouche du Prophète Isaïe. (Isaïe, 33.)

Mortifiez votre ouïe, et détournez vos oreilles de tous les discours des gens du siècle. Souvenez-vous que c’est par les oreilles d’Éve, qui écouta le serpent, que le péché et la mort sont entrés dans le monde. (Gen., 3.) Écoutez donc le conseil du Sage qui dit : Bouchez vos oreilles avec des épines, et n’écoutez jamais la méchante langue. (Eccli., 28.)

Mourez à toutes les odeurs délicieuses, et ressouvenez-vous de la menace que Dieu fit par le prophète Isaïe aux filles de Sion, quand il dit que leurs parfums seraient changés en puanteur. (Isaïe, 30.) Imitons plutôt Madeleine, qui les consacra à Jésus-Christ. (S. Luc, 7.)

Mortifiez votre bouche sur le goût et sur les paroles : sur le goût, vous ressouvenant que c’est par l’intempérance que Loth fut souillé d’un grand péché (Gen., 19), qu’Esaü perdit son droit d’aînesse (Gen., 25), et que les enfants d’Héli, après avoir scandalisé le peuple de Dieu, périrent misérablement. (ler liv. des Rois, 4.) Imitez plutôt la tempérance de David, lequel, après avoir souhaité avec ardeur un verre d’eau de la citerne de Bethléhem, le sacrifia au Seigneur plutôt que de le boire. (2e liv. des Rois, 23.)

Mortifiez votre langue du côté des paroles. (Eccli., 28.) Mettez à votre bouche, selon le conseil du Sage, une porte et des serrures, et une balance pour peser toutes les paroles qui en sortiront. Une langue qui n’est pas mortifiée se laisse aller tantôt au mensonge, tantôt à la médisance, tantôt à l’ostentation, tantôt à la flatterie, et souvent à quelque chose de pis.

Mortifiez vos mains ; occupez-les aux travaux conformes à votre état et à secourir charitablement votre prochain. Coupez votre main droite, dit le Seigneur, si elle vous scandalise, et soyez toujours en état d’élever des mains pures vers le ciel, si vous voulez être exaucé. (S. Matth., 5.)

Ne vous contentez pas de la mortification corporelle ; mortifiez votre esprit, sa curiosité, son orgueil et sa vanité ; mortifiez votre cœur, ses désirs déréglés, ses attaches et ses antipathies ; cette mortification sincère et universelle vous conservera pour l’éternité.

Sentiments

Suis-je mort à moi- même ? Ô mon Dieu, suis-je mort à ma chair ? Suis-je mort à mes passions ? Hélas, que j’ai de fatales expériences du contraire ! Suis-je ce grain de froment tombé, caché et mort dans la terre pour y porter des fruits de pénitence, de grâce et de gloire ? Ne suis-je pas, au contraire, ce mauvais arbre qui mérite d’être coupé et mis au feu, parce qu’il ne porte point de fruits, et qu’il occupe inutilement la terre ? Je sais que je cours risque de me perdre, si je ne me hais moi-même ; c’est Jésus-Christ qui me le dit, et je ne puis l’ignorer : cependant je n’ai fait aucun progrès dans la mortification ; le travail me rebute, la souffrance m’alarme, l’humiliation me déconcerte, et les contradictions me révoltent ; ma chair ne cherche que la délicatesse et le plaisir ; les mortifications qui me viennent de la part de Dieu m’effrayent ; celles qui me viennent de la part des hommes m’irritent ; et, loin de m’en imposer à moi-même de volontaires, je les évite et je les fuis avec une délicatesse alarmée ; ou ce ne sont le plus souvent que des mortifications de choix où ma vanité trouve le secret de se satisfaire. Ah ! Seigneur, ayez pitié de ma faiblesse, fortifiez-moi, animez-moi d’une sainte haine contre moi-même, donnez-moi le courage de mourir à ma chair et à tout ce que je suis, pour ne vivre que pour vous seul.

Sentences de l’Écriture sainte et des saints Pères

Soyez circoncis de la circoncision du Seigneur ; retranchez de vos cœurs ce qu’il y a de charnel, de peur que mon indignation n’éclate tout d’un coup et ne s’embrase comme un feu. (Jérém., 4.)

Je vous conjure, mes frères, par la miséricorde de Dieu, de lui offrir vos corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux. (Épît. aux Rom., 12.)

La mort que Jésus-Christ vous demande n’a rien d’affreux, puisque loin d’ôter la vie, elle la change en une meilleure, et que, loin de faire tomber le corps, elle l’élève à un ordre supérieur. (S. Bernard.)

Toutes les mortifications extérieures que la vanité nous inspire, loin d’être de véritables vertus, ne sont que des voiles qui cachent nos vices. (S. Prosper.)

Prière

Accordez à nos prières et à nos vœux, ô Dieu de miséricorde, qu’à mesure que nous avançons dans les jeûnes et que nous approchons des grands mystères de notre rédemption, nous avancions aussi en grâce, en piété et en amour pour la retraite et pour la solitude, afin d’éviter la corruption du monde ; et que, vous ayant consacré nos corps, nos âmes, toutes nos pensées et toutes nos actions dans ce saint temps de pénitence, nous soyons aussi plus agréables aux yeux de votre divine Majesté ; et que plus nous aurons le bonheur de vous être agréables, plus aussi nous soyons remplis de vos dons, de vos grâces et de vos bénédictions, pour parvenir plus sûrement au terme auquel nous aspirons, qui est l’éternité bienheureuse. Nous vous en prions par les mérites de Jésus-Christ, votre adorable Fils et notre souverain Seigneur.

Point de la Passion

Jésus convertit un des voleurs

Voici la seconde fois que Jésus souffrant ouvre la bouche sur la croix, et c’est pour dire à un voleur : En vérité, je vous dis que vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis. On voit deux scélérats pendus à ses côtés, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, pour lui causer plus d’ignominie, et pour le faire regarder du peuple comme le maître et comme le plus méchant de ces criminels. Tous deux, au lieu de reconnaître son innocence et sa divinité, au lieu de lui demander miséricorde, l’insultaient et lui disaient des injures atroces. Cet adorable Sauveur, loin de se venger de ces outrages, qui méritaient des supplices éternels, leur offre sa grâce. L’un le rebute, et il continue de le maltraiter de paroles ; l’autre se rend, et il entre véritablement dans des sentiments de pénitence et de componction.

Ce Dieu souffrant exerce avec une charité héroïque les fonctions de Sauveur à son égard. Son amour pour ce voleur lui fait oublier et compter pour rien les douleurs excessives qu’il endure, pour s’appliquer à sa conversion et à sa sanctification. Il pénètre dans son cœur ; il y voit les heureuses dispositions qu’il y opérait lui-même par sa grâce ; il l’éclaire, il le touche, il le justifie, il l’embrase dans son amour, il en fait un saint ; et il lui promet le ciel dans le même jour et aussitôt après sa mort.

C’est ainsi que les vrais héros se vengent ; c’est ainsi : que Jésus mourant pardonne, et que, pendu à la croix comme infâme aux yeux des hommes, il fait des actions de tout-puissant, et que, regardé comme un scélérat, il distribue des couronnes éternelles comme un Dieu rémunérateur.

C’est ainsi que dans le voleur réprouvé il nous donne un terrible exemple de la punition de l’impie qui ne sait pas profiter de la compagnie de Dieu, qui porte toujours la grâce avec lui, et qui ne la refuse à personne ; c’est ainsi qu’il nous inspire la confiance, quelques péchés énormes que nous ayons commis, de retourner vers lui, d’obtenir sa grâce et de prétendre au ciel.

Aussi ce nouveau converti donne dans ce moment à Jésus-Christ tout ce qu’il pouvait lui donner. Ses mains et ses pieds étaient cloués comme ceux du Sauveur ; il lui donne tout ce qui lui reste, c’est-à-dire son esprit, son cœur, sa bouche, ses yeux. Cet esprit, qui ne s’était occupé auparavant que de larcins et de brigandages, se soumet par une foi si parfaite, qu’il adore Jésus-Christ comme son Dieu, quoiqu’il le voie pendu auprès de lui comme un criminel. Son cœur, autrefois coupable de tant d’infidélités, est plein d’amour pour Dieu et pour son prochain, et il est pénétré d’une si vive douleur de ses offenses, qu’il consent d’en porter la peine. Sa bouche accuse ses péchés, et publie hautement qu’il mérite la mort infâme et cruelle qu’on lui fait souffrir. Disons plus : il est le seul qui, à la face de toute la terre, prend le parti de Jésus-Christ, et qui parle en faveur de son innocence pendant que tout le monde l’abandonne. Il l’appelle son Seigneur, quoiqu’il le voie traité comme un infâme ; il confesse, par cette admirable prière, qu’il est le Roi du ciel et de la terre ! Seigneur, souvenez-vous de moi quand vous serez dans votre royaume. Il va même si loin, qu’il croit qu’un simple souvenir de ce Dieu souffrant suffit pour lui procurer un bonheur éternel. Aussi a-t-il la consolation d’entendre cette parole de vie de la bouche de ce Sauveur agonisant : Je vous dis en vérité que vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis. Il ne lui impose pas une plus longue pénitence pour ses péchés, quoique énormes ; mais, au reste, il n’est pas étonnant que l’Auteur de la miséricorde expirant fasse des miracles de miséricorde en faveur du pénitent qui l’implore, qui souffre et qui meurt avec lui et auprès de lui.

Rameaux et semaine sainte

DIMANCHE DES RAMEAUX Jour d’Obéissance

LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE Jour de Reconnaissance

MARDI SAINT Jour de Souffrance

MERCREDI SAINT Jour de Patience

JEUDI SAINT Jour d’Union

VENDREDI SAINT Jour de Sacrifice

SAMEDI SAINT Jour de Sépulcre

DIMANCHE DES RAMEAUX
Jour d’Obéissance

Pratique

Comme l’Église commence aujourd’hui à parler aux fidèles de la passion du Sauveur, commencez aussi à entrer dans ses douloureux sentiments et à suivre ses démarches sanglantes. Gravez en profondément le souvenir dans votre cœur. Dîtes-vous souvent à vous-même : Mon Sauveur a souffert et il est mort pour moi mais il a souffert et il est mort parce qu’il a été obéissant. Ayez toujours devant les yeux ce divin modèle de l’obéissance pour y conformer la vôtre, et ne la perdez jamais de vue. Obéissez aux préceptes les plus essentiels et les plus rigoureux comme aux plus petits et aux plus faciles, et accompagnez votre obéissance de pureté d’intention, de promptitude et d’amour. Réduisez, en un mot, toute votre pratique à obéir pour l’amour de Jésus-Christ, comme Jésus-Christ a obéi, jusqu’à la mort.

Méditation sur l’obéissance

Ier POINT. — Dites à la fille de Sion : Voici votre Roi qui vient à vous plein de douceur. (S. Matth., 21.)

Quel oracle prononcé par le prophète Isaïe, et cité dans notre Évangile ! mais quel triste événement ! quelle douceur et quelle obéissance dans Jésus-Christ ! Si c’est un roi, comme le Prophète le marque, l’autorité lui convient mieux que l’obéissance. Mais il a protesté qu’il était venu pour obéir, et il faut qu’il s’acquitte de sa parole, quand il devrait lui en coûter la vie.

Appliquez-vous à méditer sur ce mystère de l’entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem. Mais, pour en juger sainement, ne vous arrêtez pas à ces peuples inconstants, dont les bouches retentissent de louanges et de bénédictions, et qui changeront bientôt de langage. Considérez Jésus-Christ seul ; son visage est triste, sa bouche garde le silence, et ses yeux versent des larmes. Ah ! ces symptômes me marquent quelque chose de triste et de lugubre ; et je conclus que c’est moins une entrée triomphante qu’un présage et un appareil de mort ; que c’est moins un Messie qu’on reçoit avec honneur, qu’un agneau doux qu’on conduit au lieu où il doit être égorgé ; Moins un souverain qui triomphe, qu’une victime qu’on mène à l’autel pour y être immolée. Ainsi, je dois considérer cette entrée, quelque pompeuse qu’elle me paraisse, comme le premier acte de la sanglante tragédie de sa passion et de sa mort, et le premier acte public de son obéissance.

En effet, ce Roi tout-puissant n’y résiste pas, parce qu’il est plein de douceur, et qu’il veut obéir aux dépens de sa vie. Quelle obéissance héroïque, et quelle condamnation de vos révoltes contre Dieu, et contre ceux qui vous en tiennent la place !

Quels assauts de douleurs son âme souffrait-elle pendant ce prétendu triomphe ! Ses yeux découvraient en passant les tribunaux où il savait qu’il serait bientôt traîné avec ignominie ; il démêlait parmi cette foule les juges qui devaient le condamner, et les bourreaux qui devaient le crucifier ; il savait que les bénédictions dont toutes les bouches retentissaient se changeraient bientôt en clameurs furieuses contre lui ; que ces rues qu’il arrosait de ses larmes, il les arroserait bientôt de son sang ; que ces peuples qui se dépouillaient de leurs habits pour faire honneur à son passage lui verraient avec plaisir arracher les siens pour le flageller, et qu’après avoir coupé des branches d’olivier en signe de joie et de paix, ils couperaient bientôt des épines pour lui couronner la tête.

Vous le saviez, ô mon Sauveur. Vous marchez cependant, parce que l’obéissance vous y engage ; et vous marchez avec toute la douceur d’un agneau qui va donner son sang, sans faire la moindre résistance. Après cet exemple de votre Sauveur et de votre Dieu, résisterez-vous encore à ses ordres et à ceux de vos supérieurs ?

Ajoutez encore à ce motif si pressant l’oracle consolant du Saint-Esprit, qui dit que l’obéissance est d’un plus grand mérite que les sacrifices ; et cela pour deux raisons, dit saint Augustin : la première, parce que l’obéissance nous a sauvés, ce que n’ont pu faire tous les sacrifices de la loi ancienne ; la seconde, parce que dans les sacrifices on n’immolait qu’une chair étrangère, et que dans l’obéissance on s’immole soi-même. Jugez donc du mérite de l’obéissance de Jésus-Christ, puisqu’elle est jointe au sacrifice le plus généreux, le plus sanglant et le plus auguste qui ne fut jamais. Après cet exemple, vous plaindrez-vous de la rigueur de l’obéissance ?

IIe POINT. — Les disciples ayant amené l’ânesse et l’ânon, ils les couvrirent de leurs vêtements, et ils le firent monter dessus.

Voilà le Roi doux et pacifique qui marche pour entrer triomphant dans la capitale de la Judée. Hélas ! disons plutôt : Voilà la victime obéissante qui va donner tout son sang pour épargner le nôtre, parce qu’il veut finir sa vie par l’obéissance, comme il l’avait commencée. Il avait obéi dans sa jeunesse à Joseph et à Marie, quoiqu’il fût leur souverain et leur créateur, il obéit ici à son Père, quoiqu’il soit son égal en toutes choses.

L’oracle en avait été prononcé par le Roi-Prophète, quand il faisait dire à cet Homme-Dieu : Seigneur, vous n’avez point voulu d’holocaustes d’animaux pour le péché ; et j’ai dit alors, Me voici ; je viens pour faire votre volonté, car votre loi est écrite au milieu de mon cœur (Ps. 29 ) : oracle que Jésus-Christ a vérifié quand il a dit qu’il n’était pas venu pour faire sa propre volonté, mais celle de son Père. (Saint Jean, 6.) Ce qu’il répétera encore au jardin des Oliviers, quand il dira : Mon Père, si vous voulez que je boive ce calice, que votre volonté se fasse. (S. Matth., 26.)

D’où il est aisé de conclure deux choses : la première, que vous êtes obligé d’imiter Jésus-Christ dans son obéissauce, parce que vous êtes chrétien ; la seconde, que vous êtes obligé d’obéir comme il a obéi, parce qu’il est votre modèle.

Vous ne pouvez ni porter dignement le nom de chrétien, ni par conséquent assurer votre salut, sans l’obéissance, parce que c’est la route que ce premier des prédestinés vous a tracée, et qu’il n’y en a point d’autres. D’ailleurs la loi en était écrite dans le Deutéronome ; la voici, gravez-la profondément dans votre cœur : Je vous propose, dit le Seigneur, la bénédiction et la malédiction : la bénédiction, si vous obéissez ; la malédiction, si vous résistez. (Deut., 11.) Choisissez.

Mais il faut encore obéir comme Jésus-Christ, et notre obéissance, pour ressembler à la sienne, doit être prompte, généreuse, et partir du cœur. Elle doit être prompte, sans écouter les détails et les fausses raisons de l’amour-propre, qui en ôtent tout le mérite. C’est ainsi que Jésus-Christ a obéi ; il a dit aussitôt : Seigneur, que votre volonté se fasse, et non la mienne. Il faut qu’elle soit généreuse, sans écouter la délicatesse ; et il suffit, pour nous y engager, de penser que Jésus-Christ a obéi, quoiqu’il fût question de sacrifier sa vie et de souffrir le plus cruel de tous les genres de mort. Il faut enfin qu’elle vienne du cœur pour ressembler à.celle du Sauveur, qui dit lui-même que la loi du Seigneur était écrite dans le milieu de son cœur. Quelque rigoureux que soit le précepte, c’est la charité qui l’adoucit et qui en rend l’exécution plus aisée, en même temps qu’elle rend l’obéissance plus méritoire. Aimons la loi, aimons Celui qui l’impose, et notre obéissance sera parfaite.

Sentiments

Dieu tout-puissant, Roi des rois, souverain du ciel et de la terre, qui avez droit de vous faire obéir de toutes les créatures, et de lancer vos foudres sur les têtes criminelles de ceux qui vous résistent, j’unis mon esprit, mon cœur et ma voix à ceux qui vous rendent aujourd’hui leurs hommages comme à leur Souverain, et qui vous reçoivent comme leur Messie et comme leur Dieu. Mais, hélas ! quel triomphe, puisque vous connaissez la fin tragique à laquelle il vous conduit, et que vous n’y paraissez que pour obéir à votre Père céleste ! Vous commencez aujourd’hui à répandre des larmes de vos yeux, en attendant que vous répandiez tout le sang de vos veines, et vous allez faire autant d’actes d’obéissance qu’il se passera de moments jusqu’à ce que vous expiriez sur la croix. Agneau de Dieu, qui allez être immolé pour mes péchés ; victime obéissante, qui allez être sacrifiée pour mon amour, pardonnez-moi mes révoltes et mes désobéissances. Donnez à, mon cœur toute la docilité dont il a besoin pour recevoir vos lois avec tout le respect et toute la soumission qu’elles méritent, et toute l’ardeur, toute la force et tout le courage pour les exécuter sans délai, et pour l’amour de vous seul, afin que mon obéissance soit une parfaite image de la vôtre.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Jésus s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix ; c’est pourquoi Dieu l’a élevé, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom. (Épît. Aux Phil., 3.)

Obéissez à vos maîtres avec crainte et respect, dans la simplicité de votre cœur, comme à Jésus-Christ même ; regardez en eux le Seigneur et non les hommes. (Épît. aux Éphés., 6.)

Les ordres des supérieurs doivent être reçus dans le cœur, à qui il n’est pas permis de raisonner ; mais il doit tellement combattre et anéantir sa propre volonté, qu’il parvienne jusqu’à aimer ce qu’on lui ordonne. (S. Bernard.)

Le parfait obéissant n’use jamais de délai ; il prévient même le précepte ; ses yeux sont toujours prêts à s’ouvrir, ses oreilles à entendre, sa langue à parler, ses mains à travailler, et ses pieds à marcher au premier ordre. (S. Bernard.)

Prière

Dieu tout-puissant et éternel, qui nous avez donné votre adorable Fils pour Sauveur, et qui, par un excès de votre amour pour les hommes, avez voulu qu’il prit une chair mortelle, et qu’il souffrit le supplice de la croix pour nous donner en sa personne l’exemple d’une humilité profonde, d’une obéissance parfaite et d’une charité héroïque, accordez-nous, par votre infinie miséricorde, la grâce, et donnez-nous la force de souffrir avec patience pour la satisfaction de nos péchés, d’obéir en toutes choses à vos ordres, et de profiter des divines leçons que cet adorable Sauveur nous a données sur la croix, en obéissant, en souffrant et en mourant pour notre amour ; afin qu’en participant aux mérites infinis de sa passion et de sa mort, qui est le principe de la vie, nous participions aussi à la gloire de sa résurrection glorieuse. Nous vous en prions par les mérites du même Jésus-Christ, votre Fils adorable et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus parle à Marie

Voici pour la troisième fois que Jésus sur la croix fait entendre sa voix ; et c’est pour parler à sa divine Mère et à Jean son disciple bien-aimé, et chacune de ses paroles est un oracle et un mystère de charité dignes de nos tendresses et de nos réflexions. Cette mère désolée, malgré l’excès de sa peine, qu’un ange n’expliquerait qu’avec un succès médiocre, puisqu’elle était incompréhensible, était cependant debout au pied de la croix, parce que son amour, qui faisait toute sa douleur, faisait aussi toute sa force. Elle était, dis-je, au pied de la croix avec saint Jean l’Évangéliste, et d’autres pieuses femmes qui l’accompagnaient. Elle voyait avec une très vive douleur le corps de son adorable fils tout défiguré et tout percé de plaies ; elle en voyait couler en abondance le sang de tous côtés, sang adorable, qui était le sien quant à l’origine, parce qu’elle en était la mère, et plus mère que toutes les autres mères. Elle voit, dis-je, ce touchant spectacle, sans pouvoir apporter aucun soulagement à son fils et à son Dieu, qu’elle aimait infiniment plus qu’elle-même.

Le cœur de cette mère si tendre était alors percé de ce glaive de douleur que lui avait prédit le saint vieillard Siméon quand il tenait ce Sauveur encore enfant entre ses bras. Sa poitrine retentissait de soupirs et de sanglots ; ses yeux, qui voyaient ce cher fils expirant, fondaient en larmes. Attentive cependant à tous les mouvements de ce Dieu souffrant, chaque fois qu’il remuait la tête ou qu’il ouvrait la bouche ou les yeux, elle le regardait tendrement, pour s’attirer quelqu’un de ses regards ou quelqu’une de ses paroles.

Enfin ce fils adorable, malgré les supplices atroces qu’il endurait, jeta un regard de tendresse sur elle, et il lui dit, en lui montrant saint Jean : Femme, voilà votre fils. Il n’eut garde de l’appeler alors sa mère, parce qu’il ménageait sa tendresse, et que cette expression l’aurait percée d’une nouvelle douleur. En effet, elle en avait déjà autant et plus qu’une créature mortelle, la plus forte et la plus généreuse qui fut jamais, en pouvait porter.

Marie écoute ses paroles avec une attention et un respect extraordinaires, résolue de les exécuter comme le testament de son Dieu. Elle comprend que Jésus, en lui donnant ce disciple pour son fils adoptif, lui donne aussi tous les fidèles pour ses enfants, afin qu’elle remplisse à leur égard toutes les fonctions d’une mère tendre et affectionnée ; et elle s’en est acquittée, elle s’en acquittera dignement jusqu’à la consommation des siècles.

Jésus adresse ensuite la parole à saint Jean, et, lui montrant Marie, il lui dit : Fils, voilà votre mère ; et dans le moment il l’éleva à un ordre supérieur, et, par une grâce spéciale, il lui imprima son esprit de fils à l’égard de cette incomparable mère.

Comme c’était l’amour qui lui faisait endurer la mort, II fallait que ses dernières paroles s’en ressentissent, surtout à l’égard des deux personnes qu’il avait aimées avec le plus de tendresse ; et c’est ainsi qu’il donna un aide, un secours et une consolation à Marie, qui allait être privée de sa présence corporelle, et à son favori une tendre mère parce qu’il allait perdre pour un instant son Dieu, son Sauveur et son amant.

LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE
Jour de Reconnaissance

Pratique

Que votre occupation principale soit aujourd’hui de penser sérieusement aux bienfaits que vous avez reçus de Dieu depuis que vous êtes au monde. Parcourez-les dans un examen particulier. Faites entrer dans ce détail la création, la rédemption, la vocation au christianisme, les sacrements, les grâces générales et particulières, le pardon qu’il vous a accordé dans un temps auquel, s’il vous avait appelé de cette vie, vous n’auriez eu qu’un enfer éternel pour partage. Pensez incessamment à toutes ces grâces ; efforcez-vous de les faire sentir à votre cœur ; demandez souvent à Dieu pardon de vos ingratitudes ; concevez-en une vraie douleur, melée de honte et de confusion : réparez-les de votre mieux en produisant fréquemment des actes d’une tendre et sincère reconnaissance, tels que votre cœur vous les fournira. Ne manquez pas surtout, dans ce saint temps, d’y ajouter pour principal motif la passion et la mort que Jésus-Christ a endurées pour votre amour.

Méditation sur la reconnaissance

Ier POINT. — Marie, ayant pris une livre de baume précieux, le répandit sur les pieds de Jésus-Christ, et les essuya de ses cheveux. (S. Jean, 12.)

Faites attention que la fête de Pâques approchait, aussi bien que le temps auquel Jésus-Christ devait souffrir la mort. Il aimait Lazare, Marthe et Marie, et son bon cœur l’engagea à venir à Béthanie pour lui rendre une dernière visite. Marthe, qu’il avait prévenue de ses grâces, Lazare, qu’il avait ressuscité, et Marie, qu’il avait convertie, le reçurent avec toutes les démonstrations possibles de respect, de tendresse et de reconnaissance. Ils lui donnèrent à souper. Marthe eut l’honneur de le servir à table : Lazare y était aussi ; mais Marie prit à son ordinaire possession de ses pieds adorables ; elle les parfuma d’une livre de baume précieux ; et elle les essuya de ses cheveux.

Elle avait déjà fait la même chose chez le pharisien, où elle avait obtenu par son amour et par ses larmes le pardon de ses péchés. Là, elle demandait, ici elle donne, ici c’est une créature pénétrée d’une vive reconnaissance qui s’efforce de rendre bienfait pour bienfait à son Sauveur, afin de reconnaître la grande grâce qu’elle en a reçue. Dans quelques jours elle se mettra encore aux pieds de Jésus-Christ, quand il sera sur la croix. Il est vrai qu’elle ne pourra ni les baiser, ni les parfumer, ni les arroser de ses larmes, ni les essuyer de ses cheveux ; mais en récompense elle pourra être arrosée du sang qui en sortira : et ce Sauveur, qui ne se laisse jamais vaincre en reconnaissance, lui donnera tout son sang pour les larmes qu’elle lui a données.

Madeleine n’est pas semblable à ces pécheurs ingrats qui, après avoir obtenu de Dieu, le pardon de leurs péchés, oublient la grâce qu’ils ont reçue, et font souvent consister toute leur reconnaissance dans les nouveaux outrages qu’ils lui font, semblables à ces nues qui ne sont pas plus tôt tirées des exhalaisons de la terre, qu’elles s’épaississent pour cacher le soleil, à qui elles sont redevables de leur élévation.

Madeleine reconnaît son bienfaiteur, elle l’invite, elle le reçoit, elle lui donne avec profusion ce qu’elle a de plus précieux ; elle se jette à ses pieds, et elle en sera inséparable dans tout le cours de sa passion ; elle lui verra rendre les derniers soupirs, elle souffrira avec lui, pour lui et par lui ; elle le cherchera même pour l’embaumer après sa mort, et tant qu’elle restera sur la terre après lui, elle lui marquera son amour et sa reconnaissance.

Heureux, dit saint Bernard, celui qui lui ressemble et qui se fait une étude de rechercher, de recueillir et de rassembler tous les bienfaits qu’il a reçus de Dieu, de les graver dans sa mémoire, d’y appliquer son esprit, de les sentir dans son cœur, et de lui en rendre de continuelles actions de grâces !

Que cette réflexion vous engage à un sérieux examen sur cet important article. Demandez-vous à vous-même si vous vous êtes jamais bien appliqué à rechercher les obligations infinies que vous avez à Dieu depuis que vous êtes au monde, et ce que vous avez fait pour le reconnaître, et si vous n’avez pas de sujet de craindre d’être traité comme un ingrat au jugement dernier.

IIe POINT. – Et toute la maison fut remplie de l’odeur de ce baume.

La reconnaissance n’est donc pas parfaite, si la bonne odeur ne s’en répand dehors, et si elle n’est effective. Le cœur de Madeleine est si pénétré de reconnaissance pour la grâce qu’elle a reçue de Jésus-Christ chez le pharisien, qu’elle veut que tout le monde sache combien elle lui est redevable. Elle agit, elle se prosterne en public, elle donne, elle s’abaisse, elle s’humilie ; et l’odeur de cette action se répand partout.

Ainsi, la vraie reconnaissance doit être effective. Elle ne consiste pas dans le souvenir et dans le sentiment, mais dans l’action. C’est à la vérité un souvenir, une persuasion et un sentiment du bienfait ; mais c’est encore un retour sincère, qui tire les actions de grâces de la bouche et les bonnes œuvres des mains.

Pour vous exciter à pratiquer cette reconnaissance publique et effective, travaillez à la bien connaître. C’est une vertu fondée sur la justice et consacrée par la nature, par la raison et par la religion, qui met tout en usage pour rendre le bienfait reçu. La nature l’inspire, la raison le persuade, et la religion le prescrit. Le laboureur donne à la terre, et la terre lui rend ; la raison apprend que tout homme qui reçoit contracte, et qu’il devient débiteur ; ainsi, qu’il faut rendre selon son pouvoir.

Ça été la pratique des patriarches, et ce doit être celle de tous les chrétiens. Noé, après le déluge, offrit aussitôt à Dieu un sacrifice en actions de grâces, et il immola un animal de chaque espèce. (Gen., 8.) Abraham bâtit un autel dans l’endroit même où Dieu lui fit cette fameuse promesse en faveur de sa postérité ; et Jacob en fit autant pour remercier Dieu de l’avoir délivré de son frère Ésaü. (Gen., 33.) Suivez ces traces, si bien marquées dans les divins oracles, et renouvelées bien plus authentiquement dans l’unique sacrifice de la nouvelle loi, qui s’appelle un sacrifice eucharistique, c’est-à-dire d’actions de grâces. Remerciez le Seigneur aussitôt que vous en avez reçu quelque faveur, et faites en sorte que votre reconnaissance lui soit agréable.

Souvenez-vous que la reconnaissance est une dette : c’est une obligation écrite dans le fond de votre être en caractères ineffaçables. Vous avez tout reçu de Dieu, et vous en recevez des grâces dans tous les moments de votre vie, quand ce ne serait que la conservation, qui est toujours une création nouvelle. Ne pas connaître Dieu, c’est une injustice criante et une ingratitude énorme ; c’est non seulement l’offenser, c’est encore s’offenser soi-même ; c’est se boucher le canal des faveurs que nous pourrions attendre du Ciel. Les fleuves de grâces, dit saint Bernard, doivent retourner d’où ils coulent, afin qu’ils coulent de nouveau sur nos âmes avec plus d’abondance ; sans ce retour et sans ce reflux, ils ne reviennent jamais.

Saint Augustin louait la pieuse coutume des catholiques de son temps, d’avoir toujours l’action de grâces à la bouche, et de se saluer par un Deo gratias. Que pouvons-nous penser, dit ce Père, que pouvons-nous prononcer, et qu’écrire de meilleur ? Rien de plus court et de plus facile à réciter, rien de plus agréable à entendre, rien de plus grand à méditer, et rien de plus profitable à pratiquer.

Sentiments

Source féconde et intarissable de grâces et de miséricordes, principe adorable et plénitude infinie de tous biens, je vous dois tout, et je ne suis rien que par vous. Mon corps, mon âme, mes talents et tout ce que je possède de biens corporels et spirituels, ne viennent que de vos libéralités ; mais, hélas ! je ne puis penser que mon ingratitude ne se présente à mes yeux et ne me couvre de honte et de confusion. Vous m’avez créé par votre puissance, conservé par votre providence, racheté par votre bonté, et au prix de tout votre sang ; vous m’avez pardonné par votre miséricorde, au lieu de me punir ; vous m’avez nourri de votre propre substance, et vous m’avez mérité et promis une gloire éternelle, en me fournissant les moyens pour y parvenir. Hélas ! où est ma reconnaissance ? Tant de bienfaits devraient être gravés profondément dans ma mémoire ; mon esprit y devrait penser incessamment, mon cœur les sentir, ma bouche les publier ; et je devrais m’immoler pour vous marquer ma reconnaissance ; cependant je ne l’ai pas fait, et mon ingratitude mériterait des supplices éternels. Pardon, ô mon divin bienfaiteur ; je veux la réparer, en protestant que je ne veux plus penser, aimer, travailler, vivre et mourir que pour vous.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Tout ce que vous ferez ou en parlant, ou en agissant, faites-le au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père. (Épît. aux Col., 3, 17.)

Chantez et psalmodiez du fond de votre cœur à la gloire du Seigneur, rendant grâces en tout temps et pour toutes choses à Dieu le Père au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Épît. aux Ephes., 5,19.)

Quand je pense aux bienfaits que j’ai reçus de Dieu, à ceux que j’en reçois tous les jours, et à ceux qu’il prépare à tous ceux qui l’aiment, je sens dans mon âme des accents ineffables et des transports d’amour et de reconnaissance. (Cassien.)

Ma reconnaissance est parfaite, si je suis convaincu que tout bien vient de Dieu, si j’y pense souvent, si je le sens comme je dois, et si je lui rends de continuelles actions de grâces, de l’esprit, du cœur, de la bouche et des mains. (S. Bonaventure.)

Prière

Secourez-nous, ô mon Dieu, soyez notre force dans notre infirmité. Vous voyez que nous gémissons sous le poids de nos misères, et que nous avons le malheur de succomber souvent, et dans les tentations qui nous attaquent, et dans les afflictions qui nous accablent, parce que nous n’avons pas recours à vous, et que nous nous laissons trop aller au penchant qui nous entraîne, trop abattre à la douleur, et que nous nous sommes rendus indignes de recevoir de vous de nouvelles grâces, par notre ingratitude à reconnaître les anciennes. Soutenez-vous, Dieu de force et de bonté, dans nos disgrâces et dans nos misères, dont nos seuls péchés sont la cause. Accordez-nous, par la passion de Jésus-Christ votre Fils, de respirer au milieu des maux qui nous pressent ! que la faiblesse de ce Dieu souffrant nous fortifie ; que ses douleurs guérissent les nôtres ; que son innocence efface nos péchés ; que sa mort précieuse nous vivifie ; que son sang adorable nous purifie de toutes nos souillures ; et qu’enfin il nous ouvre les portes du ciel. Nous vous en prions par ce même sang que ce Fils adorable a répandu pour notre amour.

Point de la Passion

Plaintes de Jésus à son Père

Depuis la sixième heure de la journée dans laquelle Jésus fut crucifié jusqu’à la neuvième, à compter selon la manière des Juifs, toute la terre fut couverte de ténèbres, parce que la vraie lumière, qui est Jésus-Christ, allait s’éclipser et priver la terre pour quelque temps de la présence de son humanité. Le soleil disparut, il s’éclipsa, et il refusa d’éclairer les hommes qui faisaient mourir leur Sauveur et leur Dieu. Cette noble créature, quoique insensible, se cacha pour ne pas voir la mort de son divin Auteur ; cet astre se couvrit d’un voile pour marquer sa tristesse, et pour en inspirer à tous les hommes, qui perdaient le vrai Soleil en perdant Jésus-Christ ; et il s’abîma, pour ainsi dire, dans une nuée la plus obscure et la plus épaisse qui fut jamais, pour punir, par la soustraction et le refus de ses clartés, les auteurs d’un si cruel parricide. Ce fut alors que le Sauveur en croix, et tout enveloppé de ténèbres, ouvrit la bouche pour la quatrième fois, et qu’adressant la parole à Dieu son Père, il dit en criant de toutes ses forces : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti Me ? C’est ici la nature humaine qui se plaint amèrement, parce qu’elle souffre des supplices insupportables, sans que personne lui procure aucun adoucissement. La tête de ce Sauveur expirant, environnée d’épines, serrée cruellement, et percée de tous côtés, n’a que le bois de la croix pour se reposer. Ses yeux languissants et baignés de larmes ne voient que de cruels ennemis qui le raillent, qui l’outragent et qui le maudissent comme s’il était le plus scélérat de la terre. Ses mains percées et sanglantes, aussi bien que ses pieds, lui font sentir à chaque moment des douleurs aiguës. Son propre peuple, qui devait le chérir parce qu’il l’avait comblé de faveurs, insulte à sa peine au lieu de le plaindre.

Il est vrai que les anges du ciel, qui sont ses créatures, auraient voulu, dit saint Bernard, emprunter de la nature humaine des corps sensibles pour souffrir ce qu’il endurait, des larmes pour pleurer, et du sang pour le répandre à sa place et pour épargner le sien : et si une puissance supérieure ne les retenait, ils abîmeraient dans l’enfer tous les ennemis de ce Dieu souffrant ; mais ils sont dans l’impuissance, et la justice du Père céleste, irrité contre les pécheurs, veut que son propre Fils porte la peine du péché.

Jésus, ainsi abandonné de toutes les créatures, livré à des supplices inouïs, n’a pour toute ressource que son propre Père ; et son cœur brisé de tous côtés est obligé de s’adresser à lui par une plainte amoureuse, pour trouver en lui quelque consolation et quelque soulagement à sa douleur. Hélas ! quelle ressource ! Vous parlez, ô mon Jésus, vous criez Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Quel incompréhensible mystère ! Vous me laissez sans aucun secours sensible, quoique vous me voyiez submergé dans cette mer de douleur. Tout mon sang tombe à terre, et il est foulé aux pieds sans respect par mes plus cruels ennemis ; mes plaies sont douloureuses, et on n’y met point d’appareil ; je gémis sans être secouru, je crie sans être écouté.

Voilà les tristes plaintes de la nature humaine dans Jésus-Christ. N’y serons-nous pas sensibles ? et refuserons-nous quelques larmes à un Dieu sauveur qui nous donne tout son sang ? Ah ! Seigneur, nous serions bien ingrats et bien insensibles ! Nous allons graver dans nos cœurs, en caractères ineffaçables, la douleur de votre mystérieux abandon de la part d’un Dieu qui vous aime d’un amour infini, et qui vous a toujours écouté et exaucé. Ne nous abandonnez jamais, ô adorable Sauveur, faites-nous plutôt la grâce et inspirez-nous la force et le courage d’abandonner toutes choses pour ne nous attacher jamais qu’à Vous.

MARDI SAINT
Jour de Souffrance

Pratique

Comme nous sommes dans une semaine toute sainte, parce qu’elle est consacrée par l’Église à la mémoire de Jésus souffrant, revêtez-vous de cet esprit et faites-vous une pratique continuelle des souffrances. Formez de généreuses dispositions de souffrir, dans un esprit de foi, de pénitence et de conformité avec Jésus-Christ, toutes les afflictions qu’il lui plaira de vous envoyer, et de vous mortifier vous-même en toutes choses, quand vous n’aurez pas d’ailleurs l’occasion de souffrir. Ayez toujours devant les yeux ce divin et douloureux modèle ; souffrez pour lui, avec lui, et comme lui. Allez souvent en esprit, tantôt dans le jardin, où son âme souffre une triste agonie, qui lui fait répandre du sang de tout son corps, tantôt dans le prétoire, où il est flagellé et couronné d’épines ; et tantôt sur le Calvaire, Où il est crucifié. Surtout faites-vous aujourd’hui une loi inviolable de ne rien accorder à vos sens qui puisse les flatter ; et offrez toutes vos mortifications à Jésus souffrant.

Méditation sur les souffrances

Ier POINT. — Pour moi, j’étais comme un agneau plein de douceur, qu’on porte pour en faire une victime. (Jér., 11.)

Jérémie parle ici, littéralement de lui-même, comme particulier, sur les persécutions qu’il a endurées ; mais, comme prophète, il parle de Jésus-Christ, qui est cet agneau immolé en figure, dès le commencement du monde, dans l’innocent Abel, et depuis dans l’agneau pascal, et dans tous les sacrifices d’agneaux qui étaient prescrits par la loi ; mais en réalité c’est l’Agneau désigné par Jean-Baptiste quand il disait en montrant Jésus-Christ : Voilà l’Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte les péchés du monde.

Voici donc cet agneau si doux et si patient, qui va se laisser porter à la mort parce qu’il nous aime et qu’il est chargé de tous nos péchés pour en porter la peine. Cet Agneau, qui est Dieu, va faire sur la croix une union surprenante de deux qualités qui avaient toujours été séparées, c’est-à-dire de victime et de sacrificateur. Comme victime, il va payer toutes nos dettes ; comme sacrificateur, il va offrir le premier sacrifice de notre religion. La croix en sera le premier autel, le berceau sanglant où tous les fidèles prendront naissance, et le fondement inébranlable qui soutiendra tout l’édifice du christianisme.

De là vient que le christianisme ne s’est établi dans tout le monde que par des souffrances ; il ne peut aussi s’établir et se soutenir dans nos âmes que par elles ; et c’est à nous, dit saint Paul, à voir comment nous édifierons sur ce fondement, en marchant sur les traces sanglantes de Jésus souffrant. (1re Épît aux Cor., 3.)

Si vous avez jamais fait une sérieuse réflexion sur la conduite de Dieu à votre égard, vous conviendrez que, quand vous vous êtes écarté de vos devoirs, c’est par la souffrance que Dieu vous a ramené au sentier de la religion, que la prospérité vous avait fait oublier.

En effet, alors nous levons, par nécessité, les yeux au ciel, nous invoquons le Seigneur, la grâce agit sur nos âmes, nous commençons à connaître que ces souffrances nous étaient nécessaires pour retracer dans nos cœurs les caractères du christianisme presque effacés. Nous sentons l’extrême faiblesse des créatures à qui nous avons eu recours dans les prémices de notre douleur, et persuadés de la faiblesse de cette ressource, qui ne nous a produit tout au plus que quelque consolation stérile, qui ne nous a point délivrés de notre souffrance, nous recourons à Dieu, en qui nous trouvons tout ce que nous avons souhaité quand nous y avons recouru de tout cœur, et nous nous sentons forcés agréablement de dire avec le Prophète : Ah ! Seigneur, je connais que cette disgrâce est un bien pour moi, parce qu’elle m’a fait comprendre que je n’étais pas encore instruit de vos lois ni de ma religion. (Ps. 118.)

Nous tirons enfin la même conséquence que tirait le Prophète quand il disait : Mon âme, soyez donc soumise à Dieu. (Ps. 61) ; car il faut nécessairement en revenir à cette conclusion. La foi jointe à la souffrance y conduit insensiblement et l’esprit et le cœur. On se dit à soi-Même : Un innocent a souffert ; il faut à plus forte raison que je souffre, moi qui suis pécheur : si je refuse de souffrir, je porte indignement le nom de chrétien, parce que je ne suis pas conforme à Jésus-Christ, qui n’a établie le christianisme que par les souffrances.

IIe POINT. — Mettons du bois dans son pain, exterminons-le de la terre, et que son nom soit effacé de la mémoire des hommes. (Jér., 12)

C’est-à-dire, selon les saints Pères, mêlons un bois empoisonné dans son pain pour le faire mourir, ou bien donnons-lui à la place de son pain le bois mortel de la croix, pour l’exterminer, pour effacer son nom, c’est-à-dire pour le perdre de réputation parmi les hommes.

Si vous examinez bien ces paroles, vous y trouverez trois sanglants outrages, qui sont cependant tournés à la gloire de Jésus souffrant. Premièrement, ses ennemis veulent empoisonner son pain avec du bois ; et ce Sauveur est lui- même le pain vivant qui guérit du poison, et qui donne la vie aux hommes. Par ce bois mortel ils veulent l’exterminer ; et c’est par ce même bois que ce Roi des rois établira son empire sur toute la terre. Enfin ils veulent effacer son nom de la mémoire des hommes ; et c’est par ses souffrances que son adorable nom sera respecté du ciel et de la terre, et même des enfers.

En un mot, c’est par les souffrances, dit l’Apôtre, que Jésus-Christ a acquis sa gloire. Ce n’est par conséquent que par les souffrances que vous méritez celle qui vous est promise. Recevez-les avec patience, unissez-les à celles de Jésus-Christ. Il les adoucira, et elles produiront sûrement un bonheur éternel.

Regardez les souffrances qui tous arrivent comme un fonds qui produit un autre fonds. Quand vous les endurez avec patience, Dieu vous en donne l’intérêt pendant cette vie. Cet intérêt, c’est sa grâce, c’est Son amour, c’est l’onction, c’est la douceur, c’est la paix de l’âme, c’est la joie spirituelle. L’autre fonds que les souffrances produisent entre les mains de Dieu, c’est une gloire infinie, c’est la possession d’un bonheur et d’un royaume éternels. Quelle abondante et quelle innocente usure ! quel riche contrat ! quel avantageux commerce ! Qu’y mettez-vous de votre côté ? Presque rien : une privation, une perte, un mépris, une douleur soutenue avec patience ; et Dieu y met de son côté sa protection, son amitié, son sang, son royaume. Votre résignation l’appelle à votre secours ; il y vient, il y fait sentir son adorable présence, il est en tribulation avec vous, il porte la meilleure partie de votre peine, il vous aide à porter l’autre : il vous console, il essuie vos larmes, il vous sanctifie, enfin il vous couronne.

Concluez de là qu’il n’y a que les souffrances des pécheurs impatients qu’on puisse appeler de vraies souffrances. Ils boivent toute l’amertume du calice, parce qu’ils souffrent sans consolation ; ainsi toutes leurs croix sont sans onction ; ils n’ont garde d’y trouver Dieu, parce qu’ils ne l’y cherchent pas. Un homme du monde qui a toujours été l’esclave de sa chair, qui n’a rien refusé à ses sens, et qui n’a été attentif qu’a chercher le plaisir, s’alarme à la moindre douleur, il est ingénieux à augmenter sa peine sans la rendre méritoire. Il est vrai que, dès qu’il souffre, il cherche le soulagement dans les créatures et dans les plaisirs ; mais s’il a un peu de foi, il doit convenir qu’avoir recours à ce prétendu remède, c’est tromper ou tout au moins étourdir sa douleur, et non pas la vaincre.

Sentiments

Agneau doux et patient, qui vous laissez porter sur l’autel de la croix pour être la victime de mes péchés, qui laissez répandre votre sang précieux jusqu’à la dernière goutte pour épargner le mien ; qui souffrez les plus cruels supplices pour me délivrer de ceux de l’enfer et pour me procurer les plaisirs éternels, et qui mourez enfin de la mort la plus douloureuse pour me donner la vie de la grâce et la vie de la gloire, apprenez-moi, dans ce saint temps consacré à vos souffrances et à votre mort, à souffrir pour votre amour et pour mes péchés, et à mourir à tous les plaisirs des sens et à moi-même, pour ne vivre qu’à vous seul. Je ne puis penser à vos douleurs, ni vous suivre en esprit dans toutes les routes sanglantes de votre passion, que mon cœur ne pousse de profonds gémissements sur mes lâchetés, sur mes délicatesses, et sur le mauvais usage des souffrances que vous m’aviez ménagées pour racheter mes péchés et pour acheter le ciel, sans que ma conscience me reproche d’avoir porté avec tant d’indignité le nom de chrétien, n’ayant pas rempli un seul des engagements les plus essentiels, qui consistent à vous imiter dans vos souffrances. C’est, ô mon Sauveur, ce que je veux réparer avec votre grâce, en vous disant dès à présent avec Augustin pénitent : Brûlez, coupez, Seigneur, pendant que je suis dans ce monde, pourvu que vous m’épargniez dans l’éternité. Humiliez cet esprit orgueilleux qui s’est tant de fois révolté contre vous ; privez ce cœur charnel de tout autre plaisir que de celui de vous aimer, parce qu’il a trop aimé les plaisirs des sens ; et que cette chair pécheresse soit exposée aux douleurs les plus aiguës, pour lui faire expier ses délicatesses, pourvu que vous me souteniez et que vous me donniez votre grâce en cette vie, et votre gloire en l’autre.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Ne fallait-il pas que Jésus-Christ souffrit toutes ces choses, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire ? (S. Luc., 24.)

C’est par beaucoup de peines et de souffrances que nous devons entrer dans le royaume de Dieu. (Act. 14.)

Il est beaucoup plus avantageux de parvenir à un bonheur éternel après quelques souffrances, que de descendre dans les enfers après avoir goûté quelques plaisirs. (S. Augustin.)

Une âme soupire avec d’autant plus d’ardeur vers la céleste patrie, qu’elle est plus exposée à la souffrance dans cette vie mortelle. (S. Grégoire.)

Prière

Lumière éternelle, souverain scrutateur des cœurs, qui connaissez à fond notre incapacité et notre faiblesse, préparez-nous vous-même à célébrer dignement le mystère de la passion et de la mort de votre adorable Fils. Éclairez nos esprits, pour entrer dans les circonstances de ses humiliations et de ses souffrances intérieures et extérieures, pour les méditer avec un esprit de foi, de religion, de piété et d’amour, pour en tirer toute l’instruction qui nous est nécessaire pour notre sanctification. Embrasez nos cœurs ; pénétrez-les d’une vraie douleur d’avoir été la cause de tant d’outrages qu’il a endurés. Faites-leur ressentir par conformité les douleurs et les peines que ce Fils bien-aimé a souffertes pour notre amour : attachez-nous, comme l’Apôtre, à la croix de Jésus ; appliquez-nous-en les mérites, afin que, par cette passion, nous obtenions la rémission de tous nos péchés et la possession de la gloire éternelle.

Point de la Passion

Jésus dit qu’il a soif

C’est ici la cinquième parole que Jésus-Christ a dite sur la croix ; et c’était la nature humaine qui, souffrant une soif extrême, forma sa plainte, et s’exprima par cette seule parole : Sitio, J’ai soif. Cette plainte était juste, et ce fut une extrême nécessité qui la tira de sa bouche ; car depuis le commencement de la nuit précédente jusqu’à l’heure de none, cet adorable Sauveur n’avait pris aucun rafraîchissement. Il avait fait plusieurs voyages fatigants du jardin des Oliviers à Jérusalem ; et dans cette ville on l’avait traîné avec violence de tribunaux en tribunaux fort éloignés les uns des autres. Enfin il était sorti de Jérusalem, et, chargé de sa croix, il avait monté la montagne du Calvaire avec une peine extrême.

D’ailleurs il avait enduré une infinité de supplices différents avant d’être attaché à la croix. Il avait perdu beaucoup de sang dans sa flagellation, dans son couronnement d’épines, et par les plaies cruelles de ses mains et de ses pieds. Sa poitrine adorable était toute desséchée et tout en feu : et il pouvait dire alors avec son Prophète : Je suis desséché comme un têt de pot cassé, et ma langue est attachée à mon palais. (Ps. 21.) Ainsi il n’est pas étonnant que ce Dieu attaché en croix s’en plaignît, et qu’il dît modestement cette seule parole : Sitio, J’ai soif. Des bourreaux entendirent cette plainte ; et comme ils n’étaient occupés qu’à inventer de nouveaux supplices pour le faire souffrir, loin de le soulager dans cet extrême besoin, ce qu’on ne refuse pas aux plus grands scélérats de la terre qu’on va faire mourir pour leurs crimes, au lieu d’étancher sa soif par un peu d’eau, ils lui donnent avec une éponge un cruel breuvage, composé de fiel et de vinaigre, afin que l’intérieur du corps de Jésus-Christ souffrît son supplice aussi bien que l’extérieur, et que sa langue, sa bouche, sa gorge, son estomac et sa poitrine, abreuvés d’une cruelle amertume, rendissent sa passion aussi universelle qu’elle était douloureuse, et que tout souffrît dans sa personne.

Cruels ! s’écrie un saint Père, n’êtes-vous pas contents de ce que Jésus-Christ endure et a enduré jusqu’à ce moment ? Tout son corps en sang ne vous fournit-il pas un spectacle assez touchant ? Votre fureur n’est-elle pas assouvie ? Ces plaies innombrables, cette situation cruelle, ce sang répandu n’ont-ils pas pleinement satisfait et votre haine et votre envie ? Mais faut-il, ô mon Dieu, que vous, qui êtes la douceur même, ne soyez rassasié que de fiel par ceux mêmes à qui vous présentez votre grâce et votre miséricorde, et à qui vous donnez tout votre sang ! Vous êtes l’objet des plus agréables désirs, le centre de la plus suave, de la plus délicieuse et de la plus innocente volupté ; cependant vous ne recevez que de l’amertume de la part de vos créatures !

Cœurs barbares ! rendez-vous à la grâce qui vous sollicite ; reconnaissez dans cet homme couvert de plaies et de sang un Dieu sauveur qui souffre et meurt pour vous. Pleurez vos péchés, faites-lui un breuvage de vos larmes pendant qu’il vous donne tout son sang ; et vous étancherez agréablement la soif qu’il endure, qui est moins une soif naturelle, causée par son excessive sécheresse, qu’une soif ardente qu’il a du salut de tous les hommes. Il est moins altéré de cette eau, qui rafraîchit la langue, que de la conversion des pécheurs. Pour vous en donner une preuve authentique, il vient de réunir tout ce qu’il a de forces pour demander à son Père qu’il vous pardonne. Il compte pour rien de souffrir, pourvu que ces douleurs vous ouvrent le ciel. Accordez-moi, Seigneur, la grâce de profiter de cette soif et de cette amertume ; de n’avoir dorénavant point de plus violente soif que celle de la justice ; de me soumettre aux amertumes des souffrances, et de renoncer aux douceurs empoisonnées de la volupté.

MERCREDI SAINT
Jour de Patience

Pratique

Ne perdez point aujourd’hui la présence de Jésus souffrant, dont le prophète Isaïe nous fait une si vive peinture et un si douloureux détail dans l’épître de la sainte messe. Ne vous appliquez pas seulement aux outrages et aux douleurs excessives qu’il endure, mais à la douceur et à la patience héroïques qu’il pratique en souffrant. Gémissez souvent dans la journée sur vos impatiences passées, et qui vous ont ravi tout le mérite que vous auriez remporté de vos souffrances. Ne vous plaignez de rien ; quelque chose que vous enduriez, persuadez-vous que vos souffrances ne sont rien en comparaison de celles de Jésus-Christ, et que vous méritez de souffrir parce que vous êtes pécheur. Faites donc souvent des actes de soumission, d’acquiescement, de conformité à la volonté de Dieu, avec un cœur toujours disposé à souffrir : c’est ainsi que vous acquerrez la patience, et que vous mériterez les couronnes éternelles qui vous sont préparées.

Méditation sur la patience

Ier POINT. — Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, un homme de douleurs, qui sait ce que c’est que de souffrir. (Isaïe, 53.)

Rien n’est plus fort ni plus pressant pour nous engager à la patience que l’exemple d’un Dieu Sauveur. Ce qu’en disent les Évangélistes est divin pour établir la patience d’un chrétien sur celle que Jésus-Christ a pratiquée dans sa vie mortelle, et surtout dans le cours de sa passion ; mais ce qu’en dit le prophète Isaïe a, dans un sens, encore plus de poids, et porte un caractère singulier de divinité qui impose, parce qu’il parle huit cents ans auparavant, que sa prophétie a été justifiée par l’événement, et qu’il en marque toutes les circonstances, comme s’il avait vu ce Sauveur sur le Calvaire entre les mains de ses bourreaux ; au lieu que les évangélistes ne disent que ce qui s’est passé.

Nous l’avons vu, dit ce prophète, c’est-à-dire par l’Esprit de Dieu, sans beauté et sans éclat. Il nous a paru un objet de mépris, un homme de douleurs, qui sait ce que c’est que de souffrir. En effet, il a souffert la soif, la faim ; il a pleuré, il a soupiré, il a été outragé et couvert de plaies et de meurtrissures, dit le Prophète : ce n’est pas assez, il a enduré avec une patience héroïque toutes ces douleurs. Voilà le divin original que nous devons imiter ; voilà le modèle de patience que l’Église nous met aujourd’hui devant les yeux ; c’est à nous à le suivre.

Comparez à présent avec confusion ce que vous souffrez et ce que vous avez jamais souffert avec ce qu’endure cet homme de douleurs, cette beauté sans pareille, devenue difforme et méconnaissable par ses plaies innombrables ; ce souverain méprisé, devenu le dernier des hommes ; et cet auteur de la vie exposé à souffrir le plus cruel et le plus honteux de tous les genres de mort.

N’en demeurez pas là ; mais comparez la manière dont il souffre avec la vôtre. Vous verrez dans ce Dieu souffrant une douceur, une paix, un silence et une patience héroïques, quoiqu’il endure les plus cruels supplices ; et vous ne verrez peut-être en vous que plaintes, que murmures et qu’impatiences, quoique vos douleurs ne soient rien en comparaison des siennes ; quoiqu’il soit innocent, et que vous soyez pécheur.

Gémissez d’être si peu conforme à ce divin modèle, qui n’a souffert que pour vous délivrer de la mort et de l’enfer, et pour vous donner en sa personne un exemple de patience. Rougissez même de ne pas ressembler à ces premiers chrétiens, lesquels, avec un cœur et une chair sensibles comme vous, souffraient cependant avec tant de patience, que l’apôtre saint Paul leur met ces admirables paroles en la bouche : Nous nous glorifions dans les afflictions, persuadés que l’affliction produit la patience ; la patience, l’épreuve ; l’épreuve, l’espérance ; et que l’espérance n’est point trompeuse.

Pesez ces paroles au poids du sanctuaire. Examinez si vous seriez assez hardi pour les prononcer avec vérité prenez garde, au contraire, que l’affliction ne produise chez vous l’impatience, et que, manquant d’épreuves par votre faute, vous ne manquiez aussi d’espérance pour les biens célestes.

IIe POINT. — Il a été mené à la mort comme une brebis qu’on va égorger, et il n’a pas ouvert la bouche, comme un agneau devant celui qui le tond.

L’événement a pleinement justifié cet oracle sanglant. Enfin cet agneau si doux et si patient s’est non seulement laissé ôter sa laine sans se plaindre, c’est-à-dire ses habits, mais encore sa peau, sa chair, son sang et sa vie, sans ouvrir la bouche, lui qui pouvait exterminer et abîmer ses juges et ses bourreaux ; car cet agneau était en même temps le lion de la tribu de Juda, qui a dépouillé les puissances et les principautés, et qui a triomphé du péché, de la mort et de l’enfer : cependant il souffre, et il garde le silence ; et c’est par son invincible patience qu’il a vaincu tous ses ennemis, et qu’il a appris aux martyrs à vaincre les tyrans et à surmonter les supplices et la mort même.

Souvenez-vous de cet oracle consolant du Sauveur quand il préparait ses apôtres aux souffrances, et qu’il leur disait : Vous serez trahis, livrés et haïs de tout le monde ; mais c’est par la patience que vous posséderez vos âmes. (S. Luc, 21.) Pratiquez-la, cette patience, et vous posséderez votre âme tout entière, sans crainte de la perdre, et sans crainte de tomber dans l’écueil de la vanité et de l’amour-propre, auquel les autres vertus sont exposées. Par exemple, dans le zèle, on craint l’humeur et la colère qui s’y cachent souvent ; dans la prière, on craint la distraction ; dans le jeûne, l’hypocrisie ; dans la mortification, la propre volonté ; dans l’aumône, la vanité ; dans la charité, le respect humain : mais on ne craint aucune de ces disgrâces dans l’exercice de la patience ; et c’est ainsi qu’on possède son âme tout entière.

Pratiquez-la, cette patience, à l’exemple de Jésus souffrant : vous serez bientôt parfait, parce qu’elle vous conduira à toutes les autres vertus, et qu’elle les renferme, ce qui faisait dire à l’apôtre saint Jacques que la patience était une œuvre parfaite. On y trouve, en effet, la justice, l’obéissance, la force, l’humilité et le sacrifice. La justice sy trouve parce qu’elle est une vraie satisfaction pour les péchés ; l’obéissance, parce qu’elle endure ce que Dieu lui ordonne, et qu’elle soumet l’esprit et le corps à la peine ; la force, parce qu’elle apprend à surmonter généreusement la douleur ; l’humilité, parce qu’elle se soumet à la peine ; qu’elle croit mériter ; le sacrifice, parce qu’elle sacrifie au Seigneur le plaisir, rien n’étant plus agréable à Dieu, dit le Prophète, que le sacrifice d’un cœur brisé de douleur. (Ps. 50.)

Cependant, en pratiquant la patience, prenez soin de la pratiquer sans aucune vue humaine ; car il y a une patience qui vient de la cupidité, et une patience qui vient de la charité. Un mondain souffre avec patience les mépris, les insultes et les outrages pour parvenir à ses fins perverses. L’orgueil, l’ambition, l’avarice et les autres passions, ont leurs faux martyrs ; leur patience n’est qu’un vrai fantôme de la patience chrétienne. Mais un vrai chrétien, qui pratique la patience dans ses maux parce qu’il croit les mériter, parce qu’il veut obéir à Dieu et satisfaire à sa justice, parce qu’il veut l’imiter dans ses souffrances, parce qu’il veut lui donner des marques de son amour et qu’il veut acheter le ciel, est le vrai patient à qui Jésus-Christ a promis un royaume éternel. Est-ce ainsi que vous la pratiquez ?

Sentiments

Vous êtes, ô mon Dieu, ma patience, s’écriait le Roi-Prophète ; ainsi je ne puis souffrir avec patience que vous ne soyez avec moi par votre grâce ; vous en êtes le principe, le modèle et le terme ; vous l’inspirez ; vous en donnez l’exemple, et vous la couronnez ; vous en êtes l’adorable principe. (Ps. 70.) Quand je suis exposé à la douleur, c’est de vous, Seigneur, disait encore le Prophète, que vient ma patience, et c’est de vous qu’elle tire tout son mérite. Vous en êtes encore le modèle ; vous l’avez pratiquée d’une manière héroïque ; vous vous êtes laissé traîner aux tribunaux, flageller, couronner d’épines et attacher à la croix, sans ouvrir la bouche ; et quand je suis exposé à la douleur, je n’ai qu’à lever les yeux sur le Calvaire, et suivre l’exemple de patience que vous m’avez montrée sur cette montagne sanglante. Mais, Seigneur, vous en êtes encore le motif, le terme et la récompense. Ainsi je veux souffrir sans me plaindre, pour l’amour de vous seul, sans mélange d’aucune vue humaine. Mais soutenez ma faiblesse, animez mon courage, fixez mon inconstance, et donnez-moi la force de soutenir avec une patience héroïque tous les mépris, toutes les humiliations et toutes les souffrances de la vie, pour mériter la couronne que vous avez promise à ceux qui souffrent pour votre amour.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Nous nous glorifions dans les afflictions, sachant que l’affliction produit là patience ; la patience, l’épreuve ; l’épreuve, l’espérance ; et cette espérance n’est pas trompeuse. (Épît. aux Rom., 5)

La patience vous est nécessaire, afin que, faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis. (Épît. aux Héb., 10.)

La patience fait des martyrs ; elle conserve le dépôt de la foi ; elle surmonte tous les maux, non en résistant, mais en supportant ; non en murmurant, mais en rendant grâces à Dieu. (Cassiodore.)

C’est la patience qui fournit des armes invincibles aux combattants ; c’est la patience qui terrasse les ennemis ; elle en triomphe avec gloire, et elle met la couronne sur la tête du vainqueur. (S. Augustin.)

Prière

Regardez-nous, Seigneur, d’un œil de bonté dans les maux continuels qui nous accablent. Nous sentons vivement le poids de nos misères, et nous avons besoin de patience pour les supporter avec mérites. Mais, hélas ! nos plus grandes misères sont les péchés que nous avons commis, et que nous commettons encore tous les jours. Nous pleurons, nous gémissons, nous demandons miséricorde ; vous nous l’accordez, ô Dieu de bonté, et nous retombons presque aussitôt que vous nous l’avez accordée. Voilà les vrais maux qui nous pressent. Mais si nos gémissements et nos larmes sont trop faibles, nous vous présentons aujourd’hui les gémissements, les larmes et le sang de Jésus-Christ, votre adorable Fils ; nous vous présentons son agonie, sa sueur de sang, sa mort et la patience héroïque avec laquelle il a souffert : c’est ainsi que nous espérons en votre miséricorde. Nous vous la demandons par ce même Jésus-Christ, votre Fils et notre Seigneur.

Point de la Passion

Jésus dit que tout est consommé

Jésus ayant goûté l’horrible breuvage que les Juifs lui avaient présenté comme le dernier outrage qu’ils voulaient faire à son humanité sainte, refusa de le boire ; et alors il ouvrit sa bouche adorable pour la sixième fois, et dit Tout est consommé : Consummatum est. Admirable parole, qui renferme une infinité de sens mystérieux qui nous instruisent et qui nous engagent à aimer fortement ce divin libérateur, à souffrir pour son amour, et à souffrir avec persévérance jusqu’au dernier moment de notre vie, avec une patience héroïque qui soit une parfaite imitation de la sienne.

Consummatum est : Tout est consommé. Vous vouliez, ô adorable Sauveur, nous faire entendre que votre obéissance à l’égard de votre Père céleste avait été héroïque et universelle, et qu’elle était parvenue à son dernier terme, comme si vous vouliez dire : Mon Père, j’ai accompli en fils obéissant tout ce que Vous m’avez prescrit pour opérer le salut des hommes ; j’ai exécuté à la lettre ce que les Prophètes ont écrit de moi ; j’ai rempli tous vos adorables desseins ; j’ai satisfait pleinement à votre justice divine pour les péchés de tous les hommes ; et, quoique ces péchés soient innombrables et infiniment énormes, ma satisfaction les surpasse encore. Je les fais rentrer dans le droit qu’ils avaient perdu de vous demander la couronne de justice après leurs travaux, et mon sang leur a enfin ouvert le ciel, que le péché leur avait fait perdre depuis le commencement des siècles.

Consummatum est : Tout est consommé. Je ne me suis pas contenté de commencer une pénible carrière : les rigueurs de la crèche, les rudes travaux de mes prédications, les contradictions que j’ai souffertes de la part des Juifs pendant que je travaillais à leur instruction, pendant que je guérissais leurs malades, que je ressuscitais leurs morts, n’ont épuisé ni ma patience ni mon amour. J’ai persévéré jusqu’à ce terrible moment de ma mort sans jamais me lasser de souffrir, et sans me donner aucun moment de relâche, pour faire sentir à mon peuple qu’il ne suffit pas de bien commencer, mais qu’il faut persévérer avec patience et consommer l’ouvrage pour mériter d’être couronné.

Consummatum est : Tout est consommé. Les souffrances excessives, les étranges humiliations, les supplices cruels que j’ai endurés m’ont entièrement consumé, et il faut que j’expire à ce moment. Je suis épuisé de force, mon corps est brisé de coups et percé de plaies ; tout mon sang est répandu, et il ne m’en reste plus pour soutenir ma vie languissante et douloureuse ; mes yeux s’éteignent, ma tête est penchée et elle ne peut plus se soutenir, mon esprit est abattu ; mon cœur est percé de douleur, mon âme est à la dernière agonie ; et il faut que je meure.

Consummatum est : Tout est consommé. Ah ! Seigneur, achevez et consommez mon salut ; c’est votre ouvrage, et il est digne de vous ; il vous coûte trop cher pour le laisser imparfait, puisqu’il vous coûte tout votre sang. Je sais que votre passion, toute consommée qu’elle est de votre part, ne m’ouvrira pas le ciel au moment de ma mort, si je ne porte votre image, et si je ne participe à vos douleurs pour mériter l’application de vos souffrances et de votre mort : il faut que, semblable à l’Apôtre, je garde ma foi dans toute sa pureté, que je la soutienne par les bonnes œuvres, que je combatte, et que mon combat soit bon et légitime, et que je consomme ma course ; mais je ne puis le faire sans le secours de votre grâce. Cependant, ô mon Sauveur, c’est votre passion, votre sang et votre mort qui me l’ont méritée ; faites-la sortir de vos plaies sacrées, cette grâce victorieuse ; cette grâce de force, cette grâce de persévérance chrétienne et de persévérance finale, cette grâce de consommation, pour me donner la force de combattre et de vaincre tous les ennemis qui s’opposent à mon salut, et qui voudraient me disputer la couronne de justice que je ne puis mériter que par votre grâce.

 

JEUDI SAINT
Jour d’Union

Pratique

Rentrez aujourd’hui en esprit dans le cénacle, comme si Jésus-Christ vous y avait invité lui-même. Le mystère qui s’y passe mérite bien toutes vos réflexions. Observez surtout avec une religieuse attention la personne de Jésus-Christ. Ne le quittez point de vue, examinez avec respect son air, ses gestes, ses regards, ses paroles et ses actions. Tout y est grand, tout y est mystérieux, et tout, y est intéressant pour vous, aussi bien que pour les apôtres. Écoutez avec un souverain respect les paroles de la consécration, prononcées avec tant de poids et tant de majesté par sa bouche adorable ; unissez-vous à ces premiers communiants de l’Église, dans la bouche desquels ce divin Sauveur se porta lui-même ; et communiez spirituellement avec eux. Soupirez souvent après le même bonheur ; c’est le moyen de vous en rendre digne. Unissez-vous surtout avec ce divin consécrateur mettez tout en usage pour purifier votre cœur de tout ce qui pourrait préjudicier à une union si sainte, et préparez-vous ainsi à la communion pascale.

Méditation sur l’union eucharistique

Ier POINT. — Le Seigneur Jésus, la nuit même qu’il devait étre livré à la mort, prit du pain, et, ayant rendu grâces, le rompit, et dit à ses disciples : Prenez et mangez ; car ceci est mon corps qui sera livré pour vous. (1re Épît. aux Cor., 11.)

Rappelez-vous que toutes les démarches que Jésus-Christ a faites depuis son incarnation jusqu’à son ascension glorieuse n’ont été que pour s’approcher de l’homme, pour s’unir à lui, et pour lui marquer ainsi son amour. Il s’est fait chair dans le sein d’une vierge, pour rapprocher ainsi la distance infinie qui se trouvait entre la divinité et l’humanité : et pendant toute sa vie mortelle il a recherché l’homme, et l’homme pécheur, avec des tendresses et des empressements de père.

Mais dans l’institution de l’adorable eucharistie, il s’unit à nous d’une manière ineffable, il s’incarne, pour ainsi dire, en chacun de nous en particulier ; il descend à nous, et il nous élève à lui ; il demeure en nous, et nous demeurons en lui. Voici comment l’Apôtre et les évangélistes rapportent ce mystère incompréhensible. Pesons toutes leurs paroles au poids du sanctuaire.

La nuit qui précéda sa passion, ce Sauveur se mit à table avec ses disciples. Il commença par leur marquer son amour par les paroles les plus tendres que ce même amour puisse mettre dans la bouche d’un Dieu sauveur : amour qui devait être le principe de l’union intime qu’il allait contracter avec eux, par le sacrement de l’eucharistie, et pour nous faire entendre que ce même amour serait la meilleure préparation qu’on pourrait apporter à cet auguste sacrement.

Ensuite il prit dans ses mains saintes et vénérables le pain qui était sur la table ; il leva les yeux au ciel, pour marquer que le don qu’il allait faire aux hommes était un don céleste, qu’il les ferait des hommes célestes et qu’il les conduirait au ciel, s’ils le recevaient dignement. Il rendit grâces à son Père : aussi le sacrifice qu’il allait lui offrir était un sacrifice eucharistique, c’est-à-dire d’actions de grâces. Il bénit le pain qui allait être une source de bénédictions ; il le rompit en morceaux pour les communier tous, sans en excepter le traître Judas ; et en le leur donnant, il leur dit : Prenez et mangez, car ceci est mon corps. Il se porta ainsi lui-même dans leur bouche, et s’alla placer dans leur estomac, et auprès de leur cœur, pour leur servir d’aliment, pour sanctifier leurs âmes de ses grâces, et pour consommer cette divine union.

Ne perdez rien de toutes ces circonstances ; pensez-y sérieusement aujourd’hui, qui est le jour consacré à cette divine institution, et autant de fois que vous vous approcherez de la sainte table. Surtout sondez alors votre cœur ; examinez s’il n’a point contracté quelque union profane, ou quelque attache trop sensible à la créature, et soyez persuadé que l’union que Jésus-Christ veut contracter avec vous dans le Sacrement exclut toute autre union dont la charité n’est pas le principe.

IIe POINT. — Jésus prit encore le calice après le souper, en disant : Ce calice est la nouvelle alliance de mon sang ; faites ceci en mémoire de moi.

Après un aliment aussi exquis que l’était la chair de Jésus-Christ, il fallait un breuvage délicieux qui lui convînt ; et ce breuvage ne pouvait être autre chose que le sang de Jésus-Christ. C’est pour cela qu’il prit une coupe dans laquelle il y avait du vin ; il le bénit, et en le donnant à boire à ses apôtres, il leur dit : Ce calice est la nouvelle alliance de mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez. Ils burent ce sang adorable, il arrosa en passant leur langue et leur bouche, et il coula doucement dans leur estomac, pour s’aller placer auprès du corps de Jésus-Christ, qui y était déjà, afin d’y cimenter une union plus forte, plus intime et plus indissoluble.

Toutes ces circonstances ont concouru à cet auguste mystère et à cette divine union : l’action de grâces, l’élévation des yeux vers le ciel, la bénédiction, la consécration, la fraction et la communion, voilà le sacrement complet, voilà l’union consommée ; et cette union, vous la contractez avec Jésus-Christ autant de fois que vous communiez dignement.

Entrez encore dans le détail de ce qui compose cette adorable union ; car il est de foi que les paroles que Jésus-Christ prononça sur le pain et sur le vin mirent en leur place sa chair, son sang, son cœur, son esprit, son âme, sa vie et sa divinité : en un mot, un Dieu et un homme parfait. Voilà ce que nous recevons dans la communion ; voilà ce qui forme en nous l’union eucharistique, et une miraculeuse extension de l’union hypostatique.

La chair adorable de Jésus-Christ, qui est la pureté même, parce qu’elle est l’ouvrage du Saint-Esprit, et de la chaste production d’une Vierge plus pure que les anges, s’unit à la nôtre par la communion ; elle devient sa nourriture et son soutien, et elle lui communique son incomparable pureté. Son sang précieux et divin s’unit au nôtre ; il l’anime, il le purifie, et par cette union si noble nous acquérons une glorieuse sanguinité avec Jésus-Christ.

Le cœur de Jésus-Christ s’unit à notre cœur, il le touche, il amollit sa dureté, il en extirpe les feux étrangers pour l’embraser de ses divines ardeurs. Son esprit, qui est un esprit de lumière, vient s’insinuer dans le nôtre, pour l’éclairer dans la connaissance de Dieu et de lui-même, pour le guérir de ses erreurs, pour lui montrer les routes qui conduisent au Ciel.

L’âme de Jésus-Christ, qui est la plus noble portion de l’humanité sainte, vient dans la nôtre et dans toutes les facultés qui la composent, pour réprimer toutes les saillies imparfaites de ses passions, et pour la diriger dans toutes ses opérations. La vie de Dieu, qui est l’aliment des saints dans le ciel, et qui réside, quoique déguisée, dans le sacrement, se donne à nous pour nous soutenir dans la fidélité à la grâce, qui est la vie de l’âme. Enfin la divinité de Jésus-Christ, qui réside et qui préside dans l’Eucharistie, s’unit à tout ce que nous sommes, d’une manière ineffable, pour nous élever à un ordre supérieur, et pour nous communiquer d’une manière intime la glorieuse qualité d’enfants de Dieu, en nous faisant participer à sa divine nature.

Sentiments

O bonté infinie de mon Sauveur, de vouloir abaisser sa grandeur jusqu’à mon néant, de demeurer avec moi et dans moi jusqu’à la consommation des siècles, et d’opérer aujourd’hui et tous les jours le plus grand de tous les miracles, pour s’unir à moi ! Vous allez nous quitter, ô mon divin Rédempteur, vous étiez la veille de laisser déchirer votre chair, de répandre tout votre sang et de perdre la vie peur notre amour, et nous allions être privés de votre adorable présence ; mais votre amour ingénieux et tout-puissant se reproduit lui-même à la place du pain et du vin, et nous donne, sous les espèces de l’un et de l’autre, son corps et son sang. Vous vous abaissez pour vous unir à nous. Il est vrai, Seigneur, que nous gagnions beaucoup à votre mort, puisqu’elle nous donnait la vie de la grâce et la vie de la gloire ; cependant nous perdions, parce que vous alliez au ciel. Mais cet ineffable mystère d’amour fait que nous gagnons infiniment, et que nous ne perdons rien, puisque vous serez toujours vivant dans nos tabernacles, toujours prêt à venir réellement habiter en nous. Venez donc, ô mon adorable Jésus, et rendez-moi digne de contracter et de renouveler souvent avec vous, par la sainte communion, une union si intime et si forte, qu’elle me transforme en vous, et qu’elle me serve de préparation à l’union éternelle que j’espère contracter avec vous dans le ciel.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

N’est-il pas vrai que le calice de bénédiction que nous bénissons est la communion du sang de Jésus-Christ, et que le pain que nous rompons est la communication du corps du Seigneur ? (1re Épît. aux Cor., 10.)

Nous ne sommes tous ensemble qu’un seul pain et un seul corps, parce que nous participons tous au même pain. (Ibid.)

O sacrement de piété ! Ô signe d’unité ! Ô lien de charité ! Celui qui veut vivre trouve ici la vie ; qu’il s’approche, qu’il croie, qu’il soit incorporé pour être vivifié, qu’il s’unisse au corps de Jésus-Christ, et qu’il vive de Dieu en Dieu. (S. Augustin.)

O feu qui brillez toujours ! amour qui brûlez sans cesse et qui ne vous éteignez jamais ! mon doux Jésus, pain de vie qui nous nourrissez tous les jours, et qui ne diminuez jamais, éclairez-moi, embrasez-moi, sanctifiez-moi, enlevez de mon cœur tout ce qui Vous déplaît ; remplissez-le de votre grâce, conservez-le dans cette plénitude, afin que l’aliment précieux de votre chair devienne salutaire à mon âme, et qu’en la mangeant je vive de vous, je vive pour vous, je parvienne à vous, et que je me repose en vous. (S. Augustin.)

Prière

Adorable instituteur du plus saint, du plus vivifiant et du plus auguste de tous les sacrements, qui, non content d’être à la veille de nous donner votre corps et votre sang sur la croix pour nous racheter du péché, de la mort et de l’enfer, voulez encore, avant de mourir, nous donner l’un et l’autre d’une manière ineffable, pour être avec nous et dans nous jusqu’à la consommation des siècles ; divin Sauveur, qui, par un pieux excès de votre amour qui n’eut jamais de bornes, mettez aujourd’hui votre corps adorable à la place du pain pour nous servir d’aliment, votre sang précieux à la place du vin pour nous servir de breuvage, et pour nous unir ainsi à vous substance à substance, et par l’union la plus tendre, la plus intime, la plus forte et la plus glorieuse qui fut jamais ; nous vous en rendons de très humbles actions de grâces. Mais, ô Dieu d’amour, cimentez cette union si sainte, afin qu’elle soit indissoluble. Rendez-nous dignes de la contracter souvent, et de vous recevoir avec toute la préparation, toute l’innocence, toute la foi et tout l’amour dont nous sommes capables avec votre grâce, pour mériter d’unir nos cœurs au vôtre dans l’éternité bienheureuse.

Point de la Passion

Jésus recommande son âme à Dieu

Jésus, un moment avant d’expirer sur la croix, parla pour la dernière fois ; et voici les paroles qu’il dit à son Père céleste : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains, comme s’il eût voulu dire : Je vous remets entre les mains et mon âme et celle de tous les hommes, pour qui je meurs. Non content de parler, il éleva sa voix, il fit les derniers efforts, et cria de toutes ses forces.

Est-ce la voix d’un homme moribond qui agonise ? Non, les hommes agonisants n’ont pour l’ordinaire qu’une voix languissante, et à peine les peut-on entendre. C’est donc moins un homme qui parle et qui articule ces dernières paroles, qu’un héros qui triomphe de la mort même en mourant. L’amour qu’il a pour les hommes est bien plus fort que la mort. Jésus est faible, il est épuisé de sang, il est mourant ; et cependant il crie pour se faire entendre en ma faveur. C’est donc non seulement un vainqueur et un héros, c’est encore un Dieu qui donne avant de mourir une preuve éclatante de sa divinité : preuve si sensible et si forte, que plusieurs d’entre ceux qui entendirent ce cri étonnant se convertirent, frappèrent leur poitrine et dirent hardiment et hautement ces paroles en présence de ses propres ennemis : Véritablement celui-ci était le Fils de Dieu : Vere hic erat Filius Dei. (S. Matth., 27.)

Vous criez à haute voix, ô mon Sauveur, pour vous faire mieux entendre du Ciel, et pour nous obtenir de votre Père le pardon de nos péchés, et des grâces pour mériter un royaume éternel dont votre sang est le prix. Il semble que vous lui disiez : Mon Père, je vous remets, non les richesses de la terre, que j’ai méprisées : non les couronnes et les diadèmes, que je méritais, et que j’ai foulés aux pieds ; non mon sang, que j’ai laissé répandre pour le salut de tous les hommes non mon corps, que j’ai laissé déchirer de coups, comme une victime de propitiation que je vous ai offerte ; mais mon esprit, qui vous a toujours été obéissant, mais mon âme, qui vous a toujours rendu ses hommages, qui vous a toujours adoré, qui vous a toujours aimé depuis qu’elle est unie à mon corps, autant que vous méritiez d’être adoré et d’être aimé.

Vous criez, Seigneur, à haute voix, pour vous faire entendre des saints Pères qui sont dans les limbes, et qui soupirent depuis si longtemps après leur délivrance, qu’ils ne peuvent obtenir que par vous seul. Vous criez pour les avertir qu’incessamment, après avoir rendu l’esprit, vous leur rendrez une agréable visite pour essuyer leurs larmes, pour briser leurs chaînes, et pour les faire les compagnons de votre triomphe et de votre entrée glorieuse dans le ciel.

Vous criez à haute voix, ô mon Jésus, pour vous faire entendre de tous les hommes qui sont sur la terre, et pour leur faire comprendre que vous allez les réconcilier à votre Père céleste, pour leur donner la vie de la grâce par votre mort, pour leur ouvrir le ciel par votre sang, pour les affranchir ainsi de la triple captivité du péché, de la mort et de l’enfer.

Vous criez à haute voix, ô mon Sauveur, pour exprimer la douleur excessive que sentait votre âme d’être contrainte de quitter pour quelque temps, par la violence des tourments, un corps si pur et si digne d’être le temple de la Divinité.

Vous criez enfin à haute voix, quoique vous paraissiez un faible agonisant aux yeux des hommes, pour nous donner une divine leçon d’obéissance à la volonté de Dieu, et pour nous marquer que vous vous soumettiez volontiers à la mort, quoique vous fussiez le Fils du Dieu vivant.

Mais, ô mon Dieu, en remettant votre esprit entre les mains du Père céleste, songez aussi au mien, unissez-le inséparablement au vôtre pour le présenter à Dieu. Je vous le remets moi-même, persuadé qu’il est infiniment mieux entre vos mains qu’entre les miennes. Éclairez-le de vos lumières, sanctifiez-le de vos grâces, et recevez-le à l’heure de la mort, afin qu’il soit digne de vous connaître et de vous contempler dans l’éternité bienheureuse.

VENDREDI SAINT
Jour de Sacrifice

Pratique

Montez en esprit sur le Calvaire, à votre réveil, et n’en sortez point pendant toute la journée. Prenez-y votre place le plus près de la croix que vous pourrez. Il se passe sur cette montagne de douleurs assez de choses touchantes, et qui vous intéressent, pour vous y occuper. Surtout attachez vos yeux sur Jésus mourant entendez ses tristes plaintes, et voyez-le souffrir et mourir. Ne composez qu’un même sacrifice avec Jésus-Christ. Faites-vous victime avec lui, offrez votre sang avec le sien, et copiez pendant toute votre vie cet excellent et douloureux modèle. Sacrifiez sans réserve tout ce que vous avez et tout ce que vous êtes. Renouvelez le plus souvent que vous pourrez vos sacrifices pendant la journée, et privez-vous de tout autre plaisir que celui de penser à Jésus-Christ crucifié sur la croix pour votre amour.

Méditation sur le sacrifice de jésus-christ

Ier POINT. – Expiravit. Il est mort. (S. Luc, 23.) Voici enfin le dernier acte, le plus douloureux, du plus sanglant, du plus cruel, mais en même temps du plus auguste, plus important et du plus efficace de tous les sacrifices. Montez en esprit avec Jésus-Christ sur le Calvaire ; voyez-Le dépouillé par les bourreaux ; entendez avec une attention compatissante les coups de marteau qui enfoncent les clous dans ses mains et dans ses pieds ; voyez avec une sainte horreur le sang qui en découle, levez les yeux à mesure qu’on élève la croix, pour voir expirer la victime qui est votre Dieu et votre Sauveur : vous devez y être attentif, puisqu’il va mourir pour vous donner la vie.

Il avait dit auparavant à son Père céleste, par un de ses Prophètes : Seigneur, les victimes et les holocaustes ne vous ont pas plu, et ils n’ont été capables ni d’apaiser votre colère ni de remettre les péchés. Alors j’ai dit : Me voici en qualité de victime pour faire votre volonté ; et c’est à ce moment que je l’accomplis, quelque rigoureuse qu’elle soit, et quoiqu’elle me coûte tout mon sang.

En effet, cet adorable Sauveur, après avoir prononcé sa dernière parole, inclina sa tête ; il rendit son esprit, et il consomma ainsi son sacrifice. Mais remarquez qu’il réunissait alors dans sa personne deux qualités jusqu’alors imcompatibles, qui sont celles de prêtre et de victime tout ensemble : comme prêtre, il venait de lever les yeux au ciel pour offrir son sacrifice à son Père ; comme victime, il incline ensuite la tête pour recevoir dans cette posture humiliée le coup de la mort, en marquant ainsi son obéissance à Celui qui l’avait envoyé, obéissance qui ne pouvait être ni plus universelle, ni plus héroïque, puisqu’il a commencé à la pratiquer et même à mourir dès le premier moment qu’il est entré dans le monde ; qu’il y a été fidèle pendant toute sa vie, malgré ses souffrances et ses humiliations, qui ont été excessives, et qu’enfin il est mort plutôt que de la perdre.

Il incline sa tête, parce que cette victime obéissante, abandonnée du ciel et de la terre, n’a pas où la reposer, et qu’épuisé de force et de sang, il ne peut la tenir élevée. Il incline sa tête en expirant, pour marquer sa soumission, et qu’il accepte la mort par obéissance. Il incline sa tête parce qu’il est accablé du poids énorme de nos iniquités, dont cette victime portait elle seule tout le fardeau, pour nous en décharger et pour en porter toute la peine. Enfin ce Sauveur expirant incline sa tête, comme pour nous faire un signe favorable de réconciliation et de tendresse, et pour nous marquer que son sacrifice avait apaisé la colère de Dieu contre nous, et qu’il nous accorderait par les mérites de sa mort toutes les demandes que nous pourrions lui faire.

IIe POINT. — Expiravit. Notre adorable Sauveur est mort, il est mort sur la croix ; il est mort pour notre amour ; il est mort par des supplices inouïs. Mais pouvait- il ne pas mourir ? Son corps, ouvert de tous côtés par des plaies innombrables, devait faire plus tôt passage à son esprit. Ses artères étaient vides de sang, il n’y en avait plus assez pour soutenir sa vie languissante, il en avait trop perdu dans le cours douloureux de sa passion ; il en avait arrosé le jardin des Oliviers, le prétoire, les rues de Jérusalem, le Calvaire ; et sa croix en était imbibée et pénétrée.

Il est mort ce divin Sauveur ! Son esprit était accablé de tristesse, son cœur était percé de douleur, sa bouche abreuvée de fiel, sa poitrine tout en feu tourmentée d’une soif mortelle, sa tête, ses mains, ses pieds et tout son corps déchirés ; et c’est un miracle de sa puissance et de son amour qu’il ne soit pas mort plus tôt. Mais il a voulu, dit saint Bernard, que son corps fût ouvert de tous côtés avant d’expirer, afin que je visse plus à découvert la plaie profonde que l’amour avait faite à son cœur : Patet amor cordis per vulnera corporis ; et c’est cette plaie plus qu’aucune autre qui lui a causé la mort.

Levez encore les yeux pour voir cette innocente victime qui vient de terminer son sacrifice par la mort. Ses yeux éteints n’ont plus de mouvement, sa tête demeure inclinée et immobile, sa bouche est sans parole, une couleur de mort se répand sur son visage et sur tout son corps ; il n’a plus de sentiment, et il ne donne plus aucun signe de vie ; il paraît en tout semblable au corps mort d’un homme du commun, et il n’a rien qui marque qu’il est le corps d’un Dieu fait homme.

Considérez-le avec une attention tendre et compatissante.

Il est encore attaché à la croix, et il y est demeuré jusqu’à la consommation de son sacrifice : demeurez-y attaché avec lui jusqu’au dernier moment de votre vie ; sacrifiez-lui tous les plaisirs des sens, soyez mortifié en toutes choses ; soumettez-vous, avec un esprit de foi et de résignation, à toutes les souffrances et à toutes les privations qui vous arriveront, afin que vous puissiez dire avec le grand Apôtre : Je suis cloué à la croix avec Jésus-Christ.

Attachez-vous à cette croix par un amour héroïque ; attachez-vous-y par une obéissance aveugle à ses divins préceptes, qui seront les clous mystérieux qui vous y retiendront ; attachez-vous-y par conformité et par imitation, quand vous devriez y mourir, persuadé que cette mort vous serait bien glorieuse.

Cependant ne craignez point la mort ; la croix ne peut plus donner la mort depuis que Jésus-Christ mourant y a laissé la vie. Mourez seulement à vous-même, à votre propre volonté, et à toutes vos passions ; cette mort mystique produira la vie. Voilà le sacrifice que Jésus crucifié vous demande, et c’est ainsi que vous mériterez l’application de celui qu’il a offert pour vous sur la croix.

Sentiments

Adorable Jésus, Sauveur agonisant, Dieu tout-Puissant, et faible pour mon amour ; prêtre et victime tout ensemble, qui vous offrez en sacrifice en mourant pour moi sur la croix, parfait holocauste dont tous ceux de l’Ancien Testament n’étaient que de faibles figures, qui, non content d’avoir sacrifié pendant toute votre vie vos grandeurs suprêmes par l’humilité la plus profonde, vos richesses par la pauvreté la plus rigoureuse, voulez encore sacrifier aujourd’hui votre chair, votre sang et votre Vie, par la mort la plus cruelle ! Je vous rends grâces, ô Victime précieuse et adorable, de ce que vous avez consommé cet auguste sacrifice et de ce que vous en avez fait un parfait holocauste par le feu de votre amour et de votre immense charité, et je vais en graver dans mon cœur et le souvenir et la reconnaissance en caractères ineffaçables et éternels.

Quoique je ne sois rien et que je ne mérite rien, me confiant en votre bonté et en votre miséricorde, je veux être victime toute ma vie avec vous, et vous offrir des sacrifices jusqu’à la mort. Mais, ô mon Dieu, purifiez vous-même la victime par le feu de votre amour, afin qu’elle vous soit plus agréable, et qu’unissant mon sacrifice à celui que vous offrez aujourd’hui, sur la croix, il soit plus digne de vous être présenté.

Je vous offre, ô Jésus crucifié, tous mes biens, tout mon sang, tout mon esprit, tout mon cœur, toute ma volonté, tous mes désirs, tout mon corps, toute mon âme, tous mes travaux et toute ma vie, sans me rien réserver de propre. Votre croix sanglante sera l’autel, mon amour sera le feu, et moi tout entier la victime, avec tout ce que je possède et tout ce que je suis ; je veux qu’il n’y ait rien en moi que ce feu sacré ne consume en parfait holocauste.

Recevez, ô Dieu mourant, ce sacrifice ; admettez-moi sur votre croix avec vous ; attachez-moi si fortement sur cet arbre sanglant, que je ne descende jamais que quand il sera temps d’aller jouir de la récompense que vous avez promise à ceux qui vous suivront dans vos souffrances. Soutenez-moi dans cet esprit de sacrifice, afin que je le renouvelle tous les jours. Je veux être victime, je veux souffrir, je veux mourir pour vous et avec vous.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Seigneur, vous n’avez point demandé d’holocauste pour le péché ; j’ai dit alors : Me voici pour faire votre volonté. (Ps. 39.)

Jésus s’est humilié lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. (Épît aux Philip., 2.)

Jésus a été immolé sur la croix ; il a été prêtre et victime sur cet autel : c’est ainsi qu’il nous a réconciliés et qu’il nous a ouvert le ciel par son sacrifice. (S. Jean Chrysostome.)

Jésus sacrifié sur l’arbre de la croix est la cause, le motif et le modèle de tous nos sacrifices. (S. Bernard.)

Prière

Sauveur expirant ; auteur de la vie, qui souffrez aujourd’hui la mort pour me sauver moi-même de la mort éternelle, permettez qu’avec un cœur attendri et percé de douleur je vous adresse mes prières, mes soupirs et mes gémissements ; que je mêle mes larmes avec le sang qui sort de votre tête, de vos mains, de vos pieds et de tout votre corps. Ce sang est à moi, puisque vous ne le répandez que pour mon amour, et que ce sont nos péchés qui le tirent de vos veines. Hélas ! Votre tête sanglante et toute défigurée est penchée et inclinée vers moi ; vos yeux languissants commencent à s’éteindre par l’approche de la mort, votre bouche livide garde le silence, et elle ne peut plus faire entendre le son délicieux de sa voix ; votre corps, meurtri, percé et déchiré de tous côtés, tout épuisé de force et de sang, me dit par sa couleur que vous allez mourir et que votre âme va l’abandonner pour se remettre entre les mains de votre Père céleste. Ah ! Seigneur, puisque c’est pour moi que vous souffrez et que vous mourez appliquez-moi les mérites de vos souffrances et de votre mort, qui m’est si précieuse ; afin que, mourant à moi-même, je ne vive dorénavant que pour vous.

Point de la Passion

Jésus mort sur la croix

À peine le Sauveur a-t-il fermé les yeux, à peine consommé son sacrifice, en expirant sur la croix pour les péchés des hommes, que tout éclate en prodiges, et que tout pleure, à sa manière, la mort de son Dieu. Le soleil s’obscurcit, il refuse d’éclairer le monde, parce que Jésus-Christ, son créateur et le vrai soleil de justice qui éclaire le ciel alla terre, vient de s’éclipser. Le voile du temple se fend en deux, parce que le vrai temple de la Divinité n’est plus sur la terre, et que ce temple matériel de Jérusalem est devenu inutile, parce que les sacrifices d’animaux et les cérémonies légales vont être abolis par l’auguste sacrifice que Jésus-Christ, grand prêtre de la loi nouvelle, vient d’offrir sur la croix. La terre tremble, comme si elle était sensible à la mort du Sauveur ; elle est émue et ébranlée en voyant l’injustice criante que les hommes viennent de commettre contre celui qui l’a tirée du néant. Les rochers se brisent pour exciter les hommes à la componction et à la douleur, et par ce brisement extraordinaire ils leur reprochent en leur langage la dureté de leurs cœurs, qui ne sont pas touchés de la mort du Sauveur, pendant qu’ils se brisent eux-mêmes. Les sépulcres s’ouvrent, les morts en sortent, ils se confondent avec les vivants, pour leur inspirer, d’un côté, de la frayeur et de l’horreur d’avoir concouru à la passion et à la mort de leur propre libérateur ; et de l’autre, pour leur faire naître des espérances de vie, dont ils jouiraient s’ils voulaient se convertir, par le bienfait de la mort de Jésus-Christ, qui allait être le principe de la vie, de la grâce et de la gloire.

Cependant la fureur implacable des Juifs n’est pas encore assouvie contre.Jésus-Christ, quoiqu’ils lui aient fait souffrir des supplices infinis. Ils vont demander un ordre à Pilate pour rompre les jambes aux crucifiés, s’ils les trouvaient encore en vie, méditant un supplice nouveau contre ce Sauveur, qui venait d’expirer. On le trouve mort, et, malgré la certitude et l’évidence même de sa mort, un soldat animé par les ennemis de ce Sauveur lui perce le côté d’un coup de lance, d’où il sortit du sang et de l’eau en abondance.

Quel outrage, ô mon Dieu ! mais quel profond mystère, auquel ce soldat impie servait alors sans le connaître ! Vous vouliez, Seigneur, que je visse à découvert ce Cœur adorable, où résidait l’amour infini que vous avez pour moi, amour qui vous a fait souffrir la mort pour me donner la vie. Vous vouliez qu’il y eût toujours dans ce cœur une porte ouverte à ma réconciliation, autant de fois que je retournerais vers vous par les larmes d’une sincère pénitence, autant de fois que j’implorerais vos bontés avec un cœur contrit et humilié. Vous vouliez, ô mon Sauveur, m’inspirer une tendre confiance, malgré mes misères et mes péchés, et me procurer un asile assuré contre toutes les pensées de découragement et de désespoir, pourvu que mon cœur, à son tour, vous fût ouvert, et qu’il fût percé d’une vraie douleur de vous avoir offensé, et blessé par la flèche choisie d’une ardente charité.

Vous vouliez encore, Seigneur, que l’Église, que vous enfantiez et que vous épousiez sur la croix, sortît de ce cœur sacré avec le sang et l’eau qui en coulèrent. Alors vous en deveniez le père et l’époux tout ensemble. Vous la purifiiez de toutes souillures par l’eau de ce cœur dont vous la laviez, afin qu’elle fût toujours pure et sans tache à vos yeux. Vous l’arrosiez aussi du sang que vous aviez encore réservé dans cet adorable cœur, pour lui donner la force d’enfanter des élus, des saints, des vierges et des martyrs pour le ciel.

Ouvrez-moi encore ce cœur sacré, ô mon adorable Jésus, cœur adorable que je me suis fermé tant de fois par mes froideurs et par mes infidélités. Lavez-moi de cette eau, arrosez-moi de ce sang qui en est sorti. Que cette eau si pure me purifie ; qu’elle produise des larmes à, mes yeux pour pleurer vos douleurs et mes péchés ; et que ce sang si précieux et si efficace me soutienne, me nourrisse, me fortifie et m’embrase d’amour pour vous.

SAMEDI SAINT
Jour de Sépulcre

Pratique

Accompagnez aujourd’hui en esprit ces saintes âmes qui rendent les derniers devoirs au Corps adorable de Jésus-Christ, qui le détachent de la croix, qui l’embaument, qui l’ensevelissent, et qui le portent au tombeau. Suivez-les dans toutes leurs démarches ; aidez-les à porter ce divin fardeau ; imitez leur dévotion et leur empressement ; laissez-vous pénétrer des mêmes sentiments d’amour et de douleur, et répandez des larmes avec elles. Mais en vous occupant de la sépulture de votre Dieu et de votre Sauveur, n’oubliez pas de penser à la vôtre. Dites-vous souvent à vous-même : Puisqu’un Sauveur innocent a bien voulu se soumettre à la mort, et se laisser enfermer dans un sépulcre, lui qui est l’auteur de la vie, il est bien juste qu’un pécheur comme moi, qui ne suis que cendre et que poussière, retourne dans la terre dont il est formé. Faites donc des actes fréquents d’acceptation de cet état si humiliant que vous avez mérité, et offrez à Dieu en sacrifice ce que vous êtes obligé de lui payer comme une dette.

Méditation sur le sépulcre de jésus-christ

Ier POINT. — Marie Madeleine et une autre Marie vinrent pour voir le sépulcre.

Est-ce dans un sépulcre de mort qu’il faut chercher un Dieu immortel, qui est le destructeur de la mort et l’auteur de la vie ? La mort est une peine, le tombeau est une infamie, et l’un et l’autre le châtiment du péché. Jésus est innocent, et l’innocence même ; c’est là cependant que Madeleine le va chercher, parce qu’elle sait que c’est là que cet aimable Sauveur s’est laissé mettre par ses propres créatures, par humilité et par amour ; et il en a usé ainsi premièrement pour nous confirmer dans la foi, en ne laissant aucun doute sur la vérité de sa chair, de sa mort et de sa résurrection.

Secondement, pour nous engager à acquiescer avec une profonde humilité et une résignation parfaite à la mort, aux humiliations du tombeau, parce que nous sommes pécheurs, et que ce Sauveur s’y est soumis, quoiqu’il fût sans péché.

Enfin, pour nous inspirer une ferme espérance de la résurrection de nos corps, en nous faisant entendre que comme le tombeau qui a reçu Jésus-Christ mort l’a rendu vivant et glorieux, nous participerons au même avantage, et surtout à la même gloire, si nous travaillons à conformer notre vie à la sienne : car nous étions morts, dit le grand Apôtre, et ce qui nous restait d’espérance de vie était caché avec Jésus-Christ en Dieu. (Épît. aux Col., 3.)

Faites une sérieuse attention à cette vérité qui vous est si favorable, et que le même saint Paul développe d’une manière si claire et si consolante quand il dit aux chrétiens de Rome : Rappelez-vous, mes frères, qu’ayant été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort, et que nous avons été ensevelis avec lui dans le même tombeau, par le même baptême, pour mourir au péché ; afin que, comme Jésus-Christ est sorti vivant du tombeau par la gloire de son Père, nous marchions aussi dans une nouvelle vie ; car si nous sommes entés en lui par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par la ressemblance de sa résurrection.

Imaginez-vous donc que, quand on a mis Jésus-Christ dans le sépulcre, on vous y a mis aussi avec lui. Vous étiez mort alors, et tout ce que vous aviez d’espérance de vie était caché avec lui. Le corps adorable du Sauveur, tout mort et insensible qu’il était, avait en lui le germe de vie, et pour lui et pour vous ; et cette vie se manifestera quand il sera ressuscité. Jésus-Christ sortira de ce sépulcre par sa propre vertu, dès que son âme sera réunie à son corps, et il ira aussitôt trouver les pécheurs qui étaient morts à la grâce, pour leur donner la vie.

Mais ne prétendez pas participer à cette vie si avantageuse, si vous ne mourez auparavant, et si vous ne vous cachez dans le tombeau. Mourez à vous-même, mourez à tous vos désirs déréglés, mourez à votre passion dominante, mourez à tout ce que le monde adore, mourez à ses vanités, mourez à ses plaisirs. Ce n’est pas assez, il faut vous ensevelir tout vivant avec Jésus-Christ, je veux dire, vous cacher aux yeux des hommes, leur cacher vos talents et tout ce qui peut vous attirer leur estime. Cachez-vous encore à vos propres yeux, et n’en ayez que pour voir vos misères. En un mot, soyez semblable à ce grain de froment dont parle Jésus-Christ, cachez-vous dans la terre, mourez-y, si vous voulez porter des fruits de vie.

IIe POINT. — L’ange du Seigneur dit aux femmes : Ne craignez point ; car je sais que vous cherchez Jésus, qui a été crucifié.

Ces saintes femmes, après tant de frayeurs et tant d’alarmes, avaient besoin que l’ange du Seigneur les rassurât, surtout Madeleine, qui cherchait avec empressement Celui qu’elle aimait incomparablement plus qu’elle-même. Elle avait cruellement souffert au pied de la croix pendant que Jésus-Christ y était attaché, et qu’il y endurait pour son amour des douleurs extrêmes. Elle était inconsolable de sa mort ; elle avait été frappée de la cérémonie lugubre de ses obsèques ; elle avait vu avec douleur ses disciples dans une dispersion lamentable et dans une infidélité criante ; ils n’osaient le pleurer en public, ni même s’approcher de son sépulcre. Plus forte et plus généreuse elle seule que tous les apôtres, elle vient le chercher, sans craindre ni les soldats ni la fureur des Juifs ; et son amour lui inspire un courage au-dessus de son sexe.

Demandez-vous à vous-même si vous cherchez ainsi Jésus-Christ. Ne rougissez-vous point de lui rendre vos hommages et de prendre hautement son parti, quand vous vous trouvez au milieu des mondains, qui sont ses ennemis La crainte, la lâcheté, le respect humain, ne l’emportent-ils point dans votre esprit et dans votre cœur sur le respect et sur l’amour que vous lui devez ?

Mais suivez encore ces fidèles servantes de Jésus-Christ. Pensez à leur agréable surprise lorsqu’au lieu de trouver un sépulcre fermé et gardé par une bande de soldats, elles le virent ouvert, et un ange tout brillant de clarté qui leur annonça l’agréable nouvelle de la résurrection de leur, Sauveur, qu’elles cherchaient et qu’elles croyaient encore entre les morts. C’est ainsi que la joie succède à la tristesse, et le plaisir à la douleur, quand on souffre pour l’amour de Jésus-Christ, et quand on cherche en lui seul la consolation dans ses peines.

Imitez aujourd’hui ces généreuses femmes ; tenez-vous comme elles au pied de la croix de Jésus-Christ pendant que tout le monde l’abandonne ; soyez dans une attention tendre et compatissante sur tout ce qui se passe au Calvaire à l’égard de ce divin Sauveur ; attachez-vous fortement, par un amour de conformité, à la même croix où il est attaché ; que les douleurs qu’il y endure pour votre amour pénètrent votre cœur, et qu’elles y fassent la même impression qu’elles firent dans le cœur de ces amantes. Gémissez comme elles sur les douleurs et sur la mort de votre Sauveur ; en un mot, souffrez, mourez et entrez dans le sépulcre avec Jésus-Christ : rendez-lui en esprit les derniers devoirs de sépulture ; venez encore le chercher avec le même empressement et la même ardeur dans le tombeau, pour arroser son corps sacré de vos larmes, pour essuyer son sang, et pour l’embaumer par le précieux parfum de vos vertus.

Voilà le fruit que vous devez tirer de la sépulture de votre divin Sauveur ; voilà la préparation que vous devez apporter à la grande fête ; voilà les pratiques qui vous disposeront à la participation de toutes les grâces qui sont attachées à la résurrection de Jésus-Christ. Vous sortirez avec lui du tombeau ; vous vous rendrez digne d’une résurrection parfaite, vous recevrez avec abondance les précieux écoulements de la sienne ; enfin vous ressusciterez comme ce Sauveur, pour ne plus mourir.

Sentiments

Un Dieu mort, quel étonnant prodige, lui par lequel nous vous et qui donne la vie à tous les hommes ! Un Dieu porté dans le tombeau par ses propres créatures, quel triste spectacle, lui qui est si puissant et qui soutient tout ! Un Dieu dans un sépulcre, quelle étrange situation ! quel incompréhensible mystère ! quelle humilité et quel amour ! Ah ! Seigneur, j’aimerais beaucoup mieux vous aller chercher sur un trône de gloire que dans un tombeau ; il vous conviendrait beaucoup mieux, puisque vous êtes mon souverain Seigneur. Le tombeau a pour triste apanage la pauvreté, et vous êtes la source inépuisable de tous les trésors ! Le tombeau est étroit, l’on ne peut y placer qu’un corps, et vous y êtes renfermé comme dans une prison, vous qui par votre immensité remplissez le ciel et la terre, et que rien ne peut contenir ! Le tombeau est obscur, et vous y êtes dans les ténèbres, Vous qui êtes le principe des plus brillantes lumières, et qui habitez une lumière inaccessible ! Ah ! Seigneur, quelle humiliation et quel amour tout ensemble ! Cependant votre Prophète a prédit que votre sépulcre serait glorieux, et cet oracle se justifie aujourd’hui. Il vous a reçu mort, et il va vous rendre vivant ; il vous a reçu humilié, et il va vous rendre glorieux ; il vous a reçu sans force et sans mouvement, et il va vous rendre triomphant de tous vos ennemis : c’est ce qui fait ma joie, et ce qui assure mon bonheur. Faites-moi participant de cette gloire et de ce triomphe.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Les nations viendront lui offrir leurs prières, et son sépulcre sera glorieux. (Isaïe, 11.)

Nous avons été ensevelis avec Jésus-Christ par le baptême, pour mourir au péché. (Épît. aux Rom., 6.)

Mourez pour vivre ; soyez ensevelis dans le tombeau pour ressusciter avec Jésus-Christ. (S. Augustin.)

Que la maison du sépulcre est dure, qu’elle est étroite, qu’elle est pauvre et qu’elle est obscure ! Elle est cependant commune aux riches et aux pauvres, aux rois et aux bergers, aux jeunes et aux vieillards. (S. Bonaventure.)

Prière

Source éternelle de lumières, Dieu tout-puissant, qui du sein des plus épaisses ténèbres faites sortir les clartés les plus brillantes, et qui avez illustré et éclairé cette nuit si sainte et si glorieuse par votre sortie du tombeau, conservez, nous vous en supplions, dans votre famille que vous venez d’engendrer sur la croix, l’esprit d’adoption que vous lui avez donné par votre mort et par votre résurrection. Inspirez-lui assez de courage et de fidélité pour profiter de l’une et de l’autre ; et pour n’en perdre jamais le souvenir, afin que, renouvelée de corps et d’esprit par une vie nouvelle et par une grâce permanente, elle vous serve dorénavant avec une innocence et une pureté qui marquent chez elle une résurrection toujours nouvelle, image parfaite de la vôtre. Ainsi soit-il.

Point de la Passion

Jésus détaché de la croix et porté au tombeau

Jésus, ayant consommé son sacrifice sur la croix, a répandu tout son sang, et rendu son esprit à Dieu son Père. Joseph d’Arimathie, un des plus riches et des plus nobles d’entre les Juifs et qui attendait en vrai fidèle la rédemption d’Israël, voulut rendre les derniers devoirs à celui qu’il reconnaissait pour le vrai Messie et pour le vrai Sauveur, quoiqu’il fût regardé par la plupart des Juifs comme un séducteur qui avait mérité les derniers supplices. Plein de zèle et d’ardeur, et animé d’une sainte hardiesse, il alla trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus-Christ, pour lui donner une honorable sépulture, quoiqu’il fût encore attaché à un gibet infâme, sans craindre ce que cette action d’éclat pouvait lui attirer de fâcheux de la part de ses ennemis ; et il eut le bonheur de l’obtenir.

Nicodème, ce vrai Israélite, et qui était disciple caché du Sauveur, se déclara alors ouvertement, et se joignit à lui pour une action aussi sainte. Il acheta les choses nécessaires pour L’ensevelir et l’embaumer, et, accompagnés de la sainte Vierge, de Jean l’Évangéliste, de Madeleine et de quelques autres saintes femmes, ils allèrent au Calvaire, où Jésus mort était encore à la croix. On monte à cet arbre sacré ; on commence par ôter cette couronne d’épines qui était restée sur sa tête après sa mort ; on détache avec un profond respect mêlé de douleur ses pieds et ses mains ; on descend doucement et avec révérence ce sacré corps. Marie, toute désolée et toute fondante en larmes, le reçoit sur son sein maternel, elle le serre étroitement entre ses bras, elle lui donne mille chastes baisers, et elle arrose de ses larmes tout ce corps que le Saint-Esprit avait formé dans son sein et qu’elle avait nourri de son lait.

On peut bien s’imaginer que Madeleine prit encore possession de ses pieds adorables, qu’elle les baigna de ses larmes et les essuya de ses cheveux, comme elle avait fait chez le pharisien ; que Jean, son favori, prit la liberté de mettre sa bouche sur son cœur, sur lequel il avait eu la permission de se reposer, et que toute cette sainte compagnie s’efforça de marquer sa douleur et son amour.

On lave avec soin ce corps tout sanglant, et en le lavant on découvre les plaies qu’on n’avait point encore aperçues. On l’essuie avec des linges, on l’embaume avec cent livres de parfum, et on l’ensevelit avec plusieurs suaires, à la manière des Juifs. Unissez-vous à ces saintes âmes, et rendez en esprit avec elles les derniers devoirs au corps adorable de votre Sauveur.

Ils se chargent de ce fardeau sacré, pour le porter au sépulcre ; ils marchent avec ordre, pendant que les anges accompagnaient invisiblement cette pompe funèbre ; et les soupirs, les sanglots, les cris et les gémissements en faisaient la triste harmonie. On entre ensuite dans le jardin où était le tombeau, afin que, comme ce fut dans un jardin que commencèrent nos malheurs, ce fût aussi dans un jardin qu’ils finissent. Le tombeau était taillé dans la pierre, et c’est là que devait être mis Celui qui est la pierre vive et angulaire sur laquelle toute l’Église devait être soutenue. Ce sépulcre n’avait encore servi à personne ; il fallait un sépulcre tout neuf au nouvel Homme qui allait par sa résurrection renouveler toute la face de la terre. Cependant, à peine Jésus-Christ fut-il renfermé dans le tombeau, qu’il fut scellé par ordre de Pilate, et qu’il arriva une bande de soldats pour le garder. Ce fut par la sollicitation des princes des prêtres, et de crainte que les disciples du Sauveur n’enlevassent furtivement son corps et ne prissent de là occasion de dire qu’il était ressuscité. Mais toutes ces précautions que les Juifs apportèrent pour lui donner encore cette ignominie après sa mort ne servirent qu’à publier plus hautement sa gloire, et à tirer de la bouche de ses propres ennemis des témoignages irréfragables de la vérité de sa résurrection, et par conséquent de sa divinité.

 

Dimanche de Pâques

DIMANCHE DE PAQUES
Jour de Vie

Pratique

Sortez avec promptitude de Votre lit comme d’un tombeau, après avoir congratulé à votre réveil Jésus-Christ sur la glorieuse victoire qu’il remporte aujourd’hui sur la mort : regardez-vous comme un esclave dont on va briser les fers, et comme un mort qui va recevoir la vie par le bienfait de la résurrection du Sauveur. Hâtez-vous comme ces trois généreuses amantes ; courez au sépulcre avec la même ardeur ; soyez attentif aux agréables nouvelles que l’ange du Seigneur lui apprend : vous y êtes également intéressé, puisque Jésus-Christ ressuscite autant pour vous que pour elles ; et il ressuscite pour vous donner la vie de la grâce et la vie de la gloire. Soupirez souvent aujourd’hui après cette double vie. Dites souvent dans la journée : Je sais que mon Rédempteur est vivant, et que dans ma chair, je verrai mon Dieu. Mais faites en sorte que toutes vos actions se sentent de cette vie nouvelle.

Méditation sur la vie nouvelle causée par la résurrection de jésus-christ

Ier POINT. — Vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié : Il est ressuscité, Il n’est plus ici. (S. Marc, 16, 6.)

Faites une attention sérieuse à ce discours de l’Ange, qui parle tout ensemble et de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Il a été crucifié, dit cet esprit céleste, et il est ressuscité. La vie et la mort sont donc les deux termes qui composent ce grand mystère, et qui en sont la substance, l’esprit et l’instruction : c’est-à-dire que toute la gloire de cette vie nouvelle que Jésus-Christ se donne aujourd’hui à lui-même, et qu’il communique aux hommes, n’est fondée que sur l’infamie et sur les opprobres de la mort, dont il triomphe aujourd’hui, et qu’il a endurée pour notre amour.

Consolons-nous de la nécessité de mourir ; nous allons trouver dans la résurrection de Jésus-Christ la résurrection de notre chair, pour nous dédommager de la mort naturelle ; car, comme il est ressuscité, il est infaillible que nous ressusciterons, puisque de la même manière, dit saint Paul, que tous les hommes sont morts en Adam, parce qu’il était leur père, ils ressusciteront tous en Jésus-Christ, parce qu’il est leur chef et leur Sauveur. (1re Épît. aux Cor., 15, 22.)

Quand j’assiste à un convoi funèbre, ou à la mort de quelqu’un de mes proches, le premier sentiment que m’inspirent la nature et l’amour-propre, c’est la crainte d’être un jour à sa place, parce que je sens bien que la mort, qui ne l’a pas épargné, ne m’épargnera pas aussi. Mais aussitôt que je pense à Jésus ressuscité, la grâce détruit ou réforme en moi ce premier sentiment ; je me console dans l’espérance d’une résurrection certaine ; et si je raisonne en chrétien, comme je le dois, je dis : Je mourrai, je le mérite, ô mon Dieu, parce que je suis pécheur, mais je ressusciterai, parce que vous êtes ressuscité ; et, dans ma chair, et avec ces yeux, je verrai mon Sauveur. Voilà l’espérance qui, en reposant dans mon cœur, me causera aussi un vrai repos. Il est seulement question de travailler par mes bonnes œuvres et par ma fidélité à conserver la vie de la grâce, et à me procurer une résurrection avantageuse.

IIe POINT. — Allez, dites aux disciples et à Pierre que Jésus les précédera en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.

Quelle excessive bonté dans Jésus ressuscité, d’avoir encore des soins paternels pour ses disciples qui l’avaient si lâchement abandonné, de faire les premières démarches, de les aller entendre, pour leur donner la vie de la grâce, et de les faire avertir par un ange d’aller le trouver en Galilée, où il a la charité de se rendre le premier !

C’est ainsi que ce Sauveur, non content de donner à tous les hommes des gages assurés de la résurrection de la chair par la sienne, pour les consoler de la mort naturelle, veut encore donner aux pécheurs la vie de la grâce pour les préserver de la mort éternelle. Car il est constant, dit le grand Apôtre, qu’il est ressuscité pour notre justification (Épît. aux Rom., 4) ; ce qu’il confirme quand il dit aux Colossiens ces admirables paroles : vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu (Épît. aux Col., 3) : et c’est aujourd’hui qu’il fait sortir cette vie précieuse du tombeau, pour la porter lui-même aux pécheurs.

Demandez aujourd’hui à Jésus-Christ, avec toute l’ardeur dont vous êtes capable, qu’il vous favorise d’une de ses visites si salutaires, qui porte dans votre âme une vie nouvelle et la grâce d’une resurrection parfaite. Préparez-vous-y avec soin ; travaillez à vous en rendre digne, et vous l’obtiendrez. Recevez-le avec un profond respect, écoutez avec une grande attention ce que ce Sauveur ressuscité dira aux oreilles de votre cœur ; mais surtout exécutez avec une fidélité inviolable ce qu’il vous inspirera.

Persuadez-vous que, dans ce saint temps, Jésus-Christ, dont les bontés sont infinies, va chercher bien des pécheurs pour leur offrir la grâce de la résurrection, et que plusieurs la refusent. Il se sert tantôt de caresses, tantôt de menaces, tantôt d’inspirations, tantôt de sa divine parole, qu’il leur fait entendre, tantôt des sacrements, pendant que ces pécheurs ne font aucun effort pour sortir de leur lâcheté, parce qu’ils ne veulent se faire aucune violence.

La fête de Pâques, au lieu de leur rendre la vie, ne fait que les effrayer ; semblables aux soldats qui gardaient le sépulcre, ils sont endormis dans leur tiédeur. La lumière de Jésus-Christ ressuscité les réveille en sursaut, les éblouit et leur fait prendre la fuite. Ils regardent cette vie nouvelle qui leur est offerte comme une mort, ou comme un sacrifice rigoureux qui coûterait trop à leur mollesse. Ils entrent ainsi mal à propos, dit saint Jean Chrysostome, dans les frayeurs de la mort, pendant qu’on leur donne des assurances de la vie. Quel aveuglement et quelle dureté de cœur ! Prenez garde d’en être coupable. Sortez de votre tombeau avec Jésus-Christ, pour n’y rentrer jamais ; ressuscitez avec lui, profitez de cette vie nouvelle qui vous est présentée, et ne mourez jamais à la grâce.

Sentiments

J’étais mort, ô mon adorable Sauveur, et vous me rendez aujourd’hui la vie que j’avais perdue par le péché. J’étais condamné, au tribunal de votre Père céleste, à finir tristement mes jours, après quelques années de vie, sans espérance de résurrection ; et vous me promettez aujourd’hui de ranimer un jour ma chair et de rendre la vie à ce corps mortel comme vous vous l’êtes rendue à vous-même. J’étais mort à la grâce, sans espérance de miséricorde, et je retrouve eu vous cette vie si précieuse. J’étais condamné à une mort civile, et quoique je fusse mort dans la grâce, les portes du ciel m’auraient été fermées, et il aurait fallu gémir longtemps dans les limbes sans savoir quand je pourrais vous posséder ; mais en sortant du tombeau vous m’allez ouvrir les portes du ciel, qui étaient auparavant des portes d’airain pour les justes mêmes. Quel bonheur et quelle consolation pour moi, puisqu’il n’y aura plus que mes seuls péchés qui puissent me retarder la possession de mon Dieu, et mettre quelque intervalle entre ma mort et la gloire éternelle que vous m’avez méritée par votre Mort et par votre résurrection ! Votre Prophète m’avait appris que, quand vous auriez donné le sommeil de la mort, à vos bien-aimés, ils entreraient dans la possession du céleste héritage ; et je vois aujourd’hui cet oracle si favorable justifié. Faites-moi la grâce, ô mon Sauveur, de me rendre digne de ce bonheur, et de mourir de la mort des justes, pour profiter du bienfait de votre résurrection, qui est la vie du corps, la vie de la grâce et la vie de la gloire.

Sentences de l’Écriture Sainte et des Saints Pères

Je sais que mon Rédempteur est vivant et que je ressusciterai de la terre au dernier jour ; que je serai encore revêtu de cette peau, et que je verrai mon Dieu dans ma chair : cette espérance repose dans mon cœur. (Job, 19.)

Comme tous les hommes sont morts en Adam, ainsi tous les hommes seront vivifiés en Jésus-Christ. (1ère Epît. aux Cor., 14.)

La mort avait fait une cruelle irruption dans le paradis ; mais la vie a détruit l’enfer à la résurrection de Jésus-Christ. (Eusèbe.)

Nous serions bien misérables, si nous nous laissions abattre à la crainte de la mort, pendant que Jésus-Christ ressuscité nous donne des assurances de la vie. (S. Jean Chrysostome.)

Prière

Vainqueur tout-puissant, destructeur redoutable du péché, de la mort et de l’enfer, qui triomphez aujourd’hui avec tant de gloire de tous vos ennemis, et qui ne vous êtes assujetti à la mort, comme les autres hommes, que pour l’assujettir, la détruire elle-même, et pour nous donner la force et le courage d’en triompher aussi nous-mêmes, vous nous ou vrez, Seigneur, par cette victoire si complète et si glorieuse, les portes de la vie bienheureuse et éternelle que nos péchés nous avaient fermées depuis si longtemps. Mais, ô mon Sauveur, comme c’est vous qui, par votre résurrection, nous inspirez des sentiments de joie, d’espérance et d’amour : de joie, de vous voir sortir victorieux du tombeau ; d’espérance, de voir notre gloire assurée par la vôtre ; et d’amour pour le victorieux qui brise nos fers par sa victoire, qui devient la nôtre ; soutenez nos vœux et nos sentiments, et rendez-les durables, afin que, profitant de la vie nouvelle que vous nous donnez aujourd’hui par la vôtre, elle nous rende dignes de la vie éternelle.

Point de la Passion

Résurrection de Notre-Seigneur

Considérez attentivement le prodige de la résurrection, qui est pour vous une source de vie, de grâce et de gloire. Entrez dans une sainte joie, et congratulez Jésus-Christ sur la double victoire qu’il vient de remporter sur la mort, l’une dans les limbes, l’autre dans le tombeau. Prenez part à la liberté qu’il vient de procurer à tant d’innocents captifs qui gémissaient dans ces prisons souterraines des limbes, et qui avaient poussé tant de soupirs vers le ciel pour obtenir ce divin libérateur. Applaudissez ce vainqueur qui vient de changer leurs chagrins et leurs ennuis en plaisirs et en réjouissances, leurs gémissements en acclamations, et leurs soupirs et leurs sanglots en cris d’allégresse.

Sortez en esprit des limbes avec Jésus-Christ pour le suivre au tombeau ; mettez-vous de la compagnie de ces saintes femmes ; interrogez avec elles l’ange du Seigneur comprenez par ces paroles qu’il est ressuscité pour nous donner la vie, et que sa croix est changée en sceptre, son Calvaire en théâtre de gloire, son tombeau en trophée et le convoi lugubre de sa sépulture en triomphes et en réjouissances angéliques. En effet, vous allez voir incessamment les saints ressuscités, les apôtres réunis, les Juifs alarmés, les démons confondus, et la rédemption des hommes consommée.

Voilà une victoire bien éclatante sur la mort et sur le péché remportée aujourd’hui par Jésus ressuscité. Mais, après ce triomphe, la mort devrait-elle avoir quelque puissance sur la vie des justes, puisqu’elle est désarmée par ce Sauveur, et qu’elle est faible sans le péché ? Ah ! le juste ne mourra point ; le terme de sa vie ne sera point tant une mort qu’un doux sommeil ; ce ne sera point pour lui une dure séparation, mais une union glorieuse et un agréable échange d’une vie ennuyeuse et pleine de misères en une vie toute délicieuse. Si la mort de l’impie est une vraie punition de ses crimes, parce qu’elle le précipite en un lieu de ténèbres et de supplices éternels, celle du juste remis dans ses droits par la résurrection de Jésus-Christ est une juste récompense de sa vertu, parce qu’elle lui procure la jouissance éternelle de Dieu. Voilà les suites avantageuses de la victoire de Jésus-Christ sur la mort ; voilà les fruits de la vie nouvelle qu’il nous procure en sortant glorieux du tombeau ! Heureux si nous en profitons et si nous ne perdons jamais la vie de la grâce !