Entretien avec Carlo Maria Viganò
par Aldo Maria Valli
Monseigneur, quelqu’un dit que parmi ces derniers cardinaux pourrait se trouver le successeur de François. Partagez-vous cette opinion ?
Je doute que le Collège des cardinaux – autrefois appelé le Sacré Collège – veuille élire un pape conservateur ou même modérément progressiste ; en fait, il est clair que le prochain Conclave sera une provocation. Presque tous les cardinaux ont été créés « à l’image et à la ressemblance » de Bergoglio et ce sont eux qui éliront son successeur – peut-être de son vivant, étant donné la nouvelle tendance à la démission. Si les électeurs avaient un minimum d’amour pour l’Église, ils devraient se rendre dociles à l’action de l’Esprit Saint, mais nous savons que ce conglomérat d’hérétiques et d’hommes immoraux – à de rares exceptions près – n’a pas l’intention de laisser le Seigneur agir, car s’il le faisait, il scellerait sa propre condamnation. Mais le bon Dieu nous réserve parfois des surprises inattendues.
Quelle est la logique suivie par Bergoglio dans les nominations ?
La logique de Bergoglio est très évidente : il veut créer les prémisses d’un schisme, qu’il nie et déplore en paroles, mais qu’il prépare depuis un certain temps. Bergoglio veut séparer, d’une manière ou d’une autre, la partie saine des fidèles et des clercs de l’Église officielle ; et pour y parvenir, pour qu’ils se détournent du Sanhédrin moderniste, il place à des postes clés de la Curie romaine les personnes qui garantissent la pire gestion des dicastères qui leur sont confiés, avec le pire résultat possible et le plus grand dommage pour le corps ecclésial.
Les restrictions progressives à la célébration de l’ancienne liturgie servent à confiner les conservateurs dans des terrains de chasse, d’où ils pourront s’envoler vers la Fraternité Saint-Pie X, dès que le Synode aura mené à leurs conséquences logiques les changements doctrinaux, moraux et disciplinaires en préparation, et provoqué un exode des catholiques vers ce qui, après la suppression ou la normalisation des Instituts Ecclesia Dei, deviendra le « monopole » de la Tradition. Mais à ce moment-là – c’est-à-dire lorsque les catholiques traditionnels auront migré dans la Fraternité et que ses dirigeants croiront avoir remporté une victoire sur la concurrence du Summorum Pontificum supprimé – une nouvelle provocation intolérable obligera également la Fraternité Saint-Pie X à prendre ses distances avec la Rome bergoglienne, entérinant l’« excommunication » du traditionalisme, qui n’est plus représenté au sein de l’Église officielle, si tant est qu’il l’ait été un jour. C’est pourquoi, à mon avis, il est important de maintenir un certain morcellement, afin de rendre plus complexe la manœuvre malveillante d’éviction des catholiques traditionnels du corps ecclésial.
Diaconesses, abolition du célibat ecclésiastique, bénédiction des couples homosexuels, tolérance de la polygamie, théorie du genre, idéologie LGBTQ, panthéisme écologique à la Teilhard de Chardin : tels sont les points de confrontation que Bergoglio ouvre délibérément entre l’aile conservatrice (mais pas traditionaliste, déjà éloignée ou hors jeu) et l’aile ultra-progressiste. Son but est de créer le choc, de le laisser grandir, d’encourager par des nominations et des promotions les partisans des cas les plus extrêmes, puis d’assister à la réaction de condamnation prévisible des quelques bons évêques, prêtres et religieux restants, qui face à l’écueil de Bergoglio auront deux choix : retourner souffrir en silence ou se lever, dénoncer la trahison de la Vérité catholique et être contraints de quitter leur poste et d’exercer leur ministère dans la clandestinité ou au moins dans une apparente irrégularité canonique.
Une fois les pasteurs gênants ostracisés et les fidèles conservateurs écartés, la hiérarchie bergoglienne pourra exercer un contrôle total sur le clergé et le peuple, certaine de l’obéissance des laissés-pour-compte. Et cette secte, qui n’aura de catholique que le nom (et peut-être même plus), éclipsera totalement l’Épouse de l’Agneau, dans le paradoxe d’une Hiérarchie traîtresse et corrompue qui abuse de l’autorité du Christ pour détruire son Église.
C’est ce que voudraient les mandants de Bergoglio et leurs sbires, mais le sensus fidei, le sens de la foi, du Saint Peuple de Dieu pourrait en amener beaucoup à rejeter cette fraude et à s’engager dans une action de résistance ferme et de dénonciation résolue. Le Seigneur permettra que l’Église paraisse morte, que les forces de l’enfer croient l’avoir vaincue, parce qu’il veut que le Corps mystique suive le chemin de la Croix et de la Mise au tombeau, comme son divin Chef, s’il veut le rejoindre dans la gloire de la Résurrection.
On dit que le Collège des cardinaux, tel que voulu par François, représente l’Église universelle : est-ce vrai ?
Si l’on envoyait un questionnaire anonyme aux membres les plus éminents du Collège des cardinaux, dans lequel ils devraient répondre « vrai » ou « faux » à une série de propositions sur lesquelles le Magistère s’est déjà exprimé infailliblement, on découvrirait avec horreur que la majorité absolue, sinon la quasi-totalité des cardinaux, ne sont pas catholiques, tout court. Et dans leur nombre, je crois que nous trouverions aussi quelques conservateurs. L’hérésie notoire de nombreux prélats est confirmée par leurs propres déclarations, contre lesquelles Bergoglio se garde bien d’ouvrir la bouche, mais sait se passer sans trop de scrupules des quelques prélats restés fidèles. L’actuel Collège des cardinaux est la quintessence de l’Église bergoglienne : ses membres représentent la diffusion capillaire du modernisme et du progressisme conciliaire dans le monde. Mais ils ne sont certainement pas l’expression de l’Église universelle : d’abord parce qu’ils n’en font pas partie, mais seulement en apparence, étant hérétiques ; ensuite parce que, par la grâce de Dieu, les fidèles et le clergé apprennent – après soixante ans d’horreurs, dont dix encore plus évidentes – à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui sort de la bouche du pape, de l’évêque ou du curé. Ainsi ceux-ci, après avoir prêché la désobéissance au vrai Magistère, se retrouvent à subir les conséquences d’une désobéissance qui, cette fois, est bonne et obligatoire, parce qu’elle est dans l’obéissance au Christ.
Nous assistons à l’effacement systématique de toute une partie de l’Église – géographiquement identifiable, mais aussi idéologiquement – qui reste catholique : quelques évêques américains, avec leurs diocèses ; de nombreux évêques africains, fidèles surtout dans les questions morales ; et un nombre croissant de curés, de prêtres, de religieux et de religieuses qui se rendent compte qu’ils sont les prochaines victimes des purges de Santa Marta (Sainte Marthe : la résidence du Pape) – le cas des monastères de Pienza et de Marradi n’est pas passé inaperçu – et se préparent à des formes alternatives de ministère, s’unissent, se mettent en contact, s’organisent. C’est le but de l’association Exsurge Domine (www.exsurgedomine.org) qui a été créée sous mon patronage et qui s’occupe d’aider et d’organiser la résistance des clercs et des religieux persécutés par la junte argentine.
Pourquoi François continue-t-il à ignorer des villes comme Milan, Turin, Venise, Gênes et Naples ?
Il le fait parce qu’il veut discréditer moralement certains sièges épiscopaux, traditionnellement de cardinaux, au profit d’une gestion des nominations à la pourpre basée sur un népotisme idéologique flagrant. Tous les amis de Bergoglio, et les amis de ses amis, ont des carrières aplaties, quitte à nier obstinément ses scandales, ses erreurs doctrinales, son indignité ou son incompétence manifestes. Il aime les « bergers qui ont l’odeur des brebis », même si ce sont des mercenaires et que les brebis ne veulent pas être conduites par eux, ce qui révèle un manque de vertus humaines encore plus désolant que l’absence totale de vertus théologiques. Je dois dire que ne pas faire de l’archevêque de Milan un cardinal n’est finalement pas une honte ; mais il est regrettable que le patriarche de Venise, précisément en raison de son conservatisme extrêmement modéré, ne se voie pas reconnaître la pourpre de tous ses prédécesseurs. Le message pour les aspirants au cursus honorum du Vatican est de se plier au pouvoir avec une servilité polie, sous peine de mise sous séquestre, de visite apostolique, de transfert ou même de renvoi sans autre forme de procès (voir Burke et Gaenswein, entre autres).
Tucho Fernández, le nouveau préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sera cardinal. Jusqu’à récemment, cela semblait être une plaisanterie. Mais ce n’est pas le cas.
C’est toujours une plaianterie, car ce qui se passe depuis dix ans relève plus de la farce que de la tragédie. Tout ce que la secte de Santa Marta enfante est une escroquerie : la prétendue « démocratisation » du synode sur la synodalité, où les questions soumises aux communautés locales sont formulées de manière à obtenir les réponses souhaitées, toujours selon un dessein subversif précis qui part de Bergoglio lui-même. La participation des femmes au gouvernement de l’Église est un mensonge : elle est contraire à la volonté de Notre Seigneur et aucun pouvoir, aussi tyrannique et autoritaire soit-il, ne peut changer la question du sacrement de l’ordre. Les clins d’œil scandaleux des prélats et des clercs aux vices et aux modes de vie de la soi-disant « communauté LGBTQ » sont une tromperie : ils utilisent les faiblesses des laïcs trompés par l’idéologie de l’éveil pour légitimer leurs péchés personnels, qui tôt ou tard font surface dans leurs vies honteusement prosaïques. Fernández lui-même est aussi un personnage construit qui, depuis des années, courtise Bergoglio avec des témoignages publics d’estime, de confiance dans sa capacité réformatrice, de certitude dans l’inexorabilité de son action « prophétique » (dans le néo-langage conciliaire, synonyme d’« hérétique ») en tant que pasteur suprême de l’Église.
Fernández est à Bergoglio ce que Zelenskyj est à Biden : ce sont des marionnettes dans les mains de marionnettes. Les ficelles sont tirées par la même élite subversive qui relie la Maison Blanche au Vatican, les courriels de John Podesta à l’abdication de Ratzinger, l’État profond à l’Église profonde, Nancy Pelosi au « Père » James Martin SJ.
Il est certain que Fernandez a été chargé de l’ancien Saint-Office pour ne rien faire de ce que le préfet de ce dicastère très important et désormais rétrogradé devrait faire. Il fera exactement le contraire : il encouragera les hérésies et les déviations morales des théologiens prometteurs d’aujourd’hui, des évêques impatients d’emménager dans l’hôtel Santa Marta, des défenseurs du genre ; et au lieu de cela, il agira avec une fermeté impitoyable contre le prêtre qui critique une déclaration hérétique de Bergoglio ou de l’un de ses protégés, contre l’évêque qui dénonce les déviations du Synode, contre le professeur de séminaire qui enseigne encore les actes magistériels antérieurs au Concile Vatican II. Nous verrons jusqu’où ira ce zèle de Fernandez pour plaire à son commanditaire, et combien de temps celui qui est la cible des talibans de la Pachamama supportera ces attaques sans y répondre ou en les ignorant tout simplement.
Les cardinaux que recherche François sont-ils tous obséquieux ou certains d’entre eux sont-ils capables d’avoir l’autonomie de juger ?
Aujourd’hui, pour être cardinal, il faut avoir ce que nos anciens appelaient « des poils sur l’estomac » : les purges ont été incessantes depuis soixante ans, et même certaines éminences créées par Benoît XVI se sont montrées totalement inférieures aux attentes des fidèles conservateurs, et non rarement opportunistes ou lâches. Il ne reste plus beaucoup de survivants des courageux – disons – des Dubia, qui au dernier Conclave ont été témoins de choses qu’ils ne dénoncent pas publiquement. Alors oui, ce sont tous des béni-oui-oui, des obséquieux, ce qui, pour ceux qui devraient défendre la Sainte Église usque ad effusionem sanguinis, est pour le moins incohérent.
La crise actuelle est le châtiment par lequel le Seigneur punit l’Église et le monde de l’infidélité de ses ministres et des chefs des nations. Considérons ce fléau comme le geste sévère d’un Père trop longtemps offensé, mais qui veut encore nous sauver. La conversion est la seule voie possible : revenons à Dieu, avant que la Miséricorde ne cède la place à la Justice.
14 juillet 2023
Saint Bonaventure, évêque, confesseur et docteur de l’Église
Traduction abbé François Pivert sur le texte espagnol