L’année liturgique
Dernier dimanche d’octobre, Fête du Christ-Roi
Cette fête ayant été instituée par Pie XI, Dom Guéranger ne donne rien alors qu’il fut un grand défenseur des droits de Jésus-Christ sur la société civile. Nous donnons ci-dessous les leçons du bréviaire à matines.
En ce jour, on récite l’Acte de consécration du genre humain au Christ-Roi enrichi d’une indulgence plénière
On lira avec profit et on mettra en œuvre de Mgr Lefebvre, Le guide du chevalier au service du Christ-Roi
Leçons des Matines
Au premier nocturne
De l’Épître de saint Paul Apôtre aux Colossiens, Chap. 1, 3-8, 9-17, 18-23
Nous ne cessons de rendre grâces à Dieu, Père de notre Seigneur Jésus Christ, en pensant à vous dans nos prières, depuis que nous avons appris votre foi dans le Christ Jésus, et la charité que vous avez à l’égard de tous les Saints, en raison de l’espérance qui vous est réservée dans les cieux. Cette espérance, vous en avez naguère entendu l’annonce dans la Parole de vérité, la Bonne Nouvelle, qui est parvenue chez vous de même que dans le monde entier elle fructifie et se développe ; chez vous elle fait de même depuis le jour où vous avez appris et compris dans sa vérité la grâce de Dieu. C’est Épaphras, notre cher compagnon de service, qui vous en a instruits ; il nous supplée fidèlement comme ministre du Christ, et c’est lui-même qui nous a fait connaître votre dilection dans l’Esprit.
C’est pourquoi nous aussi, depuis le jour où nous avons reçu ces nouvelles, nous ne cessons de prier pour vous et de demander à Dieu qu’il vous fasse parvenir à la pleine connaissance de sa volonté, en toute sagesse et intelligence spirituelle. Vous pourrez ainsi mener une vie digne du Seigneur et qui Lui plaise en tout : vous produirez toutes sortes de bonnes œuvres et grandirez dans la connaissance de Dieu ; animés d’une puissante énergie par la vigueur de sa gloire, vous acquerrez une parfaite constance et endurance ; avec joie vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des Saints dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés. Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances ; tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui.
Et il est aussi la Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église : II est le Principe, Premier-né d’entre les morts, (il fallait qu’il obtînt en tout la primauté), car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. Vous-mêmes, qui étiez devenus jadis des étrangers et des ennemis, par vos pensées et vos œuvres mauvaises, voici qu’à présent II vous a réconciliés dans son corps de chair, le livrant à la mort, pour vous faire paraître devant Lui saints, sans tache et sans reproche. Il faut seulement que vous persévériez dans la foi, affermis sur des bases solides, sans vous laisser détourner de l’espérance promise par l’Évangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi, Paul, je suis devenu le ministre.
Au deuxième nocturne
De la lettre encyclique du Pape Pie XI
L’Année sainte ayant offert plus d’une occasion de glorifier la royauté du Christ, Nous agirons, semble-t-il, de manière pleinement conforme à Notre charge apostolique si, répondant aux demandes qui Nous ont été adressées individuellement ou en commun par de très nombreux cardinaux, évêques et fidèles, Nous terminons cette année en introduisant dans la liturgie de l’Église une fête spéciale de Notre-Seigneur Jésus Christ Roi. Que le Christ soit appelé Roi au sens figuré, en raison du degré suprême d’excellence par lequel il surpasse et domine toutes les créatures, c’est là depuis longtemps un usage communément reçu. On dit ainsi de lui qu’il règne « sur les esprits des hommes », non pas tant à cause de la pénétration de son intelligence ou de la profondeur de sa science que parce qu’il est lui-même la Vérité et que les hommes doivent puiser en lui la vérité et l’accepter avec soumission ; il règne de même « sur les volontés des hommes », non seulement parce qu’à la sainteté de la volonté divine correspondent en lui l’intégrité et l’obéissance parfaites de la volonté humaine, mais aussi parce qu’il donne à notre volonté libre les inspirations qui la portent à s’enflammer pour de nobles buts. Le Christ est enfin reconnu « Roi des cœurs » en raison de sa « charité qui surpasse toute connaissance », ainsi que de sa bonté et de sa tendresse qui attirent les âmes : personne n’a jamais eu et personne n’aura jamais à l’avenir le privilège d’être aimé par toutes les nations, comme l’a été le Christ Jésus. Mais, pour entrer plus profondément dans notre sujet, nul ne saurait nier que le titre de roi et le pouvoir royal doivent, au sens propre du mot, être reconnus au Christ Homme ; c’est seulement en tant qu’il est homme qu’il a reçu du Père « la puissance, l’honneur et la royauté » ; en effet, le Verbe de Dieu, qui a la même substance que le Père, possède nécessairement tout en commun avec le Père et il a donc le pouvoir suprême et absolu sur toutes les créatures.
Le fondement sur lequel reposent cette dignité et cette puissance de Notre-Seigneur est bien Indiqué par Cyrille d’Alexandrie en ces termes : « II possède, en résumé, sur toutes les créatures, un pouvoir qui n’a pas été conquis par la violence, ni reçu d’ailleurs, mais il l’a par son essence et sa nature » ; sa souveraineté se fonde en effet sur cette union admirable qu’on appelle hypostatique. Il en résulte non seulement que le Christ doit être adoré comme Dieu par les anges et par les hommes, mais aussi que les anges et les hommes doivent obéir et se soumettre au pouvoir de cet Homme : ainsi, même au seul titre de l’union hypostatique, le Christ possède l’autorité sur toutes les créatures. Si nous voulons maintenant expliquer brièvement la grandeur et la nature de cette dignité, il est à peine nécessaire de dire qu’elle comporte trois pouvoirs, à défaut desquels elle ne peut guère se concevoir. Des témoignages recueillis dans la Sainte Écriture et concernant la suprématie universelle de notre Rédempteur le montrent de manière surabondante et il faut le croire de foi catholique : le Christ Jésus a été donné aux hommes comme le Rédempteur en qui ils doivent avoir confiance, mais aussi comme le législateur à qui ils doivent obéir. Les évangiles ne rapportent pas tant qu’il a établi des lois qu’ils ne le font voir lui-même établissant ces lois : tous ceux qui observeront ces préceptes, déclare le divin Maître en divers endroits et en des termes différents, prouveront leur charité envers lui et demeureront en son amour. Quant au pouvoir judiciaire, Jésus déclare lui-même aux Juifs qu’il lui a été attribué par le Père, lorsque ceux-ci l’accusent d’avoir violé le repos du sabbat en guérissant miraculeusement un malade : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Ce pouvoir comporte également pour lui le droit (car cette prérogative ne peut être séparée du jugement) de décerner aux hommes encore vivants des récompenses et des châtiments. Mais il faut encore reconnaître au Christ le pouvoir qu’on appelle exécutif : la nécessité d’obéir à son commandement s’impose en effet à tous et cela sous la menace faite aux rebelles de supplices auxquels nul ne saurait se soustraire.
Il n’en est pas moins vrai que cette royauté est principalement de nature spirituelle et se rapporte aux réalités spirituelles, ainsi que le montrent les textes bibliques que nous avons rappelés et comme le Christ Seigneur le confirme par sa façon d’agir. En plus d’une occasion en effet, comme les Juifs et les Apôtres eux-mêmes croyaient faussement que le Messie allait rendre la liberté au peuple et rétablir le royaume d’Israël, il leur enleva et détruisit cette opinion et cette espérance vaines ; lorsque la foule d’admirateurs qui l’environnaient voulut le proclamer roi, il refusa le nom et l’honneur, en fuyant et en se cachant ; devant le magistrat romain, il déclara que son royaume n’était pas « de ce monde ». Le royaume qu’il propose dans les évangiles est tel que les hommes doivent se préparer à y entrer en faisant pénitence, mais qu’ils ne peuvent y entrer que par la foi et par le baptême, lequel, tout en étant un rite extérieur, signifie et opère cependant la régénération intérieure ; il s’oppose uniquement au royaume de Satan et à la puissance des ténèbres et il demande à ses membres non seulement que, détachant leur cœur des richesses et des biens terrestres, ils pratiquent la douceur et aient faim et soif de la justice, mais encore qu’ils renoncent à eux-mêmes et portent leur croix. Comme le Christ Rédempteur a acquis l’Église par son sang et s’est offert et s’offre perpétuellement comme Prêtre en victime pour les péchés, qui ne voit que la fonction royale elle-même revêt le caractère de ces deux fonctions et y participe ? Ce serait d’ailleurs une grossière erreur de refuser au Christ Homme l’autorité sur les choses civiles, puisqu’il reçoit de son Père un pouvoir tellement absolu sur les êtres créés que tout est placé sous sa souveraineté. C’est pourquoi, par Notre autorité apostolique, Nous instituons la fête de Notre-Seigneur Jésus Christ Roi, qui devra être célébrée dans tout l’univers, chaque année, le dernier dimanche d’octobre, c’est-à-dire le dimanche qui précède la fête de Tous les Saints. Nous ordonnons aussi que soit renouvelée chaque année en ce même jour la consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus.
Au troisième nocturne
Lecture du saint Évangile selon saint Jean.
En ce temps-là, Pilate dit à Jésus « Tu es le roi des Juifs ? » Jésus lui répondit : « Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? » Et la suite.
Homélie de saint Augustin, évêque
Quel intérêt pour le Roi des siècles de devenir le roi des hommes ? Le Christ n’est pas roi d’Israël pour lever un tribut, pour équiper une armée ou pour combattre des ennemis visibles, mais pour gouverner les âmes, pour veiller à leur salut éternel, et pour conduire au royaume des cieux ceux qui croient, espèrent et aiment. Pour le Fils de Dieu égal au Père, Verbe « par qui tout fut fait », c’est donc une condescendance de consentir à être roi d’Israël et non une promotion. C’est la marque de sa miséricorde, bien loin d’être un accroissement de pouvoir. II est au ciel le Seigneur des anges celui qui reçoit sur terre le nom de roi des Juifs… Mais le Christ n’est-il que roi des Juifs ? Ne l’est-il pas de toutes les nations ? — Bien sûr que si ! Il l’avait dit prophétiquement : « J’ai été constitué par Dieu roi sur Sion, sa montagne sainte, je publierai le décret du Seigneur. » Mais, puisqu’il s’agit de la montagne de Sion, on pourrait dire qu’il a été constitué roi des Juifs seulement, aussi les versets suivants déclarent-ils : « Le Seigneur m’a dit : tu es mon fils, c’est moi qui t’engendre aujourd’hui ; demande et je te donnerai les nations pour héritage et pour ta possession les confins de la terre. »
Jésus répondit : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici. » Voici l’enseignement que notre bon Maître a voulu nous donner ; mais il fallait d’abord nous faire connaître quelle fausse opinion les gens (païens ou juifs de qui Pilate l’avait recueillie) s’étaient faite sur le royaume de Dieu. Gomme si le Christ avait été condamné à mort, pour avoir brigué un règne indu ou comme s’il avait fallu s’opposer prudemment au danger que son royaume aurait fait courir soit aux Romains, soit aux Juifs, étant donné la jalousie réciproque habituelle aux souverains !
Le Seigneur aurait pu répondre : « Mon royaume n’est pas de ce monde », dès la première question du procurateur : « Es-tu le roi des Juifs ? ». Mais il préféra interroger Pilate à son tour : « Dis-tu cela de toi-même, ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? », pour lui prouver d’après sa réponse qu’il s’agissait là d’une accusation jetée par les juifs devant le gouverneur. Ainsi le Christ nous dévoile-t-il les pensées des hommes dans toute leur vanité qu’il connaît fort bien. Après la réponse de Pilate, c’est donc avec plus d’à-propos encore qu’il peut rétorquer, s’adressant à la fois aux Juifs et aux païens : « Mon royaume n’est pas de ce monde. »