Mgr Viganò prend position sur la tentative du pape de supprimer le rite traditionnel et d’imposer le concile Vatican II

LAPIDES CLAMABUNT
Dico vobis quia si hii tacuerint, lapides clamabunt.
« Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. »
Lc 19, 40

”Traditionis custodes : c’est l’incipit du document par lequel François annule impérieusement le précédent Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI. Le ton presque moqueur de la citation pompeuse de Lumen Gentium n’aura échappé à personne : au moment où Bergoglio reconnaît les Évêques comme gardiens de la Tradition, il leur demande de faire obstacle à son expression la plus haute et la plus sacrée de la prière. Quiconque essaie de trouver dans les replis du texte quelque escamotage pour contourner le texte doit savoir que le projet envoyé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour révision était extrêmement plus drastique que le texte final: une confirmation, s’il en était nécessaire, qu’aucune pression particulière n’était nécessaire de la part des ennemis historiques de la liturgie tridentine – à commencer par les savants de Sant’Anselmo – pour convaincre Sa Sainteté de s’essayer à ce qu’il fait le mieux: démolir. Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant (Là où ils ont fait un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix – Tacitus, Agricola).

Le Modus Operandi de François

François a une fois de plus désavoué la pieuse illusion de l’herméneutique de la continuité, affirmant que la coexistence de l’ancien et du nouvel Ordo, (le rite traditionnel de la messe et le rite nouveau) est impossible, car ils sont l’expression de deux approches doctrinales et ecclésiologiques inconciliables. D’un côté, la messe apostolique, la voix de l’Église du Christ; de l’autre, la «célébration eucharistique» montinienne (de Paul VI), la voix de l’Église conciliaire. Et ce n’est pas une accusation, pourtant légitime, portée par ceux qui expriment des réserves sur le rite réformé et Vatican II. C’est plutôt un aveu, voire une fière affirmation d’adhésion idéologique de la part de François lui-même, chef de la faction la plus extrémiste du progressisme. Son double rôle de pape et de liquidateur de l’Église catholique lui permet d’une part de la démolir par des décrets et des actes de gouvernement, et d’autre part d’utiliser le prestige que comporte sa fonction pour établir et répandre la nouvelle religion sur les décombres de l’ancienne. Peu importe que ses manières d’agir contre Dieu, contre l’Église et contre le troupeau du Seigneur soient en contradiction flagrante avec ses appels à la parrhesia, au dialogue, à la construction de ponts et non à l’érection de murs: l’Église de la miséricorde et l’hôpital de campagne s’avèrent être des artifices rhétoriques vides, puisque ce devraient être les catholiques qui en bénéficient et non les hérétiques ou les fornicateurs. En réalité, chacun de nous est bien conscient que l’indulgence d’Amoris Laetitia envers le concubinage public et les adultères serait difficilement imaginable envers ces «rigides» contre lesquels Bergoglio lance ses fléchettes dès qu’il en a l’occasion.

Après des années de ce pontificat, nous avons tous compris que les raisons invoquées par Bergoglio pour refuser une rencontre avec un prélat, un homme politique ou un intellectuel conservateur ne s’appliquent pas au cardinal agresseur, à l’évêque hérétique, au politicien avorteur ou à l’intellectuel mondialiste. Bref, il y a une différence flagrante de comportement, à partir de laquelle on peut saisir la partialité et la partisanerie de François en faveur de toute idéologie, pensée, projet, expression scientifique, artistique ou littéraire qui n’est pas catholique. Tout ce qui n’évoque même que vaguement quelque chose de catholique semble susciter chez le locataire de Santa Marta (Sainte-Marthe: la résidence du pape au Vatican) une aversion pour le moins déconcertante, ne serait-ce qu’en vertu du Trône sur lequel il est assis. Beaucoup ont noté cette dissociation, cette sorte de bipolarité d’un pape qui ne se comporte pas comme un pape et ne parle pas comme un pape. Le problème est que nous ne sommes pas confrontés à une sorte d’inaction de la papauté, comme cela pourrait arriver avec un Pontife malade ou très vieux; mais plutôt avec une action constante qui est organisée et planifiée dans un sens diamétralement opposé à l’essence même de la papauté. Non seulement Bergoglio ne condamne pas les erreurs du temps présent en réaffirmant avec force la vérité de la foi catholique – il ne l’a jamais fait ! – mais il cherche activement à diffuser ces erreurs, à les promouvoir, à encourager leurs partisans, à les diffuser le plus possible et à accueillir des événements les promouvant au Vatican, faisant taire du même coup ceux qui dénoncent ces mêmes erreurs. Non seulement il ne punit pas les prélats qui forniquent, mais il les promeut et les défend même en mentant, alors qu’il écarte les évêques conservateurs et ne cache pas son agacement face aux appels sincères des cardinaux non alignés sur le nouveau parcours. Non seulement il ne condamne pas les politiciens avorteurs qui se proclament catholiques, mais il intervient pour empêcher la Conférence épiscopale de se prononcer sur cette question, contredisant cette voie synodale qui lui permet à l’inverse d’utiliser une minorité d’ultra-progressistes pour imposer sa volonté à la majorité des Pères synodaux.

La seule constante de cette attitude, notée sous sa forme la plus effrontée et arrogante dans Traditionis Custodes, est la duplicité et le mensonge. Une duplicité qui est bien sûr une façade quotidiennement désavouée par des positions qui sont tout sauf prudentes en faveur d’un groupe bien précis, que l’on peut identifier par souci de concision à la gauche idéologique, voire à son évolution la plus récente dans une logique mondialiste, écologiste, transhumaniste et LGBTQ. Nous en sommes arrivés au point que même des gens simples ayant peu de connaissances sur les questions doctrinales comprennent que nous avons un pape non catholique, du moins au sens strict du terme. Cela pose des problèmes de nature canonique qui ne sont pas négligeables, qu’il ne nous appartient pas de résoudre mais qu’il faudra tôt ou tard régler.

Extrémisme idéologique

Un autre élément significatif de ce pontificat, poussé à ses conséquences extrêmes avec Traditionis Custodes, est l’extrémisme idéologique de Bergoglio: un extrémisme déploré en paroles quand cela concerne les autres, mais qui se manifeste dans son expression la plus violente et la plus impitoyable quand c’est lui-même qui le met en pratique contre le clergé et les laïcs liés au rite antique et qui sont fidèles à la Tradition Sacrée. Envers la Fraternité Saint-Pie X il se montre prêt à faire des concessions et à établir une relation de «bons voisins», mais envers les prêtres et fidèles pauvres qui doivent endurer mille humiliations et chantages pour mendier une messe en latin, il ne montre aucune compréhension, aucune humanité. Ce comportement n’est pas accidentel: le mouvement de Mgr Lefebvre jouit de sa propre autonomie et indépendance économique, et pour cette raison il n’a aucune raison de craindre des représailles ou des commissaires du Saint-Siège. Mais les évêques, prêtres et clercs incardinés dans des diocèses ou des ordres religieux savent qu’au-dessus d’eux pèse l’épée de Damoclès de la destitution, du renvoi de l’état ecclésiastique et de la privation de leurs moyens mêmes de subsistance.

L’expérience de la messe tridentine dans la vie sacerdotale

Ceux qui ont eu l’occasion de suivre mes discours et mes déclarations savent bien quelle est ma position sur le Concile et sur le Novus Ordo (nouvau rite de la messe) ; mais ils connaissent aussi mon parcours, mon cursus au service du Saint-Siège et ma prise de conscience relativement récente de l’apostasie et de la crise dans laquelle nous nous trouvons. Pour cette raison, je voudrais réitérer ma compréhension pour le chemin spirituel de ceux qui, précisément à cause de cette situation, ne peuvent pas ou ne sont pas encore capables de faire un choix radical, comme célébrer ou assister exclusivement à la messe de saint Pie V. De nombreux prêtres ne découvrent les trésors de la vénérable liturgie tridentine que lorsqu’ils la célèbrent et se laissent imprégner d’elle, et il n’est pas rare qu’une première curiosité envers la «forme extraordinaire» – certainement fascinante en raison de la solennité du rite – passe rapidement à la conscience de la profondeur des mots, de la clarté de la doctrine, de l’incomparable spiritualité qu’elle fait naître et nourrit dans nos âmes. Il y a une parfaite harmonie que les mots ne peuvent exprimer, et que les fidèles ne peuvent comprendre qu’en partie, mais qui touche le cœur du sacerdoce comme seul Dieu peut le faire. Cela peut être confirmé par mes confrères qui se sont rapprochés de l’Usus antiquior (l’usage traditionnel) après des décennies de célébration obéissante du Novus Ordo: un monde s’ouvre, un cosmos qui comprend la prière du Bréviaire avec les leçons des Matines et les commentaires des Pères, les renvois aux textes de la messe, le martyrologe à l’heure du prime… Ce sont des mots sacrés – non pas parce qu’ils sont exprimés en latin – mais plutôt ils sont exprimés en latin parce que la langue vulgaire les rabaisserait, les profanerait, comme l’a sagement observé Dom Guéranger.

Ce sont les paroles de l’Épouse au divin Époux, paroles de l’âme qui vit en union intime avec Dieu, de l’âme qui se laisse habiter par la Très Sainte Trinité. Paroles essentiellement sacerdotales, au sens le plus profond du terme, qui implique dans le Sacerdoce non seulement le pouvoir d’offrir des sacrifices, mais aussi de s’unir dans l’offrande de soi à la Victime pure, sainte et immaculée. Cela n’a rien à voir avec les divagations du rite réformé, trop soucieux de plaire à la mentalité sécularisée pour pouvoir se tourner vers la Majesté de Dieu et la Cour céleste; tellement soucieux de se faire comprendre qu’il faut renoncer à communiquer autre chose qu’une banale évidence; tellement attentif à ne pas blesser les sentiments des hérétiques comme pour se permettre de garder le silence sur la Vérité juste au moment où le Seigneur Dieu se fait présent sur l’autel; tellement peur de demander aux fidèles le moindre engagement au point de banaliser le chant sacré et toute expression artistique liée au culte. Le simple fait que pasteurs luthériens, modernistes et francs-maçons de renom aient collaborés à la rédaction de ce rite doit faire comprendre, sinon la mauvaise foi et l’inconduite volontaire, du moins la mentalité horizontale, dénuée de tout élan surnaturel, qui a motivé les auteurs de la soi-disant «réforme liturgique» – qui, à notre connaissance, n’a certainement pas brillé de la sainteté avec laquelle brillent les auteurs sacrés des textes de l’ancien Missel Romain et de tout le corpus liturgique.

Combien d’entre vous prêtres – et certainement aussi de nombreux laïcs – en récitant les merveilleux versets de la séquence de la Pentecôte ont été émus aux larmes, comprenant que votre prédilection initiale pour la liturgie traditionnelle n’avait rien à voir avec une satisfaction esthétique stérile, mais avait évolué en une réelle nécessité spirituelle, aussi indispensable que respirer? Comment pouvez-vous et comment pouvons-nous expliquer à ceux qui aujourd’hui voudraient vous priver de ce bien inestimable, que ce rite béni vous a fait découvrir la vraie nature de votre Sacerdoce, et que d’elle – et d’elle seulement – vous pouvez puiser force et nourriture pour faire face aux engagements de votre ministère? Comment faire comprendre que le retour obligatoire au rite montinien représente pour vous un sacrifice impossible, car dans le combat quotidien contre le monde, la chair et le diable il vous laisse désarmé, prostré et sans force?

Il est évident que seuls ceux qui n’ont pas célébré la messe de saint Pie V peuvent la considérer comme un clinquant gênant du passé, dont on peut se passer. Même de nombreux jeunes prêtres, habitués au Novus Ordo depuis leur adolescence, ont compris que les deux formes du rite n’ont rien de commun, et que l’une est tellement supérieure à l’autre qu’elle en révèle toutes les limites et les critiques, au point de rendre presque douloureux de la célébrer. Il ne s’agit pas de nostalgie, d’un culte du passé: il s’agit ici de la vie de l’âme, de sa croissance spirituelle, de l’ascèse et du mysticisme. Des concepts que ceux qui voient leur sacerdoce comme une profession ne peuvent même pas comprendre, tout comme ils ne peuvent pas comprendre l’agonie qu’une âme sacerdotale ressent en voyant l’Espèce eucharistique profanée lors des rites grotesques de la communion à l’ère de la farce pandémique.

La vision réductrice de la libéralisation de la messe

C’est pourquoi je trouve extrêmement désagréable de devoir lire dans Traditionis Custodes que la raison pour laquelle François croit que le Motu Proprio Summorum Pontificum a été promulgué il y a quatorze ans ne réside que dans le désir de guérir le soi-disant schisme de Mgr Lefebvre. Certes, le calcul «politique» a pu avoir son poids, surtout à l’époque de Jean-Paul II, même si à cette époque les fidèles de la Fraternité Saint-Pie X étaient peu nombreux. Mais la demande de pouvoir redonner sa citoyenneté à la messe qui, pendant deux millénaires, a nourri la sainteté des fidèles et donné la sève de la vie à la civilisation chrétienne, ne peut se réduire à un fait contingent.

Avec son Motu Proprio, Benoît XVI a rétabli la Messe apostolique romaine à l’Église, déclarant qu’elle n’avait jamais été abolie. Indirectement, il admet qu’il y a eu abus de la part de Paul VI, lorsque pour donner autorité à son rite, il avait interdit impitoyablement la célébration de la liturgie traditionnelle. Et même si dans ce document il peut y avoir des éléments incongrus, comme la coexistence des deux formes d’un même rite, on peut croire que ceux-ci ont servi à permettre la diffusion de la forme extraordinaire, sans affecter la forme ordinaire. En d’autres temps, il aurait semblé incompréhensible de laisser célébrer une messe chargée d’incompréhensions et d’omissions, alors que l’autorité du Pontife aurait pu simplement restaurer l’ancien rite. Mais aujourd’hui, avec le lourd fardeau de Vatican II et avec la mentalité sécularisée désormais largement répandue, même la simple licéité de célébrer la messe tridentine sans autorisation peut être considérée comme un bien indéniable – un bien qui est visible par tous en raison des fruits abondants qu’elle apporte aux communautés où elle est célébrée. Et l’on peut croire aussi qu’elle aurait porté encore plus de fruits si seulement Summorum Pontificum avait été appliqué dans tous ses points et avec un esprit de vraie communion ecclésiale.

La prétendue « utilisation instrumentale » du missel romain

François sait bien que l’enquête menée auprès des évêques du monde entier n’a pas donné de résultats négatifs, bien que la formulation des questions ait clairement indiqué les réponses qu’il souhaitait recevoir. Cette consultation était un prétexte, afin de faire croire que la décision qu’il avait prise était inévitable et le fruit d’une demande en chœur de l’épiscopat. Nous savons tous que si Bergoglio veut obtenir un résultat, il n’hésite pas à recourir à la force, au mensonge et au tour de passe-passe: les événements des derniers synodes l’ont démontré au-delà de tout doute raisonnable avec l’Exhortation post-synodale rédigée même avant le vote sur l’Instrumentum Laboris. Dans ce cas également, donc, le but préétabli était l’abolition de la messe tridentine, et la prophasis – c’est-à-dire l’excuse apparente – devait être la supposée «utilisation instrumentale du Missel romain de 1962, souvent caractérisée par un rejet non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II lui-même». En toute honnêteté, on peut peut-être accuser la Fraternité Saint-Pie X de cet usage instrumental, laquelle a le droit d’affirmer ce que chacun de nous sait bien, à savoir que la Messe de Saint Pie V est incompatible avec l’ecclésiologie et la doctrine post-conciliaires. Mais la Fraternité n’est pas concernée par le Motu Proprio, et elle a toujours célébré en utilisant le Missel de 1962 précisément en vertu de ce droit inaliénable reconnu par Benoît XVI, et qui n’a pas été créé ex nihilo en 2007.

Le prêtre diocésain qui célèbre la messe dans l’église qui lui est assignée par l’évêque, et qui chaque semaine doit monter à l’autel sous les accusations de catholiques progressistes zélés uniquement parce qu’il a osé réciter le Confiteor avant d’administrer la communion aux fidèles, sait très bien qu’il ne peut pas dire du mal du Novus Ordo ou de Vatican II, car à la première syllabe il serait déjà convoqué à la Curie et envoyé dans une église paroissiale perdue dans les montagnes. Ce silence, toujours douloureux et presque toujours perçu par tous comme plus éloquent que bien des mots, est le prix à payer pour avoir la possibilité de célébrer la Sainte Messe de tous les temps, afin de ne pas priver les fidèles des Grâces qu’elle déverse sur l’Église et sur le monde. Et ce qui est encore plus absurde, c’est qu’alors qu’on entend dire impunément que la messe tridentine doit être abolie parce qu’incompatible avec l’ecclésiologie de Vatican II, dès qu’on dit la même chose, c’est-à-dire que la messe montinienne est incompatible avec l’ecclésiologie catholique – nous sommes aussitôt l’objet de condamnation, et notre affirmation sert de preuve contre nous devant le tribunal révolutionnaire de Santa Marta.

Je me demande quelle sorte de maladie spirituelle a pu frapper les Bergers au cours des dernières décennies, afin de les amener à devenir, non pas des pères aimants mais des censeurs impitoyables de leurs prêtres, des fonctionnaires en veille permanente et prêts à révoquer tous droits en vertu d’un chantage qu’ils n’essaient même pas de cacher. Ce climat de méfiance ne contribue en rien à la sérénité de bien des bons prêtres, alors que le bien qu’ils font est toujours placé sous le prisme de fonctionnaires qui considèrent les fidèles liés à la Tradition comme un danger, comme une présence agaçante à tolérer tant qu’elle se démarque trop. Mais comment concevoir même une Église dans laquelle le bien est systématiquement entravé et quiconque le fait est regardé avec méfiance et tenu sous contrôle? Je comprends donc le scandale de beaucoup de catholiques, de fidèles et de pas mal de prêtres, face à ce «berger qui au lieu de flairer ses brebis, les bat avec colère avec un bâton».

L’incompréhension de pouvoir jouir d’un droit comme s’il s’agissait d’une concession gracieuse se retrouve aussi dans les affaires publiques, où l’État se permet d’autoriser les déplacements, les cours, l’ouverture d’activités et l’exécution de travaux, en autant que l’on subisse l’inoculation avec le sérum génétique expérimental. Ainsi, de même que la «forme extraordinaire» est accordée à condition d’accepter le Concile et la messe réformée, de même dans la sphère civile les droits des citoyens sont accordés à condition d’accepter le récit pandémique, la vaccination et les systèmes de traçage. Il n’est pas surprenant que dans de nombreux cas ce soient précisément les prêtres et les évêques – et Bergoglio lui-même – qui demandent que les gens soient vaccinés pour accéder aux sacrements – la parfaite synchronie d’action des deux côtés est pour le moins inquiétante.

Mais où est donc cette utilisation instrumentale du Missale Romanum ? Ne faut-il pas plutôt parler de l’utilisation instrumentale du Missel de Paul VI, qui – pour paraphraser les paroles de Bergoglio – se caractérise de plus en plus par un rejet croissant non seulement de la tradition liturgique préconciliaire mais de tous les Conciles œcuméniques antérieurs à Vatican II? D’autre part, n’est-ce pas précisément François qui considère comme une menace pour le Concile le simple fait qu’une messe, qui répudie et condamne toutes les déviations doctrinales de Vatican II, puisse être célébrée?

Autres incongruités

Jamais dans l’histoire de l’Église un Concile ou une réforme liturgique n’ont constitué un point de rupture entre ce qui a précédé et ce qui a suivi! Jamais au cours de ces deux millénaires les Pontifes Romains n’ont délibérément tracé une frontière idéologique entre l’Église qui les a précédés et celle qu’ils devaient gouverner, annulant et contredisant le Magistère de leurs Prédécesseurs! L’avant et l’après, au contraire, sont devenus une obsession, à la fois pour ceux qui ont prudemment insinué des erreurs doctrinales derrière des expressions équivoques, comme pour ceux qui – avec l’audace de ceux qui croient avoir gagné – ont propagé Vatican II comme “le 1789 de l’Église », comme un événement «prophétique» et «révolutionnaire». Avant le 7 juillet 2007, en réponse à la diffusion du rite traditionnel, un célèbre maître de cérémonie pontifical répondait avec dépit: ‘’Il n’y a pas de retour en arrière!’’ Et pourtant, apparemment avec François, on peut revenir sur la promulgation de Summorum Pontificum – et comment! – s’il sert à conserver le pouvoir et à empêcher le Bien de se répandre. C’est un slogan qui fait sinistrement écho au cri de «Rien ne sera comme avant» de la farce pandémique.

L’aveu par François d’une prétendue division entre les fidèles liés à la liturgie tridentine et ceux qui se sont largement adaptés par habitude ou résignation à la liturgie réformée est révélateur: il ne cherche pas à guérir cette division en reconnaissant de plein droit un rite qui est objectivement mieux par rapport au rite montinien, mais – précisément pour éviter que la supériorité ontologique de la messe de saint Pie V ne devienne évidente, et pour empêcher que n’émergent les critiques du rite réformé et de la doctrine qu’elle exprime – il l’interdit, il la qualifie de clivante, il la cantonne aux réserves indiennes, essayant de limiter au maximum sa diffusion, afin qu’elle disparaisse complètement au nom de la culture de l’annulation dont la révolution conciliaire a été le malheureux précurseur. Ne pouvant tolérer que le Novus Ordo et Vatican II sortent inexorablement vaincus de leur confrontation avec le Vetus Ordo et l’éternel Magistère catholique, la seule solution qui puisse être adoptée est d’effacer toute trace de la Tradition, la reléguant au refuge nostalgique de quelques octogénaires irréductibles ou d’une clique d’excentriques, ou le présentant – comme prétexte – comme le manifeste idéologique d’une minorité d’intégristes. D’autre part, la construction d’une version médiatique cohérente avec le système, à répéter ad nauseam pour endoctriner les masses, est l’élément récurrent non seulement dans la sphère ecclésiastique mais aussi dans la sphère politique et civile, de sorte qu’il apparaît avec une évidence déconcertante que l’église profonde et l’état profond ne sont rien d’autre que deux voies parallèles qui vont dans le même sens et ont pour destination finale le Nouvel Ordre Mondial, avec sa religion et son prophète.

La division est là, évidemment, mais elle ne vient pas des bons catholiques et du clergé qui restent fidèles à la doctrine de toujours, mais plutôt de ceux qui ont remplacé l’orthodoxie par l’hérésie et le Saint Sacrifice par une agape fraternelle. Cette division n’est pas nouvelle aujourd’hui, mais remonte aux années 60, lorsque «l’esprit du Concile», l’ouverture sur le monde et le dialogue interreligieux ont fait de la paille avec deux mille ans de catholicité et ont révolutionné tout le corps ecclésial, persécutant et ostracisant le réfractaire. Pourtant, cette division – accomplie en portant la confusion doctrinale et liturgique au sein de l’Église – ne paraissait pas si déplorable à ce moment; alors qu’aujourd’hui, en pleine apostasie, ils sont paradoxalement considérés comme des diviseurs qui demandent, non pas la condamnation explicite de Vatican II et du Novus Ordo, mais simplement la tolérance de la messe «dans la forme extraordinaire» au nom du tant vanté pluralisme aux multiples facettes.

De manière significative, même dans le monde civilisé, la protection des minorités n’est valable que lorsqu’elles servent à démolir la société traditionnelle, alors qu’une telle protection est ignorée lorsqu’elle garantissait les droits légitimes d’honnêtes citoyens. Et il est devenu clair que, sous prétexte de protection des minorités, la seule intention était d’affaiblir la majorité des bons, alors que maintenant que la majorité est composée de ceux qui sont corrompus, la minorité des bons peut être écrasée sans pitié: l’histoire récente ne manque pas de précédents éclairants à cet égard.

Le caractère tyrannique de Traditionis custodes

À mon avis, ce n’est pas tant tel ou tel point du Motu Proprio qui déconcerte, mais plutôt son caractère globalement tyrannique accompagné d’une fausseté substantielle des arguments avancés pour justifier les décisions imposées. Le scandale est également donné par l’abus de pouvoir commis par une autorité qui a sa propre raison d’être non pas en empêchant ou en limitant les grâces qui sont accordées à ses adhérents à travers l’Église, mais plutôt en promouvant ces grâces; non pas en ôtant la Gloire à la Divine Majesté avec un rite qui fait un clin d’œil aux Protestants mais plutôt en lui rendant parfaitement cette Gloire; non pas en semant des erreurs doctrinales et morales, mais plutôt en les condamnant et en les éradiquant. Ici aussi, le parallèle avec ce qui se passe dans le monde civil n’est que trop évident: nos gouvernants abusent de leur pouvoir comme le font nos prélats, imposant des normes et des limitations en violation des principes les plus élémentaires du droit. De plus, ce sont précisément ceux qui sont constitués en autorité, sur les deux fronts, qui se prévalent souvent d’une simple reconnaissance de fait par la base – citoyens et fidèles – même lorsque les modalités par lesquelles ils ont pris le pouvoir violent, sinon la lettre, puis du moins l’esprit de la loi. Le cas de l’Italie – où un gouvernement non élu légifère sur l’obligation de se faire vacciner et sur le laissez-passer vert, violant la Constitution italienne et les droits naturels du peuple italien – ne semble pas très éloigné de la situation dans laquelle l’Église se retrouve, avec un Pontife résigné qui a été remplacé par Jorge Mario Bergoglio, choisi – ou du moins apprécié et soutenu – par la mafia de Saint-Gall et l’épiscopat ultra-progressiste. Il reste évident qu’il existe une crise profonde de l’autorité, tant civile que religieuse, dans laquelle ceux qui exercent le pouvoir le font à l’encontre de ceux qu’ils sont censés protéger, et surtout à l’encontre du but pour lequel cette autorité a été établie.

Analogies entre l’église profonde et l’état profond

Je pense qu’on a compris que la société civile et l’Église souffrent du même cancer qui a frappé la première avec la Révolution française et la seconde avec le Concile Vatican II: dans les deux cas, la pensée maçonnique est à la base de la démolition systématique de l’institution et son remplacement par un simulacre qui conserve ses apparences extérieures, sa structure hiérarchique et sa force coercitive, mais avec des finalités diamétralement opposées à celles qu’elle devrait avoir.

À ce stade, les citoyens d’une part et les fidèles d’autre part se trouvent dans la condition de devoir désobéir à l’autorité terrestre pour obéir à l’autorité divine, qui gouverne les Nations et l’Église. De toute évidence, les «réactionnaires» – c’est-à-dire ceux qui n’acceptent pas la perversion de l’autorité et veulent rester fidèles à l’Église du Christ et à leur patrie – constituent un élément de dissidence qui ne peut être toléré d’aucune façon, et donc ils doivent être discrédités, délégitimés, menacés et privés de leurs droits au nom d’un «bien public» qui n’est plus le bien commun (bonum commune) mais son contraire. Qu’ils soient accusés de théories du complot, de traditionalisme ou d’intégrisme, ces quelques survivants d’un monde qu’ils veulent faire disparaître constituent une menace pour l’accomplissement du plan global, juste au moment le plus crucial de sa réalisation. C’est pourquoi le pouvoir réagit d’une manière si ouverte, effrontée et violente: l’évidence de la fraude risque d’être comprise par un plus grand nombre de personnes, de les rassembler dans une résistance organisée, de briser le mur du silence et la féroce censure imposée par les médias grand public.

Nous pouvons donc comprendre la violence des réactions de l’autorité et nous préparer à une opposition forte et déterminée, en continuant à nous prévaloir de ces droits qui nous ont été abusivement et illicitement déniés. Bien sûr, nous pouvons nous retrouver à devoir exercer ces droits de manière incomplète lorsque nous nous voyons refuser la possibilité de voyager si nous n’avons pas notre laissez-passer vert ou si l’évêque nous interdit de célébrer la messe de tous les temps dans une église de son Diocèse, mais notre résistance aux abus d’autorité pourra encore compter sur les Grâces que le Seigneur ne cessera de nous accorder – notamment la vertu de Force si indispensable en temps de tyrannie.

La normalité qui fait peur

Si d’une part nous pouvons voir comment la persécution des dissidents est bien organisée et planifiée, d’autre part, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître la fragmentation de l’opposition. Bergoglio sait bien que tout mouvement de dissidence doit être réduit au silence, surtout en créant des divisions internes et en isolant les prêtres et les fidèles. Une collaboration fructueuse et fraternelle entre le clergé diocésain, les religieux et les instituts Ecclesia Dei est quelque chose qu’il doit éviter, car elle permettrait la diffusion d’une connaissance du rite antique, ainsi qu’une aide précieuse dans le ministère. Mais cela reviendrait à faire de la messe tridentine une «normalité» dans la vie quotidienne des fidèles, ce qui n’est pas tolérable pour François. Pour cette raison, le clergé diocésain est laissé à la merci de ses Ordinaires, tandis que les Instituts Ecclesia Dei sont placés sous l’autorité de la Congrégation des Religieux, triste prélude à un destin déjà scellé. N’oublions pas le sort qui est arrivé aux Ordres religieux florissants, coupables d’avoir été bénis par de nombreuses vocations qui furent nées et nourries précisément grâce à la Liturgie traditionnelle détestée et à la fidèle observance de la Règle. C’est pourquoi certaines formes d’insistance sur l’aspect cérémoniel des célébrations risquent de légitimer les dispositions du commissaire et de jouer le jeu de Bergoglio.

Même dans le monde civil, c’est justement en encourageant certaines dérives des dissidents que le pouvoir les marginalise et légitime les mesures répressives à leur égard: il suffit de penser au cas des mouvements anti-vaccin et à la facilité de discréditer les protestations légitimes des citoyens en soulignant les excentricités et les incohérences de quelques-uns. Et il est trop facile de condamner quelques personnes agitées qui, par exaspération, ont mis le feu à un centre de vaccination, éclipsant des millions d’honnêtes gens qui descendent dans la rue pour ne pas être marqués du passeport sanitaire ou licenciés s’ils ne permettent pas se faire vacciner.

Ne restez pas isolé et désorganisé

Un autre élément important pour nous tous est la nécessité de donner de la visibilité à notre protestation et d’assurer une forme de coordination de l’action publique. Avec l’abolition de Summorum Pontificum, nous nous retrouvons vingt ans en arrière. Cette décision malheureuse de Bergoglio d’annuler le Motu Proprio du Pape Benoît est vouée à un échec inexorable, car elle touche l’âme même de l’Église, dont le Seigneur Lui-même est le Pontife et le Grand Prêtre. Et il n’est pas acquis que tout l’épiscopat – comme on le voit ces derniers jours avec soulagement – veuille se soumettre passivement à des formes d’autoritarisme qui ne contribuent certainement pas à apporter la paix dans les âmes. Le Code de droit canonique garantit aux évêques la possibilité de dispenser leurs fidèles des lois particulières ou universelles, sous certaines conditions.

Deuxièmement, le peuple de Dieu a bien compris la nature subversive de Traditionis Custodes et est instinctivement amené à vouloir connaître quelque chose qui suscite une telle désapprobation chez les progressistes. Ne nous étonnons donc pas si nous commençons bientôt à voir les fidèles issus de la vie paroissiale ordinaire et même ceux éloignés de l’Église se diriger vers les églises où est célébrée la messe traditionnelle. Il sera de notre devoir, que ce soit en tant que ministres de Dieu ou en tant que simples fidèles, de faire preuve de fermeté et de résistance sereine face à de tels abus, marchant sur le chemin de notre propre petit Calvaire avec un esprit surnaturel, tandis que les nouveaux grands prêtres et scribes du peuple vont se moquer de nous et nous étiqueter comme des fanatiques. Ce sera notre humilité, l’offrande silencieuse des injustices envers nous, et l’exemple d’une vie conforme au Credo que nous professons qui mériteront le triomphe de la messe catholique et la conversion de beaucoup d’âmes. Et rappelons-nous que, puisque nous avons beaucoup reçu, beaucoup nous sera demandé.

Restitutio in integrum (restitution à l’état d’origine)

”Quel père parmi vous, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre? Ou s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent à la place?” (Lc 11, 11-12). Maintenant nous pouvons comprendre le sens de ces paroles, considérant avec douleur et tourment de cœur le cynisme d’un père qui nous donne les pierres d’une liturgie sans âme, les serpents d’une doctrine corrompue, et les scorpions d’une morale frelatée. Et qui arrive à diviser le troupeau du Seigneur entre ceux qui acceptent le Novus Ordo et ceux qui veulent rester fidèles à la messe de nos pères, exactement comme les dirigeants civils dressent les vaccinés et les non vaccinés les uns contre les autres.

Lorsque Notre-Seigneur entra à Jérusalem assis sur un ânon, tandis que la foule étendait des manteaux à son passage, les pharisiens lui demandèrent: ”Maître, réprimande tes disciples”. Le Seigneur leur répondit : «Je vous dis que si ceux-ci se taisent, les pierres crieront» (Lc 19, 28-40). Depuis soixante ans crient les pierres de nos églises, d’où le Saint Sacrifice a été deux fois proscrit. Le marbre des autels, les colonnes des basiliques et les voûtes élancées des cathédrales crient aussi, parce que ces pierres, consacrées au culte du vrai Dieu, sont aujourd’hui abandonnées et désertes, ou profanées par des rites odieux, ou transformés en parkings et en supermarchés, précisément à cause de ce Concile que l’on tient à défendre. Crions aussi: nous qui sommes les pierres vivantes du temple de Dieu. Crier avec foi vers le Seigneur, afin qu’il donne la parole à ses disciples, aujourd’hui muets, et que soit réparé le vol intolérable dont sont responsables les administrateurs de la Vigne du Seigneur.

Mais pour que ce vol soit réparé, il faut que nous nous montrions dignes des trésors qui nous ont été volés. Essayons de le faire par notre sainteté de vie, en donnant l’exemple des vertus, par la prière et la réception fréquente des sacrements. Et n’oublions pas qu’il y a des centaines de bons prêtres qui connaissent encore le sens de l’Onction Sacrée par laquelle ils ont été ordonnés Ministres du Christ et dispensateurs du Mystère de Dieu. Le Seigneur daigne descendre sur nos autels, même lorsqu’ils sont érigés dans des caves ou des greniers.”

Contrariisquibuslibet minime obstantibus

Mgr Carlo Maria Viganò, archevêque

28 juillet 2021
SS. Nazarii et Celsi Martyrum, Victoris I Papae et Martyris ac Innocentii I Papae et Confessoris

Source : catholicfamilynews.com