Jeudi après les Cendres
La liturgie du jour

Voici la signification de la liturgie de ce jeudi après les cendres, telle que nous la donnent Dom Guéranger et le pieux Cardinal Schuster.

 

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Voici le sens de la liturgie aujourd’hui, tel que nous le donnent Dom Guéranger et le pieux Cardinal Schuster.

La sainte Église a distingué ces trois jours qui suivent le Mercredi des Cendres, en leur assignant à chacun une lecture de l’Ancien Testament, et une autre du saint Évangile, pour être faites à la Messe.

Les saintes Écritures, les Pères et les Théologiens catholiques distinguent trois sortes d’œuvres de pénitence : la prière, le jeûne et l’aumône. Dans les lectures qu’elle nous propose, durant ces trois jours qui sont comme l’entrée du Carême, la sainte Église veut nous instruire sur la manière d’accomplir ces différentes œuvres ; aujourd’hui, c’est la prière qu’elle nous recommande. Voyez ce centurion qui vient implorer auprès du Seigneur la guérison de son serviteur. Sa prière est humble ; c’est du fond de son cœur qu’il se juge indigne de recevoir la visite de Jésus. Sa prière est pleine de foi ; il ne doute pas un instant que le Seigneur ne puisse lui accorder l’objet de sa demande. Avec quelle ardeur il la présente ! La foi de ce gentil surpasse celle des enfants d’Israël, et mérite l’admiration du Fils de Dieu. Ainsi doit être notre prière, lorsque nous implorons la guérison de nos âmes. Reconnaissons que nous sommes indignes de parler à Dieu, et cependant insistons avec une foi inaltérable dans la puissance et dans la bonté de celui qui n’exige de notre part la prière qu’afin de la récompenser par l’effusion de ses miséricordes. Le temps où nous sommes est un temps de prière ; l’Église redouble ses supplications ; c’est pour nous qu’elle les offre ; ne la laissons pas prier seule. Déposons en ces jours cette tiédeur dans laquelle nous avons langui, et souvenons-nous que si nous péchons tous les jours, c’est la prière qui répare nos fautes, et qui nous préservera d’en commettre de nouvelles.

Une galerie de héros

Le Christ nous a enrôlés, hier, dans l’armée chrétienne ; aujourd’hui, l’Église veut nous inspirer du courage en nous faisant parcourir une galerie de héros.

a) Le premier héros est le chevalier saint Georges, dans l’église duquel a lieu l’office de station 1. Dans cette église, le pape saint Zacharie (741-752) fit transporter le chef du martyr saint Georges qu’il avait découvert au Latran. Le texte de la messe s’inspire entièrement de la station. Au point central, se tient le chevalier Saint Georges, le vainqueur du dragon. C’est un magnifique symbole du travail du Carême : le Christ s’avance au combat contre les ténèbres, il lui faut combattre le dragon infernal et il doit lui écraser la tête. C’est aussi le devoir du Christ mystique de l’Église. Les catéchumènes, les pénitents, les fidèles doivent combattre le dragon. C’est mon devoir à moi aussi, c’est mon travail de Carême ; je dois conquérir un peu de terre sainte en l’arrachant à la terre ennemie. Puissions-nous nous rappeler souvent que nous sommes les soldats de Dieu. Aujourd’hui, nous combattons sous les drapeaux et sous la conduite du chevalier saint Georges.

b) Le second héros est le roi Ézéchias, un des meilleurs rois juifs. C’est déjà quelque chose que de pouvoir se présenter devant Dieu et dire : je marche dans la vérité et d’une manière parfaite, avec un cœur pur. Quand ce roi pleure si amèrement à la pensée de quitter la vie, il ne faut pas trop lui en vouloir, car les Juifs ne connaissaient pas encore l’éternité bienheureuse. L’Église ne veut d’ailleurs pas le proposer à notre imitation ; son intention est de nous montrer, dans sa maladie corporelle, une image de la maladie spirituelle du pénitent. Nous devons, nous aussi, pleurer sur la santé perdue de notre âme et implorer la guérison. La victoire d’Ézéchias est une victoire de la prière. Il nous indique, comme arme spéciale, la prière. Or, durant le temps de Carême, nous devons faire usage de cette arme avec ardeur et persévérance.

c) Le troisième héros est le centurion de Capharnaüm. Il nous est incomparablement plus sympathique. Il est le porte-bannière des Gentils ; ses vertus sont pour nous un modèle merveilleux : sa charité pour ses esclaves, son humilité envers le Christ, sa foi, son sens du devoir. Le Sauveur voit même en lui le conducteur de l’Église des Gentils. Sa victoire est une victoire de l’humilité. Il a véritablement « rejeté sur le Seigneur le souci » de son serviteur et il a été exaucé. Or que veut nous enseigner la liturgie ? Ce que le centurion a fait pour son serviteur, faisons-le pour notre âme. — La liturgie lui consacre, dans le bréviaire, un répons spécial ; c’est un cas exceptionnel qui ne se reproduit que trois fois dans tout le Carême. Ce répons est très dramatique ; il contient trois discours directs : la prière du centurion, la réponse du Christ, la parole d’humilité du centurion : –  ;Seigneur, mon serviteur est couché, paralysé, et souffre beaucoup. –  ;En vérité, je te le dis, j’irai et je le guérirai. –  ;Seigneur, je ne suis pas digne que vous veniez sous mon toit, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri.

d) Le quatrième héros est le Roi de tous les héros, le Christ. Pendant le Carême, nous nous armons pour prendre part à sa grande victoire pascale ; aussi nous assistons chaque jour au Saint-Sacrifice qui est la représentation de son combat héroïque sur le Golgotha. Sa victoire renferme celle dès trois héros ; bien plus, dans sa victoire, se trouve compris aussi le combat de Carême de toute l’Église et de tous les chrétiens. Unissons-nous à lui et puisons, dans le prix de sa victoire, le courage et la force.

La messe

— La messe comprend deux motifs : celui de la station et celui de la pénitence. Dans l’Introït, le chevalier saint Georges s’adresse à chacun de nous, personnellement ; il nous raconte sa victoire sur le dragon ; ce fut une victoire de la prière. Dieu, l’éternel et l’immuable, a abaissé ses ennemis. C’est pourquoi il se tourne vers nous et nous dit : faites de même, jetez vos soucis sur le Seigneur. Ces paroles doivent s’entendre précisément des soucis angoissants, dans le sens du Sermon sur la montagne ; il faut plutôt comprendre, ici, que notre travail de Carême n’est pas un travail humain, mais un travail divin. Dieu nous « nourrira » ; ici, la liturgie pense sans doute à l’Eucharistie. Tout le psaume 54 nous fait jeter un regard sur les combats spirituels des catéchumènes, des pénitents et des chrétiens ; sans doute aussi sur ceux du Christ. La liturgie met alors sous nos yeux un triptyque : au milieu, nous voyons saint Georges ; à gauche et à droite, deux figures bibliques chevaleresques : le roi Ézéchias et le centurion païen de Capharnaüm. Tous les deux ont remporté une victoire de la prière ; le premier, pour sa propre vie le second, pour celle de son serviteur. Le Graduel reprend les pensées de l’Introït et nous exhorte à la confiance en Dieu qui nous exauce comme il a exaucé Ézéchias.

Remarquons cependant que la messe s’adresse surtout aux pénitents. Elle est une consolation pour eux ; elle leur crie : combattez comme saint Georges, priez comme Ézéchias, humiliez-vous comme le centurion ; alors viendra la victoire pascale : vous serez exaucés et relevés. Les pénitents ont perdu la vie divine ; maintenant, ils pleurent comme Ézéchias : « Il pleura abondamment » ; ils se tiennent devant la porte de l’église et disent : Seigneur, je ne suis pas digne d’entrer sous ton toit. (Quand nous récitons ces paroles avant la communion, mettons-nous à la place des pénitents, comme nous l’avons fait hier en recevant les cendres). Nous comprenons à présent pourquoi cette messe contient des prières instantes de pénitence : l’oraison qui est devenue l’oraison classique de la pénitence.

L’oraison finale sur le peuple (« Épargne, Seigneur, épargne ton peuple »), ainsi que l’antienne de communion qui est le psaume de pénitence 50. C’est avec les sentiments d’humilité du centurion et la contrition du pénitent que nous approchons aujourd’hui de la Table sainte. L’offertoire, avec le psaume d’Avent 24, est rempli de graves sentiments de pénitence.

[1] À Rome, dès l’antiquité chrétienne, la « station » était l’église où le pape retrouvait son peuple pour les jours liturgiques plus solennels ; les sacramentaires romains indiquent la station prévue pour de nombreux dimanches et fêtes (pendant l’Avent et le Carême surtout). Aux XIIIe et XIVe siècles la coutume se perd, mais le nom des stations reste inscrit dans le Missel. Le lieu de la station était souvent choisi en rapport avec le jour liturgique et explique souvent l’emploi des textes du propre de la messe. Ainsi, l’épître du dimanche de la Sexagésime, qui parle des grands travaux de l’Apôtre saint Paul, s’explique par le fait que la station de ce jour avait lieu à Saint-Paul-hors-les-murs.