Vigile de Noël

Dom Guéranger ~ L’année liturgique
Vigile de Noël

Si le quatrième dimanche de l’avent et la vigile de Noël tombent le même jour, on prend la messe et l’office de la vigile et non du quatrième dimanche.

«Enfin, dit saint Pierre Damien dans son sermon pour ce jour, nous voici arrivés de la haute mer dans le port, de la promesse à la récompense, du désespoir à l’espérance, du travail au repos, de la voie à la patrie. Les courriers de la divine promesse s’étaient suc­cédé ; mais ils n’apportaient rien avec eux, si ce n’est le renou­vellement de cette même promesse. C’est pourquoi notre psal­miste s’était laissé aller au sommeil, et les derniers accents de sa harpe semblaient accuser les retards du Seigneur. Vous nous avez repoussés, disait-il, vous nous avez dédaignés ; et vous avez dif­féré l’arrivée de votre Christ [1]. Puis, passant de la plainte à l’audace, il s’était écrié d’une voix impérative : Manifestez-vous donc, ô vous qui êtes assis sur les Chérubins [2] ! En repos sur le trône de votre puissance, entouré des bataillons volants de vos anges, ne daignerez-vous pas abaisser vos regards sur les enfants des hommes, victimes d’un péché commis par Adam, il est vrai, mais permis par vous-même ? Souvenez-vous de ce qu’est notre nature ; c’est à votre ressemblance que vous l’avez créée ; et si tout homme vivant est vanité, ce n’est pas du moins en ce qu’il a été fait à votre image. Abaissez donc vos cieux et descendez ; abaissez les cieux de votre miséricorde sur les misérables qui vous supplient, et du moins ne nous oubliez pas éternellement. Isaïe à son tour, dans la violence de ses désirs, disait : À cause de Sion, je ne me tairai pas ; à cause de Jérusalem, je ne me reposerai pas, jusqu’à ce que le Juste quelle attend se lève enfin dans son éclat. Forcez donc les cieux et descendez ! Enfin, tous les prophètes, fatigués d’une trop longue attente, n’ont cessé de faire entendre tour à tour les supplications, les plaintes, et souvent même les cris de l’impatience. Quant à nous, nous les avons assez écoutés ; assez longtemps nous avons répété leurs paroles : qu’ils se reti­rent maintenant ; il n’est plus pour nous de joie, ni de consola­tion, jusqu’à ce que le Sauveur, nous honorant du baiser de sa bouche, nous dise lui-même : Vous êtes exaucés.

Mais que venons-nous d’entendre ? Sanctifiez-vous, enfants d’Israël, et soyez prêts : car demain descendra le Seigneur. Le reste de ce jour, et à peine la moitié de la nuit qui va venir nous séparent de cette entrevue glorieuse, nous cachent encore l’Enfant-Dieu et son admirable naissance. Courez, heures légè­res ; achevez rapidement votre cours, pour que nous puissions bientôt voir le Fils de Dieu dans son berceau et rendre nos hommages à cette Nativité qui sauve le monde. Je pense, mes Frères, que vous êtes de vrais enfants d’Israël, purifiés de toutes les souillures de la chair et de l’esprit, tout prêts pour les mystères de demain, pleins d’empressement à témoigner de votre dévotion. C’est du moins ce que je puis juger, d’après la manière dont vous avez passé les jours consacrés à attendre l’Avènement du Fils de Dieu. Mais si pourtant quelques gouttes du fleuve de la mortalité avaient tou­ché votre cœur, hâtez-vous aujourd’hui de les essuyer et de les couvrir du blanc linceul de la Confession. Je puis vous le promet­tre de la miséricorde de l’Enfant qui va naître : celui qui confes­sera son péché avec repentir, la Lumière du monde naîtra en lui ; les ténèbres trompeuses s’évanouiront, et la splendeur véritable lui sera donnée. Car comment la miséricorde serait-elle refusée aux malheureux, en cette nuit même où prend naissance le Sei­gneur miséricordieux ? Chassez donc l’orgueil de vos regards, la témérité de votre langue, la cruauté de vos mains, la volupté de vos reins ; retirez vos pieds du chemin tortueux, et puis venez et jugez le Seigneur, si, cette nuit, il ne force pas les Cieux, s’il ne descend pas jusqu’à vous, s’il ne jette pas au fond de la mer tous vos péchés. »

Ce saint jour est, en effet, un jour de grâce et d’espérance, et nous devons le passer dans une pieuse allégresse. L’Église, déro­geant à tous ses usages habituels, veut que si la vigile de Noël vient à tomber au dimanche, le jeûne seul soit anticipé au sa­medi ; mais dans ce cas l’office et la messe de la vigile l’emportent sur l’office et la messe du quatrième dimanche de l’avent : tant ces dernières heures qui précèdent immédiatement la Nativité lui semblent solennelles ! Dans les autres fêtes, si importantes qu’elles soient, la solennité ne commence qu’aux premières vêpres ; jusque-là l’Église se tient dans le silence, et célèbre les divins offices et le Sacrifice suivant le rite quadragésimal. Au­jourd’hui, au contraire, dès le point du jour, à l’office des laudes, la grande fête semble déjà commencer. L’intonation solennelle de cet office matutinal annonce le rite double ; et les antiennes sont chantées avec pompe avant et après chaque psaume ou cantique. À la Messe, si l’on retient encore la couleur violette, du moins on ne fléchit plus les genoux comme dans les autres féries de l’avent ; et il n’y a plus qu’une seule collecte, au lieu des trois qui caractéri­sent une messe moins solennelle.

Entrons dans l’esprit de la sainte Église, et préparons-nous, dans toute la joie de nos cœurs, à aller au-devant du Sauveur qui vient à nous. Accomplissons fidèlement le jeûne qui doit alléger nos corps et faciliter notre marche ; et, dès le matin, songeons que nous ne nous étendrons plus sur notre couche que nous n’ayons vu naître, à l’heure sacrée, Celui qui vient illuminer toute créa­ture ; car c’est un devoir, pour tout fidèle enfant de l’Église Catholique, de célébrer avec elle cette nuit heureuse durant laquelle, malgré le refroidissement de la piété, l’univers entier veille encore à l’arrivée de son Sauveur : dernier vestige de la piété des anciens jours, qui ne s’effacerait qu’au grand malheur de la terre.

Parcourons en esprit de prière les principales parties de l’office de cette vigile. D’abord, la sainte Église éclate par un cri d’avertissement qui sert d’invitatoire à matines, d’introït et de graduel à la messe. C’est la parole de Moïse annonçant au peuple la manne céleste que Dieu enverra le lendemain. Nous aussi, nous attendons notre manne, Jésus-Christ, Pain de vie, qui va naître dans Bethlehem, la Maison du Pain.

Invitatoire

Sachez aujourd’hui que le Seigneur viendra ;
et dès le matin vous verrez sa gloire.

Les répons sont remplis de majesté et de douceur. Rien de plus lyrique ni de plus touchant que leur mélodie, dans cette nuit qui précède la nuit même où le Seigneur vient en personne.

R/. Sanctifiez-vous aujourd’hui, et soyez prêts : car demain vous verrez * la Majesté de Dieu au milieu de vous. V/. Sachez aujourd’hui que le Seigneur va venir ; et demain vous verrez * la Majesté de Dieu au milieu de vous.

R/. Soyez constants ; vous verrez venir sur vous le secours du Seigneur. Ô Judée et Jérusalem ! ne craignez point : * De­main vous serez délivrées, et le Seigneur sera avec vous. V/. Sanctifiez-vous, enfants d’Israël, et soyez prêts. * Demain vous serez délivrés, et le Seigneur sera avec vous.

R/. Sanctifiez-vous, enfants d’Israël, dit le Seigneur ; car demain le Seigneur descendra. * Et il ôtera de vous toute lan­gueur. V/. Demain, l’iniquité de la terre sera effacée ; et le Sauveur du monde régnera sur nous. * Et il ôtera de vous toute langueur.

L’annonce de Noël au martyrologe

À l’office de prime, dans les chapitres et les monastères, on fait en ce jour l’annonce solennelle de la fête de Noël, avec une pompe extraordinaire. Le lecteur, qui est souvent une des dignités du chœur, chante sur un ton plein de magnificence la leçon suivante du martyrologe, que les assistants écoutent debout, jusqu’à l’endroit où la voix du lecteur fait retentir le nom de Bethlehem. À ce nom, tout le monde se prosterne, jusqu’à ce que la grande nou­velle ait été totalement annoncée.

Le huit des calendes de janvier. L’an de la création du monde, quand Dieu au commencement créa le ciel et la terre, cinq mille cent quatre-vingt-dix-neuf : du déluge, l’an deux mille neuf cent cinquante-sept : de la naissance d’Abraham, l’an deux mille quinze : de Moïse et de la sortie du peuple d’Israël de l’Égypte, l’an mille cinq cent dix : de l’onction du roi David, l’an mille trente-deux : en la soixante-cinquième semaine, selon la prophétie de Daniel : en la cent quatre-vingt-quatorzième olympiade : de la fondation de Rome, l’an sept cent cinquante-deux : d’Octavien Auguste, l’an quarante-deuxième : tout l’univers étant en paix : au sixième âge du monde : Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils du Père éternel, voulant consacrer ce monde par son très miséricordieux avènement, ayant été conçu du Saint-Esprit, et neuf mois s’étant écoulés depuis la conception, naît, fait homme, de la Vierge Marie, en Bethlehem de Judée : la nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ selon la chair !

Ainsi toutes les générations ont comparu successivement devant nous [3]. Interrogées si elles auraient vu passer Celui que nous attendons, elles se sont tues, jusqu’à ce que le nom de Marie s’étant d’abord fait entendre, la Nativité de Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, a été proclamée. « Une voix d’allégresse a re­tenti sur notre terre, dit à ce sujet saint Bernard dans son pre­mier sermon sur la vigile de Noël ; une voix de triomphe et de salut sous les tentes des pécheurs. Nous venons d’entendre une parole bonne, une parole de consolation, un discours plein de charmes, digne d’être recueilli avec le plus grand empressement. Monta­gnes, faites retentir la louange ; battez des mains, arbres des forêts, devant la face du Seigneur ; car le voici qui vient. Cieux, écoutez ; terre, prête l’oreille ; créatures, soyez dans l’étonnement et la louange ; mais toi surtout, ô homme ! Jésus-Christ, Fils de Dieu, naît en Bethlehem de Judée ! Quel cœur, fût-il de pierre, quelle âme ne se fond pas à cette parole ? Quelle plus douce nou­velle ? quel plus délectable avertissement ? qu’entendit-on jamais de semblable ? quel don pareil le monde a-t-il jamais reçu ? Jésus Christ, Fils de Dieu, naît en Bethlehem de Judée ! Ô parole brève qui nous annonce le Verbe dans son abaissement ! mais de quelle suavité n’est-elle pas remplie ! Le charme d’une si mielleuse dou­ceur nous porte à chercher des développements à cette parole ; mais les termes manquent. Telle est, en effet, la grâce de ce dis­cours, que si j’essaie d’en changer un iota, j’en affaiblis la saveur : Jésus-Christ, Fils de Dieu, naît en Bethlehem de Judée ! »

À la messe

Introït

Sachez aujourd’hui que le Seigneur va venir, et il nous sau­vera ; et dès le matin vous verrez sa gloire. Ps. La terre est au Seigneur, et tout ce qu’elle renferme ; l’univers et tous ceux, qui l’habitent. Gloire au Père. Sachez.

Dans la collecte, l’Église semble encore préoccupée de la venue du Christ comme juge ; mais c’est la dernière fois qu’elle fera allu­sion à ce dernier avènement. Désormais, elle sera toute à ce Roi pacifi­que, à cet Époux qui vient à elle ; et ses enfants doivent imiter sa confiance.

Prions

Ô Dieu ! qui nous comblez de joie tous les ans, par l’attente de notre rédemption ; faites que, comme nous recevons avec allégresse votre Fils unique notre Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’il vient nous racheter, nous puissions pareillement le contempler avec assurance lorsqu’il viendra nous juger : Lui qui vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

Dans l’Épître, l’Apôtre saint Paul, s’adressant aux Romains, leur annonce la dignité et la sainteté de l’Évangile, c’est-à-dire de cette bonne Nouvelle que les anges vont faire retentir dans la nuit qui s’approche. Or, le sujet de cet Évangile, c’est le Fils qui est né à Dieu de la race de David selon la chair, et qui vient pour être dans l’Église le principe de la grâce et de l’apostolat, par lesquels il fait qu’après tant de siècles, nous sommes encore associés aux joies d’un si grand mystère.

Épître
Lecture de l’Épître de saint Paul aux Romains. Chap. 1

Paul, serviteur de Jésus-Christ, Apôtre par la vocation divine, choisi pour prêcher l’Évangile de Dieu (que Dieu avait promis longtemps auparavant par ses prophètes, dans les Écritures saintes), au sujet du Fils qui lui est né, de la race de David selon la chair ; lequel a été prédestiné Fils de Dieu dans la puissance, selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les morts ; au sujet, dis-je, de Jésus-Christ notre Sei­gneur, par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat, pour rendre obéissantes à la foi, par la vertu de son Nom, toutes les nations, au nombre desquelles vous aussi avez été appelés par Jésus-Christ notre Seigneur.

Graduel

R/. Sachez aujourd’hui que le Seigneur va venir, et il nous sauvera ; et dès le matin vous verrez sa gloire. V/. Regardez-nous, ô vous qui régissez Israël, qui conduisez Joseph comme une brebis. Vous qui êtes assis sur les Chérubins, paraissez aux yeux d’Éphraïm, de Benjamin et de Manassé.

Si la vigile de Noël tombe un dimanche, on ajoute l’Alleluia avec son verset, ainsi qu’il suit :

Alleluia alleluia. V/. Demain sera effacée l’iniquité de la terre, et le Sauveur du monde régnera sur nous. Alleluia.

L’évangile de cette messe est le passage dans lequel saint Mat­thieu raconte les inquiétudes de saint Joseph et la vision de l’ange. Il convenait que cette histoire, l’un des préludes de la nais­sance du Sauveur, ne fût pas omise dans la liturgie ; et jusqu’ici le lieu de la placer ne s’était pas présenté encore. D’autre part, cette lecture convient à la vigile de Noël, à raison des paroles de l’ange, qui indique le nom de Jésus comme devant être donné à l’Enfant de la Vierge, et qui annonce que cet enfant merveilleux sauvera son peuple du péché.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. 1

Marie, mère de Jésus, ayant épousé Joseph, se trouva en­ceinte par l’opération du Saint-Esprit, avant qu’ils eussent été ensemble. Joseph, son époux, qui était juste, ne voulant pas la diffamer, résolut de la quitter secrètement. Mais lorsqu’il était dans cette pensée, l’ange du Seigneur lui appa­rut en songe et lui dit : Joseph, fils de David, ne crains point de prendre avec toi Marie ton épouse ; car ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit ; et elle enfantera un fils à qui tu donne­ras le nom de Jésus : car ce sera lui qui sauvera son peuple, en le délivrant de ses péchés.

Offertoire

Ô princes ! ouvrez vos portes ; portes éternelles, élevez-vous ; et le Roi de gloire fera son entrée.

Secrète

Accordez-nous, s’il vous plaît, ô Dieu tout-puissant, que de même que nous prévenons par nos vœux l’adorable naissance de votre Fils ; ainsi nous recevions dans la joie les dons éter­nels de Celui qui vit et règne avec vous, dans les siècles des siècles ! Amen.

Pendant la communion, l’Église se réjouit de goûter déjà dans le Sacrement Eucharistique Celui dont la chair purifie et nourrit notre propre chair, et elle puise dans la consolation que cet ali­ment divin porte avec lui, la force d’attendre jusqu’à ce moment suprême où les anges vont l’appeler à la crèche du Messie.

Communion

La gloire du Seigneur va se révéler, et toute chair verra le Sauveur que notre Dieu envoie.

Postcommunion

Donnez-nous, Seigneur, de respirer, par la consolation que nous donne la pensée de la naissance de votre Fils unique, dont le céleste mystère est pour nous une nourriture et un breuvage. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Les liturgies ambrosienne et mozarabe ont peu de choses sail­lan­tes dans l’office et la messe de la vigile de Noël : nous ne leur em­prunterons donc rien, et nous nous bornerons à puiser dans l’Anthologie des Grecs quelques strophes du chant qu’ils ont in­titulé : Le commencement des Heures de la Nativité ; Tierce, Sexte et None.

Hymne pour la vigile de Noël

(Tirée de l’Anthologie des Grecs)

On inscrivit un jour à Bethlehem avec le vieillard Joseph, comme issue de la race de David, Marie qui portait en son sein virginal un fruit divin. Le temps d’enfanter était arrivé ; et il n’y avait plus de place en l’hôtellerie ; une grotte restait pour auguste palais à la vierge Reine.

Voici venir tout à l’heure l’accomplissement de la mystique promesse du prophète : « Et toi, Bethlehem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre entre les principautés, toi qui la première ornes la divine grotte : de toi me viendra le chef des Nations, né selon la chair d’une tendre Vierge, le Christ Dieu qui régira son nouveau peuple d’Israël. » Donnons-lui nos louanges.

Celui-ci est notre Dieu, né d’une Vierge et conversant parmi les hommes ; nous n’en connaîtrons point d’autre ; le Fils unique gisant dans une pauvre étable apparaît sous la forme d’un mortel, et le Seigneur de gloire est enveloppé de langes : l’Étoile invite les Mages à le venir adorer ; et nous, disons en nos chants : Ô Trinité sainte ! sauvez nos âmes.

Venez, fidèles, livrons-nous à de divins transports ; venez voir un Dieu descendre vers nous du haut du ciel en Bethlehem : élevons nos âmes en haut ; pour la myrrhe apportons les vertus de notre vie ; ornons-en d’avance son entrée en ce monde, et disons : Gloire au plus haut des cieux, à Dieu qui est un en trois personnes, lequel daigne manifester aux hommes sa grande miséricorde ! car, ô Christ ! vous avez racheté Adam et relevé l’œuvre de vos mains, ô ami des hommes !

Écoutez, ô cieux ! terre, prête l’oreille ; que l’univers s’ébranle jusque dans ses fondements, et que tout ce qu’il renferme soit saisi de frayeur. Le Dieu auteur de la chair prend lui-même une forme, et Celui qui de sa main créatrice corrobora toute créature, par une miséricordieuse compassion, parait revêtu d’un corps. Ô abîme des richesses de la sagesse et science de Dieu ! combien ses jugements sont incompréhensibles, com­bien ses voies impénétrables !

Venez, peuples chrétiens, voyons le prodige qui dépasse toute pensée, qui frappe d’étonnement toute imagination ; et pieu­sement prosternés, chantons avec foi des hymnes de louange. Aujourd’hui la Vierge vient à Bethlehem mettre au monde le Seigneur ; les chœurs des anges la précèdent ; Joseph son époux la voit et s’écrie : Quel prodige aperçois-je en toi, ô Vierge ! Comment pourras-tu enfanter, tendre génisse qui ne connus point le joug ?

Aujourd’hui naît d’une Vierge Celui dont la main contient toute créature ; Celui qui par essence est insaisissable, devenu semblable à un mortel, est enveloppé de langes ; il gît dans une crèche Celui qui au commencement posa les cieux sur leurs fondements ; Celui qui au désert faisait pleuvoir la manne pour son peuple, est nourri du lait de la mamelle ; l’Époux de l’Église invite les Mages, et le Fils de la Vierge accepte leurs présents. Nous adorons votre nativité, ô Christ ! favorisez-nous de vos divines manifestations.

Considérons la très pure Marie, toujours accompagnée de son fidèle époux Joseph, sortant de Jérusalem et se dirigeant vers Bethlehem. Ils y arrivent après quelques heures de marche, et, pour obéir à la volonté céleste, ils se rendent au lieu où ils devaient être enregistrés, selon l’édit de l’Empereur. On inscrit sur le registre public un artisan nommé Joseph, charpentier à Nazareth de Galilée ; sans doute on ajoute le nom de son épouse Marie qui l’a accompagné dans le voyage ; peut-être même est-elle qualifiée de femme enceinte, dans son neuvième mois : c’est là tout. Ô Verbe incarné ! aux yeux des hommes, vous n’êtes donc pas encore un homme ? vous visitez cette terre, et vous y êtes in­connu ; et pourtant, tout ce mouvement, toute l’agitation qu’entraîne le dénombrement de l’Empire, n’ont d’autre but que d’amener Marie, votre auguste Mère, à Bethlehem, afin qu’elle vous y mette au monde.

Ô Mystère ineffable ! que de grandeur dans cette bassesse appa­rente ! que de puissance dans cette faiblesse ! Toutefois, le souve­rain Seigneur n’est pas encore descendu assez. Il a parcouru les demeures des hommes, et les hommes ne l’ont pas reçu. Il va maintenant chercher un berceau dans l’étable des animaux sans raison : c’est là qu’en attendant les cantiques des anges, les hom­mages des Bergers, les adorations des Mages, il trouvera le bœuf qui connaît son Maître, et l’âne qui s’attache à la crèche de son Seigneur. » Ô Sauveur des hommes, Emmanuel, Jésus, nous allons nous rendre aussi à l’étable ; nous ne laisserons pas s’accomplir solitaire et délaissée la nouvelle naissance que vous allez prendre en cette nuit qui s’approche. À cette heure, vous allez frappant aux portes de Bethlehem, sans que les hommes consentent à vous ouvrir ; vous dites aux âmes, par la voix du divin cantique : « Ouvre-moi, ma sœur, mon amie ! car ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux imbibés des gouttes de la nuit. »

Nous ne voulons pas que vous franchissiez notre demeure : nous vous supplions d’entrer ; nous nous tenons vigilants à notre porte. « Venez donc, ô Seigneur Jésus ! venez ! »

[1]     Psaume 88.

[2]     Psaume 79.

[3]     L’Église, en ce seul jour et en cette seule circonstance, adopte la chro­no­logie des Septante, qui place la naissance du Sauveur après l’an cinq mille, tandis que la version Vulgate ne donne que quatre mille ans jusqu’à ce grand événement ; en quoi elle est d’accord avec le texte hébreu. Ce n’est point ici le lieu d’expliquer cette divergence de chrono­logie ; il suffit de reconnaître le fait comme une preuve de la liberté qui nous est laissée par l’Église sur cette matière.