Semaine de la Passion

Dom Guéranger ~ Année liturgique
La semaine de la Passion

[toc]

Le dimanche de la Passion

AUJOURD’HUI, si vous entendez la voix du Seigneur, n’endurcissez pas vos cœurs.

La sainte Église débute aujourd’hui, à l’Office de la nuit, par ces graves paroles du Roi‑Prophète. Autrefois les fidèles se faisaient un devoir d’assister au service nocturne, au moins les jours de Dimanches et de Fêtes ; ils tenaient à ne rien perdre des profonds enseignements que donne la sainte Liturgie. Mais, depuis bien des siècles, la maison de Dieu n’a plus été fréquentée avec cette assiduité qui faisait la joie de nos pères ; et peu à peu le clergé a cessé de célébrer publiquement des offices qui n’étaient plus suivis. Hors des Chapitres et des Monastères, on n’entend plus retentir l’ensemble si harmonieux de la louange divine ; et les merveilles de la Liturgie ne sont plus connues du peuple chrétien que d’une manière incomplète. C’est pour nous une raison de présenter à l’attention de nos lecteurs certains traits des divins Offices, qui autrement seraient pour eux comme s’ils n’existaient pas. Aujourd’hui, quoi de plus propre à les émouvoir que ce solennel avertissement que l’Église emprunte à David pour nous l’adresser, et qu’elle répétera chaque matin, jusqu’au jour de la Cène du Seigneur ? Pécheurs, nous dit-elle, en ce jour où commence à se faire entendre la voix plaintive du Rédempteur, ne soyez pas assez ennemis de vous-mêmes pour laisser vos cœurs dans l’endurcissement. Le Fils de Dieu s’apprête à vous donner la dernière et la plus vive marque de cet amour qui l’a porté à descendre du ciel ; sa mort est proche : on prépare le bois pour l’immolation du nouvel Isaac ; rentrez donc en vous-mêmes, et ne permettez pas que votre cœur, ému peut-être un instant, retourne à sa dureté ordinaire. Il y aurait à cela le plus grand des périls. Ces touchants anniversaires ont la vertu de renouveler les âmes dont la fidélité coopère à la grâce qui leur est offerte ; mais ils accroissent l’insensibilité chez ceux qui les voient passer, sans convertir leurs âmes. « Si donc aujourd’hui vous entendez la voix du Seigneur, n’endurcissez pas vos cœurs. »

Durant les semaines qui ont précédé, nous avons vu monter chaque jour la malice des ennemis du Sauveur. Sa présence, sa vue même les irrite, et l’on sent que cette haine concentrée n’attend que le moment d’éclater. La bonté, la douceur de Jésus continuent d’attirer à lui les âmes simples et droites ; en même temps que l’humilité de sa vie et l’inflexible pureté de sa doctrine repoussent de plus en plus le Juif superbe qui rêve un Messie conquérant, et le pharisien qui ne craint pas d’altérer la loi de Dieu, pour en faire l’instrument de ses passions. Cependant Jésus continue le cours de ses miracles ; ses discours sont empreints d’une énergie nouvelle ; ses prophéties menacent la ville et ce temple fameux dont il ne doit pas rester pierre sur pierre. Les docteurs de la loi devraient du moins réfléchir, examiner ces œuvres merveilleuses qui rendent un si éclatant témoignage au fils de David, et relire tant d’oracles divins accomplis en lui jusqu’à cette heure avec la plus complète fidélité. Hélas ! ces prophétiques oracles, ils s’apprêtent à les accomplir eux-mêmes jusqu’au dernier iota. David et Isaïe n’ont pas prédit un trait des humiliations et des douleurs du Messie que ces hommes aveugles ne s’empresseront de réaliser.

En eux s’accomplit donc cette terrible parole : « Celui qui aura blasphémé contre le Saint‑Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle futur. » (s. Matth. 12, 32) La synagogue court à la malédiction. Obstinée dans son erreur, elle ne veut rien écouter, rien voir ; elle a faussé à plaisir son jugement : elle a éteint en elle la lumière de l’Esprit‑Saint ; et on la verra descendre tous les degrés de l’aberration jusqu’à l’abîme. Lamentable spectacle que l’on retrouve encore trop souvent de nos jours, chez ces pécheurs qui, à force de résister à la lumière de Dieu, finissent par trouver un affreux repos dans les ténèbres ! Et ne soyons pas étonnés de rencontrer en d’autres hommes les traits que nous observons dans les coupables auteurs de l’effroyable drame qui va s’accomplir à Jérusalem. L’histoire de la Passion du Fils de Dieu nous fournira plus d’une leçon sur les tristes secrets du cœur humain et de ses passions. Il n’en saurait être autrement : car ce qui se passe à Jérusalem se renouvelle dans le cœur de l’homme pécheur. Ce cœur est un Calvaire sur lequel, selon l’expression de l’Apôtre, Jésus-Christ est trop souvent crucifié. Même ingratitude, même aveuglement, même fureur ; avec cette différence que le pécheur, quand il est éclairé des lumières de la foi, connaît celui qu’il crucifie, tandis que les Juifs, comme le dit encore saint Paul, ne connaissaient pas comme nous ce Roi de gloire (1 Cor. 2, 8) que nous attachons à la croix. En suivant les récits évangéliques qui vont, jour par jour, être mis sous nos yeux, que notre indignation contre les Juifs se tourne donc aussi contre nous-mêmes et contre nos péchés. Pleurons sur les douleurs de notre victime, nous dont les fautes ont rendu nécessaire un tel sacrifice.

En ce moment, tout nous convie au deuil. Sur l’autel, la croix elle-même a disparu sous un voile sombre ; les images des Saints sont couvertes de linceuls ; l’Église est dans l’attente du plus grand des malheurs. Ce n’est plus de la pénitence de l’Homme-Dieu qu’elle nous entretient ; elle tremble à la pensée des périls dont il est environné. Nous allons lire tout à l’heure dans l’Évangile que le Fils de Dieu a été sur le point d’être lapidé comme un blasphémateur ; mais son heure n’était pas venue encore. Il a dû fuir et se cacher. C’est pour exprimer à nos yeux cette humiliation inouïe du Fils de Dieu que l’Église a voilé la croix. Un Dieu qui se cache pour éviter la colère des hommes ! Quel affreux renversement ! Est-ce faiblesse, ou crainte de la mort ? La pensée en serait un blasphème ; bientôt nous le verrons aller au-devant de ses ennemis. En ce moment, il se soustrait à la rage des Juifs, parce que tout ce qui a été prédit de lui ne s’est pas encore accompli. D’ailleurs ce n’est pas sous les coups de pierres qu’il doit expirer ; c’est sur l’arbre de malédiction, qui deviendra dès lors l’arbre de vie. Humilions-nous, en voyant le Créateur du ciel et de la terre réduit à se dérober aux regards des hommes, pour échapper à leur fureur. Pensons à cette lamentable journée du premier crime, où Adam et Ève, coupables, se cachaient aussi, parce qu’ils se sentaient nus. Jésus est venu pour leur rendre l’assurance par le pardon : et voici qu’il se cache lui-même ; non parce qu’il est nu, lui qui est pour ses saints le vêtement de sainteté et d’immortalité ; mais parce qu’il s’est rendu faible, afin de nous rendre notre force. Nos premiers parents cherchaient à se soustraire aux regards de Dieu ; Jésus se cache aux yeux des hommes ; mais il n’en sera pas toujours ainsi. Le jour viendra où les pécheurs, devant qui il semble fuir aujourd’hui, imploreront les rochers et les montagnes, les suppliant de tomber sur eux et de les dérober à sa vue ; mais leur vœu sera stérile, et « ils verront le Fils de l’homme assis sur les nuées du ciel, dans une puissante et souveraine majesté ». (s. Matth. 24, 30)

Ce dimanche est appelé Dimanche de la Passion, parce que l’Église commence aujourd’hui à s’occuper spécialement des souffrances du Rédempteur. On le nomme aussi Dimanche Judica, du premier mot de l’Introït de la messe ; enfin Dimanche de la Néoménie, c’est-à-dire de la nouvelle lune pascale, parce qu’il tombe toujours après la nouvelle lune qui sert à fixer la fête de Pâques.

Dans l’Église grecque, ce Dimanche n’a pas d’autre nom que celui de cinquième Dimanche des saints jeûnes.

À la messe

À Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Pierre. L’importance de ce Dimanche, qui ne cède la place à aucune fête, quelque solennelle qu’elle soit, demandait que la réunion des fidèles eût lieu dans l’un des plus augustes sanctuaires de la ville sainte.

L’Introït est le début du Psaume 42. Le Messie implore le jugement de Dieu, et proteste contre la sentence que les hommes vont porter contre lui. Il témoigne en même temps son espoir dans le secours de son Père, qui, après l’épreuve, l’admettra triomphant dans sa gloire.

INTROÏT.

O Dieu, jugez-moi, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie ; arrachez-moi à l’homme inique et trompeur, parce que vous êtes mon Dieu et ma force. Ps. Envoyez-moi votre lumière et votre vérité : elles me guideront et me conduiront jusqu’à votre montagne sainte et à vos tabernacles. O Dieu, jugez-moi.

On ne dit plus Gloria Patri, si ce n’est aux messes des Fêtes ; mais on répète l’Introït.

Dans la Collecte, l’Église demande pour ses enfants cette complète réforme que le saint temps du Carême est appelé à produire, et qui doit tout à la fois soumettre les sens à l’esprit, et préserver l’esprit des illusions et des entraînements auxquels il n’a été que trop sujet jusqu’à présent.

COLLECTE.

Daignez, Dieu tout-puissant, regarder votre famille d’un œil favorable ; et par vos soins paternels conduisez-la au dehors et gardez-la au dedans. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen. [1]

ÉPÎTRE.

Lecture de l’Épître de saint Paul, Apôtre, aux Hébreux. Chap. IX.

Mes Frères, Jésus-Christ, le Pontife des biens futurs, étant venu à paraître, est entré une fois dans le sanctuaire par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n’a point été fait de main d’homme, c’est-à-dire qui n’a point été formé par la voie commune et ordinaire. Il est entré une fois dans le Saint des Saints, non avec le sang des boucs et des taureaux, mais avec son propre sang ; nous ayant acquis une rédemption éternelle ; car si le sang des boucs et des taureaux, et l’aspersion de l’eau mêlée avec la cendre d’une génisse, sanctifient ceux qui ont été souillés, et leur donnent une pureté extérieure et charnelle ; combien plus le sang du Christ qui par l’Esprit‑Saint s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience de ses œuvres mortes, pour nous rendre capables de servir le Dieu vivant ? Et c’est pourquoi il est le médiateur du Testament nouveau, afin que, par la mort qu’il a subie pour racheter les prévarications commises sous le premier Testament, ceux qui y sont appelés reçoivent l’héritage éternel, en Jésus-Christ notre Seigneur.

C’est seulement par le sang que l’homme peut être racheté. La majesté divine offensée ne s’apaisera que par l’extermination de la créature rebelle qui, par son sang épanché à terre avec sa vie, rendra témoignage de son repentir et de son abaissement extrême devant celui contre lequel elle s’est révoltée. Autrement la justice de Dieu se compensera par le supplice éternel du pécheur. Tous les peuples l’ont compris, depuis le sang des agneaux d’Abel jusqu’à celui qui coulait à flots dans les hécatombes de la Grèce, et dans les innombrables immolations par lesquelles Salomon inaugura la dédicace de son temple. Cependant Dieu dit : « Écoute, Israël, je suis ton Dieu. Je ne te ferai pas de reproches sur tes sacrifices : tes holocaustes s’accomplissent fidèlement devant moi ; mais je n’ai pas besoin de tes boucs ni de tes génisses. Toutes ces bêtes ne sont-elles pas à moi ? Si j’avais faim, je n’aurais pas besoin de te le dire : l’univers est à moi, et tout ce qu’il renferme. Est-ce que la chair des taureaux est ma nourriture ? est-ce que le sang des boucs est un breuvage pour moi ? » (Psalm. 49) Ainsi Dieu commande les sacrifices sanglants, et il déclare qu’ils ne sont rien à ses yeux. Y a-t-il contradiction ? Non : Dieu veut à la fois que l’homme comprenne qu’il ne peut être racheté que par le sang, et que le sang des animaux est trop grossier pour opérer ce rachat. Sera-ce le sang de l’homme qui apaisera la divine justice ? Non encore : le sang de l’homme est impur et souillé ; d’ailleurs, fût-il pur, il est impuissant à compenser l’outrage fait à un Dieu. Il faut le sang d’un Dieu ; et Jésus s’apprête à répandre tout le sien.

En lui va s’accomplir la plus grande figure de l’ancienne loi. Une fois l’année, le grand-prêtre entrait dans le Saint des Saints, afin d’intercéder pour le peuple. Il pénétrait derrière le voile, en face de l’Arche sainte ; mais cette redoutable faveur ne lui était accordée qu’à la condition qu’il n’entrerait dans cet asile sacré qu’en portant dans ses mains le sang de la victime qu’il venait d’immoler. En ces jours, le Fils de Dieu, Grand-Prêtre par excellence, va faire son entrée dans le ciel, et nous y pénétrerons après lui ; mais il faut pour cela qu’il se présente avec du sang, et ce sang ne peut être autre que le sien. Nous allons le voir accomplir cette prescription divine. Ouvrons donc nos âmes, afin que ce sang « les purifie des œuvres mortes, comme vient de nous dire l’Apôtre, et que nous servions désormais le Dieu vivant. »

Le Graduel est emprunté au Psautier ; le Sauveur y demande d’être délivré de ses ennemis, et d’être soustrait à la rage d’un peuple ameuté contre lui ; mais en même temps il accepte de faire la volonté de son Père, par qui il sera vengé.

Dans le Trait, qui est puisé à la même source, le Messie, sous le nom d’Israël, se plaint de la fureur des Juifs qui l’ont persécuté dès sa jeunesse, et qui s’apprêtent à lui faire subir une cruelle flagellation. Il annonce en même temps les châtiments que le déicide attirera sur eux.

GRADUEL.

Seigneur, arrachez-moi à mes ennemis : enseignez-moi à faire votre volonté. V/. C’est vous, Seigneur, qui me délivrerez d’un peuple furieux ; vous me ferez triompher de ceux qui s’élèvent contre moi ; vous m’arracherez à l’homme inique.

TRAIT.

Dès ma jeunesse, ils ont souvent dirigé contre moi leurs attaques. V/. Israël peut bien dire : Dès ma jeunesse, ils ont souvent dirigé contre moi leurs attaques. R/. Mais ils n’ont rien pu contre moi. Les pécheurs m’ont laissé la trace de leurs coups sur le dos. V/. Ils ont continué longtemps leurs iniquités ; mais le Seigneur, qui est juste, brisera la tête des pécheurs.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. VIII.

En ce temps-là, Jésus disait à la foule des Juifs : Qui de vous me convaincra de péché ? Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Celui qui est de Dieu, écoute la parole de Dieu. Vous ne l’écoutez point, parce que vous n’êtes pas de Dieu. Les Juifs lui dirent : N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain, et que vous êtes possédé du démon ? Jésus répondit : Je ne suis point possédé du démon ; mais j’honore mon Père, et vous me déshonorez. Pour moi, je ne cherche pas ma gloire ; il est un autre qui la cherchera et qui jugera. En vérité, en vérité, je vous le dis : Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. Les Juifs lui dirent donc : Maintenant nous voyons bien que le démon est en vous. Abraham est mort, et les Prophètes aussi ; et vous dites : Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. Êtes-vous donc plus grand que notre père Abraham, qui est mort, et que les Prophètes qui aussi sont morts ? Que prétendez-vous être ? Jésus répondit : Si je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien ; c’est mon Père qui me glorifie. Vous dites qu’il est votre Dieu, et vous ne le connaissez pas ; mais moi je le connais. Et si je disais que je ne le connais pas, je serais comme vous un menteur. Mais je le connais et je garde sa parole. Abraham votre père a désiré ardemment de voir mon jour : il l’a vu, et il en a été comblé de joie. Les Juifs lui dirent : Vous n’avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham ? Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis : avant qu’Abraham fût créé, je suis. Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se cacha, et sortit du temple.

On le voit, la fureur des Juifs est au comble, et Jésus est réduit à fuir devant eux. Bientôt ils le feront mourir ; mais que leur sort est différent du sien ! Par obéissance aux décrets de son Père céleste, par amour pour les hommes, il se livrera entre leurs mains, et ils le mettront à mort ; mais il sortira victorieux du tombeau, il montera aux cieux, et il ira s’asseoir à la droite de son Père. Eux, au contraire, après avoir assouvi leur rage, ils s’endormiront sans remords jusqu’au terrible réveil qui leur est préparé. On sent que la réprobation de ces hommes est sans retour. Voyez avec quelle sévérité le Sauveur leur parle : « Vous n’écoutez pas la parole de Dieu, parce que vous n’êtes pas de Dieu. » Cependant il fut un temps où ils étaient de Dieu : car le Seigneur donne sa grâce à tous ; mais ils ont rendu inutile cette grâce ; ils s’agitent dans les ténèbres, et ils ne verront plus la lumière qu’ils ont refusée.

« Vous dites que le Père est votre Dieu ; mais vous ne le connaissez même pas. » À force de méconnaître le Messie, la synagogue en est venue à ne plus connaître même le Dieu unique et souverain dont le culte la rend si chère ; en effet, si elle connaissait le Père, elle ne repousserait pas le Fils. Moïse, les Psaumes, les Prophètes sont pour elle lettre close, et ces livres divins vont bientôt passer entre les mains des gentils, qui sauront les lire et les comprendre. « Si je disais que je ne connais pas le Père, je serais comme vous un menteur. » À la dureté du langage de Jésus, on sent déjà la colère du juge qui descendra au dernier jour pour briser contre terre la tête des pécheurs. Jérusalem n’a pas connu le temps de sa visite ; le Fils de Dieu est venu à elle, et elle ose dire qu’il est « possédé du démon ». Elle dit en face au Fils de Dieu, au Verbe éternel qui prouve sa divine origine par les plus éclatants prodiges, qu’Abraham et les Prophètes sont plus que lui. Étrange aveuglement qui procède de l’orgueil et de la dureté du cœur ! La Pâque est proche ; ces hommes mangeront religieusement l’agneau figuratif ; ils savent que cet agneau est un symbole qui doit se réaliser. L’Agneau véritable sera immolé par leurs mains sacrilèges, et ils ne le reconnaîtront pas. Son sang répandu pour eux ne les sauvera pas. Leur malheur nous fait penser à tant de pécheurs endurcis pour lesquels la Pâque de cette année sera aussi stérile de conversion que celle des années précédentes ; redoublons nos prières pour eux, et demandons que le sang divin qu’ils foulent aux pieds ne crie pas contre eux devant le trône du Père céleste.

À l’Offertoire, le chrétien, plein de confiance dans les mérites du sang qui l’a racheté, emprunte les paroles de David pour louer Dieu, et pour le reconnaître auteur de cette vie nouvelle dont le sacrifice de Jésus-Christ est la source intarissable.

OFFERTOIRE.

Seigneur, je vous louerai de tout mon cœur ; répandez votre grâce sur votre serviteur, et je vivrai, et je garderai vos commandements. Donnez-moi la vie. Seigneur, selon votre parole.

Le sacrifice de l’Agneau sans tache a produit deux effets sur l’homme pécheur : il a brisé ses chaînes, et il l’a rendu l’objet des complaisances du Père céleste. L’Église demande, dans la Secrète, que le Sacrifice qu’elle va offrir, et qui est le même que celui de la Croix, produise en nous ces mêmes résultats.

SECRÈTE.

Que cette offrande, Seigneur, nous dégage des liens de notre malice, et nous concilie les dons de votre miséricorde. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen. [2]

L’Antienne de la Communion est formée des paroles mêmes de Jésus-Christ instituant l’auguste Sacrifice qui vient d’être célébré, et auquel le Prêtre et les fidèles viennent de participer, en mémoire de la divine Passion, dont il a renouvelé le souvenir et le mérite infini.

COMMUNION.

Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous : ceci est le calice de la nouvelle alliance en mon sang, dit le Seigneur. Faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous recevez ces choses.

Dans la Postcommunion, l’Église demande à Dieu de conserver dans les fidèles les fruits de la visite qu’il a daigné leur faire, en entrant en eux par la participation aux Mystères sacrés.

POSTCOMMUNION.

Assistez-nous, Seigneur notre Dieu ; et défendez par votre continuel secours ceux que vous venez de nourrir par vos mystères. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen. [3]

Prières d’autres liturgies

Nous placerons ici cette solennelle Oraison de l’Église gothique d’Espagne que nous empruntons au Bréviaire Mozarabe.

CAPITULE

Le cours du temps, ô Christ Fils de Dieu, nous a ramené les fêtes commémoratives de votre Passion. Nous commençons d’un cœur pieux à vous rendre les devoirs qui vous appartiennent, en ce temps où vous avez souffert pour nous les insultes de vos persécuteurs et enduré sur la croix les coups de vos ennemis ; nous vous en supplions, ne vous éloignez pas de nous. Aux approches de votre tribulation, personne n’était là pour vous secourir ; soyez, au contraire, notre seul soutien par le mérite de votre Passion. Ne nous livrez pas à nos ennemis pour nous perdre ; mais recevez vos serviteurs pour les sauver. Par votre puissante vertu, repoussez ces superbes qui nous calomnient, c’est-à-dire les ennemis de nos âmes ; car vous êtes, dans votre humanité, le divin flambeau placé sur le chandelier de la croix. Enflammez-nous des feux qui sont les vôtres, afin que nous ignorions ceux du châtiment. Faites part des mérites de votre Passion à ceux que vous voyez en célébrer les prémices d’un cœur pieux ; par le bienfait de votre lumière, daignez dissiper les ténèbres de nos erreurs.

Pour honorer la sainte Croix, nous insérons chaque jour de cette semaine une pièce liturgique où elle est célébrée. Nous commencerons aujourd’hui par cette belle Hymne de saint Venance Fortunat, évêque de Poitiers

HYMNE

Elle attire nos regards, la Croix bénie, sur laquelle le Sauveur fut suspendu par sa chair ; sur laquelle il lava nos blessures dans son sang.

C’est par elle que l’Agneau sacré, douce victime, dans son amour pour nous, a arraché les brebis de la gueule du loup.

C’est sur elle que, ayant les mains clouées, il a racheté le monde de sa perte, et, en mourant, fermé ses voies à la mort.

Sur elle fut traversée d’un clou sanglant cette main qui arracha Paul à ses crimes, et sauva Pierre du trépas.

Doux et noble bois, qu’elle est riche, ta fécondité, quand tu portes sur tes rameaux un fruit si nouveau !

À l’odeur merveilleuse que tu répands, les corps morts se lèvent de leurs tombeaux, et ceux qui ne voyaient plus la lumière reviennent a la vie.

Sous le feuillage de cet arbre, on ne sent plus les ardeurs dévorantes, ni la lune pendant la nuit, ni le soleil dans son midi brûlant.

Dans ton éclat tu t’élèves au bord des eaux ; c’est là que tu étales ta verdure embellie de fleurs nouvelles.

À tes branches est suspendue la vigne qui donne un vin si doux, dans le sang vermeil du Christ.

Lundi

Haut de page

La Station, à Rome, est dans l’Église de Saint-Chrysogone, l’un des plus célèbres Martyrs de l’Église Romaine, qui a inséré son nom dans le Canon de la Messe.

COLLECTE.

Daignez, Seigneur, sanctifier nos jeûnes, et dans votre bonté accordez-nous le pardon de nos péchés Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

ÉPÎTRE.
Lecture du Prophète Jonas. Chap. III.

En ces jours-là, le Seigneur parla une seconde fois au Prophète Jonas, et lui dit : Lève-toi, va dans la grande ville de Ninive, et y prêche ce que je t’ordonne de leur dire. Et Jonas se leva, et il alla à Ninive, selon l’ordre du Seigneur. Et Ninive était une grande ville qui avait trois journées de chemin. Et Jonas, étant entré dans la ville, marcha pendant une journée, et ensuite il cria en disant : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite. Et les Ninivites crurent en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne public, et se couvrirent de sacs, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. La chose ayant été rapportée au roi de Ninive, il se leva de son trône, dépouilla ses habits royaux, se revêtit d’un sac et s’assit sur la cendre. Ensuite il fit crier partout et publier dans Ninive cet ordre de la bouche du roi et de ses grands : Que les hommes et les bêtes, les bœufs et les brebis ne mangent rien ; qu’on ne les mène point au pâturage, et qu’ils ne boivent point d’eau ; que les hommes et les bêtes se couvrent de sacs, et qu’ils crient au Seigneur de toute leur force ; que l’homme se retire de sa mauvaise voie, et de l’iniquité dont ses mains sont souillées. Qui sait si Dieu ne se retournera pas vers nous, pour nous pardonner, et s’il ne reviendra pas de la fureur de sa colère, en sorte que nous ne périrons pas ? Et Dieu considéra leurs œuvres : il vit qu’ils s’étaient convertis de leur voie mauvaise ; et le Seigneur notre Dieu eut pitié de son peuple.

La sainte Église nous offre aujourd’hui ce récit, afin de ranimer notre zèle dans la voie de la pénitence.

Une ville livrée à l’idolâtrie, une capitale superbe et voluptueuse, a mérité la colère du ciel. Dieu s’apprête à la renverser sous les coups de sa vengeance ; encore quarante jours, et Ninive s’écroulera sur ses habitants. Cependant qu’est-il arrivé ? La menace du Seigneur ne s’est pas accomplie, et Ninive a été épargnée. Ce peuple infidèle s’est souvenu du Dieu qu’il avait oublié ; il a crié vers le Seigneur ; il s’est humilié, il a jeûné ; et l’Église conclut le récit du Prophète par ces touchantes paroles : « Et le Seigneur notre Dieu eut pitié de son peuple. » Ce peuple gentil était devenu le peuple du Seigneur, parce qu’il avait fait pénitence à la voix du Prophète. Le Seigneur n’avait fait alliance qu’avec une seule nation ; mais il ne repoussait pas les hommages des Gentils, qui, renonçant à leurs idoles, confessaient son saint Nom et voulaient aussi le servir. Nous voyons ici l’efficacité de la pénitence du corps unie à celle du cœur pour fléchir le courroux céleste : combien devons-nous donc estimer les saintes pratiques que l’Église nous impose en ces jours, et réformer les fausses idées qu’une spiritualité rationaliste et lâche pourrait nous avoir inspirées ?

Cette lecture était, en même temps, un motif d’espoir et de confiance pour les catéchumènes dont l’initiation était proche, ils y apprenaient à connaître la miséricorde du Dieu des chrétiens, dont les menaces sont si terribles, et qui cependant ne sait pas résister au repentir d’un cœur qui renonce au péché. Sortis du sein de la gentilité, de cette Ninive profane, ils apprenaient par ce récit que le Seigneur, avant même d’avoir envoyé son Fils au monde, invitait tous les hommes à devenir son peuple ; et songeant aux obstacles que leurs pères avaient eus à vaincre pour saisir la grâce qui leur était offerte et pour y persévérer, ils bénissaient le Dieu Sauveur qui, par son incarnation, son sacrifice, ses divins sacrements et son Église, a daigné mettre si près de nous ce salut dont il est la source unique pour l’ancien monde comme pour le nouveau. Les pénitents publics puisaient aussi dans cette lecture un nouvel encouragement à espérer le pardon. Dieu avait fait miséricorde à Ninive, la cité pécheresse et condamnée ; il daignerait donc agréer aussi leur pénitence, et révoquer en leur faveur l’arrêt de sa justice.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. VII.

En ce temps-là, les princes et les pharisiens envoyèrent des gardes pour prendre Jésus. Jésus donc leur dit : Je suis encore avec vous un peu de temps, et je m’en vais ensuite à celui qui m’a envoyé. Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas ; et où je serai, vous ne pouvez venir. Les Juifs dirent entre eux : Où donc ira-t-il, que nous ne pourrons le trouver ? Ira-t-il vers les Gentils qui sont dispersés, et les enseignera-t-il ? Quelle est cette parole qu’il a dite : Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas ; et où je serai, vous ne pouvez venir ? Le dernier jour de la fête, qui est le plus solennel, Jésus, se tenant debout, disait à haute voix : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive, dit l’Écriture, couleront de son sein. Il disait ceci de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui.

Les ennemis du Sauveur n’ont pas seulement songé à lancer des pierres contre lui ; aujourd’hui ils veulent lui ravir la liberté, et ils envoient des soldats pour se saisir de lui. En cette rencontre, Jésus ne juge pas à propos de fuir ; mais quelle terrible parole il leur dit ! « Je m’en vais à celui qui m’a envoyé ; vous me chercherez, et vous ne me trouverez plus. » Le pécheur qui a longtemps abusé de la grâce peut donc, en punition de son ingratitude et de ses mépris, ne plus retrouver ce Sauveur avec lequel il a voulu rompre ; ses efforts à le chercher sont donc quelquefois vains et stériles. Antiochus, humilié sous la main de Dieu, pria et n’obtint pas son pardon. Après la mort et la résurrection de Jésus, tandis que l’Église jetait ses racines dans le monde, les Juifs, qui avaient crucifié le Juste, cherchaient le Messie dans chacun des imposteurs qui s’élevèrent alors en Judée, et causèrent des soulèvements qui amenèrent la ruine de Jérusalem. Cernés de tous côtés par le glaive des Romains et par les flammes de l’incendie qui dévorait le temple et les palais, ils criaient vers le ciel, et suppliaient le Dieu de leurs pères d’envoyer, selon sa promesse, le libérateur attendu ; et il ne leur venait pas en pensée que ce libérateur s’était montré à leurs pères, même à plusieurs d’entre eux, qu’ils l’avaient mis à mort, et que les Apôtres avaient déjà porté son nom aux extrémités de la terre. Ils attendirent encore, jusqu’au moment où la cité déicide s’écroula sur ceux que n’avait pas immolés l’épée du vainqueur ; ceux qui survécurent furent traînés à Rome, pour orner le triomphe de Titus. Si on leur eût demandé ce qu’ils attendaient, ils auraient répondu qu’ils attendaient le Messie. Vaine attente : le moment était passé. Tremblons que la menace du Sauveur ne s’accomplisse en plusieurs de ceux qui laisseront encore passer cette Pâque, sans faire leur retour au Dieu de miséricorde ; prions, intercédons, afin qu’ils ne tombent pas entre les mains d’une justice que leur repentir trop tardif et trop imparfait ne fléchirait pas.

Des pensées plus consolantes nous sont suggérées par la suite du récit de notre Évangile. Âmes fidèles, âmes pénitentes, écoutez ; c’est pour vous que parle Jésus : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. » Rappelez-vous la prière de la pauvre Samaritaine : « Seigneur, donnez-moi toujours de cette eau. » Cette eau est la grâce divine ; puisez à longs traits dans ces fontaines du Sauveur qu’avait annoncées le Prophète (Isai. 12, 3). Cette eau donne la pureté à l’âme souillée, la force à l’âme languissante, l’amour à celle qui se sentait tiède. Bien plus, le Sauveur ajoute : « Celui qui croit en moi deviendra, lui aussi, une source vive » ; car l’Esprit-Saint viendra en lui, et alors le fidèle épanchera sur les autres cette grâce qu’il a reçue dans sa plénitude. Avec quelle sainte joie le catéchumène entendait lire ces paroles qui lui promettaient que sa soif serait enfin étanchée à la divine fontaine ! Le Sauveur a voulu être toutes choses pour l’homme régénéré : la Lumière qui éclaire ses ténèbres, le Pain qui le nourrit, la Vigne qui lui prête son cep, enfin l’Eau jaillissante qui rafraîchit ses ardeurs.

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Donnez, s’il vous plaît, Seigneur, à votre peuple la santé de l’âme et du corps, afin que, s’attachant aux bonnes œuvres, il mérite d’être toujours assisté de votre protection. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen

Autres liturgies

En ce jour où la sainte Église nous donne à lire et à méditer un trait de l’histoire de Jonas, nous placerons ici un nouveau fragment de l’Hymne de Prudence sur le jeûne. C’est le passage où il raconte la vie de ce Prophète, et spécialement la pénitence de Ninive.

HYMNE.

Je raconterai, à la gloire du jeûne, un fait antique rapporté dans le livre sacré ; je dirai comment la foudre du Père des hommes retint ses feux, et pardonna aux habitants d’une cité qu’elle devait dévaster.

Un peuple jadis avait mis le comble à son orgueil et à son insolence ; la licence des mœurs l’avait fait descendre tout entier à une indigne corruption ; et, plongé dans une stupide insouciance, il avait mis en oubli le culte du grand Dieu.

Après une longue indulgence, la justice divine offensée s’indigne et arme sa main d’un glaive de feu. De sombres nuages éclatent avec fracas ; des feux livides et tonnants ébranlent la voûte du ciel sur la tête des coupables.

Toutefois un délai leur est accordé pour se repentir ; il leur est libre encore d’interrompre le cours de leurs infâmes débauches ; ils peuvent, s’ils le veulent, arrêter les désordres dans lesquels ils ont vieilli ; la vengeance miséricordieuse daigne suspendre ses coups ; et la sentence prononcée retarde son exécution.

Le juge plein de douceur donne mission au prophète Jonas ; il le charge d’annoncer à ce peuple le châtiment qui le menace. Il savait, le prophète, que ce juge redoutable aime à pardonner plutôt qu’à frapper et à punir. Il ose donc se dérober à ses ordres, et s’enfuit secrètement vers Tharsis.

Il prend place sur un navire des plus imposants ; bientôt on lâche le câble, et l’on s’avance dans la haute mer ; mais tout à coup s’élève une furieuse tempête. L’équipage alarmé cherche quel peut être l’auteur d’un si grand péril ; et le sort tombe sur le prophète fugitif.

Il est le seul coupable : seul il doit périr, lui dont le nom est sorti de l’urne avec son crime. On le précipite dans les flots, et l’abîme l’engloutit. Un monstre marin le reçoit et le prophète descend tout vivant dans les vastes flancs de l’animal.

Enfin, après trois nuits, le monstre le vomit sur un rivage, à l’endroit où le flot expire avec un léger bruit, et où l’écume vient blanchir le rocher. Délivré par l’effort de la bête, le prophète s’étonne de se sentir encore vivant.

Contraint par la volonté divine, il se dirige sans délai vers Ninive. Censeur austère, il reprend les habitants ; il dénonce leurs crimes honteux. « La colère du vengeur suprême, dit-il, est sur vos têtes ; sous peu de jours la flamme dévorera votre cité : croyez à ma parole. »

Il monte ensuite sur la cime d’une haute montagne, afin de voir de là les épais tourbillons de fumée qui s’élèveront de l’incendie, les ruines et les désastres qui vont s’accumuler. Il se tient sous le feuillage d’une plante aux nœuds abondants, qui, tout à coup, est sortie de terre pour lui prêter son ombrage.

Mais à peine la cité a reçu la lugubre nouvelle du fléau qui la menace, qu’une dernière émotion la saisit ; dans la vaste enceinte de ses murs on voit s’agiter le peuple, le sénat, les citoyens de tous les âges, la jeunesse pâle d’effroi, les femmes poussant des lamentations.

On décrète un jeûne public, pour tâcher d’apaiser la colère divine ; il n’est plus question de repas dans la ville. La matrone jette loin d’elle ses brillantes parures, et se revêt d’habits sombres ; la cendre répandue sur sa chevelure y a remplacé les réseaux de soie et les pierreries.

Les patriciens paraissent en habits vulgaires et négligés ; dans sa douleur, chacun porte sur son corps de rudes tissus de crin ; la jeune fille fait subir à ses membres le contact de ces soies cruelles, et couvre d’un voile noir son visage ; l’enfant lui-même languit étendu sur le sable.

Le roi détache l’agrafe qui retenait sur ses épaules le manteau teint de la pourpre de Cos. Il dépouille son front du bandeau sur lequel éclataient l’émeraude et le diamant ; et ses cheveux ne connaissent plus que la poussière qui les souille.

Le manger et le boire sont oubliés ; la tendre jeunesse livrée au jeûne ne se souvient plus des festins ; l’enfant à la mamelle réclame en vain le lait par ses vagissements ; ses larmes arrosent son berceau ; la nourrice sévère lui refuse l’aliment qui le soutenait.

Les troupeaux eux-mêmes ont leur part à cette abstinence ; on retient avec soin leurs pas dans la prairie. On les empêche de toucher le gazon nhumide de rosée, de se désaltérer aux eaux murmurantes des fontaines ; en face de sa crèche vide, le taureau fait entendre ses mugissements.

Bientôt, apaisé par ces expiations, Dieu retient sa colère. Il révoque son arrêt ; de terrible qu’elle était, sa sentence est devenue favorable. C’est ainsi que la clémence divine se montre facile à pardonner les crimes des mortels, lorsqu’ils l’implorent, et qu’elle prend bientôt le parti de ceux qui répandent les larmes du repentir à ses pieds.

Terminons la journée par ces strophes en l’honneur de la sainte Croix, que nous empruntons au Triodion de l’Église grecque.

Purifiés et embellis par le jeûne, adorons, pour la gloire du Tout-Puissant, le bois sacré sur lequel le Christ, ayant les bras étendus, a vaincu les puissances ennemies.

La Croix salutaire qui donna la sanctification est exposée à nos yeux. Approchons d’elle avec un cœur et un corps sans souillures.

Purifiez-moi, vous qui êtes bon, par le feu de vos commandements ; donnez-moi de contempler votre Passion qui donne le salut, d’être protégé par la Croix, et de vous adorer avec un ardent désir.

Ayant nos cœurs lavés dans les eaux du jeûne, embrassons avec foi le bois de la Croix, du haut duquel le Christ crucifié a épanché sur nous l’eau d’immortalité.

Jésus Sauveur ! notre navire, dont votre Croix est la voile, a déjà traversé la plus grande partie de la carrière des jeûnes ; par elle, conduisez-nous au port de votre Passion.

Moïse te figurait sur la montagne, ô Croix, pour la perte d’Amalec. Nous te formons sur nous ; nous te contemplons et t’adorons de cœur ; par ta vertu, nous triomphons des ennemis invisibles.

Mardi

Haut de page

À Rome, la Station était autrefois à l’Église du saint martyr Cyriaque, et elle est encore marquée ainsi au Missel Romain ; mais cet antique sanctuaire ayant été ruiné, et le corps du saint diacre transféré dans l’Église de Sainte-Marie in Via lata, c’est dans cette dernière que la Station a lieu présentement.

COLLECTE.

Daignez avoir nos jeûnes pour agréables, Seigneur ; afin que, produisant l’expiation, ils nous rendent dignes de votre grâce, et nous conduisent à l’éternel remède. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

ÉPÎTRE.
Lecture du Prophète Daniel. Chap. XIV.

En ces jours-là, les Babyloniens s’étant assemblés, allèrent trouver le roi et lui dirent : Livre‑nous Daniel qui a renversé Bel et tué le dragon : autrement, nous te ferons périr avec toute ta maison. Le roi, voyant qu’ils le pressaient avec tant de violence, et étant contraint par la nécessité, leur abandonna Daniel. Ils allèrent le jeter dans la fosse aux lions, et il y demeura six jours. Or il y avait dans la fosse sept lions à qui l’on donnait par jour deux corps avec deux brebis ; mais on ne leur en donna point alors, afin qu’ils dévorassent Daniel. En ce même temps, le prophète Habacuc était en Judée ; et ayant apprêté un potage, il l’avait mis dans un vase avec du pain trempé, et allait le porter dans le champ à ses moissonneurs. Et l’Ange du Seigneur dit à Habacuc : Porte à Babylone le dîner que tu as préparé, et donne-le à Daniel, qui est dans la fosse aux lions. Et Habacuc dit : Seigneur, je n’ai jamais vu Babylone, et je ne sais où est la fosse. Et l’Ange du Seigneur le prit par le haut de la tète, et le tenant par les cheveux, il le porta avec la rapidité d’un esprit jusqu’à Babylone, au-dessus de la fosse. Et Habacuc s’écria : Daniel, serviteur de Dieu, prends le dîner que Dieu t’a envoyé. Et Daniel dit : Seigneur, mon Dieu, vous vous êtes souvenu de moi, et vous n’avez pas abandonné ceux qui vous aiment. Et se levant, il mangea ; et l’Ange du Seigneur reporta aussitôt Habacuc dans le lieu où il l’avait pris. Le roi étant venu le septième jour pour pleurer Daniel, il vint près de la fosse et regarda dedans. Or Daniel était assis au milieu des lions. Et le roi jeta un grand cri, et il dit : Vous êtes grand, Seigneur, Dieu de Daniel ! Et il le fit tirer de la fosse aux lions. Quant à ceux qui avaient voulu perdre Daniel, il les y fit jeter, et ils furent dévorés devant lui en un moment. Alors le roi dit : Que tous les habitants de ce pays tremblent devant le Dieu de Daniel ; car c’est lui qui sauve, qui fait des prodiges et des merveilles sur la terre, et qui a délivré Daniel de la fosse aux lions.

Cette lecture était destinée spécialement à l’instruction des catéchumènes. Ils se préparaient à donner leurs noms à la milice chrétienne ; il convenait donc de mettre sous leurs yeux les exemples qu’ils devaient étudier et réaliser dans leur vie. Daniel exposé aux lions, pour avoir méprisé et renversé l’idole de Bel, était le type du Martyr. Daniel avait confessé le vrai Dieu dans Babylone, exterminé un dragon monstrueux, image de Satan, auquel le peuple idolâtre, après la destruction de Bel, avait transporté ses hommages superstitieux ; la mort du Prophète pouvait seule apaiser les païens. Plein de confiance en son Dieu, Daniel s’était laissé descendre dans la fosse des lions, donnant ainsi aux âges chrétiens l’exemple de ce courageux dévouement qui devait apporter durant trois siècles la consécration du sang à l’établissement de l’Église. L’image de ce prophète entouré de lions se rencontre à chaque pas dans les Catacombes romaines ; et la plupart des peintures qui le retracent remontent au temps des persécutions. Ainsi les yeux des catéchumènes pouvaient contempler ce que leur oreille entendait lire, et tout leur parlait d’épreuves et de sacrifices. Il est vrai que l’histoire de Daniel leur montrait la puissance de Dieu intervenant pour arracher aux lions la proie innocente qu’on leur avait jetée ; mais les aspirants au baptême savaient d’avance que la délivrance sur laquelle ils devaient compter, ne leur serait accordée qu’après qu’ils auraient rendu le témoignage du sang. De temps en temps des prodiges se manifestaient jusque dans l’arène ; on voyait quelquefois les léopards lécher les pieds des Martyrs, et contenir leur voracité en présence des serviteurs de Dieu ; mais de si éclatants miracles ne faisaient que suspendre l’immolation des victimes et leur susciter des imitateurs.

C’était donc le courage de Daniel, et non sa victoire sur les lions, que l’Église proposait à l’attention des catéchumènes ; l’important pour eux était d’avoir désormais présente à la mémoire cette parole du Sauveur : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent tuer que le corps ; mais craignez plutôt celui qui peut précipiter l’âme avec le corps dans l’enfer. » (s.Matth. 10, 28) Nous sommes les descendants de ces premières générations de la sainte Église ; mais nous n’avons pas conquis au même prix l’avantage d’être chrétiens. Ce n’est plus en face des proconsuls que nous avons à confesser Jésus-Christ ; c’est en face du monde, cet autre tyran. Que l’exemple des Martyrs nous fortifie, en ces jours, pour la lutte qu’il nous faudra soutenir de nouveau contre ses maximes, ses pompes et ses œuvres. Il y a trêve entre lui et nous, dans ce temps de recueillement et de pénitence ; mais le moment viendra où nous devrons le braver et nous montrer chrétiens.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chat. VII.

En ce temps-là, Jésus parcourait la Galilée, ne poulant pas aller en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. Or la fête des Juifs, appelée des Tabernacles, étant proche, ses frères lui dirent : Quitte ce pays, et va en Judée, afin que tes disciples voient aussi les œuvres que tu fais. Car personne n’agit en secret, lorsqu’il veut être connu dans le public. Si tu fais de telles choses, montre-toi au monde. Car ses frères non plus ne croyaient pas en lui. Jésus leur dit donc : Mon temps n’est pas encore venu ; mais votre temps est toujours prêt. Le monde ne saurait vous haïr ; mais moi, il me hait, parce que je rends de lui ce témoignage, que ses œuvres sont mauvaises. Allez, vous, à cette fête ; pour moi, je n’y vais pas, parce que mon temps n’est pas encore accompli. Ayant dit cela, il demeura en Galilée. Et lorsque ses frères furent partis, il alla lui-même à la fête, non publiquement, mais comme en secret. Or, le jour de la fête, les Juifs le cherchaient, et ils disaient : Où est-il ? Et il y avait une grande rumeur à son sujet dans le peuple ; car les uns disaient : C’est un homme de bien ; et d’autres disaient : Non, mais il séduit la foule. Cependant personne ne parlait de lui ouvertement, par crainte des Juifs.

Les faits racontés dans ce passage du saint Évangile se rapportent à une époque un peu antérieure de la vie du Sauveur ; mais l’Église nous les propose aujourd’hui, à cause de la relation qu’ils ont avec ceux que nous avons lus dans le livre sacré depuis plusieurs jours. On voit que non seulement aux approches de cette Pâque qui devait être la dernière pour la Synagogue, mais dès le temps de la fête des Tabernacles, qui avait lieu au mois de septembre, la fureur des Juifs contre Jésus conspirait déjà sa mort. Le Fils de Dieu était réduit à voyager secrètement, et pour se rendre en sûreté à Jérusalem, il lui fallait prendre des précautions. Adorons ces humiliations de l’Homme-Dieu, qui a daigné sanctifier tous les états, même celui du juste persécuté et réduit à se dérober aux regards de ses ennemis. Il lui eût été facile d’éblouir ses adversaires par des miracles inutiles, comme ceux que désira Hérode, et de forcer ainsi leur culte et leur admiration. Dieu ne procède point ainsi ; il ne contraint pas ; il agit sous les yeux de l’homme ; mais, pour reconnaître l’action de Dieu, il faut que l’homme se recueille et s’humilie, qu’il fasse taire ses passions. Alors la lumière divine se manifeste à l’âme ; cette âme a vu suffisamment ; maintenant, elle croit et veut croire ; son bonheur, comme son mérite, est dans la foi ; elle est en mesure d’attendre la manifestation radieuse de l’éternité.

Le chair et le sang ne l’entendent pas ainsi ; ils aiment l’éclat et le bruit. Le Fils de Dieu venant sur la terre ne devait pas se soumettre à un tel abaissement que de faire montre aux hommes de son pouvoir infini. Il avait à opérer des prodiges pour appuyer sa mission ; mais en lui, devenu le Fils de l’Homme, tout ne devait pas être prodige. La plus large part de sa carrière était réservée aux humbles devoirs de la créature : autrement il ne nous eût pas appris par son exemple ce que nous avions tant besoin de savoir. Ses frères (on sait que les Juifs étendaient le nom de frères à tous les parents en ligne collatérale), ses frères auraient voulu avoir leur part dans cette illustration vulgaire qu’ils désiraient pour Jésus. Ils lui fournissent l’occasion de leur dire cette forte parole que nous devons méditer en ce saint temps, pour nous en souvenir plus tard : « Le monde ne saurait vous haïr ; mais moi, il me hait ». Gardons-nous donc désormais de plaire au monde ; son amitié nous séparerait de Jésus-Christ.

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Faites-nous, Seigneur, la grâce de persévérer dans le service que vous voulez de nous ; afin que, en nos jours, le peuple qui vous sert croisse en nombre et en mérites. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Autres liturgies

Cette Hymne touchante, empruntée à nos anciens Bréviaires Romains-Français, servira aujourd’hui à exprimer nos sentiments à notre Rédempteur.

HYMNE.

O Christ, Créateur et Roi de tous les êtres, rédempteur des croyants, nous célébrons vos louanges : laissez-vous fléchir par nos supplications.

Votre bonté unie à votre puissance a daigné briser les liens de notre premier père, par les blessures sacrées qu’elle reçut sur la Croix.

Vous, le Créateur des cieux, vous avez revêtu notre enveloppe de chair ; vous avez daigné subir l’humiliation et la douleur.

Vous avez souffert d’être enchaîné, afin de délier les pécheurs, tristes suppôts de ce monde destiné à périr ; par vos opprobres, vous avez effacé les crimes que le genre humain avait accumulés.

Rédempteur, on vous cloue à la Croix ; mais la terre entière s’ébranle ; vous rendez au Père votre âme toute-puissante ; et le monde disparaît sous d’épaisses ténèbres.

Mais bientôt on vous voit victorieux resplendir dans la gloire du Père ; soyez, ô Roi de bonté notre défenseur, et envoyez-nous le secours de votre Esprit. Amen.

Rendons notre hommage à la divine Croix, par cette Hymne de la Liturgie Grecque.

Seigneur de tous les êtres, Dieu créateur, vous avez été élevé sur la Croix, au milieu de la terre, attirant à vous la nature humaine qui s’était précipitée par les perfides conseils de l’ennemi ; c’est pourquoi nous vous offrons nos vœux sincères, relevés que nous sommes par votre Passion.

Déjà nos âmes illuminées par le jeûne se purifient ; éclairez-les des rayons spirituels de votre Croix. Aujourd’hui elle est exposée à nos regards ; nous la couvrons de nos chastes baisers ; nous l’adorons de bouche et de cœur.

Adorons la Croix divine ; elle est le lieu où se sont arrêtes les pieds du Seigneur ; demandons que les pieds de notre âme se fixent sur la pierre des divins commandements, et que, par la grâce divine, ils se dirigent dans la voie de la paix.

Régions de la terre, faites entendre vos cantiques, à ce moment où l’on adore le bois auquel le Christ a été suspendu, et par lequel le diable a reçu la blessure.

Aujourd’hui est montrée la Croix qui donne la vie. Adorons avec joie et avec terreur la Croix du Seigneur, afin de recevoir l’Esprit-Saint.

Croix vivifiante, je m’approche pour te toucher ; ma langue et mon esprit sont saisis de frayeur, quand je vois que le sang divin de mon Maître t’a baignée.

Confirmez, Seigneur, votre Église que vous avez acquise par la vertu de votre Croix ; par cette Croix, vous avez triomphé de l’ennemi, et illuminé le monde tout entier.

Mercredi

Haut de page

À Rome, la Station est dans l’Église de Saint-Marcel, Pape et Martyr. Cette église avait été la maison de la sainte dame Lucine, qui la donna au Pontife pour la consacrer au culte de Dieu.

COLLECTE.

Dieu de miséricorde, sanctifiez ce jeûne, éclairez les cœurs de vos fidèles, et daignez prêter une oreille favorable à ceux auxquels vous inspirez le sentiment de la piété. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

ÉPÎTRE.
Lecture du Livre du Lévitique. Chap. XIX.

En ces jours-là, le Seigneur parla à Moïse et lui dit : Parle à toute l’assemblée des enfants d’Israël, et dis leur de ma part : Je suis le Seigneur votre Dieu. Vous ne déroberez point ; vous ne mentirez point ; et nul de vous ne trompera son prochain ; vous ne jurerez point faussement en mon nom, et vous ne souillerez point le nom de votre Dieu ; je suis le Seigneur. Vous ne calomnierez point votre prochain, et vous ne l’opprimerez point par violence. Le salaire de votre mercenaire ne demeurera point chez vous jusqu’au matin. Vous ne parlerez point mal du sourd, et vous ne placerez point d’obstacle devant les pas de l’aveugle ; mais vous craindrez le Seigneur votre Dieu, parce que je suis le Seigneur. Vous ne ferez rien contre l’équité, et vous ne jugerez point injustement. Ne faites point attention si la personne est pauvre, et ne vous laissez point intimider par l’aspect du puissant. Jugez votre prochain selon la justice. Vous ne serez point calomniateur, ni semeur de rapports parmi le peuple. Vous ne ferez point d’entreprise contre le sang de votre prochain. Je suis le Seigneur. Vous ne haïrez point votre frère dans votre cœur ; mais reprenez-le publiquement, de peur qu’il ne soit pour vous cause de péchés. Ne cherchez point la vengeance, et ne gardez pas souvenir de l’injure de vos concitoyens. Vous aimerez votre ami comme vous-même ; je suis le Seigneur. Gardez mes lois ; car je suis le Seigneur votre Dieu.

L’Église, en nous mettant aujourd’hui sous les yeux ce passage du Lévitique, dans lequel les devoirs de l’homme envers son prochain se trouvent exposés avec tant de clarté et d’abondance, veut faire comprendre au chrétien en quel détail il doit scruter et réformer sa vie, sur un point de si haute importance. C’est Dieu même qui parle ici et qui intime ses ordres ; entendez comme il répète presque à chaque phrase : « Moi, le Seigneur » ; afin de nous faire comprendre qu’il se constituera le vengeur du prochain que nous aurions lésé. Que ce langage devait être nouveau à l’oreille des catéchumènes, élevés au sein de ce monde païen, égoïste et sans entrailles, qui ne leur avait jamais dit que tous les hommes étant frères, Dieu, Père commun de l’immense famille de l’humanité, exigeait qu’ils s’aimassent tous d’un amour sincère, sans distinction de races et de condition ! Nous, chrétiens, en ces jours de réparation, songeons à remplir à la lettre les intentions du Seigneur notre Dieu. Souvenons‑nous que ces préceptes furent intimés au peuple israélite, bien des siècles avant la publication de la Loi de miséricorde. Or, si le Seigneur prescrivait au Juif un si sincère amour de ses frères, lorsque la loi divine n’était encore écrite que sur des tables de pierre, que ne demandera-t-il pas du chrétien qui peut maintenant la lire dans le cœur de l’Homme-Dieu descendu du ciel et devenu notre frère, afin qu’il nous fût à la fois plus facile et plus doux de remplir le précepte de la charité ? L’humanité unie en sa personne à la divinité est désormais sacrée ; elle est devenue l’objet des complaisances du Père céleste ; c’est par amour fraternel pour elle que Jésus se dévoue à la mort, nous apprenant par son exemple à aimer si sincèrement nos frères que, s’il est nécessaire, « nous allions jusqu’à donner notre vie pour eux » (s. Jean 3, 16). C’est le disciple bien-aimé qui l’a appris de son Maître, et qui nous l’enseigne.

ÉVANGILE
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. X.

En ce temps-là, on faisait à Jérusalem la fête de la Dédicace, et c’était l’hiver ; et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon. Les Juifs s’assemblèrent autour de lui et lui dirent : Jusqu’à quand nous tiendrez-vous l’esprit en suspens ? Si vous êtes le Christ, dites‑le‑nous ouvertement. Jésus leur répondit : Je vous parle, et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi ; mais vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais ; et nul ne les ravira d’entre mes mains. Ce que mon Père m’a donné est plus grand que toutes choses, et personne ne le saurait ravir de la main de mon Père. Moi et le Père sommes une même chose. Alors les Juifs prirent des pierres pour le lapider. Jésus leur dit : J’ai fait devant vous plusieurs bonnes œuvres par la puissance de mon Père ; pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ? Les Juifs lui répondirent : Nous ne vous lapidons pas pour aucune bonne œuvre, mais à cause de votre blasphème ; et parce que, étant un homme, vous vous faites Dieu. Jésus leur répondit : N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit que vous êtes des dieux ? Si donc elle appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu était adressée, et que l’Écriture ne puisse être détruite, celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, comment dites-vous de lui : il a blasphémé, parce qu’il a dit : Je suis le Fils de Dieu ? Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand vous ne voudriez pas me croire, croyez à mes œuvres ; afin que vous connaissiez et que vous croyiez que le Père est en moi, et moi dans le Père.

Après la fête des Tabernacles vint celle de la Dédicace, et Jésus était demeuré à Jérusalem. La haine de ses ennemis croissait toujours, et voici qu’ils s’assemblent autour de lui, afin de lui faire dire qu’il est le Christ, pour l’accuser ensuite d’usurper une mission qui n’est pas la sienne. Jésus dédaigne de leur répondre, et les renvoie aux prodiges qu’ils lui ont vu opérer, et qui rendent de lui un si éclatant témoignage. C’est par la foi, et par la foi seule, que l’homme peut arriver à Dieu en ce monde. Dieu se manifeste par des œuvres divines ; l’homme qui les connaît doit croire la vérité que de telles œuvres attestent ; en croyant ainsi, il a en même temps la certitude de ce qu’il croit et le mérite de sa croyance. Le Juif superbe se révolte ; il voudrait dicter la loi à Dieu même, et il ne comprend pas que sa prétention est aussi impie qu’elle est absurde.

Cependant il faut que la doctrine divine ait son cours, dût-elle exciter le scandale de ces esprits pervers. Jésus n’a pas à parler seulement pour eux : il faut aussi qu’il le fasse pour ceux qui croiront. Il dit donc alors cette grande parole, par laquelle il atteste, non plus seulement sa qualité de Christ, mais sa divinité : « Moi et mon Père, nous sommes une même chose ». Il savait qu’en s’exprimant ainsi il exciterait leur fureur ; mais il fallait qu’il se révélât à la terre et confondît d’avance l’hérésie. Arius se lèvera un jour contre le Fils de Dieu, et dira qu’il n’est que la plus parfaite des créatures : l’Église répondra qu’il est une même chose avec le Père, qu’il lui est consubstantiel ; et après bien des agitations et bien des crimes, la secte arienne s’éteindra et tombera dans l’oubli. Les Juifs sont ici les précurseurs d’Arius. Ils ont compris que Jésus confesse qu’il est Dieu, et ils tentent de le lapider. Par une dernière condescendance, Jésus veut les préparer à goûter cette vérité, en leur montrant par leurs Écritures que l’homme peut recevoir quelquefois, dans un sens restreint, le nom de Dieu, à raison des fonctions divines qu’il exerce ; puis il porte de nouveau leur pensée sur les prodiges qui témoignent si hautement de l’assistance que lui prête son Père, et répète avec une fermeté nouvelle que « le Père est en lui, et lui dans le Père ». Rien ne peut convaincre ces cœurs obstinés ; et la peine du péché qu’ils ont commis contre le Saint-Esprit pèse toujours sur eux davantage. Que différent est le sort des brebis du Sauveur ! « Elles écoutent sa voix, elles le suivent ; il leur donne la vie éternelle, et nul ne les ravira de ses mains. » Heureuses brebis ! elles croient parce qu’elles aiment ; c’est par le cœur que la vérité se fait jour en elles ; de même que c’est par l’orgueil de l’esprit que les ténèbres pénètrent dans l’âme de l’incrédule, et s’y établissent pour toujours. L’incrédule aime les ténèbres ; il les appelle lumière, et il en vient à blasphémer, sans plus sentir qu’il blasphème. Le Juif en vient jusqu’à crucifier le Fils de Dieu pour rendre hommage à Dieu.

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Écoutez nos supplications, ô Dieu tout-puissant, et daignez accorder l’effet de votre miséricorde accoutumée à ceux auxquels vous donnez la confiance de l’espérer de votre bonté. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Autres liturgies

L’Église Gothique d’Espagne nous présente, dans son Bréviaire Mozarabe, cette belle prière composée de solennelles acclamations au Christ souffrant.

V/. O Christ, vrai Fils de Dieu !

R/. Exaucez-nous, ayez pitié d’un peuple suppliant.

V/. Vous qui, par le triomphe de votre Croix, avez seul sauvé l’univers, délivrez-nous par votre sang expiateur.

R/. Exaucez-nous.

V/. Vous qui, en mourant, condamnez la mort, et par votre Résurrection procurez la vie ; vous qui souffrez pour nous une peine qui ne vous était pas due.

R/. Exaucez-nous.

V/. Accordez-nous de célébrer en paix ces jours de votre Passion. Dans ce saint temps, que votre bonté nous protège.

R/. Exaucez-nous.

V/. Ne laissez pas périr ceux pour qui vous avez souffert la Croix ; mais, par la Croix, conduisez-les à la vie éternelle.

R/. Exaucez-nous.

Saluons la sainte Croix, en empruntant la voix de l’Église Grecque, dans son Triodion.

En changeant la disposition de ses bras, pour répandre la bénédiction sur ses petits-fils, Jacob, l’illustre patriarche, marquait la figure de la Croix ; il présageait la bénédiction de salut qui, par la Croix, est descendue sur nous tous.

O Croix digne d’honneur, nous t’embrassons comme l’armure de salut, l’invincible trophée, le signe d’allégresse, l’instrument par lequel la mort a succombé ; nous qui participons à la gloire de celui qui fut attaché à tes bras.

Les hiérarchies angéliques assistent saisies de terreur, en présence du bois qui donne la vie. Car sur ce bois le Christ a versé son sang, et il a offert, pour éloigner des hommes la ruine qui les menaçait, le prix de la rédemption qui détruit tous les droits que le péché avait donnés aux démons.

O Verbe, j’ai été blessé par le glaive de l’ennemi ; guérissez-moi par votre sang ; hâtez-vous de déchirer par la lance de votre Passion la cédule de mes péchés, et inscrivez-moi au livre de vie.

O Croix digne d’hommages, lorsque tu fus plantée en terre, les demeures infernales en furent ébranlées ; mais tu es devenue pour les fidèles l’appui solide, la protection qui ne manque jamais.

Rendus fertiles en vertus, cueillons sur ce bois divin les fruits vivifiants que nous présente Jésus, la vigne féconde, étendue sur ce bois.

Nous louons, ô Jésus, votre immense bonté, en adorant la Croix, la lance et le roseau avec lesquels vous avez renversé, dans votre miséricorde, le mur de séparation qui nous faisait ennemis de Dieu.

Jeudi

Haut de page

À Rome, la Station est dans l’Église de saint Apollinaire, qui fut disciple de saint Pierre et ensuite premier Évêque de Ravenne et Martyr.

COLLECTE.

Faites, ô Dieu tout-puissant, que la nature humaine, qui a été blessée par son intempérance, soit rétablie en sa dignité par cette abstinence salutaire. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

ÉPÎTRE.
Lecture du Prophète Daniel. Chap. III.

En ces jours-là, Azarias pria le Seigneur et dit : Seigneur notre Dieu, nous vous en conjurons par la gloire de votre nom, ne nous abandonnez pas à jamais. Ne détruisez pas votre alliance, et ne retirez pas de nous votre miséricorde. Ayez égard à Abraham votre bien-aimé, à Isaac votre serviteur, et à Israël votre saint, auxquels vous avez promis que vous multiplieriez leur race comme les étoiles du ciel, et comme le sable qui est sur le rivage de la mer. Car nous sommes réduits, Seigneur, à un plus petit nombre que toutes les autres nations, et nous sommes aujourd’hui humiliés par toute la terre, à cause de nos péchés. Et il n’y a plus maintenant parmi nous ni prince, ni chef, ni prophète, ni holocauste, ni sacrifice, ni oblation, ni encens, ni lieu où nous puissions vous offrir les prémices, afin d’avoir part à votre miséricorde. Mais daignez nous recevoir à cause de notre cœur contrit et de notre esprit humilié. Que ce sacrifice offert devant vous aujourd’hui vous soit agréable comme un holocauste de béliers et de taureaux, comme l’offrande de mille agneaux gras ; car ceux qui mettent en vous leur confiance ne seront point confondus. Et maintenant, c’est de tout notre cœur que nous allons à vous, que nous vous craignons, et que nous cherchons votre face. Ne nous repoussez pas ; mais agissez avec nous selon votre douceur et selon la grandeur de votre miséricorde. Délivrez-nous par les merveilles de votre puissance, et donnez gloire à votre nom, Seigneur. Que tous ceux qui font souffrir des maux à vos serviteurs soient confondus ; qu’ils soient confondus par votre toute-puissance ; que leur force soit brisée ; et qu’ils sachent que vous êtes le Seigneur, le Dieu unique, plein de gloire par toute la terre, ô Seigneur notre Dieu !

C’est ainsi que Juda, captif en Babylone, épanchait ses vœux au Seigneur par la bouche d’Azarias. La désolation était au comble dans Sion, veuve de son peuple et de ses solennités ; ses fils, transplantés sur une rive étrangère, devaient successivement y mourir jusqu’à la soixante-dixième année de l’exil ; après quoi Dieu se souviendrait de ses exilés, et les ramènerait en Jérusalem par la main de Cyrus. Alors aurait lieu la construction du second temple qui devait voir le Messie. Quel crime avait donc commis Juda pour se voir soumis à une telle expiation ? La fille de Sion s’était prostituée à l’idolâtrie ; elle avait rompu le pacte sacré qui l’unissait au Seigneur comme à son époux. Toutefois son crime fut effacé par cette captivité d’un nombre limité d’années ; et Juda, rétabli dans la terre de ses pères, ne retourna plus au culte des faux dieux. Il était pur d’idolâtrie lorsque le Fils de Dieu vint habiter au milieu de lui. Mais quarante ans ne s’étaient pas écoulés depuis l’ascension glorieuse de ce divin Rédempteur, que Juda reprenait de nouveau le chemin de l’exil ; qu’il était, non plus emmené captif à Babylone, mais dispersé, après d’affreux massacres, dans toutes les nations qui sont sous le ciel. Voilà, non plus soixante-dix ans, mais dix-huit siècles qu’il est « sans prince, sans chef, sans prophète, sans holocauste, sans sacrifice et sans temple ». Le crime commis par Juda est donc plus grand encore que l’idolâtrie, puisque, après une si longue suite de malheurs et d’humiliations, la justice du Père n’est pas apaisée ! C’est que le sang qui fut versé par le peuple juif sur le Calvaire en ces jours n’est pas seulement le sang d’un homme ; c’est le sang d’un Dieu. Il faut que toute la terre le sache et le comprenne, à la seule vue du châtiment des meurtriers. Cette immense expiation d’un crime infini doit se continuer jusqu’aux derniers jours du monde ; alors seulement le Seigneur se souviendra d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; une grâce extraordinaire descendra sur Juda, et son retour consolera l’Église affligée de la défection d’un grand nombre de ses fils. Le spectacle d’un peuple entier imprégné de la malédiction dans toutes ses générations, pour avoir crucifié le Fils de Dieu, donne à réfléchir au chrétien. Il y apprend que la justice divine est terrible, et que le Père demande compte du sang de son Fils, jusqu’à la dernière goutte, à ceux qui l’ont versé. Hâtons-nous de laver dans ce sang précieux la tache de complicité que nous avons avec les Juifs ; et, rompant les liens de l’iniquité, imitons, par une entière conversion, ceux d’entre eux que nous voyons de temps en temps se détacher de leur peuple et se rendre au divin Messie, dont les bras sont étendus sur la Croix pour recevoir tous ceux qui veulent revenir à lui.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. VII.

En ce temps-là, un Pharisien pria Jésus de venir manger avec lui ; et étant entré dans la maison de ce Pharisien, il se mit à table. Et voilà qu’une femme de la ville, qui vivait dans le péché, ayant su que Jésus était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d’albâtre plein d’une huile de parfum. Et se tenant derrière lui à ses pieds, elle commença à les arroser de ses larmes, et les essuyant avec ses cheveux, elle les baisait, et y répandait le parfum. Ce que voyant le Pharisien qui avait invité Jésus, il se dit en lui-même : Si cet homme était un Prophète, il saurait qui est celle qui le touche, et que c’est une pécheresse. Alors Jésus, prenant la parole, lui dit : Simon, j’ai quelque chose à te dire. Il répondit : Maître, dites. Un créancier avait deux débiteurs ; l’un lui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi lui rendre, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel l’aimera le plus ? Simon répondit : J’estime que c’est celui à qui il a remis davantage. Jésus lui dit : Tu as bien jugé. Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu n’as pas versé d’eau sur mes pieds ; mais elle, elle les a arrosés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné le baiser ; mais elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé de baiser mes pieds. Tu n’as pas versé de parfum sur ma tète ; mais elle, elle a répandu ses parfums sur mes pieds. C’est pourquoi je te dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui on remet moins, aime moins. Alors il dit à cette femme : Tes péchés te sont remis. Et ceux qui étaient à table avec lui commencèrent à dire en eux-mêmes : Quel est celui-ci qui remet même les péchés. Et il dit à la femme : Ta foi t’a sauvée ; retire-toi en paix.

Aux idées sombres que suggère le spectacle de la réprobation du peuple déicide, l’Église se hâte de faire succéder les pensées consolantes que doit produire dans nos âmes l’histoire de la pécheresse de l’Évangile. Ce trait de la vie du Sauveur ne se rapporte pas au temps de la Passion ; mais les jours où nous sommes ne sont-ils pas les jours de la miséricorde ; et ne convient-il pas d’y glorifier la mansuétude et la tendresse du cœur de notre Rédempteur qui s’apprête, en ces jours mêmes. à faire descendre le pardon sur un si grand nombre de pécheurs par toute la terre ? D’ailleurs Madeleine n’est-elle pas la compagne inséparable de son cher Maître crucifié ? Bientôt nous la verrons au pied de la Croix ; étudions ce type d’amour, fidèle jusqu’à la mort ; et pour cela considérons son point de départ.

Madeleine avait mené une vie coupable ; sept démons, nous dit ailleurs le saint Évangile, avaient fixé en elle leur demeure. Il a suffi à cette femme de voir et d’entendre le Sauveur ; tout aussitôt la haine du péché la saisit, le saint amour se révèle à son cœur ; elle n’a plus qu’un désir, celui de réparer sa vie passée. Elle a péché avec éclat : il lui faut une rétractation éclatante de ses égarements ; elle a vécu dans le luxe : désormais ses parfums sont tous pour son libérateur ; de sa chevelure, dont elle était si fière, elle lui essuiera les pieds ; son visage ne connaîtra plus les ris immodestes ; ses yeux, qui séduisaient les âmes, sont noyés dans les larmes. Par le mouvement de l’Esprit divin qui la possède, elle part pour revoir Jésus. Il est chez le Pharisien, il est assis à un festin, elle va donc se donner en spectacle ; que lui importe ? elle s’élance avec son vase précieux, et dans un instant la voilà aux pieds du Sauveur. C’est là qu’elle s’établit, là qu’elle épanche son cœur et ses larmes. Qui pourrait décrire les sentiments qui se pressent dans son âme ? Jésus lui-même nous les fera connaître tout à l’heure d’un seul mot. Mais il est aisé de voir à ses pleurs combien elle est touchée, à l’emploi de ses parfums et de ses cheveux combien elle est reconnaissante, à sa prédilection pour les pieds de son Sauveur combien elle est humble.

Le Pharisien se scandalise. Par un mouvement de cet orgueil judaïque qui bientôt crucifiera le Messie, il prend de là occasion de douter de la mission de Jésus. « S’il était prophète, pense‑t‑il, il saurait quelle est cette femme. » Lui, s’il avait l’esprit de Dieu, il reconnaîtrait le Sauveur promis à cette condescendance envers la créature repentante. Avec sa réputation de vertu, qu’il est au-dessous de cette pauvre femme pécheresse ! Jésus prend la peine de le lui donner à comprendre, en faisant de sa bouche divine le parallèle de Madeleine et de Simon le Pharisien, et dans ce parallèle l’avantage reste à Madeleine. Quelle cause a donc ainsi transformé la pécheresse de manière à lui mériter non seulement le pardon, mais les éloges publics de Jésus ? Son amour : « elle a aimé son Rédempteur, elle l’a aimé beaucoup », et le pardon qu’elle a reçu est selon la mesure de cet amour. Il y a peu d’heures, elle n’aimait que le monde et la vie sensuelle ; le repentir a créé en elle un être nouveau ; elle ne cherche plus, elle ne voit plus, elle n’aime plus que Jésus. Désormais elle s’attache à ses pas, elle veut subvenir à ses besoins, elle veut surtout le voir et l’entendre ; et, au moment de l’épreuve, quand les Apôtres auront fui, elle sera là au pied de la Croix, pour recevoir le dernier soupir de celui à qui son âme doit la vie. Quel sujet d’espérance pour le pécheur ! Jésus vient de le dire : « Celui à qui l’on remet plus, est celui-là même qui aime plus. » Pécheurs, songez à vos péchés ; mais songez surtout à accroître votre amour. Qu’il soit en proportion de la grâce du pardon que vous allez recevoir, et « vos péchés vous seront remis ».

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Soyez, Seigneur, favorable à votre peuple, afin que, rejetant tout ce qui vous déplaît, il mette ses délices dans l’accomplissement de vos commandements. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Autres liturgies

Nous terminerons cette journée par cette Hymne touchante du Bréviaire Mozarabe.

HYMNE.

Verbe du Père, qui avez daigné paraître dans la chair, Agneau de Dieu, qui ôtez les péchés du monde, nous venons vers vous humblement, pour nous désaltérer dans le sang de votre auguste Passion.

Montrez-nous les stigmates de vos blessures sacrées ; faites briller le signe glorieux de votre Croix ; que par la force inépuisable qui réside en lui, le salut soit accordé aux croyants.

Le roseau, les clous, les crachats, le breuvage de myrrhe, la couronne d’épine, les fouets, la lance, sont, ô Christ, les instruments de votre supplice ; à cause d’eux, daignez aujourd’hui pardonner nos crimes.

Que le sang de vos blessures sacrées arrose et lave nos cœurs, qu’il enlève le poison de notre malice ; que notre vie présente soit exempte de péché : que la vie future nous soit une bienheureuse récompense.

Quand le jour de la résurrection se lèvera, quand les splendeurs de l’éternel royaume viendront illuminer ce monde, faites-nous suivre, à travers les airs, cette route qui nous conduira vers les heureux habitants du céleste séjour.

Honneur soit au Dieu éternel ! gloire au seul Père, au Fils unique et à l’Esprit-Saint ! Trinité qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.

Rendons notre hommage à la sainte Croix, en lui offrant ces strophes que lui consacre l’Église Grecque.

Le bois avec lequel Élisée retira du Jourdain le fer de la hache fut la figure de la Croix, par laquelle, ô Christ, vous avez retiré de l’abîme de leurs vanités les nations qui, aujourd’hui, chantent avec transport : « Vous êtes béni, Dieu de nos pères ! »

Les cieux s’unissent à la terre dans une commune allégresse, pour adorer votre Croix ; car c’est vous-même qui avez réuni les Anges et les hommes qui chantent ensemble : « Seigneur notre Dieu, soyez béni ! »

Adorant la Croix du Seigneur, et glorifiant notre libérateur qui y fut attaché, présentons notre hommage selon les trois bois dont elle fut formée : une tendre compassion pour le cyprès odorant, la foi pour le cèdre, et pour le pin une charité sincère.

Vous avez étendu, ô Christ, vos mains sur le bois ; là vous avez détruit le péché de l’homme, qui n’avait pas su retenir sa convoitise. La lance vous a blessé ; mais vous l’avez retournée contre l’ennemi. En goûtant le fiel,vous avez anéanti le mal dont la douceur est trompeuse ; vous avez été abreuvé de vinaigre, vous qui êtes les délices de tous.

J’étais mort par l’arbre du péché, j’étais livré au trépas par une nourriture qui m’avait flatté ; rendez-moi la vie, Seigneur ; relevez-moi, faites-moi adorer vos souffrances et participer à votre divine résurrection ; rendez-moi le cohéritier de ceux qui vous aiment.

O Croix, signe d’allégresse, armure invincible, honneur des Apôtres, force des Pontifes, rends la vigueur à mon âme languissante ; fais que je t’adore, que je célèbre tes louanges, que je m’écrie : « Créatures du Seigneur, louez le Seigneur, et exaltez-le dans les siècles. »

Vendredi

Haut de page

À Rome, la Station est dans l’Église de Saint-Étienne, au mont Cœlius. En ce jour qui devait être consacré à vous Marie, la Reine des Martyrs, il est touchant de reconnaître que, par une sorte de pressentiment prophétique, cette église dédiée au premier des Martyrs se trouvait déjà désignée, dès la plus haute antiquité, pour la réunion des fidèles.

COLLECTE.

Daignez répandre, Seigneur, votre grâce dans nos cœurs ; afin que, punissant nos péchés par des châtiments volontaires, nous évitions par ces peines temporelles le malheur d’être condamnés aux supplices éternels. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

ÉPÎTRE.
Lecture du Prophète Jérémie. Chap XVII.

En ces jours-là, Jérémie dit : Seigneur, tous ceux qui vous abandonnent seront confondus ; ceux qui se retirent de vous seront inscrits sur le sable, d’où leur nom sera bientôt effacé ; car ils ont abandonné la source des eaux vives, le Seigneur. Guérissez-moi, Seigneur, et je serai guéri ; sauvez-moi, et je serai sauvé ; parce que vous seul êtes ma gloire. Les voilà qui me disent : Où est la parole du Seigneur ? qu’elle s’accomplisse. Mais moi, je n’ai point été troublé, en vous suivant comme mon Pasteur, et je n’ai point désiré le jour de l’homme, vous le savez. Ce qui est sorti de mes lèvres a été droit devant vos yeux. Ne soyez point pour moi un sujet de terreur ; c’est vous qui êtes mon espérance au jour de l’affliction. Que ceux qui me persécutent soient confondus, et que je ne sois point confondu moi-même ; qu’ils soient dans l’épouvante, et que je ne sois pas épouvanté. Faites venir sur eux un jour de malheur, et brisez-les, en les accablant de maux, ô Seigneur notre Dieu !

Jérémie est une des principales figures de Jésus-Christ dans l’Ancien Testament, où il représente spécialement le Messie persécuté par les Juifs. C’est ce qui a porté l’Église à choisir ses Prophéties pour sujet des lectures de l’Office de la nuit, dans les deux semaines consacrées à la Passion du Sauveur. Nous venons d’entendre une des plaintes que ce juste adresse à Dieu contre ses ennemis ; et c’est au nom du Christ qu’il parle. Écoutons ces accents désolés qui dépeignent à la fois la malice des Juifs, et celle des pécheurs qui persécutent Jésus-Christ au sein même du christianisme. « Ils ont, dit le Prophète, abandonné la source des eaux vives. » Juda a perdu le souvenir de la roche du désert, d’où jaillirent les eaux dont il étancha sa soif ; ou, s’il se la rappelle encore, il ne sait plus que cette roche mystérieuse représentait le Messie.

Cependant Jésus est là dans Jérusalem, et il crie : « Que celui qui a soif vienne à moi, et qu’il se désaltère. » Sa bonté, sa doctrine, ses œuvres merveilleuses, les oracles accomplis en lui, disent assez que l’on doit croire à sa parole. Juda est sourd à l’invitation ; et plus d’un chrétien imite son endurcissement. Il en est qui ont goûté à la « source des eaux vives », et qui s’en sont détournés pour aller se désaltérer aux ruisseaux bourbeux du monde ; et leur soif s’en est irritée davantage. Qu’ils tremblent en voyant le châtiment des Juifs ; car s’ils ne reviennent pas au Seigneur leur Dieu, ils tomberont dans ces ardeurs dévorantes et éternelles, où l’on refuse une goutte d’eau à celui qui l’implore. Le Sauveur, par la bouche de Jérémie, annonce « un jour de malheur » qui doit fondre sur les Juifs ; plus tard, lorsqu’il vient en personne, il prévient les Juifs que la tribulation qui tombera sur Jérusalem, en punition de son déicide, sera si affreuse, que « depuis le commencement du monde elle n’a pas eu sa pareille, et ne l’aura jamais dans la suite des siècles » (s. Matth. 14, 21). Mais si le Seigneur a vengé avec tant de rigueur le sang de son Fils contre une ville qui fut longtemps l’escabeau de ses pieds, et contre un peuple qu’il avait préféré à tous les autres, épargnera-t-il le pécheur qui, malgré les invitations de l’Église, s’obstine à rester dans son endurcissement ? Juda eut le malheur de combler la mesure de ses iniquités ; nous aussi, nous avons tous une mesure de mal que la justice de Dieu ne nous permettrait pas de dépasser. Hâtons-nous d’ôter le péché ; songeons à remplir l’autre mesure, celle des bonnes œuvres ; et prions pour les pécheurs qui ne se convertiront pas en ces jours. Demandons que ce sang divin, qu’ils mépriseront encore une fois, et dont ils sont couverts, ne s’appesantisse pas sur eux.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. XI.

En ce temps-là, les Pontifes et les Pharisiens assemblèrent le conseil contre Jésus, et ils disaient : Que faisons-nous ? cet homme opère beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire, tous croiront en lui ; et les Romains viendront et ruineront notre ville et notre nation. L’un d’eux, nommé Caïphe, qui était le grand-prêtre de cette année-là, leur dit : Vous n’y entendez rien, et vous ne songez pas qu’il est expédient pour vous qu’un seul homme meure pour le peuple, afin que toute la nation ne périsse pas. Or il ne disait pas ceci de lui-même ; mais, étant grand-prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation, et non pas pour la nation seulement, mais aussi pour rassembler et réunir les enfants de Dieu qui étaient dispersés. À partir de ce jour, ils songèrent donc à le faire mourir. C’est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs ; mais il s’en alla dans une contrée près du désert, en une ville nommée Éphrem et il s’y tint avec ses disciples.

La vie du Sauveur est menacée plus que jamais. Le conseil de la nation s’est réuni pour aviser à se défaire de lui. Écoutez ces hommes que la plus vile des passions, la jalousie, a rassemblés. Ils ne nient pas les miracles de Jésus ; ils sont donc en mesure de porter un jugement sur sa mission, et ce jugement devrait être favorable. Mais ce n’est pas dans ce but qu’ils sont venus ; c’est pour s’entendre sur les moyens de le faire périr. Que se diront-ils à eux-mêmes ? quels sentiments exprimeront-ils en commun pour légitimer cette résolution sanguinaire ? Ils oseront mettre en avant la politique, l’intérêt de la nation. Si Jésus continue de se montrer et d’opérer des prodiges, bientôt la Judée va se lever pour le proclamer son Roi, et les Romains ne tarderont pas à venir venger l’honneur du Capitole outragé par la plus faible des nations qui soit dans l’Empire. Insensés, qui ne comprennent pas que si le Messie eût dû être roi à la manière de ce monde, toutes les puissances de la terre seraient demeurées sans force contre lui ! Que ne se souviennent-ils plutôt de la prédiction de Daniel, qui a annoncé que dans le cours de la soixante-dixième semaine d’années, à partir du décret pour la réédification du temple, le Christ sera mis à mort, et le peuple qui l’aura renié ne sera plus son peuple (Dan. 9, 25) ; qu’après ce forfait un peuple commandé par un chef militaire viendra, et renversera la ville et le temple ; que l’abomination de la désolation entrera dans le sanctuaire, et que la désolation s’établira à Jérusalem, pour y demeurer jusqu’à la fin (Ibid. 26, 27) ! En mettant à mort le Messie, ils vont du même coup anéantir leur patrie.

En attendant, l’indigne pontife qui préside aux derniers jours de la religion mosaïque s’est revêtu de l’éphod, et il a prophétisé, et sa prophétie est selon la vérité. Ne nous en étonnons pas. Le voile du temple n’est pas déchiré encore ; l’alliance entre Dieu et Juda n’est pas rompue. Caïphe est un homme de sang, un lâche, un sacrilège ; mais il est pontife. Dieu parle encore par sa bouche. Écoutons ce nouveau Balaam : « Jésus mourra pour la nation, et non pour la nation seulement, mais aussi pour rassembler et réunir les enfants de Dieu qui étaient dispersés. » Ainsi la Synagogue expirante est contrainte de prophétiser la naissance de l’Église par l’effusion du sang de Jésus ! Ça et là sur la terre il y a des enfants de Dieu qui le servent, au milieu de la gentilité, comme le centenier Corneille ; mais aucun lien visible ne les réunit. L’heure approche où la grande et unique Cité de Dieu va apparaître sur la montagne, « et toutes les nations se dirigeront vers elle ». (Isa. 2, 2) Après que le sang de l’alliance universelle aura été répandu, après que le sépulcre aura rendu le vainqueur de la mort, cinquante jours seront à peine écoulés, que la trompette sacrée de la Pentecôte convoquera, non plus les Juifs au temple de Jérusalem, mais tous les peuples à l’Église de Jésus-Christ. Caïphe ne se souvient plus déjà de l’oracle qu’il a lui-même proféré ; il a fait rétablir le voile du Saint des Saints qui s’était déchiré en deux, au moment ou Jésus expirait sur la Croix ; mais ce voile ne cache plus qu’un réduit désert. Le Saint des Saints n’est plus là ; « on offre maintenant en tout lieu une hostie pure » (Malach. 1, 2), et les vengeurs du déicide n’ont pas encore apparu, avec leurs aigles, sur la montagne des Oliviers, que déjà les sacrificateurs ont entendu retentir au fond du sanctuaire répudié une voix qui disait : « Sortons d’ici. »

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Dieu tout-puissant, daignez faire que nous, qui implorons la grâce de votre protection, nous soyons délivrés de tous les maux, et que nous vous servions avec tranquillité d’esprit. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.

Les sept douleurs de la Très Sainte Vierge

Haut de page

La piété des derniers temps a consacré d’une manière spéciale cette journée à la mémoire des incomparables douleurs que Marie a ressenties au pied de la Croix de son divin Fils. La semaine suivante est occupée tout entière par la célébration des mystères de la Passion du Sauveur ; et bien que le souvenir de Marie compatissante soit souvent présent au cœur du fidèle qui suit pieusement tous les actes de cette longue et sublime scène, les douleurs du Rédempteur, le spectacle de la justice et de la miséricorde divines s’unissant pour opérer notre salut, préoccupent trop vivement le cœur et la pensée, pour qu’il soit possible d’honorer, comme il le mérite, le profond mystère de la compassion de Marie aux souffrances de Jésus.

Il était donc à propos qu’un jour fût choisi dans l’année pour remplir ce devoir sacré ; et quel jour plus convenable que le Vendredi de la semaine où nous sommes, qui est déjà tout entière vouée au culte de la Passion du Fils de Dieu ? Dès le XVème siècle, en 1423, un pieux archevêque de Cologne, Thierry de Meurs, inaugurait cette fête dans son Église par un décret synodal (Labb. Concil. t. 12, p. 365). Elle s’étendit successivement, sous des noms divers. dans les provinces de la catholicité, par la tolérance du Siège Apostolique, jusqu’à ce qu’enfin, au siècle dernier, le pape Benoît XIII, par un décret du 22 août 1727, l’inscrivit solennellement sur le cycle de l’Église catholique, sous le nom de Fête des sept Douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie. Nous expliquerons ce titre, lorsque notre Année liturgique sera arrivée au 15 Septembre, jour où l’Église fait une nouvelle commémoration du mystère d’aujourd’hui ; nous raconterons alors l’origine première du culte des sept Douleurs de Marie. En ce jour, c’est uniquement Marie compatissante au pied de la Croix que l’Église veut honorer. Jusqu’à l’époque où le Siège Apostolique étendit à toute la chrétienté cette Fête sous le titre que nous venons d’exprimer, on la désignait par ces différentes appellations : Notre-Dame de Pitié, la Compassion de Notre-Dame, Notre-Dame de la Pâmoison ; en un mot, cette fête était déjà pressentie par la piété populaire, avant d’avoir obtenu la consécration solennelle de l’Église.

Pour en bien comprendre l’objet, et pour rendre en ce jour à la Mère de Dieu et des hommes les devoirs qui lui sont dus, nous devons nous rappeler que Dieu a voulu, dans les desseins de sa souveraine sagesse, associer Marie, en toutes manières, à l’œuvre du salut du genre humain. Le mystère d’aujourd’hui présente une nouvelle application de cette loi merveilleuse qui nous révèle toute la grandeur du plan divin ; il nous montre une fois de plus le Seigneur brisant l’orgueil de Satan par le faible bras de la femme. Dans l’œuvre de notre salut, nous reconnaissons trois interventions de Marie, trois circonstances où elle est appelée à unir son action à celle de Dieu même. La première, dans l’Incarnation du Verbe, qui ne vient prendre chair dans son chaste sein qu’après qu’elle a donné son acquiescement par ce solennel FIAT qui sauve le monde ; la seconde, dans le sacrifice que Jésus-Christ accomplit sur le Calvaire, où elle assiste pour participer à l’offrande expiatrice ; la troisième, au jour de la Pentecôte, où elle reçoit l’Esprit-Saint, comme le reçurent les Apôtres, afin de pouvoir s’employer efficacement à l’établissement de l’Église. À la fête de l’Annonciation, nous avons exposé la part qu’a eue la Vierge de Nazareth au plus grand acte qu’il a plu à Dieu d’entreprendre pour sa gloire, et pour le rachat et la sanctification du genre humain. Ailleurs nous aurons occasion de montrer l’Église naissante s’élevant et se développant sous l’action de la Mère de Dieu ; aujourd’hui il nous faut raconter la part qui revient à Marie dans le mystère de la Passion de Jésus, exposer les douleurs qu’elle a endurées près de la Croix, les titres nouveaux qu’elle y a acquis à notre filiale reconnaissance.

Le quarantième jour qui suivit la naissance de notre Emmanuel, nous accompagnâmes au temple l’heureuse mère portant son divin fils entre ses bras. Un vieillard vénérable attendait cet enfant, et le proclama « la lumière des nations et la gloire d’Israël ». Mais bientôt, se tournant vers la mère, nous l’entendîmes lui dire ces désolantes paroles : « Cet enfant sera aussi un signe de contradiction, et un glaive transpercera votre âme. » Cette annonce de douleurs pour la mère de Jésus nous fit comprendre que les joies innocentes du Temps de Noël avaient cessé, et que la carrière des amertumes était ouverte pour le fils et pour la mère. En effet, depuis la fuite nocturne en Égypte jusqu’à ces jours où la noire malice des Juifs prépare une affreuse catastrophe, quelle a été la situation du fils, humilié, méconnu, persécuté, abreuvé d’ingratitudes ? Quelle a été, par contrecoup, la continuelle inquiétude, la persévérante angoisse du cœur de la plus tendre des mères ? Mais aujourd’hui, prévenant le cours des événements, nous passons outre, et nous arrivons tout de suite au matin du fatal Vendredi.

Marie sait que, cette nuit même, son fils a été livré par un de ses disciples, par un homme que Jésus avait choisi pour confident, auquel elle-même avait donné plus d’une fois des marques de sa maternelle bonté. À la suite d’une cruelle agonie, le fils de Marie s’est vu enchaîner comme un malfaiteur, et la soldatesque l’a entraîné chez Caïphe, son principal ennemi. De là on l’a conduit chez le gouverneur romain, dont la complicité est nécessaire aux princes des prêtres et aux docteurs de la loi pour qu’ils puissent, selon leur désir, répandre le sang innocent. Marie est dans Jérusalem ; Madeleine et les autres amies de son fils l’entourent ; mais il n’est pas en leur pouvoir d’empêcher les cris tumultueux du peuple d’arriver à son oreille. Et qui d’ailleurs pourrait arrêter les pressentiments au cœur d’une telle mère ? Le bruit ne tarde pas à se répandre dans la ville que Jésus de Nazareth est demandé au gouverneur pour être crucifié. Marie se tiendra-t-elle à l’écart, en ce moment où tout un peuple est sur pied pour accompagner de ses insultes, jusqu’au Calvaire, ce Fils de Dieu qu’elle a porté dans son sein, qu’elle a nourri de son lait virginal ? Loin d’elle cette faiblesse ! Elle se lève, elle se met en marche, et se rend sur le passage de Jésus.

L’air retentissait de cris et de blasphèmes. Dans cette foule, on n’apercevait ni Joseph d’Arimathie, le noble décurion, ni le docte et grave Nicodème ; ils se tenaient cachés dans leurs demeures, déplorant le sort du Juste. Cette multitude qui précédait et suivait la victime n’était composée que de gens féroces ou insensibles ; seulement un groupe de femmes faisait entendre de douloureuses lamentations, et par cette compassion mérita d’attirer les regards de Jésus. Marie pouvait-elle se montrer moins sensible au sort de son fils que ne le parurent ces femmes qui n’avaient avec lui d’autres liens que ceux de l’admiration ou de la reconnaissance ? Nous insistons sur ce trait pour exprimer combien nous avons en horreur ce rationalisme hypocrite qui, foulant aux pieds tous les sentiments du cœur et les traditions de la piété catholique de l’Orient et de l’Occident, a tenté de mettre en doute la vérité de cette touchante Station de la Voie douloureuse qui marque le lieu de la rencontre du fils et de la mère. La secte impure n’oserait nier la présence de Marie au pied de la Croix : l’Évangile est trop formel ; mais plutôt que de rendre hommage à l’amour maternel le plus tendre et le plus dévoué qui fut jamais, elle préfère donner à entendre que lorsque les filles de Jérusalem se montraient sans crainte sur les pas du Sauveur, Marie se rendait au Calvaire par des chemins détournés.

Notre cœur filial rendra plus de justice à la femme forte par excellence. Qui pourrait dire quelle douleur et quel amour exprimèrent ses regards, lorsqu’ils rencontrèrent ceux de son fils chargé de sa Croix ? dire aussi quelle tendresse et quelle résignation répondirent de la part de Jésus à ce salut d’une mère éplorée ? avec quelle affection empressée et respectueuse Madeleine et les autres saintes femmes soutinrent dans leurs bras celle qui avait encore à monter le Calvaire, à recevoir le dernier soupir de ce fils de sa tendresse ? Le chemin est long encore de la quatrième Station de la Voie douloureuse à la dixième, et s’il fut arrosé du sang du Rédempteur, il fut baigné aussi des larmes de sa mère.

Jésus et Marie sont arrivés au sommet de cette colline qui doit servir d’autel pour le plus auguste et le plus terrible des sacrifices ; mais le décret divin ne permet pas encore à la mère d’approcher de son fils. Quand la victime sera prête, celle qui doit l’offrir s’avancera. En attendant ce moment solennel, quelles secousses au cœur de Marie, à chaque coup du marteau impitoyable qui cloue au gibet les membres délicats de son Jésus ! Et quand enfin il lui est donné de s’approcher avec Jean le bien-aimé qui a réparé sa fuite honteuse, avec l’inconsolable Madeleine et ses compagnes, quelles mortelles défaillances éprouve le cœur de cette mère qui, levant les yeux, aperçoit à travers ses pleurs le corps déchiré de son fils, étendu violemment sur le gibet, son visage couvert de sang et souillé d’infâmes crachats, sa tête couronnée d’un diadème d’épines !

Voilà donc ce Roi d’Israël dont l’Ange lui avait prophétisé les grandeurs, ce fils de sa virginité, celui qu’elle a aimé à la fois comme son Dieu et comme le fruit béni de son sein ! C’est pour les hommes, plus encore que pour elle, qu’elle l’a conçu, qu’elle l’a enfanté, qu’elle l’a nourri ; et les hommes l’ont mis dans cet état ! Encore si, par un de ces prodiges qui sont au pouvoir de son Père céleste, il pouvait être rendu à l’amour de sa mère ; si cette justice souveraine envers laquelle il a daigné acquitter toutes nos obligations voulait se contenter de ce qu’il a souffert ! Mais non, il faut qu’il meure, qu’il exhale son âme au milieu de la plus cruelle agonie.

Marie est donc au pied de la Croix, pour recevoir le dernier adieu de son fils : il va se séparer d’elle, et dans quelques instants elle n’aura plus de ce fils tant chéri qu’un corps inanimé et couvert de plaies. Mais cédons ici la parole au dévot saint Bernard, dont l’Église emprunte aujourd’hui le langage dans l’Office des Matines : « O mère, s’écrie-t-il, en considérant la violence de la douleur qui a traversé votre âme, nous vous proclamons plus que martyre ; car la compassion dont vous avez été saisie pour votre fils a surpassé toutes les souffrances que peut endurer le corps. N’a-t-elle pas été plus pénétrante qu’un glaive pour votre âme, cette parole : Femme, voilà votre fils ? Échange cruel ! en place de Jésus, vous recevez Jean ; en place du Seigneur, le serviteur ; en place du maître, le disciple ; en place du Fils de Dieu, le fils de Zébédée ; un homme enfin, en place d’un Dieu ! Comment votre âme si tendre n’en serait-elle pas traversée, quand nos cœurs à nous, nos cœurs de fer et de bronze, se sentent déchirés au seul souvenir de ce que le vôtre dut alors souffrir ? Ne soyez donc pas surpris, mes Frères, d’entendre dire que Marie a été martyre dans son âme. Il ne peut y avoir à s’en étonner que celui qui aurait oublié que saint Paul compte entre les plus grands crimes des Gentils d’avoir été sans affection. Un tel défaut est loin du cœur de Marie ; qu’il soit loin aussi du cœur de ceux qui l’honorent ! » (Sermon des douze étoiles)

Au milieu des clameurs et des insultes qui montent jusqu’à son fils élevé sur la Croix dans les airs, Marie entend descendre vers elle cette parole mourante qui lui apprend qu’elle n’aura plus d’autre fils sur la terre qu’un fils d’adoption. Les joies maternelles de Bethléhem et de Nazareth, joies si pures et si souvent troublées par l’inquiétude, sont refoulées dans son cœur et s’y changent en amertumes. Elle fut la mère d’un Dieu, et son fils lui est enlevé par les hommes ! Elle élève une dernière fois ses regards vers le bien-aimé de sa tendresse ; elle le voit en proie à une soif brûlante, et elle ne peut le soulager. Elle contemple son regard qui s’éteint, sa tète qui s’affaisse sur sa poitrine : tout est consommé.

Marie ne s’éloigne pas de l’arbre de douleur, à l’ombre duquel l’amour maternel l’a retenue jusqu’ici : et cependant quelles cruelles émotions l’y attendent encore ! Un soldat vient sous ses yeux traverser d’un coup de lance la poitrine de son fils expiré. « Ah ! dit encore saint Bernard, c’est votre cœur, ô mère, qui est transpercé par le fer de cette lance, bien plus que celui de votre fils qui a déjà rendu son dernier soupir. Son âme n’est plus là ; mais c’est la vôtre qui ne s’en peut détacher. » (Sermon des douze étoiles) L’invincible mère persiste à la garde des restes sacrés de son fils. Ses yeux le voient détacher de la Croix ; et lorsque enfin les pieux amis de Jésus, avec tout le respect qu’ils doivent au fils et à la mère, le lui rendent tel que la mort le lui a fait, elle le reçoit sur ses genoux maternels, sur ses genoux qui autrefois furent le trône où il reçut les hommages des princes de l’Orient. Qui comptera les soupirs et les sanglots de cette mère pressant sur son cœur la dépouille inanimée du plus cher des fils ? Qui comptera aussi les blessures dont le corps de la victime universelle est couvert ?

Mais l’heure avance, le soleil descend de plus en plus au couchant ; il faut se hâter de renfermer dans le sépulcre le corps de celui qui est l’auteur de la vie. La mère de Jésus rassemble toute l’énergie de son amour dans un dernier baiser, et oppressée d’une douleur immense comme la mer, elle livre ce corps adorable à ceux qui doivent, après l’avoir embaumé, l’étendre sur la pierre du tombeau. Le sépulcre se ferme ; et Marie, accompagnée de Jean, son fils adoptif, et de Madeleine, suivie des deux disciples qui ont présidé aux funérailles, et des autres saintes femmes, rentre désolée dans la cité maudite.

Ne verrons-nous dans tout ceci qu’une scène de deuil, que le spectacle lamentable des souffrances qu’a endurées la mère de Jésus, près de la Croix de son fils ? Dieu n’avait-il pas une intention en la faisant assister en personne à une si désolante scène ? Pourquoi ne l’a-t-il pas enlevée de ce monde, comme Joseph, avant le jour où la mort de Jésus devait causer à son cœur maternel une affliction qui surpasse toutes celles qu’ont ressenties toutes les mères, depuis l’origine du monde ? Dieu ne l’a pas fait, parce que la nouvelle Ève avait un rôle à remplir au pied de l’arbre de la Croix. De même que le Père céleste attendit son consentement avant d’envoyer le Verbe éternel sur cette terre, de même aussi l’obéissance et le dévouement de Marie furent requis pour l’immolation du Rédempteur. N’était-il pas le bien le plus cher de cette mère incomparable, ce fils qu’elle n’avait conçu qu’après avoir acquiescé à l’offre divine ? Le ciel ne devait pas le lui enlever, sans qu’elle le donnât elle-même.

Quelle lutte terrible eut lieu alors dans ce cœur si aimant ! L’injustice, la cruauté des hommes lui ravissent son fils ; comment elle, sa mère, peut-elle ratifier, par un consentement, la mort de celui qu’elle aime d’un double amour, comme son fils et comme son Dieu ? D’un autre côté, si Jésus n’est pas immolé, le genre humain demeure la proie de Satan, le péché n’est pas réparé, et c’est en vain qu’elle est devenue mère d’un Dieu. Ses honneurs et ses joies sont pour elle seule ; et elle nous abandonne à notre triste sort. Que fera donc la Vierge de Nazareth, celle dont le cœur est si grand, cette créature toujours pure, dont les affections ne furent jamais entachées de l’égoïsme qui se glisse si aisément dans les âmes où a régné la faute originelle ? Marie, par dévouement pour les hommes, s’unissant au désir de son fils qui ne respire que leur salut, Marie triomphe d’elle-même ; elle dit une seconde fois cette solennelle parole : FIAT, et consent à l’immolation de son fils. La justice de Dieu ne le lui ravit pas ; c’est elle qui le cède ; mais en retour elle est élevée à un degré de grandeur que son humilité n’eût jamais pu concevoir. Une ineffable union s’établit entre l’offrande du Verbe incarné et celle de Marie ; le sang divin et les larmes de la mère coulent ensemble, et se mêlent pour la rédemption du genre humain.

Comprenez maintenant la conduite de cette Mère de douleurs, et le courage qui l’anime. Bien différente de cette autre mère dont parle l’Écriture, l’infortunée Agar, qui, après avoir en vain cherché à étancher la soif d’Ismaël haletant sous le soleil du désert, s’éloigne pour ne pas voir mourir son fils ; Marie, ayant entendu que le sien est condamné à mort, se lève, court sur ses traces jusqu’à ce qu’elle l’ait rencontré, et l’accompagne au lieu où il doit expirer. Et quelle est son attitude au pied de la Croix de ce fils ? Y paraît-elle défaillante et abattue ? La douleur inouïe qui l’oppresse l’a-t-elle renversée par terre, ou entre les bras de ceux qui l’entourent ? Non ; le saint Évangile répond d’un seul mot à ces questions : « Marie était debout (stabat) près de la Croix. « Le sacrificateur se tient debout à l’autel ; pour offrir un sacrifice tel que le sien, Marie devait garder la même attitude. Saint Ambroise, dont l’âme tendre et la profonde intelligence des mystères nous ont transmis de si précieux traits sur le caractère de Marie, exprime tout dans ces quelques mots : « Elle se tenait debout en face de la Croix, contemplant de ses regards maternels les blessures de son fils, attendant, non la mort de ce cher fils, mais le salut du monde. » (In Lucam, Cap. 23)

Ainsi, cette Mère de douleurs, dans un pareil moment, loin de nous maudire, nous aimait, sacrifiait à notre salut jusqu’aux souvenirs de ces heures de bonheur qu’elle avait goûtées dans son fils. Malgré les cris de son cœur maternel, elle le rendait à son Père comme un dépôt confié. Le glaive pénétrait toujours plus avant dans son âme ; mais nous étions sauvés ; et bien qu’elle ne fût qu’une pure créature, elle coopérait, avec son fils, à notre salut. Devons‑nous être étonnés, après cela, que Jésus choisisse ce moment même pour l’établir la Mère des hommes, en la personne de Jean qui nous représentait tous ? Jamais encore le Cœur de Marie ne s’était autant ouvert en notre faveur. Qu’elle soit donc désormais, cette nouvelle Ève, la véritable « Mère des vivants ». Le glaive, en traversant son Cœur immaculé, nous en a frayé l’entrée. Dans le temps et dans l’éternité, Marie étendra jusqu’à nous l’amour qu’elle porte à son fils ; car elle vient de lui entendre dire que nous aussi désormais nous sommes à elle. Pour nous avoir rachetés, il est notre Seigneur ; pour avoir si généreusement coopéré à notre rachat, elle est notre Dame.

Dans cette confiance, ô Mère affligée, nous venons aujourd’hui vous rendre, avec la sainte Église, notre filial hommage. Jésus, le fruit de vos entrailles, fut enfanté par vous sans douleur ; nous, vos enfants d’adoption, nous sommes entrés dans votre cœur par le glaive. Aimez-nous cependant, ô Marie, corédemptrice des hommes ! Et comment ne compterions‑nous pas sur l’amour de votre cœur si généreux, lorsque nous savons que, pour notre salut, vous vous êtes unie au sacrifice de votre Jésus ? Quelles preuves ne nous avez‑nous pas constamment données de votre maternelle tendresse, ô vous qui êtes la Reine de miséricorde, le refuge des pécheurs, l’avocate infatigable de toutes nos misères ? Daignez, ô Mère, veiller sur nous en ces jours. Donnez-nous de sentir et de goûter la douloureuse Passion de votre fils. C’est sous vos yeux qu’elle s’est accomplie ; vous y avez pris une part sublime. Faites-nous-en pénétrer tous les mystères, afin que nos âmes, rachetées du sang de votre fils et arrosées de vos larmes, se convertissent enfin au Seigneur, et persévèrent désormais dans son service.

Offrons maintenant à Marie la touchante Complainte par laquelle l’Église aujourd’hui s’unit à ses douleurs.

SÉQUENCE.

Debout au pied de la croix à laquelle son fils était suspendu, la Mère des douleurs pleurait.

Son âme, en proie aux frémissements et à la désolation, fut alors transpercée d’un glaive.

Oh ! qu’elle fut triste et affligée, cette Mère bénie d’un fils unique !

Elle gémissait et soupirait, cette tendre Mère, à la vue des angoisses de cet auguste fils.

Qui pourrait retenir ses larmes, en voyant la Mère du Christ en proie à cet excès de douleur ?

Qui pourrait contempler, sans une tristesse profonde, cette Mère du Sauveur souffrant avec son fils ?

Elle avait sous les yeux Jésus livré aux tourments, déchiré de coups de fouets pour les péchés de ses frères.

Elle voyait ce tendre fils mourant, et sans consolation, jusqu’au dernier soupir.

O Mère, ô source d’amour, faites que je sente votre douleur, que je pleure avec vous.

Faites que mon cœur aime avec ardeur le Christ mon Dieu, et ne songe qu’à lui plaire.

Mère sainte, imprimez profondément dans mon cœur les plaies du Crucifié.

Donnez-moi part aux douleurs que votre fils a daigné endurer pour moi.

Faites que je pleure de compassion avec vous, que je compatisse à votre Crucifié, tous les jours de ma vie.

Mon désir est de demeurer avec vous près de la croix, et de m’associer pour toujours à votre deuil.

Vierge, la plus noble des vierges, ne me soyez pas sévère ; laissez-moi pleurer avec vous.

Que je porte en moi la mort du Christ ; que je partage sa Passion ; que je garde le souvenir des plaies qu’il a souffertes.

Faites que ses blessures soient miennes ; que je sois enivré de la croix et du sang de votre fils.

O Vierge, gardez-moi des feux dévorants ; défendez-moi vous-même au jour du jugement.

O Christ, quand il me faudra sortir de cette vie, accordez-moi, par votre Mère, la palme victorieuse.

Et lorsque mon corps devra subir la mort, daignez accorder à mon âme la gloire du paradis.

Amen.

Rendons notre hommage à la Sainte Croix, par ces dernières strophes de l’Hymne grecque que nous avons employée hier.

Venez, fidèles, purifiés par le jeûne, embrassons avec amour la Croix du Seigneur exposée à nos regards ; car elle est un trésor de sainteté et de puissance ; par elle nous célébrons le Christ dans les siècles.

Cette Croix qui s’étend et projette ses trois rayons parut vile au commencement ; maintenant elle monte jusqu’aux cieux par sa vertu puissante ; elle élève les hommes jusqu’à Dieu ; par elle, nous célébrons le Christ dans les siècles.

Honorons ce bois sacré que, selon l’oracle du Prophète, les Juifs devaient mettre dans le pain du Christ ; eux qui ont crucifié celui que nous célébrons dans les siècles.

Montagnes, distillez la douceur ; collines, répandez l’allégresse ; arbres des champs, cèdres du Liban, tressaillez aujourd’hui pour l’adoration de la Croix vivifiante. Prophètes, Martyrs, Apôtres, esprits des justes, triomphez.

Jetez un regard, Seigneur, sur votre peuple et votre clergé, qui chantent avec amour vos louanges, et pour lesquels vous avez souffert la mort. Que votre miséricorde ne soit pas dépassée par l’infinie multitude de nos péchés ; mais sauvez-nous tous par votre Croix, vous plein de bonté.

O Croix, tu es l’armure divine de ma vie ; c’est en montant sur toi que le Seigneur m’a sauvé ; c’est là que de son côté ouvert sont sortis le sang et l’eau, auxquels je participe avec joie, chantant gloire au Christ.

O Croix, tu es le divin sceptre de notre Roi, la force de nos armées. Dans notre confiance en toi, nous abattons nos ennemis ; donne-nous toujours, à nous qui t’adorons, la victoire sur les Barbares.

Samedi

Haut de page

Aujourd’hui nous commençons, avec le saint Évangile, à compter d’une manière précise les jours qui doivent s’écouler encore avant l’immolation de notre divin Agneau. Ce Samedi est le sixième jour avant la Pâque, selon la supputation de saint Jean, au Chapitre XII.

Jésus est à Béthanie ; on donne un festin en son honneur. Lazare ressuscité assiste à ce repas qui a lieu chez Simon le Lépreux. Marthe s’occupe des soins du ménage ; sa sœur, Marie‑Madeleine, à qui l’Esprit-Saint fait pressentir que la mort et la sépulture de son bien‑aimé maître approchent, a préparé un parfum qu’elle vient répandre sur lui. Le saint Évangile, qui observe toujours une discrétion pleine de mystères sur la Mère de Jésus, ne nous dit point qu’elle était, en ce moment, à Béthanie ; mais il est impossible d’en douter. Les Apôtres s’y trouvaient aussi, et prirent part au repas. Pendant que les amis du Sauveur se serraient ainsi autour de lui, dans ce village de Béthanie, situé à deux mille pas de Jérusalem, le ciel devenait plus sombre au-dessus de la ville infidèle. Jésus doit cependant demain y faire une apparition ; mais ses disciples l’ignorent encore. Le cœur de Marie est en proie à toutes les tristesses ; Madeleine est absorbée dans des pensées de deuil ; tout annonce que le fatal dénoûment est près d’éclater.

L’Église a cependant réservé le passage de l’Évangile de saint Jean qui raconte les faits de cette journée pour la Messe de Lundi prochain. La raison de cette particularité est que, jusqu’au XIIème siècle, il n’y avait pas aujourd’hui de Station à Rome. Le Pape préludait par une journée de vacation aux fatigues de la grande Semaine, dont les solennelles fonctions doivent commencer dès demain. Mais s’il ne présidait pas l’assemblée des fidèles, il ne laissait pas d’accomplir en ce jour deux prescriptions traditionnelles qui avaient leur importance dans les usages liturgiques de l’Église romaine.

Dans le cours de l’année, le Pape avait coutume d’envoyer, chaque dimanche, une portion de la sainte Eucharistie consacrée par lui à chacun des prêtres qui desservaient les Titres presbytéraux, ou églises paroissiales de la ville. Cet envoi, ou plutôt cette distribution, avait lieu dès aujourd’hui pour toute la Semaine sainte, peut-être parce que la fonction de demain n’aurait pas permis de l’effectuer aisément. Les anciens monuments liturgiques de Rome nous apprennent que la remise du pain sacré se faisait, en ce jour, dans le Consistoire de Latran ; le bienheureux Cardinal Tommasi et Benoît XIV inclinent à croire que les évêques des Églises suburbicaires y avaient part. On a d’autres preuves par l’antiquité que les Évêques s’envoyaient quelquefois mutuellement la sainte Eucharistie, en signe de la communion qui les unissait. Quant aux prêtres préposés aux Titres presbytéraux de la ville, auxquels était remise chaque semaine une portion de l’Eucharistie consacrée par le Pape, ils s’en servaient à l’autel, en mettant une parcelle de ce pain sacré dans le calice, avant de communier.

L’autre usage de ce jour consistait en une aumône générale à laquelle le Pape présidait, et qui sans doute était destinée par son abondance à suppléer à celle qui ne pouvait avoir lieu dans la Semaine sainte, trop remplie par les offices divins et les autres cérémonies. Les liturgistes du Moyen Âge montrent avec une pieuse complaisance la touchante relation qui existe entre le Pontife Romain exerçant en personne les œuvres de miséricorde envers les pauvres, et Marie‑Madeleine embaumant de ses parfums, aujourd’hui même, les pieds du Sauveur.

Postérieurement au XIIème siècle, on a établi une Station en ce jour ; elle a lieu dans l’Église Saint-Jean devant la Porte Latine. Cette antique basilique s’élève près du lieu où le Disciple bien-aimé fut, par ordre de Domitien, plongé dans une chaudière d’huile bouillante.

COLLECTE.

Faites, nous vous en prions, Seigneur, que le peuple qui vous est consacré s’avance avec ardeur dans la piété, afin que, étant instruit par les actes de la religion, il devienne toujours plus agréable à votre Majesté, et mérite ainsi de recevoir vos dons avec plus d’abondance. Par Jésus‑Christ notre Seigneur. Amen.

ÉPÎTRE.
Lecture du Prophète Jérémie. Chap. XVIII.

En ces jours-là, les Juifs impies se dirent entre eux : Venez, formons des desseins contre le Juste ; car nous ne manquerons point de prêtres qui nous enseignent la Loi, ni de sages qui nous donnent leurs conseils, ni de prophètes qui nous annoncent la parole. Venez donc, et perçons-le des traits de notre langue, et n’ayons aucun égard à tous ses discours. Seigneur, jetez les yeux sur moi, et écoutez la voix de mes adversaires. Est-ce ainsi que l’on rend le mal pour le bien, et qu’ils creusent une fosse pour m’y faire tomber ? Souvenez-vous que je me suis présenté devant vous pour vous prier de leur faire grâce et pour détourner votre indignation de dessus eux. C’est pourquoi, abandonnez leurs enfants à la famine, et livrez-les au fil de l’épée ; que leurs épouses perdent leurs enfants et deviennent veuves ; que leurs maris périssent de mort violente ; que leurs jeunes gens soient percés du glaive dans le combat. Que leurs maisons retentissent de cris ; car vous ferez fondre sur eux un ennemi terrible et imprévu ; parce qu’ils ont creusé une fosse pour m’y faire tomber, et qu’ils ont tendu secrètement un filet sous mes pieds. Mais vous, Seigneur, vous connaissez tous les desseins de mort qu’ils ont formés contre moi. Ne leur pardonnez pas leur iniquité ; et que leur péché ne s’efface jamais devant vos yeux. Qu’ils tombent tout d’un coup en votre présence ; et exterminez-les au jour de votre fureur, ô Seigneur notre Dieu !

On ne lit pas sans frémir ces effrayants anathèmes que Jérémie, figure de Jésus-Christ, adresse aux Juifs, ses persécuteurs. Cette prédiction, qui s’accomplit à la lettre lors de la première ruine de Jérusalem par les Assyriens, reçut une confirmation plus terrible encore, à la seconde visite de la colère de Dieu sur cette ville maudite. Ce n’était plus seulement Jérémie, un prophète, que les Juifs avaient poursuivi de leur haine et de leurs indignes traitements ; c’était le Fils même de Dieu qu’ils avaient rejeté et crucifié. C’est à leur Messie tant attendu qu’ils avaient « rendu le mal pour le bien ». Ce n’était pas seulement Jérémie « qui avait prié le Seigneur de leur faire grâce et de détourner de dessus eux son indignation » ; l’Homme-Dieu lui-même avait intercédé constamment en leur faveur ; et si enfin il les abandonnait à la justice divine, c’était après avoir épuisé toutes les voies de la miséricorde et du pardon. Mais tant d’amour avait été stérile ; et ce peuple ingrat, toujours plus irrité contre son bienfaiteur, s’écriait dans les transports de sa haine : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » Quel affreux arrêt Juda portait contre lui-même, en formant son épouvantable souhait ! Dieu l’entendit et s’en souvint. Le pécheur, hélas ! qui connaît Jésus-Christ et le prix de son sang, et qui répand de nouveau à plaisir ce sang précieux, ne s’expose-t-il pas aux rigueurs de cette même justice qui se montra si terrible envers Juda ? Tremblons et prions ; implorons la miséricorde divine en faveur de tant d’aveugles volontaires, de cœurs endurcis, qui courent à leur perte ; et par nos instances adressées au Cœur miséricordieux de notre commun Rédempteur, obtenons que l’arrêt qu’ils ont mérité soit révoqué et se change en une sentence de pardon.

ÉVANGILE.
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. XII.

En ce temps-là, les princes des prêtres délibérèrent de faire mourir Lazare, parce que beaucoup d’entre les Juifs se retiraient d’eux à cause de lui, et croyaient en Jésus. Le lendemain, une foule nombreuse qui était venue pour le jour de la fête, ayant appris que Jésus venait a Jérusalem, ils prirent des rameaux de palmiers, et allèrent au-devant de lui, criant : Hosannah ! béni soit le Roi d’Israël qui vient au nom du Seigneur ! Et Jésus ayant trouvé un ânon, il monta dessus, selon ce qui est écrit : Ne crains point, fille de Sion ; voici ton Roi qui vient monté sur le petit de l’ânesse. Ses disciples ne comprirent point ceci tout d’abord ; mais quand Jésus fut entré dans sa gloire, alors ils se souvinrent que ces choses étaient écrites de lui, et qu’ils les avaient accomplies.

Or, la foule qui l’accompagnait lorsqu’il rappela Lazare du tombeau et le ressuscita d’entre les morts, rendait témoignage de lui ; c’est pourquoi une grande multitude vint au-devant de lui, ayant appris qu’il avait fait ce prodige. Alors les Pharisiens se dirent entre eux : Vous voyez que nous n’y gagnons rien ; voilà que tout le monde va à lui. Or il y avait plusieurs Gentils, de ceux qui étaient venus pour adorer au jour de la Fête. Ils s’approchèrent de Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette prière : Seigneur, nous voudrions voir Jésus. Philippe le vint dire à André ; puis André et Philippe le dirent à Jésus.

Jésus leur répondit : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis : Si le grain de froment tombant sur la terre ne meurt, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie, la perdra ; et qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour la vie éternelle. Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est troublée ; et que dirai-je ? Père, sauvez-moi de cette heure ; mais c’est pour cela que je suis venu en cette heure. Père, glorifiez votre nom. Et une voix vint du ciel, et dit : Je l’ai glorifié, et je le glorifierai encore. La foule qui était là et qui entendait, disait que c’était un coup de tonnerre ; d’autres disaient : Un Ange lui a parlé.

Jésus répondit : Ce n’est pas pour moi que cette voix a retenti, mais pour vous. C’est maintenant le jugement du monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. Et moi, quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. Il disait cela, indiquant de quelle mort il devait mourir. Le peuple lui dit : Nous avons appris de la Loi que le Christ demeure éternellement : comment dites-vous : Il faut que le Fils de l’homme soit élevé en haut ? Qui est ce Fils de l’homme ? Jésus leur dit : La lumière est encore pour un peu de temps au milieu de vous. Marchez pendant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent. Celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va. Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez enfants de lumière. Jésus dit ces choses ; puis il se retira, et se cacha d’eux.

Les ennemis du Sauveur sont arrivés à ce degré de fureur qui fait perdre le sens. Lazare ressuscité est devant leurs yeux ; et au lieu de reconnaître en lui la preuve incontestable de la mission divine de Jésus, et de se rendre enfin à l’évidence, ils songent à faire périr ce témoin irrécusable, comme si Jésus, qui l’a ressuscité une fois, ne pouvait pas de nouveau lui rendre la vie. La réception triomphale que le peuple fait au Sauveur dans Jérusalem, et dont la commémoration fera l’objet de la solennité de demain, vient encore accroître leur dépit et leur haine. « Nous n’y gagnons rien, disent-ils ; tout le monde va après lui. » Hélas ! cette ovation d’un moment sera promptement suivie d’un de ces retours auxquels le peuple n’est que trop sujet. En attendant, voici jusqu’à des Gentils qui se présentent pour voir Jésus. C’est l’annonce du prochain accomplissement de la prophétie du Sauveur : « Le royaume des cieux vous sera enlevé, pour être donné à un peuple qui en produira les fruits » (s. Matth. 21, 43). C’est alors que « le Fils de l’homme sera glorifié », que toutes les nations protesteront par leur humble hommage au Crucifié, contre l’affreux aveuglement des Juifs. Mais auparavant il faut que le divin « Froment soit jeté en terre, qu’il y meure » ; puis viendra le temps de la récolte, et l’humble grain rendra cent pour un.

Jésus cependant éprouve dans son humanité un moment de trouble à la pensée de cette mort. Ce n’est pas encore l’agonie du jardin ; mais un frisson l’a saisi. Écoutons ce cri : « Père ! sauvez-moi de cette heure. » Chrétiens, c’est notre Dieu qui s’émeut de crainte, en prévoyant ce qu’il aura bientôt à souffrir pour nous. Il demande d’échapper à cette destinée qu’il a prévue, qu’il a voulue. « Mais, ajoute-t-il, c’est pour cela que je suis venu ; ô Père, glorifiez votre nom. » Son cœur est calme maintenant ; il accepte de nouveau les dures conditions de notre salut. Entendez aussi cette parole de triomphe. Par la vertu du sacrifice qui va s’offrir, Satan sera détrôné ; « ce prince du monde va être jeté dehors. » Mais la défaite de Satan n’est pas l’unique fruit de l’immolation de notre Sauveur ; l’homme, cet être terrestre et dépravé, va quitter la terre et s’élever jusqu’au ciel. Le Fils de Dieu, comme un aimant céleste, l’attirera désormais à soi. « Quand je serai élevé de terre, dit-il, quand je serai attaché à ma croix, j’attirerai tout à moi. » Il ne pense plus à ses souffrances, à cette mort terrible qui tout à l’heure l’effrayait ; il ne voit plus que la ruine de notre implacable ennemi, que notre salut et notre glorification par sa croix. Nous avons dans ces paroles le cœur tout entier de notre Rédempteur ; si nous les méditons, elles suffisent à elles seules pour disposer nos âmes à goûter les mystères ineffables dont est remplie la grande Semaine qui s’ouvre demain.

ORAISON.

Humiliez vos têtes devant Dieu.

Que votre droite, Seigneur, daigne défendre votre peuple qui vous adresse ses prières ; qu’elle le purifie et l’instruise, afin que la consolation présente lui serve à acquérir les biens futurs. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Autres liturgies

Implorons le Sauveur de nos âmes, en récitant cette solennelle supplication que nous offre la Liturgie Gothique d’Espagne.

SUPPLICATION

V/. Ayez pitié. Seigneur très clément, et pardonnez à votre peuple.

R/. Car nous avons péché contre vous.

V/. Du haut du trône de votre croix, jetez un regard sur nous, misérables et captifs dans les liens de nos passions ; ô Rédempteur ! délivrez-nous des supplices que nous avons mérités.

R/. Car nous avons péché contre vous.

V/. Vous qui avez souffert les fouets et l’ignominie de la croix, et supporté les outrages de vos persécuteurs, accordez-nous la pénitence de nos péchés.

R/. Car nous avons péché contre vous.

V/. Juste juge, vous avez été jugé avec injustice, et quoique innocent vous avez souffert le supplice de la croix ; par votre Rédemption, sauvez-nous des peines qui nous sont dues.

R/. Car nous avons péché contre vous.

V/. Que votre voix, cette voix qui resta muette devant le juge, supplie pour nous le Père, afin que nous soyons admis à jouir du royaume dont vous êtes le Seigneur.

R/. Car nous avons péché contre vous.

En ce jour du Samedi, lisons à la louange de Marie affligée cette touchante Séquence que l’on trouve dans les livres d’Heures du XVIème siècle, et dans laquelle l’hommage rendu à la sainte Croix s’unit à celui que le chrétien rend à la Mère des douleurs.

SÉQUENCE.

Nous cherchons l’arbre de vie, nous qui avons perdu la vie en mangeant le fruit défendu.

Celui dont l’œil n’a pas vu le fruit adhérent à l’Arbre n’a pas vu l’Arbre lui-même.

Le fruit qui donne la vie est suspendu au sein de la Vierge-Mère : ainsi l’enseigne la foi.

On le voit suspendu aussi à l’Arbre de la Croix, entre les larrons, traversé de cinq blessures.

La Vierge-Mère, la Croix qui nous sauve, sont les deux arbres mystiques ;

L’une humble comme l’hysope, l’autre imposante comme le cèdre : toutes deux donnant la vie.

Placé entre l’une et l’autre, laquelle attirera mes regards ?

Dans cet embarras plein de charmes, je me livre à la comparaison.

Sur le sein de Marie, retenu par les bras maternels, c’est un enfant qui pousse des vagissements.

Sur la Croix, il étend les bras vers les hommes pour les embrasser tous.

Ici c’est sa Mère pleine de tendresse qui le retient sur son cœur.

Là c’est l’amour lui-même, qui ne consent pas à demeurer caché dans sa poitrine.

Ici il s’attache à la mamelle, pour en être nourri.

Là il est cloué au bois ; et le sang de ses blessures est notre breuvage.

C’est la Croix qui nous nourrit par le Fruit qu’elle a porté.

La Mère a tout préparé, nourrissant d’abord le Fruit.

J’arrive donc à cette conclusion, que nul ne saurait jouir de l’une, sans jouir en même temps de l’autre.

Celui qui choisit la Croix ne quitte pas pour cela la Mère : dès qu’il arrive à la Croix, la Mère s’offre à ses regards, debout au pied de cet Arbre.

Celui qui choisit la Mère ne s’éloigne pas non plus de la Croix ; car c’est au pied de la Croix que le glaive a transpercé le cœur de la Mère.

Fils unique d’une Mère crucifiée, Fils vous-même crucifié, du haut de la Croix, regardez‑nous.

Fruit vivifiant, fruit de l’Arbre de vie, nourrissez-nous et donnez-nous de jouir enfin de vous.

Amen.

[1]Avant la réforme de 1960 on ajoutait à l’oraison du jour l’une des deux Oraisons suivantes :

CONTRE LES PERSÉCUTEURS DE L’ÉGLISE :  » Daignez, Seigneur, vous laisser fléchir par les prières de votre Église, afin que toutes les adversités et toutes les erreurs ayant disparu, elle puisse vous servir dans une paisible liberté.  »
POUR LE PAPE :  » O Dieu, qui êtes le Pasteur et le Conducteur de tous les fidèles, regardez d’un œil propice votre serviteur N., que vous avez mis à la tête de votre Église en qualité de Pasteur ; donnez-lui, nous vous en supplions, d’être utile par ses paroles et son exemple à ceux qui sont sous sa conduite, afin qu’il puisse parvenir à la vie éternelle avec le troupeau qui lui a été confie. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen. « 

 

[2]Avant la réforme de 1960 on ajoutait une de ces deux secrètes :

CONTRE LES PERSÉCUTEURS DE L’ÉGLISE :  » Protégez-nous, Seigneur, nous qui célébrons vos mystères, afin que, nous attachant aux choses divines, nous vous servions dans le corps et dans l’âme. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.  »
POUR LE PAPE :  » Laissez-vous fléchir, Seigneur, par l’offrande de ces dons, et daignez gouverner par votre continuelle protection votre serviteur N., que vous avez voulu établir Pasteur de votre Église. Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.  »

 

[3]Avant 1960 on ajoutait une des deux postcommunions :

CONTRE LES PERSÉCUTEURS DE L’ÉGLISE : « Nous vous supplions, Seigneur notre Dieu, de ne pas laisser exposés aux périls de la part des hommes, ceux à qui vous accordez de participer aux mystères divins. »
POUR LE PAPE :  » Que la réception de ce divin Sacrement nous protège, Seigneur ; qu’elle sauve aussi et fortifie à jamais, avec le troupeau qui lui est confié, votre serviteur N., que vous avez établi Pasteur de votre Église. Par Jésus-Christ notre Seigneur. «