La Fête-Dieu

L’année liturgique
La fête du Très Saint Sacrement

[toc]

Christum regem adoremus dominantem gentibus, qui se mandu­cantibus dat spiritus pinguedinem.
Adorons le Christ roi Seigneur des nations, engraissant l’âme de qui le prend en nourriture.

Une grande solennité s’est levée sur le monde : la Fête-Dieu, ainsi l’ont appelée nos pères ; vraiment fête de Dieu, mais aussi fête de l’homme, étant la fête du Christ-médiateur présent dans l’Hostie pour donner Dieu à l’homme et l’homme à Dieu. L’union divine est l’aspiration de l’humanité[1] ; à cette aspiration, ici-bas même, Dieu a répondu par une invention du ciel. L’homme célèbre aujourd’hui cette divine merveille.

Contre cette fête toutefois et son divin objet, des hommes ont répété la parole déjà vieille : Comment ces choses peuvent-elles se faire (s. Jean 3, 9 ; 6, 53) ? Et la raison semblait justifier leurs dires contre ce qu’ils appelaient les prétentions insensées du cœur de l’homme.

Tout être a soif de bonheur, et cependant, et pour cela même, n’aspire qu’au bien dont il est susceptible ; car c’est la condition du bonheur de ne se rencontrer que dans la pleine satisfaction du désir qui le poursuit. De là vient qu’au commencement, la divine Sagesse préparant les cieux, creusant les abîmes, équilibrant la terre et composant toutes choses avec la Toute-Puissance (Prov. 8, 22-34), distribua inégalement la lumière et la vie dans ce vaste univers, et mesura ses dons aux destinées diverses ; plaçant l’harmonie du monde dans ce rapport parfait des divers degrés d’être avec les fins variées des créatures, sa bonté prévoyante adapta les besoins, l’instinct, le désir de chacune à leur nature propre, et n’ouvrit pas en elles des aspirations que celle-ci ne saurait satisfaire. La poursuite du bien et du beau, la recherche de Dieu, loi impérieuse de toute nature intelligente et libre, ne doit‑elle pas s’arrêter en conséquence, elle aussi, aux proportions finies de cette nature même ? N’arriverait-il pas autrement que le bonheur fût placé, pour quelques êtres, en des jouissances que leurs facultés créées ne peuvent atteindre ?

Quelque étrange que puisse paraître une telle anomalie, elle existe pourtant : l’humanité, dans tous les âges, par ses tendances les plus universelles, les mieux constatées, par toutes ses religions vraies ou fausses, en rend témoignage. Comme tout ce qui vit autour de lui, l’homme a soif de bonheur ; et cependant, seul sur cette terre, il sent en lui des aspirations qui dépassent immensément les bornes de sa fragile nature. Tandis que, docilement rangés sous le sceptre remis en ses mains par l’Auteur du monde, les humbles hôtes de sa royale demeure accomplissent dans la pleine satisfaction de tout désir rempli leurs services divers, le roi de la création ne peut trouver dans le monde de contrepoids à l’irrésistible impulsion qui l’entraîne au delà des frontières de son empire et du temps, vers l’infini. Dieu même se révélant à lui, par ses œuvres, d’une façon correspondante à sa nature créée ; Dieu cause première et fin universelle, perfection sans limites, beauté infinie, bonté souveraine, objet bien digne de fixer à jamais en les comblant son intelligence et son cœur : Dieu ainsi connu, ainsi goûté, ne suffit pas à l’homme. Cet être de néant veut l’infini dans sa substance ; il soupire après la face du Seigneur et sa vie intime. La terre n’est à ses yeux qu’un désert sans issue, sans eau pour étancher sa soif brûlante ; dès l’aurore, son âme veille, affamée du Dieu qui peut seul calmer ces ardeurs, et sa chair même éprouve vers lui d’ineffables tressaillements (Psalm. 62, 2). « Comme le cerf, s’écrie-t-il, aspire après l’eau des fontaines, ainsi mon âme aspire après vous, ô Dieu ! Mon âme a soif du Dieu fort, du Dieu vivant. Oh ! quand viendrai-je, quand paraîtrai-je devant la face de Dieu ? Mes larmes sont devenues mon pain du jour et de la nuit ; on médit tous les jours : Où est ton Dieu? J’ai repassé leurs injures, j’ai répandu mon âme au dedans de moi-même. Mais je passerai jusqu’au lieu du tabernacle admirable, jusqu’à la maison de Dieu. Voix d’allégresse et de louange ! c’est l’écho du festin. Pourquoi es-tu triste, mon âme ? Pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu, parce que je le louerai encore : il est le salut que verra mon visage, il est mon Dieu (Psalm. 41, 2-7). »

Enthousiasme étrange assurément pour la froide raison ; prétentions, semble-t-il, vraiment insensées ! cette vue de Dieu, cette vie divine, ce festin dont Dieu même serait l’aliment, l’homme fera-t-il jamais que ces sublimités ne demeurent infiniment au-dessus des puissances de sa nature, comme de toute nature créée ? Un abîme le sépare de l’objet qui l’enchante, abîme qui n’est autre que l’effrayante disproportion du néant à l’être. L’acte créateur dans sa toute-puissance ne saurait à lui seul combler l’abîme ; et pour que la disproportion cessât d’être un obstacle à l’union ambitionnée, il faudrait que Dieu même franchît la distance et daignât communiquer à ce rejeton du néant ses propres énergies. Mais qu’est donc l’homme, pour que l’Être souverain dont la magnificence est au-dessus des cieux abaisse jusqu’à lui leurs hauteurs (Psalm. 143, 5) ?

Mais alors aussi, qui donc a fait du cœur humain ce gouffre béant que rien ne saurait remplir ? Lorsque les cieux racontent la gloire de Dieu, et les œuvres de ses mains la sagesse et la puissance de leur auteur (Psalm. 18, 2), d’où vient en l’homme un tel manque d’équilibre ? Le poids, le nombre et la mesure (Sap. 11 21) auraient-ils fait défaut pour lui seul au suprême ordonnateur ? Et celui qui devait être le chef-d’œuvre de la création, comme il en est le couronnement et le roi, ne serait-il qu’une de ces œuvres manquées accusant par leur défaut de proportions la lassitude ou l’impuissance de l’ouvrier ? Loin de nous un tel blasphème ! Dieu est amour (1 s. Jean 4, 8), » nous dit saint Jean ; et l’amour est le nœud du problème qui se dresse, aussi insoluble qu’inévitable, en face de la philosophie réduite à ses seules forces.

Dieu est amour ; et la merveille n’est pas que nous ayons aimé Dieu, mais qu’il nous ait lui-même prévenus d’amour (Ibid. 10). Mais l’amour appelle l’union, et l’union veut des semblables. O richesses de la divine nature en laquelle s’épanouissent, également infinis, Puissance, Sagesse et Amour, constituant dans leurs sublimes relations la Trinité auguste qui, depuis Dimanche, darde sur nous ses feux ! O profondeurs des divins conseils, où ce que veut l’Amour sans bornes trouve en la Sagesse infinie de sublimes expédients qui font la gloire de la Toute-Puissance !

Gloire à vous tout d’abord, Esprit-Saint, dont le règne à peine commencé illumine de tels rayons nos yeux mortels, qu’ils analysent ainsi les éternels décrets ! Au jour de votre Pentecôte, une loi nouvelle, toute de clartés, a remplacé l’ancienne et ses ombres. La loi du Sinaï, le pédagogue qui préparait à la vraie science et régissait l’enfance du monde, a reçu nos adieux : la lumière a brillé par la prédication des saints Apôtres ; et les fils de lumière, émancipés, connaissant Dieu, connus de lui, s’éloignent toujours plus chaque jour des maigres et infirmes éléments du premier âge (Gal. 3, 4). À peine s’achevait, Esprit divin, la triomphante Octave où l’Église célébrait avec votre avènement sa propre naissance : et déjà, empressé pour la mission reçue par vous de rappeler à l’Épouse les leçons du Seigneur (s. Jean 14, 26), vous présentiez aux regards de sa foi le sublime et radieux triangle dont la contemplation ravit nos âmes éperdues dans l’adoration et la louange. Mais le premier des grands mystères de notre foi, le dogme sans fond de la très sainte Trinité, ne représentait pas l’économie entière de la révélation chrétienne ; vous aviez hâte d’étendre, avec le champ de vos enseignements, les horizons de la foi des peuples.

La connaissance de Dieu en lui-même et dans sa vie intime appelait comme complément celle de ses œuvres extérieures, et des rapports qu’il a voulu établir entre lui et ses créatures. Et voilà qu’en cette semaine qui nous voit commencer avec vous l’ineffable inventaire des dons précieux laissés en nos mains par l’Époux montant au ciel (Cf. Psalm. 67, 19 ; Éph. 4, 8), en ce premier jeudi qui nous rappelle le jeudi, saint entre tous, de la Cène du Seigneur, vous découvrez à nos cœurs tout à la fois la plénitude, le but, l’admirable harmonie des œuvres qu’opère le Dieu un dans son essence et trois dans ses personnes ; sous le voile des espèces sacrées, vous offrez à nos yeux, monument divin, le mémorial vivant des merveilles accomplies par le concert de la Toute‑Puissance, de la Sagesse et de l’Amour (Psalm. 110, 4) !

L’Eucharistie pouvait seule, en effet, mettre en pleine lumière le développement dans le temps, la marche progressive des divines résolutions inspirées par l’amour infini qui les conduit jusqu’à la fin (s. Jean 13, 1), jusqu’au dernier terme ici-bas qui est elle‑même ; couronnement de l’ordre surnaturel en cette terre de l’exil, elle explique et suppose tous les actes divins antérieurs. Nous ne saurions donc pénétrer sa divine importance, qu’en embrassant d’un même regard les opérations de l’amour infini dont elle est sur terre le sommet glorieux. Ainsi, en même temps, trouverons-nous le secret de ces aspirations supérieures à la nature qui donnent à l’histoire de l’humanité, jusqu’en ses égarements, tant de grandeur mystérieuse ; ainsi verrons-nous que celui-là seul a creusé l’abîme du cœur humain, qui peut et veut le combler.

Tout acte de la divine volonté, hors de Dieu comme en lui-même, est amour pur, se rapportant à la troisième des augustes personnes, qui est, par le mode de sa procession, l’Amour substantiel et infini. De même que le Père tout-puissant voit toutes choses, avant qu’elles existent, en son Verbe unique, en qui s’épuise la divine intelligence : de même, pour qu’elles soient, il les veut toutes dans l’Esprit-Saint, qui est à la divine volonté ce qu’est le Verbe à l’intelligence souveraine. Terme dernier auquel s’arrête l’intime fécondité des personnes, en la divine essence, l’Esprit d’amour est en Dieu le principe premier des œuvres extérieures : communes dans l’exécution aux trois personnes, elles ont en lui leur raison d’être. Ineffable solliciteur, il incline la Divinité en dehors d’elle-même ; il est le poids qui, rompant les éternelles barrières, plus violent que la foudre (Cant. 8, 6), entraîne des sommets de l’être aux confins du néant la Trinité auguste. Ouvrant le grand conseil, il y dit la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance (Gen. 1, 26). » Et Dieu crée l’homme à son image ; il le crée à l’image de Dieu (Ibid. 27), copiant son Verbe, l’archétype souverain, dans lequel toute création plonge ses racines comme dans le lieu des essences. Car le Verbe, pensée du Père, miroir très pur (Sap. 7, 26) de l’intelligence infinie, renferme en soi l’idée divine de toute chose : règle des mondes, exemplaire éternel, lumière vivante et vivifiante (s. Jean 1, 3, 4) qui donne leur forme et leur nature à tous les êtres. Mais dans l’homme seul, résumé des mondes, à la fois esprit et matière, se retrouvera l’expression complète de la pensée créatrice. L’âme même, en lui, portera directement l’image de la divine ressemblance (Sap. 2, 23), dont ce même Verbe est l’expression substantielle et infinie (Héb. 13) : doué d’intelligence et de liberté comme l’Être souverain, il animera pour Dieu la création entière ; elle remontera par lui vers son Auteur dans un hommage, borné sans doute, mais en rapport avec toute cette nature inférieure sortie du néant à l’appel divin. Tel est, tel serait du moins l’ordre naturel, ensemble harmonieux, chef-d’œuvre de bonté s’il eût existé jamais seul, mais loin encore des ineffables projets de l’Esprit d’amour.

Dans la pleine spontanéité d’une liberté qui pouvait s’abstenir et n’a d’égale que sa puissance, l’Esprit-Saint veut pour l’homme, au delà du temps, l’association à la vie même de Dieu dans la claire vision de son essence ; la vie terrestre des fils d’Adam revêtira elle-même par avance la dignité de cette vie supérieure, à tel point que celle-ci ne sera que le fruit direct, l’épanouissement régulier de la première. Aussi, pour que l’être chétif de la créature ne demeure pas au-dessous d’une telle destinée, pour que l’homme puisse suffire aux ambitions de son amour, l’Esprit fait-il que, simultanément à l’acte de création, les trois divines personnes infusent en lui leurs propres aptitudes et greffent sur ses puissances finies et bornées les puissances mêmes de la nature divine. Cet ensemble d’une destinée supérieure à la nature et d’énergies en rapport avec cette destinée, qui se superposent aux facultés naturelles pour les transformer sans les détruire, prendra le nom d’ordre surnaturel, par comparaison avec l’ordre inférieur qui eût été celui de la nature, si les divines prévenances n’eussent ainsi dès l’abord élevé l’être humain au-dessus de lui-même. L’homme gardera de cet ordre inférieur les éléments qui constituent son humaine nature, avec l’emploi qui leur est propre ; mais tout ordre se spécifie surtout par la fin que poursuit l’ordonnateur : et la fin dernière de l’homme n’ayant jamais été autre en la pensée divine qu’une fin surnaturelle, il s’ensuivra que l’ordre naturel proprement dit n’aura jamais eu d’existence indépendante et séparée.

Vainement une orgueilleuse philosophie, s’appelant quand même « indépendante et séparée », prétendra s’en tenir aux dogmes naturels et aux vertus purement humaines : non moins que les merveilleuses ascensions des âmes fidèles, les effrayants écarts des révoltés dans les voies de l’erreur ou du crime prouveront à leur manière que la nature n’est plus, ne fut jamais pour l’homme un niveau auquel il puisse espérer se maintenir. En fût-il ainsi d’ailleurs, que l’homme ne pourrait encore légitimement se soustraire aux intentions divines. « En nous assignant une vocation surnaturelle, Dieu a fait acte d’amour ; mais il a fait acte aussi d’autorité. Son bienfait nous devient un devoir. Noblesse oblige : c’est un axiome parmi les hommes. Ainsi en est-il de la noblesse surnaturelle que Dieu a daigné conférer à la créature[2]. »

Noblesse sans pareille, qui fait de l’homme non plus seulement l’image de Dieu, mais vraiment son semblable (Gen. 1, 26) ! Entre l’infini, l’éternel, et celui qui naguère n’était pas et reste à jamais créature, l’amitié, l’amour désormais sont possibles : tel est le but de la communauté d’aptitudes, de puissances, de vie, établie entre eux par l’Esprit d’amour. Ils n’étaient donc pas tout à l’heure le fruit d’un enthousiasme insensé, ces soupirs de l’homme vers son Dieu, ces tressaillements de sa chair mortelle (Psalm. 62, 2) ! elle n’était pas une vaine chimère cette soif du Dieu fort, du Dieu vivant, cette aspiration dévorante au festin de l’union divine (Psalm. 41, 2-7) ! Rendu participant de la nature divine (2 s. Pierre 1, 4), quoi d’étonnant que l’homme en ait conscience, et se laisse entraîner par la flamme incréée vers le foyer d’où elle rayonne jusqu’à lui ? Témoin autorisé de ses propres œuvres, l’Esprit est là d’ailleurs pour confirmer le témoignage de notre conscience, et attester à notre âme que nous sommes bien les fils de Dieu (Rom. 8, 16). C’est lui-même qui, se dérobant au plus intime de notre être où il demeure pour maintenir et conduire à bonne fin son œuvre d’amour, c’est l’Esprit qui, tantôt par de soudaines illuminations ouvrant aux yeux de notre cœur les horizons de la gloire future, inspire aux fils de Dieu les accents anticipés du triomphe (Éph. 1, 17, 18 ; Rom. 5, 2) ; tantôt soupire en eux ces gémissements inénarrables (Rom. 8, 26), ces chants d’exil imprégnés des larmes brûlantes d’un amour pour qui l’union se fait trop attendre. Comment redire la suavité victorieuse des incomparables harmonies qui, dans le secret des âmes blessées du trait divin, montent ainsi de la terre au ciel ? Victorieux en effet seront ces soupirs ; et si l’union éternelle est trop incompatible avec les jours du pèlerinage et de l’épreuve, la vallée des larmes verra pourtant d’ineffables mystères.

Dans ce concert merveilleux de l’Esprit et de l’âme, « celui qui scrute les cœurs, nous dit l’Apôtre, connaît le désir de l’Esprit, parce qu’il prie selon Dieu pour les saints (Rom. 8, 27). » Désir tout-puissant par suite comme Dieu lui-même ; désir, nouveau en tant que de l’homme né d’hier, mais éternel comme de l’Esprit dont l’immuable procession est avant tous les âges. En réponse au désir de l’Esprit, des insondables profondeurs de son éternité, Celui pour qui tout existe, et que nul œil mortel n’a contemplé ni ne peut voir (1 Tim. 6, 16), a résolu de se manifester dans le temps et de s’unir à l’homme encore voyageur, non par lui-même, mais en son Fils, la splendeur de sa gloire et l’expression très fidèle de sa substance (Héb. 1, 3). Dieu a tant aimé le monde (s. Jean 3, 16), qu’il lui a donné son Verbe, la divine Sagesse engagée à l’humanité dès le sein du Père. Figuré par le sein d’Abraham, rendez-vous mystérieux des justes sous l’ancienne alliance, lieu de repos des âmes saintes avant que ne fût ouverte au peuple élu la voie du céleste sanctuaire (Héb. 9, 8), le sein du Père est le lit nuptial chanté par David (Psalm. 18, 6), d’où procède l’Époux, quittant à l’heure marquée les sommets des cieux pour chercher sa fiancée, et l’y ramenant avec lui pour l’introduire au lieu des noces éternelles. Marche triomphante de l’Époux en sa beauté (Psalm. 44, 5), dont le prophète Michée a dit, parlant de son passage en Bethléhem, que le point de départ en est des jours de l’éternité (Mich. 5, 2) ! Tel est, en effet, d’après les sublimes enseignements de la théologie catholique, l’étroit rapport de la procession éternelle et de la mission dans le temps des divines personnes, qu’une même éternité les unit toutes deux en Dieu : éternellement l’auguste Trinité contemple l’ineffable naissance du Fils unique au sein du Père ; éternellement, du même regard, elle le voit procédant comme Époux du même sein paternel.

Que si maintenant nous venons à comparer entre eux les éternels décrets, il est facile de reconnaître ici le décret principal entre tous, et comme tel primant tous les autres en la pensée créatrice. Dieu le Père a tout fait pour cette union de la nature humaine avec son Fils : union si intime qu’elle devait aller, pour l’un des membres de cette humanité, jusqu’à l’identification personnelle avec le Fils très unique du Père ; union si universelle, qu’à des degrés divers, aucun des individus de la race humaine ne devait être exclu que par lui-même des noces divines avec la Sagesse éternelle ainsi manifestée dans le plus beau des enfants des hommes (Psalm. 44, 3). Ainsi « Dieu, qui d’une parole autrefois fit jaillir la lumière au sein des ténèbres, resplendit lui-même en nos cœurs, les initiant à la connaissance de la gloire divine par la face du Christ Jésus (2 Cor. 4, 6). » Ainsi le mystère des noces est‑il bien le mystère du monde ; ainsi le royaume des cieux est-il semblable à un roi qui fait les noces de son fils (s. Matth. 22, 21).

Mais où donc se fera la rencontre ici-bas du prince et de sa fiancée ? Où doit se consommer cette union merveilleuse ? Qui nous dira la dot de l’Épouse, le gage de l’alliance ? Sait-on l’ordonnateur du banquet nuptial, et quels mets seront servis aux convives ?

À ces questions la triomphante réponse éclate aujourd’hui de toutes parts sous la voûte du ciel. À la puissance des accents sublimes que se renvoient les échos de la terre et des cieux, reconnaissons le Verbe divin. L’adorable Sagesse est sortie des temples : elle crie sur les places publiques, en tête des foules, aux portes des villes (Prov. 1, 20, 21) ; établie sur les montagnes, occupant les points élevés des grandes routes, barrant les sentiers, elle fait entendre sa voix aux fils des hommes (Ibid. 8, 1‑4). Et dans le même temps courent ses servantes, les grâces variées portant son message aux humbles de cœur : « Venez, mangez mon pain, buvez le vin que j’ai mélangé pour vous. » Car la Sagesse s’est bâti une demeure ici-bas ; elle a elle-même immolé ses victimes, préparé le vin et dressé sa table (Ibid. 9, 1‑5) : tout est prêt, venez au festin des noces (s. Matth. 22, 4) !

O Sagesse, qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut, atteignant d’une extrémité à l’autre et disposant toutes choses avec force et douceur (1 a ex Ant. maj. Adventus), nous implorions au temps de l’Avent votre venue en Bethléhem, la maison du pain ; vous étiez la première aspiration de nos cœurs haletants sous l’attente des siècles. Le jour de votre glorieuse Épiphanie manifesta le mystère des noces, et révéla l’Époux ; l’Épouse fut préparée dans les eaux du Jourdain ; nous chantâmes les Mages courant avec des présents au festin figuratif, et les convives s’enivrant d’un vin miraculeux (Ant. Épiph. ad Benedictus). Mais l’eau changée en vin pour suppléer à l’insuffisance d’une vigne inféconde présageait de plus grandes merveilles. La vigne, la vraie vigne dont nous sommes les branches (s. Jean 15, 5), a donné ses fleurs embaumées, ses fruits de grâce et d’honneur (Éccli. 24, 23). Le froment abonde dans les vallées, elles chantent un hymne de louange (Psalm. 64, 14.) ; car cette force du peuple couvre de ses épis jusqu’au sommet des montagnes, et sa tige nourricière domine le Liban (Psalm. 71, 16).

Sagesse, noble souveraine, dont les charmes divins captivent dès l’enfance les cœurs avides de la vraie beauté (Sap. 8, 2), il est donc arrivé le jour du vrai festin des noces ! comme une mère pleine d’honneur, comme la jeune vierge en ses attraits, vous accourez pour nous nourrir du pain de vie, nous enivrer du breuvage salutaire (Éccli. 15, 2, 3). Meilleur est votre fruit que l’or et la pierre précieuse, meilleure votre substance que l’argent le plus pur (Prov. 8, 19). Ceux qui vous mangent auront encore faim, ceux qui vous boivent n’éteindront pas leur soif (Éccli. 24, 29). Car votre conversation n’a point d’amertume, votre société de dégoût ; avec vous sont l’allégresse et la joie (Sap. 8, 16), les richesses, la gloire et la vertu (Prov. 8, 18).

En ces jours où siégeant dans la nuée (Éccli. 24, 7), vous élevez votre trône dans l’assemblée des saints, sondant à loisir les mystères du divin banquet, nous voulons publier vos merveilles, et, de concert avec vous, chanter vos louanges en face des armées du Très-Haut (Ibid. 1-4). Daignez ouvrir notre bouche et nous remplir de votre Esprit, divine Sagesse, afin que notre louange soit digne de son objet, et qu’elle abonde, selon votre promesse dans les saints Livres, en la bouche fidèle de vos adorateurs (Éccli. 15, 5, 10).

Haut de page

Les Matines

L’Office de la nuit emprunte aujourd’hui un intérêt spécial au souvenir de cette nuit précieuse où, comme le chante l’Église, la foi nous montre le Seigneur présidant une dernière fois la Pâque figurative, et faisant suivre le banquet de l’Agneau symbolique du festin de son propre corps. Pour les raisons exposées hier, nous donnons cet Office en entier.

Afin d’exciter encore plus le zèle des fidèles pour la prière liturgique de préférence à toute autre, rappelons aussi que les Souverains Pontifes ont solennellement ouvert le trésor de l’Église en faveur de ceux qui, vraiment contrits et confessés, assisteraient à quelqu’une des Heures canoniales le jour de la Fête ou dans l’Octave. Martin V, par sa Constitution Ineffabile Sacramentum qui permet de célébrer au son des cloches et avec solennité, dans les lieux même soumis à l’interdit, la Fête et toute l’Octave du Corps du Seigneur, confirma et augmenta les indulgences accordées par Urbain IV en la Bulle Transiturus. Enfin Eugène IV, rappelant les actes des deux Pontifes (Const. Excellentissimum), doubla ces indulgences, qui peuvent se résumer aujourd’hui pour les fidèles de la manière suivante. Deux cents jours sont accordés pour le jeûne de la Vigile, ou une œuvre pie remplaçant le jeûne selon l’avis du confesseur ; le jour de la Fête, quatre cents jours pour l’assistance aux premières Vêpres, et autant pour Matines, la Messe, les secondes Vêpres, deux cents jours pour la Communion indépendamment de la sainte Messe, cent soixante pour chacune des Heures de Prime, Tierce, Sexte, None et Complies, deux cents pour la Procession le jour de la Fête ou dans l’Octave ; deux cents jours également pour l’assistance aux Vêpres, Matines et Messes dans l’Octave, et quatre-vingts pour chacune des autres Heures.

Hymne

Mêlons nos joies aux saintes solennités ; que la louange résonne du fond des cœurs ; loin de nous la vétusté, que tout soit nouveau, les cœurs, les voix et les œuvres.

Nous fêtons la mémoire de la cène dernière, en cette nuit où le Christ divise à ses frères l’agneau et les azymes, selon la loi donnée aux pères de l’ancien peuple.

Après l’agneau symbolique, le banquet terminé, reconnaissons le Corps du Seigneur donné de ses mains aux disciples, à tous entier comme à chacun d’eux.

Il donne à leur faiblesse sa chair en réconfort, il donne à leur tristesse son sang pour breuvage, disant : « Prenez la coupe que je vous livre, buvez-en tous. »

Ainsi établit-il ce Sacrifice dont il a voulu qu’aux seuls prêtres fût confié le ministère : à eux il appartient de s’en nourrir et de le donner aux autres.

Le pain des anges devient le pain des hommes ; le pain du ciel met fin aux figures. O prodige admirable ! le Seigneur est la nourriture du pauvre, de l’esclave, du dernier des humains.

Déité trine et une, écoutez nos prières : visitez-nous dans nos hommages ; par vos sentiers conduisez-nous où nous tendons, à la lumière que vous habitez.

Amen.

Ces préludes étant accomplis, commence le solennel Office de la nuit, divisé, comme l’on sait, en trois Veilles ou Nocturnes.

Premier nocturne

Le Christ est l’homme juste par excellence ; il est l’arbre qui donne son fruit en son temps, le fruit de salut que le Seigneur nous donne à goûter au temps de sa mort. Le premier Psaume rappelle ce beau symbolisme exalté par les Pères.

Ant. Au temps de sa mort, le Seigneur nous a donné à goûter un fruit de salut.

Psaume 1.

Le deuxième Psaume célèbre la paix et l’abondance de l’homme qui a mis sa confiance dans le Dieu de justice. Le froment, le vin et l’huile sont les richesses de la maison du Seigneur : c’est par ces trois éléments surtout que l’Église confère une sainteté toujours croissante aux hommes devenus ses enfants par l’eau du baptême. Mais qu’a-t-elle de meilleur, qu’a-t-elle de plus beau que le froment des élus et le vin qui fait germer les vierges (Zach. 9, 17) ?

Ant. Enrichis par l’abondance du froment et du vin, les fidèles se reposent dans la paix du Christ.

Psaume 4.

Nous avons vu comment la très sainte Eucharistie était le lien des fidèles entre eux, le centre de la communion catholique. Ce qu’est l’immortel Sacrifice pour les chrétiens au point de vue social, les sacrifices mosaïques le furent autrefois pour les Juifs, quoique d’une façon tout extérieure et figurative. L’Antienne qui suit nous indique que l’Église a fait choix du troisième Psaume, pour rappeler sa supériorité sous ce rapport en face de la synagogue répudiée. Le Seigneur lui-même est la part glorieuse de son héritage, et le calice de sa joie.

Ant. Le Seigneur nous a rassemblés, non par le sang des veaux, mais dans la communion du calice où l’on boit Dieu lui-même.

Psaume 15.

Les Leçons du premier Nocturne sont empruntées à saint Paul. Après avoir repris les fidèles de Corinthe des abus qui s’étaient introduits dans leurs assemblées, il raconte l’institution de la sainte Eucharistie ; il explique les dispositions avec lesquelles on doit se présenter à la table sainte, et nous montre la grandeur du crime que commet celui qui s’en approche indignement.

On remarquera l’habile contexture des Répons, composés de passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, mis en présence pour faire ressortir l’accord de la Loi et des Prophètes avec l’Évangile au sujet de l’Eucharistie. L’Office du Saint-Sacrement se trouve ainsi enrichi des principales prophéties et figures qui l’avaient annoncé, tenant en éveil les justes de l’ancienne alliance.

Leçon 1

De la première Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. Chap. 11

Vos réunions ne sont plus dignes de la Cène du Seigneur. Car chacun se hâte de manger son souper à part, en sorte que l’un n’a rien à manger, tandis que l’autre fait des excès. N’avez‑vous pas vos maisons pour y manger et y boire ? Méprisez-vous l’Église de Dieu ? Voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvres ? Que vous dirai-je? Faut-il vous louer? Non, certes, je ne vous louerai pas.

R/. La multitude des enfants d’Israël immolera un chevreau au soir de la Pâque : * Et ils en mangeront les chairs avec des pains azymes. V/. Le Christ notre Pâque a été immolé : mangeons-le donc avec les azymes de la sincérité et de la vérité. * Et ils.

Leçon 2

C’est du Seigneur lui-même que j’ai appris ce que je vous ai enseigné, savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit même où il fut livré, prit du pain, et ayant rendu grâces, le rompit et dit : Prenez et mangez : ceci est mon corps qui sera livré pour vous : faites ceci en mémoire de moi. Il prit de même le calice, après avoir soupé, en disant : Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez ; car toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

R/. Vous mangerez de la chair, et vous rassasierez de pains : * Voici le pain que le Seigneur vous donne à manger. V/. Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le vrai pain du ciel. * Voici le pain.

Leçon 3

Ainsi donc, celui qui mangera ce pain, ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve soi-même, et qu’il mange ainsi de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son propre jugement, ne faisant pas le discernement qu’il doit faire du corps du Seigneur. C’est pour cela que parmi vous beaucoup sont malades et languissants, et que beaucoup même sont morts. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. Mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c’est le Seigneur lui-même qui nous châtie ; afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde.

R/. Elie vit à sa tête un pain cuit sous la cendre ; se levant, il mangea et but : * Et il marcha dans la force de cette nourriture jusqu’à la montagne de Dieu. V/. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. * Et il marcha. Gloire au Père. * Et il marcha.

Deuxième nocturne

Le quatrième Psaume des Matines célèbre l’efficacité toute‑puissante du Sacrifice chrétien. La protection du Seigneur, son secours dans les combats de la vie, la joie, la gloire et l’abondance demeurent assurés à qui sait y recourir. Car le Christ en est l’hostie, victime grasse entre toutes, holocauste dont la suave odeur monte de l’autel terrestre au sanctuaire des cieux, pour en faire descendre le salut de la droite du Très-Haut. C’est au Christ lui-même que le Psalmiste adresse ici ses vœux de victoire.

Ant. Que le Seigneur se souvienne de notre Sacrifice, et que notre holocauste lui soit agréable.

Psaume 19.

Rien ne manque à l’âme qui suit le Seigneur. Heureuse brebis ! la houlette du Pasteur la conduit aux gras pâturages, aux eaux rafraîchissantes. Chantons avec le juste son calice enivrant, et la table préparée pour lui contre tous ceux qui le persécutent : comme un lion respirant la flamme, il sort de cette table en effet devenu terrible au démon (Chrys. in Johan).

Ant. La table du Seigneur est dressée pour nous contre tous ceux qui nous persécutent.

Psaume 22.

Le sixième Psaume fut inspiré à David retenu loin du tabernacle et de l’arche sainte, lorsqu’il se dérobait à la colère de Saül dans les montagnes voisines du Jourdain. C’est ce beau cantique que nous avons cité plus haut, comme exprimant merveilleusement la soif de l’homme vers Dieu dès cette vie mortelle. La seule pensée du banquet divin le réconforte au milieu des angoisses et ranime son espoir. Laissons-nous pénétrer de cette sublime poésie : qu’elle allume ou ranime en nous la flamme de l’amour.

Ant. Que les convives du banquet divin fassent retentir un chant d’allégresse.

Psaume 41.

Le Docteur angélique intervient lui-même directement, aux Leçons du second Nocturne, pour faire entrer notre foi dans la science du divin Sacrement, autant qu’il peut être compris par l’homme encore voyageur, et défini par l’intelligence humaine. « Ce sont les paroles mêmes du Seigneur approuvant la doctrine de Thomas sur le Sacrement de son Corps. » Trois villes successivement, Paris, Naples et Orvieto, eurent l’honneur de servir de théâtre à ces manifestations si glorieuses du Christ à son Docteur. On vénère encore à Orvieto, dans l’Église de Saint‑Dominique, le Crucifix qui prit ainsi la parole pour donner l’approbation divine à l’Office même qui est sous nos yeux. Écoutons donc avec un pieux respect, et ne nous laissons pas effrayer par une terminologie scolastique qui n’est pas la science, mais le vêtement de combat dont il parut bon de la munir pour les champs clos de la dialectique.

Leçon 4
Sermon de saint Thomas d’Aquin.

Les immenses bienfaits de la divine largesse octroyés au peuple chrétien lui confèrent une dignité inestimable. Il n’est point, en effet, comme il ne fut jamais, de nation, si illustre qu’on la suppose, qui ait eu ses dieux approchant d’elle en la mesure où notre Dieu le fait avec nous. Car le Fils unique de Dieu, voulant que nous fussions participants de sa divinité, a pris notre nature, afin que fait homme il fit dieux les hommes. En outre, tout ce qu’il nous avait ainsi emprunté, il l’a livré pour notre salut. Car son corps, il l’a offert pour notre réconciliation comme victime à Dieu le Père sur l’autel de la croix ; son sang, il l’a versé tout à la fois, et comme prix de liberté, et comme onde purifiante, pour que, rachetés d’une misérable servitude, nous fussions lavés de tous nos péchés. Or, afin que demeurât persévérante en nous la mémoire d’un si grand bienfait, il a laissé aux fidèles, sous les espèces du pain et du vin, son corps en nourriture et son sang en breuvage.

R/. Pendant qu’ils soupaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit, et le donna à ses disciples, disant : * Prenez et mangez : ceci est mon corps. V/. Les hommes de ma tente ont dit : Qui nous donnera de ses chairs, pour nous en rassasier? * Prenez.

Leçon 5

O festin précieux admirable, salutaire plein de toute suavité ! Que peut-il y avoir en effet de plus précieux que ce festin, dans lequel on nous offre à manger, non la chair des veaux et des boucs, comme jadis sous la loi, mais le Christ vrai Dieu ? Quoi de plus admirable que ce Sacrement, dans lequel le pain et le vin sont convertis substantiellement au Corps et au Sang du Christ, en sorte que le Christ, Dieu et homme parfait, est contenu sous l’espèce ou apparence d’un peu de pain et d’un peu de vin ? Il est donc mangé par les fidèles, sans être mis en pièces ; bien plus, si l’on divise le Sacrement, il demeure entier sous chaque partie divisée. Les accidents ou modes subsistent ainsi sans leur sujet ou substance, afin que la foi soit exercée recevant invisiblement ce qui est visible en soi, caché sous une espèce étrangère ; et pour que les sens soient préservés d’erreur, lorsqu’ils jugent d’accidents à eux connus.

R/. Jésus prit le calice, après avoir soupé, disant : Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang  : * Faites ceci en mémoire de moi. V/. J’en garderai fidèle mémoire, et mon âme en sera consumée. * Faites ceci.

Leçon 6

Il n’y a point non plus de Sacrement plus salutaire que celui-ci, par lequel les péchés sont effacés, les vertus s’accroissent, et l’âme est engraissée de l’abondance de tous les dons spirituels. On l’offre dans l’Église pour les vivants et pour les morts, afin que serve à tous ce qui a été établi pour le salut de tous. Personne enfin ne saura dire la suavité de ce Sacrement, où l’on goûte à sa source la douceur spirituelle, où l’on renouvelle la mémoire de cette charité merveilleuse que le Christ a manifestée dans sa Passion. Aussi, pour que l’immensité de cet amour s’imprimât plus profondément dans le cœur des fidèles, à la dernière cène, lorsqu’ayant célébré la Pâque avec ses disciples, il allait passer de ce monde à son Père, il institua ce Sacrement comme le mémorial perpétuel de sa passion, l’accomplissement des anciennes figures, la plus grande des merveilles qu’il eût opérées ; et il le laissa aux siens attristés comme une singulière consolation de son absence.

R/. Je suis le pain de vie : vos pères ont mangé la manne dans le dé sert, et ils sont morts : * C’est ici le pain qui descend du ciel, afin que si quelqu’un en mange, il ne meure pas. V/. Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. * C’est ici. Gloire au Père. * C’est ici.
Troisième nocturne
Le septième Psaume fait suite au précédent dans l’ordre du Psautier. Une même situation les inspire, une même pensée domine leur composition, s’exprimant aussi dans les mêmes termes : le cri de l’âme harcelée par l’ennemi, soupirant vers son Dieu, le désir et la confiance de revoir enfin la montagne sainte et cet autel où Dieu se donne en la personne du Verbe incarné, le Christ, qui vient renouveler la jeunesse de ses heureux adorateurs et convives.

Ant. Je m’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu : je recevrai le Christ qui renouvelle ma jeunesse.

Psaume 42.

Le huitième Psaume célèbre avec enthousiasme la souveraine bonté du Dieu de Jacob. Par mille prodiges il a délivré son peuple ; il lui a dit : « Ouvre ta bouche, et je la remplirai » ; et malgré les trop nombreuses indocilités de ses fils ingrats, il tient aujourd’hui sa promesse. Il les nourrit de la graisse du froment, il les rassasie du miel de la pierre, qui sont les ineffables douceurs du Christ froment des élus et pierre du désert (Zach. 9, 17 ; 1 Cor. 10, 4).

Ant. Le Seigneur nous a nourris de la graisse du froment ; il nous a rassasiés du miel de la pierre.

Psaume 80.

Le Christ est le Dieu vivant en qui tressaillent notre cœur et notre chair. Chantons, avec le neuvième Psaume, les autels du Dieu des armées, notre Roi et notre Dieu ; ils sont le refuge du passereau, le nid de la tourterelle. Heureux qui habite ces fortunes tabernacles !

Ant. A votre autel, Seigneur, nous recevons le Christ, en qui tressaillent notre cœur et notre chair.

Psaume 83.

V/. Faites sortir le pain de la terre. Alleluia. R/. Et que le vin réjouisse le cœur de l’homme. Alleluia.

Leçon 7
Lecture de l’Évangile selon saint Jean. Chap. 6.

En ce temps-là, Jésus dit à la foule des Juifs : Ma chair est véritablement nourriture, et mon sang véritablement breuvage. Et le reste.

Homélie de saint Augustin, Évêque.

Ce que les hommes désirent dans le manger et le boire est d’apaiser leur faim et d’éteindre leur soif. Or, un tel résultat n’est vraiment atteint que par la nourriture et le breuvage qui rendent ceux qui les prennent immortels et incorruptibles, mets et breuvage qui ne sont autres que la société même des Saints, où régnera la paix dans une pleine et parfaite unité. Aussi, comme l’ont compris avant nous les hommes de Dieu, est-ce par cette raison que notre Seigneur Jésus-Christ nous a laissé son Corps et son Sang, sous la figure de substances dont la nature est d’être composée de parties multiples ramenées à l’unité : l’unité du pain suppose la multiplicité des grains dont il est formé ; l’unité du vin, la multiplicité des raisins. Enfin le Seigneur expose comment s’opère ce dont il parle, et ce que c’est que manger son Corps et boire son Sang.

R/. Celui qui mange ma chair et boit mon sang : * Demeure en moi et moi en lui. V/. Il n’est point de nation, si illustre qu’elle soit, qui ait ses dieux approchant d’elle en la mesure où notre Dieu le fait avec nous. * Demeure.

Leçon 8

Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Celui-là donc mange cette nourriture et boit ce breuvage, qui demeure dans le Christ et le possède en soi. Et par suite, celui qui ne demeure pas dans le Christ, ou en qui ne demeure pas le Christ, celui-là sans nul doute ne mange point sa chair par l’âme ni ne boit son sang, bien que par sa bouche de chair, et aux yeux des hommes, il presse de ses dents le Sacrement du Corps et du Sang du Christ ; mais au contraire, c’est pour son jugement qu’il mange et boit un si grand mystère, ayant eu la présomption de s’approcher souillé du Sacrement du Christ, auquel la pureté seule donne un digne accès, selon cette parole : Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu.

R/. Mon Père qui vit m’a envoyé, et je vis pour mon Père : * Et celui qui me mange vivra pour moi. V/. Le Seigneur l’a nourri du pain de vie et d’intelligence. * Et celui qui. Gloire au Père. * Et celui qui.

Leçon 9

De même, dit le Seigneur, que mon Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis pour mon Père ; de même celui qui me mange, lui aussi vivra pour moi. Comme s’il disait : L’anéantissement dans lequel il m’a envoyé fait que je vis pour mon Père, lui rapportant ma vie comme à plus grand que moi. Mais que quelqu’un vive pour moi, c’est l’effet de la participation dans laquelle il me mange : je m’abaisse pour vivre pour mon Père ; j’élève mon disciple, et il vit pour moi. S’il est dit : Je vis pour mon Père, parce que le Fils est du Père, et non le Père du Fils, on doit l’entendre sans atteinte portée à l’égalité. Il ne faudrait pas en conclure cependant que lorsqu’il dit : Et celui qui me mange vivra pour moi, il insinue cette même égalité de nous à lui-même ; mais il manifeste ainsi son caractère de médiateur.

Les trois Veilles de la nuit sont épuisées. L’Église a veillé dans l’attente de l’Époux, chantant ses louanges pour tromper les ennuis de ces heures trop lentes, et hâtant de ses aspirations enflammées l’arrivée du Bien-Aimé. Heureuse est-elle ! car heureux les hommes que le Seigneur, au jour des noces, trouve veillants de la sorte à son arrivée, pour lui ouvrir dès qu’il aura frappé : « En vérité, je vous le dis, s’écrie le Sauveur dans l’Évangile, il se ceindra lui-même, les fera prendre place à table, et allant et venant les servira de ses mains ; et s’il vient à la seconde veille, et s’il vient à la troisième veille, et qu’il les trouve ainsi, bienheureux sont-ils (s. Luc 12, 36-38) ! » Les pieux interprètes de la sainte Liturgie ont vu dans ces longues divisions de l’Office appelées Nocturnes, qui se déroulent en dehors des sept Heures canoniques du jour, l’image des longs siècles où le genre humain, plongé dans l’ombre et sous le coup des divines inimitiés, implorait la venue du Médiateur qui devait le justifier dans son sang (Rom. 5, 9), et ramener la lumière en rétablissant avec le ciel l’harmonie rompue par le péché d’origine. Non moins que les prières des Patriarches et les aspirations des Prophètes, par avance aussi les soupirs de l’Église et de tous les justes abrégèrent alors les temps du Messie, et rapprochèrent du point de départ l’heure du grand Sacrifice qui est venu donner fin au péché, manifester au monde la justice éternelle, et confirmer l’alliance avec un grand nombre (Dan. 9, 24, 27).

Mais chaque jour encore l’Église attend l’Époux : s’il n’est venu qu’une fois pour mourir, chaque jour il descend des cieux pour féconder son Épouse dans l’acte du Sacrifice quotidien, où se fait l’incessante application des mérites de celui de la Croix offert une seule fois pour la durée des siècles. Cette venue quotidienne du Seigneur est le point culminant de la journée de l’Église, partageant sa vie terrestre entre le désir et l’action de grâces. Sept fois le jour, elle laisse éclater au dehors les sentiments qui débordent en elle, et convie ses fils au sacrifice de louange, épanouissement radieux du Sacrifice eucharistique. Ainsi faisait le royal prophète (Psalm. 118, 164). Comme lui, elle établit les chantres en face de l’autel, et met en leurs bouches de douces mélodies (Éccli. 47, 11).

Lorsqu’en effet David eut transporté dans Jérusalem l’arche sainte avec cette pompe qui est racontée dans les saints Livres, après que tous les sacrifices furent accomplis (1 Paral. 16, 2), il laissa devant l’arche un chœur de lévites choisis, pour célébrer les merveilles du Seigneur et louer au nom de tous le Dieu d’Israël (Ibid. 4, 37, 41). Plus tard, lorsque, plein de jours, il couronna roi en Sion ce fils qui, plus heureux que lui, devait bâtir le temple de Jéhovah (Ibid. 23, 1), David remit à Salomon les plans de l’édifice sacré qui allait remplacer dans sa stabilité la tente du désert, et il voulut aussi fixer lui-même l’organisation définitive du culte divin réclamée par le nouvel ordre de choses (Ibid. 28, 11, 13). Aux vingt-quatre familles sacerdotales désignées pour se relever hebdomadairement dans l’oblation des sacrifices, étaient adjoints comme naturel complément quatre mille chantres ou psalmistes (Ibid. 23, 5), répartis eux-mêmes en vingt-quatre séries pour perpétuer le ministère de la prophétie ou louange, sous la conduite d’Asaph, Héman et Idithun, et recevant les leçons de deux cent quatre-vingt-huit de leurs frères, tous savants dans la science du chant sacré et prophétisant sur la cithare, les cymbales et le psaltérion (Ibid. 25). La louange alors était prophétie, comme chez nous elle est confession : ils chantaient dans l’espérance, comme nous chantons dans la foi ; mais l’objet de nos chants est le même, à savoir le Christ Sauveur, et c’est ainsi que le recueil des formules sacrées d’Israël a passé tout entier dans l’Église.

Type parfait du Messie, non content de fournir au peuple ancien dans des psaumes inspirés le thème de ses chants, David apparaît mêlé aux lévites, vêtu comme eux de la tunique de lin et présidant leurs concerts, au jour solennel de la translation de l’arche en la ville sainte (1 Paral. 15, 27.). « Chantre illustre, s’écrie le pieux et profond Abbé Rupert, il conduit les chœurs sacrés, et danse devant l’arche de l’alliance du Seigneur. O roi, ô prince des sacrés rites ! Où tend donc l’enthousiaste transport d’une si noble tête ? Voilà que celui qui n’est point de la race sacerdotale commande aux prêtres, classe les lévites, organise les choeurs, choisit les chantres pour l’arcane, pour l’octave, pour l’hymne de la victoire, et détermine qui sonnera des trompettes, qui frappera les cymbales, qui touchera la lyre, la guitare ou la harpe sacrée. En toutes ces démarches il voit son fils, il ose remplir un rôle qu’il savait devoir convenir à ce fils son Seigneur. Car l’arche sainte désigne l’humanité du Christ Sauveur, contenant la manne du Verbe, les tables du Testament, et la verge de la puissance royale et sacerdotale. C’est pourquoi notre David, ayant renversé l’empire de la mort, comme le premier celui de Saül, conduit en Jérusalem l’arche de l’alliance et la place dans le tabernacle dressé par lui-même. Ce que voyant l’Église, à l’exemple de l’ancien peuple, elle s’excite à chanter avec le vrai David. Toute la multitude des fils de Jacob chante donc harmonieusement, et David lui-même avec eux touche la cithare en la maison du Seigneur. Car tout ce que chante Israël, il l’apprend du maître, il l’exécute sous la conduite et la mesure de ce chef du chant sacré, de ce prœcentor frappant du doigt de Dieu les harpes des cœurs. Excitée par lui, l’allégresse des âmes éclate en sons corporels, en mélodieux concert, tantôt grave, tantôt perçant ou grandiose ; et sous le souffle d’une même foi, résonnant partout aux mêmes heures, ce chant un et multiple de l’immense corps de l’Église répandue dans toutes les nations, apporte de toutes parts au Christ son centre une suave harmonie (Rupert. De div. Off. Lib. 1, c. 17). »

Mais déjà l’aurore s’annonce au ciel. Penchée vers l’Orient, l’Église a vu dans ces lueurs l’indice de l’arrivée prochaine de l’Époux. Elle tressaille au moment où va paraître enfin l’astre du jour ; et le solennel Office des Laudes, tout d’allégresse et de louange, comme son nom même, invite la terre, la mer et les cieux à célébrer dignement le lever du Christ, soleil véritable, qui s’élance de l’horizon comme un géant vers la montagne du Sacrifice.

Haut de page

La journée

Le soleil s’est levé dans sa splendeur, au milieu des harmonies montant du sanctuaire à la rencontre du divin Orient. Pendant que les interprètes de la psalmodie sacrée achèvent d’offrir pour le monde au Dieu Créateur et Sauveur le solennel tribut des Laudes matutinales, les premiers rayons de l’astre du jour éclairent partout, en dehors du temple, le spectacle d’une activité universelle où n’ont de part ni le désir du gain, ni la soif des plaisirs. Une nouvelle de salut s’est fait entendre ; un cri d’allégresse a retenti dans la maison des justes (Psalm. 117, 15) : « Dieu s’apprête à visiter son peuple. L’Emmanuel présent dans l’Hostie va quitter son temple. Il doit descendre en vos cités, en vos fertiles campagnes, tenir sa cour aux champs de la forêt (Psalm. 131, 6). Sous le feuillage, dressez son trône ; sur son parcours, semez les fleurs et la verdure jusqu’à la corne de l’autel (Psalm. 117, 27). »

À cette annonce, un saint enthousiasme s’est ému dans les âmes. Dès les jours précédents, en plus d’un cœur fidèle s’est renouvelé le vœu de David au Dieu de Jacob : « Non, je ne veux point remonter sur ma couche, je n’accorderai point de sommeil à mes yeux, jusqu’à ce que j’aie trouvé un lieu convenable pour le Seigneur, dressé une tente au Dieu de Jacob (Psalm. 131, 3-5) ! »

Reposoirs sacrés où s’arrêteront les pieds du Roi pacifique (Psalm. 131, 7), délicieuses conceptions, chefs-d’œuvre d’un jour, qui, chaque année, mettez en lumière l’exquise poésie que nourrit l’amour dans le peuple fidèle, vous réunissez à cette heure, dans une même pensée de rivalité sainte, les plus humbles villages et les divers quartiers des cités populeuses. Sur tous les cœurs chrétiens, dans ceux-là même chez qui la grâce depuis longtemps bannie semblait avoir perdu tout empire, le Mystère de la foi fait sentir sa puissance ; et la femme chrétienne, la fille, la sœur, dont chaque fête du Cycle augmentait l’angoisse sur l’aveuglement obstiné d’êtres chéris, tressaillent en les voyant s’empresser eux‑mêmes aux apprêts du prochain triomphe de l’Emmanuel, et se dépenser pour le Dieu de l’Hostie. C’est le réveil de la foi dans les baptisés ; c’est la grâce du Sacrement d’amour opérant à distance, grâce de ressouvenir et de conversion pour les âmes assoupies ou endurcies, jusqu’aux confins de la terre et dans toutes les familles des nations (Psalm. 21, 28). Les cieux se réjouissent ; la terre triomphe ; la mer est émue sur tous ses rivages. Les campagnes tressaillent sous l’éclat de leur fraîche parure de printemps ; noyées dans les flots d’une lumière embaumée, elles députent en allégresse fleurs et parfums au Roi des cieux traversant leurs sentiers. À la grande nouvelle ont tressailli tous les bois des forêts à leur tour (Psalm. 95, 11 -13) : de chaque colline descendent et montent à la cité leurs verts branchages, sur toutes les routes se hâtent leurs forêts ambulantes ; ils arrivent, refoulant devant eux le bruit des chars et le mouvement des affaires ; ils se rangent, se pressent en allées ombreuses, enlacent leurs rameaux et forment ces berceaux de verdure que daignera visiter bientôt leur Seigneur et le nôtre.

Tenons à honneur d’avoir une part en cet immense concours ; sentons le frémissement de la nature entière à l’approche de son Dieu, partageons ses transports ; et durant les heures qui doivent s’écouler encore d’ici l’oblation du grand Sacrifice, gardons-nous de rester indifférents aux préparatifs des solennelles manifestations où l’amour du Christ-Roi vient réclamer les hommages qui lui sont dus.

Une page de dom Guéranger[5]

Les heures ont fui rapides dans la sainte hâte des derniers préparatifs. Tout est prêt maintenant pour le triomphe de l’Emmanuel ; et les joyeuses volées des cloches du beffroi, convoquant les fidèles au grand Sacrifice, annoncent la fin des pieux travaux. Nous offrirons, en manière de repos, à nos lecteurs, cette page tracée comme essai sur la fête par une main chère à leurs âmes, et que nous avons retrouvée, trop seule, hélas! dans les manuscrits de l’auteur de l’Année liturgique. Le respect ému qui s’impose à nous, en présence de ces dernières lignes de notre vénéré Père et Maître, nous fait un devoir de ne modifier que le moins possible le style même de ces notes disputées aux dernières fatigues de sa vie si remplie.

« La grande solennité a lui enfin, et tout l’annonce comme le triomphe de la foi et de l’amour. Nous le disions naguère, aux jours de l’Ascension, interprétant la parole du Christ : « Il vous est expédient que je me retire (s. Jean 16, 7)». La soustraction de la présence visible de l’Homme-Dieu aux regards des mortels devait amener en eux, par l’énergique opération de l’Esprit-Saint, une plénitude de lumière et une ferveur d’amour dont le Sauveur n’avait pas été l’objet dans le cours de sa vie mortelle. Marie seule, illuminée du feu divin, avait pu accomplir envers lui, durant cette période, les devoirs que la sainte Église lui rend aujourd’hui.

« Saint Thomas, dans son hymne céleste, chante ainsi : « Sur la croix, la divinité seule se dérobait aux regards ; ici, c’est l’humanité elle-même qui s’est cachée (Hymn. Adoro te). » Et néanmoins, en aucun jour de l’année la sainte Église n’est plus triomphante, ni plus démonstrative. Le ciel est radieux ; la terre a revêtu sa parure brillante, pour en faire hommage à celui qui dit : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallons (Cant. 2, 1). » La sainte Église, non contente d’avoir préparé un trône sur lequel la mystérieuse Hostie recevra, durant toute une Octave, les hommages d’une cour empressée, a jugé que la pompe d’un triomphe doit précéder ces solennelles et miséricordieuses assises. Aujourd’hui, elle ne se contentera plus d’élever le Pain sacré, après la prononciation des paroles divines ; elle lui fera franchir le seuil du temple, au milieu des flots de l’encens, à travers les fleurs et la feuillée, et le peuple catholique, fléchissant les genoux, adorera de toutes parts sous la voûte du ciel son Roi et son Dieu.

« Elles ne sont donc pas épuisées ces joies que chaque solennité de l’Année liturgique était venue successivement nous apporter. Elles revivent toutes dans celle d’aujourd’hui. Le roi-prophète l’avait prédit : « Le Seigneur a créé un mémorial de toutes ses merveilles : c’est l’aliment qu’il a préparé à ceux qui l’honorent (Psalm. 110, 4-5). » La sainte Église tressaille d’enthousiasme, tenant entre ses mains l’Époux divin qui a dit : « Voici que je demeure avec vous jusqu’à la consommation du monde (s. Matth. 27, 20). » La promesse était formelle, et elle s’est accomplie. Nous le vîmes s’élever, il est vrai, de la cime du mont des Oliviers et aller s’asseoir à la droite du Père. Mais depuis le jour sacré de la Pentecôte où l’Esprit divin a pris possession de la sainte Église, le mystère auguste de la Cène sacrée s’est accompli, en vertu des paroles souveraines : « Faites ceci en mémoire de moi » ; et dès lors la race humaine n’a plus été veuve de son Chef et de son Sauveur.

« Quoi d’étonnant alors que l’Église, en possession du Verbe de Dieu devenu ainsi sa chose, ait avancé tout à coup dans l’intelligence ? Les espèces sacramentelles qui protègent le mystère sont là, mais elles ne restent que pour introduire dans l’invisible……. »

Telles sont les dernières paroles du Maître. Arrêtées par la mort au moment où devait s’épanouir sous sa plume, en de sublimes clartés, l’ineffable mystère des noces divines au banquet sacré, elles sont suivies de l’indication de plusieurs passages de saint Augustin ayant trait à l’union du Verbe et de l’homme, de la divine Sagesse et de l’humanité dans les Mystères. Léguée silencieusement des rives de l’éternité aux continuateurs de son œuvre, cette indication suprême a été notre point de départ et notre loi souveraine en cette Octave. Qu’on pardonne aux fils de n’avoir point hésité pour aller recueillir jusque sur de tels sommets l’héritage de leur Père : ils l’ont fait dans la confiance que la forte éducation reçue de lui jusqu’ici par l’âme chrétienne, la mettrait à même de moins sentir leur propre faiblesse. Cette formation progressive, qui a conduit le chrétien des clartés tempérées de l’Avent aux radieuses splendeurs de la Pentecôte, doit l’avoir préparé à goûter plus directement désormais la sublimité des Écritures et des Pères, nos guides fidèles et constants dans ces hauteurs qu’il nous faut maintenant aborder. Tels étaient bien au reste la pensée et l’espoir de l’auteur même de cet ouvrage, quand il écrivait au temps de Noël :

« Dans le mystère de Noël et des quarante jours de la Naissance, la lumière est encore proportionnée à notre faiblesse. C’est le Verbe divin, sans doute, la Sagesse du Père, qui nous est proposé à connaître et à imiter ; mais ce Verbe, cette Sagesse, apparaissent sous les traits de l’enfance… Or, toute âme introduite dans Bethléhem, c’est-à-dire dans la Maison du Pain, unie à Celui qui est la Lumière du monde (s. Jean 8, 12), cette âme ne marche plus dans les ténèbres… Sa lumière ne s’éteint plus. Elle doit même croître à mesure que le Cycle liturgique va se développer. Puissions-nous réfléchir assez fidèlement dans nos âmes le progrès de cette lumière, et parvenir par son aide au bien de l’union divine qui couronne à la fois le Cycle et l’âme sanctifiée par le Cycle (Le Temps de Noël. Chap. 3) ! »

Haut de page

La messe

La Procession, qui suit immédiatement l’Office de Tierce dans les autres fêtes de l’année, n’aura lieu aujourd’hui qu’après l’oblation du Sacrifice. Le Christ lui-même y doit présider en personne : il faut donc attendre que l’Action sacrée ait abaissé jusqu’à nous la hauteur des cieux où il réside (Psalm. 17, 10). Bientôt il sera sous la nuée mystérieuse. Il vient nourrir ses élus de la graisse du froment tombé en terre (s. Jean 12, 24 – 25), et multiplié par l’immolation mystique sur tous les autels ; il vient en ce jour triompher parmi les siens, entendre nos cris d’allégresse au Dieu de Jacob. Telles sont les pensées qu’interprète le solennel Introït par lequel l’Église ouvre ses chants. Il est formé de passages du beau Psaume 80, que nous avons donné plus haut tout entier dans l’Office des Matines.

Introït

Le Seigneur les a nourris de la fleur du froment, alléluia ; il les a rassasiés du miel sorti de la pierre, alléluia, alléluia, alléluia. Ps. Tressaillez d’allégresse pour le Dieu notre protecteur : soyez dans la jubilation pour le Dieu de Jacob. Gloire au Père. Le Seigneur.

Dans la Collecte, l’Église rappelle l’intention du Seigneur instituant le Sacrement d’amour à la veille de sa mort, comme mémorial de la Passion qu’il devait bientôt subir. Elle demande que, pénétrés ainsi de sa vraie pensée dans les honneurs rendus par nous au Corps et au Sang divins, nous obtenions l’effet de son Sacrifice.

Collecte

O Dieu, qui nous avez laissé sous un Sacrement admirable le mémorial de votre passion, daignez nous accorder la grâce de vénérer comme nous le devons les sacrés Mystères de votre Corps et de votre Sang, afin que nous puissions ressentir en nous constamment le fruit de votre rédemption. Vous qui, étant Dieu, vivez et régnez avec Dieu le Père en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen.

Épîre
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. 1, Chap. 11.

Mes Frères, c’est du Seigneur lui-même que j’ai appris ce que je vous ai enseigné, savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit même où il fut livré, prit du pain, et ayant rendu grâces, le rompit et dit : « Prenez et mangez : ceci est mon corps qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » Il prit de même le calice, après avoir soupé, en disant : « Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang : faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez ; car toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » Ainsi donc celui qui mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve soi-même, et qu’il mange ainsi de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son propre jugement, ne faisant pas le discernement qu’il doit faire du corps du Seigneur.

La très sainte Eucharistie, comme Sacrifice et comme Sacrement, est le centre même de la religion chrétienne ; aussi le Seigneur a‑t-il voulu que le fait de son institution reposât, dans les écrits inspirés, sur un quadruple témoignage. Saint Paul, que nous venons d’entendre, unit sa voix à celles de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Luc. Il appuie son récit, conforme en tout à celui des Évangélistes, sur la propre parole du Sauveur lui-même, qui daigna lui apparaître et l’instruire en personne après sa conversion.

L’Apôtre insiste sur le pouvoir que le Sauveur donna à ses disciples de renouveler l’action qu’il venait de faire, et il nous enseigne en particulier que chaque fois que le Prêtre consacre le corps et le sang de Jésus-Christ, il annonce la mort du Seigneur, exprimant par ces paroles l’unité du Sacrifice sur la croix et sur l’autel. C’est aussi par l’immolation du Rédempteur sur la croix que la chair de cet Agneau de Dieu est devenue « véritablement une nourriture », et son sang « véritablement un breuvage », comme nous le dira bientôt l’Évangile du jour. Que le chrétien donc ne l’oublie pas, même en ce jour de triomphe. Nous le voyons tout à l’heure : l’Église dans la Collecte, cette formule principale, expression de ses vœux et de ses pensées qu’elle répétera sans cesse en cette Octave, n’avait pas d’autre but que d’inculquer profondément dans l’âme de ses fils la dernière et si touchante recommandation du Seigneur : « Toutes les fois que vous boirez à ce calice de la nouvelle alliance, faites-le en mémoire de moi. » Le choix qu’elle fait pour Épître de ce passage du grand Apôtre doit donner toujours plus à comprendre au chrétien que la chair divine qui nourrit son âme a été préparée sur le Calvaire, et que, si l’Agneau est aujourd’hui vivant et immortel, c’est par une mort douloureuse qu’il est devenu notre aliment. Le pécheur réconcilié recevra avec componction ce corps sacré, dont il se reproche amèrement d’avoir épuisé tout le sang par ses péchés multipliés ; le juste y participera avec humilité, se souvenant que lui aussi a eu sa part trop grande aux douleurs de l’Agneau innocent, et que si, aujourd’hui, il sent en lui la vie de la grâce, il ne le doit qu’au sang de la Victime dont la chair va lui être donnée en nourriture.

Mais redoutons sur toutes choses la sacrilège audace flétrie par l’Apôtre, et qui ne craindrait pas d’infliger, par un monstrueux renversement, une nouvelle mort à l’Auteur de la vie, dans le banquet même dont son sang fut le prix ! « Que l’homme donc s’éprouve lui-même, dit saint Paul, et qu’alors seulement il mange de ce pain et boive de ce calice. » Cette épreuve, c’est la confession sacramentelle pour tout homme ayant conscience d’un péché grave non encore accusé : quelque repentir qu’il puisse en avoir, et fût-il déjà réconcilié avec Dieu par un acte de contrition parfaite, le précepte de l’Apôtre, interprété par la coutume de l’Église et ses définitions conciliaires (Conc. Trid. Sess. 13, cap. 7, can.11), lui interdit l’accès de la table sainte, tant qu’il n’a pas soumis sa faute au pouvoir des Clefs.

Le Graduel et le Verset alléluiatique présentent un nouvel exemple de ce parallélisme entre les deux Testaments, que nous avons remarqué dans la contexture des Répons de l’Office Nocturne. Le Psalmiste (Psalm. 144, 15-16.) y exalte la bonté infinie du Seigneur, dont tout être vivant attend sa nourriture ; et le Sauveur s’y présente lui-même à nous, dans saint Jean (s. Jean 6, 56 – 57), comme l’aliment véritable.

Graduel

Les yeux de toute créature espèrent en vous, Seigneur, et vous donnez à chacune sa nourriture en temps opportun. V/. Vous ouvrez votre main, et vous comblez de bénédiction tout ce qui respire. Alleluia, alleluia. V/. Ma chair est vraiment nourriture, et mon sang est vraiment breuvage : celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui.

Vient ensuite la Séquence, œuvre célèbre et toute singulière du Docteur angélique, où l’Église, la vraie Sion, manifeste son enthousiasme, épanche son amour pour le Pain vivant et vivifiant, en des termes d’une précision scolastique qui semblerait devoir défier toute poésie dans la forme. Le mystère eucharistique s’y développe avec la plénitude concise et la majesté simple et grandiose dont l’Ange de l’École eut le secret merveilleux. Cette exposition substantielle de l’objet de la fête, soutenue par un chant en harmonie avec la pensée, justifie pleinement l’enthousiasme excité dans l’âme par la succession de ces strophes magistrales.

Séquence

Chante ton Sauveur, ô Sion ! par des hymnes et des cantiques, célèbre ton chef et ton pasteur.

Ose le faire autant qu’il est en ton pouvoir ; car tu ne pourras jamais assez louer celui qui est au-dessus de toute louange.

Le sujet de tes chants aujourd’hui, c’est le pain vivant, le pain qui donne la vie.

Nous savons qu’il fut donné à la troupe des douze frères, lors du banquet de la cène sacrée.

Que ta louange, ô Sion, soit solennelle et mélodieuse, agréable et belle comme la joie qui transporte ton âme ;

Car aujourd’hui est le jour solennel qui rappelle l’institution première d’un si noble banquet.

À cette table du nouveau Roi, la Pâque nouvelle de la nouvelle loi met fin à l’ancienne Pâque.

L’ancien rit cède la place au nouveau ; la vérité chasse l’ombre, la lumière fait disparaître la nuit.

Ce que le Christ accomplit à la cène, il ordonna de le renouveler en mémoire de lui.

Instruits par son enseignement sacré, nous consacrons le pain et le vin, pour produire l’Hostie du salut.

La croyance transmise aux chrétiens, c’est que le pain devient chair et que le vin devient sang.

Ce que tu ne comprends pas, ce que tu ne vois pas, une foi courageuse l’appuie, sans s’arrêter à l’ordre naturel.

Sous des espèces diverses, sous des signes sans réalités, est cachée une essence sublime.

La chair est un aliment, et le sang un breuvage ; mais le Christ demeure tout entier sous l’une et l’autre espèce.

Celui qui le reçoit ne le brise point, ne le rompt point, ne le divise point ; c’est tout entier qu’il le reçoit.

Qu’un seul le reçoive, que mille le reçoivent, celui-là reçoit autant que ceux-ci : on s’en nourrit sans le détruire.

Les bons le reçoivent, et les méchants aussi ; mais par un partage bien différent, les uns y trouvent la vie, les autres la mort.

Il est la mort pour les méchants, et la vie pour les bons : vois quelle dissemblance dans les effets d’un même aliment.

Quand l’Hostie mystérieuse est rompue, ne sois pas troublé ; mais souviens-toi que sous chaque fragment il y a autant que sous l’hostie entière.

La substance n’est nullement divisée : c’est le signe seulement qui est rompu ; mais ni l’état ni l’étendue de ce qui est sous les espèces n’a souffert de diminution.

Voici donc le pain des Anges, devenu le pain de l’homme voyageur. C’est vraiment le pain des enfants : il ne doit pas être jeté aux chiens.

D’avance il fut représenté sous les figures. C’est lui qui est immolé dans Isaac : il est signifié dans l’agneau de la Pâque, dans la manne donnée à nos pères.

Bon Pasteur, pain véritable, Jésus, ayez pitié de nous. Nourrissez-nous, défendez-nous : donnez-nous de contempler le bien suprême dans la terre des vivants.

Vous qui savez tout et pouvez tout, vous qui nous nourrissez ici-bas dans l’état de notre mortalité, daignez, après nous avoir faits vos commensaux sur cette terre, nous rendre cohéritiers et compagnons des habitants de la cité sainte.

Amen. Alleluia.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Jean. Chap. 6.

En ce temps-là, Jésus dit aux Juifs : Ma chair est véritablement nourriture, et mon sang véritablement breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui. Comme mon Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis pour mon Père : de même celui qui me mange vivra aussi pour moi. C’est là le pain qui est descendu du ciel. Il n’en est pas de lui comme de la manne que vos pères ont mangée, après quoi ils sont morts. Celui qui mange ce pain vivra éternellement.

Le disciple bien-aimé ne pouvait rester silencieux sur le Mystère d’amour. Cependant, quand il écrivit son Évangile, l’institution du Sacrement divin était déjà suffisamment racontée par les trois Évangélistes qui l’avaient précédé et par l’Apôtre des Gentils. Sans donc revenir sur cette divine histoire, il compléta leur récit par celui de la solennelle promesse qu’avait faite le Seigneur, un an avant la Cène, au bord du lac de Tibériade.

Aux foules nombreuses qu’attire après lui le récent miracle de la multiplication des pains et des poissons, Jésus se présente comme le vrai pain de vie venu du ciel, et préservant de la mort, à la différence de la manne donnée par Moïse à leurs pères. La vie est le premier des biens, comme la mort le dernier des maux. La vie réside en Dieu comme en sa source (35) ; lui seul peut la communiquer à qui il veut, la rendre à qui l’a perdue. Créé dans la vie par sa grâce, l’homme, par le péché, encourut la mort. Mais Dieu aime le monde de telle sorte qu’au monde perdu il envoie son Fils (s. Jean 3, 16), avec la mission de vivifier l’homme à nouveau dans tout son être. Vrai Dieu de vrai Dieu, lumière de lumière, le Fils unique est aussi vraie vie de vraie vie par nature ; et comme le Père illumine ceux qui sont dans les ténèbres par ce Fils sa lumière, ainsi donne-t-il la vie aux morts dans ce même Fils sa vivante image (Cyrill. Al. in Johan Lib. 4, cap. 3).

Le Verbe de Dieu est donc venu parmi les hommes, pour qu’ils eussent la vie et qu’ils l’eussent abondamment (s. Jean 10, 10). Et comme c’est le propre de la nourriture d’augmenter, d’entretenir la vie, il s’est fait nourriture, nourriture vivante et vivifiante descendue des cieux. Participant elle-même de la vie éternelle qu’il puise directement au sein du Père, la chair du Verbe communique cette vie à qui la mange. Ce qui est corruptible de sa nature, dit saint Cyrille d’Alexandrie, ne peut être autrement vivifié que par l’union corporelle au corps de celui qui est vie par nature ; or, de même que deux morceaux de cire fondus ensemble par le feu n’en sont plus qu’un seul, ainsi fait de nous et du Christ la participation de son corps et de son sang précieux.

Cette vie donc qui réside en la chair du Verbe, devenue nôtre en nous-mêmes, ne sera pas plus qu’en lui vaincue par la mort ; elle secouera au jour marqué les liens de l’antique ennemie, et triomphera de la corruption dans nos corps immortels (Cyrill. Al. in Johan Lib. 10, cap. 2). Aussi l’Église, dans son sens exquis d’Épouse et sa délicatesse maternelle, emprunte à ce même passage de saint Jean l’Évangile de la Messe quotidienne des défunts, recueillant les pleurs des vivants sur ceux qui ne sont plus au pied de l’Hostie sainte, à la source même de la vraie vie, centre assuré de leurs communes espérances.

Ainsi fallait-il que non seulement l’âme fût renouvelée par le contact du Verbe, mais que lui-même, ce corps terrestre et grossier participât dans sa mesure à la vertu vivifiante de l’Esprit, selon l’expression du Seigneur (s. Jean 6, 64). « Ceux qui ont absorbé du poison par l’artifice de leurs ennemis, dit admirablement saint Grégoire de Nysse, éteignent le virus en eux par un remède opposé ; mais de même qu’il est arrivé du breuvage mortel, il faut que la potion salutaire soit introduite jusque dans leurs entrailles, afin que de là se répande en tout l’organisme la vertu curative. Nous donc qui avons goûté le fruit délétère, nous avons besoin d’un remède de salut qui, de nouveau, rassemble et harmonise en nous les éléments désagrégés et confondus de notre nature, et qui, pénétrant l’intime de notre substance, neutralise et repousse le poison par une force contraire. Quel sera-t-il ? Nul autre que ce corps qui s’est montré plus puissant que la mort, et a posé pour nous le principe de la vie. Comme un peu de levain, dit l’Apôtre, s’assimile toute la pâte (1 Cor. 5, 6), ainsi ce corps, entrant dans le nôtre, le transforme en soi tout entier. Mais rien ne peut pénétrer ainsi notre substance corporelle que par le manger et le boire ; et c’est là le mode, conforme à sa nature, par lequel arrive jusqu’à notre corps la vertu vivifiante (Grég. Nyss. Orat. catéch. Cap. 38). »
L’Offertoire est formé d’un passage du Lévitique (Lévit. 21, 6) où le Seigneur recommande la sainteté aux prêtres de l’ancienne alliance, en raison de l’offrande qu’ils faisaient à Jéhovah de l’encens symbolique et des pains de proposition. Autant le sacerdoce du Testament nouveau l’emporte sur le ministère de la loi des figures, autant doivent l’emporter en sainteté sur les mains d’Aaron celles qui présentent à Dieu le Père le vrai Pain des cieux, comme un encens de parfaite odeur

Offertoire

Les prêtres du Seigneur offrent à Dieu l’encens et les pains ; c’est pourquoi ils seront saints en présence de leur Dieu, et ils ne souilleront point son Nom. Alleluia.

Le Prêtre demande pour l’Église, dans la Secrète, l’unité et la paix qui sont la grâce spéciale du divin Sacrement, comme l’enseignent les Pères d’après la composition même des dons sacrés formés des grains nombreux du froment ou de la vigne réunis sous la meule ou le pressoir.

Vient ensuite la Préface, qui est aujourd’hui et durant l’Octave celle de la Nativité du Sauveur, pour nous rappeler l’intime connexion des deux mystères de Noël et du divin Sacrement. C’est en Bethléhem, la Maison du Pain, que Jésus, vrai Pain de vie, est descendu des cieux par le sein de la Vierge-mère.

Secrète

Nous vous supplions, Seigneur, d’accorder à votre Église les dons de l’unité et de la paix qui sont mystérieusement signifiés par ces offrandes que nous vous présentons. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Fidèle au précepte du Christ intimé de nouveau par l’Apôtre en l’Épître de la fête, l’Église rappelle à ses fils dans l’Antienne de la Communion que, recevant le Corps du Seigneur, ils annoncent sa mort, et doivent se garder dans une sainte frayeur d’approcher indignement des Mystères du salut.

Communion

Toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. Celui donc qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Alleluia.

L’Église conclut les Mystères en demandant pour l’éternité l’union sans voiles au Verbe divin, cette union parfaite dont la participation transitoire et voilée à la réelle substance du Corps et du Sang précieux est ici-bas le gage et la figure.

Postcommunion

Faites, nous vous en supplions, Seigneur, que nous arrivions à posséder éternellement votre divinité dans la pleine jouissance qui nous est figurée ici-bas par la réception temporelle de votre Corps et de votre Sang précieux. Vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. Amen.

Haut de page

La procession

Quelle est celle-ci qui s’avance embaumant le désert du monde d’un nuage d’encens, de myrrhe et de toutes sortes de parfums ? D’elle-même aujourd’hui l’Épouse s’est réveillée. Pleine de désirs et d’attraits, l’Église entoure la litière d’or où parait l’Époux dans sa gloire. Près de lui sont rangés les forts d’Israël, prêtres et lévites du Seigneur puissants contre Dieu. Filles de Sion, sortez à la rencontre ; contemplez le vrai Salomon sous l’éclat du diadème dont l’a couronné sa mère au jour de ses noces et de la joie de son cœur (Cant. 3, 5-11). Ce diadème, c’est la chair reçue par le Verbe divin de la Vierge très pure, quand il prit l’humanité pour épouse (s. Grég. in Cant). Par ce corps très parfait, par cette chair sacrée se poursuit tous les jours, au saint banquet, l’ineffable mystère des noces de l’homme et de la Sagesse éternelle. Pour le vrai Salomon chaque jour donc est encore celui de l’allégresse du cœur et des joies nuptiales. Quoi de plus juste qu’une fois l’année, la sainte Église donne carrière à ses transports envers l’Époux divin caché sous les voiles du Sacrement d’amour ? C’est pour cela qu’aujourd’hui le Prêtre a consacré deux Hosties, et qu’après avoir consommé l’une d’elles, il a placé l’autre dans le radieux ostensoir qui, soutenu par ses mains tremblantes, va traverser maintenant sous le dais, au chant des hymnes triomphales, les rangs émus de la foule prosternée.

Cette solennelle démonstration envers l’Hostie sainte, nous l’avons déjà dit, est d’origine plus récente que la fête elle-même du Corps du Seigneur. Urbain IV n’en parle pas dans sa Bulle d’institution, en 1264. Par contre, Martin V et Eugène IV, en leurs Constitutions citées plus haut (26 mai 1429, 26 mai 1433), fournissent la preuve qu’elle était en usage de leur temps, puisqu’ils accordent des indulgences à ceux qui la suivent. Le Milanais Donat Bossius rapporte, en sa Chronique, que « le jeudi 29 mai 1404, on porta pour la première fois solennellement le Corps du Christ dans les rues de Pavie, comme il est passé depuis en usage. » Quelques auteurs en ont conclu que la Procession de la Fête-Dieu ne remontait pas au delà de cette date, et devait sa première origine à l’Église de Pavie. Mais cette conclusion dépasse le texte sur lequel elle s’appuie, et qui peut fort bien n’exprimer qu’un fait de chronique locale. Nous trouvons en effet la Procession mentionnée sur un titre manuscrit de l’Église de Chartres en 133o, dans un acte du Chapitre de Tournai en 1325, au concile de Paris en 1323, et, en 132o, dans celui de Sens. Des indulgences sont accordées par ces deux conciles à l’abstinence et au jeûne de la Vigile du Corps du Seigneur, et ils ajoutent : « Quant à la Procession solennelle qui se fait le jeudi de la fête en portant le divin Sacrement, comme il semble que ce soit par une sorte d’inspiration divine qu’elle s’est introduite en nos jours, nous ne statuons rien pour le présent, laissant toutes choses à la dévotion du clergé et du peuple (Labbe, Concil. T. 11, pag. 1680, 1711). » L’initiative populaire semble donc avoir eu grande part à cette institution ; et de même que Dieu avait fait choix, au siècle précédent, d’un Pape français pour établir la fête, ce fut de France que se répandit peu à peu dans tout l’Occident ce complément glorieux de la solennité du Mystère de la foi[3].

Il paraît probable toutefois qu’à l’origine la divine Hostie ne fut pas, du moins en tous lieux, portée en évidence comme aujourd’hui dans les processions, mais seulement voilée ou renfermée dans une châsse ou cassette précieuse. C’était l’usage de la porter ainsi dès le 11ème siècle en certaines Églises, à la Procession des Rameaux, et encore à celle du matin de la Résurrection. Nous avons parlé ailleurs de ces manifestations solennelles, qui du reste avaient moins pour objet d’honorer directement le Sacrement divin, que de rendre plus au vif le mystère du jour. Quoi qu’il en soit, l’usage des ostensoirs ou monstrances, comme les appelle le concile de Cologne de l’année 1452, suivit de près l’établissement de la nouvelle Procession.

On les fit d’abord plus généralement en forme de tourelles percées à jour ; dans un Missel manuscrit de l’an 1374, la lettre D, première de l’Oraison de la fête du Saint-Sacrement, présente en miniature un évêque accompagné de deux acolytes, et portant l’Hostie du salut dans une tour d’or à quatre ouvertures. Il y eut toutefois une grande et souvent heureuse variété dans ces nouvelles productions de l’art chrétien, qui venaient ainsi compléter à leur heure la collection déjà si riche des joyaux du sanctuaire. Nées spontanément de l’initiative privée des diverses Églises, elles reflétèrent les inspirations multiples de la foi des pasteurs et des peuples. Tantôt ce furent des croix chargées de pierreries, des crucifix d’argent ou d’or, qui présentèrent sous le Sacrement le vrai corps de l’Homme-Dieu aux regards des fidèles, rappelant en même temps à leur religion et à leur amour le Sacrifice et la mort cruelle qui avaient fait de lui l’Hostie du salut. D’autres fois, au contraire, on employa pour cet usage des statuettes du Seigneur ressuscité incrustées des plus riches émaux, qui proclamaient la gloire du Vainqueur du trépas, toujours vivant et triomphant sous la mort apparente des espèces sacrées : placée dans la poitrine, à l’endroit du cœur, l’Hostie sainte rayonnait des mille feux de la pierre précieuse et translucide qui protégeait ce réduit sacré. Ailleurs, la Mère de la divine grâce, apparaissant de nouveau comme le vrai trône de la Sagesse éternelle, offrait elle-même aux adorations des nations d’Occident ce même Verbe incarné qui avait reçu l’hommage des rois de l’Orient sur son sein maternel ; ou bien encore l’Ami de l’Époux, Jean le Précurseur, portant dans ses bras l’Agneau du salut, montrait au monde, de son doigt prédestiné, l’Hostie sainte qui brillait sur le front de cet Agneau divin comme une perle précieuse. Libre expansion de la piété que respecta l’Église-mère, jusqu’à ce que ces différentes conceptions se trouvassent ramenées par le temps au type uniforme reçu de nos jours. Les 14ème et 15ème siècles virent déjà s’établir l’usage prédominant des monstrances à cylindres de cristal engagés dans des édicules de formes variées, à baies ogivales avec arcs-boutants et contreforts, et surmontés d’élégantes pyramides ou de clochetons ajourés. Bientôt la piété catholique, s’ingéniant à rendre, en quelque sorte, au Soleil de justice les divines splendeurs qu’il dérobe à nos yeux dans le Mystère d’amour, amena l’usage d’exposer l’auguste Sacrement dans un soleil de cristal à rayons d’or ou de quelque autre matière de prix[4]. En dehors de quelques rares monuments plus anciens que nous pourrions citer, cette dernière progression s’affirme clairement dans un Graduel du temps de Louis XII (1498-1515), où la première lettre de l’Introït du Saint-Sacrement renferme un soleil à peu près semblable aux nôtres, porté sur les épaules de deux personnages vêtus du pluvial, et suivi par le roi, accompagné de plusieurs cardinaux et prélats (Thiers De l’exposit. du S.-Sacr. Liv. 2, ch. 2).

Cependant l’hérésie protestante, qui naissait alors, traita bientôt de nouveauté, de superstition, d’idolâtrie odieuse, ces naturels développements du culte catholique inspirés par la foi et l’amour. Le concile de Trente frappa d’anathème les récriminations des sectaires (Sess. 13, can. 6), et, dans un chapitre spécial, il justifia l’Église en des termes que nous ne saurions nous dispenser de reproduire : « Le saint Concile déclare très pieuse et très sainte la coutume qui s’est introduite dans l’Église, de consacrer chaque année une fête spéciale à célébrer en toutes manières l’auguste Sacrement, comme aussi de le porter en procession par les rues et places publiques avec pompe et honneur. Il est bien juste, en effet, que soient établis certains jours où les chrétiens, par une démonstration solennelle et toute particulière, témoignent de leur gratitude et dévot souvenir envers le commun Seigneur et Rédempteur, pour le bienfait ineffable et divin qui remet sous nos yeux la victoire et le triomphe de sa mort. Ainsi fallait-il encore que la vérité victorieuse triomphât du mensonge et de l’hérésie, de telle sorte que ses adversaires, au sein d’une telle splendeur et d’une si grande joie de toute l’Église, ou perdent courage et sèchent de dépit, ou, touchés de honte et de confusion, viennent enfin à résipiscence (Sess. 13, cap. 5). »

Mais nous catholiques, adorateurs fidèles du Sacrement d’amour, « avec quelle joie », s’écrie le pieux et éloquent Père Faber, « ne devons-nous pas contempler cette brillante et immense nuée de gloire que l’Église fait à cette heure monter vers Dieu ! Oui ; il semblerait que le monde est encore dans son état de ferveur et d’innocence primitive ! Voyez ces glorieuses processions qui, avec leurs bannières étincelantes au soleil, se déroulent dans les places des opulentes cités, à travers les rues jonchées de fleurs des villages chrétiens, sous les voûtes vénérables des antiques basiliques, et le long des jardins des séminaires, asiles de la piété. Dans ce concours de peuples, la couleur du visage et la diversité des langues ne sont que de nouvelles preuves de l’unité de cette foi que tous se réjouissent de professer par la voix du magnifique rituel de Rome. Sur combien d’autels de structure diverse, tous parés des fleurs les plus suaves et resplendissants de lumière, au milieu de nuages d’encens, au son des chants sacrés et en présence d’une multitude prosternée et recueillie, le Saint‑Sacrement est successivement élevé pour recevoir les adorations des fidèles, et descendu pour les bénir! Et combien d’actes ineffables de foi et d’amour, de triomphe et de réparation, chacune de ces choses ne nous représente-t-elle pas ! Le monde entier et l’air du printemps sont remplis de chants d’allégresse. Les jardins sont dépouillés de leurs plus belles fleurs, que des mains pieuses jettent sous les pas du Dieu qui passe voilé dans le Sacrement. Les cloches font retentir au loin leurs joyeux carillons ; le canon ébranle les échos des Andes et des Apennins ; les navires, pavoisés de brillantes couleurs, donnent aux baies de la mer un air de fête ; et la pompe des armées royales ou républicaines vient rendre hommage au Roi des rois. Le Pape sur son trône et la petite fille dans son village, les religieuses cloîtrées et les ermites solitaires, les évêques, les dignitaires et les prédicateurs, les empereurs, les rois et les princes, tous sont aujourd’hui remplis de la pensée du Saint-Sacrement. Les villes sont illuminées, les habitations des hommes sont animées par les transports de la joie. Telle est l’allégresse universelle, que les hommes s’y livrent sans savoir pourquoi, et qu’elle rejaillit sur tous les cœurs où règne la tristesse, sur les pauvres, sur tous ceux qui pleurent leur liberté, leur famille ou leur patrie. Tous ces millions d’âmes qui appartiennent à la royale famille et au lignage spirituel de saint Pierre sont aujourd’hui plus ou moins occupées du Saint-Sacrement : de sorte que l’Église militante tout entière tressaille d’une joie, d’une émotion semblable au frémissement des flots de la mer agitée. Le péché semble oublié ; les larmes mêmes paraissent plutôt être arrachées par l’excès du bonheur que par la pénitence. C’est une ivresse semblable à celle qui transporte l’âme à son entrée dans le ciel ; ou bien l’on dirait que la terre elle-même passe dans le ciel, comme cela pourrait arriver par l’effet de la joie dont l’inonde le Saint-Sacrement (Le Saint Sacrement. T. 1, pag. 4 (traduct. de M. F. de Bernhardt). »

On chante pendant la Procession les Hymnes de l’Office du jour, le Lauda Sion, le Te Deum et, suivant la longueur du parcours, le Benedictus, le Magnificat, ou d’autres pièces liturgiques ayant quelque rapport avec l’objet de la fête, comme les Hymnes de l’Ascension indiquées au Rituel. De retour à l’église, la fonction se termine, comme aux Saluts ordinaires, par le chant du Tantum ergo, du Verset et de l’Oraison du Saint-Sacrement. Mais, après la Bénédiction solennelle, le Diacre ne renferme pas l’Hostie sainte ; il la dispose sur le trône où les pieux fidèles lui composeront, durant ces huit jours, une garde empressée.

C’est autour d’elle que les Heures canoniales vont rayonner désormais, comme autour de leur centre.

Haut de page

Les secondes Vêpres du Saint-Sacrement

Dans le solennel Office du soir, l’Église repasse au pied de l’Hostie les merveilles célébrées en ce grand jour.

Le premier Psaume chante les grandeurs du Christ pontife. Le Seigneur l’a juré : il est Prêtre à jamais selon l’Ordre de Melchisédech. Comme ce roi de justice et de paix, il a choisi le pain et le vin pour éléments de son Sacrifice. Mais sous ces apparences se cachait l’oblation digne en tout du Pontife éternel et de celui qui l’a engendré avant l’aurore.

Ant. Le Christ Seigneur, Prêtre à jamais selon l’Ordre de Melchisédech, a offert le pain et le vin.

Psaume 109, Dixit Dominus.

Le pain et le vin du Sacrifice annonçaient un banquet. Le second Psaume célèbre ce banquet ineffable où viennent se résumer les merveilles divines ; car le Christ lui-même s’y donne en nourriture à ceux qui le craignent. Que sa louange demeure donc à jamais !

Ant. Le Seigneur miséricordieux a donné, en mémoire de ses merveilles, une nourriture à ceux qui le craignent.

Psaume 110, Confitebor tibi, Domine.

L’Eucharistie, qui résume tous les bienfaits divins, est en même temps l’Action de grâces la plus parfaite et la seule digne que nous puissions offrir à la suprême Majesté. Si donc à la fin de cette journée, émus des magnificences de la bonté souveraine, nous nous écrions avec le Psalmiste : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous ces biens dont il m’a comblé ? » répondons avec lui, dans le troisième Psaume : « Je prendrai le calice du salut, j’offrirai l’Hostie de louange. »

Ant. Je prendrai le calice du salut, et je sacrifierai une hostie de louange.

Psaume 115.

Le Psaume suivant relève en accents inspirés la beauté du spectacle qu’offre aujourd’hui la terre. Le bonheur semble avoir repris ce matin possession du monde avec les saintes pensées. L’huile d’allégresse a coulé du Christ chef sur tous ses membres ; l’Église tressaille, à la vue de ses fils rangés autour de la table sainte, comme de jeunes plants d’olivier prêts à produire des fruits de grâce et de sanctification. Puisse cette journée marquer en effet pour Sion le point de départ d’une fertile abondance ! puisse-t-elle affermir pour jamais la paix dans la cité sainte !

Ant. Que les enfants de l’Église soient comme de jeunes plants d’olivier autour de la table du Seigneur.

Psaume 127.

« Gloire à Dieu, paix aux hommes ! » chantaient les Anges à la descente du Pain céleste en Bethléhem. Tels sont en effet, nous l’avons vu, nous le verrons mieux encore, les deux grands fruits de l’Eucharistie. L’Église s’excite elle-même à chanter, dans le cinquième Psaume, cette paix qui règne par la grâce de l’Époux sur ses frontières, affermit ses portes et comble ses fils de bénédictions en elle-même. Mais c’est la divine nourriture, c’est le froment des cieux qui produit cette paix merveilleuse, en unissant tous les membres au Christ dans l’unité d’un même corps.

Ant. Le Seigneur qui établit la paix sur les frontières de l’Église, nous rassasie de la graisse du froment.

Psaume 147.

Capitule (1 Cor. 11)

Mes Frères, c’est du Seigneur lui-même que j’ai appris ce que je vous ai enseigné, savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit même où il fut livré, prit du pain, et ayant rendu grâces, le rompit et dit : Prenez et mangez : ceci est mon corps qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi.

L’Hymne qui suit résume le Mystère de la foi dans une doctrine profonde et concise. C’est elle que l’Église choisit de préférence pour chanter le divin Sacrement ; les deux dernières strophes forment la conclusion obligée des Expositions et Saluts dans le cours de l’année.

Hymne

Pange, lingua, gloriosi…

Chante, ô ma langue, le mystère du glorieux Corps et du Sang précieux que le Roi des nations, fils d’une noble mère, a versé pour la rédemption du monde.

Il nous fut donné ; pour nous il naquit de la Vierge sans tache ; il vécut avec les hommes, et après avoir jeté la semence de sa parole, il termina son pèlerinage par une admirable merveille.

Dans la nuit de la dernière cène, étant à table avec ses frères, après avoir observé ce que prescrivait la loi pour les nourritures légales, il se donne lui-même de ses propres mains, pour nourriture, aux douze qu’il a choisis.

Le Verbe fait chair change d’une seule parole le pain en sa chair divine ; le vin devient le propre sang du Christ ; et si la raison défaille à comprendre un tel prodige, la foi suffit pour rassurer un cœur fidèle.

Adorons prosternés un si grand Sacrement ; que les rites antiques cèdent la place à ce nouveau mystère ; et que la foi supplée à la faiblesse de nos sens.

Gloire, honneur et louange, puissance, actions de grâces et bénédiction soient au Père et au Fils ; pareil hommage à Celui qui procède de l’un et de l’autre.

Amen.

L’Antienne qui accompagne le Cantique de Marie est un cri prolongé de reconnaissance pour le banquet sacré de l’union divine, mémorial vivant des souffrances du Sauveur, où l’homme est rempli de grâce en son âme et reçoit, dans son corps même, le gage de la gloire future. La phrase n’est point achevée : l’Église demeure comme en suspens sur ce dernier élan d’un amour qui ne peut trouver ici-bas d’expression suffisante.

Antienne de Magnificat

O banquet sacré où est reçu le Christ, renouvelée la mémoire de sa passion, l’âme remplie de grâce, et donné le gage de la gloire future ! Alleluia.

Le Cantique Magnificat

Haut de page

Autres liturgies

À la fin de cette grande journée consacrée par l’Église latine au triomphe de l’Hostie sainte, nous écouterons l’Église grecque témoigner d’une même foi au divin Sacrement dans les formules suivantes. Elles accompagnent et suivent la Communion, dans la Liturgie ou Messe appelée de Saint Jean-Chrysostome.

Avant la communion

Je crois, Seigneur, et je confesse que vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant, qui êtes venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis le premier.

Recevez-moi aujourd’hui à la participation de votre Cène mystique. Je ne livrerai point le mystère à vos ennemis, je ne vous donnerai point le baiser de Judas ; je m’adresse à vous, comme le larron : Souvenez-vous de moi, Seigneur, en votre royaume.

Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous le toit souillé de mon âme. Mais de même que vous avez daigné descendre en l’étable et reposer dans la crèche des animaux, entrer dans la maison de Simon le Lépreux et recevoir à vos pieds une pécheresse pareille à moi : daignez entrer aussi dans l’étable de mon âme sans raison, et dans ce corps souillé, mort et lépreux. Et comme vous n’avez point repoussé la bouche impure de la pécheresse baisant vos pieds sans tache, ainsi, Seigneur mon Dieu, ne repoussez pas non plus ce pécheur. Mais dans votre clémence et bonté, daignez m’admettre à la communion de votre très saint Corps et de votre Sang.

Pardonnez, déliez, remettez, ô mon Dieu, tous les péchés que j’ai commis sciemment ou par ignorance, en parole ou en œuvre. Soyez-moi propice en votre bonté compatissante ; par les prières de votre Mère très pure et toujours vierge, sauvez‑moi de la condamnation, et que je puisse recevoir votre Corps précieux et immaculé pour la guérison de mon âme et de mon corps. Car à vous est l’empire, la puissance et la gloire, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

Après la communion

Nous vous rendons grâces, Seigneur très bon, bienfaiteur de nos âmes, de ce que vous nous avez admis aujourd’hui encore à vos immortels et célestes Mystères. Dirigez nos voies, affermissez-nous dans votre crainte, protégez notre vie, donnez à nos pas la sécurité : par les prières et l’intercession de la glorieuse Marie Mère de Dieu toujours vierge, et de tous les saints.

Le Diacre. Justes rendus participants des Mystères divins, saints, sans tache, immortels, plus élevés que les cieux et vivifiants, rendons de dignes actions de grâces au Seigneur.

Le Chœur. Seigneur, ayez pitié !

Le Diacre. Recevez, sauvez, pardonnez, conservez-nous, ô Dieu, par votre grâce.

Le Chœur. Seigneur, ayez pitié !

Le Diacre. Demandons des jours tous parfaits, saints, paisibles et préservés du péché ; recommandons, nous‑mêmes, les autres, et toute notre vie au Christ Dieu.

Le Chœur. A vous, Seigneur !

Le Prêtre, élevant la voix. Parce que vous êtes notre sanctification ; et nous vous rendons gloire à vous, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.

Le Chœur. Amen.

Enfin saluons encore une fois l’Hostie sainte, en lui dédiant cette Séquence, du Missel de Prague, qui, par sa forme, semble tenir comme le milieu entre les compositions Notkériennes et celles des âges postérieurs.

Séquence

Salut, chair adorable du Christ Roi,
Du troupeau de la loi nouvelle admirable nourriture !
Les hommages des fidèles vous sont dus à toute heure ;
C’est dignement, d’un cœur chaste, sans souillure, qu’on doit vous manger.
Vous êtes, ô Pain de vie, l’objet du culte de l’Église ;
Vous êtes le guide des voyageurs, vous êtes le pardon des coupables.
Aliment du salut, rassasiez-nous en vous.
Vous êtes le relèvement, la défense de ceux qui sont tombés.
Vous êtes la consolation de l’affligé, l’allégresse des cœurs.
De ce monde malheureux conduisez-nous aux joies éternelles,
Pour y jouir à jamais de votre présence et douce gloire. Amen.

[1] Aspiration, on le verra, qui ne relève point de la nature, mais uniquement de ce fait que Dieu a élevé l’homme à l’ordre surnaturel et qu’il le lui a dit.

[2] Cardinal Pie. Première Instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.

[3] À la suite du concile de 1311, où la fête fut définitivement promulguée, Vienne prit pour armes l’orme surmonté d’un calice et d’une hostie qu’entourent ces mots : Vienna civitas sancta.

[4] Ce fut vers le même temps qu’on vit paraître et s’établir en plusieurs églises la forme actuelle des vases destinés à renfermer les hosties consacrées. On leur donna le nom de ciborium ou ciboire, qui avait été réservé dans l’antiquité au baldaquin ou dôme surmontant les autels, et sous la voûte duquel ou suspendait en beaucoup de lieux la pixide ou réserve eucharistique. Les formes de ces réserves sacrées avaient jusque là varié suivant les églises, mais en gardant toujours une dimension très restreinte. « Aux 13ème, 14ème et même encore pendant une partie du 15ème siècles, les pixides sont généralement de très petite dimension, parce que, jusque vers le milieu du 15ème siècle, elles ne servaient qu’à conserver le petit nombre d’hosties dont on avait besoin pour la communion des malades en danger de mort. Les fidèles en état d’assister aux offices de l’église recevaient la sainte Eucharistie, après la communion du prêtre, avec des espèces consacrées pendant la messe même, et distribuées au moyen de la patène. » E. Reusens, professeur à l’Université catholique de Louvain : Eléments d’Archéologie chrétienne. T. 2, pag. 354.

[5] Rappelons que Dom Guéranger est décédé après avoir achevé le temps pascal et que son œuvre fut continuée par Dom Fromage à partir de la Fête de la Trinité.