9e dimanche après la Pentecôte

Dom Guéranger ~ L’Année liturgique
Neuvième dimanche après la Pentecôte

La déploration des malheurs de Jérusalem forme en Occident le sujet de l’Évangile du jour ; elle a depuis longtemps donné son nom, chez les Latins, au neuvième Dimanche après la Pentecôte.

Nous avons vu qu’il était facile de retrouver aujourd’hui encore, dans la sainte Liturgie, les traces de la préoccupation de l’Église naissante à l’endroit du prochain accomplissement des prophéties contre la ville ingrate qui fut l’objet des premières prédilections du Seigneur. Le dernier terme imposé par la miséricorde à la justice divine arrive enfin. Jésus-Christ, parlant du renversement de Sion et du temple, avait prédit que la génération qui entendait ses paroles ne passerait pas que tout ce qu’il annonçait ne fût accompli (s. Luc 21, 32). Près de quarante ans, laissés à Juda pour détourner la colère du ciel, n’ont fait qu’affermir dans son reniement obstiné la race déicide. Comme un torrent longtemps contenu qui rompt ses digues, la vengeance se rue sur l’ancien Israël ; l’année 70 voit exécuter la sentence que lui-même a portée, lorsqu’il s’écriait en livrant aux Gentils (s. Matth. 20, 19) son roi et son Dieu : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants (Ibid. 27, 25) !

Dès l’année 67, Rome, provoquée par la folle insolence des Juifs, députait Flavius Vespasien pour venger son injure. Le nom peu connu du nouveau général avait été sa recommandation la plus puissante au choix de l’inquiète jalousie du césar Néron ; mais à la famille obscure encore de ce soldat Dieu réservait l’empire, comme prix du service qu’attendait de lui et de Titus son fils la justice souveraine. Titus, en effet, le reconnaîtra plus tard (Jos. De bell. 6, 9) : ce n’est point Rome, mais Dieu qui véritablement, ici, mène la guerre et commande aux légions. Moïse, de loin, avait vu la nation pareille à l’aigle, fondre avec rage sur la Judée pour châtier les crimes de son peuple (Deut. 28, 49). Mais à peine l’aigle romaine a-t-elle touché la terre des vengeances, que, domptée visiblement par une force supérieure, elle modère ou précipite sa fougue au gré des prophètes du Dieu des armées. Son regard, avide d’obéissance autant que de combats, semble scruter les Écritures. Là, en effet, était son mot d’ordre pour chacun des jours de ces années terribles (s. Luc, 21, 22).

On avait pu s’en convaincre, lorsqu’une première fois, en 66, l’armée de Syrie, conduite par Cestius Gallus, s’était montrée sous les murs de Jérusalem. Le Seigneur voulait seulement alors donner aux siens l’avertissement qu’il leur avait promis, en précisant d’avance la suite des événements. « Lorsque vous entendrez le tumulte des séditions et des bruits de guerre, disait‑il, n’en soyez point troublés : ces choses arriveront d’abord, sans que la fin vienne aussitôt (s. Matth. 24, 6 ; s. Luc 21, 9). Mais quand vous aurez eu le spectacle de Jérusalem entourée d’une armée, sachez que sa désolation est proche, et fuyez loin d’elle (s. Luc 21, 20-21). » Et, en effet, nous avons vu que la synagogue s’exerçait à l’émeute depuis longtemps déjà, sans avoir pu lasser la patience ou le mépris de la reine du monde ; jusqu’à ce que, le sang romain lui-même ayant coulé sous les coups des séditieux, Rome dut enfin s’émouvoir et faire avancer ses légions. Mais son armée devait premièrement fournir aux disciples de Jésus le signe annoncé (s. Marc 13, 4), entourer Jérusalem, et se retirer ensuite pour un peu de temps, afin de permettre aux chrétiens de quitter la cité maudite. Aussi vit-on le proconsul romain, au moment où il serrait la ville de si près qu’il semblait à la veille de la prendre en terminant la guerre d’un seul coup, donner à ses troupes le signal d’une retraite inexplicable, et lâcher la victoire déjà dans ses mains (Jos. De bell. 2, 19). Cestius Gallus parut alors à tous saisi d’aveuglement et de vertige ; mais il exécutait, sans en avoir conscience, les ordres d’en haut, et dégageait la parole du Seigneur à son Église.

Vespasien lui-même rencontra dès le commencement, sur sa route, un de ces retardements divins que l’habileté de la tactique romaine devait se montrer plus d’une fois encore impuissante à tourner avant l’heure. Le plan arrêté dans les conseils du Très‑Haut portait qu’avant toutes choses (s. Luc 21, 20), avant que le sceptre déjà brisé de l’ancienne alliance (Zach. 11, 10) disparût consumé jusqu’aux derniers restes dans les flammes allumées par les Juifs eux-mêmes (Isaï. 50, 11), l’établissement du Testament nouveau serait affermi chez les nations et confirmé solennellement par la consommation du témoignage apostolique dans le sang des témoins (s. Matth. 24, 9 ; s. Marc 13, 10). Or ce fut le 29 juin de l’année 67 que Pierre et Paul, fondant par leur trépas glorieux la stabilité de l’Église-mère, prouvèrent au monde que rien ne manquait plus désormais à la promulgation du règne du Messie méconnu d’Israël. Vespasien, entré en campagne au printemps de cette année, avait dû attendre que la triomphante confession des princes des Apôtres ouvrît à l’impatience de ses légions la voie des conquêtes : immobilisé, quarante-sept jours durant, au pied de la citadelle dont la prise devait lui assurer la possession de la Galilée, ce fut le 29 juin qu’il en força les portes.

Quarante mille cadavres, amoncelés sur les pentes de la montagne et s’élevant jusqu’à la hauteur des murs, apprirent aux Romains la résistance désespérée que s’apprêtait à leur opposer partout le fanatisme juif ; des habitants ou défenseurs de Jotapat deux hommes seuls survivaient, dont l’un fut Josèphe, l’un des chefs principaux et l’historien de cette guerre affreuse. Les enfants et les femmes eurent alors pourtant la vie sauve (Jos. De bell. 3, 7). Mais un peu plus tard, à Gamala, autre forteresse bâtie sur le penchant d’un abîme, lorsque la moitié des assiégés eut succombé sous le fer ennemi et que la défense fut devenue impossible, les survivants, rassemblant les femmes et les enfants, se précipitèrent, avec eux tous, au bas des rochers et s’y brisèrent au nombre de cinq mille ; les légions, à la fin de cette effroyable journée, ne virent plus autour d’elles que la solitude absolue du désert (Jos. De bell. 4, 1).

De toutes parts, dans la malheureuse Galilée, le sang coulait à torrents et les sinistres lueurs de l’incendie embrasaient l’horizon. Comment reconnaître dans ce pays dévasté la terre de l’enfance du Sauveur, le théâtre de ses premiers miracles et des enseignements où marquaient leur empreinte, en paraboles gracieuses, les sites charmants qu’offraient aux regards de l’Homme-Dieu les collines pittoresques et les vallons fertiles de cette heureuse contrée ! Le bras de Dieu pesait maintenant de tout son poids sur cette terre de Zabulon et de Nephtali pour qui la première, comme nous le chantions dans la nuit de Noël, s’était levée si brillante la lumière du salut (Isaï. 9, 1-2). La première donc, cette fois encore, elle recevait la visite du Seigneur. Mais ce n’était plus, dans ces tristes jours, la visite de l’Orient divin ouvrant au monde les sentiers de la paix (s. Luc 1, 78-79). Caché maintenant sous la tempête (Psalm. 17, 12), il lançait les feux de la destruction sur l’ingrate patrie qui ne l’avait point accueilli dans l’infirmité miséricordieuse de sa chair mortelle (s. Luc 4, 24). « En vain au jour de ma vengeance, disait le Psaume, ils s’exclameront vers quelqu’un qui les sauve et crieront au Seigneur ; je les briserai, je les disperserai comme la poussière dans l’ouragan, je les écraserai comme la boue des places (Psalm. 17, 42-43). »

Oh ! comme l’Église apprit alors, pour ne plus l’oublier, qu’aucune bénédiction, qu’aucune sainteté passée ne garantit un lieu de la souillure et de la ruine ! Spectatrice terrifiée de ces événements du premier âge de son histoire, elle voyait la violence et tous les crimes porter leurs profanations dans les sentiers foulés par les pieds de son chef adoré, comme sur les montagnes où s’étaient prolongées durant la nuit ses prières et sa louange au Père de toutes choses. Un jour elle vit souiller affreusement jusqu’aux ondes si pures du lac de Génézareth, où s’étaient reflétés les traits de l’Époux quand il le traversait marchant sur les eaux, ou reposant dans la barque de Pierre et dirigeant ces pêches mystérieuses qui présageaient l’avenir. Six mille révoltés, traqués par la colère divine et le fer des Romains, rougirent de leur sang cette mer de Tibériade où Jésus avait dompté la tempête (Jos. De bell. 3, 9) ; leurs corps livides, rejetés par les flots, portèrent l’horreur sur ce rivage dont le Christ avait maudit les villes, pour ne s’être point converties à la vue des miracles sans nombre que sa divine condescendance y avait accomplis (s. Matth. 11, 20-24).

Leçon effrayante donnée aux âmes que Dieu prévient de ses faveurs de choix, et qu’il convie à une intimité plus grande ! Malheur à elles si, dans leur nonchalance et leur lâcheté, elles négligent de correspondre à la grâce, ou, comme les villes des bords du lac de Galilée, se contentent de l’honneur, sans chercher à produire des fruits de sainteté en rapport avec la grandeur et la fréquence des dons célestes ! Le prophète Amos, visant à la fois ces âmes oublieuses et ces cités distraites restées longtemps le séjour miséricordieusement préféré du Verbe divin, s’écriait pour lui à l’avance : « Je n’ai connu que vous de toutes les nations de la terre. Mais peut-on marcher à deux, sans qu’il y ait accord mutuel ? Aussi vengerai-je sur vous toutes vos iniquités (Amos 3, 2-3). »

Nul châtiment significatif, en effet, nul rapprochement vengeur ne devait être épargné à Israël. Au printemps de l’année 68, un lieutenant de Vespasien chassait devant lui, sur la rive gauche du Jourdain, les populations éperdues (Jos. De bell. 4, 7). Les malheureux fuyards couraient en masse dans la direction de Jéricho, où ils espéraient trouver un refuge, lorsqu’arrêtés en face de cette ville par le fleuve débordé, ils se virent entassés sous le glaive des troupes romaines qui, en arrière, leur fermaient toute issue. L’arche sainte avait autrefois, sur ces bords, ouvert un passage miraculeux aux tribus d’Israël ; mais, eût-elle été présente à cette heure, elle n’avait plus à protéger ces descendants indignes des patriarches, qui brisaient eux-mêmes le pacte de l’alliance conclue par Dieu avec la maison de Jacob. Ce fut alors une effroyable tuerie, un abatis sans nom d’êtres humains, là même où, quarante ans auparavant, saint Jean-Baptiste avait vu la cognée à la racine des arbres, où il avait prédit la colère à venir à cette race de vipères qui se disait fille d’Abraham et rejetait la pénitence (s. Matth. 3, 5-12). Une multitude infinie, précipitée dans les flots du Jourdain, trouva la mort dans ces eaux que le Sauveur avait sanctifiées en s’y plongeant sous la main du précurseur. Elles tenaient de lui la vertu de donner la vie au monde ; mais Israël avait préféré le règne du prince de la mort à celui de l’auteur de la vie (s. Jean 19, 15). Le nombre de ceux qui périrent dans ces ondes sacrées fut si grand, que l’amoncellement des cadavres rendit quelque temps impraticable aux bateaux le passage du fleuve ; jusqu’à ce que la force du courant, triomphant enfin de l’obstacle, emporta tous les corps à la mer Morte, et répandit au loin sur le lac maudit ces hideuses épaves de la synagogue. Sodome n’avait-elle pas été moins coupable, aux yeux du Seigneur (s. Lux 10, 12) ?

La conquête de l’Idumée par les légions déjà maîtresses, au Nord, de la Galilée et de la Samarie, à l’Est et à l’Ouest, des rives du Jourdain et du littoral de la Méditerranée, acheva de fermer du côté du Midi le cercle de fer qui devait enserrer Jérusalem. Des garnisons romaines occupaient Emmaüs, Jéricho, et tous les points fortifiés commandant les avenues de la capitale juive. Vespasien, après avoir châtié pour Dieu tant de cités ingrates, s’apprêtait à commencer enfin le siège de la ville criminelle entre toutes, quand la chute de Néron et les événements qui suivirent vinrent détourner l’attention du monde et la sienne.

Aux tremblements de terre en divers lieux (Sénec. Natur. Quaest. 6, 1 ; Tac. An. 14, 27 ; 15, 22), aux pestes (Sénec. Ibid. 27 ; Tac. Ibid. 16, 13 ; Suét. in Nér. 39), aux signes dans le ciel (Tac. Hist. 5, 13 ; Jos. De bell. 6, 5), qui s’étaient multipliés dans les dernières années du tyran, s’ajoutèrent alors les soulèvements de nation à nation, de royaume à royaume (s. Luc 21, 10-11). L’Occident tout entier se levait en armes, et l’Orient bientôt fut entraîné vers Rome, à son tour, par l’ébranlement immense qui marqua d’un caractère unique dans l’histoire l’année 69 de l’ère chrétienne. Des sommets de l’Atlas au Pont-Euxin, des rives de l’Humber à celles du Nil, barbares et romains, provinces et peuples rêvèrent pour chacun d’eux l’empire. Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, proclamés par des armées rivales, envoyaient les légions de Bretagne et du Rhin, de l’Illyrie et du Danube, s’écraser au rendez-vous sanglant de Bédriac. Vainqueurs et vaincus dévastaient l’Italie. Rome était prise par des Romains, tandis qu’aux frontières dégarnies apparaissaient les Suèves, les Sarmates et les Daces. À la lueur du Capitule en feu, au bruit du temple de Jupiter s’écroulant dans les flammes, les Gaules proclamaient leur indépendance et Velléda soulevait la Germanie. Le vieux monde parut s’affaisser dans l’anarchie et la guerre universelle.

Les circonstances étaient donc redevenues subitement favorables à Jérusalem ; elles semblaient l’inviter encore à réparer ses crimes. Nous verrons, en commentant l’Évangile, qu’elle en profita pour multiplier ses fautes et se déchirer elle-même plus cruellement que n’eussent fait les Romains.

Les Grecs lisent à la Messe de ce Dimanche, qui est le neuvième de saint Matthieu, l’épisode de Jésus marchant sur les eaux.

À la messe

Israël s’était fait l’ennemi de l’Église ; Dieu, comme il l’avait annoncé (Deut. 28, 15-68), le châtie et disperse ses restes. L’Église prend occasion de l’exécution des jugements du Seigneur, pour professer l’humble confiance qu’elle met dans le secours de son Époux.

Introït

Voici que Dieu vient à mon aide, et que le Seigneur se déclare le protecteur de ma vie. Faites retomber sur mes ennemis les maux dont ils m’accablaient, et, selon votre parole, détruisez‑les, Seigneur mon protecteur. Ps. O Dieu, par votre Nom sauvez-moi, et délivrez-moi dans votre puissance. Gloire au Père.

Les Juifs crient vers le ciel, et les oreilles du Seigneur restent fermées à leurs supplications, parce qu’ils n’ont point su demander ce qui plaisait au Seigneur. L’Église demande, dans la Collecte, qu’il n’en soit jamais ainsi pour ses fils.

Collecte

Ouvrez l’oreille de votre miséricorde, Seigneur, à la prière de ceux qui vous implorent ; et, pour que vous exauciez leurs désirs, faites que leurs demandes soient conformes à vos desseins. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Épître
Lecture de l’Épître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Corinthiens. 1, Chap. 10.

Mes Frères, ne nous abandonnons point à des désirs mauvais comme l’ont fait les Juifs. Ne devenez point idolâtres non plus, comme quelques-uns d’entre eux, dont il est écrit : Le peuple s’assit pour manger et boire, et ils se levèrent pour jouer. Ne commettons point de fornication comme certains d’entre eux, qui furent frappés au nombre de vingt-trois mille en un seul jour. Ne tentons point le Christ comme quelques‑uns d’eux le tentèrent et furent tués par les serpents. Ne murmurez point comme quelques-uns d’eux murmurèrent et furent tués par l’ange exterminateur. Or toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des figures, et elles ont été écrites pour notre instruction à nous qui sommes venus à la fin des temps. Que celui donc qui se croit affermi prenne garde de tomber. Puissiez-vous n’avoir que des tentations ordinaires et de l’homme ! Dieu, qui est fidèle, ne souffrira pas d’ailleurs que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ; mais il vous donnera, au moment de la tentation, l’avantage sur elle, afin que vous puissiez la soutenir.

« Ma tristesse est grande, » s’écriait l’Apôtre des nations à la pensée de la réprobation qui s’apprêtait à frapper les Juifs ; « mon cœur est oppressé d’une douleur sans fin au sujet de mes frères, de ces hommes de mon sang pour qui j’eusse voulu être moi-même anathème. À eux, descendance d’Israël, appartenaient par héritage l’adoption des enfants, la gloire du peuple élu, le Testament, la Loi, le culte saint, les promesses d’en haut. Les patriarches formaient leur tige, et de leur race était le Christ selon la chair, le Christ Dieu béni dans les siècles (Rom. 9, 2-5) ! » Et maintenant, dévoyés par leur faute, ils ne voient plus, ils n’entendent plus (Isaï. 6, 9 ; s. Matth. 13, 14-15). La table somptueuse des Écritures, qui nourrissait leurs pères (s. Matth. 4, 4), n’est plus pour eux qu’une occasion de chute et un piège où ils se prennent eux-mêmes ; la nuit s’étend sur leur intelligence, et leur dos se courbe sous le châtiment pour des siècles (Psalm. 68, 23-24).

O vous, gentils, qui avez pris la place de ces rameaux brisés sur la tige de l’alliance (Rom. 11, 17), que du moins leur chute vous serve d’exemple. Le Dieu qui se montrait pour vous prodigue d’une bonté toute gratuite, dans le temps même où il exerçait contre eux ses jugements, ne permettra pas sans doute que rien prévale en vous, malgré vous, contre les intentions de son amour. Si vous êtes fidèles à l’appel de sa grâce, il le sera de même pour éloigner les tentations que vous ne sauriez porter, ou faire en sorte que le secours divin élève toujours votre âme plus haut que l’épreuve ; vous trouverez en tout combat, non la défaite, mais le profit méritoire d’un triomphe d’autant plus glorieux qu’il aura semblé surpasser davantage les forces humaines. N’oubliez point toutefois que les mêmes causes qui ont amené la perte des Juifs pourraient aussi vous conduire à la ruine. Ils sont tombés à cause de leur incrédulité (Ibid. 20) ; vous qui, autrefois, ne croyiez pas davantage et avez cependant obtenu miséricorde (Ibid. 3o), c’est par la foi que vous êtes debout aujourd’hui : ne vous élevez donc point dans une vaine complaisance ; mais craignez que Dieu qui a pu rompre les branches naturelles de son arbre de choix ne vous épargne pas non plus, et considérez toujours, en même temps que sa bonté, l’inexorable rigueur de ses justices (Rom. 11, 20-22).

C’est donc bien opportunément que l’Église nous rappelle, dans l’Épître du jour, les antécédents lamentables du peuple déicide, et cette série de fautes et de châtiments qui préparèrent, avec le crime final, l’effondrement complet de la nation prévaricatrice. L’avantage de ceux qui vivent, comme nous le faisons, sur le soir du monde (Hymn. Adv. ad Vesp.), est de pouvoir mettre à profit les leçons du passé. L’Esprit-Saint n’avait point d’autre but en écrivant, pour les âges futurs, l’histoire de l’ancien peuple ; il voulait nous manifester par les divers épisodes de cette histoire, groupés comme en autant de figures prophétiques, les règles de la Providence de Dieu sur le gouvernement du monde et de son Église. L’Église, établie par son Époux dans la vérité immuable, gardée par l’Esprit dans une sainteté indéfectible et toujours croissante, n’a point à craindre assurément de s’abîmer un jour, comme la synagogue, dans l’affreux naufrage dont nous sommes aujourd’hui les témoins ; la ruine des Juifs est l’annonce et l’image du renversement du monde (s. Matth. 24, 3) qui aura rejeté l’Église, non de l’Église qui, alors, montera vers l’Époux consommée dans l’amour et la sainteté par les épreuves des derniers temps (Apoc. 22, 17). Mais l’infaillible garantie de salut octroyée à la grande Épouse du Fils de Dieu ne s’étend point à ses membres individuels ou collectifs, qui sont les hommes et les nations. C’est à ceux-là, c’est à nous tous qu’il convient de méditer, pour l’éviter, le sort de Jérusalem et de ces pères du peuple juif qui, si longtemps avant la ruine de la ville sainte, couvraient déjà de leurs cadavres maudits toutes les routes du désert et ne parvenaient point à la terre promise (Héb. 3, 17).

Tous cependant, nous dit l’Apôtre, ils voyageaient, sur le chemin de la vie, protégés par la nuée mystérieuse sous laquelle la Sagesse les abritait durant le jour et les éclairait dans la nuit (Sap. 10, 17). Sous la conduite de Moïse figurant le chef divin du vrai peuple élu, tous ils avaient passé la mer. Baptisés dans les flots qui avaient englouti leurs ennemis, comme l’onde sainte engloutit les péchés des hommes, tous encore ils étaient nourris du même mets spirituel et s’abreuvaient à la même source divine sortant de la pierre qui était le Christ. Pourtant, si nombreux qu’ils fussent, il y en eut bien peu en qui Dieu se complût (1 Cor. 10, 1-6). Mais combien les crimes des chrétiens ne l’emporteraient-ils pas en gravité sur les désirs mauvais, l’idolâtrie, la fornication, les murmures d’Israël, maintenant que les brillantes et substantielles réalités de la loi de la grâce remplacent partout les figures et les ombres ?

Le Graduel, expression ardente de louange au Seigneur notre Dieu, vient reposer nos âmes fatiguées par le spectacle des ingratitudes du peuple juif et des punitions qu’elles ont attirées. Même aux plus tristes jours, la louange ne manque point dans l’Église, parce qu’il n’est point d’événement ici-bas qui puisse faire oublier à l’Épouse les splendeurs de l’Époux, ou l’empêcher d’exalter ses magnificences. Dans le Verset reprennent la supplication et l’angoisse.

Graduel

Seigneur notre Dieu, que votre Nom est admirable dans toute la terre ! V/. Car votre magnificence est au-dessus des cieux.

Alléluia, alléluia. V/. Arrachez-moi à mes ennemis, ô mon Dieu ; délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi. Alléluia.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Luc. Chap. 19.

En ce temps-là, comme Jésus approchait de Jérusalem, voyant la ville, il pleura sur elle en disant : Oh ! si tu connaissais, au moins en ce jour qui t’est donné encore, ce qui serait ta paix! mais maintenant tout cela est caché à tes yeux. Il viendra des jours pour toi, où tes ennemis t’environneront de tranchées, et ils t’environneront et te serreront de toutes parts ; et ils te renverseront à terre, toi et tes fils qui sont en toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le temps de ta visite. Et entrant dans le temple, il se mit à chasser ceux qui y vendaient ou achetaient, en leur disant : Il est écrit : Ma maison est une maison de prières ; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. Et il enseignait tous les jours dans le temple.

Le passage qu’on vient de lire dans le saint Évangile se rapporte au jour de l’entrée triomphante du Sauveur à Jérusalem. Ce triomphe, que Dieu le Père ménageait à son Christ avant les jours de sa passion, n’était point, hélas! on le vit bientôt, la reconnaissance de l’Homme-Dieu par la synagogue. Ni la douceur de ce roi qui venait à la fille de Sion monté sur l’ânesse (Zach. 9, 9), ni sa sévérité miséricordieuse contre les profanateurs du Temple, ni ses derniers enseignements dans la maison de son Père, ne devaient ouvrir des yeux obstinément fermés à la lumière du salut et de la paix. Les pleurs mêmes du fils de l’homme ne pouvaient donc arrêter la vengeance divine : il faut bien qu’enfin la justice ait son tour.

« Malheur, s’écrient pour Dieu les prophètes, à la cité provocatrice, à la cité rachetée en vain qui n’a point écouté la voix de son Seigneur ! Ses princes, ses juges, ses prophètes et ses prêtres ont violé ma loi, faussé mes oracles, rempli ma maison d’iniquité et de tromperie (Soph. 3, 1-4 ; 1, 9). Broyez la ville (Ibid. 2), exterminez ses habitants ; quiconque ne sera pas marqué du Tau (Le Temps pascal), tuez-le sans pitié. Mais commencez par mon sanctuaire, frappez les prêtres et les anciens ; souillez le Temple, et remplissez de cadavres ses parvis (Ézéch. 9, 5-7). »

La priorité dans le châtiment était bien due à ces chefs du peuple qui l’avaient eue dans le crime, à ces pontifes, à ces anciens qui avaient décrété la mort du juste et poussé la foule au reniement du prétoire (s. Matth. 27, 20). Jaloux des miracles de l’Homme‑Dieu, ils disaient dans leur hypocrisie perfide : « Si nous le laissons faire ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils détruiront notre ville (s. Jean 11, 47-53). » Dieu a retourné contre Israël leur politique impie. Mais du moins, en ce qui les concerne, ils seront satisfaits : pas un d’eux ne verra les Romains ; dès avant l’arrivée des légions, Jean de Giscala et Simon fils de Gioras auront fait justice de cette aristocratie déicide, odieuse à la terre comme au ciel. Quand Titus, après ses combats, rentrera dans la ville éternelle, ces deux chefs de brigands, les vrais princes de la guerre, orneront son triomphe ; ils tiendront la place de la noblesse de Juda devant le char du vainqueur ; deux bandits représenteront Jérusalem dans les rues de Rome, sa rivale ! Justes représailles d’en haut pour les larrons dont la synagogue fit l’escorte de son Roi sur la voie douloureuse, et les compagnons du Christ au Calvaire ! Mais il convient de reprendre la suite des événements brièvement et par ordre.

Après la rupture avec Rome et la retraite de Cestius Gallus, le gouvernement de Jérusalem s’était trouvé remis aux soins du pontife Ananus (Jos. De bell. 2, 20, et seq.), beau-frère de Caïphe et le dernier des cinq fils d’Anne, le grand-prêtre, tous grands‑prêtres eux-mêmes successivement comme l’avait été leur père. Par une disposition évidente de la justice souveraine, la famille coupable entre toutes du forfait du Calvaire devenait la tête de la nation au moment final, pour indiquer nettement le sens des vengeances de Jéhovah sur son peuple. Indépendamment du grand crime dont la responsabilité pesait sur sa race, Ananus d’ailleurs, personnellement, avait à expier la mort de saint Jacques le Mineur, martyrisé par ses ordres en l’année 62. Rationaliste ou Sadducéen comme ses proches, il déplorait la guerre et eût voulu renouer la paix (Jos. De bell. 4, 5). Mais il n’avait pas été libre de se soustraire à l’obligation d’organiser la défense : prince quoiqu’il en eût, selon l’expression d’Isaïe, toute cette ruine était dans ses mains (Isaï. 3,6) ; il fallait qu’il en fût écrasé.

Bientôt les fanatiques qui avaient amené la guerre et se faisaient appeler les Zélateurs, mécontents des ménagements d’Ananus, se soulevèrent et répandirent le sang des plus illustres personnages. Renforcés par tous les exaltés des autres villes et les pillards des campagnes qui affluaient chaque jour dans la ville sainte, ils s’emparèrent du Temple ; et, changeant par haine des vieilles familles sacerdotales l’ordre ancien de la sacrificature, ils établirent grand-prêtre un paysan, descendant obscur d’Aaron, si indigne d’une telle charge, qu’il ne savait même pas ce que c’était que le pontificat (Jos De bell. 4, 3).

Vers le même temps, les débris des bandes galiléennes conduites par Jean de Giscala apportaient dans la capitale l’exaspération des premières défaites ; ils firent alliance avec les révoltés et accrurent encore leur rage insensée contre quiconque semblait vouloir pactiser avec Rome. Sur le conseil de Jean, les Zélateurs, pressés vivement par les troupes d’Ananus, et déjà refoulés dans le Temple intérieur, appelèrent à leur aide les pâtres de l’Idumée. Ces farouches auxiliaires, tombant sur Jérusalem à la faveur d’une nuit d’orage, taillèrent en pièces les gardes endormies. La terre, dit Josèphe, avait tremblé à leur approche, la veille au soir, et poussé des mugissements (Jos. De bell. 4, 41). Jusqu’au matin, sous le vent et la pluie, à la lueur des éclairs, mêlant leurs vociférations au bruit de la tempête, aux cris des blessés, aux hurlements des femmes, ils tuèrent sans pitié tout ce qui se trouva sous leurs pas. Quand le jour vint enfin porter sa lumière sur les désastres de cette nuit terrible, huit mille cinq cents corps apparurent jonchant la terre et inondant de leur sang le pourtour du Temple. Le cadavre d’Ananus, insulté, dépouillé de ses vêtements, foulé aux pieds, fut jeté aux chiens. Les jours suivants, douze mille hommes, choisis parmi les premiers des habitants, périrent dans les tortures ou sous les coups des Iduméens. Après le départ de ces derniers, les Zélateurs, devenus maîtres de la ville, renchérirent encore sur leurs cruautés. Tous ceux dont le caractère indépendant, l’influence ou la naissance illustre excitaient les soupçons, étaient incontinent massacrés, sans qu’il fût permis aux survivants d’enterrer ou de pleurer leurs morts. Le menu peuple, les pauvres, les inconnus, échappaient seuls à ces atroces poursuites. La justice de Dieu passait sur les chefs de Juda (Isaï. 3, 11). Leur sang mêlé à la poussière, leurs corps sans sépulture, abandonnés comme le fumier sur les places (Soph. 1, 8, 17), rappelèrent-ils à Sion les oracles qui avaient prédit ces jours de tribulation et d’angoisse, ces jours amers pour les puissants et les forts (Ibid. 14-16 ; Ézéch. 24, 3-5) ? La chrétienté de Jérusalem, retirée au delà du Jourdain, se souvint alors, elle du moins, des paroles inspirées que saint Jacques, son évêque, adressait, huit ans auparavant, aux douze tribus de la dispersion (s. Jac. 1, 1) : « Allez, riches ; pleurez maintenant ; hurlez sous le poids des misères qui vont fondre sur vous. Vos richesses ont pourri ; vous n’avez plus qu’un trésor de colère. Vos délices, vos festins somptueux vous ont engraissés pour le jour vengeur. Vous avez condamné le juste, et vous l’avez tué, sans qu’il vous résistât ; mais voici que le Seigneur approche (Ibid. 5, 1-8). » C’était bien lui, en effet, qui se vengeait lui-même (Jér. 5, 5, 9) ; et Vespasien le comprenait, lorsqu’il répondait à ceux qui le pressaient de profiter de ces dissensions pour attaquer la ville : « Dieu est un plus grand général que moi ; laissons-le livrer les Juifs aux Romains sans travail de notre part, et nous donner sans danger la victoire (Jos. De bell. 4, 6). »

Jérusalem n’était encore qu’au commencement de ses douleurs et de ses guerres intestines. L’ambition de Jean de Giscala ne le laissa point rester longtemps en paix avec les Zélateurs. Séparé d’eux, il donna toute licence aux Galiléens qui soutenaient son pouvoir. Aux brigandages et aux tueries se joignirent les épouvantables débordements de cette race à moitié idolâtre qui avait remplacé, au temps des rois Assyriens, les tribus d’Israël (4 Reg. 15, 29 ; 17, 6, 18, 23-41), et n’avait pris souvent du judaïsme qu’un fonds de superstition mélangé aux coutumes et aux vices de ses pères. La fille de Sion subit alors et vit s’étaler au grand jour les ignominies dont l’avaient menacée les prophètes du Seigneur. Humiliée, révoltée, la malheureuse cité voulut chercher à secouer son joug (Jos. De bell. 4, 7, 9).

Or, en ces jours, un voleur fameux ravageait l’Idumée, ruinant les villes et les bourgades, piétinant et brûlant les moissons, scrutant Édom, selon l’expression du prophète Abdias (Abd. 5, 6), et le fouillant jusqu’en ses entrailles. C’était Simon, fils de Gioras. Appelant à lui les esclaves, les malfaiteurs, les proscrits de toute sorte, les mécontents de tous les partis, il s’était fait une troupe de plus de vingt mille hommes pesamment armés, sans compter quarante mille autres qui le suivaient. Tel fut l’étrange Messie sur lequel Jérusalem jeta les yeux pour lui venir en aide. Une députation, présidée par un pontife, vint offrir la principauté au fils de Gioras. Celui-ci daigna consentir ; fier et hautain, raconte Josèphe (Ubi supra), il agréa l’hommage de Sion suppliante, et fut introduit dans la ville de David, aux acclamations d’un peuple enthousiaste proclamant défenseur et sauveur Simon le meurtrier, Simon le bandit ! O Jésus, fils de David et Fils de Dieu, comme vous êtes vengé à cette heure ! Ils le voulaient, ils l’avaient dit : « Non pas lui, mais Barabbas (s. Jean 17, 40) ! » Le choix fait par les fils répond aux préférences des pères ; Bar-Gioras acquittera dignement la dette de son prédécesseur et la sienne. Une fois entré dans la place, il traite en ennemis indistinctement ceux qui l’ont appelé et ceux contre lesquels ils avaient imploré sa venue. Massacrant jour et nuit, sa horde sauvage achève d’enlever à la population de Jérusalem ce qui pouvait lui rester encore d’hommes de mérite ou d’un crédit quelconque (Jos. De bell. 7, 8).

Cependant les Galiléens, chassés de Sion et de la ville basse par les nouveaux arrivants, s’étaient repliés sur le Temple, dont ils occupaient la première enceinte. Les Zélateurs, de plus en plus en désaccord avec Jean de Giscala, se fortifièrent de leur côté dans le Temple intérieur. Moins nombreux que les deux autres partis, ils étaient défendus par leur situation dominante au sommet de la sainte montagne, et ne manquaient de rien, grâce aux prémices et aux oblations livrées sans défense à leurs mains souillées ; on les voyait passer le temps à s’enivrer et à faire bonne chère, pendant que les pierres lancées par les machines des Galiléens venaient devant eux frapper les prêtres jusque sur l’autel, et remplissaient de morts et de mourants les parvis sacrés. Sacrilège et ivrognerie, tel était donc le dernier mot de ces descendants des austères Pharisiens (Jos. De bell. 5, 1) ! Ici encore le Christ était vengé.

L’abomination de la désolation prédite par Daniel régnait dans le lieu saint (s. Matth. 24, 15). Jean de Giscala, assuré contre un retour offensif des Zélateurs par l’engourdissement où les plongeaient leurs festins copieux, tombait pendant ce temps comme un oiseau de proie sur la ville pour y chercher sa subsistance, mettant le feu, par haine de Simon, à ce qu’il ne pouvait emporter. Simon alors, au lieu d’éteindre l’incendie, l’étendait au contraire à tous les quartiers qui se trouvaient à portée des incursions de Jean, dans l’espoir de rendre impossible une autre fois le ravitaillement des Galiléens. D’immenses magasins de blé et d’autres provisions que la prudence des chefs de la nation avait entassées dans la pensée du siège à venir, furent ainsi anéantis par ces deux hommes plus funestes à leur patrie que les Romains eux-mêmes. Ainsi se passa cette année 69, année de répit du côté de Rome déchirée par ses propres dissensions, et qui eût pu être si précieuse (Jos. ubi supra).

Il ne restait plus dans la ville que des vieillards et des femmes en dehors des bandes armées, lorsque l’approche de la Pâque de 70 produisit comme une trêve entre les partis. Jérusalem, épuisée d’habitants, se remplit de nouveau d’une multitude immense dépassant de beaucoup le chiffre de sa population ordinaire. À la suite du saccagement par l’ennemi des provinces juives, après les douleurs de Sion punie de ses mains plus cruellement encore, c’était la nation tout entière (Jos. De bell. 6, 9) qui accourait des quatre vents du monde au rendez-vous de la vengeance suprême. Tout entière elle avait de même été présente à la consommation du déicide ; la prédication des Apôtres n’avait pu lui arracher le désaveu de sa complicité dans le crime du Calvaire, et l’effrayante leçon des derniers événements ne l’avait pas éclairée davantage. Comme dans les jours de cette Pâque si salutaire aux hommes, si fatale à Juda, comme à la Pentecôte qui suivit, elle se retrouvait rassemblée de tous les pays qui sont sous le ciel (Act. 2, 5) ; non plus cette fois pour entendre prêcher la pénitence (Act. 2, 38), mais pour subir l’extermination annoncée par Moïse et rappelée par saint Pierre à quiconque refuserait d’écouter le Messie du Seigneur (Ibid. 3, 22-23).

Ainsi que l’Homme-Dieu l’avait dit, le jour fatal tomba subitement et comme un filet sur cette foule (s. Luc 21, 34-35). L’empire était aux mains de Vespasien, la fortune romaine se rétablissait partout aux frontières, et Titus venait d’arriver à Césarée, chargé d’en finir du côté de l’Orient. Il envoya aux légions de Judée l’ordre d’opérer simultanément, des divers points qu’elles occupaient, leur concentration sur la capitale. Quand la dixième légion, venant de Jéricho, parut sur le mont des Oliviers, à la place même d’où Jésus pleurant sur Jérusalem avait prédit ce siège qui devait être sa ruine, la soudaineté imprévue de l’arrivée des Romains jeta la stupeur dans les rangs des pèlerins de la Pâque et changea les apprêts de la fête en dispositions belliqueuses. Mais vainement les partis, oubliant pour ce jour-là leurs querelles et unissant leurs forces, essayèrent-ils en deux sorties furieuses d’empêcher l’ennemi d’établir son camp sur la montagne : ils furent deux fois rejetés sur la ville (Jos. De bell. 5, 2).

La Pâque qui se lève est bien pourtant toujours, et plus que jamais, le passage du Seigneur ; mais le Seigneur n’y conduit plus les fils de Jacob à la délivrance. Juda s’est fait l’ennemi de l’Agneau dont le sang doit marquer les rachetés de la Pâque. Quand le sang de cet Agneau divin inonde déjà toute la terre délivrée, quand la lumière du vainqueur de la mort illumine le monde, Juda n’en prétend pas moins garder encore ses figures et ses ombres ; plus endurci que l’Égyptien, plus criminel que Pharaon, s’il le pouvait, il enserrerait le véritable Israël dans les réseaux de sa loi d’esclavage, comme naguère il eût voulu retenir captif au tombeau le vrai Fils de Dieu. Mais le Seigneur s’est délivré dès longtemps, et, plus terrible qu’en Mesraïm, il passe aujourd’hui comme le vengeur de lui-même et de son Église ; et la Pâque, la fête des fêtes, dont chaque Dimanche ramène le vivant souvenir, reçoit aujourd’hui son dernier complément. « Qu’il sera terrible, disions-nous, le passage du Seigneur dans Jérusalem, lorsque l’épée romaine le suivra, exterminant à droite et à gauche un peuple tout entier (Au mardi de Pâques) ! »

« Malheur à toi, Ariel! Ariel, ville de David, qui fus longtemps comme l’autel du Seigneur, tes années ont passé, tes fêtes ont fini leur cours (Isaï. 29, 1). Les Psaumes, dans ta bouche, ont perdu leur sens ; ta lyre est faussée ; silence au bruit discordant de ces vains cantiques (Amos 5, 23) ! Le chant du deuil a retenti dans Israël (Ibid. 1) ; voix de lamentation dans toutes les places ! partout on entend : Malheur, malheur (Ibid. 16) ! »

Présage en effet terrible entre tous, sinistre annonce de l’accomplissement des anciens oracles : depuis la fête des Tabernacles de l’année 62, un homme étrange venu de la campagne, le paysan qu’appelait le prophète Amos, l’homme habile dans la science des lamentations (Ibid.), n’a point cessé de parcourir les rues de la cité maudite, criant jour et nuit : « Voix de l’Orient, voix de l’Occident, voix des quatre vents, voix sur Jérusalem et sur le Temple, voix sur les nouveaux époux et les nouvelles épouses, voix sur tout le peuple ! » Poursuivi, interrogé, frappé de verges, on a vu sa chair voler en lambeaux, ses os mis à nu, sans qu’il défaillît dans l’accomplissement de son effrayant ministère. Mais c’était surtout dans les fêtes, que le lugubre enthousiasme de ce précurseur des vengeances du fils de l’homme redoublait d’énergie, et donnait une vigueur surhumaine à ses accents. À chaque parole de bienveillance ou d’injure, à tout traitement bon ou mauvais, sans remercier ni se plaindre, il reprenait d’un ton toujours plus lamentable : « Malheur, malheur à Jérusalem ! » Enfin après sept ans et cinq mois durant lesquels jamais sa voix ne fut affaiblie ni enrouée, parcourant les murailles en vue des Romains dans les premiers jours du siège, et répétant toujours : « Malheur à la ville et au Temple, malheur au peuple », on l’entendit ajouter : « Malheur aussi sur moi ! » et il fût tué sur le coup d’une pierre lancée par une baliste (Jos. De bell. 6, 5).

Jérusalem a bu de la coupe d’assoupissement, et rien ne l’éclaire ; elle s’est enivrée au calice de la colère du Seigneur, et elle l’absorbe jusqu’à la lie (Isaï. 29, 9-14 ; 51, 17). Quelle hideuse journée que cette dernière célébration de la Pâque juive, telle que l’historien nous la montre, sacrilège et sanglante, et marquée sous l’œil de l’ennemi par le réveil des dissensions factieuses ! Les Galiléens, profitant de l’ouverture des portes aux pèlerins, s’introduisent déguisés dans le Temple intérieur, et, démasquant soudain leurs armes, ils tombent sur la foule rangée autour de l’autel ; bâtonnant, égorgeant, foulant aux pieds mourants et morts, ils la repoussent en dehors des parvis dans un tumulte indescriptible, tandis que les Zélateurs surpris, épouvantés, sont contraints eux-mêmes de céder la place et s’enfuient dans les égouts (Jos. De bell. 5, 3). Fête odieuse, et que Dieu visiblement a rejetée (Amos 5, 21) ! Malheureux peuple accouru des extrémités de la terre à cette fatale solennité ! avant de céder à son empressement, que ne s’était-il appliqué la parole du Prophète disant : « Malheur à ceux qui désirent voir le jour du Seigneur ! qu’y gagnerez-vous à ce jour ? Ce jour du Seigneur, il sera de ténèbres et non de lumière. Vous y serez comme l’homme qui, fuyant de la face du lion, rencontre un ours, et qui, s’il entre dans la maison et appuie sa main sur la muraille, est mordu d’un serpent (Ibid 18-19). » Les Romains dans leur camp, Simon dans la ville, et Jean, désormais seul maître au Temple, ont vérifié la prophétie.

De même qu’au temps de Jérémie, le glaive et la faim se disputent comme une proie toute cette multitude (Jérém. 14, 18). Car dès le commencement, grâce aux déprédations antérieures, la famine s’est montrée ; son intensité, qui croît tous les jours, excite encore les instincts sauvages des bandes armées contre quiconque n’est pas dans leurs rangs. On tue maintenant dans Sion, non plus seulement par haine, mais aussi pour voler et pour vivre. Sous prétexte de conspiration, Simon et Jean traduisent les riches à leur barre ; joignant à l’injustice l’ironie sanglante, ces deux hommes, qui ne cessent point de se faire entre eux une guerre mortelle dans les intervalles des combats contre les Romains, s’envoient mutuellement, en signe de dérisoire entente, ceux qu’ils ont dépouillés de leurs biens pour qu’il soit statué sur leur vie (Jos. De bell. 5, 10). Moins de quarante ans auparavant, dans ces mêmes rues où tous les jours les principaux du peuple juif sont ainsi traînés ignominieusement de Simon à Jean et de Jean à Simon, une autre victime devenait de même, aux applaudissements des chefs de la nation, le gage d’une réconciliation hypocrite, et se voyait renvoyée d’Hérode à Pilate sous un vêtement de dérision pour chercher sa sentence (s. Luc 23, 7-12).

Pendant que les tyrans se jouaient de la misère publique, une foule d’infortunés, que la disette contraignait de sortir de nuit dans la campagne pour tacher d’en rapporter quelques herbes sauvages, tombaient aux mains des Romains qui, se refusant à garder tant de prisonniers, les crucifiaient en vue des murs. On en prenait par jour jusqu’à cinq cents et plus ; et, détail affreux mais significatif en face du Calvaire, il arriva de leur grand nombre, dit Josèphe, que l’espace manqua pour planter les croix, et le bois pour en faire (Jos. De bell. 5, 11).

Titus avait espéré pouvoir réduire en peu de temps Jérusalem. Sans tenir compte des prophéties qui annonçaient l’investissement de la ville déicide, il avait choisi la voie des négociations et des assauts de préférence aux lenteurs du blocus. Mais ses parlementaires ne recevaient en retour de leurs paroles de paix que des injures et des flèches ; et la valeur des légions restait impuissante contre les forteresses derrière lesquelles se retranchait la rage des factieux. Après deux mois d’efforts, la ville basse, ruinée d’avance par les partis, était seule encore au pouvoir des Romains, tandis que Sion et Moriah dressaient toujours au‑dessus d’eux leurs têtes inexpugnables. Il fallut donc se résigner à remettre à plus tard Rome et ses plaisirs (Tac. Hist. 5, 11), et enserrer Jérusalem dans cette ligne puissante de circonvallation que décrit l’Évangile. L’exécution littérale du plan tracé par Dieu primait l’impatience de Titus. Les légionnaires se mirent à l’œuvre ; la bêche et la pioche remplacèrent le javelot dans leurs mains. On eût dit qu’ils avaient conscience de la parole auguste dont ils étaient en ce moment les servants fidèles : une impulsion divine les animait, dit Josèphe (Jos. De bell, 5, 12). Dans l’espace de trois jours, ils achevèrent un mur en terrassement de près de deux lieues de circuit et flanqué de redoutes, qui eût semblé demander des mois. « J’investirai Ariel, avait dit Jéhovah ; je l’entourerai comme d’un cercle de forteresses, et elle sera triste et désolée, et elle sera vraiment pour moi comme Ariel, n’étant plus dans son étendue qu’un autel qui regorge (Isaï. 29, 2-3). »

La famine prit alors d’épouvantables proportions, toute possibilité de sortie dans la campagne étant désormais enlevée aux malheureux qui avaient pu jusque-là se nourrir tant bien que mal de graines et de racines rapportées des champs au péril de leur vie (Thren. 5, 9-10). Le boisseau de blé se vendait un talent (6,000 fr.). Pendant que ceux qui pouvaient y prétendre donnaient tout ce qu’ils avaient de plus précieux pour un morceau de pain (Thren. 1, 11), la multitude cherchait dans les cloaques. On dévorait gloutonnement des détritus immondes ; on réservait en grand secret, comme un trésor, des ordures sans nom, que l’époux disputait à l’épouse et la mère à ses enfants (Deut. 28, 56-57 ; Jos. De bell. 5, 10, 12). Les factieux s’étaient ri jusque-là de la détresse du peuple ; bientôt ils sentirent eux-mêmes les atteintes du fléau. On les vit alors s’attaquer en furieux à tous ceux qui passaient pour garder des vivres ; taxant de feinte la faiblesse des mourants, dénonçant dans ceux qui marchaient encore le peu de forces qui leur restait comme un indice qu’ils détenaient par devers eux quelque aliment caché, ils torturaient d’une manière affreuse ces malheureux pour leur faire avouer leur prétendu crime. Pareils à des chiens affamés, selon l’expression commune de l’historien et du psalmiste (Jos. Ibid. 6, 3 ; Psalm. 58, 7, 15-16), ils couraient la ville, enfonçant les portes des maisons soupçonnées, furetant partout, et revenant jusqu’à deux et trois fois en une heure. Un jour, une odeur succulente, qui s’exhalait d’une maison plusieurs fois déjà visitée ainsi, frappa soudain quelques-uns d’eux ; ils se précipitent ; une femme était là, qu’ils menacent de tuer si elle ne leur livre aussitôt son festin : « C’est mon fils, leur dit-elle ; en voici les restes ! » La malheureuse était Marie, fille d’Eléazar, dame opulente naguère et d’une illustre naissance, qui, dans l’égarement de la faim, avait tué son enfant à la mamelle et s’en était nourrie (Jos. Ibid. ; Deut. 28, 53-56).

Tant d’horreurs n’arrivaient point à fléchir l’obstination féroce de Jean de Giscala et de Simon fils de Gioras. En dépit néanmoins de leurs précautions et des cruautés qu’ils exerçaient contre quiconque était soupçonné de pensées d’évasion, une foule d’assiégés gagnaient chaque jour le camp romain en se jetant du haut des murs. Titus, ému d’une si grande misère, les recevait avec bienveillance et leur rendait la liberté. Mais « Dieu, c’est Josèphe qui parle, avait condamné tout ce peuple, et il faisait que les voies mêmes de salut tournaient à sa perte (Jos. De bell. 5, 13). » Plusieurs arrivaient tellement épuisés, qu’ils trouvaient la mort en prenant une nourriture trop longtemps différée. D’autres, en plus grand nombre, tombaient sous les coups des Arabes et des Syriens qui suivaient l’armée romaine. Car le bruit s’étant répandu que quelques transfuges avalaient leur or en quittant la ville, pour le cacher plus sûrement, ces auxiliaires, étrangers à la discipline des légions et ennemis héréditaires du peuple juif, attiraient les infortunés dans des guets-apens et les dépeçaient sans pitié, dans l’espoir de trouver de la sorte à satisfaire leur avarice monstrueuse. Pendant une seule nuit on en compta deux mille dont les entrailles palpitantes furent ainsi répandues (Jos. De bell. 5, 13). C’était la mort de Judas (Act. 1, 18), le supplice de la trahison déicide. Tout ce peuple n’avait-il pas été traître, en effet, au même titre que l’apôtre infidèle ? Judas avait livré le fils de l’homme aux princes des prêtres et aux chefs de sa nation ; les Juifs le livrèrent aux païens ; et le prophète Zacharie fait porter sur eux tous la responsabilité du marché infâme qui ouvrit les scènes de la passion (Zach. 11, 12-13).

Dans la ville, les ravages de la famine dépassaient toute idée. « Aucune ville en aucun temps, dit encore l’historien juif reprenant à son insu le mot du Seigneur, ne vit jamais tribulation pareille (Jos. De bell. 5, 10 ; s. Matth. 24, 21). » En quelques mois on releva le chiffre effroyable de six cent mille morts auxquels fut encore accordé un semblant de sépulture. Quant aux autres, on ne put les compter. Car la force manqua aux survivants, et on laissa les victimes de la faim pourrir pêle-mêle dans les maisons ou sur les places.

Cependant, le 12 juillet, une épreuve plus grande frappa Jérusalem et toute la nation : faute de victimes, le sacrifice perpétuel cessa comme au temps d’Antiochus (Dan. 8, 11-13) ; mais cette fois c’était pour toujours. C’était la fin : la fin ouvertement déclarée du mosaïsme et de son culte, remplacé désormais sans conteste par le Sacrifice de la loi d’amour ; la fin à bref délai d’un siège et d’une guerre qui n’avaient plus leur raison d’être. Une douleur immense, sans compensation, succéda dans les cœurs juifs à la vaine espérance qu’y avaient maintenue jusqu’au bout les faux prophètes (Jos. De bell. 6, 5).

L’opiniâtreté de Simon et de Jean n’en rejeta pas moins, même alors, les avances de Titus qui offrait toujours d’épargner le Temple et la ville. La lutte reprit donc, implacable et sans merci. Mais la vigueur des soldats juifs ne répondait plus au fanatisme de leurs chefs ; épuisés par la faim, ils n’avaient plus la force persévérante qui eût été nécessaire pour repousser les assauts continus des Romains. Déjà la tour Antonia, qui commandait le Temple, était au pouvoir de ces derniers, et chaque jour les voyait serrer de plus près l’édifice sacré. Ses défenseurs voulurent tenter un dernier effort ; s’excitant par la considération de l’extrémité de leurs maux, ils se ruèrent par la vallée du Cédron sur la circonvallation ennemie et chargèrent avec rage le poste établi à la montagne des Oliviers. On eût dit que l’instinct de la vengeance divine qui pesait sur eux les ramenait fatalement, pour les derniers combats, à cette place de la prophétie et des pleurs du fils de l’homme où s’était de même engagée, nous l’avons vu, la première bataille. Repoussés, désespérés, en rentrant dans la ville pour n’en plus sortir, ils mirent eux-mêmes le feu aux portiques extérieurs du Temple et abandonnèrent aux Romains la première enceinte (Jos. De bell. 6, 1, 2).

Titus cependant voulait sauver le Temple à tout prix. « Mais, dit Josèphe, Dieu l’avait dès longtemps condamné au feu, et ce furent les Juifs qui de nouveau, quelque temps après, posèrent la cause de l’incendie, au jour fatal marqué par les décrets divins (Ibid. 4). » C’était le 4 août 70, un jour de sabbat, anniversaire de la première ruine du saint lieu sous Nabuchodonosor. Les gardiens du Temple exaspérés par la souffrance, hébétés par la faim, en vinrent aux prises avec les soldats qui, sur l’ordre de Titus, éteignaient à l’extérieur les restes des incendies allumés dans les jours précédents. Ils furent bientôt rejetés dans le Temple, mais cette fois n’y rentrèrent pas seuls. Pendant qu’ils tombent en foule sous le fer des Romains devenus à l’improviste les maîtres de l’enceinte intérieure, un soldat oubliant les instructions données, poussé, dit l’historien, par une force divine (Jos. De bell. 6, 4), s’empare d’un tison embrasé et le jette par une fenêtre dans une des salles attenantes au sanctuaire. La flamme éclate et se propage ; vainement Titus veut l’arrêter. De la montagne de Sion les soldats de Simon la voient s’élever jusqu’au ciel. À son apparition sinistre, affamés et blessés, tournés vers le Temple qui s’écroule, oublient leurs tortures. De toutes ces poitrines, remuées enfin d’un même sentiment, s’échappe une acclamation immense de désespoir, qui, s’unissant aux clameurs des soldats païens, retentit jusque dans les montagnes de la Pérée au delà du Jourdain et de la mer Morte. Tandis que Moriah tout en feu semble brûler jusqu’en ses fondements, le sang y lutte avec la flamme ; le nombre des tués est tel que nulle part on ne voit la terre, et qu’on marche partout sur des monceaux de cadavres. Les prêtres réfugiés sur le faite de leur Temple, les enfants et les femmes entassés par milliers dans les galeries, périssent dans les flammes avec les trésors du sanctuaire (Jos. de bell. 6, 5).

Jean de Giscala, rassemblant les débris de sa troupe, s’était fait jour à travers les bataillons ennemis et avait rejoint Simon dans la ville haute. La lutte devait s’y prolonger quelques semaines encore ; mais c’était l’agonie. Le 1er septembre, Sion était prise, saccagée et brûlée comme Moriah, comme la ville basse. La prédiction de notre Évangile était accomplie. Jérusalem, renversée à terre elle et ses fils, n’était plus qu’un amas de décombres fumants. Onze cent mille hommes avaient péri durant le siège. De quatre-vingt-dix-sept mille prisonniers faits dans toute la guerre, sept cents furent triés pour le triomphe du vainqueur ; ceux des autres qui passaient dix-sept ans furent envoyés aux mines ou réservés pour l’amphithéâtre ; le reste alimenta quelque temps les marchés d’esclaves de l’empire (Ibid. 9).

L’Église, dans l’Offertoire, se félicite pour ses fils du soin qu’ils mettent, par la grâce de l’Époux, à observer les commandements du Seigneur. C’est leur obéissance qui fait que les jugements de Dieu, si terribles pour la synagogue, ne sont pour elle que joie et douceur.

Offertoire

Les ordonnances du Seigneur sont droites ; elles réjouissent les cœurs, et ses jugements sont plus doux que le miel le meilleur ; car votre serviteur garde ces lois.

La Secrète implore de Dieu, pour les enfants de l’Église, la grâce d’assister dignement au Sacrifice qui renouvelle chaque fois réellement l’œuvre du salut de tous.

Secrète

Accordez-nous, Seigneur, nous vous en supplions, de célébrer dignement ces sacrés Mystères ; car toutes les fois qu’est offert ce Sacrifice commémoratif, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

L’Antienne de la Communion formule le mystère de l’union divine réalisée dans le Sacrement.

Communion

Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui, dit le Seigneur.

La sanctification des individus et l’unité du corps social sont les deux fruits des sacrés Mystères. L’Église les demande à Dieu dans la Post-communion.

Postcommunion

Nous vous en supplions, Seigneur : que la communion de votre Sacrement nous purifie et nous donne l’unité. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Autres liturgies

Les manuscrits provenant des abbayes d’Epternach et de Prum nous donnent cette antique Séquence, appropriée aux sentiments que doit inspirer à toute âme le récit des vengeances de Dieu sur Jérusalem.

Séquence

O vous qui gouvernez les célestes royaumes,

L’unique consolation de ceux qui souffrent ; vous qui pleurez sur les murs condamnés de la triste Jérusalem :

Délivrez-nous de la vraie ruine, faites que nos pleurs préviennent les vôtres.

O âme mille fois malheureuse désignée par ces pleurs, c’est le dernier de tes jours, lamentable à jamais, qu’ici tu célèbres !

Ne me cache pas, pour ton malheur, ces temps qui viendront : ne t’expose pas aux châtiments de ce jour funeste.

Fais que tu n’aies pas, serrée des retranchements ennemis, pressée d’angoisses, à chercher où te cacher.

Jetée à terre, remparts détruits, n’aie pas à gémir écrasée sous tes ruines :

Pour avoir, ignorant la visite du Seigneur à cette heure, suivi avidement tes plaisirs.

Écrie-toi : J’ai péché, je reconnais mon crime, qu’il me soit fait grâce miséricordieuse.

À vous enfin nous accourons, voulant échapper à ces maux : Seigneur, donnez-vous à nous pour refuge ;

Nous vous rendrons grâces dans tous les siècles.

L’ancienne Préface romaine de ce jour ne s’éloigne pas du même ordre de considérations.

Préface

C’est une chose vraiment digne de vous rendre grâces, Dieu éternel, et d’implorer votre miséricorde de toutes les forces de notre âme, afin que nous ne soyons pas condamnés pour notre iniquité, mais mis et maintenus par votre bonté dans la voie droite. Ainsi n’aurons-nous pas à subir la colère méritée pour nos crimes, mais à bénéficier du secours que notre faiblesse tiendra de votre invincible bonté.