6 janvier
L’Épiphanie de Notre Seigneur

Dom Guéranger ~ L’année liturgique
L’Épiphanie de Notre-Seigneur

Les premières vêpres de l’Épiphanie
Le jour de l’Épiphanie
À la messe
Les secondes vêpres de l’Épiphanie
Autres liturgies

 

La fête de l’Épiphanie est la suite du mystère de Noël ; mais elle se présente, sur le cycle chrétien, avec une grandeur qui lui est propre. Son nom, qui signifie Manifestation, indique assez qu’elle est destinée à honorer l’apparition d’un Dieu au milieu des hommes.

Ce jour, en effet, fut consacré durant plusieurs siècles à fêter la naissance du Sauveur ; et lorsque, vers l’an 376, les décrets du Saint-Siège obligèrent toutes les Églises à célébrer désormais, avec Rome, le mystère de la nativité au 25 décembre, le 6 janvier ne fut pas entièrement déshérité de son antique gloire. Le nom d’Épiphanie lui resta avec la glorieuse mémoire du baptême de Jésus-Christ, dont une tradition fixe l’anniversaire à ce jour.

L’Église grecque donne à cette fête le vénérable et mystérieux nom de Théophanie, si célèbre dans l’antiquité pour signifier une apparition divine. On trouve ce nom dans Eusèbe, dans saint Grégoire de Nazianze, dans saint Isidore de Péluse ; il est le propre titre de la fête dans les livres liturgiques de l’Église grecque.

Les Orientaux appellent encore cette solennité les saintes lumières, à cause du baptême que l’on conférait autrefois en ce jour, en mémoire du baptême de Jésus-Christ dans le Jourdain. On sait que le baptême est appelé dans les pères illumination, et ceux qui l’ont reçu illuminés.

Enfin, nous nommons familièrement, en France, cette fête la fête des rois, en souvenance des mages, dont la venue à Bethléhem est particulièrement solennisée aujourd’hui.

L’Épiphanie partage avec les fêtes de Noël, de Pâques, de l’Ascension et de la Pentecôte, l’honneur d’être qualifiée de jour très saint, au canon de la messe ; et on la range parmi les fêtes cardinales, c’est-à-dire parmi les solennités sur lesquelles repose l’économie de l’année liturgique. Une série de six dimanches emprunte d’elle son nom, comme d’autres successions dominicales se présentent sous le titre de dimanches après Pâques, dimanches après la Pentecôte.

Par suite de la convention faite en 1801 entre Pie VII et le gouvernement français, le légat Caprara procéda à une réduction des fêtes, et la piété des fidèles en vit, à regret, supprimer un grand nombre. Il y eut des solennités qui ne furent pas supprimées, mais dont la célébration fut remise au dimanche suivant. L’Épiphanie est de celles qui subirent ce sort ; et toutes les fois que le 6 janvier n’est pas un dimanche, nos églises voient retarder jusqu’au dimanche suivant les pompes qui accompagnent un si grand jour dans tout l’univers catholique. Espérons que des jours meilleurs luiront enfin sur notre Église, et qu’un avenir plus heureux nous rendra les joies dont la sage condescendance du Saint-Siège nous a sevrés pour un temps.

Ce jour de l’Épiphanie du Seigneur est donc véritablement un grand jour ; et l’allégresse dans laquelle nous a plongés la nativité du divin enfant doit s’épanouir, tout de nouveau, dans cette solennité. En effet, ce second rayonnement de la fête de Noël nous montre la gloire du Verbe incarné dans une splendeur nouvelle ; et sans nous faire perdre de vue les charmes ineffables du divin enfant, il manifeste dans tout l’éclat de sa divinité le Sauveur qui nous a apparu dans son amour. Ce ne sont plus seulement les bergers qui sont appelés par les anges à reconnaître le Verbe fait chair, c’est le genre humain, c’est la nature entière que la voix de Dieu même convie à l’adorer et à l’écouter.

Or, dans les mystères de sa divine Épiphanie, trois rayons du soleil de justice descendent jusqu’à nous. Ce sixième jour de janvier, sur le cycle de Rome païenne, fut assigné à la célébration du triple triomphe d’Auguste, auteur et pacificateur de l’Empire ; mais lorsque notre roi pacifique, dont l’empire est sans limites et pour jamais, eut décidé, par le sang de ses martyrs, la victoire de son Église, cette Église jugea, dans la sagesse du ciel qui l’assiste, qu’un triple triomphe de l’empereur immortel devait remplacer, sur le cycle régénéré, les trois triomphes du fils adoptif de César.

Le six janvier restitua donc au vingt-cinq décembre la mémoire de la naissance du Fils de Dieu ; mais, en retour, trois manifestations de la gloire du Christ vinrent s’y réunir dans une même Épiphanie : le mystère des mages, venus d’Orient sous la conduite de l’étoile, pour honorer la royauté divine de l’enfant de Bethléhem ; le mystère du baptême du Christ, proclamé Fils de Dieu, dans les eaux du Jourdain, par la voix même du Père céleste ; enfin le mystère de la puissance divine de ce même Christ, transformant l’eau en vin, au festin symbolique des noces de Cana.

Le jour consacré à la mémoire de ces trois prodiges est-il en même temps l’anniversaire de leur accomplissement ? Cette question est débattue entre les savants. Dans ce livre, où notre but n’est autre que de favoriser la piété des fidèles, nous n’entrerons point dans ces discussions purement critiques ; nous nous contenterons de dire que l’adoration des mages a eu lieu en ce jour même, d’après le sentiment si grave de Baronius, de Suarez, de Théophile Raynaud, d’Honoré de Sainte-Marie, du cardinal Gotti, de Sandini, et d’une infinité d’autres, à l’opinion desquels se joint expressément le suffrage éclairé de Benoît XIV. Le baptême du Christ, au six janvier, est un fait reconnu par les critiques les plus exigeants, par Tillemont lui-même, et qui n’a été contesté que par une imperceptible minorité d’écrivains. Quant au miracle des noces de Cana, la certitude du jour précis de son accomplissement est moins grande, bien qu’il soit impossible de démontrer que ce prodige n’ait pas eu lieu le six janvier. Mais il suffit aux enfants de l’Église que leur Mère ait fixé la mémoire de ces trois manifestations dans la fête d’aujourd’hui, pour que leurs cœurs applaudissent aux triomphes du divin Fils de Marie.

Si nous considérons maintenant en détail le multiple objet de la solennité, nous remarquons d’abord que l’adoration des mages est celui des trois mystères que la sainte Église Romaine honore aujourd’hui avec le plus de complaisance. La majeure partie des chants de l’office et de la messe est employée à le célébrer ; et les deux grands docteurs du siège apostolique, saint Léon et saint Grégoire, ont paru vouloir y insister presque uniquement, dans leurs homélies sur cette fête, quoiqu’ils confessent avec saint Augustin, saint Paulin de Nole, saint Maxime de Turin, saint Pierre Chrysologue, saint Hilaire d’Arles, et saint Isidore de Séville, la triplicité du mystère de l’Épiphanie. La raison de la préférence de l’Église romaine pour le mystère de la vocation des Gentils, vient de ce que ce grand mystère est souverainement glorieux à Rome, qui, de chef de la gentilité qu’elle était jusqu’alors, est devenue le chef de l’Église chrétienne et de l’humanité, par la vocation céleste qui appelle en ce jour tous les peuples à l’admirable lumière de la foi, en la personne des mages.

L’Église grecque ne fait point aujourd’hui une mention spéciale de l’adoration des mages ; elle a réuni ce mystère à celui de la naissance du Sauveur dans ses offices pour le jour de Noël. Toutes ses louanges, dans la présente solennité, ont pour objet unique le baptême de Jésus-Christ.

Ce second mystère de l’Épiphanie est célébré en commun avec les deux autres par l’Église latine, au six janvier. Il en est fait plusieurs fois mention dans l’office d’aujourd’hui ; mais la venue des mages au berceau du Roi nouveau-né attirant surtout l’attention de Rome chrétienne en cette journée, il a été nécessaire, pour que le mystère de la sanctification des eaux fût dignement honoré, d’en attacher la mémoire à un autre jour. L’octave de l’Épiphanie a été choisie par l’Église d’Occident pour honorer spécialement le baptême du Sauveur.

Le troisième mystère de l’Épiphanie étant aussi un peu offusqué par l’éclat du premier, quoiqu’il soit plusieurs fois rappelé dans les chants de la fête, sa célébration spéciale a été pareillement remise à un autre jour, savoir au deuxième dimanche après l’Épiphanie.

Plusieurs Églises ont réuni au mystère du changement de l’eau en vin celui de la multiplication des pains, qui renferme en effet plusieurs analogies avec le premier, et dans lequel le Sauveur manifesta pareillement sa puissance divine ; mais l’Église romaine, en tolérant cet usage dans les rites ambrosien et mozarabe, ne l’a jamais reçu, pour ne pas déroger au nombre de trois qui doit marquer sur le cycle les triomphes du Christ, au six janvier ; et aussi parce que saint Jean nous apprend, dans son Évangile, que le miracle de la multiplication des pains eut lieu aux approches de la fête de Pâques : ce qui ne pourrait convenir en aucune façon à l’époque de l’année où l’on célèbre l’Épiphanie.

Pour la disposition des matières, dans cette solennité, nous garderons l’ordre suivant. Aujourd’hui, nous honorerons avec l’Église les trois mystères à la fois ; dans le cours de l’octave, nous contemplerons le mystère de la venue des mages ; nous vénérerons le baptême du Sauveur, au jour même de l’octave ; et nous traiterons le mystère des noces de Cana, au deuxième dimanche après la fête, jour auquel l’Église a réuni, dans ces derniers temps, avec une parfaite harmonie, la solennité du très saint nom de Jésus.

Livrons-nous donc tout entiers à l’allégresse d’un si beau jour ; et dans cette fête de la Théophanie, des saintes Lumières, des Rois mages, considérons avec amour l’éblouissante lumière de notre divin Soleil qui monte à pas de géant, comme dit le psalmiste [1], et qui verse sur nous les flots d’une lumière aussi douce qu’éclatante. Déjà les bergers accourus à la voix de l’ange ont vu renforcer leur troupe fidèle ; le prince des martyrs, le disciple Bien-Aimé, la blanche cohorte des Innocents, le glorieux Thomas, Silvestre, le Patriarche de la paix, ne sont plus seuls à veiller sur le berceau de l’Emmanuel ; leurs rangs s’ouvrent pour laisser passer les rois de l’Orient, porteurs des vœux et des adorations de l’humanité entière. L’humble étable est devenue trop étroite pour un tel concours ; et Bethléhem apparaît vaste comme l’univers. Marie, le Trône de la divine Sagesse, accueille tous les membres de cette cour avec son gracieux sourire de mère et de reine ; elle présente son Fils aux adorations de la terre et aux complaisances du ciel. Dieu se manifeste aux hommes, parce qu’il est grand ; mais il se manifeste par Marie, parce qu’il est miséricordieux.

Nous trouvons dans les premiers siècles de l’Église deux événements remarquables qui ont signalé la grande journée qui nous rassemble aux pieds du roi pacifique. Le six janvier 361, le César Julien, déjà apostat dans son cœur, à la veille de monter sur le trône impérial que bientôt la mort de Constance allait laisser vacant, se trouvait à Vienne dans les Gaules. Il avait besoin encore de l’appui de cette Église chrétienne dans laquelle on disait même qu’il avait reçu le degré de lecteur, et que cependant il se préparait à attaquer avec toute la souplesse et toute la férocité du tigre. Nouvel Hérode, artificieux comme l’ancien, il voulut aussi, dans ce jour de l’Épiphanie, aller adorer le roi nouveau-né. Au rapport de son panégyriste Ammien Marcellin, on vit le philosophe couronné sortir de l’impie sanctuaire où il consultait en secret les aruspices, puis s’avancer sous les portiques de l’église, et au milieu de l’assemblée des fidèles, offrir au Dieu des chrétiens un hommage aussi solennel que sacrilège.

Onze ans plus tard, en 372, un autre empereur pénétrait aussi dans l’église, en cette même solennité de l’Épiphanie. C’était Valens, chrétien par le baptême comme Julien, mais persécuteur, au nom de l’arianisme, de cette même Église que Julien poursuivait au nom de ses dieux impuissants et de sa stérile philosophie. La liberté évangélique d’un saint évêque abattit Valens aux pieds du Christ Roi, en ce même jour où la politique avait contraint Julien de s’incliner devant la divinité du Galiléen.

Saint Basile sortait à peine de son célèbre entretien avec le préfet Modestus, dans lequel il avait vaincu toute la force du siècle par la liberté de son âme épiscopale. Valens arrive à Césarée, et, l’impiété arienne dans le cœur, il se rend à la basilique où le pontife célébrait avec son peuple la glorieuse Théophanie. « Mais, comme le dit éloquemment saint Grégoire de Nazianze, à peine l’empereur a-t-il franchi le seuil de l’enceinte sacrée, que le chant des psaumes retentit à ses oreilles comme un tonnerre. Il contemple avec saisissement la multitude du peuple fidèle, semblable à une mer. L’ordre, la pompe du sanctuaire éclatent à ses yeux d’une majesté plus angélique qu’humaine. Mais ce qui l’émeut plus que tout le reste, c’est cet archevêque debout en présence de son peuple, le corps, les yeux, l’esprit aussi fermes que si rien de nouveau ne se fût passé ; tout entier à Dieu et à l’autel. Valens considère aussi les ministres sacrés, immobiles dans le recueillement, remplis de la sainte frayeur des mystères. Jamais l’empereur n’avait assisté à un spectacle si auguste ; sa vue s’obscurcit, sa tête tourne, son âme est saisie d’étonnement et d’horreur. »

Le roi des siècles, Fils de Dieu et Fils de Marie, avait vaincu. Valens sentit s’évanouir ses projets de violence contre le saint évêque ; et si, dans ce moment, il n’adora pas le Verbe consubstantiel au Père, du moins il confondit ses hommages extérieurs avec ceux du troupeau de Basile. Au moment de l’offrande, il s’avança vers la barrière sacrée, et présenta ses dons au Christ en la personne de son pontife. La crainte que Basile ne les voulût pas recevoir agitait si violemment le prince, que la main des ministres du sanctuaire dut le soutenir pour qu’il ne tombât pas, dans son trouble, au pied même de l’autel.

Ainsi, dans cette grande solennité, la royauté du Sauveur nouveau-né a-t-elle été honorée par les puissants de ce monde qu’on a vus, selon la prophétie du psaume, abattus, et léchant la terre à ses pieds [2].

Mais de nouvelles générations d’empereurs et de rois devaient venir qui fléchiraient les genoux, et présenteraient au Christ-Seigneur l’hommage d’un cœur dévoué et orthodoxe. Théodose, Charlemagne, Alfred le Grand, Étienne de Hongrie, Édouard le Confesseur, Henri II l’Empereur, Ferdinand de Castille, Louis IX de France, tinrent ce jour en grande dévotion ; et leur ambition fut de se présenter avec les rois mages aux pieds du divin enfant, et de lui ouvrir comme eux leurs trésors. L’usage s’était même conservé à la cour de France jusqu’à l’an 1378 et au delà, comme en fait foi le continuateur de Guillaume de Nangis, que le roi très chrétien, venant à l’offrande, présentât de l’or, de l’encens et de la myrrhe, comme un tribut à l’Emmanuel.

Mais cette représentation des trois mystiques présents des mages n’était pas seulement usitée à la cour des rois : la piété des fidèles au moyen âge présentait aussi au prêtre pour qu’il les bénît, en la fête de l’Épiphanie, de l’or, de l’encens et de la myrrhe ; et l’on conservait en l’honneur des trois rois ces signes touchants de leur dévotion envers le Fils de Marie, comme un gage de bénédiction pour les maisons et pour les familles. Cet usage s’est conservé encore en quelques diocèses d’Allemagne, et il n’a disparu du Rituel Romain que dans l’édition de Paul V, qui crut devoir supprimer plusieurs bénédictions, que la piété des fidèles ne réclamait plus que rarement.

Un autre usage a subsisté plus longtemps, inspiré aussi par la piété naïve des âges de foi. Pour honorer la royauté des mages venus de l’Orient vers l’enfant de Bethléhem, on élisait au sort, dans chaque famille, un roi pour cette fête de l’Épiphanie. Dans un festin animé d’une joie pure, et qui rappelait celui des noces de Galilée, on rompait un gâteau ; et l’une des parts servait à désigner le convive auquel était échue cette royauté d’un moment. Deux portions du gâteau étaient détachées pour être offertes à l’enfant Jésus et à Marie, en la personne des pauvres, qui se réjouissaient aussi en ce jour du triomphe du roi humble et pauvre. Les joies de la famille se confondaient encore une fois avec celles de la religion ; les liens de la nature, de l’amitié, du voisinage, se resserraient autour de cette table des Rois ; et si la faiblesse humaine pouvait apparaître quelquefois dans l’abandon d’un festin, l’idée chrétienne n’était pas loin, et veillait au fond des cœurs.

Heureuses encore aujourd’hui les familles au sein desquelles la fête des Rois se célèbre avec une pensée chrétienne ! Longtemps, un faux zèle a déclamé contre ces usages naïfs dans lesquels la gravité des pensées de la foi s’unissait aux épanchements de la vie domestique ; on a attaqué ces traditions de famille sous le prétexte du danger de l’intempérance, comme si un festin dépourvu de toute idée religieuse était moins sujet aux excès. Par une découverte assez difficile, peut-être, à justifier, on est allé jusqu’à prétendre que le gâteau de l’Épiphanie, et la royauté innocente qui l’accompagne, n’étaient qu’une imitation des saturnales païennes : comme si c’était la première fois que les anciennes fêtes païennes auraient eu à subir une transformation chrétienne. Le résultat de ces poursuites imprudentes devait être et a été, en effet, sur ce point comme sur tant d’autres, d’isoler de l’Église les mœurs de la famille, d’expulser de nos traditions une manifestation religieuse, d’aider à ce qu’on appelle la sécularisation de la société. Dans une grande partie de la France, le festin des Rois est resté ; et l’intempérance a seule désormais la charge d’y présider.

Mais retournons contempler le triomphe du royal enfant dont la gloire resplendit en ce jour avec tant d’éclat. La sainte Église va nous initier elle-même aux mystères que nous avons à célébrer. Revêtons-nous de la foi et de l’obéissance des mages ; adorons, avec le précurseur, le divin agneau au-dessus duquel s’ouvrent les cieux ; prenons place au mystique festin de Cana, auquel préside notre roi trois fois manifesté, et trois fois glorieux. Mais, dans les deux derniers prodiges, ne perdons pas de vue l’enfant de Bethléhem, ne cessons pas non plus de voir le grand Dieu du Jourdain, et le maître des éléments.

L’Église prélude à la solennité de l’Épiphanie par le chant des premières vêpres.

Les premières vêpres de l’Épiphanie

  1. Ant. Engendré avant les siècles, le Seigneur, notre Sauveur, apparaît aujourd’hui au monde.
  2. Ant. Ta lumière a brillé, ô Jérusalem, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi, et les nations marcheront à ta lumière. Alléluia.
  3. Ant. Les mages, ouvrant leurs trésors, offrirent au Seigneur l’or, l’encens et la myrrhe. Alléluia.
  4. Ant. Mers et fleuves sanctifiés aujourd’hui, bénissez le Seigneur ; fontaines, chantez l’hymne au Seigneur. Alléluia.
  5. Ant. Cette étoile brille comme une flamme, et manifeste le Dieu, roi des rois ; les mages l’ont vue et sont venus offrir leurs présents au grand roi.

La sainte Église, après avoir ainsi célébré la puissance donnée au divin enfant sur les rois, dont il brisera la tête, au jour de sa colère ; son alliance avec les nations qu il donnera en héritage à son Église ; sa lumière qui s’est levée au milieu des ténèbres ; son nom proclamé de l’aurore au couchant ; après avoir, en ce jour de la vocation des Gentils, invité toutes les nations, tous les peuples, à louer la miséricorde et la Vérité éternelles, s’adresse à Jérusalem, figure de l’Église, et l’appelle, par la bouche d’Isaïe, à jouir de la lumière qui se lève aujourd’hui sur la race humaine tout entière.

Capitule (Isaïe, 60.)

Lève-toi, Jérusalem ! sois illuminée ; car ta lumière est venue, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.

L’hymne vient ensuite ; et c’est ce beau cantique de Sédulius dont nous avons chanté les premières strophes dans les laudes de Noël. L’Église y célèbre les trois Épiphanies. Bethléhem, le Jourdain et Cana témoignent tour à tour de la gloire du grand roi Jésus.

Hymne

Cruel Hérode, que crains-tu de l’arrivée d’un Dieu qui vient régner ? Il ne ravit pas les sceptres mortels, lui qui donne les royaumes célestes.

Les mages s’avançaient, suivant l’étoile qu’ils avaient vue et qui marchait devant eux : la lumière les conduit à la Lumière ; leurs présents proclament un Dieu.

Le céleste agneau a touché l’onde du lavoir de pureté ; dans un bain mystique, il lave en nous des péchés qu’il n’a point commis.

Nouveau prodige de puissance ! L’eau rougit dans les vases du festin ; docile, et changeant sa nature, elle s’écoule en flots de vin.

Ô Jésus ! qui vous révélez aux Gentils, gloire à vous, avec le Père et l’Esprit divin, dans les siècles éternels !

Amen.

V/. les rois de Tharsis et des îles lointaines lui offriront des présents. R/. Les rois de l’Arabie et de Saba lui apporteront des dons.

Antienne de Magnificat

Les mages, voyant l’étoile, se dirent l’un à l’autre : Voici le signe du grand roi ; allons à sa recherche, et offrons-lui en présent l’or, l’encens et la myrrhe. Alléluia.

Collecte

Ô Dieu, qui avez manifesté aujourd’hui, par une étoile, votre Fils unique aux Gentils : faites, dans votre bonté, que nous qui vous connaissons déjà par la foi, nous arrivions un jour à contempler l’éclat de votre gloire. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur.

Les chants de l’Église en l’honneur de l’auguste théophanie sont commencés. Demain, l’offrande du grand sacrifice viendra réunir tous les vœux ; achevons cette journée dans le recueillement et l’allégresse.

L’office des matines est d’une grande magnificence ; mais comme il n’est pas fréquenté par les fidèles, nous nous abstiendrons d’en reproduire ici les particularités. Dans l’Église de Milan, les matines de l’Épiphanie sont célébrées la nuit comme celles de Noël, et se composent pareillement de trois nocturnes, contre l’usage de la liturgie ambrosienne qui n’a ordinairement qu’un seul nocturne à matines. Le peuple y assiste avec un grand concours : et cette sainte veille est presque aussi fréquentée que celle de la naissance du Sauveur.

Le jour de l’Épiphanie

Le jour des mages, le jour du baptême, le jour du festin nuptial est arrivé ; les trois puissants rayons du Soleil de justice luisent sur nous. Les ténèbres matérielles sont aussi moins épaisses ; la nuit a déjà perdu de son empire, la lumière progresse de jour en jour. Dans son humble berceau, les membres sacrés du divin enfant prennent accroissement et force. Aux bergers, Marie le fit voir étendu dans la crèche ; aux mages, elle va le présenter sur ses bras maternels. Les présents que nous avons à lui offrir doivent être préparés : suivons donc nous aussi l’étoile, et mettons-nous en marche pour Bethléhem, la Maison du Pain de vie.

À la messe

À Rome, la station est à Saint-Pierre, au Vatican, près de la tombe du prince des apôtres, à qui toutes les nations ont été données en héritage dans le Christ.

L’Église ouvre les chants de la messe solennelle en proclamant l’arrivée du grand roi que la terre attendait, et sur la naissance duquel les mages sont venus consulter les oracles prophétiques, en Jérusalem.

Introït

Il est venu, le souverain Seigneur ; il tient dans sa main le règne, la puissance et l’empire. Ps. Ô Dieu, donnez au Roi la science du jugement, et au Fils du Roi le soin de votre justice. Gloire au Père. Il est venu.

Après le cantique des anges, la sainte Église, toute réjouie des splendeurs de l’étoile qui conduit la Gentilité au berceau du divin roi, implore, dans la collecte, la grâce de contempler cette lumière vivante pour laquelle la foi nous prépare, et dont la splendeur nous illuminera éternellement.

Collecte

Ô Dieu, qui avez manifesté aujourd’hui, par une étoile, votre Fils unique aux Gentils : faites, dans votre bonté, que, vous connaissant déjà par la foi, nous arrivions un jour à contempler l’éclat de votre gloire. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur.

Épître
Lecture du prophète Isaïe. Chap. 60

Lève-toi, Jérusalem ; sois illuminée ; car ta lumière est venue, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Les ténèbres couvriront la terre, une nuit sombre enveloppera les peuples ; mais sur toi le Seigneur se lèvera, et sa gloire éclatera sur toi. Et les nations marcheront à ta lumière, et les rois à la splendeur de ta clarté naissante. Lève les yeux, considère autour de toi, et vois : tous ceux-ci, que tu vois rassemblés, sont venus pour toi. Des fils te sont venus de loin, et des filles se lèvent à tes côtés. En ce jour, tu verras, et tu seras dans l’opulence, et ton cœur sera dans l’admiration, et il se dilatera : en ce jour où la multitude des nations qui habitent les bords de la mer se tournera vers toi, quand la force des Gentils viendra à toi. Les chameaux, les dromadaires de Madian et d’Épha, arriveront chez toi comme un déluge : la foule viendra de Saba t’apporter l’or et l’encens, en chantant la louange du Seigneur.

Ô gloire infinie de ce grand jour, dans lequel commence le mouvement des nations vers l’Église, la vraie Jérusalem ! Ô miséricorde du Père céleste qui s’est souvenu de tous ces peuples ensevelis dans les ombres de la mort et du crime ! Voici que la gloire du Seigneur s’est levée sur la cité sainte ; et les rois se mettent en marche pour l’aller contempler. L’étroite Jérusalem ne peut plus contenir ces flots des nations ; une autre ville sainte est inaugurée ; et c’est vers elle que va se diriger cette inondation des peuples gentils de Madian et d’Épha. Dilate ton sein, dans ta joie maternelle, ô Rome ! Tes armes t’avaient assujetti des esclaves ; aujourd’hui ce sont des enfants qui arrivent en foule à tes portes ; lève les yeux, et vois : tout cela est à toi ; l’humanité tout entière vient prendre dans ton sein une nouvelle naissance. Ouvre tes bras maternels ; et accueille-nous, nous tous qui venons du Midi et de l’Aquilon, apportant l’encens et l’or à celui qui est ton roi et le nôtre.

Graduel

La foule viendra de Saba t’apporter l’or et l’encens, en chantant la louange du Seigneur. V/. Lève-toi, Jérusalem ; sois illuminée, parce que la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.

Alleluia, alleluia. V/. Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus, avec des présents, adorer le Seigneur. Alleluia.

Évangile
La suite du saint évangile selon saint Matthieu. Chap. 2

Jésus étant né en Bethléhem de Juda, aux jours du roi Hérode, voici que des mages vinrent d’Orient à Jérusalem, et ils disaient : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer. À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. Et rassemblant tous les princes des prêtres et les docteurs du peuple, il leur demandait où le Christ devait naître. Et ils lui dirent : En Bethléhem de Juda ; car il est écrit par le prophète : Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre entre les principales villes de Juda ; car de toi sortira le chef qui régira mon peuple d’Israël. Alors Hérode, ayant appelé les mages en secret, s’enquit d’eux avec grand soin du temps auquel l’étoile leur avait apparu. Et les envoyant à Bethléhem, il leur dit : Allez et informez-vous exactement de cet enfant, et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que je vienne aussi l’adorer. Ayant ouï ces paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les précédait, jusqu’à ce que, étant arrivée sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta. Lorsqu’ils revirent l’étoile, ils furent transportés de joie, et étant entrés dans la maison, ils trouvèrent l’enfant avec Marie sa mère, et se prosternant (ici on se met à genoux), ils l’adorèrent, et ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents l’or, l’encens et la myrrhe. Et ayant reçu en songe l’ordre de ne point aller trouver Hérode, ils s’en retournèrent dans leur pays par un autre chemin.

Les mages, prémices de la Gentilité, ont été introduits auprès du grand roi qu’ils cherchaient, et nous les avons suivis. L’enfant nous a souri comme à eux. Toutes les fatigues de ce long voyage qui mène à Dieu sont oubliées ; l’Emmanuel reste avec nous, et nous avec lui. Bethléhem, qui nous a reçus, nous garde à jamais ; car à Bethléhem nous possédons l’enfant et Marie sa mère. En quel lieu du monde trouverions-nous des biens aussi précieux ? Supplions cette mère incomparable de nous présenter elle-même ce fils qui est notre lumière, notre amour, notre pain de vie, au moment où nous allons approcher de l’autel vers lequel nous conduit l’étoile de la foi. Dès ce moment ouvrons nos trésors ; tenons à la main notre or, notre encens et notre myrrhe, pour le nouveau-né. Il agréera ces dons avec bonté ; il ne demeurera point en retard avec nous. Quand nous nous retirerons comme les mages, comme eux aussi nous laisserons nos cœurs sous le domaine du divin roi ; et ce sera aussi par un autre chemin, par une voie toute nouvelle, que nous rentrerons dans cette patrie mortelle qui doit nous retenir encore, jusqu’au jour où la vie et la lumière éternelle viendront absorber en nous tout ce qui est de l’ombre et du temps.

Dans les églises cathédrales et autres insignes, après le chant de l’évangile, on annonce au peuple avec pompe le jour de la prochaine fête de Pâques. Cet usage, qui remonte aux premiers siècles de l’Église, rappelle le lien mystérieux qui unit les grandes solennités de l’année liturgique, et aussi l’importance que les fidèles doivent mettre à la célébration de celle de Pâques qui est la plus grande de toutes, et le centre de la religion tout entière. Après avoir honoré le roi des nations dans l’Épiphanie, il nous restera donc à célébrer, au temps marqué, le triomphateur de la mort. Voici la forme en laquelle se fait cette annonce solennelle :

L’annonce de la Pâque

Sachez, bien-aimés frères, que, par la miséricorde de Dieu, de même que nous avons goûté l’allégresse de la nativité de notre Seigneur Jésus-Christ, ainsi nous vous annonçons aujourd’hui les joies prochaines de la résurrection de ce même Dieu et Sauveur. Le…. sera le dimanche de la Septuagésime.

Le…. sera le jour des Cendres, et l’ouverture du jeûne de la très sainte Quarantaine. Le…. nous célébrerons avec transport la sainte Pâque de notre Seigneur Jésus-Christ. Le second dimanche après Pâques, on tiendra le synode diocésain. Le…. on célébrera l’Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ. Le…. la fête de la Pentecôte. Le…. la fête du très saint Corps du Christ. Le…. sera le premier dimanche de l’Avent de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui est honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.

Durant l’offertoire, la sainte Église, en présentant à Dieu le pain et le vin, emprunte les paroles du psalmiste, et célèbre les rois de Tharsis, d’Arabie et de Saba, tous les rois de la terre et tous les peuples, accourus pour offrir leurs présents au nouveau-né.

Offertoire

Les rois de Tharsis et des îles lointaines lui offriront des présents ; les rois d’Arabie et de Saba lui apporteront leurs dons ; tous les rois de la terre l’adoreront ; toutes les nations lui seront assujetties.

Secrète

Regardez, s’il vous plaît, d’un œil favorable, Seigneur, les dons de votre Église, qui ne vous offre pas de l’or, de l’encens et de la myrrhe, mais celui-là même qui est figuré par ces présents, et qui maintenant est immolé et donné en nourriture, Jésus-Christ, votre Fils, notre Seigneur, qui vit et règne avec vous.

La préface de la messe de l’Épiphanie est particulière à la fête et à son octave. L’Église y célèbre la lumière immortelle apparaissant à travers les voiles de l’humanité sous laquelle le Verbe divin est venu, par amour, cacher sa gloire.

Préface

Oui, c’est une chose digne et juste ; équitable et salutaire, de vous rendre grâces en tout temps et en tous lieux, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel : de ce que votre Fils unique apparaissant dans la substance de notre mortalité, nous a restaurés par cette nouvelle manifestation de la lumière de son immortelle splendeur. Donc, avec les anges et les archanges, avec les trônes et les dominations, avec l’armée entière des cieux, nous chantons l’hymne de votre gloire, disant, sans jamais cesser : Saint ! Saint ! Saint !

Pendant la communion, la sainte Église, unie à celui qui est son roi et son époux, chante l’étoile messagère d’un tel bonheur, et se félicite d’avoir marché à sa lumière ; car elle a trouvé celui qu’elle cherchait.

Communion

Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus, avec des présents, adorer le Seigneur.

De si hautes faveurs exigent de nous une rare fidélité ; l’Église la demande dans la postcommunion, et implore le don d’intelligence et la pureté que réclame un si ineffable mystère.

Postcommunion

Faites, s’il vous plaît, Dieu tout-puissant, que, par l’intelli­gence d’un esprit purifié, nous puissions goûter le mystère que nous célébrons par ce solennel service. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Les secondes vêpres de l’Épiphanie

Les secondes vêpres de notre grande fête sont presque semblables aux premières. Les mêmes antiennes expriment la Théophanie, la divine Apparition ici-bas de ce Verbe éternel engendré avant l’aurore, et descendu pour être notre Sauveur ; la gloire du Seigneur qui se lève sur Jérusalem, et les nations marchant à sa lumière ; les mages ouvrant leurs trésors, et déposant leurs mystiques présents aux pieds du royal enfant ; les mers, les fleuves et les fontaines sanctifiés dans le baptême de l’Homme-Dieu ; la splendeur merveilleuse de l’étoile qui nous indique le roi des rois.

Le cinquième psaume n’est plus celui que nous avons chanté hier, et qui conviait toutes les nations à louer le Seigneur. L’Église lui substitue aujourd’hui le 113e, In exitu Israel de Aegypto, dans lequel, après avoir célébré la délivrance d’Israël, David flétrit les idoles des nations, ouvrage de la main des hommes, et qui doivent tomber en présence de l’Emmanuel. Tous les peuples sont associés à l’adoption de Jacob. Dieu va bénir, non plus seulement la maison d’Israël et la maison d’Aaron, mais encore tous ceux qui craignent le Seigneur, de quelque race, de quelque nation qu’ils soient.

Le capitule, ci-dessus, aux premières vêpres.

L’hymne Crudelis Herodes, à la suite du capitule.

Après l’hymne, on chante le verset suivant :

Reges Tharsis et insulae munera offerent.

V/. Les rois de Tharsis et des îles lointaines lui offriront des présents. R/. Les rois d’Arabie et de Saba lui apporteront des dons.

Dans l’antienne du cantique de Marie, la sainte Église résume encore une fois le triple mystère de la solennité.

Antienne de Magnificat

Ant. Nous honorons un jour marqué par trois prodiges : aujourd’hui, l’étoile a conduit les mages à la crèche ; aujourd’hui, l’eau a été changée en vin au festin nuptial ; aujourd’hui, le Christ a voulu être baptisé par Jean dans le Jourdain, pour notre salut. Alleluia.

Oraison

Ô Dieu, qui avez manifesté aujourd’hui, par une étoile, votre Fils unique aux Gentils ; faites, dans votre bonté, que nous qui vous connaissons déjà par la foi, nous arrivions un jour à contempler l’éclat de votre gloire. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur.

Autres liturgies

Durant tout le cours de l’octave, nous placerons à chaque jour quelques pièces empruntées aux anciennes liturgies et employées par les diverses Églises à célébrer, les unes le triple mystère de l’Épiphanie, d’autres la venue des mages, ou le baptême du Christ ; quelques-unes enfin la naissance du Dieu enfant, ou la divine maternité de la Vierge.

Nous commencerons aujourd’hui par cette hymne de saint Ambroise, que chante l’Église de Milan :

Hymne

Dieu Très-Haut, qui allumez l’éclatant flambeau des sphères célestes, Jésus ! paix, vie, lumière, vérité, soyez propice à nos prières.

Soit que, par votre baptême mystique, vous rendiez ce jour à jamais sacré, sanctifiant les flots du Jourdain qui jadis remonta trois fois vers sa source ;

Soit que vous annonciez au ciel l’enfantement de la Vierge par une étoile étincelante, et conduisiez en ce jour les mages à la crèche, pour vous adorer ;

Soit que vous donniez la saveur du vin aux amphores remplies d’eau, et fassiez goûter au serviteur la liqueur qu’il n’y avait pas versée :

Gloire à vous, ô Seigneur, qui avez apparu aujourd’hui ; gloire à vous avec le Père et l’Esprit divin, dans les siècles éternels. Amen.

La préface suivante est empruntée au sacramentaire de saint Gélase :

Préface

Il est vraiment digne et juste, équitable et salutaire de vous louer, Seigneur, qui êtes admirable dans toutes vos œuvres, au moyen desquelles vous avez révélé les mystères de votre royaume. Une étoile messagère de l’enfantement virginal a annoncé la solennité présente, faisant connaître aux mages étonnés que le Seigneur du ciel était né sur la terre. Ainsi le Dieu qui devait être manifesté au monde, est déclaré par un indice céleste, et celui qui devait connaître une naissance temporelle, est manifesté au moyen des signes qui règlent le temps.

Le livre des séquences de l’Abbaye de Saint-Gall nous a fourni celle que nous donnons ci-après, composée au 9e siècle par le célèbre Notker.

Séquence

Que la chrétienté tout entière célèbre les solennités du Christ.

Elles sont éclatantes de merveilles, vénérables à tous les peuples.

Elles honorent l’avènement du maître de toutes choses et la vocation des Gentils.

Quand le Christ fut né, une étoile parut aux yeux des mages.

Les mages ont compris que l’astre ne brille pas en vain d’un tel éclat.

Ils portent des présents, pour les offrir, comme à un roi céleste, à l’enfant que leur annonce l’étoile.

Ils dédaignent, en passant, le lit couvert d’or d’un prince superbe : c’est la crèche du Christ qu’ils recherchent.

La colère du farouche Hérode s’allume ; il est envieux du roi nouveau-né.

Il ordonne d’immoler, par un glaive cruel, les enfants de Bethléhem.

Ô Christ ! quelle armée tu formeras pour ton Père, à l’âge où, devenu homme, apte à de plus grands combats, tu prêcheras ta doctrine au peuple, si aujourd’hui, encore à la mamelle, tu lui envoies de si nombreux bataillons.

À trente ans, à l’âge d’homme, le grand Dieu s’inclina sous la main d’un illustre serviteur, rendant sacré ce baptême qui devait remettre nos crimes.

L’Esprit-Saint, sous la forme d’un innocent oiseau, le visite, pour opérer en lui cette onction qui surpasse celle de tous les saints ; il habitera à jamais son cœur avec délices.

La voix pleine de tendresse du Père retentit ; le Père a oublié cette parole qu’il prononça jadis : « Je me repens d’avoir créé l’homme ».

Elle dit : « Tu es vraiment mon Fils, l’objet de mes complaisances ; aujourd’hui, je t’ai engendré, mon Fils. »

Peuples, écoutez tous ce docteur.

Amen.

Les menées de l’Église grecque, au jour de la nativité du Sauveur, nous donnent les belles strophes suivantes :

En la nativité du Seigneur

Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! c’est le cri des anges en Bethléhem ; sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté. Le sein de la Vierge est plus vaste que le ciel ; une lumière s’est levée sur ceux qui étaient assis dans les ténèbres. Cette lumière a exalté les humbles et ceux qui chantent avec les anges : Gloire à Dieu au plus haut des cieux !

Réjouis-toi, Israël ; chantez la louange, vous tous qui aimez Sion. Le lien de la damnation d’Adam a été brisé ; le paradis nous a été ouvert, et le serpent a perdu sa force. Celle qu’il avait trompée au commencement, il la voit maintenant mère du créateur. Ô abîme des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! celle qui avait introduit en toute chair la mort, ouvrage du péché, est devenue, par une mère de Dieu, le principe du salut. Car le petit enfant qui naît d’elle est le Dieu très parfait : dans sa naissance même, il maintient le sceau de la virginité ; par ses langes il délie les liens du péché, et, par son enfance, il apporte le remède aux douleurs d’Ève qui n’enfantait qu’avec tristesse. Que toute créature mène le chœur, et se réjouisse ; car le Christ est venu la rappeler à la vie et sauver nos âmes.

Ta naissance, ô notre Dieu, a apporté au monde la lumière de la science ; par elle, ceux qui adoraient les astres apprennent d’un astre à t’adorer, Soleil de justice ; à te reconnaître, céleste Orient : gloire à toi, Seigneur !

Justes, réjouissez-vous ; cieux, tressaillez ; montagnes, bondissez : le Christ est né. La Vierge est assise ; semblable aux chérubins, elle porte sur ses genoux, comme sur un trône, le Dieu Verbe fait chair. Les bergers glorifient le nouveau-né ; les mages offrent des présents au Seigneur ; les anges chantent ce cantique : Seigneur incompréhensible, gloire à toi !

Pour honorer la pure et glorieuse mère de notre divin roi, empruntons cette séquence au pieux moine Herman Contract :

Séquence

Salut, glorieuse étoile de la mer ; votre lever divin, ô Marie, présage la lumière aux nations.

Salut, porte céleste, fermée à tout autre qu’à Dieu ! Vous introduisez en ce monde la lumière de vérité, le soleil de justice, revêtu de notre chair.

Vierge, beauté du monde, reine du ciel, brillante comme le soleil, belle comme l’éclat de la lune, jetez les yeux sur tous ceux qui vous aiment.

Dans leur foi vive, les anciens pères et les prophètes vous désirèrent sous l’emblème de ce rameau qui devait naître sur l’arbre fécond de Jessé.

Gabriel vous désigna comme l’arbre de vie qui devait produire, par la rosée de l’Esprit-Saint, l’amandier à la divine fleur.

C’est vous qui avez conduit l’agneau-roi, le dominateur de la terre, de la pierre du désert de Moab à la montagne de la fille de Sion.

Vous avez écrasé Léviathan, malgré ses fureurs, et brisé les anneaux de ce tortueux serpent, en délivrant le monde du crime qui causa sa damnation.

Nous donc, restes des nations, pour honorer votre mémoire, nous appelons sur l’autel, pour l’immoler mystérieusement, l’agneau de propitiation, roi éternel des cieux, le fruit de votre enfantement merveilleux.

Les voiles étant abaissés, il nous est donné à nous, vrais Israélites, heureux fils du véritable Abraham, de contempler, dans notre admiration, la manne véritable que figurait le type mosaïque : priez, ô Vierge, que nous soyons rendus dignes du pain du ciel.

Donnez-nous de nous désaltérer, avec une foi sincère, à cette douce fontaine représentée par celle qui sortit de la pierre du désert ; que nos reins soient ceints de la ceinture mystérieuse ; que nous traversions heureusement la mer, et qu’il nous soit donné de contempler sur la croix le serpent d’airain.

Les pieds mystérieusement dégagés de leurs chaussures, les lèvres pures, le cœur sanctifié, donnez-nous d’approcher du feu saint, le Verbe du Père, que vous avez porté, comme le buisson porta la flamme, ô Vierge devenue mère !

Écoutez-nous ; car votre Fils aime à vous honorer en vous exauçant toujours.

Sauvez-nous, ô Jésus ! nous pour qui la Vierge-Mère vous supplie.

Donnez-nous de contempler la source de tout bien, d’arrêter sur vous les yeux purifiés de notre âme.

Que notre âme, désaltérée aux sources de la sagesse, puisse aussi percevoir la saveur de la vraie vie.

Qu’elle orne par les œuvres la foi chrétienne qui habite en elle, et que, par une heureuse fin, elle passe de cet exil vers vous, auteur du monde. Amen.

Nous venons à notre tour vous adorer, ô Christ, dans cette royale Épiphanie qui rassemble aujourd’hui à vos pieds toutes les nations. Nous nous pressons sur les pas des mages ; car, nous aussi, nous avons vu l’étoile, et nous sommes accourus. Gloire à vous, notre roi ! à vous qui dites dans le cantique de votre aïeul David : « C’est moi qui ai été établi roi sur Sion, sur la montagne sainte, pour annoncer la loi du Seigneur. Le Seigneur m’a dit qu’il me donnerait les nations pour héritage, et l’empire jusqu’aux confins de la terre. Maintenant donc, ô rois, comprenez ; instruisez-vous, arbitres du monde [3] ! »

Bientôt vous direz, ô Emmanuel, de votre propre bouche : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre [4] » ; et, quelques années plus tard, l’univers entier sera sous vos lois. Déjà Jérusalem s’émeut ; Hérode tremble sur son trône ; mais l’heure approche où les hérauts de votre avènement iront annoncer à la terre entière que celui qui était l’attente des nations est arrivé. La parole qui doit vous soumettre le monde partira ; elle s’étendra au loin comme un vaste incendie. En vain les puissants de la terre tenteront de l’arrêter dans son cours. Un empereur, pour en finir, proposera au sénat de vous inscrire solennellement au rang de ces dieux que vous venez renverser ; d’autres croiront qu’il est possible de refouler votre domination par le carnage de vos soldats. Vains efforts ! le jour viendra où le signe de votre puissance ornera les enseignes prétoriennes, où les empereurs vaincus déposeront leur diadème à vos pieds, où cette Rome si fière cessera d’être la capitale de l’empire de la force, pour devenir à jamais le centre de votre empire pacifique et universel.

Ce jour merveilleux, nous en voyons poindre l’aurore ; vos conquêtes commencent aujourd’hui, ô roi des siècles ! Du fond de l’Orient infidèle, vous appelez les prémices de cette gentilité que vous aviez délaissée, et qui va désormais former votre héritage. Plus de distinction de Juif ni de Grec, de Scythe ni de barbare. Vous avez aimé l’homme plus que l’ange, puisque vous relevez l’un, et laissez l’autre dans sa chute. Mais si, durant de longs siècles, votre prédilection fut accordée à la race d’Abraham, désormais votre préférence est pour nous Gentils. Israël ne fut qu’un peuple, et nous sommes nombreux comme les sables de la mer, comme les étoiles du firmament. Israël fut placé sous la loi de crainte ; vous avez réservé pour nous la loi d’amour.

Dès aujourd’hui vous commencez, ô divin roi, à éloigner de vous la Synagogue qui dédaigne votre amour ; aujourd’hui vous acceptez pour épouse la Gentilité, dans la personne des mages. Bientôt votre union avec elle sera proclamée sur la croix, du haut de laquelle, tournant le dos à l’ingrate Jérusalem, vous étendrez les bras vers la multitude des peuples. Ô joie ineffable de votre naissance ! mais joie plus ineffable encore de votre épiphanie, dans laquelle il nous est donné à nous, déshérités jusqu’ici, d’approcher de vous, de vous offrir nos dons, et de les voir agréés par votre miséricorde, ô Emmanuel !

Grâces vous soient donc rendues, enfant tout-puissant, « pour l’inénarrable don de la foi [5] » qui nous transfère de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière ! Mais donnez-nous de comprendre toujours toute l’étendue d’un si magnifique présent, et la sainteté de ce grand jour où vous formez alliance avec la race humaine tout entière, pour arriver avec elle à ce mariage sublime dont parle votre éloquent vicaire, Innocent III : « mariage, dit-il, qui fut promis au patriarche Abraham, juré au roi David, accompli en Marie devenue Mère, et aujourd’hui consommé, confirmé et déclaré : consommé dans l’adoration des mages, confirmé dans le baptême du Jourdain, déclaré dans le miracle de l’eau changée en vin. » Dans cette fête nuptiale où l’Église votre épouse, née à peine, reçoit déjà les honneurs de reine, nous chanterons, ô Christ, dans tout l’enthousiasme de nos cœurs, cette sublime antienne des laudes, où les trois mystères se fondent si merveilleusement en un seul, celui de votre alliance avec nous :

Ant. Aujourd’hui l’Église s’unit au céleste époux : ses péchés sont lavés par le Christ dans le Jourdain ; les mages accourent aux noces royales, apportant des présents ; l’eau est changée en vin, et les convives du festin sont dans la joie. Alleluia.

[1]              Ps. 18.

[2]              Psalm. 71.

[3]              Psalm. 2.

[4]              s. Matth. 28.

[5]              2 Cor. 9, 15.